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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Débat sur la loi pénitentiaire

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE

Mme Esther Benbassa

Mme Cécile Cukierman

M. Jean-Marie Bockel

M. Nicolas Alfonsi

M. Jean-Jacques Hyest

Mme Virginie Klès

Mme Frédérique Espagnac

M. Maurice Antiste

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Questions d'actualité

À quand une autre politique ?

Mme Marie-France Beaufils

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget

Politique économique du Gouvernement

Mme Françoise Laborde

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget

« Murs des cons » du Syndicat de la magistrature

M. Antoine Lefèvre

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Sort de la raffinerie Petroplus

M. Hervé Marseille

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Enseignement de la morale laïque à l'école

M. Jacques-Bernard Magner

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale

Fin de vie

Mme Corinne Bouchoux

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie

Droit de manifester et amnistie syndicale

M. Rémy Pointereau

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Politique en faveur de l'autonomie des personnes âgées

M. Yves Daudigny

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie

L'action de groupe au service des consommateurs

M. Alain Fauconnier

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation

Attentat à Tripoli

M. Robert del Picchia

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger

Saisine du Conseil constitutionnel

Débat sur la politique européenne de la pêche

M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC

M. Bruno Retailleau

Mme Odette Herviaux

M. Éric Bocquet

M. Jean-Claude Requier

M. André Gattolin

M. Marcel-Pierre Cléach

Mme Frédérique Espagnac

M. Maurice Antiste

Mme Laurence Rossignol

M. Serge Larcher

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes




SÉANCE

du jeudi 25 avril 2013

96e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. François Fortassin.

La séance est ouverte à 9 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Débat sur la loi pénitentiaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la loi pénitentiaire.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Hasard du calendrier parlementaire, notre débat s'ouvre quelques jours après la spectaculaire évasion de Redoine Faïd puis les menaces d'évasion proférées par Christophe Khider.

Plutôt que sur ce qui relève des faits divers, penchons-nous sur les difficultés structurelles de notre système pénitentiaire, très bien analysées par Mme Borvo Cohen-Seat et M. Lecerf, corapporteurs de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, à qui je veux rendre hommage pour la qualité de leur travail et pour leur grande impartialité. Je rappelle que notre commission a décidé de confier ses rapports à des rapporteurs de sensibilité politique différente.

Le premier constat est de lacune : la non-publication de plusieurs décrets d'application de la loi pénitentiaire, plus de trois ans après, deux ans sous le précédent gouvernement et un an sous celui-ci.

Les articles 7 et 86 de la loi relative à l'évaluation des taux de récidive et aux règlements intérieurs peuvent-ils rester lettre morte ?

Où en est la réflexion du Gouvernement sur l'installation de lieux de vote dans les établissements pénitentiaires ? Proposer aux prisonniers de voter par procuration est-il réaliste ? À qui le détenu donnera-t-il une procuration ? La participation des détenus aux élections de 2012 n'a été que de 5 %.

Je vous exhorte à sortir la prison de son enfermement si j'ose dire. Au-delà des coups de projecteur médiatiques, il y a une responsabilité collective à assumer, qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs publics et la société civile.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois .  - En juillet 2012, avec Mme Borvo Cohen-Seat, nous présentions un rapport d'information sur l'application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. N'est-ce pas un atout supplémentaire du Sénat que de parvenir à des propositions consensuelles, dont nous nous sommes entretenus ensemble peu après votre arrivée à la Chancellerie, madame la ministre. J'espère que vous aurez de bonnes nouvelles à nous annoncer.

Nous attendions la publication du règlement intérieur type par catégorie d'établissement, car d'une prison à l'autre, les régimes de détention peuvent beaucoup varier, créant un sentiment d'arbitraire chez les détenus. Le législateur avait également souhaité une évaluation des taux de récidive dans les établissements pour peines, non pour dresser je ne sais quel hit-parade des prisons, mais pour savoir quelles innovations développer, sur l'exemple de la prison ouverte de Casabianda.

Sur d'autres points aussi, nous attendons. L'obligation d'activité fait l'objet d'un vaste consensus, mais son application exige une volonté politique sans faille. Des initiatives innovantes ont été prises ça et là, mais bien des efforts restent à accomplir. Nous avions préconisé, même dans les établissements à gestion privée, que les entreprises, via les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers, soient systématiquement démarchées. Nous avions demandé l'installation de locaux adaptés et une priorité pour les établissements pénitentiaires pour les marchés publics, ce qui exige une modification réglementaire. Enfin pour assurer la formation professionnelle des détenus dans les établissements à gestion déléguée, il reste à modifier les cahiers des charges.

Le régime des fouilles représente un sujet de crispation majeure avec le personnel de surveillance. Le législateur n'a pas interdit les fouilles intégrales mais leur caractère systématique, pour protéger la dignité de chacun et limiter le risque suicidaire. Des portiques équipés de scanners permettent de visualiser le contenu des corps sans que le détenu n'ait à se dévêtir. Qu'on arrête de dire qu'ils coûtent trop cher ! Il faut installer des filets de protection et donner des ordres stricts aux forces de police et de gendarmerie pour empêcher les projections dans les cours de promenade qui sont à l'origine de l'introduction de produits dangereux.

Les prisons françaises sont parmi les plus sûres du monde. Je suis frappé de la distorsion entre l'écho médiatique que rencontre une seule évasion par rapport à 100 suicides. (M. Jacques Mézard approuve)

L'étude d'impact de la loi recommandait de réduire de 80 à 60 le nombre de dossiers suivis par un conseiller d'insertion et de probation. Mille embauches étaient nécessaires, nous en sommes loin.

De même qu'une politique pénitentiaire ne se réduit pas à l'augmentation des places, une politique d'aménagement des peines ne se résume pas à l'augmentation du nombre de bracelets électroniques.

Nous souhaitons encore une meilleure prise en compte de la maladie mentale, qui pourrait commencer par l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale de la proposition de loi adoptée en 2011 par le Sénat, prévoyant l'atténuation de la responsabilité pénale pour les personnes atteintes de troubles mentaux et un renforcement de l'obligation de soins. Sénateur du Nord, je tiens à rappeler que dans les deux départements du Nord-Pas-de-Calais, se trouve le tiers des matelas à terre, c'est dire la surpopulation carcérale qui explique en partie le drame de Sequedin. La reconstruction de la prison de Loos-lès-Lille s'impose, madame la garde des sceaux.

Lors de la discussion générale, j'avais dit que si la loi pénitentiaire était un échec, ce serait la pire déception de ma carrière sénatoriale. Robert Badinter m'avait assuré qu'il s'agissait d'une grande loi. Je sais que le combat est loin d'être terminé avant que les prisons cessent d'être « une humiliation pour la République », comme vous le dénonciez il y a déjà treize ans, cher Jean-Jacques Hyest ! (Applaudissements)

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE .  - La privation de liberté ne doit jamais être le retrait des droits fondamentaux de la personne humaine. Mon groupe a toujours été soucieux en toutes circonstances du respect de la dignité de chacun. Nous avions été à l'origine de la commission d'enquête dont le titre du rapport vient d'être cité.

Je salue ceux qui ont poursuivi ce travail, le président Hyest, Jean-René Lecerf.

Nous avons demandé que se tienne aujourd'hui ce débat, pour faire le bilan de la loi pénitentiaire et que vous disiez les orientations que vous souhaitez mettre en place, madame la garde des sceaux. Le nombre de personnes détenues s'est accru de 34 % en dix ans, le taux de détention est passé de 71 pour 100 000 habitants il y a dix ans à 99 pour 100 000 habitants et le taux moyen d?occupation est de 118 %.

Douze établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200°%. Le phénomène n'est pas spécifiquement français, ce qui n'est pas un motif de satisfaction. La surpopulation carcérale est un défi majeur. La construction de nouveaux établissements ne l'a pas réduite. C'est une course à la mer. Le taux moyen d'occupation des maisons d'arrêt est de 135 %.

Les conséquences de cette situation sont inacceptables. Nous lisons le rapport annuel du contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel je tiens à rendre hommage.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Très bien !

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE.  - L'article premier de la loi pénitentiaire résume ce sur quoi nous sommes unanimes : le régime de privation de liberté concilie la protection de la société et la surveillance de la personne détenue ainsi que l'intérêt des victimes avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion des détenus.

Après une visite aux Baumettes, le contrôleur général parlait de nouveau de privation des droits fondamentaux, de traitements inhumains et dégradants. Jean-René Lecerf a dit ce qu'il convient de faire. La psychiatrie en prison pose un énorme problème.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Eh oui !

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE.  - Tous ces éléments convergent vers la violence. Le personnel de l'administration pénitentiaire travaille dans des conditions particulièrement éprouvantes. Madame la ministre, il faut passer aux actes. Nous connaissons votre détermination. La peine de privation de liberté demeure la référence de notre droit pénal. Nous payons la facture d'une politique pénale essentiellement répressive, trop souvent dictée par des faits divers. Légiférer sous le coup de l'émotion ne conduit pas à de bonnes lois. Les peines plancher et la rétention de sûreté en attestent. Les programmes immobiliers trop importants provoquent des difficultés particulières de gestion.

Le Parlement a bien travaillé sur la loi pénitentiaire, porteuse d'espoirs à l'époque. Nous souhaitons qu'elle atteigne ses objectifs. Cela ne se fait pas en un jour mais il y faut une volonté. C'est ce que nous attendons de vous. « La prison n'est qu'un reflet démesurément grandi de la société qui produit ceux qu'elle incrimine » a dit un détenu. Merci, madame la ministre, de prendre en compte le travail du Sénat. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - « Les enfermés demeurent transparents », a écrit Philippe Artières. On ne s'étonnera pas que la France ait attendu en vain une grande réforme pénitentiaire pendant des décennies. Lionel Jospin l'a promise puis enterrée, Jacques Chirac l'a oubliée, Nicolas Sarkozy réduite à rien. La loi de 2009 n'a pas répondu aux attentes. Elle fut élaborée dans l'urgence d'un état des lieux désastreux. Plusieurs sujets brûlants n'y ont pas trouvé leur place, repoussés à plus tard. Notre conviction est toujours que le meilleur moyen de lutter contre la surpopulation carcérale est de ne pas enfermer les personnes qui n'ont rien à faire en prison : les malades mentaux, les sans-papiers, et les courtes peines.

Il faut en finir avec les peines plancher et la justice d'abattage des comparutions immédiates, la construction d'établissements en consacrant les moyens ainsi économisés à l'amélioration de la situation des détenus, des surveillants et des travailleurs sociaux. Les écologistes, doutant de l'efficacité de ce texte, se sont félicités de la mission confiée à Mme Borvo et M. Lecerf. Leurs conclusions ne sont guère surprenantes. Le législateur doit sans délai réformer ce droit en profondeur. Les retards de la publication des décrets d'application sont justement pointés par nos collègues, ainsi que les problèmes de moyens. Moins d'un tiers des conseillers d'insertion et de probation, dont le recrutement était nécessaire, ont été embauchés.

Je retiens de leurs propositions, entre autres, l'instauration d'un revenu minimal carcéral, du référé en cas de placement en quartier disciplinaire, la modification du code de procédure pénale afin que la libération conditionnelle s'applique aux détenus de plus de 70 ans. L'État a été condamné à plusieurs reprises par le traitement qu'il inflige aux détenus les plus âgés. L'Observatoire international des prisons classe la France loin derrière ses voisins et même derrière certains pays bien moins riches et moins démocratiques, pour le sort réservé à ses prisonniers. La République peut-elle indéfiniment fermer les yeux sur ce qui se passe derrière les hauts murs gris de ses prisons indignes ?

Les réformes ne doivent pas s'empiler mécaniquement. Le Gouvernement doit renoncer à cette construction baroque, résultat de dix-huit lois pénales dictées par l'émotion, prises par le précédent gouvernement. Le tout-répressif n'a pas fonctionné. Il est urgent de donner tous les moyens nécessaires à la réinsertion. Madame la ministre, le groupe écologiste attend de vous un calendrier et le périmètre de votre projet de loi. Vous pouvez compter sur notre soutien et notre force de proposition. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Cécile Cukierman .  - Les gouvernements précédents sont restés sourds aux alertes que nous avons relayées de l'Observatoire international des prisons (OIP) et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Gagnés par la frénésie législative dans le but de réprimer plus pour enfermer plus, ils étaient incapables de comprendre les vrais problèmes liés à la politique pénitentiaire, à tel point que vous vous retrouvez aujourd'hui, madame la garde des sceaux, devant un dossier délicat, qui réclame un travail long et compliqué, mais urgent puisqu'il y va de la vie et de la dignité humaine.

