Débat sur la politique spatiale européenne

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne.

M. Bruno Sido, président et co-rapporteur de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques .  - Avec Mme Procaccia, nous avons le plaisir de vous présenter le rapport que nous a confié l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, saisi par la commission des affaires économiques du Sénat, sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne. L'office, vous le savez, est la seule structure commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il traite de questions ardues, techniques, dont la politique spatiale, hélas trop méconnue. Qui sait que le robot Curiosity qui s'est posé sur Mars l'an dernier est issu d'une coopération franco-américaine ? Je salue la présence dans notre tribune de M. Jean-Yves Le Gall, candidat à la présidence du Centre national d'études spatiales, et reconnais en Mme la ministre une ancienne de l'Office.

L'ESA, l'agence spatiale européenne, s'est réunie à Naples en octobre dernier dans un contexte budgétaire tendu. Nous consacrons six fois moins de crédits à l'espace que les États-Unis, alors que l'espace est une compétence européenne depuis le traité de Lisbonne. Il faut donc clarifier le millefeuille de la gouvernance de l'Europe spatiale. En France, nous devons faire figurer explicitement l'espace parmi les compétences d'un ministre ; associer, comme le font les États-Unis, le Parlement à la définition de la politique spatiale et créer une structure de concertation entre État et grandes industries.

Nous devons garantir le financement du GMES, le programme de surveillance globale pour l'environnement et la sécurité, et faire de Pesa une véritable agence spatiale européenne sans remettre en cause le caractère intergouvernemental de cette structure. Mieux vaut recourir aux organisations existantes que de créer des structures redondantes. La règle de « retour géographique » doit évoluer vers celle de « juste contribution » ; de même, il faut appliquer la préférence européenne et ne pas être contraint de recourir à un lanceur russe pour certains satellites du programme GMES.

Cela nous amène à la question majeure de notre indépendance d'accès à l'espace. Nous utilisons trois types de lanceurs : Ariane 5, dont la capacité d'emport est de 10 tonnes en orbite géostationnaire et qui vient de réussir 54 lancements consécutifs ; le russe Soyouz, exploité depuis Baïkonour jusqu'à ce qu'en 2011 et maintenant depuis Kourou, avec une capacité d'emport de 3,2 tonnes en orbite géostationnaire ; enfin Véga, le dernier-né, dont la capacité est pour le moment d'1,5 tonne en orbite basse. Ariane 5 est surdimensionnée pour le marché, ce qui nous impose de recourir à Soyouz, un dérivé des missiles intercontinentaux. Nous attendons le développement de Véga...

De nouveaux acteurs émergent, telle l'entreprise américaine Space X, directement issue de l'inflexion de la politique spatiale américaine voulue par le président Obama, qui a tenu à recentrer la Nasa vers l'exploration lointaine. Les Américains ont titré les leçons des navettes et voulu un lanceur simple, fiable et d'un coût faible. Nous avons visité l'entreprise, centrée sur l'utilisation d'un lanceur modulable. D'autres concurrents se profilent, comme la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie.

Bref, alors que la demande stagne et que l'offre s'accroît, les projets Ariane 5 ME et Ariane 6 ne sauraient rester complémentaires. Sachant que nous avons tout intérêt à développer un lanceur à étage supérieur rallumable, Ariane 6 représente une solution plus pérenne, quoique moins rapide, dans sa version poudre-poudre-hydrogène, une technologie très fiable et peu coûteuse. De plus, Ariane 6 viendrait en complément de Véga pour un coût unitaire réduit à 70 millions si l'on parvient à en réorganiser la production industrielle, actuellement trop éparpillée.

Plutôt que deux lanceurs, nous proposons d'en privilégier un seul, en l'occurrence Ariane 6. Ce serait plus raisonnable en ces temps budgétaires difficiles. (Applaudissements)

Mme Catherine Procaccia, co-rapporteur pour l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques .  - Il faut poursuivre l'appui à l'industrie en développant des programmes centrés sur les satellites tout-électriques sur lesquels Boeing a pris de l'avance.

