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Table des matières



Décisions du Conseil constitutionnel

Engagement de procédure accélérée

Dépôt de rapports

Commissions (Démission et candidatures)

Retrait d'une question orale

Rappel au Règlement

M. Jean Louis Masson

Questions orales

Emploi contractuel dans un syndicat mixte

Mme Catherine Troendlé

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique

Redécoupage des cantons

M. Jean Louis Masson

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique

Services publics de sécurité

M. Yves Daudigny

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique

Attribution de la médaille militaire

M. Alain Néri

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants

Armée de l'air en Charente-Maritime

M. Michel Doublet

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants

Privatisation du château de Vincennes

Mme Catherine Procaccia

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

L'hydrogène, source d'énergie

M. Jacques Mézard

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation

Filière du recyclage

Mme Esther Sittler

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation

Concessions hydroélectriques

M. Alain Fauconnier

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation

Secret fiscal et redevance de l'eau

Mme Hélène Lipietz

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation

Réglementation des boisements

Mme Mireille Schurch

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire

Lutte contre les pesticides

M. Philippe Madrelle

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire

Protection des viticulteurs contre les aléas climatiques de l'année 2013

M. Jean Besson

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire

Allocation transitoire de solidarité

M. René Teulade

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire

Centre socio-médico-judiciaire de Fresnes

Mme Laurence Cohen

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire

Extension de l'aéroport d'Orly

Mme Catherine Procaccia, en remplacement de M. Christian Cambon.  -

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

Financement des maisons de l'emploi

M. Jean-Marie Bockel

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

Élèves handicapés dans l'enseignement français à l'étranger

Mme Claudine Lepage

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger

Sécurité sociale des élus locaux

M. Michel Houel

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger

Fiscalité du foncier non bâti

M. Jean-Jacques Lasserre

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger

Engagement de procédure accélérée

Commissions (Nominations)

Rappel au Règlement

Mme Éliane Assassi

Démission et remplacement de sénateurs

Débat sur les conclusions d'une mission commune d'information(Avenir de l'organisation décentralisée de la République)

Orateurs inscrits

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République

M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique

Mme Hélène Lipietz

M. Dominique de Legge

M. Aymeri de Montesquiou

Mme Mireille Schurch

M. Marc Daunis

M. Jean-Michel Baylet

M. Bruno Sido

M. René Vandierendonck

Mme Catherine Troendlé

M. Gilbert Roger

M. Philippe Dallier

Mme Michelle Meunier

M. Edmond Hervé

Débat interactif et spontané

M. René-Paul Savary

M. Michel Le Scouarnec

M. François Fortassin

M. Jean-Claude Carle

Mme Cécile Cukierman

M. Gérard Bailly

M. Bruno Retailleau

M. Jean-Claude Peyronnet

M. Jean-Jacques Hyest

Dépôt d'un rapport

Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

M. Jean-Marie Bockel

Mme Michelle Demessine

M. Robert Tropeano

M. Jacques Gautier

M. Jacques-Bernard Magner

Mme Aline Archimbaud

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants

Ordre du jour du mercredi 8 janvier 2014




SÉANCE

du mardi 7 janvier 2014

51e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président

Secrétaires : M. Jean-François Humbert, Mme Catherine Procaccia.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date des 19 et 29 décembre 2013, le texte de trois décisions qui concernent la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, de la loi de finances rectificative pour 2013 et de la loi de finances pour 2014.

Engagement de procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi relatif à la géolocalisation, déposé sur le Bureau du Sénat le 23 décembre 2013.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 8 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, la convention entre l'État et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives relative au programme d'investissement d'avenir, action « Maîtrise des technologies nucléaires ». Cette convention a été transmise à la commission des finances, à la commission des affaires économiques et à la commission du développement durable.

En outre, M. le président du Sénat a reçu de Mme la présidente du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie le rapport de cet organisme pour l'année 2013. Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

Enfin, M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre plusieurs rapports. Celui sur l'application de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et, pour information, à la commission des lois. Celui sur les prix pratiqués et la structure des coûts des liaisons aériennes de service public desservant les outre-mer a été transmis à la commission des affaires économiques.

Commissions (Démission et candidatures)

M. le président.  - J'ai reçu avis de la démission de M. Jacques Chiron comme membre de la commission de la culture. Le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence les candidats qu'il propose pour siéger à la commission de la culture, en remplacement de M. Jacques Chiron, démissionnaire, et à la commission des finances, en remplacement de M. Marc Massion, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Ces candidatures sont affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Retrait d'une question orale

M. le président.  - J'informe le Sénat que la question n°634 de M. Rémy Pointereau est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi 21 janvier 2014.

Rappel au Règlement

M. Jean Louis Masson .  - Mon rappel repose sur l'article 75 du Règlement. Le 25 octobre 2012, j'ai posé une question écrite sur le point de départ de la prescription pour le remboursement d'impôts locaux, question technique qui appelait une réponse précise. Ne recevant pas de réponse, j'ai adressé un rappel le 14 février 2013. Le 24 mars 2013, le ministère de l'intérieur a transmis ma question à celui du budget. J'ai donc repris espoir. Et voilà que je découvre dans le Journal officiel du 2 janvier 2014 une réponse qui tient en quelques lignes : « ce point de droit fait l'objet d'un examen approfondi ». Franchement, le Gouvernement se moque du monde ! Les services de l'État ont eu tout le loisir de réfléchir durant quatorze mois.

Je salue l'attention que porte le Sénat aux questions écrites et sa division des questions au sein de la direction de la séance. Je tiens néanmoins à soulever cette question publiquement. Quelque 2 000 questions écrites sont en souffrance. Que fait le Gouvernement pour respecter les délais et cesser de répondre n'importe quoi ? Quatorze mois pour ne pas répondre sur le fond !

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle vingt questions orales.

Emploi contractuel dans un syndicat mixte

Mme Catherine Troendlé .  - La loi du 12 mars 2012 relative à l'emploi de contractuels dans la fonction publique a pour objet de lutter contre la précarité et d'assouplir les conditions d'accès aux CDI. Un syndicat mixte à vocation multiple pour la gestion des déchets, dans le département du Haut-Rhin, a embauché deux chargés de mission en CDD du fait que le financement de l'Ademe n'était validé que pour cinq ans. La loi du 12 mars 2012 le met dans l'impossibilité de les renouveler. Il s'agit pourtant bien d'un accroissement temporaire d'activité.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique .  - Monsieur Masson, je relaierai, comptez sur moi, votre propos. Non, le Gouvernement ne se moque pas des sénateurs ! Les délais de réponse ont été allongés par la réduction des effectifs dans nos services. Nous y remédierons. Si j'étais encore parlementaire, je réagirais comme vous.

Madame Troendlé, l'excellente loi Sauvadet du 12 mars 2012 répondait à de légitimes préoccupations ; c'est dans cet esprit qu'elle fait obstacle au renouvellement de CDD plusieurs années de suite sans interruption. Dans le cas que vous évoquez, un emploi permanent doit être créé. Le président du syndicat mixte devrait rencontrer les autorités préfectorales locales pour étudier les pistes qui s'offrent à lui, sachant qu'un emploi public peut être supprimé. On ne saurait déroger à la loi sur un cas particulier sans la fragiliser.

Mme Catherine Troendlé.  - Certes, mais ces petites structures n'ont plus les moyens de créer de nouveaux emplois...

Redécoupage des cantons

M. Jean Louis Masson .  - Le redécoupage des cantons bouleverse des structures bicentenaires. Six mois après la promulgation de la loi, a-t-on des statistiques sur les positions qu'ont prises les départements sur les projets de redécoupage ? Au cas où le Conseil d'État annulerait un redécoupage, comment faire pour respecter quand même la date butoir du 1er mars 2014 ?

Le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions relatives au remplacement d'un conseiller départemental suppléant, laissant un vide juridique. Quelle solution avez-vous retenue à ce stade ? Comment éviter que ne se recréent les écarts démographiques qui justifient ce redécoupage ? Ne peut-on prévoir une formule d'automaticité ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique .  - M. le ministre de l'intérieur, qui regrette de ne pouvoir être parmi vous, vous fait savoir que 98 départements sont concernés par le redécoupage électoral, puisque Paris, la Martinique et la Guyane sont dans des situations différentes. Au 1er janvier 2014, 90 projets ont été transmis aux conseils généraux et 52 assemblées départementales ont rendu leur avis. Le Conseil d'État a examiné 39 dossiers auxquels il a donné un avis favorable sous réserve de modifications très ponctuelles. Aucun décret n'a été publié au Journal officiel : tous le seront entre la mi-février et début mars. Le Gouvernement tiendra le délai fixé par la loi du 11 décembre 1990, qu'il n'a pas l'intention de modifier. Notre interprétation de celle-ci est que le délai qu'elle fixe ne s'applique pas en cas d'annulation contentieuse. L'annulation d'un décret de redécoupage donnerait donc lieu à la prise urgente d'un nouveau décret.

Au cas où il faudrait pourvoir au remplacement d'un conseiller, une élection partielle serait organisée pour son seul siège, par dérogation à la règle de la parité, mais il devrait y avoir un candidat de chaque sexe.

M. Jean Louis Masson.  - Contrairement à ce qui se passe pour les questions écrites, votre réponse est très complète et satisfaisante. Je vous en remercie, même si j'aurais souhaité davantage de précisions statistiques.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Elles vous seront communiquées.

Services publics de sécurité

M. Yves Daudigny .  - Les services de la voirie départementale interviennent dans les accidents de la circulation. L'interopérabilité de leurs systèmes de communication avec ceux de la police, de la gendarmerie, d'incendie et de secours est donc un enjeu majeur ; en particulier, l'accès à l'infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT) et au réseau Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours (Antares). Celle-ci n'est prévue, pour l'heure, que dans les cas de crise et à titre expérimental. L'équipement de ces services serait certes coûteux mais l'efficacité des services publics est en cause.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique .  - L'INPT permet d'absorber les prises en charge. Forte de 104 000 terminaux, elle est utilisée par les forces de l'ordre, les services judiciaires et de défense.

Le ministre de l'intérieur souhaite une infrastructure unifiée et prépare une modification en ce sens du décret de 2006. Deux problèmes doivent toutefois être résolus, celui du coût de gestion de l'ensemble et celui de sa gestion technique par tous les acteurs. Le ministre appelle de ses voeux un partenariat étroit entre eux.

M. Yves Daudigny.  - Je salue la qualité des réponses apportées ce matin. Nous nous félicitons de la sensibilité du Gouvernement à ces questions.

Attribution de la médaille militaire

M. Alain Néri .  - De nombreux anciens combattants qui remplissent tous les critères pour recevoir la médaille militaire en sont toujours privés. Ils le ressentent comme une profonde injustice. S'il est normal que l'attribution de la Légion d'Honneur et de l'Ordre national du Mérite soit contingentée, puisqu'il n'y a pas de critères, la situation est inverse pour la médaille militaire.

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants .  - Vous connaissez mon attachement à la reconnaissance des anciens combattants. Les mesures qui figurent dans le dernier budget en témoignent.

La médaille militaire n'est pas un droit. Le contingent est décidé par le grand chancelier de l'Ordre. Les critères, vous l'avez dit, sont précis mais ils n'emportent pas nomination automatique. Les candidatures restent examinées avec la plus grande vigilance par l'autorité compétente.

J'entends votre demande ; nous veillerons à ce que le prochain décret soit le plus juste possible. Cette année correspondant au centenaire de la Grande Guerre et aux soixante-dix ans de la Libération peut fournir une occasion particulière.

M. Alain Néri.  - Je n'en attendais pas moins de vous, monsieur le ministre. Le sentiment d'injustice est grand et le vide se fait sentir dans les rangs... Or, mourir sans avoir été gratifié de la récompense à laquelle on a droit est une meurtrissure. Il est temps de rétablir la justice pour ceux qui se sont engagés pour défendre la République.

Armée de l'air en Charente-Maritime

M. Michel Doublet .  - Le Livre blanc sur la défense a suscité l'inquiétude de nombreux acteurs. La loi de programmation militaire, qui a entériné la suppression de plus de 23 000 postes, ne l'a pas atténuée.

La base aérienne 721 en particulier, siège de l'école de formation des sous-officiers de l'armée de l'air, pâtirait de la réduction de ses effectifs. Pouvez-vous nous rassurer ?