L'application de la loi de 2009 se heurte à de nombreux obstacles. La question des moyens est évidemment centrale. D'eux dépend la politique pénitentiaire. Force est de constater que nous sommes loin du compte en matière de recrutement. La fouille intégrale est liée aussi aux moyens. Le portique à ondes millimétriques a été évoqué par M. Lecerf.

Sur l'insalubrité, nous ne pouvons plus nous accommoder des conditions indignes de nombreux établissements pénitentiaires et pas seulement aux Baumettes. Dans certaines prisons des travaux ont été entrepris. Quels sont les prochaines sur la liste ?

Il faut aménager la vie en prison de manière aussi proche que possible de la vie en société. L'OIP recommande de privilégier la prévention mais aussi la communication avec les détenus. La sécurité dynamique implique une détention dans des conditions matérielles appropriées. Le droit de recevoir des visites reste restreint. Il doit faire l'objet d'une politique volontariste. Seuls dix-sept établissements sont dotés d'Unités de visite familiale (UVF). Il faut supprimer le « mitard », véritable prison dans la prison, qui n'a pas sa place dans la patrie des droits de l'homme. Le nombre de suicides est révélateur des conditions indignes qui prévalent dans nos prisons.

Le travail en prison reste soustrait au droit commun, soumis à des conditions dignes du XIXe siècle. Cela nuit à la réinsertion nécessaire des détenus. En février 2013, le conseil des prud'hommes a condamné l'administration pénitentiaire pour non-respect de procédure de licenciement à l'encontre d'une détenue. Nous espérons que ce revirement jurisprudentiel ouvre de nouvelles perspectives plus favorables. Nous attendons que se prononce le Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité relative au droit du travail en prison.

L'enfermement perpétue la violence. Les peines alternatives doivent être privilégiées et l'emprisonnement constituer un dernier recours, comme l'affirme la loi pénitentiaire. Donnons à la politique pénitentiaire une orientation qui concilie humanité, respect des droits des détenus et sécurité de nos concitoyens.

M. Jean-Marie Bockel .  - Les gouvernements passent, les problèmes demeurent. En Europe, la France se distingue. J'ai défendu la loi de 2009. Je me souviens des débats parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Cela doit nous inciter à la modestie. Elle a constitué un cadre de référence. Où en sommes-nous ? Il y eut des efforts budgétaires, hier. Le rapport d'information présente des recommandations sur lesquelles nous nous retrouvons, mais le problème carcéral reste entier.

Madame la garde des sceaux, les peines alternatives ont considérablement augmenté, sous le gouvernement précédent mais le problème de la prison continuera à se poser de toute façon. Concentrons-nous là-dessus.

Le modèle des prisons ouvertes n'est pas un remède miracle mais apporte des réponses pertinentes et cohérentes. Les mesures préventives contre l'évasion ne sont pas matérielles. Elles résident dans une approche partagée de la détention. Le centre de détention de Casabianda en Corse, ouvert à la fin des années 1940, est unique. En Europe, ce modèle tend à se généraliser, en Suisse, en Autriche, au Luxembourg.

Au grand-duché, j'ai découvert qu'il y a une prison ouverte pour une prison fermée, et qu'il y a même des toxicomanes sous ce régime.

Suite au rapport que j'avais demandé à un universitaire, j'avais estimé qu'en France, on pourrait aller jusqu'à 8 à 10 %, sans viser les 30 % des pays d'Europe du Nord. La droite avait jugé cette idée trop libérale. La gauche, lorsque vous êtes arrivée, et que j'ai rencontré votre directeur adjoint de cabinet, m'a fait comprendre qu'une idée venant de la droite devait être recyclée. Soit, changez le nom si vous voulez, mais gardez l'idée d'un établissement pénitentiaire où la sanction est associée à l'apprentissage des gestes et règles de la vie en société.

Les résultats obtenus à l'étranger et en France montrent l'efficacité de ce modèle. Le nombre de suicides diminue. La prison ouverte favorise la resocialisation et la réinsertion et les relations avec l'extérieur apaisent les tensions.

Les prisons ouvertes sont souvent couplées avec les prisons fermées. Le respect de la règle est dans la tête de chacun, ce qui est le meilleur des arguments pour éviter la récidive. Le risque d'évasion est infime.

Ces établissements auraient un coût, mais moins élevé que celui des prisons fermées. Ils vont dans le sens des recommandations de M. Delarue sur la diversification de notre modèle carcéral et sont sans doute plus praticables que ce que propose certain ancien détenu, pour lequel j'ai par ailleurs de l'estime. Il est dommage que de telles expérimentations n'aient pas été lancées. On nous avait dit qu'aucun département n'en voudrait, mais je n'y crois pas : nombre d'élus locaux, dans des territoires en voie de désertification, sont prêts à les accueillir. En Corse, où le centre de Casabianda est devenu le premier producteur de porc et de lait, il n'y a pas de rejet, non plus que dans les autres pays européens où de telles prisons existent.

Ce dispositif existe, madame la garde des sceaux, développez-le, ce serait à votre honneur. (Applaudissements à droite)

M. Nicolas Alfonsi .  - Je partage l'analyse des rapporteurs et je tiens à leur rendre hommage. La situation des établissements pénitentiaires n'a guère évolué depuis des décennies. Chacun se souvient du livre de Véronique Vasseur Médecin-chef à la prison de la Santé qui en avait révélé le délabrement à l'opinion publique. La loi pénitentiaire devait apporter une nouvelle vision, apaisée, du monde pénitentiaire, selon Mme Dati. Hélas, telle n'est pas la réalité, avec une surpopulation toujours aussi mortifère. Les détenus restent livrés à eux-mêmes, et les plus dangereux sont mêlés à ceux qui n'ont commis que de menus larcins. Est-il normal que les petits caïds en ressortent avec un prestige grandi, que le prosélytisme religieux y prospère ? Nous continuons de payer la facture de la « tolérance zéro » qui voulait jeter les mineurs de 13 ans en détention !

L'univers carcéral doit être encadré par les règles de l'État de droit, la réinsertion assurée. Mais nous savons bien que ce n'est pas le cas, les établissements pénitentiaires restent trop souvent soumis à l'arbitraire, comme le note à juste raison le contrôleur général des lieux de privation de liberté à qui je rends hommage pour sa liberté de ton.

Les détenus doivent jouir de leurs droits sanitaires et sociaux et la rémunération de leur travail doit cesser d'être dérisoire. Nous attendons de connaître la décision du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité relative au droit du travail en prison. Il ne faut pas oublier la dimension sociale de la prison, sauf à nourrir le sentiment de révolte des détenus.

À nous, législateurs, de revisiter le droit carcéral. L'emprisonnement ne doit avoir qu'un caractère subsidiaire. Ni angélisme, ni tout sécuritaire, notre politique carcérale doit concilier protection de la société, application des sanctions, et préparation de la réinsertion dans un cadre satisfaisant pour tous les professionnels. Nous comptons sur vous pour aller au-delà de la loi de 2009 afin de fonder un régime carcéral digne de la République. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)

M. Jean-Jacques Hyest .  - Je remercie M. Assouline d'avoir poursuivi le travail de la commission des lois en nommant deux rapporteurs de sensibilités différentes. Cela permet de faire du bon travail. Nous avions ainsi voté une loi sur les sondages, jamais examinée à l'Assemblée nationale. Pourquoi ? Y aurait-il un puissant groupe de pression à l'Assemblée ?

Quand on parle prison, on en vient tout de suite, dans les médias, à l'idée des évasions. Évidemment, l'évasion choque. Il faut rattraper les détenus évadés. J'ai même connu un garde des sceaux qui avait réussi à en rattraper davantage qu'il n'avait fait de nouveaux détenus. (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ne soyez pas méchant !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Non, d'autant que c'était quelqu'un de bien. C'était M. Arpaillange.

La loi pénitentiaire a été un changement profond et consensuel pour lequel le Sénat s'est montré plus offensif et courageux que le garde des sceaux de l'époque. On répétait qu'il fallait penser aux victimes mais il faut aussi penser à ce que vont devenir les détenus. Ce n'est pas faire de l'angélisme.

Pensons aussi aux malades mentaux dans les prisons ! Il y en a encore. En 2009, nous étions contents de nous, mais la prison n'est pas la solution. En France nous avons un problème avec la psychiatrie. Comme il y a peu de places en établissement fermé, on les met en prison. Pourtant, les pays étrangers ont trouvé des solutions.

Nous avons créé le poste de contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ses rapports sont précieux et je rends hommage au contrôleur et à toute son équipe. Il fait en sorte que la situation s'améliore progressivement. Réfléchissons avant de le fusionner avec une autre instance. Le rapport de M. Lecerf et de Mme Borvo est excellent. Je connais le problème, ayant beaucoup visité d'établissements pénitentiaires depuis 2000 et même avant.

Ne faudrait-il pas libérer les surveillants des tâches délicates en installant des portiques ? Je suis sûr que le bilan financier, grâce au gain de temps travaillé, serait positif. Pour les surveillants aussi la fouille est une pratique déplaisante.

On entend dire qu'il y a trop de prisonniers. Votre circulaire de septembre 2012, madame la garde des sceaux, disait vouloir tenir compte des places dans les établissements pénitentiaires pour préconiser des aménagements de peine, ce que recommandait la loi de 2009, qui allait jusqu'à deux ans. Nous savons bien que les courtes peines ont peu d'effets et même des inconvénients en plaçant de petits délinquants avec des détenus de toute sorte. Les petits caïds de quartier en ressortent auréolés d'une image de héros.

Le placement à l'extérieur est très faible, la surveillance électronique donne de bons résultats. M. Cabanel s'était battu pour le bracelet électronique dont ne voulait pas l'administration.

Il fallait aussi réfléchir à la libération conditionnelle. Il est dommage que les conditions matérielles empêchent la loi d'être appliquée. Essayons de faciliter cette libération conditionnelle et évitons les sorties sèches, qui favorisent la récidive.

La crise explique bien des problèmes, dont l'absence de travail et de formation professionnelle en prison.

Si l'on veut des aménagements de peine, du personnel doit être embauché dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation. Nous avions estimé qu'il fallait 1 000 postes ; on n'a recruté que 250 personnes. Il faut aussi davantage de juges d'application des peines parce que les juridictions de jugement prennent peu de décisions concernant l'application des peines.

Je remercie mes collègues pour leur rapport. Le Sénat sera toujours très attentif à l'application de la loi pénitentiaire. C'est une bonne loi qui met au centre du dispositif la protection de la société, en partant de l'idée que ceux qui entrent en prison doivent en sortir meilleurs. (Applaudissements unanimes)

Mme Virginie Klès .  - En dix minutes, que dire d'utile pour que les prisons de France ne soient plus la honte de la République ? Que va-t-il sortir de ce débat ? Il y aura des choix budgétaires à faire. Nous devons convaincre nos concitoyens de l'utilité de ce combat.

Ne parler que des extrêmes ne permet pas de tenir un débat serein. M. Delarue a rendu compte de la situation intolérable des Baumettes. Avec l'évasion récente, nos concitoyens disent qu'il faut enfermer, bien enfermer les prisonniers. Mais la situation des Baumettes n'est pas unique, alors que l'évasion de Redoine Faïd est un phénomène unique. Ne nous laissons pas gagner par l'émotion médiatique, qui monte en épingle des cas isolés.

Des détenus repentis luttent pour la réinsertion. Sortons des caricatures et faisons attention à notre parole.

M. Claude Dilain.  - Très bien !

Mme Virginie Klès.  - J'ai utilisé mon droit de parlementaire pour visiter des prisons et j'ai lu les rapports du contrôleur général qui rappelle le quotidien en prison. À Rennes, j'ai visité la prison des femmes, les locaux sont vieillots, l'ambiance est sereine, il n'y a pas de bruit, contrairement à d'autres prisons où le bruit est insupportable. J'ai rencontré des équipes motivées, attachées à la réinsertion des femmes emprisonnées à Rennes. J'ai vu les efforts de la direction et des équipes de surveillance, attentives à la réinsertion des condamnés, amener les détenus à communiquer avec les autres. Pourquoi ce qui fonctionne n'est-il pas récupéré dans d'autres prisons ?

