Industrie pharmaceutique (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'industrie pharmaceutique. L'auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d'une durée d'une minute au maximum peut être présentée soit par l'auteur de la question, soit par l'un des membres de son groupe politique. Ce débat étant retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sur France 3, il importe que chacun des orateurs respecte son temps de parole.

M. François Fortassin .  - Médiator, PIP, pilule de troisième et quatrième générations et d'autres affaires ont révélé les faiblesses de notre sécurité sanitaire. Il semble que les alertes sur les risques des pilules contraceptives infirment les discours rassurants des laboratoires, qui couvrent bien des conflits d'intérêt. Comment assurer le contrôle effectif des services de l'État ? Où est est-on des décrets d'application qui sont encore en souffrance ? Que dire de ces journées ou des voyages de formation des visiteurs médicaux destinés à mobiliser les troupes dans des décors exotiques, dont les coûts se répercutent sur les prix des médicaments ?

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - Il est exact que des affaires récentes ont provoqué la défiance de nos concitoyens envers l'industrie pharmaceutique et les professionnels de santé. La transparence la plus absolue s'impose pour restaurer la confiance : notre politique doit garantir l'indépendance des experts et des responsables de la politique sanitaire. Les déclarations d'intérêt sont désormais obligatoires. Je souhaite qu'un site public d'information permette à chacun d'accéder aux données utiles. Pour la transparence, j'ai transmis au Conseil d'État un projet de décret. Je souhaite que le seuil de publicité des liens entre professionnels et laboratoires soit le plus bas possible.

M. François Fortassin.  - Je vous remercie pour cette réponse claire et complète. Il n'en reste pas moins vrai que la tricherie existera encore pendant quelques années.

M. Alain Milon .  - La rupture d'approvisionnement en médicaments pose un problème aigu. Des solutions existent, notamment dans le cadre de la loi sur la sécurité sanitaire du 29 décembre 2011. La chaîne de fourniture de médicaments a été mise en place par décret. Soixante à 80 % des matières premières utilisées viennent d'Inde ou de Chine. Or les inspections aboutissent à 41 % de déclarations de non-conformité. Ne faut-il pas revoir le rôle des grossistes-répartiteurs en leur imposant une obligation de résultats ? Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour remédier aux ruptures d'approvisionnement ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Il est vrai que les ruptures d'approvisionnement peuvent poser des difficultés, surtout s'agissant d'éléments thérapeutiques majeurs. L'Anspes a reçu, en 2011, 51 déclarations de ruptures d'approvisionnement. Pour y faire face, j'agis au niveau national, avec le décret du 30 septembre 2012 que vous avez évoqué. Les laboratoires ont créé des centres d'appel d'urgence. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) centralise les informations disponibles. Un comité de suivi a été mis en place à ma demande. J'agis aussi au niveau européen. J'ai demandé à la Commission de mettre en place un dispositif d'initiative et de mutualisation. C'est aussi en favorisant la coopération européenne que nous résorberons ces situations effectivement préoccupantes.

M. Alain Milon.  - Des mesures immédiates pourraient être prises sans aucun coût pour la sécurité sociale, dont la traçabilité des matières premières et la sécurisation des fournisseurs de médicaments.

M. Joël Guerriau .  - L'industrie pharmaceutique est essentielle pour notre économie, mais elle est financée par la sécurité sociale ce qui lui impose de réduire ses coûts. Les comportements addictifs pèsent sur les comptes sociaux et sur la santé publique. Les professeurs Debré et Even ont lancé le débat public sur le prix et la surconsommation de médicaments qu'ils jugent inutiles voire néfastes.

