Débat sur l'emploi, la formation et la qualification des jeunes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'emploi, la formation et la qualification des jeunes.

M. Claude Jeannerot, pour le groupe socialiste .  - Notre pays connaît une situation dramatique sur le front de l'emploi. Le cap symbolique des 3 millions de chômeurs a été franchi au mois d'août. Les seniors et les jeunes sont les plus touchés. Le nombre de jeunes de moins de 25 ans demandeurs sans emploi a augmenté de 11 % en un an ; plus 17 % pour les seniors. L'heure est à la mobilisation. Derrière les statistiques, il y a des visages d'hommes et de femmes frappés par le désespoir. Mais il n'y a pas de fatalité. L'action des pouvoirs publics doit porter sur tous les paramètres. Seule une stratégie favorisant la compétitivité et la croissance servira l'emploi. Le budget des politiques de l'emploi mérite, à ce titre, d'être salué, car il n'en a pas toujours été ainsi.

En 2002, il se montait à 17 milliards -9,9 milliards en 2012 ! Entre 2008 et 2012, les crédits de la mission « Travail et emploi » ont baissé de 20 %, alors que le nombre de chômeurs augmentait d'un million. Le projet de loi de finances pour 2013 inverse la tendance et propose une hausse des crédits de 2 %, 4 % si l'on tient compte du transfert de 250 millions vers le Fonds national pour le développement et la modernisation de l'apprentissage.

Le Gouvernement s'est donné plusieurs priorités, et d'abord l'emploi des jeunes. Les décrets sont parus, les premières conventions signées. Dans le Doubs, le conseil général a contractualisé avec des dizaines de jeunes, qui sont déjà dans l'emploi. L'objectif est de 150 000 bénéficiaires en rythme de croisière. Les crédits seront de 2,6 milliards en autorisations d'engagement et 466 millions en crédits de paiement. Si le Civis est maintenu, le Gouvernement propose la suppression du contrat d'autonomie, créé en 2008 dans le cadre du plan « Espoir banlieues » dont nous avons maintes fois dénoncé les médiocres performances.

Dans quelques semaines, nous examinerons le projet de loi relatif au contrat de génération, qui transcrit l'accord unanime des partenaires sociaux du 19 novembre. Les entreprises de moins de 300 salariés seront aidées lorsqu'elles recruteront un jeune tout en maintenant un senior dans l'emploi et en organisant le transfert des savoirs et des compétences. Le coût en sera d'un milliard par an en régime de croisière.

Deuxième priorité du Gouvernement, atténuer les effets de la crise pour les publics les plus fragiles, notamment grâce aux emplois aidés. Dès 2012, le Gouvernement a remédié à leur surconsommation durant les premiers mois de l'année. Le projet de loi de finances 2013 prévoit 1,5 milliard pour financer 340 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi et 186 millions pour 50 000 contrats initiative emploi. Le déploiement des contrats d'avenir ne se fait donc pas au détriment des autres contrats aidés.

Troisième priorité : l'accompagnement des mutations économiques, avec la pérennisation du contrat de sécurisation professionnelle créé en 2011, qui offre un parcours de transition à des personnes licenciées économiques -plus de 100 millions sont prévus à ce titre. J'insisterai surtout sur la relance du chômage partiel, qui évite les licenciements en cas de retournement brutal de la conjoncture. Le gouvernement précédent avait drastiquement réduit les dotations. Celui-ci y revient, et rétablit la procédure d'autorisation administrative préalable.

Quatrième priorité : le renforcement du service public de l'emploi, très sollicité aujourd'hui. En 2011, la majorité d'alors avait supprimé 1 800 postes à Pôle emploi, alors que le chômage repartait à la hausse. En 2012, Pôle emploi a pu pourvoir 2 000 emplois supplémentaires en CDI. Sa dotation va augmenter de 100 millions pour atteindre, en 2013, 1,47 milliard d'euros. En complément, 2 000 postes seront aussi redéployés des fonctions support vers l'accompagnement : 4 000 conseillers supplémentaires seront ainsi au contact direct des usagers.

Les missions locales, qui suivent les jeunes de moins de 26 ans, verront également leurs moyens augmenter. Elles deviennent référentes pour les emplois d'avenir, grâce à une dotation de 30 millions supplémentaires.