Un ancien détenu vient me voir en me disant qu'il veut s'en sortir, mais qu'il a besoin d'argent, pour pouvoir se laver, payer ses voyages vers Nantes où réside sa tutrice, qu'il ne parvient pas à rencontrer. Il ne paie pas le train, donc il se retrouve avec un paquet d'amendes de la SNCF, qu'il ne peut payer. Sa tutrice finit par lui envoyer un mandat, qu'il ne peut toucher faute de pièce d'identité, qu'il ne peut se faire faire, faute d'argent pour se faire photographier. Je lui donne le nécessaire pour les photos, mais il faut trois semaines pour avoir la carte d'identité, et pendant ce temps-là il lui est toujours impossible de toucher son mandat. La voilà, la réalité quotidienne des détenus libérés.

J'ai aussi entendu des femmes victimes de violence conjugale qui n'avaient pas osé porter plainte de peur de voir leur conjoint envoyé en prison, avec ce que cela signifie en termes de perte d'emploi, de désocialisation. Pour lutter contre la délinquance, il faut que les victimes n'aient pas peur des conséquences pour les condamnés.

Il y a des héros, chez les gardiens, et aussi des brebis galeuses. Dans leur immense majorité, ils accomplissent leur travail, dans des conditions défavorables. Comment pourraient-ils, à 1 pour 120, remplir leur rôle comme ils le voudraient ? L'urgence est là, pour ramener la sécurité dans la dignité ; il faut y répondre, notamment avec des scanners. On n'est pas spécialement fier d'avoir à faire se déshabiller quelqu'un.

Pour apaiser le climat en prison, il faut privilégier l'humain et le droit. Vous ne manquez pas de volonté, madame la garde des sceaux. Comptez sur notre soutien. (Applaudissements)

Mme Frédérique Espagnac .  - Lors d'une réunion dans mon département, j'ai parlé de criminalité. On m'a dit : « En taule, on ne fait pas assez souffrir ! ». C'est caricatural, mais c'est une réalité. Comment se fait-il que pour nombre de nos concitoyens, la prison doive être un lieu de sévices, la cellule un lieu de maltraitance ?

En prison, des milliers de gardiens oeuvrent au jour le jour à la surveillance et à la réinsertion des personnes incarcérées. Je veux leur rendre hommage. Ce sont aussi des milliers de femmes et d'hommes qui, pour des raisons diverses, sont privés de liberté et qui souffrent d'atteintes à la dignité humaine. Ils se retrouvent à cinq dans une cellule de huit mètres carrés, subissent des fouilles corporelles.

La politique de réinsertion n'est pas au point. D'autres solutions doivent être expérimentées. Que dire des malades mentaux, trop nombreux dans les prisons ? Le rapport de nos collègues montre que les améliorations ont été trop limitées. Il vous revient, madame la ministre, d'améliorer la situation dans nos prisons.

Au Pays basque, nous avons connu une période de violence. Pour que l'apaisement soit complet, il serait bon que les prisonniers basques soient rapprochés de leurs familles. La question est d'autant plus sensible que l'un d'entre eux vient de mourir dans une prison parisienne. Elle doit être réglée de façon pacifique, dans le respect des principes fondamentaux des valeurs de notre République. (Applaudissements)

M. Maurice Antiste .  - La prison est un lieu qui véhicule beaucoup de fantasmes. C'est sans doute pourquoi il y a tant de normes qui s'appliquent. Mais la surpopulation carcérale est un cancer qui empêche toute évolution favorable pour les 66 995 détenus. À la Martinique, plus de 1 000 détenus pour 569 places ! Un rapport de Dominique Raimbourg à l'Assemblée nationale s'est penché sur cet établissement pénitentiaire et a proposé des pistes pour améliorer la situation. Le 20 février 2013, un rapport du jury de la conférence de consensus a été remis au Premier ministre pour une nouvelle politique de prévention de la récidive. Ces travaux sont intéressants, mais ne débouchent sur rien de concret. Un chef d'établissement disait à ce propos que « lorsqu'on érige le vertige en vertu, on a les idées à l'envers ». (Sourires) L'aménagement des prisons est une idée séduisante, mais nous bâtissons ces mesures sur le sable, du fait de l'absence de moyens.

Le 25 mars 2013, à la prison de Lille, les surveillants ont bloqué les entrées, du fait des violences de plus en plus nombreuses. Pourtant, l'établissement pénitentiaire lillois est moderne. On ne peut enrayer que difficilement les violences quotidiennes envers les personnels. En Martinique, on est passé de 60 à 130 matelas par terre, jusque dans les couloirs. Et le programme d'extension de la prison a pris beaucoup de retard, pas avant 2016, dit-on.

Comment améliorer le suivi des prisonniers et l'aménagement des peines quand les conseillers de service pénitentiaire d'insertion et de probation suivent plus de 100 dossiers ? Il faut une réflexion sur l'ensemble de la chaîne pénale, pour redéfinir le fonctionnement, les relations et les procédures. Il faut en finir avec le millefeuille français où les dispositifs s'additionnent sans se remplacer. Gardons ce qui fonctionne, écoutons le personnel. Une réforme d'envergure est nécessaire, pour lutter contre le surpeuplement carcéral.

La région Martinique a investi dans la formation professionnelle : 171 000 euros pour 1 000 détenus, prise en charge totale de l'accompagnement personnel des détenus de 18 à 30 ans. Je vous invite à mettre en place un groupe de travail sur la chaîne pénale, dont l'animation pourrait être confiée à des parlementaires. (Applaudissements)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - J'éprouve du plaisir à écouter vos interventions de qualité, qui sont la marque du Sénat sur des sujets de société très difficiles. Il nous faut être intelligibles, compris de nos concitoyens, d'autant que le sujet amène la controverse.

Le personnel a parfois le sentiment, à tort, qu'il n'est pas notre priorité. Il n'y a pourtant pas de contradiction à mener une politique carcérale cohérente tout en prenant en compte le sort du personnel et des détenus. Je salue donc l'initiative de la commission de l'application des lois.

En se saisissant de ce sujet épineux, le Parlement s'est, en quelque sorte, relégitimé. Nos chambres font parfois preuve d'un stakhanovisme législatif, puis oublient aussitôt les textes votés.

M. Claude Dilain.  - C'est la créativité législative...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Il faut aller jusqu'à l'évaluation des politiques publiques. C'est un changement de culture, une révolution tranquille, il est vrai déjà amorcée par le Sénat, monsieur le président Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest.  - De longue date !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - J'étais déjà née. (Sourires)

« L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté », écrit Rousseau dans le Contrat social. En 2009 la loi pénitentiaire est venue consolider certaines orientations, mais elle a été contrecarrée par une politique pénale qui a compliqué sa lisibilité et son application par le personnel concerné.

Merci, monsieur Lecerf, d'être venu à la Chancellerie dès le mois de juillet me présenter votre rapport. Outre l'exiguïté des locaux surpeuplés, vous soulignez à juste titre le droit à la formation professionnelle... Vous avez pris le parti d'une approche globale, cohérente. Je remercie les sénateurs qui ont rendu un juste hommage au personnel pénitentiaire. Je travaille de même. La conférence de consensus illustre cette méthode. Je remercie les sénateurs de la majorité et de l'opposition qui y ont contribué. J'ai ouvert un cycle de consultations. J'ai reçu les syndicats de magistrats, de personnel pénitentiaire, de police, les associations de victimes, le Conseil national de l'aide aux victimes. Ces consultations se poursuivent.

Je tiens à cette méthode de rigueur, qui consiste à aller au-delà des idées reçues pour partager un diagnostic de l'état des connaissances pour jeter les bases d'une politique, en associant les compétences. Il n'y a pas d'évidence en la matière. Nous travaillons en interministériel. Ainsi sur le logement, nous avons demandé que des logements soient réservés aux personnes placées sous main de justice. Et aussi avec la santé, l'emploi, la jeunesse, la ville, le handicap.

Après onze mois, je veux dresser le bilan d'une politique pénitentiaire liée à la politique générale. L'une ne va pas sans l'autre, même si elles ont pu se contredire dans le passé. Les dispositifs automatiques ont eu des effets néfastes, désocialisants. La loi pénitentiaire a changé l'approche. Elle n'est pas dirigée contre le personnel pénitentiaire, dont nous entendons les demandes sur l'évolution de leur métier. L'amélioration de la condition des détenus ne peut que leur profiter à eux aussi, tout en contribuant à une diminution de la récidive.

Le premier principe est de reconnaître que le détenu est un sujet de droit. Il peut se faire domicilier dans les établissements pénitentiaires. Certains détenus n'ont pas de pièces d'identité. J'ai donné des instructions dans une circulaire d'octobre 2012 pour qu'ils soient repérés et accompagnés.

Les détenus étaient privés de possibilité de témoigner, pour protéger leur image. Ce n'est pas absurde. Mais pensons à la propre capacité du détenu d'évaluer les risques pour son image. Je vais soumettre au Parlement, dans le cadre du projet de loi sur le secret des sources, une disposition autorisant les journalistes à accompagner les parlementaires en prison.

Le maintien des liens familiaux évite l'angoisse, l'isolement. Cela pose la question de l'emplacement de l'immeuble pénitentiaire, de l'architecture pénitentiaire. Sur les unités de vie familiale et les parloirs, nous avons fourni un effort considérable ; d'ici à 2015 nous allons passer à 232, en ouvrant 131 établissements, alors qu'aujourd'hui, il n'y a que dix-neuf prisons équipées d'unités de vie familiale. Loos-lès-Lille devrait faire partie du prochain plan triennal, monsieur Lecerf. Le site est magnifique, classé monument historique. Je vous ferai passer rapidement les éléments sur lesquels nous travaillons, une fois les arbitrages budgétaires rendus.

Pour la formation professionnelle, l'administration pénitentiaire propose 700 options et 25 000 détenus en ont profité en 2012. C'est un progrès de 9,6 %, appréciable, qui doit se poursuivre. Les détenus sont mieux informés sur leurs possibilités de formation. L'expérimentation en Aquitaine et dans les Pays de la Loire sera évaluée, par une double inspection de l'Inspection générale des services judiciaires et de l'Inspection générale des affaires sociales. Sur le travail aussi, nous améliorons sensiblement nos résultats : 37,7 % des détenus ont une activité professionnelle en prison. Un peu moins de 30 000 personnes sont concernées. Des progrès restent à accomplir.

L'affaire n'est pas simple. D'abord pour une raison juridique, comme le montre le jugement cité par Mme Cukierman, qui considère que le travail en prison relève de la logique du contrat de travail. La Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet. La difficulté vient aussi de la situation économique : l'activité des détenus est rendue plus difficile en période de déprime économique. Les conditions actuelles de la loi pénitentiaire peuvent rendre attractive l'offre proposée par les établissements pénitentiaires.

La question des soins psychiatriques est épineuse. Nous avons un problème dans la société en général, dans nos établissements aussi. Il y a à Château-Thierry une concentration de détenus présentant des troubles psychiatriques et le personnel médical y est nombreux. Mais ce n'est qu'un pis-aller peu satisfaisant. Il est évident qu'il y a, dans nos établissements pénitentiaires, des personnes qui n'ont rien à y faire. C'est un vrai sujet.

Sur la suspension de peine, la procédure est longue et complexe. Des détenus décèdent encore en prison. Lorsque leur pronostic vital est engagé, ils doivent pouvoir mourir parmi les leurs. Avec Mme Touraine, nous avons mis en place deux groupes de travail : sur la suspension des peines et sur l'addictologie. Nous avons installé des référents justice dans les structures médicales. Nous proposerons au Parlement des procédures plus souples, garantissant la sécurité et la non-récidive, mais qui puissent se dérouler dans des délais raisonnables.

