Débat sur l'avenir de l'industrie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir de l'industrie en France et en Europe.

M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC .  - Ce débat tombe à point, non pas à cause de la polémique soulevée ce matin par un palmipède informé mais parce que l'actualité est pleine de la souffrance des salariés et des patrons de PME, de l'inquiétude des partenaires sociaux et de tous nos concitoyens. Beaucoup a été dit mais pas tout. Nous devons renouveler notre approche, en sortant des faux débats.

Le constat est partagé. François Bayrou en avait beaucoup parlé lors de la campagne présidentielle. Ce sujet mérite le consensus, ce qui n'exclut pas le débat.

Un grand quotidien économique titrait, il y a peu, « La grande panne de l'industrie française ». En 2012, 266 sites industriels ont fermé, soit 42 % de plus qu'en 2011. La situation s'aggrave.

De nombreux rapports comme celui de la mission d'information du Sénat décrivent depuis quelques années la désindustrialisation qui frappe notre pays. Certains font mieux que la France, l'Allemagne et la Suède par exemple. Le déclin n'est pas une fatalité.

Dans les années 70, la désindustrialisation a commencé et s'est ensuite accélérée. L'industrie, qui comptait plus de 5 millions de salariés dans les années 80, n'en a plus que 3 millions. Le déficit commercial est abyssal, à 70 milliards d'euros, alors que notre balance commerciale était excédentaire il y a quelques années.

Le rapport Gallois a marqué un tournant salutaire dans la politique industrielle du Gouvernement. La perte de compétitivité de notre économie explique les déficits subis par notre pays. Il y a urgence à réagir mais il faudra du temps, de la cohérence et de la persévérance.

La France possède pourtant de grands groupes leaders mondiaux, des champions nationaux qui engrangent des bénéfices dans l'aéronautique, le luxe, le nucléaire, la pharmacie, l'agroalimentaire. Quatre de nos groupes sont parmi les vingt-cinq premiers au monde.

Il n'y a pas de fatalité à la désindustrialisation, c'est évident, et nous partageons votre volontarisme, monsieur le ministre. Mais le verbe est moins productif que l'action.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.  - Nous allons en discuter.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Il ne faut pas stigmatiser les patrons : nous avons besoin d'un climat de confiance qu'il convient de rétablir. Les produits français sont souvent de moyenne gamme, ce qui les livre à une double concurrence, celle des produits moins chers et celle des produits de plus haute gamme. Cela fait qu'avec des coûts de production proches des nôtres, l'Allemagne est le deuxième exportateur mondial, derrière la Chine et devant les États-Unis.

Louis Gallois l'a dit : un effort de productivité est nécessaire, il faut augmenter les investissements et créer un environnement favorable pour susciter la confiance. L'État a un rôle de stratège à jouer. Or comment demander aux entreprises d'innover quand les charges augmentent ? Louis Gallois avait souhaité un « choc de compétitivité, et donc de confiance ». Le Gouvernement n'a pas voulu alléger les charges de 30 milliards, préférant créer le CICE. Je crains qu'il n'y ait ni choc, ni confiance. Le Gouvernement a éludé le problème posé par les coûts de production dans notre pays.

En matière d'investissements industriels, vous ne partez pas de rien, monsieur le ministre. Des initiatives avaient été prises. Votre politique ne peut donc que s'inspirer de celle de vos prédécesseurs. Les outils sont en place mais les décisions actuelles vont-elles dans le bon sens ? Les 35 milliards des investissements d'avenir sont aujourd'hui épuisés. Qu'allez-vous faire pour assurer les investissements de long terme ?

L'aéronautique va très bien mais n'en faisons pas l'automobile de demain. Le soutien à la recherche et développement est essentiel. La recherche financée par l'entreprise est faible, il faut impérativement préserver le crédit impôt recherche pour anticiper les ruptures technologiques.

Les pays émergents pourront bientôt développer des gammes complètes. La Chine pourrait être le troisième constructeur aéronautique mondial en 2020.

Gardons-nous de l'idéologie anti-grandes entreprises. S'il faut aider les PME, les ruptures technologiques restent le fait des grands groupes. Or les normes entravent souvent la recherche. Les pouvoirs publics doivent développer une fiscalité favorable à l'entreprise. Vous avez annoncé un nouveau mode de financement des entreprises avec la Banque publique d'investissement. Celle-ci poursuivra-t-elle les actions déjà engagées ? Fera-t-elle mieux et plus qu'Oseo ?

Nous manquons d'entreprises de taille intermédiaire : la France en compte deux fois moins que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. Nous ne parvenons pas à faire grandir nos PME, parfois à cause de la fiscalité ou d'effets de seuil.