Notre dépendance ne s'explique qu'en partie par les règles Itar ; c'est vrai pour les composants micro-électroniques durcis. Réorientons nos activités vers les services aux citoyens et les retombées concrètes de notre politique spatiale. Je pense, entre autres, à l'observation destinée à comprendre le fonctionnement de la terre. L'Europe détient une expertise reconnue en océanographie, pour l'étude des sols, de l'eau, des glaces, de l'atmosphère, des champs magnétiques. On voit l'intérêt de la climatologie indispensable pour évaluer le changement climatique. Encore faut-il garantir la continuité de l'observation et la surveillance via le programme GMES.

Jusqu'en 2020, nous continuerons de financer la station spatiale internationale en attendant sa désorbitation, dont le coût est estimé à 2 milliards, soit 2 % du coût exorbitant de cette station. Il faudra aller plus loin en privilégiant les missions robotiques à innovation scientifique et coûts maîtrisés dans le cadre de coopérations internationales. M. Sido a parlé de Curiosity, il est d'autres exemples.

L'exploration de Mars est prioritaire, non par goût de l'aventure mais parce qu'on y a trouvé un environnement propice à la vie et que cela peut nous aider à mieux comprendre la terre. La question d'un vol habité sur Mars n'est pas à l'ordre du jour, même si l'on parle beaucoup dans certains pays de 8 000 volontaires prêts à partir pour la planète rouge sans espoir de retour. Un vol habité coûterait mille fois plus cher qu'une grosse mission robotisée !

Quelles seront les retombées de nos coopérations avec la Nasa ?

Enfin, je voudrais aborder un sujet dont on parle trop peu : la multiplication des débris dans l'espace, qui compromet les opérations spatiales. Ce n'est pas une vue de l'esprit. On a dénombré des accidents et collisions en 1985, en 2007 et en 2009. En outre, il existe un risque de dommages au sol. Pour limiter ces dangers, nous proposons un code de bonne conduite qui est en cours de négociation. N'attendons pas un nouvel accident ! Un programme commun de surveillance, grâce à des capteurs supplémentaires, réduirait les collisions. La surveillance de l'espace lointain ne relève pas de la science-fiction : la chute d'une météorite sur une ville de Russie, en février dernier, l'a prouvé. Nous pourrions aussi faire contribuer les opérateurs commerciaux au nettoyage des débris spatiaux. Que faire pour promouvoir la durabilité des opérations spatiales ?

Nous sommes heureux que le Sénat contribue à la réflexion sur notre politique spatiale, un enjeu économique, géostratégique et de sécurité. Merci aux personnes présentes d'avoir choisi ce débat plutôt que le match de football ! (Sourires et applaudissements)

M. Jean-Pierre Plancade .  - Votre rapport est réellement remarquable. C'est un Toulousain un peu au fait de ces questions qui vous le dit.

Mme Catherine Procaccia, co-rapporteur.  - Merci.

M. Jean-Pierre Plancade.  - L'aventure spatiale, née après la Seconde guerre mondiale, a connu de nombreuses évolutions, depuis la fin de la guerre froide jusqu'à l'arrivée des pays émergents. Le général de Gaulle a mis l'accent sur la coopération spatiale, et à raison. Nous n'en serions jamais arrivés à ce niveau si la France avait prétendu avancer seule.

Nos sociétés, largement modelées par les nouvelles technologies de l'information et de la communication, sont aujourd'hui dépendantes des relais satellitaires. Il est donc primordial de préserver notre autonomie d'accès à l'espace, via les programmes GMES et Galileo.

La dernière réunion de l'ESA à Naples n'a guère tranché entre Ariane 5 ME et Ariane 6. Pourtant, les subventions à Ariane se réduisent, passant de 250 millions à 100 millions. Toulouse concentre un quart des effectifs de la politique spatiale européenne.