La ministre de la santé a pris une circulaire en janvier 2012, afin que le RSA et l'AAH puissent être versés à certains détenus. L'indigence est un facteur de vulnérabilité. L'emprise des prédicateurs islamistes radicaux est supérieure sur les personnes sans ressources. Un quart des détenus sont analphabètes ou n'ont qu'une formation très sommaire.

Sur la sécurité, des mesures sont à prendre. Elles concernent la conception et l'équipement de nos établissements. Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir rappelé que notre taux d'évasion est parmi les plus faibles d'Europe. À Sequedin, nous avons maintenu les miradors, les fouilles ont lieu, il y a plusieurs portes blindées, c'est un établissement sécurisé. La sécurité même rend les plans d'évasion spectaculaires. J'ai demandé une nouvelle inspection. Le parquet et le pôle instructeur ont été mobilisés le jour même et un mandat d'arrêt européen a été lancé, nous avons envoyé une brigade cynophile pour repérer les caches d'explosifs. L'enquête se poursuit.

Il faut savoir comment les armes et les explosifs entrent dans nos établissements. Les surveillants ont formulé des hypothèses et je ne peux vous en dire plus puisque l'enquête est en cours. Nous devons trouver une bonne combinaison entre les dispositifs de sécurité passive et les compensations que l'on peut trouver à l'encadrement strict des fouilles par la loi pénitentiaire. En posant les bonnes questions, les chiffres s'affinent sur les coûts respectifs des miradors et des brigades cynophiles.

Sur 21 mesures réglementaires d'application de la loi pénitentiaire, 18 ont été prises. Je ne suis pas trop d'accord avec le Sénat à propos de l'observatoire indépendant. L'important est de disposer de chiffres fiables or nous avons l'Office national de prévention de la délinquance, pour lequel nous travaillons avec le ministère de l'intérieur car nous avons un service statistique, pas eux. Devons-nous repenser les missions et le périmètre de cet office, ou peut-on créer une structure qui écarte les suspicions et réponde aux critiques, tout en travaillant sur les données pénales ? Le logiciel Cassiopée nous permet de disposer des données de la gendarmerie à 100 % et, pour partie, de celles de la police. Nous envisageons de retravailler le décret sur cet office. Ce qui importe, c'est la stabilité, la cohérence et la fiabilité des chiffres. Au lieu d'ajouter un observatoire, faisons une offre cohérente. Un décret en moins !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Nous sommes d'accord.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le décret sur le règlement intérieur est signé.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Je savais que vous auriez une bonne nouvelle ! (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous avons dû tenir compte des remarques du Conseil d'État, qui ne voulait qu'un règlement intérieur type, plutôt que des règlements intérieurs par catégorie d'établissement pénitentiaire, d'où le retard. Il reste un décret sur l'expérimentation. Nous en resterons à ce qui est dans la loi. Il sera publié prochainement.

Nous travaillons avec les collectivités locales, très impliquées. Elles sont associées aux comités de pilotage des établissements pénitentiaires. Elles sont des partenaires précieux pour les travaux d'intérêt général, qui ont 30 ans cette année, pour les emplois d'avenir. Elles innovent. Nous travaillons aussi avec les associations constituées de citoyens bénévoles qui se dévouent à l'intérêt public, avec les services sociaux, qui entrent dans nos établissements. Nous avons créé des postes d'assistantes sociales.

Nous luttons contre les sorties sèches, qui atteignent encore 80 %. Il n'y a pas mieux pour la récidive ! Les centres de semi-liberté sont assez mal répartis sur le territoire. Le placement sous surveillance électronique (PSE) marche assez bien. Les citoyens pensent souvent que les aménagements de peine sont une faveur. Ce sont de vraies peines, avec des contraintes qui peuvent être perçues comme insupportables. Certains condamnés demandent à revenir en prison plutôt que de continuer à porter un bracelet électronique. Je crée 800 nouvelles places de semi-liberté dans le programme triennal. Cela permettra de limiter le recours au bracelet électronique. J'augmente le budget du placement extérieur de 12 %.

M. Alain Gournac.  - Il y en a trop peu. C'est dommage.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je sais qu'il reste beaucoup à faire. L'activité et la formation professionnelles représentent de grands défis. J'ai besoin de votre soutien pour conquérir l'opinion publique et faire mieux accepter les choix budgétaires.

Outre-mer, les établissements ont été négligés ces dernières années. Baie-Mahault, Basse-Terre sont dans un état déplorable. Nous atteignons plus de 300 % de surpopulation carcérale ! Le taux d'aménagement des peines est très faible. J'augmente de 10 % l'effectif de juges d'application des peines.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le travail sur les peines de probation doit se poursuivre, en tenant compte des paramètres culturels, historiques, sociologiques, propres à l'outre-mer. C'est une question de crédibilité, pour les victimes notamment, qui doivent sentir qu'elles sont prises en compte.

L'aménagement ne doit pas être automatique. Nous sommes pour l'individualisation. Il faut penser au personnel chargé de l'exécution de ces peines.

Un dernier mot pour les surveillants...

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.  - Les bureaux de vote ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - C'est compliqué dans la pratique. Des réunions interministérielles y travaillent dans la perspective des prochaines échéances. Je vous ferai parvenir une note technique.

C'est sur le personnel pénitentiaire que repose l'efficacité de notre politique. Je salue aussi la qualité du travail du contrôleur général, de l'OIP, des associations, des tribunaux, des parlementaires qui vont dans les prisons et témoignent des anomalies : toutes ces personnes, tous ces regards, ces dispositifs sont une protection pour le personnel, dont nous ne devons pas sous-estimer le dévouement, la compétence, le courage. (Applaudissements unanimes)

Le débat est clos.

La séance est suspendue à midi et quart.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 15 heures.

Questions d'actualité

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

À quand une autre politique ?

Mme Marie-France Beaufils .  - Le monde du travail est soumis à la violence de la fermeture des sites, comme à Florange ou à Petroplus, comme à celle des actionnaires de Peugeot qui viennent de s'accorder 370 millions de dividendes alors que l'entreprise supprime 11 000 emplois.

Le passage en force du Gouvernement sur la soi-disant sécurisation de l'emploi comme son opposition soudaine à l'amnistie des salariés en lutte, pourtant votée par le Sénat, sont des signes très négatifs envoyés à tous ceux qui n'ont que leur travail pour vivre. Les chiffres du chômage augmentent et le pouvoir d'achat est en berne, pour la première fois depuis trente ans, ce qui frappe surtout les plus pauvres. Or, vous continuez à prôner la politique inscrite dans le pacte de stabilité européen, que de plus en plus de pays considèrent comme un carcan contre-productif. N'est-il pas temps de changer de cap ? Ceux qui, par leur rassemblement, ont chassé Nicolas Sarkozy du pouvoir ne se retrouvent pas dans votre politique. Il est temps de redonner le goût de la victoire à ceux qui l'ont rendue possible le 6 mai.

Quand allez-vous agir en France et en Europe pour définir une autre politique, afin de retrouver la voie de la croissance, faite de dépenses publiques efficaces, de justice sociale et de mobilisation des forces du changement ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget .  - Votre question est intéressante : la politique économique doit réaliser la difficile synthèse entre le rétablissement de nos finances publiques et le retour de la croissance, sans perdre de vue ni la justice sociale, ni la politique industrielle qui permet de lutter contre le chômage.

On ne peut imputer à l'Europe l'obligation de rétablir nos comptes publics. Ce n'est pas sa responsabilité si la dette de la France a été multipliée par deux ces dernières années ; ce n'est pas sa responsabilité si la dépense publique n'a pas été maîtrisée au point que le déficit structurel a augmenté de deux points entre 2007 et 2012 ; ce n'est pas plus sa responsabilité si le déficit de notre commerce extérieur a atteint un niveau inégalé.

En rétablissant nos comptes, nous évitons des attaques spéculatives qui mettraient en péril notre souveraineté et auraient des effets récessifs considérables. Un point d'intérêt supplémentaire, c'est 2 milliards d'euros de plus à rembourser la première année...

Le rétablissement des comptes n'est pas antinomique de la croissance et de l'investissement : je pense aux 20 milliards d'euros pour le numérique, au Grand Paris, à la construction de logements. Enfin, nous menons une politique sociale et fiscale juste. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et écologistes)

Politique économique du Gouvernement

Mme Françoise Laborde .  - La semaine dernière, le Premier ministre a annoncé que les 35 mesures du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi sont toutes engagées ; hier, la BPI et le CICE, demain, l'accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi, dispositifs que le RDSE a soutenus. L'essentiel aujourd'hui est de maintenir le cap, le pacte est un tout cohérent. Il faut continuer à mettre en oeuvre les 35 mesures pour retrouver la croissance et des marges de manoeuvre. Toutes les composantes de la majorité et de l'opposition doivent être conscientes que c'est une question d'intérêt national.

Comme l'a dit le Premier ministre, le redressement du pays ne se fera pas en un jour ; cela a pris dix ans à l'Allemagne. La politique volontariste de la France n'a de sens que si elle est mise en cohérence au niveau européen. La coordination des politiques économiques, une politique active de la BCE pour faire baisser l'euro sont indispensables pour restaurer la confiance et la croissance. Pouvez-vous informer le Sénat sur la mise en oeuvre de ces 35 mesures et la suite du calendrier parlementaire, et réaffirmer la détermination du Gouvernement à poursuivre sur un chemin exigeant ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget .  - Pour rétablir la croissance, il faut effectivement agir tant en France qu'au niveau de l'Union européenne. Les institutions bancaires assainies, l'union bancaire va accélérer. La BCE a mis en place un dispositif d'intervention sur le marché secondaire des dettes souveraines, ce qui a fait baisser les taux d'intérêt. Il faut amplifier la remise en ordre de la finance pour la mettre au service de l'économie réelle et lutter contre la fraude fiscale.

Vous avez rappelé la déclaration du Premier ministre sur les 35 mesures du pacte. Nous accélérons leur mise en oeuvre, avec le CICE et la BPI ; les entreprises pourront bénéficier dès 2013 de 85 % du crédit d'impôt. Les banques privées pourront, grâce à la garantie de la BPI, intervenir utilement. Enfin, sous l'impulsion de Mme Pellerin et de M. Montebourg, les filières et entreprises innovantes seront aidées. Les prochaines assises de l'entreprenariat témoigneront de la mise en oeuvre de tous ces dispositifs. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

« Murs des cons » du Syndicat de la magistrature

M. Antoine Lefèvre .  - (Applaudissements à droite) Je reviens sur la publication par le site Atlantico du « mur des cons », où figurent nombre de responsables de droite, de syndicalistes policiers ou de magistrats. (Mouvements divers sur les bancs socialistes) Cette affaire en dit long sur les rapports entre police et magistrats.

Plusieurs voix à droite.  - Ce n'est pas drôle !

M. Antoine Lefèvre.  - Plus consternant encore, y figurent aussi des parents de victimes de récidivistes, l'une violée et tuée par Guy Georges, l'autre tuée dans un RER. Ces parents ont commis la faute suprême : militer contre la récidive...

Vous avez répondu hier à Luc Chatel qu'aucune entrave ne sera faite aux procédures que les personnes visées engageraient. Encore heureux ! La présidente du CSM parle d'actes gratuits et de blagues de potaches. Mais nous ne sommes pas en présence de lycéens, mais de professionnels qui doivent juger en toute impartialité, libérés de toute idéologie politique.

Cette dérive pose question et peut entretenir la suspicion. Je n'entends pas stigmatiser la magistrature mais seulement le comportement de certains, qui oublient l'indépendance dont ils se montrent d'ordinaire si jaloux. Cette affaire n'est pas « malheureuse », comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux, mais une faute grave. Le ministère public peut prendre l'initiative de l'action publique ; faites-le ! (Applaudissements à droite)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - J'ai dit à M. Chatel que cet acte est inadmissible, j'ajoute qu'il est insupportable, stupide et malsain (« Très bien ! » à droite) et qu'il est temps que le Syndicat de la magistrature se rende compte que la période malsaine est passée. Ce syndicat a pris le risque de porter atteinte à l'image de neutralité de la magistrature. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je veux en tout cas distinguer le corps de la magistrature de ceux qui se sont abaissés à cet acte.