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants .  - M. Le Drian s'excuse de ne pouvoir être présent pour vous répondre. La publication du Livre blanc et l'adoption de la loi de programmation militaire s'inscrivent dans une dynamique de transformation des armées. En 2014, les bases aériennes de Charente-Maritime contribueront à hauteur de 80 postes aux efforts demandés à chacun. La base de Saintes sera rattachée à celle de Rochefort à l'été 2014 ; elles connaîtront toutes deux une déflation d'une quarantaine de postes.

Conformément à la loi de programmation militaire, les effectifs proprement opérationnels ne représenteront pas plus d'un tiers des réductions, lesquelles toucheront principalement l'administration au sens large et l'environnement des forces. La Défense veillera à préserver nos capacités d'action militaires, l'articulation entre les armées et les territoires et le respect du lien entre l'armée et la Nation.

Dans le cadre des restructurations, le Gouvernement ne prendra aucune décision purement arithmétique ou mécanique. Ne répétons pas les erreurs du passé qui ont été préjudiciables aux territoires et aux armées.

M. Michel Doublet.  - Nous tenons au maintien de la base de Rochefort.

Privatisation du château de Vincennes

Mme Catherine Procaccia .  - La nouvelle politique d'exploitation du château de Vincennes passe-t-elle par sa privatisation, comme cela a été murmuré ? Dans l'affirmative, je souhaiterais connaître la direction dont relève l'octroi de ces autorisations.

De plus, j'attire votre attention sur la nécessaire information préalable des riverains et sur les mesures à prendre contre les nuisances. Le stationnement est anarchique. (L'oratrice montre des photographies des abords du château de Vincennes)

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication .  - Dès mon arrivée au ministère de la culture, j'ai mis un terme à certaines opérations promotionnelles et de communication. Je partage également vos inquiétudes sur les nuisances qui entourent le château de Vincennes. J'ai demandé à la préfecture de police de Paris d'y remédier.

Une commission existe, qui assure la liaison entre occupants du site, riverains et collectivités territoriales mais elle ne s'est plus réunie depuis la mort de son président. Une nouvelle formation de cette commission sera bientôt mise en place ; elle sera présidée par un conseiller d'État. Les manifestations organisées au sein des monuments doivent demeurer respectueuses de ceux-ci.

Mme Catherine Procaccia.  - Merci d'être venue en personne nous rassurer sur le sort de ce château royal. Les riverains doivent être informés en amont ! Moi-même, j'ai d'abord été émerveillée par les décorations dont le château avait été paré, avant d'être alertée par les riverains. On a même vu un cirque au pied du château, sur les terre-pleins ! Ce n'est pas normal. J'espère que cette commission mettra un terme à ces abus.

L'hydrogène, source d'énergie

M. Jacques Mézard .  - L'hydrogène peut devenir une véritable source d'énergie ; pourquoi ne lui accorde-t-on pas plus d'intérêt ? C'est une énergie renouvelable. Elle ne dégage pas de CO2. Elle pourrait se substituer au gaz naturel et au pétrole, qui représentent respectivement 20 % et 43 % de notre consommation d'énergie finale.

L'Allemagne a clairement décidé de donner sa place à l'hydrogène. Une voiture peut parcourir 500 kilomètres avec un plein d'hydrogène ! Nous n'avons pas moins de compétences techniques : rien ne nous retient de faire de même ! Un rapport de l'OPECST a relevé que les principaux obstacles à l'élaboration d'une stratégie efficace résidaient dans l'attentisme des pouvoirs publics et la raideur de la réglementation...

Allons-nous enfin faire le choix de l'innovation ou laissera-t-on encore l'obscurantisme prendre le pas sur le progrès, comme pour le gaz de schiste ?

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Je serais plus à l'aise si vous m'interrogiez sur la peinture italienne de la Renaissance ! Philippe Martin a préparé à votre attention une réponse très fournie ; permettez-moi d'en faire lecture.

L'hydrogène a de multiples usages. Le ministère accompagne et encadre les filières d'éco-énergies au moyen d'un groupe de travail dédié. En 2011, l'Ademe a lancé un appel à manifestation d'intérêt sur les usages de l'hydrogène. De nombreux projets en ont émergé : chariots élévateurs à hydrogène, nouveau carburant utilisable dans les transports publics. D'autres opérations, comme la plate-forme Mission hydrogène renouvelable en Corse, valident l'intérêt de l'hydrogène comme source d'énergie.

Nous mettons tout en oeuvre pour créer une capacité stratégique en 2015-2030. Vous le voyez, nous sommes bien du côté du progrès, et non de l'obscurantisme !

M. Jacques Mézard.  - Merci pour cette réponse. Toutefois, elle reflète que l'action de l'État relève plus du bricolage que de l'action en série.

Mme Catherine Procaccia.  - La boîte à outils !

M. Jacques Mézard.  - Finalement, il ne manque qu'un Haut conseil de l'hydrogène pour parfaire le tout ! Dites-le au ministre... Nos chercheurs ont du talent, des idées, des savoir-faire. Malgré cela, nous avons accumulé beaucoup de retard. Il est temps de sortir du débat idéologique et d'en finir avec la vision éthérée des énergies renouvelables pour établir une véritable planification du développement de l'hydrogène.

Filière du recyclage

Mme Esther Sittler .  - La loi du 3 août 2009 fixait des objectifs ambitieux en matière de collecte et de recyclage des emballages ménagers : 75 % du recyclage et un financement à 80 % des coûts de service. Lors de l'agrément délivré à Éco-Emballages, Adelphe, le taux de prise en charge avait été sous-estimé. D'où une clause de revoyure qui devait intervenir mi-2012. Or, le 12 décembre 2012, la commission consultative d'agrément s'est opposée aux propositions du ministère. Quand sera appliquée cette clause de revoyure ?

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Voici un domaine que je connais un peu mieux que le précédent !

La crise et la nécessaire transition écologique doivent nous conduire à l'économie circulaire. Le recyclage des emballages n'est que de 35 % en France quand l'objectif européen est de 50 % à l'horizon 2020, objectif acté par la conférence environnementale de septembre 2013.

M. Philippe Martin souhaite répondre aux besoins des collectivités et contribuer à la filière du recyclage ; il s'attache à mettre en oeuvre la clause de revoyure dans les plus brefs délais. Je lui transmettrai votre question ; lui apporter une réponse est une impérieuse nécessité.

Mme Esther Sittler.  - Merci, il y va de l'équilibre financier des collectivités territoriales.

Concessions hydroélectriques

M. Alain Fauconnier .  - La mise en concurrence des concessions hydroélectriques, imposée par l'Union européenne, privera les pouvoirs publics de ressources importantes et de leur capacité à bâtir une politique claire. Si la France ne décidait pas son report, comme d'autres pays, quelles garanties seraient apportées aux collectivités territoriales ? Les comités de bassin seront-ils consultés ? Quelles suites donnerez-vous au rapport Battistel ? Le Parlement attend des réponses précises.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Je mesure tout l'intérêt de l'hydroélectricité, énergie décentralisée, renouvelable, source d'emplois non délocalisables dans l'Aveyron. L'État doit veiller à préserver le patrimoine national. Tout cela, dans le respect du droit que nous impose le renouvellement des concessions.

Contrairement au précédent, qui n'envisageait d'appels d'offres que concession par concession, notre Gouvernement a voulu apporter à ce problème une réponse globale. Nous devons gérer un héritage : la transformation d'EDF en société anonyme, par la loi de 2004, impose une mise en concurrence qui doit passer par des appels d'offres. Nous prendrons les mesures nécessaires pour encadrer ces procédures, sécuriser la situation du personnel et préserver les usages de l'eau. Nous entendons, tous ensemble et en lien avec les territoires, valoriser notre potentiel hydroélectrique.

M. Alain Fauconnier.  - Je ne doutais pas de votre détermination, madame la ministre. Le problème est complexe : il varie selon les bassins et touche à l'usage multiple de l'eau dans l'agriculture, le tourisme, les espaces de loisirs, et que sais-je encore. Les décisions que va prendre le Gouvernement, dont je sais l'approche différente de celle de son prédécesseur, engageront pour cinquante ans.

Secret fiscal et redevance de l'eau

Mme Hélène Lipietz .  - Depuis 2006, les redevances perçues par les agences de l'eau sont considérées comme des taxes et, comme telles, régies par le code général des impôts et couvertes par le secret fiscal. Cette opacité convient très bien aux grands opérateurs, quand les organismes publics manquent de données pour protéger, en particulier, les nappes classées en zone de répartition des eaux. Alors, que va faire le Gouvernement pour qu'ils puissent accomplir leur mission ?

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Décidément, plus la séance avance et plus je suis compétente pour répondre à vos questions !

Nous avons beaucoup parlé de ce sujet lors de l'examen de la loi de modernisation de l'action publique : il s'agit bien de redevances et un petit article 20 de la loi de finances rectificative pour 2014, votée le 20 décembre dernier, qui vous a peut-être échappé, rend possible la transmission de ces données au public, données primordiales quand l'eau est un bien commun de l'humanité.

Mme Hélène Lipietz.  - Ma question est donc obsolète ; je m'en réjouis, d'autant que ce n'était pas de l'obsolescence programmée. Le législateur a bien fait son travail.

Réglementation des boisements

Mme Mireille Schurch .  - L'acte II de la décentralisation a transféré la compétence Boisement aux conseils généraux. Celle-ci est inscrite à l'article L. 126-1 du code rural et de la pêche et à l'article L. 142 du code forestier. Le conseil général de l'Allier souhaite réduire le boisement intensif en résineux, épicéas et pins douglas de la montagne bourbonnaise.

Acidification des sols, dégradation des routes et des chemins par l'emploi d'engins disproportionnés, fermeture des paysages, disparition des forêts de feuillus, autant de nuisances crées par ces plantations allochtones. Agriculteurs, chasseurs, riverains, tous souhaitent une reconquête de ces paysages et un recul de ce type de boisement. La proposition du conseil général de l'Allier est conforme aux orientations régionales forestières. Comment, concrètement, la mettre en oeuvre ? L'article L. 124-6 du code de la pêche y fait obstacle, qui charge le préfet d'arrêter le seuil à compter duquel il y a obligation de renouvellement des peuplements forestiers.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire .  - D'abord, je vous prie d'excuser l'absence de M. le Foll. Vous l'avez dit, l'article L. 126-1 du code rural transfère la compétence Boisement aux conseils généraux « afin de favoriser une meilleure répartition des terres entre les productions agricoles, les forêts, les espaces de nature ou de loisirs et les espaces habités I. Et ce, en conformité avec le code forestier et les orientations régionales forestières. Le seuil de quatre hectares peut être ajusté après l'avis du Centre régional de la propriété forestière et de la Chambre régionale de l'agriculture.

Mme Mireille Schurch.  - Si j'ai bien compris, il est donc possible de modifier ce seuil en prenant l'avis de la Chambre régionale de l'agriculture et de la forêt. Il est tout de même normal que les agriculteurs puissent reconquérir ces espaces de moyenne montagne.

Lutte contre les pesticides

M. Philippe Madrelle .  - La France reste l'un des plus gros consommateurs de pesticides au niveau mondial, le premier en Europe. Une étude de l'Inserm vient d'en confirmer le danger. En Gironde, les familles de viticulteurs endeuillées tentent de faire connaître les méfaits résultant d'une exposition après deux décès survenus en 2009 et 2012. L'arsénite de sodium, interdite depuis 2001, tue en silence et dans l'indifférence, non sans rappeler le scandale de l'amiante.

Entre 2002 et 2010, la Mutualité sociale agricole (MSA) n'a reconnu que cinquante cas de maladies professionnelles liées à l'utilisation des produits phytosanitaires, les associations en comptent cent supplémentaires, classés sans suite par la MSA.

Garantir une belle récolte et s'exposer au danger de l'empoisonnement lent : on ne peut laisser les viticulteurs face à ce dilemme. Il importe de mieux les informer et d'accélérer la reconnaissance du caractère professionnel de ces maladies.

M. Marcel Rainaud.  - Très bien !

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire .  - Les conclusions de l'étude de l'Inserm ont confirmé, en juin dernier, les méfaits de l'usage des pesticides dans la viticulture. La commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture a proposé de créer un nouveau tableau pour les hémopathies malignes : j'ai confié à un expert le soin de proposer un tableau pour les lymphomes non hodgkiniens.