Au regard des avantages que nous pouvons tirer de l'espace, de l'enjeu économique qu'il représente pour la France, le groupe du RDSE considère que la politique spatiale européenne, pour un coût de 10 euros par an et par habitant, mérite tout notre soutien. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - Les écologistes ne comptent guère de spécialistes de l'espace. Peut-être m'a-t-on désigné parce que je suis passionné par le sujet depuis l'enfance ou que mon empreinte carbone est la plus importante en raison de mes nombreux voyages intercontinentaux... (On apprécie l'humour)

L'espace est le lieu le plus absolu de l'échelle globale, et aussi du temps long. Depuis l'espace, la terre apparaît dans sa fragilité et sa solitude. Cela nous fait prendre conscience de notre finitude et nous invite à rêver, à nous réaliser. Publié par Le Monde du 21 mars, le formidable cliché de l'univers tel qu'il était, âgé de 380 000 ans seulement, justifie à lui seul la politique spatiale européenne, car cette image a été produite grâce à notre satellite Planck.

La concurrence est vive, y compris avec les pays émergents, ce qui nous oblige à une redéfinition de notre gouvernance. L'ESA, depuis 1975, était le pilier de notre politique autour de l'axe franco-allemand. Avec l'article 199 du traité de Lisbonne, la politique spatiale est devenue une compétence de l'Europe. Ce qui ne pose aucun problème pour le GMES ou Galileo. Les écologistes soutiennent une politique spatiale européenne ambitieuse...

M. Bruno Sido, co-rapporteur.  - Très bien !

M. André Gattolin.  - ...à condition de veiller à la soutenabilité des opérations : 20 000 débris spatiaux requièrent une surveillance accrue. De plus, le centre de Kourou pose des problèmes environnementaux à la Guyane.

Surtout, évitons toute dérive militaire de l'espace ! Je rappelle que le GPS que nous utilisons tous autorise, en retour, une géolocalisation par satellite.

Mme Sophie Primas .  - Merci pour ce rapport éclairant.

M. Bruno Sido, co-rapporteur.  - Merci.

Mme Sophie Primas.  - Notre industrie spatiale émerveille les lycéens -je l'ai vu au centre Astrium récemment ; elle est une promesse.

Le champ des applications, très vaste, n'est pas encore défriché. D'après les estimations, le GPS, qui génère 58 milliards en 2010, rapportera 165 milliards en 2020. Grâce à l'observation satellitaire, nous affinerons notre connaissance des sols et parcelles agricoles, chères à mon coeur, et réduirons l'emploi des pesticides, ce qui fera plaisir aux écologistes. Améliorer les prévisions météorologiques de 1 degré Fahrenheit permettrait une économie de 1 milliard par an aux producteurs d'énergie !

L'indépendance de l'accès à l'espace est aussi cruciale que notre autonomie alimentaire ou énergétique. Il y va de notre souveraineté, mais aussi de notre influence culturelle. Même notre tradition humaniste peut s'exprimer dans la politique spatiale. Je pense à la charte « Espace et catastrophe majeures », créée il y a quinze ans par l'ESA et le Cnes pour coordonner les secours, qui a montré son efficacité à Haïti.

La souveraineté nationale suppose un accès autonome à l'espace et une technique fiable et performante. Le recours à nos propres lanceurs est essentiel : cet objectif doit être partagé avec tous, y compris avec nos amis allemands. D'autant que la concurrence mondiale s'active, avec des moyens bien supérieurs aux nôtres, y compris dans les pays émergents. Il faut donc consolider nos positions et optimiser tout euro investi. Améliorer la gouvernance, clarifier les objectifs de nos politiques, créer des filières, surveiller les débris spatiaux : autant de préconisations pertinentes des auteurs du rapport. L'industrie doit être intégrée aux décisions stratégiques. Le choix d'un lanceur Ariane 6 a des conséquences sur le site d'Astrium. Il faut anticiper, pour maintenir activité, emploi et compétences sur les sites, comme aux Mureaux. Mieux vaut intervenir pour soutenir une activité pérenne plutôt qu'un redressement.