Comme garde des sceaux, je ne peux méconnaître la loi. On ne peut pas considérer cet acte comme une faute disciplinaire, alors qu'il a été commis dans un local syndical et révélé par des images volées. J'ai saisi le Conseil supérieur de la magistrature afin qu'il apprécie s'il y a dans cette affaire un manquement à la déontologie. L'important est que les magistrats soient débarrassés de toute suspicion sur leur impartialité. (Marques d'approbation et applaudissements sur la plupart des bancs)

Sort de la raffinerie Petroplus

M. Hervé Marseille .  - Où sont l'État, le Gouvernement, le président de la République ? C'était le candidat François Hollande qui posait ces questions à Florange il y a un an - autant dire une éternité. Ces questions, nous les posons aujourd'hui. M. Montebourg a affirmé que l'État pouvait beaucoup. Mais la dure réalité est là : Florange et Petroplus vont fermer, comme Goodyear, PSA à Aulnay, Virgin. Hier, à Florange, un cimetière des espoirs déçus a été inauguré à Florange, après quoi la stèle a été retirée par le maire socialiste de la commune...

Que fait le Gouvernement ? Rien, sinon prendre acte des fermetures, des licenciements et de son impuissance. Puisqu'il y a un ministère du redressement productif, à quoi sert-il ? Quelle est la stratégie industrielle du Gouvernement ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif .  - Vous évoquez un dossier parmi tant d'autres. « Petroplus, c'est réglé ! » Qui a prononcé ces mots ? Nicolas Sarkozy ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; exclamations à droite) Nous, nous n'avons pas dit que c'était réglé (exclamations à droite) parce que nous connaissions les difficultés du dossier. Il fallait trouver un repreneur capable de mettre un demi milliard sur la table et de supporter une perte de 50 millions par an jusqu'à la restructuration du site, du pétrole qui ne viole pas l'embargo. Nous nous sommes démenés pour en trouver un, mais nous n'y sommes pas parvenus. Il valait mieux ne pas céder Petroplus à un repreneur qui, après avoir asséché la trésorerie, aurait été incapable de financer un plan social - que nous avons amélioré. Quand Shell s'est débarrassé de Petroplus en 2008, vous n'avez rien fait !

À quoi sert mon ministère ? À sauver des centaines d'emplois ! Les Alsaciens, les Normands, les Auvergnats, les Nantais, après le sauvetage des chantiers STI, le savent ! (applaudissements sur les bancs socialistes ; exclamations indignées à droite) Ce ne sont pas des dossiers très médiatisés, mais ils illustrent notre persévérance ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite)

Enseignement de la morale laïque à l'école

M. Jacques-Bernard Magner .  - Vous voulez une nouvelle discipline du cours primaire à la terminale, monsieur le ministre, la morale laïque. Depuis l'instruction civique de Jules Ferry, divers enseignements ont été dispensés en ce domaine qui ont tous le même but : l'application des règles collectives selon notre modèle commun de liberté, d'égalité et de fraternité, la construction des futurs citoyens. Notre société est attachée à la liberté individuelle mais s'inquiète des replis identitaires et communautaires.

Nous saluons votre décision, monsieur le ministre. Avec la loi pour la refondation de l'école et l'embauche de 60 000 enseignants, cette nouvelle discipline complète la palette d'outils qui doivent enrayer le déclin éducatif de la France. La morale laïque sera définie par le futur Conseil national des programmes, organisme indépendant. En quoi se distinguera-t-elle de l'instruction civique ? Comment les professeurs seront-ils formés ? Comment l'évaluation sera-t-elle organisée ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale .  - L'école d'aujourd'hui, c'est la France de demain. (Marques d'ironie à droite) Le Gouvernement doit préparer l'avenir, après tant d'années où il a été sacrifié. (Exclamations à droite) L'école à trois missions, et d'abord instruire. En dix ans, la France a plongé dans les évaluations internationales, les professeurs ne sont plus formés et pas remplacés. On le doit à la majorité précédente ! (Exclamations à droite ; applaudissements sur les bancs socialistes) Nous créerons 60 000 postes d'enseignants, formerons ceux-ci, reverrons les programmes.

L'école a également une mission d'insertion professionnelle des jeunes. Nous réviserons les parcours d'orientation et de formation, installerons le conseil éducation-entreprise.

L'école a enfin pour mission de transmettre les valeurs du vivre ensemble. Dans la tradition républicaine, politique et morale sont inséparables. Il ne faut pas obéir à la loi par crainte du châtiment mais par conviction intime. La morale laïque incarne cela. Elle serait contre les orientations religieuses ? C'est l'inverse ! La laïcité permet à toutes les convictions de vivre en paix dans l'espace public. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Une morale d'État ? Non plus, bien sûr. C'est la morale laïque qui a fait que la République sociale et la République libérale se sont retrouvées lors de l'affaire Dreyfus, que liberté et justice se sont conjuguées. Le redressement économique s'accompagne nécessairement d'un redressement intellectuel et moral. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Fin de vie

Mme Corinne Bouchoux .  - Ma question concerne les modalités de notre fin de vie, sujet intime qui nous concerne tous. Comment envisagez-vous les choix de chacun de ses modes de vie quand il ne peut plus rester seul ? Que pensez-vous de l'expérience des Babayagas menée à Montreuil ? Pouvez-vous nous donner des nouvelles de la proposition 21 du candidat François Hollande qui s'était prononcé pour le choix d'une fin de vie digne pour chacun ? La loi Leonetti reste insuffisante. Quid d'un débat serein sur la fin de vie assistée, le suicide assisté ? Avez-vous un calendrier à nous proposer ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie .  - Excusez Mme Touraine, retenue à l'Assemblée nationale. Le président de la République a confié une mission au professeur Sicard qui lui a remis son rapport en décembre. Le président de la République a pris acte de la nécessité d'améliorer la prise en charge de la fin de vie : insuffisante formation des médecins, insuffisante prise en charge à domicile.

Mme Touraine et Mme Fioraso devraient annoncer des mesures pour améliorer cette prise en charge.

Le président de la République a également pris acte que malgré les apports de la loi Leonetti, la législation en cours n'était pas satisfaisante. Nous avons donc saisi le Comité consultatif national d'éthique (CCNE). (Exclamations ironiques à droite)

Il devra en particulier examiner selon quelles modalités et conditions permettre à un malade conscient et autonome d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre un terme à sa vie et comment rendre plus dignes les derniers instants d'un patient dont le traitement est arrêté à sa demande ou à celle de sa famille. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Droit de manifester et amnistie syndicale

M. Rémy Pointereau .  - Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. (« Il n'est plus là ! » à droite) Par calcul politique et pour calmer votre majorité incertaine au Sénat vous étiez prêts à amnistier les violences commises lors de conflits sociaux et ainsi à donner un permis de casser.

Mme Éliane Assassi.  - Et la casse de l'emploi !

M. Rémy Pointereau.  - Mme Taubira avait même parlé d'un acte de concorde sociale. Dans le même temps, vous cassez le droit de manifester en réprimant violemment les cortèges pacifiques contre le mariage pour tous. Le président de la République promettait d'être à l'écoute des Français et d'engager de grands débats. En réalité il y a deux poids, deux mesures : amnistie pour les casseurs...

Mme Éliane Assassi.  - ça suffit !

M. Rémy Pointereau.  - ... répression pour les manifestants ! (Exclamations à gauche)

Hier nous avons appris que le Gouvernement ne voulait plus de cette amnistie et le Conseil des ministres a adopté des projets de moralisation politique. Quel écran de fumée entre une réalité que vous refusez de voir et votre politique ? Belle coïncidence que l'amnistie et la moralisation, quand on se rappelle l'affaire DSK, le mensonge éhonté de M. Cahuzac... et l'enseignement de la morale à l'école ? En somme, faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais ! (Exclamations indignées sur les bancs socialistes) Tous ces mensonges pour asseoir un pouvoir que vous discréditez tout en discréditant toute la classe politique. Les Français ne sont pas dupes ; ils veulent que vous vous attaquiez aux vrais problèmes économiques et sociaux.

M. François Rebsamen.  - Que vous nous avez laissés !

M. Rémy Pointereau.  - Quand allez-vous redonner de la consistance au mot gouverner et cesser de rejeter la faute sur les autres ? (Applaudissements à droite)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement .  - Le Gouvernement n'a jamais été favorable à l'amnistie (Protestations à droite) parce qu'elle remet en cause les décisions de justice et vous devriez partager ce respect de la loi, quel que soit le sujet.

Vous doutez de la cohérence de l'action du Gouvernement. Le temps du bilan n'est pas venu mais je suis prête à me livrer à cet exercice. (Exclamations sur les mêmes bancs)

Le Gouvernement applique les engagements du président de la République (vives protestations sur les mêmes bancs) dans la cohérence, pour redresser le pays dans la justice.

M. Alain Gournac.  - Et la moralité !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Il faut du courage pour ce faire et vous en avez manqué. (Exclamations ironiques à droite) Grâce à notre sérieux budgétaire, le premier poste du budget n'est pas le remboursement des intérêts de la dette mais la justice, la santé, l'éducation. Nous menons la bataille de l'emploi. (Protestations croissantes à droite)

Plusieurs voix à droite.  - Des mots !

M. Éric Doligé.  - C'est le mensonge permanent !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Nous avons le courage de faire avancer la société en adoptant des réformes d'égalité pour faire grandir la devise de la République : liberté, égalité, fraternité. Et vous, monsieur le sénateur, aurez-vous le courage d'adopter nos réformes ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite)

Politique en faveur de l'autonomie des personnes âgées

M. Yves Daudigny .  - Ma question s'adresse à la ministre des personnes âgées.

Votre ministère est celui des bonnes nouvelles. Vous avez annoncé 200 millions d'euros de crédits nouveaux pour les personnes âgées. Autre bonne nouvelle : le résultat de votre action pour réduire la non-consommation des crédits. Le changement d'approche est radical avec le catastrophisme du précédent gouvernement. (« Encore ! » à droite)

Vous avez compris les potentialités de croissance des secteurs concernés qui créeront en particulier des emplois non délocalisables de services à la personne.

M. Alain Gournac.  - Tout va bien !

M. Yves Daudigny.  - Pouvez-vous préciser votre programme ? Il y a là un formidable challenge avec la silver economy pour l'avenir économique de la France et le bien-être de la population. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie .  - Oui, mon ministère est porteur d'avenir, d'innovation et de bonnes nouvelles.

M. Éric Doligé.  - Il n'y a pas d'argent !

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée.  - Le plus grand progrès du XXe siècle, l'allongement de l'espérance de vie, est une chance pour notre pays et pour nos entreprises. Nous avons tous les atouts pour cela. Le Gouvernement, pour qui c'est une priorité, prépare un projet de loi qui comporte un volet d'anticipation dont les entreprises seront les partenaires. Nous disposons d'un tissu industriel performant et de plusieurs leaders mondiaux dans la domotique. Il faut à ce secteur une organisation, il faut définir des priorités, trouver des financements d'amorçage. C'est ce que nous avons entrepris hier à Bercy avec Arnaud Montebourg avec les 700 partenaires présents de la silver economy. Nous avons les moyens de faire de cette filière un atout pour notre pays. Ce secteur connaît d'ailleurs 15 % de croissance aux États-Unis. La révolution de l'âge est en marche ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

L'action de groupe au service des consommateurs

M. Alain Fauconnier .  - Il y a deux ans, la majorité de gauche du Sénat introduisait par amendement l'action de groupe dans un texte présenté par l'ancien gouvernement, qui permet aux consommateurs d'obtenir une juste indemnisation. Le précédent gouvernement s'y est opposé. Le président de la République a promis d'instaurer cette action de groupe. Le 14 novembre, le Gouvernement l'a approuvée en conseil des ministres. Vous vous apprêtez à présenter au Parlement ce projet de loi. En quoi consistera l'action de groupe à la française ? Comment répondre aux inquiétudes des entreprises sur les excès des recours collectifs observés ailleurs ? (Applaudissements à gauche)

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation .  - Le conseil de la concurrence a imposé, le 19 septembre 2000, des sanctions lourdes dans le secteur bancaire pour entente anticoncurrentielle ; il a sanctionné, le 1er décembre 2005, trois opérateurs de téléphonie mobile pour la même raison. Pourtant, les seules personnes qui n'ont pas été indemnisées sont les consommateurs. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, ont, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas de commenter, sursis à statuer. Nos allons mettre en oeuvre l'action de groupe. Il faut inverser la logique du pot de fer contre le pot de terre. Ces actions de groupe, à travers les associations agréées, permettront aux consommateurs de porter des procédures devant des tribunaux d'instance spécialisés pour obtenir réparation des préjudices subis, Grâce à l'action de groupe à la française, la rente économique accaparée par les entreprises sera rétrocédée aux consommateurs sous forme de pouvoir d'achat.