Cinquième priorité : le développement des formations en alternance, avec un objectif de 500 000 emplois à la fin du quinquennat. S'il paraît en retrait sur les annonces du précédent gouvernement -800 000 jeunes formés d'ici 2015- il n'en est que plus réaliste. Les régions vont recevoir 550 millions pour financer les primes d'apprentissage ; 1,2 milliard sera versé à la sécurité sociale pour compenser le manque à gagner des exonérations de cotisations sociales. L'Assemblée nationale a majoré de 2 millions la dotation pour financer la prolongation d'expérimentations tendant à prévenir les ruptures anticipées de contrats d'apprentissage, particulièrement fréquentes dans l'hôtellerie et la restauration.

Un mot sur l'avenir de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), à laquelle les Français sont très attachés : elle fut, pour 2 millions de jeunes et d'adultes, une seconde chance. L'Afpa a des atouts : 9 000 professionnels, une présence sur l'ensemble du territoire, des formations qualifiantes à forte valeur ajoutée dans des secteurs en développement qui débouchent, pour trois stagiaires sur quatre, sur l'emploi dans les six mois. L'Afpa est en grand danger. Le gouvernement précédent l'a jetée dans le grand bain de la concurrence ; le désengagement financier de l'État, censé être relayé par les régions -qui ont joué leur rôle- a mis l'Afpa, si rien n'est fait, au bord de la cessation de paiement. Le Gouvernement a pris des mesures d'urgence en cours d'année, mais il faut une action plus structurelle pour redresser la situation. Le président de l'Afpa a proposé un plan de refondation. L'État peut encore aider au redressement via le transfert du patrimoine immobilier et participant à une recapitalisation. À moyen terme, la définition d'un service économique d'intérêt général ferait ainsi échapper une part du marché de la formation aux strictes règles de la concurrence. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer sur les perspectives de l'Afpa ?

Les mesures en faveur de l'emploi et de la formation des jeunes ne prennent sens que dans l'ambition plus globale, portée par le président de la République, de donner toute la place qui lui revient à la jeunesse. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Larcher .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) L'accès à l'emploi est une difficulté majeure pour les jeunes, en particulier pour ceux qui sortent du système scolaire sans qualification. Le rapport de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) est éloquent : 22,7 % de chômage chez les jeunes, qui ne sont cependant pas frappés de la même manière : 9 % seulement pour les diplômés du supérieur, 22 % pour les titulaires du Bac, d'un CAP ou d'un BEP, mais 46 % pour les non-diplômés, près d'un jeune sur deux ! Chaque année, 140 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. Depuis le rapport Legendre de 1979, ce chiffre n'a pas reculé. Le taux de pauvreté chez les jeunes est supérieur à 22 %, chiffre terrible pour notre société, qui signe notre échec collectif depuis 25 ans.

Les jeunes ont été les premières victimes de la récession et de la crise, qui creusent l'écart entre les diplômés et les autres. 15 % des jeunes ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi. On en mesure les conséquences. La question est bien une priorité nationale, mais les politiques publiques ne sont pas à la hauteur de l'enjeu ; la création de 150 000 emplois d'avenir sur cinq ans ne débouchera pas, à mon sens, sur des emplois pérennes. L'analyse de la Dares montre que le secteur non marchand est moins susceptible de pérenniser ces contrats que le secteur marchand. Je regrette donc son exclusion du dispositif des contrats d'avenir ; on peut en conséquence douter de la réussite de ceux-ci. On sait que les collectivités territoriales sont à la peine (M. Bruno Retailleau approuve) Plus séduisant est le dispositif des contrats de génération, puisqu'ils seront ouverts au secteur marchand. Reste à savoir quel sera le public ciblé, quels seront le coût du dispositif et son financement. Sans croissance, les entreprises ne feront pas appel à ce dispositif. Le contrat de génération doit donc entrer dans une politique globale : on ne peut leur demander d'embaucher tout en augmentant leurs charges. L'OFCE est dubitatif, et craint des effets d'aubaine.

Quid, enfin, de la continuité ? En douze ans, nous avons changé quatre fois de panoplie. Or, entre le vote au Parlement et l'appropriation sur le terrain, il faut du temps ; et entre les espérances et la réalité, il y a souvent des pertes en ligne...