Il est nécessaire de maintenir les budgets spatiaux, tant la dépense dans l'industrie spatiale a un puissant effet multiplicateur : un pour vingt. Avec 1,143 milliard, les crédits progressent de 1 %, je me réjouis de cette stabilité mais ce n'est pas suffisant pour affirmer une priorité. Le programme des investissements d'avenir a alloué 600 millions à la recherche spatiale, à l'initiative du précédent gouvernement. Nos efforts détermineront l'avenir.

Je salue les avancées obtenues à Naples grâce à la mutualisation des dépenses et le lancement, en conséquence, d'Ariane 6. Ainsi seront préservées les compétences de haute technologie, dont la perte serait irrémédiable. Il faut aider le ministère de la défense à obtenir des arbitrages budgétaires favorables à la recherche spatiale militaire. Le retard du Livre blanc aura, hélas, des conséquences immédiates sur l'activité militaire et, par ricochet, sur l'activité civile. De fait, l'activité militaire représente parfois deux tiers du carnet de commandes des entreprises. Le Parlement, enfin, devrait être plus souvent consulté et l'idée de réintroduire l'espace dans l'intitulé d'un ministère n'est pas anecdotique. Il faut associer les citoyens. Une heure sans espace, où serait coupé l'accès à toutes les applications, créerait en vérité un vrai choc de conscience.

M. Bruno Sido et Mme Catherine Procaccia, co-rapporteurs.  - Très bonne idée !

Mme Sophie Primas.  - Merci à l'Office de son travail irremplaçable. (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Bruno Sido, co-rapporteur, applaudit)

M. Jacques Chiron .  - Je salue le travail fouillé de l'Office.

Avec la crise économique, certains s'interrogent sur l'utilité de l'investissement spatial : budgets très lourds pour des retours peu connus du grand public.

L'industrie européenne prend toute sa part dans cette activité, qui a des effets multiplicateurs importants dans l'économie et dans la société -voyez l'attrait des jeunes pour les études scientifiques. Notre compétitivité tient à un engagement ancien et résolu de l'Europe qui, dès 1975, a su fédérer ses forces dans l'Agence spatiale européenne, au service de nos concitoyens. Eumetsat ou Eutelsat sont deux exemples de ses réalisations ; Galileo garantira notre autonomie à l'égard des États-Unis ; GMES nous mettrait en position d'acteur majeur dans le domaine spatial, où les pays émergents nous livrent une vive concurrence.

D'où la nécessité de conforter nos positions. Il y faut d'abord des moyens.

Nous nous réjouissons de l'augmentation de 3,7 % de la contribution française à l'ESA, soit 29 millions d'euros supplémentaires, ce qui contribuera à apurer la dette de l'agence. Il faut faire évoluer nos lanceurs, pour nous adapter au marché et garantir notre autonomie d'accès à l'espace. La réunion de Naples a signé l'acte de naissance d'Ariane 6, c'est une bonne nouvelle.

Troisième condition, l'amélioration de la gouvernance. Nombreux sont les acteurs à intervenir. Les États membres, d'abord, dont la France, qui y consacre 31 milliards, via le Centre national d'études spatiales (Cnes) ; vient ensuite l'ESA, puis l'Union européenne, avec une compétence propre depuis 2009. Évitons une dispersion des forces et des moyens et associons mieux les industriels. Quatrième condition : aider l'industrie européenne à rester compétitive, grâce aux investissements d'avenir, consacrés à des objectifs ciblés. Ce type d'investissement devrait être porté à terme par l'Union européenne. La chose est suffisamment rare pour être signalée, cette filière spatiale fait travailler ensemble grands groupes industriels, PME, TPE et laboratoires, réunis autour de la recherche fondamentale et l'innovation appliquée aux besoins industriels. Je sais, madame la ministre, que vous êtes attentive à cet enjeu.

Je veux ici évoquer l'entreprise grenobloise Airliquide, née d'une collaboration avec le CNRS et qui fournit le ministère de la défense et assure la propulsion des lanceurs Ariane. Les innovations qu'elle autorise sont aujourd'hui remarquables, notamment pour les véhicules propres à hydrogène. La filière est un acteur clé de la transition énergétique. La collaboration public-privé crée l'innovation. Tel est bien l'esprit du pacte de compétitivité et de croissance.

