Cumul allocation de solidarité (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la suite de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels. Dans la discussion générale, le Sénat a déjà entendu, le 12 décembre dernier, la rapporteure et le Gouvernement.

Discussion générale (Suite)

Mme Catherine Deroche .  - Le nombre d'allocataires de l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) pourrait s'accroître, estime la Cour des comptes dans son rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Selon une enquête du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), il a augmenté de 20 % depuis le 31 décembre 2010, trois quart des allocataires isolés étant des femmes.

Le précédent gouvernement, prenant acte de l'écart entre le minimum vieillesse et le seuil de pauvreté, avait revalorisé l'Aspa des personnes isolées de 25 %. Le nombre de personnes éligibles à cette allocation pourrait d'ailleurs être plus élevé que celui des allocataires, les personnes âgées ne la demandant pas, faute d'information ou parce qu'elles n'y avaient pas droit au moment de leur départ à la retraite, alors que leur situation a changé. Les allocataires du minimum vieillesse sont dans une situation d'iniquité dans la mesure où d'autres retraités peuvent bénéficier du cumul emploi-retraite depuis 2003, un cumul complètement libéralisé depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Un demi-million de retraités profitent de cette possibilité. Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), le droit à la retraite ne doit pas priver du droit fondamental au travail.

L'Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans son rapport de juin dernier, proposait d'instaurer un mécanisme d'intéressement pour les titulaires de l'Aspa, qui aurait l'avantage de ne rien coûter aux caisses de l'État. La proposition de loi de Mme Debré applique cette recommandation dans la limite de 1,2 Smic pour une personne seule et de 1,8 Smic pour un couple  - un tel plafond est nécessaire puisqu'il s'agit d'une allocation relevant de la solidarité nationale. (M. Jean Desessard approuve)

Le groupe UMP remercie Mme Debré et votera ce texte, qui répare une injustice en donnant aux personnes âgées titulaires de l'Aspa qui le souhaitent et le peuvent la possibilité de compléter leurs ressources (Applaudissements à droite)

M. René Teulade .  - D'après Eurostat, 120 millions d'Européens souffrent de pauvreté. Une situation glaçante qui vient contredire la chaleureuse illusion qu'a fait naître notre modèle économique de prospérité partagée. Avec la crise, les inégalités se sont creusées. Incertitude du lendemain et peur du déclassement génèrent angoisse et perte d'espoir dans l'avenir, dans la solidité de notre protection sociale. Heureusement, le Gouvernement a pris des mesures.

Parmi ceux qui estiment vivre dans l'indigence, on compte au premier chef les personnes âgées. Le dispositif de solidarité a été remanié en 2007 avec la création de l'Aspa. Cette allocation est versée à 588 000 personnes de plus de 65 ans, soit 4 % de la population des 60 ans et plus. Son montant s'élève à 777 euros, encore inférieur aux 964 euros du seuil de pauvreté. Eu égard au renchérissement du coût de la vie, il permet, au mieux, de survivre.

M. Jean Desessard.  - C'est déjà bien !

M. René Teulade.  - Cette proposition de loi propose d'autoriser à cumuler l'Aspa avec un revenu d'activité. Cette solution unique est séduisante, d'autant que nombre de ces personnes cumulent de fait en travaillant au noir. Néanmoins, la majorité des titulaires de l'Aspa ont plus de 75 ans : un tiers seulement ont entre 60 et 75 ans, un tiers ayant plus de 80 ans. Quand la durée de vie moyenne est de 81 ans, n'est-il pas illusoire de penser que ces personnes vont se remettre au travail ? Les emplois concernés seront sans doute pénibles, à temps partiel. Ne nous voilons pas la face : la nécessité ne doit pas conduire à une activité forcée à un âge déraisonnable, préjudiciable à la santé, qui pourrait hâter un décès. Peut-on imaginer que ces personnes retrouveront un emploi quand le chômage progresse depuis vingt mois ? Le taux d'emploi est de 18,1 % parmi les personnes de 60 à 64 ans. Seules des réponses structurelles, tel le contrat de génération, peuvent enrayer la spirale de la pauvreté et des inégalités.