J'espère que tous les groupes parlementaires, vu l'engagement des précédents présidents de la République, voteront ce projet. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Attentat à Tripoli

M. Robert del Picchia .  - Ma question s'adressait au ministre des affaires étrangères, qui accompagne le président de la République en Chine. L'explosion d'une voiture piégée à Tripoli pose des questions et inquiète nos compatriotes à l'étranger, particulièrement ceux qui travaillent dans notre réseau diplomatique. M. Fabius s'est aussitôt rendu sur place, une unité du GIGN a été envoyée, la sécurité a été renforcée dans toutes nos représentations au Moyen-Orient et au Sahel. Il y a des menaces d'al-Qaïda contre la France. Cette attentat n'était-il pas la mise à exécution de ces menaces? Toutes les précautions avaient-elles été prises ?

M. Alain Gournac.  - Non ! (Marques d'indignation sur les bancs socialistes)

M. Robert del Picchia.  - Nous ne pouvons que nous inquiéter des conséquences de cet attentat sur nos entreprises et sur notre capacité à travailler en Libye, sur le développement des relations franco-libyennes. Il ne faut jamais céder au terrorisme. Je rends hommage aux deux gendarmes blessés à Tripoli et aux forces de sécurité au service de nos concitoyens dans le monde. (Applaudissements à droite)

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - La sécurité de nos ressortissants est une priorité du ministère des affaires étrangères. Laurent Fabius est immédiatement allé à Tripoli après l'annonce de l'attentat pour exprimer notre solidarité à nos agents consulaires et à notre petite communauté française qui participe à la reconstruction de la Libye. Les mesures de sécurité ont été renforcées. L'école et l'institut ont été fermés. Une unité du GIGN est à la Chancellerie. Les ressortissants français ont été invités à ne pas sortir, en attendant de nouvelles consignes. Les Libyens sont les premières victimes du terrorisme. Laurent Fabius a mobilisé la communauté internationale. Nous allons former 3 000 policiers libyens. L'Union européenne aussi va intervenir. Les actes de violence barbare sont le fait d'extrémistes bafouant les idéaux du printemps arabe.

Cet attentat n'a pas été revendiqué. Plusieurs hypothèses sont possibles. Nous ne céderons jamais à la violence. Les auteurs de ces actes seront retrouvés, jugés et punis. Une enquête a été ouverte à Paris et confiée à un juge antiterroriste. Nous remercions les autorités libyennes pour leur soutien. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 20.

Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi ce jour, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports. Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Débat sur la politique européenne de la pêche

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique européenne de la pêche.

M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC .  - Ce débat intervient après le Conseil européen de la pêche qui s'est tenu le 22 avril. Où en sont les négociations à Bruxelles ? La France a le deuxième espace maritime du monde mais elle n'est qu'au quatrième rang européen pour la pêche, avec 10 % des captures. Ce secteur d'avenir, bien qu'en pleine mutation, représente 80 000 emplois directs et induits en France. Le déficit de la balance commerciale de l'Union européenne a doublé en trente ans ; l'Union importe désormais 65 % des poissons qu'elle consomme. La France a des atouts considérables, mais il faut préserver les stocks.

Depuis de nombreuses années, le Sénat s'est régulièrement penché sur ce dossier. Il a produit de nombreux rapports, notamment à la suite du Livre vert de Bruxelles. Nous avons créé un groupe de travail avec, en juin 2012, une proposition de résolution sur la politique européenne de la pêche, proposition adoptée le 3 juillet 2012 par le Sénat unanime.

Concernant la ressource actuelle, on est passé de 90 % de stock en surpêche à 47 %. Grâce à quoi on a pu autoriser la reprise ou l'accroissement de certaines captures. Le rendement maximal durable (RMD) est un changement d'objectif au regard de la politique commune de la pêche (PCP) de 2002, qui n'avait pour objectif que le maintien des stocks. En 2009, je disais que la surpêche n'était pas la seule cause de la raréfaction de la ressource. Élaborée dans les années 70, la PCP consistait à partager la ressource et son accès. Ensuite, on est passé à la protection. Aujourd'hui, on va encore plus loin.

Le Grenelle de la mer, voulu par M. Borloo en 2009, n'a pas été une réussite en tout point. Il faut toutefois mettre à son actif la gestion de stocks partagés entre plusieurs États membres, la création des comités consultatifs régionaux ainsi que le rapprochement entre scientifiques et professionnels de la pêche pour échanger leurs données sur la ressource.

Pouvez-vous nous confirmer le rendez-vous de fin mai et l'accélération du calendrier voulu par la présidence irlandaise ? La pêche doit être durable, responsable. Les professionnels accepteraient une diminution des rejets, mais pas leur interdiction immédiate. Comment les conserver dans les bateaux ? Au débarquement, se pose la question de la transformation en farines animales. Comment seront considérés les rejets ? Seront-ils intégrés dans les quotas ? Le gouvernement français doit soutenir une interdiction progressive des rejets avec un élargissement du calendrier. Le Parlement européen y est opposé, mais ce zéro absolu est un non-sens économique.

Les bateaux devront être modernisés. Le RMD est un système de gestion à long terme, afin de reconstituer les stocks. Soyons réalistes et pragmatiques.

M. Bruno Retailleau.  - Très bien !

M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC.  - Certaines pêches sont en bonne situation, comme pour le cabillaud ou la sole. Retenir l'année 2020 serait un bon compromis.

L'accès aux données de la production était attendu depuis des années. Quelles sont les orientations pour renforcer le rôle des producteurs ?

J'en viens à la question du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Cet instrument financier doit élargir son champ d'intervention aux questions environnementales. Le Danemark souhaite aller dans cette direction. Est-ce le cas pour la France ?

Les aides à la modernisation de la flotte doivent être maintenues. On a besoin de bateaux fiables et confortables. La modernisation des navires n'entraîne pas la surpêche, bien au contraire.

Pour la gouvernance des pêches, la régionalisation n'a pas su s'imposer. La France compte sept comités consultatifs régionaux. La Commission européenne doit suivre les travaux au niveau régional, pour éviter toute renationalisation aveugle. La Vendée en est une bonne illustration.

M. Bruno Retailleau.  - Très bien !

M. Jean-Claude Merceron, pour le groupe UDI-UC.  - Scientifiques et professionnels ont su rapprocher leurs points de vue et je m'en félicite. Si les CCR sont le bon niveau pour les décisions, ils doivent bénéficier de l'expertise de l'Ifremer, qu'il faut conforter.

Les spécificités de la pêche ultramarine doivent être prises en compte. Nous devons les protéger, les aider, grâce aux aides européennes. Mayotte doit devenir une région ultrapériphérique de plein exercice au sens de la réglementation européenne. Enfin, la pêche en eaux profondes : quelle est la politique de l'Europe et de la France ?

Il reste à parvenir à un compromis pour redonner confiance à ce secteur fragile. En mars, nous étions ensemble, monsieur le ministre, pour trouver le meilleur apprenti de France. Nous avons distingué un apprenti-pêcheur : ni la France, ni l'Europe ne doivent se désespérer ! (Applaudissements)

M. Bruno Retailleau .  - Je remercie M. Merceron et son groupe pour ce débat qui tombe à point nommé. Nous parvenons au terme d'un processus entamé il y a quatre ans avec le Livre vert.

La Commission européenne présente un paquet législatif en trois phases : le règlement de base, le règlement d'organisation commune des marchés (OCM) et le FEAMP. Dans le Livre vert le Sénat avait exprimé des propositions équilibrées. Le 3 juillet 2012, nous avons voté à l'unanimité une proposition de résolution pour conforter le Gouvernement dans ses négociations. Depuis lors, le processus de codécision est en oeuvre entre le Conseil et le Parlement européen. Ce dernier exprime des positions très excessives et les discussions traînent. Le vote en commission pêche n'interviendra sans doute qu'en juillet.

Le premier volet concerne le règlement de base. Sur les concessions de pêche transférables, le danger est écarté mais les propositions étaient vraiment excessives, car cela aurait conduit à la privatisation de la ressource, ce qui aurait été dramatique pour la pêche nationale.

Le Conseil a une approche progressive et le Parlement européen une approche excessive, avec des dépassements de RMD dès 2015. On ne peut partir de la biomasse pour le RMD, ce serait bien trop brutal. Si nous devions appliquer ce dispositif, la France devrait fermer 50 % de ses pêcheries dès 2015.

Autre point d'inquiétude : la question des rejets. La Commission européenne veut que toutes les captures soient débarquées dès 2015 et le Parlement européen voudrait que la règle s'applique à toutes les espèces commercialisables. Nos pêcheurs, mais aussi nos ports et nos bateaux, ne peuvent appliquer cette disposition dans les dix-huit mois. Les collectivités locales devraient en outre payer. Ce serait de plus un encouragement à la filière minotière : est-ce vraiment ce que l'on veut ? En outre, on constituerait ainsi un marché parallèle. Le principe de zéro rejet est bon, mais son application doit être graduelle, le temps d'adapter les bateaux et les techniques de pêche. Enfin, il faudrait une tolérance autour de 10 %.

Quelle sera la position du Gouvernement sur les zones interdites de pêche ? Que penser de la capacité de la flotte voulue par les députés européens ? Le Parlement européen voudrait que les plans de gestion soient de la compétence partagée. Si c'était le cas, où irions-nous ?

Un mot sur le FEAMP : je regrette la baisse de 100 millions des crédits, mais il restera suffisamment d'argent. Cependant, les bateaux doivent être modernisés. Si l'on veut dès 2014, disposer d'une enveloppe, il faut agir très vite. Le Parlement européen devra se prononcer rapidement pour que le trilogue se prononce.

Le fonds prévoit de reconvertir des marins-pêcheurs vers d'autres métiers, cela me choque profondément. D'autant qu'après cela on va recruter des marins venus d'autres pays. Donnons plutôt des perspectives à nos marins-pêcheurs ! Nous devons avoir une vision de développement durable, afin de reconstituer les stocks, mais sans oublier la dimension sociale et économique.

Évitons une vision manichéenne de la pêche : pour sauver les poissons, il faudrait sacrifier les pêcheurs ? Non, d'autant que les prises européennes ne représentent que 5 % des prises mondiales. En outre, seule la moitié des stocks fait l'objet d'une évaluation scientifique.

La pêche, c'est beaucoup plus que la pêche. Nous avons le deuxième domaine maritime du monde ; il rassemble des richesses de tout ordre, aussi bien culturelles qu'en termes d'énergies nouvelles. Nous ne pourrons les faire valoir demain si nous sacrifions nos pêcheurs. (Applaudissements)

Mme Odette Herviaux .  - Je salue l'initiative du groupe UDI-UC et les propos techniques de M. Merceron. Nous avons besoin de mobiliser les parlementaires sur ce thème ; je regrette que ce débat n'ait pas attiré plus de sénateurs. S'il y avait une meilleure connaissance du monde des pêcheurs, nous n'en serions pas là.

La commissaire Maria Damanaki m'a dit qu'il était impossible de parler avec les Français : « Je défends, dit-elle, les poissons et vous les pêcheurs ». Un tel point de vue est dramatique ! Les pêcheurs ne sont pas fous et ils ont bien compris qu'il fallait préserver les stocks. Nous devons aller au-delà de la position du Parlement européen. Comme beaucoup, j'ai été déçue par l'attitude du Parlement européen.

M. Bruno Retailleau.  - Hélas !

Mme Odette Herviaux.  - Encore pires que celle de la Commission européenne, ses propositions sont intenables pour beaucoup de pays européens. Sur divers sujets, notre ministre a fait preuve d'une détermination qui va nous permettre d'aller vers une réforme durable. Mais la Commission européenne a ignoré les efforts faits par les professionnels de la mer et les scientifiques, ce qui est fort regrettable. Je me félicite que les eurodéputés socialistes français aient voté contre le Règlement général de la politique commune de la pêche. Nous voulons continuer à porter une ambition forte pour la pêche en France et en Europe, qui concilie l'attractivité économique de nos littoraux, l'emploi et les droits sociaux des gens de mer, une préservation des milieux et des ressources ainsi que le respect de la diversité des pratiques de pêche.