En outre, nous avons pris des mesures de prévention dans le cadre du plan Santé au travail et du plan Écophyto. Il s'agit, en particulier, de retracer les expositions anciennes dans les secteurs tels que les céréales à paille, la pomme de terre et le maïs dans un premier temps, puis dans la viticulture, le tournesol, les arbres fruitiers et le colza ensuite.

Enfin, le Gouvernement a demandé à la Commission européenne que quinze substances classées reprotoxiques de catégorie II soient incluses sur la liste des produits dont on envisage la substitution.

M. Philippe Madrelle.  - Merci, il faut agir pour que ce piège agro-chimique ne se referme pas sur les viticulteurs.

Protection des viticulteurs contre les aléas climatiques de l'année 2013

M. Jean Besson .  - En 2013, le gel d'hiver et le printemps humide ont entraîné une importante coulure -c'est-à-dire la chute des fleurs et des jeunes raisins- et de la grêle, occasionnant 50 % de pertes dans le vignoble de la vallée du Rhône. La production de grenache, cépage emblématique, a été particulièrement touchée. Se pose de nouveau la question de l'assurance individuelle des vignerons face aux aléas climatiques. À quand la reconnaissance de la coulure comme calamité agricole, au même titre que la grêle ou la sécheresse ? La survie de certaines exploitations est en jeu.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire .  - Depuis 2005, le Gouvernement soutient le développement d'une assurance récolte. Quelques chiffres : l'enveloppe publique est passée de 37 millions en 2008 à plus de 77 millions en 2013 ; en 2015, l'enveloppe annuelle sera de 77 millions pour l'assurance récolte au titre du deuxième pilier de la PAC. La question est de mieux répartir ces fonds entre les filières. Nous ferons des propositions d'ici la fin 2014 pour une couverture des risques adaptée à chaque filière. Les dommages, quand ils sont supérieurs à 30 % pour l'année, peuvent être couverts par le Fonds national de gestion des risques en agriculture.

D'autres outils existent. Fiscaux, d'abord : les viticulteurs ont la possibilité de demander des dégrèvements de taxe sur le foncier non bâti, la prise en charge des cotisations sociales ou une déduction pour aléas. Les collectivités territoriales peuvent également indemniser les risques et dommages qui ne sont pas éligibles au Fonds national de gestion des risques en agriculture. Enfin, nous avons demandé à la Fédération bancaire française d'examiner avec une extrême bienveillance les demandes de prêt en trésorerie ou d'aménagement de dette des viticulteurs.

M. Jean Besson.  - La viticulture représente 500 000 emplois, chacun le sait, et fait honneur à notre pays. Merci de votre soutien déterminé.

Allocation transitoire de solidarité

M. René Teulade .  - Sensible aux cris de détresse de nos concitoyens, le Premier ministre annonçait l'an dernier un dispositif transitoire pour venir en aide à ceux à qui l'on avait supprimé une allocation équivalent retraite pourtant promise. Le décret du 14 mars 2013, qui concrétise cet engagement, reste toutefois trop restrictif : des anciens bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite restent exclus du bénéfice de l'allocation transitoire de solidarité. On connaît l'attachement du Gouvernement à améliorer la vie des séniors : que va-t-il faire pour remédier à cette situation ?

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Touraine. La suppression de l'allocation équivalent retraite, le 1er janvier 2011, était la principale injustice de la réforme des retraites menée par le précédent gouvernement. Nous avons ramené l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les salariés concernés et 100 000 personnes pourront en bénéficier, en année pleine ; nous avons créé le contrat de génération pour l'emploi des séniors et une allocation transitoire de solidarité, effective depuis le 1er mars 2013. La situation des demandeurs d'emplois séniors nous préoccupe particulièrement. Un rapport sur cette question sera remis au Parlement avant la fin du premier trimestre 2014.

Voyez, nous avons à coeur d'améliorer le sort de nos séniors.

M. René Teulade.  - Je fais confiance au Gouvernement.

Centre socio-médico-judiciaire de Fresnes

Mme Laurence Cohen .  - Le centre socio-médico-judiciaire, qui a vu le jour en 2008 à l'initiative de la garde des sceaux de l'époque, Mme Dati, est le seul hôpital-prison existant en France. Le dispositif, coûteux, repose sur l'idée qu'il faut éloigner les criminels de la société, même une fois leur peine purgée. C'est attentatoire aux libertés fondamentales puisque les personnes sont retenues non en raison des faits qu'elles ont commis mais qu'elles pourraient commettre.

L'Observatoire international des prisons a relevé de nombreux dysfonctionnements dans cet établissement vide, après avoir accueilli quatre personnes seulement qui n'étaient ni des criminels à proprement parler ni des patients comme les autres. J'ai visité ce centre avec Christian Favier et nous avons constaté qu'aucune activité n'était proposée et que les personnels étaient très démunis. La garde des sceaux s'est prononcée, en décembre 2012, pour la suppression de la rétention de sûreté, que demandent le groupe CRC comme le groupe RDSE. Il n'est pas question d'ignorer la question difficile de la récidive ; il faut la traiter en amont, lors de la détention. Où en est-on de ce dossier ? La prochaine réforme pénale ne laisse pas entrevoir d'évolution.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire .  - Le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes est installé au sein de l'établissement de Fresnes mais fonctionne indépendamment de celui-ci. Conformément à la loi, les personnes qui y sont prises en charge font l'objet d'un suivi psychiatrique et psychologique, en partenariat avec l'hôpital Paul Guiraud de Villejuif. Des activités culturelles et sportives sont organisées, y compris à l'extérieur. Les éducateurs sont recrutés par les ministères de la santé et de la justice. Les personnes retenues font l'objet d'un suivi social et d'un accompagnement dans leur projet de réinsertion. À ce jour, quatre personnes ont été placées dans ce centre pour des durées inférieures à trois mois. Leur placement n'a pas été confirmé par la juridiction responsable. La prochaine réforme pénale concerne la petite et la moyenne délinquance. La question de la rétention de sûreté sera traitée indépendamment.

La garde des sceaux maintient ses propos sur une peine attentatoire aux libertés imposée à des personnes n'ayant pas encore commis de crime.

Mme Laurence Cohen.  - Je me réjouis de son engagement. Les locaux du centre ont beau être flambant neufs, les personnels de Fresnes ne peuvent pas répondre aux besoins de ces personnes, ni patients ni prisonniers. Le plus grand flou demeure sur leur statut. Certaines ont été menottées pour aller à l'hôpital. Plus personne, pour l'instant, n'est présent dans ce centre mais il y a eu des ratés : l'une de celles qui y sont passées n'a plus aucun lien avec les services sociaux, qui ne savent même pas où elle se trouve !

Extension de l'aéroport d'Orly

Mme Catherine Procaccia, en remplacement de M. Christian Cambon.  - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Cambon, qui a dû assister à un enterrement. Sa question intéresse tous les élus du Val-de-Marne et, au-delà, de l'Essonne et de Seine-et-Marne.

L'aéroport d'Orly a fait l'objet d'un programme d'extension de 450 millions afin d'accueillir 50 % de trafic supplémentaire. Une enquête publique a été ouverte mais son champ d'action est bien étroit.

Les élus s'élèvent contre un dépassement de l'objectif de plafonnement de cet aéroport, lié à l'augmentation du nombre de passagers, fixé à 40 millions, et craignent, en particulier avec les avions gros porteurs, l'augmentation des nuisances sonores, de la pollution de l'air et des contraintes d'urbanisme. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez reçu les représentants de l'association Ville et aéroport, qui demandent une extension de l'enquête publique : il est normal que tous les riverains soient informés et, éventuellement, rassurés...

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Le projet est connu mais, contrairement à ce que vous dites, il ne s'agit pas d'atteindre l'objectif de 40 millions de passagers mais de s'adapter à la croissance naturelle du trafic, qui devrait aboutir à 32 millions de passagers. Il s'agit de mettre Orly au niveau des standards internationaux de qualité des services rendus aux usagers, non d'accroître abusivement le trafic aérien. Le Gouvernement ne cédera pas sur le couvre-feu ni sur la limitation à 250 000 créneaux horaires par an. À ma demande, ADP a accepté de poursuivre ses démarches de rapprochement avec les maires. Nous demeurons attachés à la limitation des nuisances sonores et environnementales. La création d'un satellite d'embarquement dédié aux gros porteurs est un moyen d'optimiser les ressources, avec des avions modernes moins bruyants. Je souhaite que la concertation se poursuive et demeure attentif aux préoccupations de chacun.

Mme Catherine Procaccia.  - Vos propos sont rassurants mais nous savons que les choses vont rapidement évoluer -un rapport de l'OPECST le montre. La modernisation de l'aéroport d'Orly était nécessaire. Les inquiétudes des riverains sont légitimes et l'augmentation du trafic de gros porteurs n'est pas pour les rassurer, non plus que la diminution des recettes de la taxe sur les nuisances sonores aériennes, servant à l'insonorisation des logements, dont le champ d'application est étendu !

Financement des maisons de l'emploi

M. Jean-Marie Bockel .  - Les maisons de l'emploi et de la formation, créées en 2005, sont placées sous la responsabilité des collectivités territoriales et financées largement par l'État. Les actions qu'elles mènent réduisent efficacement les freins à l'embauche. Elles ont fait leur preuve en s'adaptant aux forces et faiblesses de leurs territoires.

Or, la réduction drastique de leurs crédits dans le budget pour 2014 -divisés par deux !- les menace grandement. Il faut les soutenir en élaborant un nouveau cahier des charges. Outre l'assurance d'une enveloppe de 10 millions d'euros, que compte faire le Gouvernement pour renforcer leur complémentarité avec Pôle emploi ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Veuillez excuser l'absence de M. Sapin. Preuve de la priorité qu'accorde le Gouvernement à la lutte contre le chômage, les crédits dédiés à l'emploi ont augmenté, en 2014, de 7 %. Après une réflexion sur le périmètre des interventions de l'État, il a été décidé de réduire ceux alloués aux maisons de l'emploi et de la formation. En cause, le manque de clarté et la très grande hétérogénéité de leurs missions.

La diminution de leurs crédits, qui sont passés de 54 millions à 26 millions, ne signifie pas que toutes les maisons verront leurs ressources amoindries ; 10 millions d'euros leur ont été alloués, fléchés sur des actions ciblées. L'arrêté du 21 décembre 2009 portant cahier des charges des maisons de l'emploi et de la formation sera modifié pour accompagner leur action. La mutualisation et le regroupement des structures en fonction des besoins des bassins d'emplois seront, en outre, encouragés.

M. Jean-Marie Bockel.  - Votre réponse contient des éléments intéressants. Élu local, vous me pardonnerez de ne pas utiliser la langue de bois : ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.

Quand nous avons lancé cette initiative, nous avons dû nous battre contre l'administration, convaincue que seul un service public centralisé pouvait s'occuper du problème de l'emploi. Nous avons créé ces maisons en nous appuyant sur des expériences préexistantes. Prenons garde à ne pas entraver la réactivité des acteurs locaux. J'ai pris note que leur situation sera examinée cas par cas car il serait dommage de faire disparaitre les maisons de l'emploi au lieu de les aider à occuper toute leur place à côté de Pôle emploi.

Élèves handicapés dans l'enseignement français à l'étranger

Mme Claudine Lepage .  - La loi du 8 juillet 2013 a constitué une avancée majeure pour l'inclusion scolaire des élèves handicapés. La hausse de 3,4 % du budget consacré au handicap en 2014 est une autre source de satisfaction.

L'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) a ainsi pu mettre en place de nombreux dispositifs et recruter de nouveaux personnels. Toutefois, l'information des familles est imparfaite ; ce sont souvent elles qui recrutent des auxiliaires de vie scolaire, dont il faut améliorer la professionnalisation. Il manque des locaux adaptés ; la formation des enseignants n'est pas assez poussée. Comment mieux accompagner les élèves handicapés à l'étranger ?

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - Le plan d'action en faveur de l'enseignement du français à l'étranger que nous avons adopté entend faire profiter pleinement les élèves handicapés résidant à l'étranger des dispositions de la loi de 2013. Notre réseau n'est pas élitiste mais d'excellence.

