Pupilles de l'État (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État.

Discussion générale

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille .  - L'objet du projet de loi est de mettre l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles en conformité avec la Constitution. Après un litige où étaient impliqués des grands-parents, le Conseil constitutionnel a, le 27 juillet 2012, déclaré inconstitutionnel cet article à la date du 1er janvier 2014.

Pour le conseil constitutionnel, les personnes les plus proches de l'enfant doivent être effectivement mises à même de s'opposer à l'arrêté, conformément à l'exigence du droit à un recours effectif consacré par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Faute de notification de l'arrêté, l'exercice de ce droit est rendu impossible dans le délai imparti de trente jours.

L'alinéa premier de l'article L. 224-8 est la base légale de l'arrêté d'admission et du recours contre lui ; en son absence, le risque est que toute admission de pupille de l'État se voie empêchée. Les enfants seraient privés d'un statut protecteur et tout projet d'adoption serait par conséquent impossible à mettre en oeuvre. C'est dire que ce texte est particulièrement important pour le millier d'enfants qui pourraient être admis comme pupilles en 2014, comme chaque année.

Le texte précise les personnes qui ont le droit de contester l'admission de l'enfant en qualité de pupille : les parents de l'enfant, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, des membres de sa famille ; le père de naissance ou des membres de la famille de la mère ou du père de naissance lorsque l'enfant est né sous X ; toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l'enfant.

Les députés se sont interrogés sur la possibilité pour le père de naissance ou les membres de la famille de la mère ou du père de naissance de contester l'admission quand l'enfant est né sous X et d'en demander la charge. De telles situations sont particulièrement sensibles, où peuvent s'opposer le droit de la mère au secret de son identité et le droit du père de naissance et des membres de la famille de la mère et du père de naissance à élever l'enfant. D'une part, ces personnes ne peuvent être informées de la naissance que par la mère de naissance elle-même ; d'autre part, le texte se contente d'inscrire dans la loi ce que rendent déjà possible les interprétations des juges : l'accouchement sous X ne fait plus aujourd'hui obstacle à l'établissement de la paternité ; et des arrêtés d'admission ont été annulés à la demande de grands-mères qui avaient justifié d'un lien affectif avec l'enfant. Enfin, le juge décide souverainement s'il est dans l'intérêt de l'enfant d'être recueilli par la personne qui fait recours.

Les personnes les plus proches de l'enfant devront recevoir une notification de l'arrêté. Ils ont un délai de 30 jours pour le contester. Les personnes qui ont le droit de contester mais qui n'ont pas reçu de notification ne peuvent se voir opposer ce délai. II y a en revanche une limite absolue pour l'exercice du recours, le placement de l'enfant en vue de l'adoption, conformément à l'article 352 du code civil.

L'article premier bis est en plein accord avec le projet de loi initial ; il prévoit que lors du recueil de l'enfant par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE), les personnes qui remettent l'enfant sont informées des modalités de l'admission définitive comme pupille de l'État.

Le projet de loi s'applique à tout le territoire de la République, sauf en Nouvelle-Calédonie. L'article 3 fixe son entrée en vigueur au 1er janvier 2014, date à laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité prendra effet.

La procédure accélérée est dictée par l'intérêt des enfants. Notre tâche est importante mais circonscrite. Nous aurons d'autres débats sur l'adoption. Je vous invite à adopter ce texte, voté par les députés à l'unanimité. (Applaudissements)

Mme Isabelle Pasquet, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Ce projet de loi répond à la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2012. Chaque année, un peu plus de 1 000 enfants deviennent pupilles de l'État à la suite d'un abandon. Fin 2011, 2 345 enfants avaient ce statut, dont la conséquence essentielle est qu'il ouvre la voie au placement en vue de l'adoption. C'est dire son importance. Dès lors, la possibilité pour les parents ou les proches de l'enfant de contester l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État a une importance particulière : elle leur offre une sorte de dernière chance de renouer avec l'enfant des liens que le placement rompra définitivement.

Depuis la loi du 6 juin 1984, l'arrêté d'admission est pris par le président du conseil général et peut être contesté devant le TGI. Trois catégories de personnes ont qualité pour agir : les parents, en l'absence de décision judiciaire consacrant l'abandon ou le retrait total de l'autorité parentale ; les alliés de l'enfant et toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde de droit ou de fait. Les conditions de publication de l'arrêté d'admission ont été laissées floues - ni mesure de publicité générale, ni notification individuelle aux personnes ayant qualité pour agir. C'est ce flou qu'a contesté le Conseil constitutionnel.