L'objectif de la proposition de loi est louable. Cela dit, le Gouvernement agit : il a rétabli l'allocation équivalent retraite (AER) par décret, et présenté un plan de lutte contre l'exclusion et la pauvreté qui mobilisera entre 2 et 2,5 milliards par an - dont une majoration de 10 % du RSA-socle, la création de contrats d'insertion et l'extension du bénéfice de la CMU à 750 000 personnes supplémentaires.

L'essentiel est peut-être le changement de regard sur les victimes de pauvreté. « Salauds de pauvres ! » criait Jean Gabin, expression lourde d'une insupportable violence. La négation de tout déterminisme social, la croyance aveugle en un système méritocratique, la montée de l'individualisme a accouché de harangues stigmatisant les titulaires d'allocations de solidarité, qui seraient des fainéants, des assistés, des profiteurs.

Le groupe socialiste ne s'opposera pas à l'ouverture d'un droit. Mais il estime que la seule solution viable est de revaloriser les minima sociaux. Il s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Dominique Watrin .  - Ce texte est l'exemple même d'une mauvaise réponse à une bonne question. Comment ne pas rappeler que la pension médiane est de 1 100 euros par mois ? Elle devrait se réduire à 850 euros par mois en 2017 pour les nouveaux retraités, conséquence des réformes menées depuis 1993. Oui, la paupérisation des seniors progresse. La Conférence nationale sur l'exclusion atteste des questions auxquelles le Gouvernement doit répondre de façon urgente. En particulier, la revalorisation des minima sociaux.

La proposition de loi part du postulat que la seule façon pour un titulaire de l'Aspa d'améliorer son pouvoir d'achat est de reprendre une activité. On voit mal comment un retraité déclaré inapte au travail souvent à cause de son activité antérieure, pourrait le faire... Cette proposition de loi est donc une réponse simple, voire simpliste. Il y aura d'un côté les travailleurs détruits par le travail qui devraient survivre avec l'Aspa et de l'autre ceux, en meilleure santé, qui pourront continuer à s'user au travail... La reprise d'une activité serait un moyen de survie plus qu'un choix. Ce texte est inspiré par une philosophie profondément libérale...

Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales.  - Si vous voulez !

M. Dominique Watrin.  - ... qui ne met jamais en cause la responsabilité sociale des entreprises et s'appuie sur une analyse erronée du marché du travail. Les employeurs se défont de plus en plus des personnes âgées de plus de 55 ans, jugées peu productives et trop chères. De plus, 23 % des ruptures conventionnelles concernent des personnes de plus de 58 ans.

De quelle société voulons-nous, au juste ? Travailler âgé, qui plus est dans un sous-travail ou un mal-travail, n'est pas une liberté. Le Gouvernement doit répondre à l'urgence sociale que ce texte a le mérite de soulever. Serait-ce pour lui un défi trop ambitieux de revaloriser les minima sociaux, quand il a trouvé 20 millions pour accorder un crédit d'impôt aux entreprises ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean Desessard.  - Hé ! Hé !

M. Hervé Marseille .  - Il est des mesures dont on peut s'étonner qu'elles n'aient pas été prises plus tôt. Merci à Mme Debré de son travail, qui met fin à un archaïsme : les allocataires de l'Aspa sont les seuls à ne pas pouvoir bénéficier du cumul emploi-retraite. Le cumul avec des revenus d'activité est complètement libéralisé pour les autres pensionnés depuis 2009. Pourquoi les titulaires de l'Aspa, qui en ont le plus besoin...

Mme Isabelle Debré, rapporteure.  - Très bien !

M. Hervé Marseille.  - ... n'y auraient-ils pas droit ? Ce texte, corrigé par les amendements que la rapporteure propose, est juridiquement inattaquable. Nous en partageons la philosophie. Autoriser des personnes âgées à travailler n'est pas neutre. Pour beaucoup d'entre elles, travailler est vital car cela leur permet de maintenir un lien avec la société ; et pour la société, l'expérience de ces personnes est un apport - les défenseurs du contrat de génération ne peuvent qu'en convenir.