Les 3 048 élèves handicapés à l'étranger sont trop dispersés pour que l'on puisse créer des classes spécifiques de type CLIS ou ULIS. Une centaine d'auxiliaires de vie scolaire leur apportent leur concours. Les familles, sur critères sociaux, peuvent obtenir une aide de l'AEFE. Une adjointe au chef de service pédagogique, spécialiste du handicap, a été recrutée, qui anime des formations sur l'accueil des enfants en situation de handicap. Dix-huit stages particuliers de formation à l'attention des enseignants ont été prévus en 2013/2014.

Mme Claudine Lepage.  - L'AEFE pourrait élaborer un vade-mecum sur ces questions, notamment sur la formation des auxiliaires de vie scolaire, parfois recrutés directement par les familles. Sur le fond, j'ai bien conscience que nous ne pouvons pas proposer exactement les mêmes mesures pour les élèves handicapés dans notre réseau à l'étranger, mais il faut avancer.

Sécurité sociale des élus locaux

M. Michel Houel .  - La loi du 17 décembre 2012 affilie les élus locaux au régime général de la sécurité sociale pour l'ensemble des risques. Les indemnités de fonction des élus n'ayant pas suspendu leur activité professionnelle sont assujetties aux cotisations sociales. Alors qu'il n'existe toujours pas de statut de l'élu, la loi considère le mandat comme une activité professionnelle, alors que c'est un engagement citoyen. De plus, le coût associé à cette mesure n'est pas anodin. Entendez-vous réviser le texte ?

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - Le décret du 26 avril 2013 a fixé le seuil d'assujettissement à la moitié du plafond de la sécurité sociale ; en deçà du seuil de 1 543 euros, les élus ne seront pas concernés par les nouvelles cotisations. Leur affiliation au régime général améliorera la couverture sociale de tous.

La commission consultative d'évaluation des normes a été pleinement associée à la rédaction de ce décret, comme les associations d'élus locaux. Le Gouvernement n'entend donc pas modifier les règles.

S'agissant du statut de l'élu local, je vous renvoie à la proposition de loi Gourault-Sueur, examinée et modifiée par l'Assemblée nationale, dont la nouvelle lecture au Sénat aura lieu le 22 janvier.

M. Michel Houel.  - J'en suis heureux et vous remercie de votre réponse.

Fiscalité du foncier non bâti

M. Jean-Jacques Lasserre .  - La loi de finances pour 2013 a considérablement modifié les dispositions relatives au calcul de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la valeur cadastrale des terrains classés constructibles situés dans une commune soumise à la taxe sur les logements vacants étant majorée de 25 %. Je le constate dans mon département : cette mesure de lutte contre la rétention foncière pénalisera de nombreux exploitants agricoles, ainsi que des petits propriétaires qui ne cherchent nullement à spéculer. L'amendement adopté dans la loi de finances pour 2014, qui repousse d'un an l'application de cette mesure absurde, est insuffisant.

De nombreuses sociétés ont commencé à démarcher les propriétaires, ce qui crée une situation gênante, allant à l'encontre du but poursuivi. Le Gouvernement compte-t-il prendre des dispositions pour abandonner cette réforme ?

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - Veuillez excuser l'absence du ministre du budget. Cette mesure doit être compatible avec un aménagement durable et la préservation d'une agriculture de proximité. C'est une question sensible dans un département comme les Pyrénées-Atlantiques et Mme Espagnac l'avait signalé aussi au Gouvernement. C'est pourquoi la loi de finances pour 2014 reporte l'application de cette mesure à 2015 et introduit une dérogation pour les terrains agricoles directement exploités ou donnés à bail. Ce recentrage témoigne de l'attention que le Gouvernement porte aux agriculteurs et du souci de concilier l'agriculture avec l'objectif de libération du foncier.

M. Jean-Jacques Lasserre.  - Le report est insuffisant. Les agriculteurs ne sont pas les seuls concernés par cette mesure. Les promoteurs immobiliers ont commencé à démarcher les propriétaires qui sont dans le désarroi. Les collectivités territoriales sont dépassées et je crains que les résultats obtenus ne contredisent les objectifs initiaux. La seule solution, c'est de renoncer à ce dispositif.

Engagement de procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen de la proposition de loi visant à mettre en place un dispositif de réduction d'activité des moniteurs de ski ayant atteint l'âge de liquidation de leur pension de retraite et souhaitant prolonger leur activité au bénéfice des nouveaux moniteurs, déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 11 décembre 2013.

Commissions (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission de la culture et une candidature pour la commission des finances.

Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. N'ayant reçu aucune opposition, je proclame M. Didier Marie membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en remplacement de M. Jacques Chiron, démissionnaire, et M. Jacques Chiron membre de la commission des finances, en remplacement de M. Marc Massion, démissionnaire de son mandat de sénateur.

La séance est suspendue à 12 h 15.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 14 h 35.

Rappel au Règlement

Mme Éliane Assassi .  - Mon intervention se fonde sur l'article 36 du Règlement. Le président de la République a demandé au Gouvernement de recourir plus fréquemment aux décrets et ordonnances. Cette injonction inquiète ceux qui sont attachés au débat démocratique, facteur d'efficacité et de qualité. Même revenu de la doctrine du « coup d'État permanent », François Mitterrand n'avait jamais renié son hostilité aux ordonnances -en refusant par exemple de signer celles du gouvernement Chirac- qui privent les parlementaires du droit d'amendement. Un président de gauche n'a pas été élu pour réduire les droits du Parlement !

Là encore, on voit se creuser l'écart entre promesses et actes. Depuis 2012, avec l'utilisation abusive du vote bloqué, la généralisation au Sénat de la seconde délibération et l'encombrement de notre ordre du jour, nous travaillons dans de mauvaises conditions et nous approchons dangereusement d'une ligne rouge au-delà de laquelle la démocratie parlementaire devient virtuelle. Nous vous demandons solennellement, monsieur le président, de rappeler au président de la République et au Gouvernement que le pouvoir législatif doit être pleinement respecté dans une démocratie. Nous posons la question à François Hollande : un Parlement respecté est-il un atout pour la démocratie ou une entrave ? (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. le président.  - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement. Je transmettrai votre message.

Démission et remplacement de sénateurs

M. le président.  - J'ai reçu une lettre de M. Marc Massion par laquelle il se démettait de son mandat de sénateur de la Seine-Maritime à compter du mardi 31 décembre 2013, à minuit.

En application de l'article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par M. Didier Marie, dont le mandat de sénateur de la Seine-Maritime a commencé le mercredi 1er janvier 2014, à 0 heure. Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

J'ai aussi reçu une lettre de M. Louis-Constant Fleming par laquelle il se démettait de son mandat de sénateur de Saint-Martin à compter du mardi 31 décembre 2013, à minuit. Son siège est devenu vacant et sera pourvu selon les termes de l'article L.O. 322 du code électoral lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.

Débat sur les conclusions d'une mission commune d'information(Avenir de l'organisation décentralisée de la République)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République.

Madame la ministre, mes chers collègues, j'aurai le plaisir de vous présenter mes voeux la semaine prochaine mais je souhaite d'ores et déjà à chacune et à chacun d'entre vous une très bonne année.

Nous commençons cette première semaine de séance de 2014 par un débat sur l'avenir de l'organisation décentralisée de notre République. Nous allons donc débattre de sujets qui sont au coeur de nos préoccupations, de questions essentielles pour l'avenir de notre pays.

Notre année 2013 a ainsi été largement consacrée à l'organisation des collectivités territoriales.

M. Éric Doligé.  - Ce qu'il en reste !

M. le président.  - Nos travaux se sont achevés le 19 décembre par l'adoption des conclusions modifiées de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la modernisation de l'action publique et à l'affirmation des métropoles. Je tiens à saluer le rapporteur de ce texte, notre collègue René Vandierendonck, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que Claude Dilain, Jean-Jacques Filleul et Jean Germain, rapporteurs pour avis.

Nous avons également examiné deux propositions de loi qui ont vocation à faciliter l'action locale : la première, créant un Conseil national d'évaluation des normes, a été adoptée définitivement et à l'unanimité le 7 octobre ; la seconde, qui porte sur les conditions d'exercice des mandats locaux, que nous discuterons en deuxième lecture le 22 janvier.

Enfin, notre assemblée a approfondi sa réflexion sur l'organisation territoriale de notre pays grâce aux travaux de la mission commune d'information qu'a présidée Jean-Pierre Raffarin et dont Yves Krattinger a été le rapporteur efficace et engagé.

Ces travaux constituent un apport supplémentaire de notre Assemblée en matière de décentralisation. La délégation chargée des collectivités territoriales en a été le creuset, à l'initiative de sa présidente, Jacqueline Gourault, et avec le concours actif de nos collègues Edmond Hervé, Claude Belot, Claude Jeannerot et Jean-Claude Peyronnet. C'est donc bien sous de nouveaux auspices que nous commençons cette nouvelle année.

Orateurs inscrits

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République .  - Merci, monsieur le président, de présider vous-même cette séance.

La décentralisation a toujours été et reste pour nous un grand projet politique. Il ne s'agit pas de réfléchir au pouvoir des élus mais à la place des citoyens et à l'efficacité de la décision publique. Ce n'est pas un sujet technique mais une ambition politique : que les pouvoirs soient au plus près des citoyens et que proximité rime avec légitimité.

Qu'on se souvienne du programme de Nancy, de la République moderne de Mendès France, de la vision régionale du général de Gaulle. Tous les présidents de la Ve République, avec plus ou moins d'enthousiasme il est vrai, se sont attachés à ce que nos institutions restent accrochées au terrain.

Des progrès immenses, radicaux, ont été accomplis depuis vingt ans. Avec l'acte I de la décentralisation, le préfet, qui décidait presque de tout, est devenu un « metteur ensemble ». La vie des territoires s'est profondément transformée. L'acte II a transféré aux collectivités non seulement des compétences mais les moyens de les exercer ; l'examen des textes intéressant les collectivités territoriales a été confié en première lecture au Sénat ; le concept de chef de file a été créé ; les principes de subsidiarité et de libre administration ont été constitutionnalisés. Je salue tous ceux qui ont engagé ces réformes, avec une pensée particulière pour notre ancien collègue, le Premier ministre Pierre Mauroy, qui nous a quittés.

La crise de 2008 a marqué un coup d'arrêt. Tous les pays du monde ont engagé des programmes de relance très centralisés. Les cabines centrales du pouvoir ont partout cherché à rassembler les manettes pour agir. Ainsi, en France, du « grand emprunt » pour les investissements d'avenir.

La rationalisation budgétaire s'est imposée. On a vu émerger l'idée que les collectivités n'étaient pas assez rigoureuses et qu'on pouvait, là, chercher l'argent dont la République avait besoin... Partout en Europe, on s'est mis à penser que la décentralisation coûtait cher...

Dans ce contexte, l'acte III annoncé devait être une relance. À quels obstacles ne s'est-on pas heurté ! Face à la multiplication des textes du Gouvernement, qui donnait une impression de dispersion, de fragmentation, le Sénat a voulu revenir à une vision globale de la décentralisation. D'où la demande de constitution d'une mission commune d'information par le groupe UMP et son président, Jean-Claude Gaudin. Sans répondre à toutes les questions, nous avons voulu nous inscrire dans le temps long. Je remercie le rapporteur, M. Krattinger, et tous ceux qui ont mis la polémique de côté pour dessiner des perspectives d'avenir. Nous avons beaucoup auditionné, nous sommes allés sur le terrain, nous avons su tirer parti de la grande expérience du Sénat et des sénateurs.

Notre réflexion stratégique est fondée sur un principe : notre République a besoin à la fois d'unité et de diversité. Pourquoi, par exemple, vouloir traiter la question du travail du dimanche de la même façon dans tous les territoires ? Cependant, nous sommes des républicains ; nous voulons une République unie et rassemblée, non une France en dentelle, selon l'expression du rapporteur. Nous voulons une règle commune, qui puisse s'appliquer de manière différenciée selon les caractéristiques des territoires. Responsabilité, efficacité, réactivité : nous avons souscrit à ce triptyque formulé par le rapporteur et émis dix propositions.