Dans le spatial comme dans l'aéronautique, l'Europe a su se montrer exemplaire. MM. Mirassou et Plancade en savent quelque chose. Alors que l'Europe est critiquée, sa politique spatiale montre la nécessité de la solidarité et d'une plus grande intégration. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Le Scouarnec .  - Ce débat vient à point nommé après la réunion interministérielle de Naples, qui s'est employée à définir à dix ans les contours de la politique spatiale. Les parlementaires que nous sommes sont attentifs à l'avenir de ce secteur. L'excellent rapport de l'OPECST a fait d'utiles recommandations.

La réunion de Naples a montré que la politique spatiale est à la croisée des chemins. Le paysage a évolué, avec l'émergence de nouveaux acteurs et la compétence spatiale reconnue à l'Europe par le traité de Lisbonne. Mais l'équilibre n'a pas été trouvé entre exigence de la recherche et recherche forcenée de réduction des coûts. Veut-on se fier à une logique purement commerciale ou considère-t-on que notre autonomie de lancement est un impératif stratégique ? La conférence de Naples a privilégié la logique commerciale, mais l'exigence de préserver notre accès à l'espace n'a pas été oubliée.

Le rapport de l'OPECST préconise un principe de réciprocité et m'en réjouis. Souhaitons que la conférence de 2014 donne une suite positive à Ariane 6 et à Ariane 5 ME.

Une clarification de la gouvernance de la politique européenne s'impose. L'Union européenne doit se doter d'un vrai programme spatial, l'ESA et les agences nationales devenant ses interlocuteurs privilégiés, plutôt que les investisseurs privés. Il faut aussi éviter les doublons et mieux employer les compétences. Chez nous, le CNES doit redevenir maître d'oeuvre et ses relations avec l'ESA doivent être clarifiées, notamment en ce qui concerne les règles de retour sur investissement. Les entreprises privées doivent également être responsabilisées ; si elles ne l'acceptaient pas, l'État devrait rentrer dans leur capital. Il faut, enfin, favoriser l'engagement européen sur une gamme de lanceurs Ariane. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - A l'automne 2009, j'exhortais votre prédécesseur à plus d'audace. Hélas je dois renouveler mes encouragements. Depuis 2009, la crise a détruit nos marges de manoeuvre et les dépenses spatiales sont considérées comme superflues. Les États-Unis, l'Espagne et d'autres se sont livrés à un exercice de rigueur mais avec des conséquences différentes. Pourquoi investir dans la défense après soixante ans de paix ? De la même manière la politique spatiale peine à s'imposer actuellement...

Faux raisonnement. J'en veux pour preuve un vieux conte persan : trois princes, partis à la recherche d'un chameau, retrouvent non seulement l'animal mais s'en reviennent couverts d'or. Ainsi le philosophe anglais Horace Walpole définit-il la « sérendipité », une découverte faite en cherchant autre chose. La recherche spatiale a montré combien elle est féconde en innovations de toute nature : elle a bouleversé tous nos modes de consommation. Or le budget de l'ESA a perdu plus d'un milliard en moins de cinq ans. Je regrette que le pacte de croissance se désintéresse de la recherche spatiale. Certes, le financement du site de Kourou est assuré à cinq ans, mais est-ce suffisant ? Une stabilisation de l'enveloppe répond-elle aux enjeux ? La compétition spatiale, dans un monde globalisé, est générale. Si nous restons les bras ballants, nous serons vite devancés. Et la recherche spatiale est aussi un enjeu de souveraineté nationale, comme l'a bien compris la Chine qui s'est imposée comme une puissance majeure. L'Europe est contrainte par ses budgets, ce qui n'est pas le cas des pays émergents.