Nous approuvons le principe du RMD, mais il ne sera accepté que si les observations sont fiables, objectives et débattues avec les pêcheurs.

Une interdiction totale et brutale des rejets ne fera que déplacer le problème à quai ; on va créer une filière parallèle de farines animales et déstabiliser la chaîne alimentaire. L'Union européenne ne doit pas porter un coût d'arrêt aux pêcheries, alors qu'elle importe déjà 65 % des produits marins qu'elle consomme. Le débarquement obligatoire de tous les rejets va détruire nos entreprises de pêche et tous les emplois directs et induits. Et comment concilier l'absence de rejet avec la sécurité de nos navires et celle des marins-pêcheurs.

Comme pour le RMD, nous réclamons une mise en oeuvre progressive qui associe les professionnels de la mer. Basées sur des calendriers réalistes et respectueux des pêcheries, les propositions du Conseil nous satisfont davantage que celles du Parlement.

Nous restons aussi attentifs à la proposition de la Commission de supprimer en deux ans les chaluts de fond et les filets maillants de fond. Encore un coup de massue contre la filière, alors que cette pratique est bien encadrée. Grâce à une réduction de moitié de l'effort de pêche, on assiste à une reconstitution des stocks de lingue bleue, de sabre noir et de grenadier.

Cette réforme durable a besoin de l'adhésion des pêcheurs. Nous apportons notre soutien plein et entier au ministre de la pêche pour une appréciation réellement durable de la politique commune de la pêche, sur la base de trois piliers écologique, économique et social. Je compte sur son action lors du Conseil des 14 et 15 mai. Le montagnard que vous êtes monsieur le ministre, sait du moins ce que signifie une défense équilibrée du développement durable. (Applaudissements au centre)

M. Éric Bocquet .  - En juillet 2011, la Commission européenne a engagé la réforme de la pêche et a dressé un bilan juste de la situation, mais il nous reste à définir une autre politique prenant en compte les enjeux sociaux. Il est urgent d'harmoniser par le haut le statut des travailleurs.

Si un consensus se dégage sur une pêche durable, la méthode ne fait pas l'unanimité, notamment en ce qui concerne le RMD. Même opposition sur les rejets zéro.

Dès juillet 2012, le Sénat s'est saisi de cette question. Le Parlement européen a fait part de ses propositions et un comité de conciliation a été chargé d'aboutir à des solutions partagées. Les négociations à huis clos ne laissent que peu de place à la défense de nos principes.

Le système de droit transférable ne sera pas retenu et c'est heureux, car il aurait abouti à une privatisation et à une concentration de ce secteur. Le « zéro rejet » fait courir un risque considérable à nos pêcheries. Une phase de transition est absolument indispensable. Les instruments de pêche devraient être plus performants. M. Le Cam avait fait des propositions en ce sens.

MM. Jean-Claude Merceron et Bruno Retailleau.  - Elles étaient positives.

M. Éric Bocquet.  - Les associations caritatives devraient bénéficier des rejets débarqués. Les accidents du travail en mer sont nombreux. La concurrence déloyale doit cesser. Les syndicats de pêcheurs font des propositions simples et de bon sens. L'Europe ne peut pas faire supporter sa politique par la filière. Elle doit aider les pêcheurs et participer à la modernisation de la flotte.

Quelle sera la part du fonds commun attribuée à la France ? Il nous semble difficile de nous prononcer alors que tant d'incertitudes demeurent. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Requier .  - Comme dit la chanson : « Tous les ruisseaux vont à la mer / Quand on s'endort en y pensant / On entend gronder l'océan ... ». (« Bravo ! » et applaudissements)

La pêche est un secteur déterminant pour la vie de nos littoraux, elle fait partie de nos traditions. Nous devons la défendre contre tous ceux, notamment la Commission européenne, qui considèrent que les pêcheurs sont des pilleurs. Or ils ont intérêt à la protection de la ressource, ils sont porteurs de savoir-faire, de solutions pour une pêche durable. Pour restaurer la confiance, amis écologistes, fallait-il multiplier les communiqués triomphants après les décisions du Parlement européen ? Il n'y a pas d'un côté les amis des poissons et de l'autre ceux des pêcheurs !

La généralisation des concessions de pêche transférables a fait la quasi-unanimité contre elle. Sur la mise en oeuvre du RMD, la position du Parlement européen paraît irréaliste et méconnaît la diversité des situations. En Méditerranée, la collecte de données fiables est déjà compromise ! Et que dire de l'interdiction des rejets en mer ! L'effort aurait dû porter sur la sélectivité ; l'objectif zéro déchet va alimenter la filière des farines animales que la France rejette... Il eût été plus réaliste d'être plus progressif.

M. Bruno Retailleau.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier.  - La gestion régionalisée du FEAMP va dans le bon sens. Il doit accompagner la mutation vers une pêche plus durable, l'installation des jeunes et le renouvellement d'une flotte vétuste.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » proclame Baudelaire. Les marins la chérissent, mais ils sont de moins en moins libres. Je ne doute pas que le Gouvernement fera preuve de pragmatisme pour relever les défis de la politique européenne de la pêche. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - La réforme de la politique commune de la pêche est, si j'ose dire, un serpent de mer. Elle soulève des enjeux considérables. Nous nous approchons toutefois de la conclusion. Notre position est connue, même si elle est parfois caricaturée ; elle s'explique par un chiffre : en Europe 88 % des stocks de poissons sont surexploités. L'ancienne politique commune de la pêche a échoué, mettant en péril la biodiversité, l'alimentation mondiale et les pêcheurs eux-mêmes. Il faut changer radicalement de cap, pour aller, avec tous les pêcheurs, gros et petits, vers une gestion durable de la ressource. Nous devons définir des critères d'accès aux droits de pêche fondés sur une économie de la ressource ; mettre en place des plans de gestion à long terme, ce qui implique la collecte de données scientifiques ; gérer de façon décentralisée la politique et les moyens. C'est à la pêche artisanale que doit être donnée une priorité. Les concessions de pêche transférables que la Commission prétendait imposer auraient concentré les droits de pêche au profit de quelques-uns, au détriment de celle-ci. Nous nous félicitons que le Parlement l'ait rejeté, monsieur le ministre, j'espère que la France veillera à ce que cette avancée ne soit pas remise en cause.

L'interdiction des rejets en mer oblige les pêcheurs à rapporter à terre toutes les quantités qui ne correspondent pas aux critères de taille ou d'espèce et bien souvent ne survivent pas. Nous avons sur ce point un désaccord avec le Gouvernement. Nous souhaiterions même aller plus loin en déduisant tous les poissons débarqués des quotas. L'aide à la modernisation et à la recherche nécessite des moyens conséquents. Mais le manque de moyens du nouveau fonds est patent. Aidons les pêcheurs à moderniser leur flotte. Monsieur le ministre, où en sont les discussions budgétaires entre le Conseil et le Parlement européen ?

Une politique adaptée aux enjeux est une espèce précieuse. N'y renonçons pas ! Faisons en sorte que l'Europe, les pêcheurs et les citoyens ne reviennent pas bredouille d'une quête qui n'a que trop duré ! (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Marcel-Pierre Cléach .  - Je suis très heureux, monsieur le ministre, de vous retrouver au banc du Gouvernement. La pêche est aussi ancienne que l'humanité. Elle représente 20 % de l'apport en protéines animales de l'alimentation mondiale. Or sur notre planète, couverte à 80 % d'océans, l'homme a atteint la limite de leur exploitation. Si la question de la gestion de la pêche est mondiale, elle est aussi française et européenne. Les données scientifiques jouent un rôle crucial. La pêche fut longtemps une activité sans frein, ce n'est plus le cas désormais. Mange tes méduses dit un ouvrage récent, qui pointe le non-renouvellement des réserves halieutiques. En mer du Japon et en Méditerranée, 92 % des espèces sont surexploités. La survie du thon rouge n'est due qu'à l'application rigoureuse des limitations de captures imposées par la Commission européenne.

La PCP n'a pas donné les résultats escomptés. La Cour européenne regrette la faiblesse de la fixation des objectifs pour l'Espagne, la Pologne, le Royaume-Uni notamment. Elle pointe l'équipement des navires, la faiblesse des programmes de déclassement et souligne que la surcapacité de la pêche européenne est l'une des causes de l'échec de la PCP. Une gestion durable est indispensable, qui équilibre la flotte avec la ressource et utilise les moyens de façon plus sélective, plus sûre et mieux encadrée.

Les difficultés de la pêche française sont connues : sa spécialisation chalutière l'expose en particulier à la hausse du coût de l'énergie. Les pêcheurs, qui ont constaté le dynamisme des populations de cabillaud en Atlantique nord-est, sont peu enclins à accepter certaines décisions...

Rien ne serait pire qu'une contestation systématique ou qu'une politique d'atermoiements. Des décisions courageuses mais nécessaires à la survie de nos pêcheries doivent être prises. Les députés européens ont voté le principe de ne plus outrepasser les quotas, de respecter le RMD et d'interdire les rejets. Le Gouvernement et les parlementaires européens français de l'UMP et socialistes ont rejeté ces décisions. La nécessité d'une coopération entre scientifiques et professionnels figurait déjà dans le rapport que j'avais rédigé en 2008 pour l'OPESCT, titré Marée amère. La position française, constante, rassemble les professionnels, les parlementaires et les ministres successifs. Est-ce vraiment rendre service au monde de la pêche que d'ignorer la réalité et de gagner du temps ? Je ne le crois pas. Une gestion rigoureuse doit permettre l'atteinte des objectifs fixés.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Bien sûr !

M. Marcel-Pierre Cléach.  - La baisse de la pression de pêche doit être poursuivie dans la durée car les pêcheries sont fragiles dans le monde entier. Il y a urgence. Dans l'est canadien, le hareng et la morue ont disparu. En Namibie, on pêchait 1,5 million de tonnes de sardines en 1960, lors de la campagne d'évaluation de 2007 on n'en a pêché que... deux.

M. Jean Desessard.  - C'est significatif !

M. Marcel-Pierre Cléach.  - Oui, hélas ! Des crises traversent la profession. Mais seule une politique de vérité et de long terme permettra la restauration des stocks et la renaissance économique et sociale du secteur. Je souhaite que nous trouvions le chemin de la négociation et des adaptations nécessaires pour sauver le métier et permettre à tous les acteurs de la pêche d'envisager un avenir commun. (Applaudissements)

Mme Frédérique Espagnac .  - La pêche artisanale française connaît des difficultés, c'est vrai aussi dans les Pyrénées atlantiques. Le Parlement européen a donné en février sa vision de la réforme de la PCP ; en matière de gouvernance, il a plaidé pour une approche décentralisée et l'association de toutes les parties prenantes au processus de décision. Nos collègues socialistes au Parlement européen, notamment notre collègue Isabelle Thomas, que je salue pour le travail qu'elle mène pour la préservation de la pêche artisanale, ont proposé d'ajouter une classification des micro-entreprises et PME, ainsi que le critère du patron « embarqué ».

Plusieurs instruments doivent être articulés, pour mettre en oeuvre une véritable gestion durable et de proximité des pêcheries. Tous les dispositifs devront être accessibles au plus grand nombre. Les mécanismes d'appui doivent être opérationnels rapidement dans les situations d'urgence.

Il est temps de placer les acteurs d'une pêche artisanale, durable et à faible impact au coeur de la PCP. Accordons le droit de pêcher à ceux qui ont les pratiques les plus durables ! (Applaudissements)

M. Maurice Antiste .  - Ce débat est l'occasion de rappeler l'extrême importance de ce secteur, en particulier dans les départements d'outre-mer. La France doit à sa diversité géographique d'avoir la deuxième surface maritime du monde.

Nos marins-pêcheurs traditionnels sont parfois en difficulté face à la réglementation communautaire. Il n'est pas question de revenir sur les objectifs de la PCP, belle synthèse entre la nécessité de préserver les ressources halieutiques et les outils de travail des pêcheurs.