Rassurons d'abord tous ceux qui se battent dans nos communes pour les citoyens. Les maires craignent la disparition des communes. Or nous avons besoin d'eux, de ces militants de la première ligne ; ce sont eux qui incarnent la République au plus près de nos concitoyens. Des fusions peuvent avoir lieu ici ou là. Mais, dans l'immense majorité des cas, les communes doivent subsister. Je ne suis pas sûr que les services rendus par la République soient aussi bon marché que ceux des communes... (Applaudissements à droite)

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information.  - On confie même aux maires la responsabilité quand il s'agit d'appliquer une circulaire un peu difficile... Quant à l'intercommunalité, elle doit être conçue comme coopérative, selon l'expression du rapporteur -j'aurais même dit collégiale.

La France a besoin d'équilibre. Alors que les inégalités territoriales s'accroissent, des espaces de solidarité sont indispensables. Et alors que la pensée urbaine devient de plus en plus dominante, il faut prêter une attention plus forte à la ruralité. Voilà pourquoi les départements sont nécessaires, ils sont l'espace où l'équilibre prend son sens. Tant que les conseils régionaux seront élus à la proportionnelle, c'est au niveau départemental que la ruralité peut être justement représentée -même avec le nouveau mode de scrutin.

M. Albéric de Montgolfier.  - Parlons-en !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information.  - À ceux qui sont tentés de supprimer les départements, y compris dans mon propre parti, je dis : vous ne supprimeriez pas une structure mais une force d'équilibre ! (Applaudissements à droite)

Conscients des nécessités de l'heure, nous proposons des économies : la suppression de tous les doublons de la décentralisation. Ainsi dans le domaine du tourisme...

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.  - C'est le Sénat qui l'a voulu !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information.  - S'il y en a autant, c'est que les niveaux de collectivités se font concurrence, le département joue à la région, l'action régionale est cantonalisée. La répartition des compétences ne suffit pas. Les espaces ne doivent pas être comparables, la région ne peut être le quatrième, le cinquième département de son territoire. C'est pourquoi nous défendons des interrégions, de taille européenne, chargées des infrastructures, des universités, de la recherche, de la stratégie économique ; qui s'occupent, en un mot, de la puissance. Sans puissance, on manque d'efficacité. Sans proximité, on manque d'efficacité démocratique. La puissance à la région, la cohésion et la proximité au département...

Un mot sur le Grand Paris : qu'une cohérence se dégage entre les départements et les grandes métropoles, j'y suis plutôt favorable. Nous ne sommes pas fanatiques du non-cumul. Nos collègues socialistes non plus... S'il s'applique, il faudra réfléchir au rôle des parlementaires dans la décentralisation. Comment imaginer, par exemple, que les préfets distribuent les dotations d'équipement des territoires ruraux sans prendre leur avis ?

Nous appelons aussi de nos voeux des lois cadres territoriales qui puissent être appliquées différemment selon les régions grâce à un pouvoir réglementaire territorial.

Tout gouvernement souhaite que le Sénat marche avec lui. Avec cette mission, nous avons voulu marcher devant ! (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République .  - Merci au président Raffarin, avec qui j'ai entretenu d'excellentes relations tout au long de cette mission, et à tous nos collègues qui ont mis de côté les joutes politiques.

Les modes de vie changent, la France change, le monde change mais nos institutions peinent à s'adapter. Aux yeux de nos concitoyens, elles paraissent lourdes et lentes, sans réactivité.

Notre organisation territoriale s'est construite sur une France immobile. La tentation est forte alors de faire table rase du passé ; c'est ainsi que certains préconisent la suppression des départements. On ne peut imaginer les collectivités du XXIe siècle comme si nous étions au lendemain de la Révolution. La ruralité, les villes ont changé ; les relations ville-campagne ont changé ; les déplacements, les populations, les technologies ont évolué. Toute organisation nouvelle deviendrait, elle aussi, obsolète après quelques années. Plutôt que tout changer, faisons en sorte que ça marche !

Tous ceux que nous avons auditionnés nous ont mis en garde contre la tentation d'une réorganisation générale par redécoupage, qui est vouée à l'échec. Ils nous ont appelé, en revanche, à rendre l'organisation actuelle plus performante, à définir plus clairement les responsabilités, à trouver les moyens de l'efficacité et de la réactivité.

Laurent Davezies et Hervé Le Bras considèrent qu'il faut une représentation dynamique des territoires tenant compte des endroits où les citoyens circulent et non plus là où ils habitent. Avec les nouvelles technologies, qui sont susceptibles de submerger rapidement nos organisations actuelles, le pouvoir sera de plus en plus aux mains des citoyens : d'où la nécessité d'un nouveau logiciel territorial, efficace, responsable, réactif, et d'une nouvelle relation entre les citoyens et les services publics de proximité.

Regardons en face les inégalités territoriales de fait et acceptons que l'action publique soit adaptée aux réalités locales. En l'absence de politiques correctrices, un sous-prolétariat territorial se développe.

La décentralisation doit être un moyen de simplification : suppression des doublons, clarification des compétences... Aux régions, la préparation de l'avenir du territoire, l'action stratégique pour donner à la France son rang dans la mondialisation ; aux départements, la cohésion sociale et la solidarité territoriale ; aux communes et intercommunalités, le lien social et l'organisation des services publics de proximité.

Quant à l'État, il doit se concentrer sur sa mission de stratège, se reconcentrer sur un nombre limité de missions régaliennes et accepter -enfin !- de se désengager par la décentralisation. C'est le voeu des élus. La France est le seul pays de l'Union européenne à avoir maintenu des services déconcentrés exerçant des compétences transférées...

Favorable à l'adaptation territoriale des lois, pourvu qu'elle ne remette pas en cause l'unité de la République, je me méfie toutefois de la création de collectivités sui generis, oublieuses du devoir de solidarité et susceptibles de créer une France en dentelle. Concilier la diversité avec l'unité de la République, voilà le défi auquel doit répondre la décentralisation.

Les doublons entre l'État et les collectivités territoriales paralysent l'action publique et la rendent incompréhensible pour nos concitoyens. Nous sommes nombreux à l'avoir constaté dans l'exercice de nos mandats locaux. J'en appelle à un choc de subsidiarité, qui supposerait la création d'un service unique contractualisé entre l'État et la collectivité dans chacune des compétences transférées -dans le domaine social ou dans celui de l'équipement rural, par exemple, du sport, du patrimoine...

Je ne suis pas favorable à la baisse des effectifs sans une réflexion préalable sur les rôles de chacun. La politique du chiffre, caricaturée par la RGPP, a fragilisé les territoires. Le guichet unique État-collectivité doit donc être précédé de l'élaboration d'un schéma d'accessibilité des territoires aux services publics.

Les régions doivent être totalement investies de compétences stratégiques pour le développement économique, l'emploi et la formation professionnelle. Dans un premier temps, huit à dix pôles interrégionaux pourraient se voir confier obligatoirement l'élaboration de schémas des dorsales de très haut débit, de l'accessibilité multimodale, de la couverture hospitalière, de l'enseignement supérieur, de l'accueil des demandeurs d'emploi...

Quant aux départements, ils ne concurrencent guère les régions puisqu'ils sont chargés de la solidarité -même si leur pertinence n'est pas aussi évidente en zone urbaine. Nous reprenons l'idée d'une conférence départementale des exécutifs car le département doit assurer la cohésion des intercommunalités. Cela marche déjà bien de façon informelle dans quelques territoires. Les intercommunalités ont souvent besoin de l'appui technique des départements.

L'intercommunalité est un remarquable outil de solidarité et de coopération ; la confrontation des idées, la mutualisation des moyens en font le lieu de faisabilité des projets. C'est la grande avancée des dernières années. Mais les intercommunalités, au service de l'action communale et des citoyens, ne sauraient remplacer les communes, ni devenir des collectivités territoriales de plein exercice. Le principe de subsidiarité s'impose là aussi.

La situation de la région capitale justifie un traitement particulier et une gouvernance spécifique. L'idée d'une collectivité réunissant à terme la zone dense et exerçant la plupart des compétences est sans doute judicieuse -M. Dallier l'appelait de ses voeux dès 2008. Il y a certainement besoin de davantage d'intégration et en même temps de solidarité infrarégionale.

Cette région, la plus riche de France, ne doit pas s'exonérer de ses obligations de solidarité à l'égard du reste du territoire.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information.  - C'est la région la plus connue de France mais elle ne doit pas oublier de rester dans la République.

La place des parlementaires dans la décentralisation se trouve modifiée par la loi relative au cumul des mandats. Nous devons réfléchir à leur rôle futur, qui pourrait être de médiation et de contrôle accru de l'action du Gouvernement. Cela nécessitera un pôle d'expertise de très haut niveau, indépendant de l'administration centrale. L'évaluation des conséquences de la suppression de la taxe professionnelle en a démontré l'utilité.

Les finances locales sont d'une incommensurable complexité, ce qui les rend difficiles à comprendre par les élus et tout à fait illisibles pour nos concitoyens. L'anxiété provoquée par ce capharnaüm digne des Shadoks obère toute capacité de prévision. Il convient de rendre la fiscalité locale dépendante de la richesse créée localement et de mettre en place une véritable péréquation.

Il faudra réformer la structure juridique et financière des EPCI. Dix formules différentes existent aujourd'hui ; oui, dix ! Nos concitoyens ne s'y retrouvent plus. Harmoniser les régimes est difficile mais nécessaire. Commençons par unifier les régimes fiscaux des communautés de communes, qui peuvent choisir entre quatre systèmes différents.

Je ne reviens pas après M. Raffarin sur le pouvoir réglementaire local et je conclus sur l'exigence d'une instruction unique. Les financements croisés sont source d'instructions multiples, un cancer proliférant. Pour chaque politique décentralisée, la collectivité principalement concernée devrait être interlocuteur unique et autorité émettrice d'instructions uniques.

Nous avons cherché à nous détacher de l'agenda politique pour établir les bases d'une France qui cherche à entrer dans la modernité tout en conservant ses traditions et ses acquis. Notre organisation administrative est le résultat de plusieurs siècles. Nous devons l'adapter à une société plus mobile, dont les besoins ont considérablement évolué, afin de garantir à nos concitoyens les moyens d'accessibilité des services publics du XXIè siècle. (Applaudissements)

M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation .  - Je me félicite de la tenue de ce débat et remercie le président Raffarin et le rapporteur Krattinger, dont je partage l'essentiel des conclusions.

La délégation aux collectivités territoriales a produit 25 rapports sur ces questions. Le rapport Krattinger reprend en partie celui de 2009, dont il était déjà cosignataire avec M. Belot.

S'agissant des collectivités d'outre-mer, la clarification des compétences est un impératif. La mise en place d'une procédure de constat de carence, la gestion coordonnée des compétences partagées, la mise en oeuvre de schémas de mutualisation sont des moyens d'y parvenir. Ces pistes n'ont pas toutes été reprises. La délégation préfère le pragmatisme au prophétisme : elle n'a jamais cherché à redessiner la carte administrative.

Le chemin de la rationalisation passe par l'intercommunalité, qui doit être étendue. Le pragmatisme commande aussi de mieux appliquer le principe d'égalité des citoyens, en adaptant les structures administratives aux besoins locaux. Le contenu de l'État régulateur reste à définir. Ce sera peut-être l'objet d'un acte IV de la décentralisation...

Le rapport de la mission commune d'information constate aussi l'importance du pouvoir normatif reconnu aux collectivités territoriales. Il faudra creuser cette question.

Le Sénat s'est récemment opposé à la création du Haut conseil des territoires. Simultanément, les assemblées parlementaires seront bientôt privées de la connaissance du terrain que confère l'exercice d'un mandat local. M. Krattinger propose de doter les assemblées d'une véritable expertise. Il faut aller plus loin.

La participation des élus locaux à de multiples commissions intéressant la vie locale mais non au vote de la loi risque de séparer vie locale et vie nationale. Cela ouvre la voie à des parlementaires hors-sol. Pour y remédier, je propose que les parlementaires veillent à l'application des lois dans leurs circonscriptions, aux côtés des représentants de l'État, en leur ouvrant l'ensemble des commissions régaliennes présidées par le préfet. Madame la ministre, qu'en pensez-vous ?

La séance, suspendue à 15 h 50, reprend à 15 h 55.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique .  - Merci de vos voeux. Veuillez accepter tous les miens. J'ai toujours autant de plaisir à travailler dans cet hémicycle et je salue l'état d'esprit qui a présidé aux travaux de cette mission commune d'information. M. Raffarin a eu raison d'insister sur le rôle joué par Pierre Mendès France et le général de Gaulle : c'est bien celui-ci qui a engagé la régionalisation.