L'espace pose la question cruciale de la brevetabilité des découvertes. Il faut préserver l'émulation entre les équipes, sauf à creuser le fossé technologique avec les États-Unis notamment. L'Europe a de grands astrophysiciens mais manque d'impulsion publique sous forme d'investissements. La recherche spatiale est un sentier escarpé où l'échec est possible, mais les réussites, incomparables. L'effort ne peut être assumé par l'État seul, mais le lancement satellitaire peut faire appel au privé : ouvrons les vannes, tout le monde y gagnera. Il ne faut pas craindre d'injecter des sommes folles, comme aux Etats-Unis. Nous avons les talents, donnons-leur les moyens de remplir nos ambitions. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Cet après-midi la commission des affaires économiques procédait à l'audition du candidat à la présidence du Cnes, et ce soir a lieu ce débat sur l'Europe spatiale dans l'hémicycle. La France est le vrai moteur de la politique spatiale européenne. La création du Cnes par le général de Gaulle fut inaugurale. Des moyens importants sont consacrés à l'espace : 31 euros par habitant, contre 17 euros pour l'Allemagne et 6 euros au Royaume-Uni. La France porte près de la moitié du budget de l'Europe spatiale. Elle bénéficie d'un leadership. Un siège de l'ESA est à Paris et la base de Kourou est centrale. Ce n'est donc pas être cocardier que de dire que la France a apporté l'essentiel de l'impulsion nécessaire.

Quels sont nos atouts ? Le premier, c'est la volonté politique, qui peut surmonter bien des difficultés, ce que nous avons obtenu à Naples le montre. J'ai présidé, dans une autre vie et dans une autre assemblée, le groupe d'études sur l'espace et constaté les réticences de nos partenaires européens, prompts à tenter de retarder les décisions alors que la période n'était pas encore aux difficultés budgétaires.

Le consensus, ce soir, a prévalu parmi nous.

Autre atout, la communauté scientifique. La plupart des scientifiques de premier plan sont français. Ils ont besoin de notre appui. C'est grâce à une bourse que le futur président du Cnes a mis pour la première fois le pied dans l'espace.

Troisième atout, les industries, qui donnent à l'Europe spatiale sa manifestation concrète, avec les tirs satellitaires. La concurrence, cependant, est aujourd'hui sévère, même si la moitié des satellites civils restent lancés par l'Europe. Face à quoi il faut savoir coordonner l'action. La coopération avec la Russie s'impose : Soyouz a un large palmarès à son actif et la seule vraie révolution en Russie est bien celle de ses satellites autour de la terre. (Sourires)

Les contraintes budgétaires sont énormes : on ne peut plus dilapider les deniers publics. Question délicate que celle de l'utilité. Est-il utile d'aller creuser le sol de Mars pour un coût faramineux ? Nous avons en tout cas besoin d'une Europe spatiale utile aux citoyens, dans leur vie quotidienne : Galileo constitue, à cet égard, l'objectif essentiel.

Notre politique spatiale a besoin du soutien de l'opinion. Les Français doivent être mieux familiarisés avec l'espace et son exploration à des fins très concrètes pour eux. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Jean-Étienne Antoinette .  - Il y a moins d'une semaine, le satellite Planck a révélé une image de la formation de l'univers exceptionnelle, dix fois plus précise que celle de la Nasa en 2003.

Ce débat nous projette non dans le passé de l'univers mais vers l'avenir. Or, la politique spatiale reste une nébuleuse. Son pilotage, d'abord. La gouvernance spatiale a pu être qualifiée de millefeuille. Chaque État possède son agence spatiale, le traité de Lisbonne a donné à l'Europe compétence spatiale. L'ESA regroupe vingt États, dont la Norvège et la Suisse qui sont extérieures à l'Union européenne. Comment mener à bien des projets techniques et industriels dans cette situation ? Les retards des programmes Galileo montrent que les montages institutionnels sont complexes. Le projet GMES est lui aussi parlant. La Commission européenne menaçait de se retirer du projet. Dans cette Europe à la carte, c'est le couple franco-italien qui fait figure de pionnier.

Le manque d'intégration, de direction pose de réels problèmes, tant les applications de la politique spatiale sont multiples. La souveraineté ou le marché : telles sont les deux façons de fonder une politique européenne. Mais alors que l'ESA plaide pour une politique de « retour géographique », les règles du marché européen contredisent cette volonté. L'autonomie de l'accès à l'espace, ensuite, ne saurait être abandonnée au géant américain, ni aux Russes, ni aux Chinois. La politique spatiale militaire fonctionne à coups d'accords trilatéraux. Le manque de cohésion fait sentir ses effets.