C'est dire que des réformes structurelles courageuses s'imposent et d'abord celle du système éducatif et de la formation professionnelle. Le président Sarkozy m'avait confié une mission sur cette dernière, pour cibler ceux qui en ont le plus besoin, inciter les entreprises à mieux former leurs salariés et en faire un outil de promotion sociale.

L'éducation nationale doit soutenir le jeune au long de son cursus, car son avenir se joue dès la grande section de maternelle et durant tout le primaire. Beaucoup est joué parfois au CE2... Vincent Peillon entend donner la priorité au primaire, dont acte. Il faut lutter contre l'illettrisme et l'échec scolaire.

M. Gaëtan Gorce.  - Vous avez supprimé les Rased !

M. Gérard Larcher.  - Il faut réduire le nombre des décrocheurs ; recentrer les programmes vers les fondamentaux et renforcer les liens avec le monde de l'entreprise ; mieux informer sur les métiers en créant des plates-formes de l'orientation à l'image de ce que pourraient être les cités des métiers en région. Il faut, aussi, mieux valoriser les formations en alternance et en apprentissage, qui sont aussi des voies d'excellence.

M. Ronan Kerdraon.  - C'est bien de le découvrir !

M. Gérard Larcher.  - Pour les décrocheurs d'aujourd'hui, il faut construire un droit à une seconde chance de formation. Des initiatives existent sur le terrain, comme les écoles et lycées de la deuxième chance ou les écoles de production.

M. Ronan Kerdraon.  - Et la RGPP ?

M. Gérard Larcher.  - Il faut imaginer une « pédagogie du détour » ; à ce titre, notre débat sur les écoles de production n'aura pas été vain.

Sur le terrain, la responsabilité de chaque partenaire devrait être mieux définie, pour que tous les acteurs, en synergie, travaillent à offrir à ces jeunes, dans le cadre d'un pacte de réussite professionnelle, des formations qualifiantes et certifiantes. La taxe d'apprentissage devrait être réorientée vers ceux qui en ont le plus besoin, les niveaux 4 et 5. Il y a urgence. Le monde que l'on propose à nos jeunes doit être porteur d'espérance : passons d'une vision fataliste à une vision dynamique.

Sur l'Afpa, les propositions que j'avais faites dans mon rapport rejoignent celles que je viens d'entendre. Il ne faut pas laisser cet outil en désuétude. J'avais d'ailleurs alerté le gouvernement précédent sur la question.

M. Ronan Kerdraon.  - En vain !

M. Gérard Larcher.  - Les partenaires sociaux sont en négociation : je souhaiterais qu'ils prennent à bras-le-corps la question du premier emploi des jeunes, qui sont victimes de l'approche qui est celle de notre droit du travail. (M. Bruno Retailleau approuve) On ne peut parler de compétitivité en excluant ceux qui construiront demain notre pays. Les femmes et les hommes de bonne volonté doivent pouvoir se retrouver autour de ce sujet majeur. Si on empêche les jeunes de participer pleinement à la société, ce sera un échec collectif dont nous porterons tous la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Christiane Demontès .  - Le surchômage des jeunes est devenu chronique. Depuis 2008, sous l'effet des politiques du précédent gouvernement, il n'a cessé de croître, tandis que les budgets consacrés à l'emploi baissaient de 17 milliards à moins de 10 milliards.

On ne peut se résoudre à laisser les jeunes sur le bord du chemin. Le président de la République a fait de la jeunesse sa priorité. La formation initiale est essentielle : les jeunes les plus diplômés s'en sortent mieux et ce sont eux qui profitent le plus de la formation continue. Or qu'a fait le gouvernement Fillon ? Il a supprimé 80 000 postes d'enseignants, (« Oui ! » sur les bancs socialistes) démantelé les Rased...

M. Gérard Larcher.  - Cela ne marchait pas !

Mme Christiane Demontès.  - ... stigmatisé les enseignants. Il n'est guère surprenant que nous ayons régressé dans tous les palmarès internationaux... Dès le projet de loi de finances pour 2013, vous avez décidé de renverser la vapeur et de redonner toute sa place à la formation initiale.