Ce texte répond à l'inconstitutionnalité de la disposition censurée. Quatre améliorations sont apportées à la rédaction de l'article L. 224-8. L'article premier précise que les arrêtés d'admission, lorsqu'ils n'interviennent pas à la suite d'une décision judiciaire, ne sont pris qu'à l'issue des délais de deux ou six mois prévus par la loi ; il en résultera une harmonisation des pratiques des conseils généraux. Il précise ensuite le champ des personnes ayant qualité pour agir : les parents, les membres de la famille, tout personne ayant un lien avec l'enfant et celles qui, en raison de liens particulièrement étroits, se verront notifier l'arrêté d'admission. L'ouverture du recours à la famille de naissance ne remet pas en cause le droit pour une femme d'accoucher sous X.

L'article définit, parmi les personnes ayant qualité pour agir, celles qui, en raison du lien plus étroit qu'elles entretiennent avec l'enfant, se verront notifier individuellement l'arrêté d'admission, les parents de l'enfant au premier chef. Les trois autres catégories de requérants devront avoir manifesté leur intérêt pour l'enfant auprès du service de l'ASE avant la date de l'arrêté d'admission pour qu'il leur soit notifié.

Le point de départ du délai de recours de trente jours est désormais clairement fixé à la date de réception de la notification. Enfin, la compétence du juge judiciaire est confirmée.

Cette rédaction répond parfaitement à la décision du Conseil constitutionnel.

Le placement en vue de l'adoption continue à constituer une limite absolue. Quid des recours tardifs ? Une réflexion bien plus approfondie, qui dépasse l'objet de ce projet de loi, est nécessaire. Un article premier bis a été ajouté à l'Assemblée nationale, qui renforce les informations contenues dans le procès-verbal déclarant l'enfant pupille à titre provisoire. L'article 3 fixe au 1er janvier 2014 l'entrée en vigueur du projet de loi. L'étude d'impact annexée au texte annonce des mesures d'accompagnement aux conseils généraux qui seront utiles.

Si ce projet de loi, de portée limitée, apporte une solution claire et sécurisante, je veux souligner la complexité des règles qui entourent le statut de pupille de l'État. Dispersées, elles sont d'une application malaisée, notamment dans les départements qui accueillent peu de pupilles.

Ce projet de loi apporte une réponse claire à un problème circonscrit mais c'est déjà beaucoup.

Une remise à plat du statut des pupilles de l'État, dont les dispositions sont dispersées entre le code civil et le code de l'action sociale et des familles, était nécessaire Le prochain projet de loi sur la famille pourra être l'occasion de poursuivre la réflexion sur le statut des pupilles de l'État parce que les victimes de l'insécurité juridique sont les enfants. La commission des affaires sociales a adopté ce texte à l'unanimité dans la rédaction de l'Assemblée nationale. J'espère le même consensus ce soir. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - Ce texte, limité dans son objet, n'en est pas moins important. De nature technique, il répond à une exigence du Conseil constitutionnel. Il concerne certes seulement 2 345 enfants - mais un public particulièrement vulnérable : la solidarité de la République doit s'exprimer en faveur de ceux qui n'ont pu bénéficier d'une cellule familiale sereine et épanouissante.

Les proches et les tiers ayant intérêt à agir ne sont pas toujours informés de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État. D'où la nécessité, après la décision du Conseil constitutionnel, de modifier l'article 224-8 du code de l'action sociale et des familles dont le Conseil d'État a proposé une nouvelle rédaction.

Les règles applicables n'étaient plus en accord avec la réalité sociale. Cette évolution salutaire du droit s'accompagne d'une humanisation des procédures réclamée depuis toujours par les écologistes, avec l'instauration d'un droit de visite, dans l'intérêt de l'enfant, pour le tiers ayant contesté l'arrêté d'admission. L'adoption est un souhait légitime mais ne répond pas toujours au besoin de filiation qu'éprouve l'enfant dans sa vie d'adulte. Préserver des liens avec des proches des parents peut aider au développement personnel. L'exigence de recevabilité de la demande est aussi une protection contre les recours abusifs.

Le groupe écologiste votera résolument ce texte qui comble un vide juridique dans l'intérêt de toutes les parties prenantes. (Applaudissements)

M. Ronan Kerdraon .  - Nous examinons un texte qui sécurise le statut des pupilles de l'État pour les enfants nés sous « x » ou ceux qui n'ont pas pu bénéficier d'une cellule familiale sereine et épanouissante.

Les pupilles de l'État sont sous la tutelle de l'État en vertu de l'article L. 224-1 du code de l'action sociale et des familles. Ils sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. L'arrêté d'admission, prononcé par le président du conseil général, aux termes de l'article 224-8 du code, peut être contesté par les proches, dans un délai de trente jours. Encore faut-il qu'ils soient informés...