Encourageons la coopération entre les grandes entreprises et les sous-traitants. Dans l'aéronautique, l'ensemble des professionnels de la filière sont regroupés au sein d'un même organisme. Inspirons-nous de cet exemple.

J'en viens à quelques points de désaccord : un marché du travail souvent rigide et un dialogue social trop inégal. Le système de formation des salariés n'est pas adapté. Favorisons le dialogue social pour que les entreprises puissent s'adapter à ce monde qui change, pour éviter les licenciements secs. Certains exemples montrent que cela est possible : à Sevelnord, les salariés ont conclu un accord de compétitivité grâce auquel le site et les emplois ont été sauvegardés dans la perspective de produire un nouveau véhicule.

L'absence de dialogue conduit à des fermetures de sites. Notre culture, notre législation, nos pratiques font une caricature, un contre-exemple du dialogue social. La transparence est inexistante, d'où des chutes brutales. Dans un monde qui évolue si vite, pouvons-nous camper sur nos positions ? Nous parlerons bientôt de l'accord sur la sécurisation des parcours professionnels.

Ne polémiquons pas sur PSA, mais il y avait mieux à faire que de laisser croire aux salariés que le plan de fermeture serait revu. Vous avez fait de PSA un repoussoir. (Exclamations à gauche)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - N'exagérons pas !

M. Vincent Capo-Canellas.  - Il fallait s'occuper des salariés. Leur reconversion se prête mal à la politique de l'urgence. Les solutions demanderont du temps pour entrer en oeuvre. A PSA, la situation se dégrade, se tend. Les salariés connaissent de vraies difficultés mais l'entreprise traverse une passe dangereuse.

Des solutions existent, nous sommes prêts à en discuter. (M. le ministre s'exclame ; applaudissements sur les bancs UDI-UC et à droite)

M. Gérard Le Cam .  - Depuis de nombreuses années, nous sommes au chevet de l'industrie. L'année 2012 a enregistré 42 % de fermetures d'usines de plus qu'en 2011 ; plus de 100 000 emplois industriels ont été détruits depuis une décennie. Les difficultés de PSA, de Renault, d'Alcatel ne sont que la partie visible de l'iceberg.

Dès 1984, la finance a pris le pas sur l'économie réelle. Les gouvernements successifs ont donné aux multinationales les moyens d'organiser leur propre non-rentabilité. Celles-ci pratiquent l'optimisation fiscale et sociale de façon de plus en plus agressive, via les prix de transferts auxquels les différentes entités d'un groupe se vendent et s'achètent produits et prestations de services afin de localiser les profits là où l'imposition des bénéfices est la plus faible. Un Français produit 75 000 euros de richesses, contre 63 000 pour un Allemand et 65 000 en moyenne dans la zone euro. Un Irlandais est censé créer 89 000 euros, une fiction qui résulte des manipulations des multinationales pour transférer en Irlande les bénéfices réalisés ailleurs en Europe.

La finance influence la géographie des activités de production, les bourses dominent l'économie. Les cycles de développement durent des dizaines d'années alors que les investisseurs veulent des résultats rapides.

Carlos Ghosn propose de différer à fin 2016 le paiement de 30 % de la part variable de sa rémunération de l'an passé, rémunération de 3 millions d'euros. Dans le même temps, il explique que le salariés de Sandouville devront accepter en échange des baisses de salaires, un allongement du temps de travail et une plus grande mobilité. On aimerait croire à une blague.

Le patron de Goodyear explique que les salaires des ouvriers en France sont trop élevés, que ceux-ci ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, qu'ils ne travaillent que trois heures.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Il est gonflé ! (Sourires)

M. Jacky Le Menn.  - Comme un pneu.

M. Gérard Le Cam.  - Devant de tels propos, l'indignation cède à la colère. (M. le ministre approuve)

Selon le Bureau des statistiques du travail américain, une heure de travail dans le secteur manufacturier coûte 40,6 dollars en moyenne en France, contre 40,4 dans la zone euro et 43,8 en Allemagne. Et le coût du travail français a nettement moins augmenté qu'ailleurs : dans la zone euro, seule l'Autriche fait pire. Autant dire que le problème numéro un de notre industrie tient au coût du capital, pas à celui du travail. En 2010, PSA a engrangé 1,1 milliard de bénéfices, et encore 600 millions en 2011 ; l'an dernier, il a distribué 275 millions de dividendes.

La place de l'industrie dans notre économie est encore importante, mais la situation empire, même dans l'industrie agroalimentaire, l'actualité le montre bien.