Être une puissance spatiale est aussi affaire de prestige.

Alors qu'Ariane domine le lancement, que l'Europe approvisionne l'ISS, le retour symbolique qu'elle en tire reste maigre. Il faut rapprocher l'Europe spatiale des citoyens. En témoigne le décalage entre l'énormité des moyens mis en oeuvre à Kourou et le dénuement des populations qui entourent la base.

Le rapport de l'Office ne laisse guère de doute quant à la place que devrait prendre la politique spatiale européenne. Une telle politique, si elle est aujourd'hui soutenue, est entravée par les difficultés économiques. L'Europe, écartelée entre les volontés discordantes des États et les difficultés économiques, marque le pas. Puisse la décision de lancer le programme Ariane 6, obtenue à Naples, être partagée par tous nos partenaires européens. (Applaudissements sur divers bancs)

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Merci à l'OPECST de ce rapport remarquable sur les enjeux et perspectives de notre politique spatiale, au Sénat d'avoir organisé ce débat dans une journée consacrée à l'espace, et à M. Jean-Yves Le Gall d'être présent dans les tribunes. La réunion de l'ESA à Naples en 2012 a été un succès : nous avons décidé, avec les vingt membres de l'organisation, dont le Canada, d'allouer 10 milliards à l'ESA dans les années à venir. Ce n'est pas anodin dans la situation présente. De même l'évolution vers Ariane 6 a été entérinée pour un lanceur plus robuste, correspondant aux besoins internationaux, tout en ménageant une période de transition pour consolider savoir-faire et emplois. Ariane a réussi 54 lancements successifs -aucun n'a été raté depuis que je suis en fonction, performance que je salue, consciente que tous mes prédécesseurs n'ont pas eu cette chance ! (Sourires)

La France a confirmé un engagement de 300 millions sur 619 millions. La quote-part de la France dans l'ISS diminue, passant de 27 à 20 %, mais contribuera au futur module comme vous le souhaitiez dans votre rapport. Nous avons tous rêvé devant les images délivrés par Planck. Ce programme, comme les autres, sera maintenu. Le financement de Kourou est assuré pour cinq ans.

Dans une situation budgétaire difficile, le retour sur investissement doit être garanti. C'est tout l'enjeu de la période transitoire qui nous sépare de la prochaine réunion de l'ESA en 2014.

Pour Ariane, la meilleure garantie est la contribution de la France puisque s'applique le principe du retour géographique. Après beaucoup de consultations -les spécialistes me comprendront-, l'ESA est donc dotée de 10 milliards dont 2,3 milliards pour la France et un gros effort de 2,5 milliards pour l'Allemagne. Il s'agit de la plus grosse coopération franco-allemande. Après deux jours et deux nuits de rudes négociations à Naples, j'ai tiré la leçon suivante : il faut valoriser notre industrie dans toute sa diversité, des grands groupes comme Safran et Thalès jusqu'aux PME. C'est parce que nous avons joué collectif que nous avons réussi à convaincre nos amis allemands, et rien n'était joué.

Autre priorité, préserver l'emploi et éviter les ruptures de charge. Enfin, créer un projet fédérateur en construisant des alliances avec l'Italie ou la Suisse.

Les relations entre l'Union européenne et l'ESA sont d'une grande importance pour l'avenir des programmes GMES -3,3 milliards- et Galiléo -6,3 milliards- et nos activités spatiales, soit plus de 11 milliards. Il faut, vous l'avez dit, redéfinir et clarifier la gouvernance du spatial en Europe. Le sujet a été abordé sans tabou à Naples, et plus récemment à Bruxelles. Rien ne serait pire qu'un doublon, une nouvelle agence qui s'ajouterait à l'ESA. La commission européenne a publié une communication sur les rapports entre l'Union européenne et l'ESA le 14 novembre dernier.