Le Sénat a changé la physionomie du projet de loi sur les métropoles et sur Paris-métropole ; je me félicite des résultats auxquels nous sommes parvenus.

L'État a choisi de demander aux collectivités territoriales de répondre aux défis posés par les technologies et la mondialisation. Si recentralisation il y a eu, elle fut plus de fait que de droit.

Vous avez choisi le temps long, l'horizon 2025 : c'est une bonne méthode. Le maire reste le représentant de la République sur le territoire. À ce titre, il peut attenter à la propriété privée dans une procédure de réquisition de logements. S'il a un tel pouvoir, c'est qu'il est magistrat, ce que les présidents d'agglomération ne sont pas.

Vous avez insisté sur l'importance d'une intercommunalité coopérative ; je partage votre vision des choses. Faut-il envisager une élection directe des conseillers intercommunaux. (On s'y refuse à droite) Je sais que ce refus est partagé par une quasi-unanimité des sénateurs.

Les départements ont un rôle essentiel en termes de solidarité. Je veux approfondir la réflexion sur les compétences départementales, en particulier sur une compétence qui serait de solidarité territoriale. L'État peut élaborer des schémas d'accès au service public avec les départements. La clause de compétence générale s'effacerait derrière une compétence de solidarité territoriale pour les départements et de développement économique pour les régions. Je vous invite à y réfléchir ensemble, à l'occasion d'une prochaine réunion.

Une large place sera, quoi qu'il arrive, accordée au travail parlementaire, à plus forte raison au travail du Sénat dont c'est le coeur de métier.

Le tourisme est un des grands piliers économiques de la France. Avec 80 millions de visiteurs, nous avons 50 millions d'euros de valeur ajoutée ; en Espagne, les chiffres sont inverses. Une de nos grandes potentialités n'est donc pas rentabilisée au mieux.

Redécouper les régions n'est pas chose aisée. Nous avons tous en tête la piste de fusion de deux régions qui portent le même nom, avec des adjectifs différents. La consultation des citoyens doit-elle être obligatoire ? Vous l'avez voulu... Je ne suis d'ailleurs pas sûre que l'efficacité d'une région soit proportionnelle à sa dimension. Les transports et la facilité des échanges jouent un rôle important. Certaines régions allemandes sont très dynamiques quoique petites.

Nous sommes tous attachés à l'unité républicaine dans la diversité. Je partage, et le Premier ministre aussi, votre propos quand vous dîtes « adaptation des lois ». La situation n'est pas la même dans les régions où l'enjeu est la densité urbaine et dans celles où il concerne le foncier agricole. La Corse dispose de ce pouvoir d'adaptation ; il est vrai que cela ne se fait pas aisément, nous vous en expliquerons les raisons.

J'ai apprécié vos propositions sur le guichet unique. Sans doute vaudrait-il mieux parler de portail unique.

Vous avez parlé de « sous-prolétariat territorial », terrible expression qui reflète l'idée selon laquelle les chances de réussite dépendent du lieu de naissance : tous les enfants de France ne naissent pas égaux. La réforme que nous menons doit garantir la solidarité et l'égalité territoriale.

J'ai demandé l'aval du Premier ministre pour réformer la dotation globale de fonctionnement en la soumettant à un critère d'équité territoriale et de solidarité. Je pense aussi aux dotations de solidarité, sur lesquelles je sais M. Dilain vigilant.

Quant au Grand Paris, il a été décidé que l'État prendrait en charge une étude de toutes les conséquences qu'aurait une éventuelle disparition des départements de la petite couronne.

M. Philippe Dallier.  - Voilà une bonne nouvelle !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Il faut faire de même pour le redécoupage des cantons.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Je veux enfin remercier le Sénat de cette initiative et chacun de vous pour la qualité des débats. (Applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Permettez-moi d'abord de vous présenter mes meilleurs voeux.

Cet essai de perspective était une excellente idée mais il est demeuré à courte vue, à six ou sept ans, calé sur le temps législatif. Borner ainsi notre réflexion fait double emploi avec l'acte III que nous discutons en ce moment. Nous faisons la preuve de notre incapacité à penser la France de demain et de notre attachement à la France de ce soir.

La querelle des fondamentaux, sur le département par exemple, en témoigne. Le rapporteur qualifie de « dogmatiques et infondées » les positions régionalistes des écologistes. Il nous assure que « l'enracinement historique » des départements leur conférerait leur « légitimité ». À dogmatique, dogmatique et demi ! Depuis quand l'ancienneté est-elle un gage de légitimité ? Faut-il entendre que le neuf est toujours moins bon que l'ancien, que l'inventivité doit céder le pas au conservatisme, que l'imagination n'a pas sa place ?

Nous devons oser toucher à l'administration territoriale napoléonienne. Ne restons pas arc-boutés sur des positions au motif que 78 de nos collègues sont conseillers départementaux et que 35 président des départements.

M. Bruno Sido.  - Excessif donc insignifiant.

Mme Hélène Lipietz.  - Et les métropoles, elles, sont conçues avec un rôle international.

Romprons-nous avec le centralisme jacobin ? Laisserons-nous une marge d'adaptation aux spécificités locales, prélude à un fédéralisme différencié ? La Constitution le prévoit. Dépassons nos intérêts personnels et redonnons confiance à nos concitoyens, qui réclament plus de place dans la prise de décision. Nous n'avons pas besoin de médiation mais d'une refondation démocratique pour la France, pas celle de demain, celle d'après-demain.

La France compte 16 millions de bénévoles dans les associations, et 600 000 conseillers municipaux, la plupart bénévoles eux aussi. Sommes-nous assez obtus pour les croire incapables de prendre en charge la Res publica ? Ils le font déjà !

Il s'agit du sens de l'histoire. À nous d'en faire dès aujourd'hui la réalité d'après-demain !

M. Dominique de Legge .  - Trente ans après l'acte I et dix ans après l'acte II, il était temps de repenser un modèle devenu illisible.

La décentralisation ne peut consister à confier aux collectivités territoriales ce que l'État ne peut ou ne veut plus faire. Penser la décentralisation, c'est aussi penser le rôle de celui-ci. Trop souvent, par le passé, on a transféré des compétences -rythmes scolaires, police, ingénierie- que l'État ne voulait plus assurer.

La question de la possibilité d'adaptation n'est pas anodine : elle pose le problème du rôle des collectivités territoriales et de l'autorité à qui elles rendent des comptes. Il ne peut y avoir deux niveaux d'autorités, nationale et locale, totalement distinctes.

Je déplore que le rétablissement de la clause de compétence générale n'ait pas permis d'aborder la question du millefeuille territorial. Il est contradictoire de demander plus de décentralisation et de régler par la loi, uniformément, les relations entre communes et intercommunalités. Le redécoupage de la carte cantonale risque en outre de déstabiliser l'action des départements. Que deviendra l'Ille-et-Vilaine, département d'un million d'habitants, avec une métropole rennaise de 600 000 personnes ?

Les départements pourraient rassembler les effectifs des EPCI, afin de renforcer la solidarité territoriale.

Troisième et dernier point : qui dit décentralisation ne dit pas autonomie fiscale mais financière. Plus elle progressera, plus la péréquation s'imposera car les ressources fiscales ne sont pas les mêmes partout. Il appartient à l'État, garant de l'unité nationale, de veiller à l'équité et de donner aux collectivités territoriales les moyens d'exercer leurs missions. (Mme Marylise Lebranchu, ministre, approuve)

L'organisation territoriale est une affaire de choix politique. La diversité de nos territoires est une richesse. L'unité de la Nation fait sa force. Notre fil conducteur doit être la conciliation entre unité et diversité. Je tiens au rôle de l'État mais j'en appellerai aux acteurs locaux chaque fois que ce sera un gage de responsabilité et d'efficacité. (Applaudissements sur les bancs UMP)

présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président

M. Aymeri de Montesquiou .  - « La République est forte par son État mais aussi par ses territoires » : nous partageons tous ici cette idée du président Hollande.

Comme vous, j'ai la conviction que l'avenir de la France se confond avec celui de ses territoires. Clarté, efficacité et subsidiarité : tels sont les principes qui doivent régir l'organisation territoriale.

Il serait inadmissible de laisser apparaître un « sous-prolétariat territorial » dans les zones rurales. C'est localement que les attentes et besoins des citoyens peuvent être appréciés. Au lieu de décentraliser, la France s'est longtemps contentée de déconcentrer les pouvoirs, et les doublons se sont accumulés. En dix ans, le nombre d'agents locaux a augmenté de 40 %, conséquence de l'inflation normative qui a porté à 400 000 le nombre de règles dont il faut assurer l'application. Diminuez les normes et la dépense publique diminuera.

Les 550 000 élus locaux forment un maillage territorial incomparable, qu'aucune administration ne saurait remplacer.

L'intercommunalité a réussi parce qu'on lui a donné des compétences d'attribution. Le rétablissement de la compétence générale des départements et des régions, au contraire, sera source de confusion.

L'Allemagne compte moins de structures, moins de fonctionnaires. Les dépenses publiques sont plus faibles et les services publics locaux sont plus efficaces : c'est parce que le Bundesrat est composé d'élus locaux. Le non cumul ne peut être que néfaste. (M. Jacques Mézard approuve) Soyons pragmatiques et créatifs, non idéologues. Une région forte, dotée de compétences stratégiques, comme le propose le rapport Krattinger, deviendrait un acteur international.

Contrairement au président Raffarin, je ne crois pas que la solidarité relève prioritairement des départements, mais des intercommunalités. L'existence des départements, privés de moyens, se justifie de moins en moins.

Des lois-cadres territoriales assorties d'un pouvoir d'adaptation, voilà qui est de nature à rendre l'action publique plus efficace. On ne peut administrer de la même façon une métropole et une zone rurale. L'hétérogénéité du coût de la vie et des rémunérations crée une rupture d'égalité, mais peut-on envisager un smic différent en ville et à la campagne -au risque de rendre celle-ci encore moins attractive ?

Les finances locales sont devenues incompréhensibles. Unifier les formes de fiscalité intercommunales, comme le recommande le rapport, serait salutaire.

Le groupe UDI propose le triptyque : une compétence, une collectivité, un impôt. Cela rendrait l'architecture territoriale plus lisible et plus efficace.

Madame la ministre, tenez compte des travaux du Sénat ! C'est par la clarté et l'efficacité de son organisation décentralisée que notre République retrouvera sa place en Europe et dans le monde. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information, applaudit aussi)

Mme Mireille Schurch .  - « Intelligence », « confiance », « efficacité », mais aussi « compétitivité », « rationalité » : tels sont les maîtres mots des débats sur notre organisation territoriale. Une série de textes, depuis 2010, ont eu un lourd impact sur nos collectivités et nous attendons encore les deux autres projets de loi du Gouvernement.

Pour l'essentiel, nous n'approuvons pas les recommandations de la mission commune d'information. Lors des états généraux de la démocratie territoriale, les élus ont réclamé une pause dans les réformes. Au lieu de ce travail précipité, que n'avons-nous lancé une grande réflexion, en donnant la parole aux premiers concernés -élus, citoyens, fonctionnaires ? Nous aurions ainsi échappé à l'entre soi.

Alors même qu'il évoque l'émergence d'un « sous-prolétariat territorial », le rapporteur propose de faciliter l'adaptation locale de normes nationales, au détriment de l'égalité républicaine.

Nous ne partageons pas non plus l'avis du rapporteur sur la diminution du nombre de régions, la disparition des départements en zone urbaine ou de la petite couronne d'Ile-de-France. Pourquoi ne pas demander l'avis des citoyens ? Souvenons-nous de l'exemple alsacien.

Le rapporteur ne parle que de bloc communal au lieu des communes, est-ce une façon diplomatique d'annoncer la fin des communes ? Elles sont pourtant le coeur battant de la République. Il ne faut pas se priver de cette richesse unique en Europe. L'avenir de notre pays ne peut dépendre de quelques métropoles : il faut relier tous les territoires dans le concept de « nouvelle ruralité », comme le propose le président du conseil général de l'Allier.

Les collectivités territoriales sont étranglées financièrement. Simplifier la fiscalité des EPCI ne résoudra pas tout.

Nous choisissons la coopération, non la compétition des territoires. Une réforme de la fiscalité locale devrait mettre à contribution les entreprises.