La France consomme de une fois et demie à deux fois plus que les autres pays occidentaux, à niveau comparable. Ma fille tombée malade à l'étranger s'est vu prescrire le nombre exact de comprimés requis. Ne pourrait-on ainsi lutter en France contre le gaspillage ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Même si des progrès ont été enregistrés ces derniers mois, il est vrai que la France se caractérise encore par une consommation excessive de médicaments : on estime que chaque Français en consomme une boîte par semaine ! Du fait de la structure de prescription, ce sont les médicaments les plus onéreux qui sont prescrits. Cela dit, méfions-nous de ne pas instaurer une défiance généralisée. Même si cela a suscité quelques sarcasmes, j'ai déjà dit que les médicaments étaient là pour soigner. Une juste prescription passe aussi par de nouvelles formations des professionnels de santé. Il nous faut éduquer au médicament.

M. Roland Courteau.  - Exactement.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Il faut mettre en place une base de données publique pour informer les citoyens et garantir l'indépendance de la prescription. Des mesures en loi de financement de la sécurité sociale y pourvoient. Ce n'est qu'avec un tel ensemble de mesures que nous rétablirons la confiance.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Joël Guerriau.  - Merci. Votre réponse reflète le problème culturel français qui explique la surconsommation. L'automédication conduit à puiser plus ou moins heureusement dans son stock de médicaments, ce qui aboutit à l'hôpital, trop souvent, voire à des décès. Veillons à ce qu'il n'y ait pas d'excès. Les sprays pour les rhumes sont surdimensionnés. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

M. Jean-Jacques Mirassou .  - L'industrie pharmaceutique se porte bien dans notre pays, avec son vaisseau amiral, Sanofi, qui dégage un excédent de 5 à 9 milliards d'euros par an. Ses bénéfices profitent largement aux actionnaires. Pourtant, elle supprime de nombreux emplois de recherche. Les sites toulousains en savent quelque chose. Il faudrait que l'industrie préfère la stratégie pharmaceutique à la stratégie financière de court terme. Doit-on se résigner à la domination du marché par les génériques dans les pays riches, alors que de nombreux besoins médicaux restent à couvrir dans ces pays, sans parler des pays pauvres où tout reste à faire ?

M. Roland Courteau.  - Exactement.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Il faut privilégier la recherche et l'innovation. Il y va de notre sécurité sanitaire et de notre compétitivité industrielle.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - L'industrie pharmaceutique constitue une filière d'avenir pour notre pays, qui doit parier sur l'innovation. C'est en explorant la voie de la recherche-développement qu'elle pourra se développer, et non en vivant des marchés acquis depuis de nombreuses années. À Toulouse, cette filière est très importante. M. Montebourg a agi pour éviter des licenciements chez Sanofi, alors que l'entreprise fait tant de bénéfices. L'entreprise a revu ses projets en conséquence en évitant les licenciements secs. J'ai rencontré les organisations syndicales avec Arnaud Montebourg. Sanofi ne doit pas quitter Toulouse. Elle est un atout pour cette ville.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Merci. Vous avez des outils pour agir, madame la ministre : comité stratégique de filière, comité stratégique des industries de santé, comité économique des produits de santé. L'Autorisation de mise sur le marché (AMM) ouvre au remboursement. Il faut que l'industrie fasse le pari de la recherche et de l'innovation.

Mme Laurence Cohen .  - J'aborde à mon tour le devenir des salariés de Sanofi, à Toulouse comme dans mon département, le Val-de-Marne. Le ministère de la santé est particulièrement concerné. Malgré un chiffre d'affaires de 34,7 milliards d'euros en 2012, le groupe Sanofi fait progresser ses dividendes en 2011 de 45 %, tout en supprimant des centaines d'emplois en recherche et développement. Cette destruction massive d'emplois augure mal de l'avenir d'un groupe confronté à la perte de brevets pour des blockbusters rapportant plusieurs millions d'euros par an. Madame la ministre, quelles mesures prendrez-vous pour garantir l'innovation pharmaceutique et préserver la création d'emplois ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Le Gouvernement est très attaché au développement de l'industrie pharmaceutique dans le respect des implantations locales. Une mission a été envoyée à Toulouse qui va me faire des propositions. Il est absolument nécessaire, dans une relation de coopération avec l'industrie, comme avec les organisations syndicales, de permettre à l'industrie pharmaceutique française de continuer à exister. Plusieurs mesures en ce sens ont été prises par le Gouvernement que j'ai rappelées lors de la réunion, le 25 mars dernier, du comité de filière à Lyon, en présence de Mme Fioraso, de M. Montebourg et de moi-même : maintien du crédit d'impôt recherche, pacte de compétitivité et accord national interprofessionnel sur l'emploi qui, quoique vous en ayez, permettra de sauvegarder des emplois et d'aller de l'avant, maintien des pôles de compétitivité et efforts de simplification administrative et normative soutiennent cette filière, dans le respect de l'apport des organisations syndicales et des salariés, sans lesquels aucun développement n'est possible.