Ce texte, à ma grande surprise, est en butte aux critiques. On dit que certains titulaires de l'Aspa ne pourraient pas travailler. Est-ce le texte ou la vie elle-même qui est source de cette inégalité ? Il faudrait plutôt revaloriser les minima sociaux ? Cela n'exclut en rien le cumul. Au Gouvernement d'agir ! (Mme Isabelle Debré, rapporteur, applaudit)

M. Ronan Kerdraon .  - Lors de la Conférence sur la pauvreté, le Premier ministre a dressé un diagnostic réaliste de la situation. Le constat est alarmant : plus de 500 000 retraités travaillent, un chiffre qui a triplé entre 2005 et 2011. Cette situation est le fruit de la crise, mais surtout des politiques libérales des précédents gouvernements. Ainsi, après un parcours de vie souvent chaotique, des retraités se retrouvent à devoir travailler à un âge avancé de la vie. Plus de 10 % des retraités, pour beaucoup des femmes, perçoivent une pension très inférieure au seuil de pauvreté et le public des associations caritatives est formé de 15 % de retraités - maire et président de CCAS, je le constate dans mes permanences. Bricolage, jardinage, garde d'enfant, ménage et repassage, ces personnes cherchent à compléter leur retraite - les annonces se multiplient dans les quotidiens de Bretagne.

Alors, oui, dans cette situation, la question du cumul des revenus d'activité avec l'Aspa se pose. Est-ce la réponse pour lutter contre la paupérisation ? Est-ce le discours qu'il faut tenir aux titulaires de l'AER qui ont dû attendre janvier 2013 pour voir une iniquité inacceptable corrigée ? Sur ce dossier, je rends hommage à la persévérance de M. Martial Bourquin.

Un état des lieux va être établi, dont les résultats seront rendus publics ; le Gouvernement devra trouver les moyens de répondre durablement à l'urgence sociale dont nous héritons. À compter de 2014, les pensions seront soumises à un prélèvement de 0,15 % pour financer la perte d'autonomie. Pendant ce temps, les salaires des grands patrons du CAC 40 s'envolent !

Le sentiment de pauvreté touche un Français sur deux. Merci au Gouvernement d'agir, nous comptons sur lui ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Desessard .  - Je me contenterai de prendre deux exemples. Celui d'un cadre de 60 à 70 ans qui a eu une carrière continue et a liquidé tous ses trimestres ; sa pension est de 1 955 euros. Ensuite, celui d'une femme de plus de 65 ans qui est arrivée à l'âge de la retraite sans tous ses trimestres parce qu'elle s'est arrêtée de travailler pour ses enfants et a eu des périodes à temps partiel ; elle touche l'Aspa, soit 777 euros par mois, Le premier a choisi de continuer à travailler, il a encore des contacts dans l'entreprise, il cumule ses revenus d'activité avec sa retraite. La seconde donne un coup de main à son fils dans l'exploitation agricole qu'il a reprise sans pouvoir profiter d'un surcroît de revenus alors que sa pension est beaucoup plus faible. Voilà la réalité !

On me dit qu'il faut attendre des lendemains meilleurs, je ne le crois pas même si, madame la ministre, la question est plus large. L'Igas elle-même recommande pareil mécanisme d'intéressement.

Les carrières ne sont plus de longs fleuves tranquilles : multiplication des stages, périodes de chômage, contrats précaires, etc. Le nombre de bénéficiaires de l'Aspa va donc mécaniquement augmenter, comme celui des personnes âgées en situation difficile.

En attendant un vrai débat et des solutions pérennes, je m'en tiens à la question posée ce matin et vous confirme le vote favorable des écologistes. (Mme Isabelle Debré, rapporteure, applaudit)

M. Jean-Pierre Plancade .  - Mme Debré entend arrondir les fins de mois des titulaires de l'Aspa et lutter contre le travail au noir. L'objectif est juste, comment ne pas y adhérer ? Aujourd'hui, seules deux catégories de retraités sont exclues du cumul : ce sont les plus précaires.