L'option d'un rapprochement, d'une tutelle de l'Europe sur l'ESA qui resterait cependant une agence intergouvernementale, représente une piste prometteuse en ce qu'elle n'interdirait pas à l'ESA de poursuivre sa collaboration avec tel ou tel État membre.

Autre sujet, la politique industrielle spatiale européenne, qui a fait l'objet d'une communication de la commission européenne le 14 février dernier. Organiser un cadre réglementaire stable ; développer une base industrielle solide propre à soutenir la compétitivité de nos PME, de notre industrie tout au long de la chaîne, ainsi que celle de toute l'Union européenne ; assurer l'autonomie d'accès à l'espace : nous partageons tous ces objectifs, que décline en partie le programme 20/20.

L'espace est effectivement un enjeu stratégique pour notre sécurité, mais aussi du fait de la multiplicité de ses applications dans la vie quotidienne. Avec 7 000 emplois en France et 20 euros de richesse créés pour un euro investi, l'espace est aussi un enjeu économique et de recherche. Nous avons institué un co-space à l'image du Corac qui existe pour l'aéronautique civile afin de favoriser la concertation entre État et industries.

Mon ministère, dans son intitulé, ne comprend pas l'espace mais celui-ci est, aux termes de ma lettre de mission, de mon ressort. Cela est naturel quand l'espace contribue à l'attractivité des filières scientifiques, émerveille le public étudiant et procure, grâce aux nano-satellites, une véritable émulation intellectuelle.

Il y a quelques années, nous avons demandé à un astronaute de venir en tenue dans les classes de collège. Cela avait suscité bien des vocations. Les étudiants de Montpellier II ont lancé leur premier nano-satellite Robusta au moyen du lanceur Véga. Tout un champ d'activités s'ouvre et déjà des start up se créent.

Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault apporte son soutien plein et entier à la volonté du Sénat de consolider notre politique spatiale. Merci de votre passion pour l'espace ; puissions-nous mieux le partager !

Prochaine séance demain, mercredi 27 mars 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Mardi 26 mars 2013

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Sommaire

Modification à l'ordre du jour1

Questions orales1

Enfants français nés à Madagascar1

Mme Claudine Lepage1

Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée de la francophonie1

Avenir de la résidence universitaire d'Antony1

M. Philippe Kaltenbach1

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche2

Vente démembrée de terres agricoles et droit de préemption des Safer2

M. Marc Laménie2

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt2

Attaques du loup2

M. Gérard Bailly2

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt2

Centre de stockage de déchets à Nonant-le-Pin3

M. Jean-Vincent Placé3

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique3

Journée de carence3

Mme Catherine Procaccia3

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique3

Rémunération des heures de vie de classe4

M. Alain Houpert4

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale4

Rased4

M. Bernard Cazeau4

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale4

Rythmes scolaires (I)4

M. Jean-François Humbert4

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale4

Langues de France4

M. Alain Fauconnier4

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale4

Rythmes scolaires (II)4

M. Robert Tropeano4

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale4

Interdiction de fumer en voiture4

M. Yannick Vaugrenard4

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille4

Baignades artificielles4

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx4

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille4

Plate-forme de la CPAM à Saint-Pol-sur-Ternoise4

M. Jean-Claude Leroy4

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille4

Crimes contre l'humanité4

M. Yves Détraigne4

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice4

Sous-préfecture4

M. Alain Fouché4

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation4

Délinquance en zone rurale4

M. Didier Guillaume4

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation4

Activités sociales des gaziers et électriciens4

M. Michel Le Scouarnec4

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation4

Salles de sport bon marché4

Mme Laurence Rossignol4

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation4

Jalonnement directionnel de Melun4

Mme Colette Mélot4

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation4

Modification à l'ordre du jour4

Rappel au règlement4

M. Yves Pozzo di Borgo4

Débat sur la suppression de la taxe professionnelle (Suite)4

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d'information.4

SÉANCE

du mardi 26 mars 2013

76e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : M. Marc Daunis, Mme Marie-Noëlle Lienemann.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.