Cette mission commune d'information est une occasion manquée. Une décentralisation républicaine et démocratique doit s'effectuer sous le contrôle de la souveraineté populaire. A cette seule condition une réforme territoriale sera pérenne. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Marc Daunis .  - Le rapport s'écarte du court-termisme et je tiens à en féliciter le président Raffarin et le rapporteur Krattinger.

Le Sénat a un rôle original à jouer dans la République décentralisée. Représentant des territoires, il s'inscrit également dans un temps plus long que l'Assemblée nationale.

La France change. Trois enjeux se dégagent : la ruralité et les services publics, la gestion du péri-urbain et des ressources financières et, enfin, la concentration urbaine et le développement économique.

Pour être réactif, nous devons trouver la juste articulation entre collectivités. La réforme de 2010 créait trois blocs : communes et intercommunalités, départements et régions, État et Union européenne !

Je crois qu'il existe seulement un « bloc de solidarité », dont les départements font partie aux côtés des communes et des intercommunalités, et un « bloc de stratégie » avec les régions, interfaces entre les projets de territoire et les politiques impulsées par l'État et par l'Europe.

Laissons l'intelligence des territoires s'exprimer. La question du nombre de régions est relativement secondaire. Le Sénat ne doit pas être l'incarnation d'un conservatisme institutionnel mais une enceinte dédiée à la prospective, fécondant le débat public ; un Sénat jouant pleinement son rôle de représentant des territoires ; et un Sénat plus concentré sur son rôle de contrôle de l'application des lois dans les territoires.

J'étais d'abord sceptique sur cette mission commune d'information, mais son rapport est un creuset de propositions auxquels les sénateurs se réfèreront quand le Gouvernement nous présentera ses projets. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

M. Jean-Michel Baylet .  - Existe-t-il meilleure enceinte pour débattre de l'organisation décentralisée de notre République que le Sénat qui assure la représentation des collectivités territoriales et peut se prévaloir de son expertise ? Qu'en sera-t-il demain lorsqu'il ne comptera plus aucun maire, aucun président d'exécutif local ? (On se pose la même question sur plusieurs bancs à droite)

L'acte III de la décentralisation se joue en plusieurs scènes... Les projets de loi qui nous sont soumis sont multiples. Il est encore temps de renoncer, madame la ministre, au non-cumul des mandats.

M. Jacques Mézard.  - Perseverare diabolicum !

M. Jean-Michel Baylet.  - Cette mission commune d'information voulait s'affranchir des calculs politiciens. Les griefs les plus récurrents à l'égard de notre architecture territoriale sont la lourdeur et la lenteur des décisions. Il est temps de la réformer et le rapport formule des pistes intéressantes.

Je me concentrerai sur la présence de l'État et des services publics dans les territoires, qui s'est réduite ces dernières années, en partie dans les zones rurales, entretenant un sentiment d'abandon. Les élus se sont mobilisés, par exemple dans mon département, pour maintenir les agences postales.

Le rapport préconise de diminuer le nombre de régions pour les mettre à la taille européenne, ce que nous aurions dû faire au lieu de les diviser pour faire plaisir à certains barons locaux... Il insiste sur le rôle des départements, échelon de solidarité et de proximité. Je ne méconnais pas le caractère explosif de ces propositions. Ici même, nous avons entendu relayer l'idée à la mode selon laquelle le département est périmé. Son enracinement historique lui confère sa légitimité.

Aux régions la stratégie, aux départements la solidarité : ainsi les choses seront claires aux yeux de nos concitoyens.

Je souscris pleinement à l'idée de doter le Parlement de moyens d'expertise propre. Si le Premier ministre lui-même se heurte parfois au mur de Bercy -le président Raffarin en a certainement fait l'expérience-, que dire des parlementaires ?

Le président de la République, il y a quelques jours encore, rappelait son attachement à la nécessaire maîtrise des finances publiques. Cela ne doit pas occulter les iniquités financières entre territoires, ni les transferts de compétences non compensés sur lesquels le rapport Doligé-Jeannerot de 2010 avait déjà attiré notre attention. Il n'y aura de vraie décentralisation que lorsqu'on accordera aux collectivités territoriales une vraie autonomie financière et fiscale.

Pour finir, je rends hommage aux 550 000 élus locaux qui font vivre la démocratie au plus près des citoyens. L'État doit conclure avec eux un pacte de confiance : je vous en sais convaincue, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs RDSE ; MM. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information, et Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information, applaudissent aussi)

M. Bruno Sido .  - Des territoires responsables pour une République efficace : voilà un titre sobre et clair. Formons le voeu que l'année 2014 soit placée sous le signe de l'efficacité de l'action publique, condition du consentement à l'impôt.

Si les propositions du rapport étaient appliquées, nous ferions bien des économies. Les mêmes constats ont été maintes fois énoncés. Les doublons sont dénoncés depuis 1982. La désertification rurale, la trop petite taille des régions, les difficultés d'application du principe de subsidiarité n'ont pas cessé d'être soulignées. La mission commune d'information a voulu se tourner vers l'avenir. Les départements ne sont certes pas à la mode. Bien sûr, la cascade de structures publiques doit être réformée, pour répondre à sa raison d'être : servir. Faut-il donc supprimer les départements ? J'ai moi-même convaincu les rapporteurs de l'OCDE, qui plaidaient en ce sens, que c'était une erreur en milieu rural. Et je leur rends hommage d'avoir révisé leur position. Qui se chargerait de la solidarité, qui entretiendrait les routes, qui se préoccuperait de l'accès de tous au très haut débit dans les campagnes si les départements n'existaient pas ? Ce sont eux qui empêcheront l'apparition d'un « sous-prolétariat territorial ».

Préservation ne signifie pas immobilisme. Les régions françaises doivent regarder vers l'Europe et cesser d'empiéter sur les plates-bandes des départements. Le groupe DCI de l'Assemblée des départements de France réclame avec constance la diminution de leur nombre.

En juillet 2013, la Cour des comptes dénonçait les nombreux doublons entre l'État et les collectivités. Il faut en finir avec le gaspillage et l'inefficacité -ce sont les termes du rapporteur. À 32 ans, nos collectivités sont plus que majeures. En cas d'acte illégal, le préfet et tout citoyen peuvent demander son annulation au juge administratif. C'est de l'État en tant que pouvoir juridictionnel que les collectivités territoriales ont d'abord besoin.

Depuis 1982, la décentralisation est souvent perçue comme une défausse -de compétences et d'impopularité, à cause de la majoration consécutive des impôts, de l'État sur les collectivités territoriales. Je souhaite que le changement, ce soit pour maintenant ! Assez de discours, place à l'action ! (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information, applaudit aussi)

M. René Vandierendonck .  - Chacun sait l'importance que j'accorde aux rapports des missions communes d'information du Sénat. Celui-ci est de la même qualité que le rapport Gourault-Krattinger. Jamais un rapport n'a eu un tel impact : à Rennes, le Premier ministre a annoncé que le deuxième projet de loi de décentralisation serait inscrit dès le mois d'avril à l'ordre du jour. Il confiera de nouvelles compétences, outre celles déjà prévues dans le projet de loi, aux régions, dont le rôle est déterminant pour la compétitivité et l'emploi. Les SRAT pourraient avoir une portée prescriptive. Mme Duflot s'était bien gardée d'aborder la question... Certaines politiques ne peuvent être conçues qu'au niveau régional.

Que restera-t-il donc aux départements ? L'essentiel : la fédération des intercommunalités, la mutualisation des moyens... Lorsqu'une intercommunalité atteint la taille critique, se pose le problème de l'opérationnalité des outils d'aménagement. Les départements ont un vrai rôle à jouer dans la répartition de l'ingénierie territoriale.

Je crois beaucoup au pouvoir réglementaire d'adaptation des régions.

Pas de décentralisation sans amélioration de la déconcentration. (Mme Marylise Lebranchu, ministre, approuve vivement) Savez-vous qu'un préfet de département n'a aucune responsabilité directe dans les décisions d'investissement des administrations de la justice et de l'éducation nationale ?

Le président de la République a découvert que trop d'indicateurs -près de 6 000- remontent dans les ministères. Il faut laisser aux préfets, donc aux élus, une vraie marge de manoeuvre. (Applaudissements)

Mme Catherine Troendlé .  - Je salue l'excellent travail de MM. Raffarin et Krattinger, qui ont dressé un inventaire structurel des dysfonctionnements de notre architecture territoriale.

Plusieurs questions devront être tranchées. Celle de la répartition des compétences d'abord : le rétablissement de la compétence générale et le chef-de-filat créent de la confusion. Le rapport propose de déterminer les missions des collectivités avant de leur attribuer des compétences particulières et d'instaurer une instruction unique pour la mise en oeuvre des politiques publiques.

Le Gouvernement s'est empressé de revenir sur la réforme des conseillers territoriaux sans prévoir de mécanisme d'articulation entre départements et régions. Tout le monde admet que les départements ne jouent pas le même rôle partout ; et les régions doivent enfin pouvoir jouer à armes égales avec les collectivités des pays voisins.

La rationalisation de la carte intercommunale est positive, mais ne doit pas faire oublier que la commune reste l'échelon de base de notre organisation.

La décentralisation ne doit pas opposer pouvoirs locaux et régionaux ; elle ne doit pas se traduire par un désengagement de l'État, qui doit donner aux collectivités les moyens financiers d'assurer leurs missions dans le cadre des transferts -je pense notamment à la réforme des rythmes scolaires. L'autonomie effective des collectivités en dépend. Il faut enfin garantir la place des parlementaires dans la décentralisation et repenser la présence de l'État.

M. Gilbert Roger .  - Je félicite à mon tour les président et rapporteur de la mission commune d'information pour la qualité de leur travail. Une République est forte par son État, mais aussi par ses territoires, a rappelé le président de la République. C'est vrai. Mais la crise a profondément accru les inégalités, et le décrochage ressenti en zone rurale comme dans certains quartiers de la politique de la ville fragilise le pacte républicain.

Nous avons moins besoin d'une nouvelle répartition mécanique et uniforme des compétences que de renforcer les responsabilités de chacun, de créer une dynamique de coopération en nous appuyant sur l'intelligence collective. L'unité de la République n'est pas renforcée par l?uniformité. Nous devons bâtir un modèle de développement plus équilibré, respectueux de la diversité des territoires et porteur de davantage de solidarité, reconnaissant le fait urbain et donnant aux métropoles les moyens de se développer sans accroître l'écart avec les zones périphériques ou rurales.

La République souffre de deux maux, un manque d'efficacité de l'action publique et la confusion des rôles entre l'État et les collectivités. Le président de la République a annoncé un choc de simplification. Tandis qu'élus et citoyens attendent une plus grande efficacité de la décentralisation, les entreprises sont asphyxiées par les normes et perdues dans les guichets, subventions et aides fiscales. Le mille-feuille est moins celui des niveaux que des décisions.

Les élus veulent une différenciation accrue des territoires. Il n'y a plus de modèle de décentralisation uniforme : on ne peut appréhender l'Ile-de-France et les zones rurales de la même façon. L'efficacité de l'action publique dépend d'un approfondissement de la décentralisation afin de répondre, par des politiques pragmatiques, aux besoins des citoyens et des entreprises.

Les régions assurent encore trop de compétences de proximité qui devraient ressortir aux départements ou aux communes -ce qu'on peut appeler la cantonalisation de l'action régionale.

Le département, lui, indispensable en milieu rural, doit être renforcé dans son action contre les conséquences de la crise ; il est bien souvent le seul capable d'agir. Sa pertinence n'est pas aussi évidente en zone urbaine dense. Je suis ainsi favorable à la suppression des départements de petite couronne francilienne et au transfert de leurs compétences à la métropole du Grand Paris. C'est à quoi nous devrons travailler lors d'une prochaine étape. Un consensus peut être trouvé.

M. Philippe Dallier .  - Je salue à mon tour les travaux de la mission, ainsi que son président et son rapporteur.

Certains points nous rassemblent, et c'est heureux. Il ne peut plus y avoir de modèle unique d'organisation des territoires, la diversité justifie des modèles différents. Je me réjouis, à ce propos, que l'absorption des départements de petite couronne par la métropole du Grand Paris ait été retenue. J'ai entendu les réserves du rapporteur, qui craint l'accroissement des écarts entre territoires. Mais la diversité n'exclut pas la solidarité, qui doit être pensée par le haut, c'est-à-dire par la région.