Notre débat sur les écoles de production fut l'occasion de souhaiter une réflexion globale sur la formation professionnalisante -une mission d'évaluation des dispositifs en alternance sera conduite par notre commission de la culture à l'initiative de Mme Françoise Laborde. Oui, ces dispositifs sont utiles, mais on ne peut se contenter de dire que 140 000 jeunes ne sont pas adaptés à l'école ; l'échec n'est pas une fatalité. Il faut prendre à bras-le-corps le problème de l'orientation par l'échec. Le projet de loi de finances va dans le bon sens, comme l'abondement du fonds dédié à l'accompagnement des apprentis, pour prévenir les ruptures anticipées. Une grande loi sur la refondation de l'école est en préparation : nul doute qu'elle traitera des décrocheurs.

Pour l'heure, les emplois d'avenir suscitent un formidable espoir, chez les jeunes et auprès de ceux qui les accompagnent. Des emplois précaires, objecte-t-on ? Mais trois ans, c'est une opportunité énorme pour des jeunes qui n'ont souvent connu le monde de l'entreprise qu'à travers leur stage de 3e. Un jeune qui travaille reprend confiance, peut se projeter dans l'avenir et construire sa vie.

Sur les contrats de génération, les partenaires sociaux ont trouvé un accord. Il faut maintenant aller vite. Quel sera, monsieur le ministre, le calendrier ?

M. Jeannerot et M. Gérard Larcher ont insisté sur l'Afpa. Des questions restent posées, je ne doute pas que vous apporterez des réponses. Le Conseil économique, social et environnemental a rendu, il y a quelques mois, un avis sur l'emploi des jeunes, qui rejoint beaucoup des orientations de ce Gouvernement. Quelle suite entendez-vous donner à l'ensemble de ses propositions ? (Applaudissements à gauche)

M. Michel Le Scouarnec .  - Les chiffres du deuxième trimestre 2012 confirment une tendance catastrophique : 23 % de chômage chez les 16-24 ans. Les jeunes, premières victimes de la crise, méritent une attention particulière, d'autant qu'ils ne sont pas tous touchés de la même manière, les non-diplômés étant les plus durement frappés. Les jeunes décrocheurs qu'évoquait M. Larcher sont pour beaucoup sans doute, eux-mêmes fils de chômeurs. (M. Gérard Larcher en convient)

Les mesures annoncées par le Gouvernement restent, hélas, insuffisantes. L'enseignement supérieur n'est pas une de ses priorités, alors que les universités sont conduites par la loi LRU à réduire leurs offres de formation et leurs effectifs d'enseignants. Le projet de loi de refondation de l'école devra être à la hauteur, pour relever le défi de la qualification. Il faudra revaloriser les sections professionnelles et technologiques. Le Premier ministre a annoncé vouloir réserver des places dans l'enseignement supérieur aux élèves des filières technologique et professionnelle ; pourquoi cependant ne cibler que ceux qui ont eu une mention au baccalauréat ? De véritables passerelles devront être établies entre l'enseignement général, technique et professionnel ; il doit exister un droit à l'erreur. L'objectif de la réussite pour tous ne sera pas atteint par une politique élitiste qui se contente de faciliter le parcours des plus méritants.

La spécialisation précoce ? L'apprentissage dès 14 ans ne serait pas acceptable.

Tous les salariés doivent pouvoir se former tout au long de leur vie. Nous seront attentifs aux formations attachées aux contrats de génération. Devraient être privilégiées les structures de formation professionnelle qui proposent les formations les plus qualifiantes, les organismes qui ont une réelle utilité sociale et ne trient pas leurs stagiaires. Notre pays a besoin d'un véritable service public de la formation construit autour de l'Afpa et du Greta, au sein duquel tous les acteurs publics seraient mobilisés pour proposer des formations qualifiantes et donc efficaces. L'accès à une formation professionnelle est une chance unique pour les personnes privées d'emploi. Il faudra veiller à ce que des liens forts soient tissés entre Pôle emploi et l'Afpa. Le recours aux opérateurs privés, qui ont de moins bons résultats que les opérateurs publics dans l'accès à l'emploi, nous le savons tous, doit être abandonné. Un équilibre devra être trouvé avec les actions de formation des régions.

Les enjeux sont nombreux et les défis immenses. Nous devons réussir pour que renaisse l'espoir. (Applaudissements à gauche)