Mme Isabelle Pasquet .  - L'industrie pharmaceutique n'est pas épargnée par la recherche de toujours plus de compétitivité. Cinq cent mille emplois industriels ont été détruits depuis 2008. Les licenciements boursiers doivent cesser, et nous avons déposé une proposition de loi en ce sens.

Il n'est pas acceptable que les laboratoires décident de la politique du médicament. Nous proposons la création d'un pôle public du médicament. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Aline Archimbaud .  - L'industrie pharmaceutique dépense deux fois plus en publicité qu'en recherche et développement. Il y a de moins en moins de médicaments nouveaux efficaces sur le marché mais les études, aux auteurs fantômes, vantant tel ou tel médicament se multiplient, les résultats défavorables ne sont pas rendus publics et les lanceurs d'alerte sont intimidés. Nous avons besoin de faire confiance à la recherche clinique : un financement public ne serait-il pas nécessaire ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - La France s'enorgueillit de la qualité de sa recherche à juste titre. La France est au deuxième ou troisième rang pour le nombre d'essais cliniques réalisés, notamment grâce à l'argent public. Cependant la recherche se mène pour les trois quarts dans des laboratoires privés. Nous devons garantir la qualité de la recherche, où qu'elle se fasse, sans opposer le public au privé.

Pierre Bérégovoy a lancé un plan hospitalier de recherche clinique qui a permis de mener 5 000 recherches, avec 870 millions d'euros. Des améliorations thérapeutiques ont été enregistrées, notamment pour les « bébés bulles », qui ne sont plus obligés à présent de demeurer en permanence dans leurs bulles.

M. Jacky Le Menn.  - Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Ce programme va être amélioré et nous travaillons au renforcement de la transparence et de la recherche, dont la France peut être fière.

Mme Aline Archimbaud.  - Il ne s'agit certes pas d'opposer secteurs privé et public mais il serait intéressant que les pouvoirs publics stimulent la recherche dans des domaines précis, par exemple pour trancher certaines controverses.

Mme Catherine Procaccia .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Les circuits de fabrication du médicament ont changé ces vingt derniers années : l'importation des médicaments a explosé. La France importe pour 22 milliards d'euros de médicaments. Quatre-vingt pour cent des principes actifs des génériques sont fabriqués en Asie et, pour le paracétamol, 100 % de sa fabrication intervient hors d'Europe. L'AMM est une simple procédure de mise sur le marché. Les normes de bonnes pratiques ne sont pas ou mal respectées dans le monde. Rappelez-vous l'affaire de l'héparine.