Regardons la réalité du terrain : les titulaires de l'Aspa sont soit des personnes déclarées inaptes au travail, soit des personnes n'ayant pas suffisamment cotisé. Selon la Drees, les personnes de 80 ans ou plus et les personnes isolées sont surreprésentées parmi les bénéficiaires ; les femmes représentent les trois quarts des allocataires isolés ; et les bénéficiaires sont proportionnellement plus nombreux dans les régions du sud de la France et les départements d'outre-mer. Dans ces conditions, la solution est-elle une reprise d'activité ? Nous ne le pensons pas, quand les salariés de plus de 50 ans sont aujourd'hui éjectés du monde du travail. Au total, ce texte ne toucherait qu'une toute petite frange du public visé.

En l'état actuel, le groupe RDSE prône une abstention positive. Au passage, madame la ministre, ce texte doit engager à une vraie réflexion. Que vont dire les jeunes qui paient les retraites de leurs aînés et voient les personnes âgées travailler alors qu'elles bénéficient d'une allocation ?

Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Ce texte vise à mettre fin à des situations de grande précarité. Aujourd'hui, plus de 600 000 personnes touchent le minimum vieillesse. Leur étendre le droit au cumul est une pure mesure d'équité puisque tous les autres retraités en profitent depuis 2009.

L'Igas en 2012 affirmait qu'« un mécanisme d'intéressement corrigerait une inégalité ». Idem pour le COR selon lequel la retraite « ne prive pas d'un droit fondamental, celui de travailler ». La Conférence nationale contre la pauvreté, après les travaux du groupe de travail présidé par M. Fragonard, a repris cette idée : c'est la recommandation n° 53. Le texte apporte une réponse humaine, pragmatique et de bon sens. Seul le Gouvernement peut prendre la décision de continuer à augmenter les minima sociaux, comme cela a été fait ces cinq dernières années.

Monsieur Watrin, j'ai un principe : je crois qu'on ne perd jamais à donner plus de liberté. En revanche, il faut que ces libertés soient encadrées et les abus sanctionnés. Mesure libérale, dites-vous ? Je l'assume.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie .  - Après un tel débat, on ne pourra plus dire que les élus méconnaissent les réalités. Vous avez abordé ce débat sans idéologie, laissé transparaître vos doutes. M. Watrin a raison, l'âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans. Nous devons nous préoccuper de leur santé, étant entendu que le meilleur gage de santé est un revenu décent. M. Kerdraon a évoqué les domaines dans lesquels les retraités exercent une activité ; il y a là une forme de solidarité intragénérationnelle. On peut trouver le meilleur et le moins bon dans les exemples exposés. N'oublions pas que ces personnes, le plus souvent des femmes, ont souvent vécu la guerre et les privations.

Élargir le débat ? C'est une évidence. Il faut réfléchir à la place des seniors dans notre société, ceux-ci représenteront bientôt 30 % de la population. Ce sera l'objet du projet de loi que je présenterai sous peu.

Ce texte pose donc une bonne question. En revanche, la réponse n'est peut-être pas aussi simple, comme en témoignent les inquiétudes et les interrogations qui se sont exprimées dans ce débat. Le Gouvernement répondra « sagesse ». (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard.  - Très bien !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Isabelle Debré, rapporteure.  - Pourquoi un plafond ? Parce que cette allocation est financée par la solidarité nationale.

L'article premier est adopté, ainsi que l'article premier bis.

Article 2

M. le président.  - Madame la ministre, levez-vous le gage ?

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée.  - Oui.

L'article 2 est supprimé

Intervention sur l'ensemble

M. Jean Desessard .  - Mme Debré assume le terme de « libéral », moi pas. Je comprends et partage la logique de M. Watrin : si l'on autorise le cumul, pourquoi augmenter l'allocation ? Le travail ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval, surtout à cet âge. C'est vrai. Mais il s'agit de réagir à une situation inégalitaire : des cadres peuvent cumuler allocation et emploi alors que les allocataires de l'Aspa ne peuvent travailler qu'au noir. Je vous rejoins, monsieur Watrin, dans votre vision de la société à construire mais tant que les minimas sociaux n'auront pas augmenté, il faut bien répondre à l'urgence. C'est dans cet esprit que le groupe écologiste votera cette proposition de loi.

A la demande du groupe UMP, l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 203
Majorité absolue des suffrages exprimés 102
Pour l'adoption 183
Contre 20

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs UMP)

La séance, suspendue à 10 h 10, reprend à 10 h 15.