Nous avons déposé une proposition de loi pour mettre fin à la financiarisation de l'économie et interdire les licenciements boursiers. Les salariés n'auraient plus été des spectateurs passifs, les circuits courts auraient été encouragés. Elle a été repoussée à six voix près... La BPI ne semble pas en mesure de répondre aux besoins de liquidité des industries. Il faut aller plus loin. Nos propositions s'inscrivent dans une dynamique d'ensemble. Les textes sont sur la table, reste à les voter. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Aline Archimbaud .  - Pas un jour sans que l'actualité nous rappelle la crise du secteur industriel. Votre tâche est immense, monsieur le ministre. Pour notre groupe, il faut amorcer la transition écologique, sans oublier que, derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes qui subissent la situation actuelle.

Des solutions industrielles nouvelles sont à trouver, avec tous les acteurs concernés, à commencer par les syndicats. La filière de déconstruction des automobiles pourrait créer des emplois. Pourquoi ne pas y réfléchir ? Garantissons les revenus et les salaires des employés, sans licenciement. Si la crise n'a pas été anticipée par les entrepreneurs, ce n'est pas aux salariés d'en faire les frais.

Il faut penser la reconversion des secteurs qui déclinent, réduire la production des voitures, des avions, accroître les services partagés, favoriser les énergies renouvelables. Des centaines de milliers d'emplois pourraient être ainsi créés.

Pourquoi ne pas commencer dès maintenant, comme le souhaitait le président de la République en ce qui concerne la transition énergétique ? A Saint-Nazaire, vous avez dit, monsieur le ministre, que cette transition était un point de passage obligé.

M. Arnaud Montebourg, ministre.  - Bien sûr !

Mme Aline Archimbaud.  - J'espère qu'à Aulnay-sous-Bois, une dynamique va se mettre en place. Nous avons parfois l'impression de ne pas être pris au sérieux alors qu'il est impératif d'engager dès aujourd'hui la transition industrielle. Nous préconisons la mise en place d'un fonds national de reconversion pour l'accompagner car il faut une stratégie nationale d'investissements publics. Le séminaire gouvernemental d'aujourd'hui devrait tracer des perspectives fortes en ce domaine. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Mézard .  - La question est lancinante ; M. le ministre connaît le dossier par coeur. L'industrie est au coeur de nos préoccupations depuis longtemps. Que de rapports, que de propositions de loi ! Or l'échec est patent, il est collectif, les responsabilités partagées par les syndicats, le patronat, les pouvoirs publics. Quelle que soit la sensibilité que nous avons sur ces dossiers, nous savons qu'il faut agir. La réindustrialisation permettrait le retour de la croissance et de l'emploi. Plutôt que réindustrisalisation, il faudrait d'ailleurs parler de nouvelle industrialisation. Il n'y a pas que la transition énergétique : idéologie et entreprise ne font jamais bon ménage.

M. Jean-Claude Lenoir.  - C'est vrai !

M. Jacques Mézard.  - Entre les 23 mesures annoncées par la précédente majorité et le pacte de compétitivité, la situation n'a guère évolué. Le rapport de M. Gallois...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bon rapport !

M. Jacques Mézard.  - ...a démontré que l'industrie régresse depuis dix ans et que le mouvement s'accélère. On peut se demander si les Français aiment l'entreprise, s'ils ne confondent pas finances et entreprises, malgré les réformes engagées depuis quelques années, comme la réforme de la taxe professionnelle, qui n'a pas été le remède miracle.

M. Gérard Longuet.  - Elle a allégé les charges des entreprises !

M. Jacques Mézard.  - Mais les économies n'ont pas toutes été consacrées à l'investissement. Les chiffres sont éloquents, la France se situe bien en dessus de la moyenne de l'Union européenne. L'industrie est indispensable à une bonne santé de l'économie, à commencer par les exportations. Voyez la situation catastrophique de notre balance commerciale.

Le CICE pourra répondre, partiellement, à la problématique. Avec la crise, les entreprises ont réduit leurs marges pour préserver leur compétitivité mais cela s'est fait au détriment des investissements. Le coût du travail n'est pas le seul facteur de perte de compétitivité.

Dans l'industrie allemande, la modération salariale n'explique pas tout. Le positionnement de gamme explique en revanche beaucoup. Nous disposons de grandes entreprises mondiales, notamment dans l'industrie aéronautique, mais nous avons très peu de PME et d'entreprises de taille intermédiaire. La formation technique est trop souvent dévalorisée. Les pays émergents, eux, ont compris l'importance du capital humain : voyez les efforts de la Chine en la matière.

Enfin, c'est à l'échelle européenne qu'il faut agir, en instaurant une véritable réciprocité. Développez la recherche et développement, faites confiance à l'intelligence de notre pays, stoppez l'exportation des cerveaux pour accroître celle des produits ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Louis Carrère.  - Les cerveaux sont tous au Sénat ! (Sourires)