Certes, les laboratoires doivent contrôler les principes actifs importés, mais personne ne connaît le nom des entreprises qui fabriquent les matières premières ni le pays d'où elles viennent. Ne serait-il pas temps que leur nom figure sur les boîtes ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Merci pour cette question mesurée, dans un climat de suspicion à l'encontre des médicaments génériques, qui est propre à la France. Nos concitoyens doivent avoir confiance dans la qualité des médicaments vendus. Ce n'est pas parce qu'il y a eu des fraudes qu'il faut jeter l'opprobre sur toute l'industrie pharmaceutique. Les médicaments génériques sont fabriqués dans les mêmes conditions que les médicaments princeps. Certes, la production s'est déplacée en Asie, mais pour tous les médicaments. L'enjeu est de relocaliser les industries productives de matières premières. La discussion est engagée au sein du comité de filière. En outre, les contrôles doivent être renforcés tant en Europe qu'en France. Enfin nous réfléchissons avec l'industrie pharmaceutique aux informations qui pourraient être ajoutées sur les boîtes pour renforcer la confiance de nos concitoyens.

Mme Catherine Procaccia.  - Vous avez répondu en partie à ma question. Les principes actifs et les médicaments viennent de loin et lorsqu'il y a des contrôles, la distribution est retardée. Il existe encore 224 usines de fabrication du médicament en France. Il y en avait beaucoup plus dans les années 2000. Sur les 47 médicaments autorisés sur le marché européen en 2012, aucun n'était fabriqué en France. La relocalisation de cette industrie serait une bonne chose. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Luc Fichet .  - Le consommateur doute, du fait que certains médicaments n'apportent rien aux malades et que des centaines de médicaments sont donnés pour soigner d'autres pathologies : un anti-diabétique prescrit comme coupe-faim !

Beaucoup de patients souhaitent prendre des traitements le moins chimiques possible. Les plantes sont de plus en plus utilisées. Les prescriptions magistrales ont retrouvé l'appétence du public.

Avez-vous l'intention de prévoir le remboursement de ces préparations par la sécurité sociale ? Il s'agit de répondre à une nouvelle demande de la population. Peut-être faudrait-il en contre partie réduire le remboursement de certains médicaments dont l'utilité est faible, voire nulle.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - J'entends votre préoccupation mais nous ne pouvons faire comme si les médicaments n'avaient pas soigné des malades. Les préparations magistrales ne peuvent être réalisées qu'en l'absence de médicaments disposant d'une AMM. Ces préparations ne sont pas évaluées et ne font pas l'objet d'études bénéfice-risque. Leur remboursement ne peut donc rester qu'exceptionnel. Nous avons tous eu recours à des préparations naturelles pour des affections bénignes, mais cela ne peut rester que marginal. Il est difficile d'envisager que la sécurité sociale les rembourse.

M. Jean-Luc Fichet.  - La recherche et le développement sont au coeur de l'industrie pharmaceutique. Ce secteur des nouvelles médications pourrait aussi être exploré.

M. Philippe Darniche .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je voulais vous interroger sur la traçabilité des médicaments génériques fabriqués en Chine et en Inde. Les contrôles effectués en Europe n'apportent pas de garanties suffisantes, et il existe des différences de résultats thérapeutiques entre princeps et génériques.

J'en viens à la recherche sur l'embryon. Les cellules souches embryonnaires peuvent utilement être remplacées par des cellules iPS. Faut-il autoriser la recherche sur l'embryon, madame la ministre ? (Applaudissements sur divers bancs à droite)

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Je veux redire ici avec solennité que les matières premières utilisées dans la composition des princeps et des génériques sont les mêmes. Vos interrogations, légitimes, sur la traçabilité des matières premières pour les génériques doivent être les mêmes que pour les princeps. Les procédures de contrôle en Europe comme en France doivent donc être renforcées. Les bonnes pratiques se diffusent dans le monde.

Sur le deuxième aspect de votre question, la discussion est en cours sur la recherche sur les embryons. Nous avons tout à gagner à la mener à son terme. Sur un sujet d'une telle importance, les manoeuvres dilatoires et d'obstruction n'ont pas de sens.

M. Philippe Darniche.  - Je veux rappeler un seul chiffre : 41 % des contrôles européens démontrent une non-conformité des médicaments génériques.

Les processus de fabrication ne sont pas identiques : ne pourrait-on pas unifier ces processus ?

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 5.