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juillet 2012, a considéré qu'ils ne l'étaient pas suffisamment et a déclaré l'article 224-8 du code l'action sociale et des familles inconstitutionnel au 1er janvier 2014, afin de ménager un délai pour les conseils généraux.

Si nous ne faisions rien, la situation serait grave pour les enfants ; Mme la ministre l'a dit. D'après l'Observatoire de l'enfance en danger, notre pays comptait 2 345 pupilles de l'État au 31 décembre 2011. 1 007 enfants ont acquis ce statut, dont 628 nés sous X. La plupart ont moins de 8 ans, ils sont très inégalement répartis sur le territoire. La moitié des départements en ont moins de quinze chacun, le Nord, le Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis plus de cent. Près d'un tiers ne sont pas adoptés et ce sont souvent les plus « âgés ».

Une réforme était urgente. Le projet de loi précise les personnes fondées à former un recours contre l'arrêté d'admission. L'Unicef nous engage à agir en rappelant que chez nous, un enfant sur cinq est pauvre. Le texte les protègera. Le groupe socialiste le votera donc. Le code de l'action sociale et des familles, il faut le rappeler, exige une adoption rapide des pupilles de l'État. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Ce texte n'appelle pas de réserves particulières de la part du groupe UDI-UC, qui le votera donc. Je vous ferai part des commentaires de Mme Dini qui n'a pu assister à ce débat. Pourquoi attendre trois à quatre ans avant que le juge prononce l'abandon au titre de l'article 350 du code civil, délai pendant lequel l'enfant est placé en pouponnière, puis dans des familles d'accueil, au risque de séquelles. Au Québec, le délai maximal est de vingt-quatre mois pour les enfants de plus de 5 ans, dix-huit mois pour les enfants de 2 à 5 ans et douze mois pour les moins de 2 ans. Mme Dini, après la mission effectuée dans ce pays, recommande l'adoption de tels délais selon les âges.

Autre question, celle des pupilles de l'État qui sont handicapés. Ne faut-il pas favoriser leur adoption avant leur majorité en accordant aux familles une aide ? Pourquoi le Conseil constitutionnel n'a-t-il pas agi sur le harcèlement comme sur les pupilles de l'État en ménageant un délai d'application de sa décision ?

Pour finir sur une note plus heureuse, je salue la clarté du rapport de Mme Pasquet qui a été utile à nos débats. (Applaudissements)

Mme Annie David .  - Ce texte concilie deux objectifs contradictoires, celui de l'intérêt de l'enfant et celui du droit des proches.

Le projet de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale trouve un point d'équilibre, tout en répondant aux exigences du Conseil constitutionnel. Je m'associe aux propos de M. Capo-Canellas sur la différence faite par le Conseil constitutionnel dans ses décisions sur les pupilles de l'État et le harcèlement sexuel.

Même après sa réécriture, l'article 224-8 du code de l'action sociale et des familles n'indique pas de délai de forclusion. On peut conclure que le recours est possible jusqu'au placement de l'enfant en vue de son adoption mais cela crée une difficulté, parce que l'article 352 du code civil ne vise que les familles, alors que les proches qui ont assumé la charge de l'enfant, en fait ou en droit, peuvent également contester l'arrêté d'admission. La loi doit être claire et lisible par tous, en ces temps où l'on appelle à un choc de simplification.

Nous aurions aimé plus de précision tout en reconnaissant que ce texte attendu protégera des enfants aux parcours chaotiques qui ont besoin de stabilité. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, de même que l'article premier bis, l'article 2 et l'article 3.

L'ensemble du projet de loi est définitivement adopté.

M. le président.  - À l'unanimité !

Prochaine séance mardi 23 juillet 2013, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit et quart.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 23 juillet 2013

Séance publique

À 9 h 30

1. Questions orales.

À 14 h 30

2. Projet de loi organique portant actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée) (n° 719, 2012-2013).

Rapport de Mme Catherine Tasca, fait au nom de la commission des lois (n° 777, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 778, 2012-2013).

et projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer (Procédure accélérée) (n° 718, 2012-2013).

Rapport de Mme Catherine Tasca, fait au nom de la commission des lois (n° 777, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 779, 2012-2013).

À 21 h 30

3. Suite éventuelle de l'ordre du jour de l'après-midi

4. Proposition de loi fixant le nombre et la répartition des sièges de conseiller de Paris (Procédure accélérée) (n° 755, 2012-2013).

Rapport de M. Roger Madec, fait au nom de la commission des lois (n° 780, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 781, 2012-2013).