Le cadre européen est inadapté aux régions ultrapériphériques (RUP). La réglementation relative au temps de travail et la gestion fluctuante et inadaptée du fonds d'aide à la construction navale sont particulièrement pénalisantes pour les petits pêcheurs. En matière de temps de travail, les différents niveaux de règlementation atteignent une telle complexité qu'il est impossible de s'y retrouver. Je compte sur votre aide, monsieur le ministre, pour simplifier. Le difficile accès au crédit bancaire, les dégâts du chlordécone restent des handicaps. La plupart de nos bateaux de pêche mesurent plus de 7 mètres.

Dans nos îles, la pêche est un atout qui doit être valorisé, car elle est naturellement sélective et durable.

La réforme de la politique commune de la pêche et le futur FEAMP sont l'occasion d'adapter la réglementation aux spécificités de nos outre-mer - c'est d'ailleurs ce que disait le rapport de la Commission de 2008, « Les Rup, un atout pour l'Europe ». Il est nécessaire de s'en souvenir. Dans le cadre de la délégation à l'outre-mer, j'ai été coauteur d'une proposition de résolution sur le sujet, devenue résolution du Sénat le 3 juillet 2012.

Monsieur le ministre, il faut restaurer l'aide à la construction des navires et à l'investissement à bord, retrouver des financements publics. Pour cela, il importe de mettre à profit les instruments communautaires. Les pêcheurs de nos régions ont besoin de vous, l'Europe est sourde depuis trop longtemps à leurs cris ! Je compte sur vous et vous remercie, en restant à votre disposition pour la suite du combat. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Laurence Rossignol .  - Je suis le porte-voix du lobby des poissons, peu bruyants et peu actifs devant les sous-préfectures. (Sourires) Je ne crois pas que le monde des pêcheurs soit priori porté à veiller à la reproduction de la ressource, de même que les agriculteurs ne protègent pas spontanément les nappes phréatiques...

Nous sommes là pour réguler, dans un monde où la surpêche est le corollaire de la surconsommation ; nous consommons trop de poissons. Respectivement 80 % et 47 % des stocks halieutiques en Méditerranée et en Atlantique du nord-est sont menacés par la surpêche.

Le taux de subvention à l'activité de pêche est très élevé, de loin supérieur à celui de l'agriculture - 80% et 6 000 euros par emploi en moyenne. Subventions qui vont pour l'essentiel à la pêche industrielle et semi-industrielle. À un tel niveau, il faut penser accompagnement et transition, comme le fait Stéphane le Foll pour l'agriculture biologique.

Nous n'avons rien à perdre à soutenir la position du Parlement européen, qui vise la reconstitution des stocks à l'horizon 2020. Je ne comprends pas cette crispation sur les rejets.

Mme Odette Herviaux.  - Il faut aller sur les bateaux !

Mme Laurence Rossignol.  - Je suis légitime à m'exprimer, même si je ne suis pas pêcheur ! Un quart de ce qui est prélevé est rejeté. Les scientifiques évaluent ; l'interdiction est nécessaire, pour autant que nous ayons un débat transparent.

L'Union européenne, par souci d'équité avec les nouveaux entrants, a autorisé et contribué au développement de l'aquaculture. Quant à la pêche profonde, elle a, en six ans, épuisé 80 % des ressources en eau profonde de la zone Atlantique nord-est. Nous serions bien inspirés de soutenir les recommandations de l'ONU. Le scepticisme sur la réalité des travaux scientifiques n'est pas le meilleur service que l'on puisse rendre à cette activité si l'on veut la rendre durable. Tout cela me rappelle les retards que la planète a pris pour avoir cédé longtemps au climato-scepticisme. (MM. André Gattolin, Marcel-Pierre Cléach et Serge Larcher applaudissent)

M. Serge Larcher .  - La pêche constitue une activité essentielle dans l'ensemble des outre-mer, y compris en Guyane, seul territoire non insulaire en leur sein. Pêche coutumière, pêche côtière, hauturière : les situations sont diverses et fort différentes des pêches européennes, auxquelles on ne peut les assimiler. Nous avons le plus grand mal à faire admettre cette réalité à Bruxelles. Notre délégation à l'outre-mer a pris l'initiative d'une résolution européenne en mai 2012, confiée à nos deux excellents rapporteurs, MM. Antiste et Revet. Qu'en est-il advenu ? Il semble que la Commission européenne, tout en faisant quelques concessions de principe, refuse obstinément l'insertion dans le Règlement de base de l'article 349, socle juridique de la spécificité de l'outre-mer. La France propose, non sans ambition, la constitution d'un comité propre aux RUP. Comme il n'existe pas, outre-mer, d'évaluation fiable de la ressource, l'appel à la modernisation des équipements reste une pétition de principe.

Le retard du processus de révision du Règlement FEAMP nous préoccupe. La France ne pourrait-elle demander une enveloppe dédiée à la zone de convergence, assortie de conditions assouplies et de mécanismes d'avance de fonds ? La rumeur enfle d'une modification en profondeur du Posei agricole, qui fragiliserait la position française. Avec le cadre des aides de minimis, la pêche artisanale sera mise en difficulté.

Monsieur le ministre, nous avons conscience de la difficulté de votre tâche, nous comptons tous sur votre vigilance, votre pugnacité pour défendre ces activités riches de sens et de lien social outre-mer. (Applaudissements)

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes .  - Je vous prie d'excuser M. Cuvillier, qui accompagne le président de la République en Chine. Vous connaissez son intérêt pour la pêche et la mer. Je l'ai croisé la semaine dernière à Luxembourg à l'occasion du Conseil consacré à la réforme de la PCP. Mon portefeuille me rend légitime pour porter sa parole dans ce débat. L'intérêt du Sénat pour ce sujet est connu.

Vous aviez constitué un groupe de travail il y a un an, regroupant des sénateurs et sénatrices de sensibilité diverses, qui a abouti à deux résolutions européennes du Sénat, adoptées à l'unanimité, l'une sur la réforme de la PCP, l'autre sur son incidence pour la pêche ultramarine.

La pêche est une activité économique importante et structurante pour notre littoral : plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires, plus de 90 000 emplois directs et induits et 680 millions pour l'aquaculture. Ce constat nous oblige, la France doit promouvoir des objectifs fondés sur le développement durable. La PCP doit permettre le maintien d'un taux d'emploi élevé. La France défend le droit social des marins-pêcheurs et la sécurité au sein des navires chère à M. Bocquet.

Dès sa nomination, le Gouvernement s'est mobilisé sur ce dossier. La PCP est très intégrée au niveau européen. Frédéric Cuvillier est particulièrement conscient des enjeux : il a participé à huit conseils « pêche », dont quatre n'ont abouti qu'à l'aube après de longues nuits de négociation. Pour la première fois, des textes importants dans ce domaine seront adoptés en codécision entre le Conseil des ministres et le Parlement européen. Si les objectifs nous rassemblent, il y a parfois des divergences dans leur mise en oeuvre. Nous sommes prêts à soutenir une accélération du calendrier, mais la forme ne doit pas primer sur le fond. Nous avons nos lignes rouges.

Le texte le plus avancé est le règlement OCM, un accord est proche sur les principaux points - renforcement des organisations de producteurs, reconnaissance des interprofessions, amélioration des informations aux consommateurs... La discussion se poursuit sur l'étiquetage ; la France n'est pas favorable à l'inclusion de la date de capture parmi les informations communiquées au consommateur. Les négociations sont plus longues et plus difficiles sur le règlement de base de la PCP.

La position du Conseil a été prise en juin dernier et fait droit aux demandes de la France. Sur le RMD, la position du Conseil est équilibrée : il sera atteint progressivement, entre 2015 et 2020, afin de tenir compte des impacts sociaux et économiques. Nous devons en effet prendre en compte la situation des pêcheries en France, qui sont le plus souvent mixtes. La transition se fera en souplesse.

J'indique à M. Gattolin que, selon la Commission, pour la surexploitation des stocks en Atlantique nord-est, nous sommes revenus de 75 % à 47 %. Nous sommes donc sur la bonne voie. Le rapprochement entre scientifiques et pêcheurs a été utile. Les travaux de l'Ifremer y ont contribué.

Le Parlement européen voudrait un règlement plus contraignant, mais il s'agit pour nous d'une ligne rouge, et M. Cuvillier l'a redit lundi à Luxembourg. Nous sommes opposés à un système de concession de droit de pêche transférable, incompatible avec notre organisation, qui entraînerait la privatisation du droit d'accès, et favoriserait la spéculation et la concentration du secteur au détriment des artisans.

Nous avons obtenu que chaque État membre pourra définir son système, conformément au principe de subsidiarité. Nous sommes donc optimistes. Nous sommes favorables à la régionalisation, pour tenir compte de l'opinion des pêcheurs qui connaissent le terrain. Une approche par grandes aires géographiques est néanmoins indispensable, même s'il faut éviter une renationalisation de la politique de la pêche. Un compromis acceptable est en vue.

Nous sommes favorables au renforcement des conseils consultatifs régionaux.

MM. Antiste et Serge Larcher sont intervenus sur l'outre-mer. MM. Cuvillier et Lurel ont défendu une meilleure prise en compte de l'outre-mer à Bruxelles. Nous avons obtenu la mise en place d'un conseil consultatif spécifique pour la pêche ultramarine et le Parlement européen soutient cette mesure. À la demande de la France, le Conseil européen souhaite que la protection des 100 milles nautiques réservée aux régions ultrapériphériques de l'Espagne et du Portugal soit étendue aux RUP françaises. Le Parlement européen ne soutient pas cette proposition, mais nous espérons que grâce à l'appui de la Commission, la raison l'emportera.

Nous voulons que les Antilles et la Guyane bénéficient du Posei pêche. Ce n'est pas chose faite, mais nous y travaillons. N'hésitez pas à saisir les parlementaires européens de cette question.

À propos de l'interdiction des rejets de poissons en mer la France s'est inquiétée d'une approche radicale. Le « zéro rejet » pose des problèmes pour l'aménagement et la sécurité des navires et pour la gestion des prises. Seule une approche réaliste permettra à la filière de s'adapter. Le Conseil accepte cette souplesse mais une majorité des États membres est favorable au principe de l'interdiction des rejets de poissons sous quotas. Cette mesure sera étalée dans le temps, jusqu'à 2018 ou 2019 selon les zones.

Le Parlement européen est beaucoup plus radical. Il veut interdire tous les rejets en mer, rapidement et avec peu de souplesse. Un compromis est donc nécessaire : il faut une approche comprise par les pêcheurs pour que la réforme soit un succès.

La présidence irlandaise veut conclure d'ici le 30 juin. La France est prête à accepter les propositions faites, sous réserve de ne pas franchir les lignes rouges.

Sur le FEAMP, le calendrier est contraint. Le futur fonds devra soutenir la modernisation des navires, réduire l'impact environnemental de la flotte, aider à la remotorisation des bateaux et à l'ajustement des capacités.

L'accompagnement du secteur permettra de relever les défis de la politique commune de la pêche. Cet instrument financier doit soutenir les organisations de producteurs et les entreprises de commercialisation, contribuer au traitement des rejets à terre et à la collecte des données.

L'enveloppe globale se monte à environ 6 milliards, en légère diminution. Le maintien de la ligne est déjà une victoire. Les négociations sont ardues, et durent depuis onze mois.

Frédéric Cuvillier est mobilisé pour faire prévaloir les intérêts de la pêche française.

Ses bonnes relations avec Mme Damanaki ont un effet facilitant. Nous comptons sur tous les députés européens mais aussi sur vous tous pour que notre pêche soit durable et responsable, créateur de richesses, et participe à un développement équilibré de nos territoires, en France et en Europe. (Applaudissements)

Le débat est clos.

Prochaine séance mardi 14 mai 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 h 30.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 14 mai 2013

Séance publique

de 14 h 30 à 18 h 30

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi

Rapport de M. Claude Jeannerot, rapporteur pour le Sénat (n° 530, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 531, 2012-2013)

2. Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 377, 2012-2013)

Rapport de M. Philippe Kaltenbach, fait au nom de la commission des lois (n° 538, 2012-2013)

Résultat des travaux de la commission (n° 539, 2012-2013)