Notre carte de 22 régions est inadaptée : l'objectif d'une dizaine paraît opportun. Et c'est à l'intérieur de ces nouvelles entités que le rôle des départements doit être repensé. Dans les territoires peu denses, il se justifie toujours. Le rapport, on le comprend, s'est refusé à trancher ; il faudra bien y venir.

Le financement des politiques sociales devra être réexaminé. L'acte II, en la matière, a sans doute été une erreur et les mécanismes de péréquation n'ont été que cataplasmes sur une jambe de bois. Certains départements se sont endettés, ont augmenté la pression fiscale ou réduit leurs investissements pour financer ce qui relève de la solidarité nationale -ce qui contribue à creuser la fracture territoriale. Il faudra y réfléchir avant tout transfert de pouvoir réglementaire aux collectivités.

Notre République est décentralisée, il faut aller au bout de ce mouvement ; mais elle doit rester une et indivisible et n'a sûrement pas vocation à devenir fédérale. Le premier objectif doit être de repenser les rôles de l'État et des collectivités, pour une plus grande visibilité, une plus grande équité entre les territoires et une plus grande efficacité de la dépense publique. Tenons-nous en là, ce sera déjà beaucoup.

Le rapport prône un choc de subsidiarité : j'y souscris. Il appelle de ses voeux une rationalisation des mécanismes de péréquation financière : c'est indispensable car les collectivités territoriales ont besoin de lisibilité. Malheureusement, nous n'en prenons pas le chemin, au risque de menacer l'investissement public.

En 2014, ce sont surtout les villes moyennes et grandes qui pâtiront de la baisse de la DGF. Celle de Pavillons-sous-Bois diminuera de 5,7 %, et plus encore en 2015 ; 750 000 euros en deux ans, 10 % de la taxe d'habitation -autant que la péréquation financière qu'on va me demander... Il faudra retravailler le sujet.

En 2009, la commission Balladur avait intitulé son rapport Il est temps de décider. C'était il y a cinq ans. Je sais que le consensus sera impossible à atteindre mais je vous conjure de faire preuve d'audace, madame la ministre, car notre pays, nos collectivités en ont besoin. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Michelle Meunier .  - Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est au coeur du dialogue entre celles-ci et l'État. Lors des débats sur l'acte III comme des travaux de la mission commune d'information, notre Assemblée a été animée par la volonté de clarifier le débat et de le rendre cohérent.

La place des parlementaires dans la décentralisation n'est pas une question nouvelle. Mais elle se pose d'une façon nouvelle avec le non-cumul des mandats, que j'approuve, qui va profondément renouveler notre vie politique et moderniser notre démocratie. Les relations entre État, collectivités territoriales et parlementaires en seront profondément transformées. L'association des parlementaires à la distribution des crédits d'État, la création d'un pôle d'expertise à la disposition des parlementaires sont des pistes à explorer. Retisser les liens entre élus et citoyens, donner aux parlementaires les moyens d'exercer leurs missions : voilà les exigences auxquelles il nous faut répondre afin de remplir pleinement notre mission, ancrés dans notre territoire et utiles au Parlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Edmond Hervé .  - Voilà une mission, un rapport et un débat en excellente continuité avec les états généraux de la démocratie territoriale.

Unité de la République et diversité, couple légitime et nécessaire... Combien de lois votons-nous ? Combien sont impératives ? Vous avez parlé de lois-cadres ; je plaide pour des lois de confiance, mettons un terme à ces lois qui se résument à des chapelets d'annonces !

Évitons les faux débats sur le pouvoir réglementaire local ; il existe, il faut lui donner davantage de consistance.

Le rapport évoque la mutation de la société et des territoires, met l'accent sur la notion de mobilité ; j'y ajoute le facteur temps, principale source d'inégalité entre les territoires et les citoyens. La mutation est un processus, une dynamique ; il n'y a pas de territoire fonctionnel unique et défini une fois pour toutes. Je crois, par expérience et philosophie, aux notions de projet et de contrat.

Je ne suis pas un fanatique de votre proposition de réviser la carte régionale. Imposer les régions par la loi, c'est courir à l'échec. (Mme Marylise Lebranchu, ministre, renchérit) Il est vrai que Pierre Mendès France en avait émis l'idée en son temps. Le champ de la coopération entre régions est l'affaire de la pratique, nul besoin de modifier les frontières.

Les formules du rapport sur la coopération intercommunale sont fortes. Oui, elle est née du besoin et oui, ce fut une révolution. Ce qui manque, en réalité, c'est la transversalité. Dans cette démarche, le préfet a toute sa place. (Mme Marylise Lebranchu, ministre, le confirme). Les lois de 1982 ne l'ont pas destitué, il a un rôle de développement et d'animation. Et nous avons la chance d'avoir un corps préfectoral d'une exceptionnelle qualité.

Un département ou une région sans grande métropole est condamnée. Comme le montre une étude de Laurent Davezies, que vous avez auditionné, les six métropoles donnent plus à la nation qu'elles ne reçoivent.

Sur les normes, il devrait être possible de réunir les maires et d'analyser avec eux le processus de permis de construire d'un poulailler ou d'un garage, pour voir comment simplifier.

Le rapport est sceptique sur la reconnaissance d'une autonomie fiscale locale plus large, notamment pour les territoires les plus pauvres. Cela m'étonne de vous, monsieur le Premier ministre Raffarin : dans un rapport de 2000, vous déploriez la perte d'autonomie fiscale de votre région Poitou-Charentes... Autonomie fiscale, en vérité, rime avec péréquation.

M. Daunis oppose un bloc de stratégie à un bloc de proximité. Mais les grandes métropoles font nécessairement les deux...

Enfin, je souhaite que les rapports du Sénat soient pleinement utilisés par le législateur et par le Gouvernement, qui partagent l'initiative des lois. Montesquieu n'a jamais pensé que la séparation des pouvoirs interdisait leur coopération. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Débat interactif et spontané

M. René-Paul Savary .  - Ce débat est passionnant. Je partage les conclusions de la mission commune d'information. Ayant été longtemps conseiller général et conseiller régional, j'ai pu mesurer la complémentarité des deux assemblées locales. Le législateur entend donner un vrai rôle stratégique à la région. Mais, avec les métropoles, la modification du mode de scrutin et le non-cumul, la complémentarité rural-urbain va disparaître. Comptez-vous prendre en compte la valeur ajoutée des éventuels futurs transferts de compétence ? Celle du transfert du RSA n'est pas évidente... Quels moyens donnerez-vous aux collectivités territoriales ? Quelles normes comptez-vous simplifier ? Confirmez-vous que le Gouvernement n'entend pas alourdir les charges des collectivités territoriales ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Les régions, de collectivités de mission, sont devenues des collectivités de gestion. Peut-être faut-il repenser la question dans le cadre des transferts.

S'agissant du RSA, deux fonds ont été créés pour venir en aide aux départements en difficulté ; et surtout 40 % de ceux qui y ont droit n'en font pas la demande, parce que les règles sont trop complexes, définies par l'État mais appliquées par les départements. Il faut travailler à réduire cette dissonance.

Enfin, lorsqu'on supprime des normes, il faut veiller à ne pas en créer de nouvelles ni fragiliser les acteurs locaux ; c'est le CCEN qui est maître du jeu.

M. Michel Le Scouarnec .  - Le PLU intercommunal va devenir une compétence obligatoire. Les élus en parlent, ils sont inquiets, d'autant qu'il n'y aurait plus de minorité de blocage. Qu'en dîtes-vous ?

La « compétence solidarité » attribuée au département ? Mais la solidarité doit s'exercer à tous les niveaux, dans les régions à l'égard des départements, par l'État à l'égard de tous les territoires. L'affaiblissement du rôle de l'État est inquiétant.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - La minorité de blocage sur le transfert du PLU aux intercommunalités en milieu rural sera débattue à l'Assemblée nationale prochainement. J'attire votre attention sur la nécessité de préserver les terres agricoles. La conservation de notre indépendance alimentaire en dépend. Aujourd'hui, le mètre carré agricole est précieux, raison pour laquelle il faut s'efforcer de densifier en milieu rural. Le PLUI peut être l'occasion d'une réflexion en commun.

Nous pouvons travailler sur la compétence « solidarité » au niveau du département, elle a une composante territoriale en direction des communes et des intercommunalités. La solidarité envers les citoyens n'est garantie que par l'État, même si la compétence est exercée par une collectivité. Il peut être appelé si elle ne l'est pas.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information.  - La solidarité territoriale s'exerce différemment selon les territoires. Conduisons des expérimentations dans les départements, préalables à d'éventuels transferts de compétence ; donnons à cette solidarité un contenu plus étoffé et plus lisible.

M. François Fortassin .  - Le département s'occupe aujourd'hui de l'aide sociale, du réseau routier et est présent sur le terrain. Il y a un équilibre entre les quatre assemblées, conseil général, conseil régional, Assemblée nationale, Sénat. Pourquoi bouleverser ce qui marche ?

En revanche, les financements croisés posent problème... Est-il bien utile de devoir monter six ou sept dossiers pour une subvention de 50 000 euros ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Le rapport ne propose rien de spécifique sur le premier point. La conférence territoriale de l'action publique est née du souhait de limiter les doublons, exprimé par le rapport Gourault-Sueur. Je fais confiance aux élus pour y mettre un terme. À chaque fois qu'ils se réunissent pour trouver des solutions, ça marche.

M. Jean-Claude Carle .  - Chateaubriand, dans ses Mémoires d'outre-tombe, écrivait que « l'immobilité politique est impossible (...) Contemplons avec vénération les siècles écoulés (...), toutefois n'essayons pas de rétrograder vers eux, car (...) si nous prétendions les saisir, ils s'évanouiraient »... (On apprécie)

Nous ne pouvons plus gouverner la France avec l'organisation du siècle dernier. Il faut passer d'une démocratie descendante à une démocratie ascendante. Le général de Gaulle l'avait bien compris. L'État doit aujourd'hui passer de la culture de la circulaire à celle du contrat -je pense à la réforme des rythmes scolaires, par exemple. Seules la contractualisation et l'expérimentation locale sont efficaces.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour valoriser la diversité de nos territoires ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - J'entends prendre en compte les propositions de ce rapport. J'ai aussi entendu le président de la République évoquer ce matin les 6 000 indicateurs qui remontaient aux ministères. La déconcentration est aussi au programme du Gouvernement.

Oui, le préfet a un rôle majeur. Les parlementaires pourraient s'orienter vers un contrôle de l'action de l'État au niveau territorial, conformément aux suggestions de M. Peyronnet.

L'État régulateur, accompagnateur des collectivités... C'est un vrai sujet. Un décret de préfiguration pourrait être pris... En matière sanitaire, par exemple, le contrôle de l'État demeure absolument nécessaire. Nous avons beaucoup de travail devant nous. Je me souhaite bon courage...

Mme Cécile Cukierman .  - Nous devons améliorer l'articulation entre les différents niveaux de collectivités, qui travaillent toutes au service des femmes et des hommes de leurs territoires. Il faut faire confiance à l'intelligence territoriale.

Donner plus de visibilité aux régions ne passe pas nécessairement par la réduction de leur nombre. Des espaces interrégionaux existent déjà ; il faut les renforcer. Si expérimentation il y a, consulterez-vous les populations concernées ? Comment redonner leur place aux régions sans les opposer aux autres collectivités ni briser l'unité de la République ? Notre objectif doit être de résorber les inégalités territoriales, non d'en créer de nouvelles.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information.  - Nous ne proposons pas de redessiner la carte administrative mais de faire en sorte que les territoires ne se concurrencent pas. Pour exercer efficacement des missions différentes, ils ne doivent pas trop se ressembler. La dimension est un élément de différenciation. Ayons une approche de rationalisation.

Si les territoires sans métropole sont condamnés, monsieur Hervé, alors Poitou-Charentes l'est, qui subit l'influence de Bordeaux et de Nantes ! Le besoin d'interrégional existe. EDF ou la SNCF travaillent déjà à ce niveau.

Des expérimentations s'imposent. Notre approche est très pragmatique ; nous pensons à des pôles interrégionaux pour certaines compétences, ils pourraient préfigurer l'action interrégionale tout en respectant les identités régionales.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information.  - Il y a deux inégalités majeures entre territoires : les inégalités de richesse, qui peuvent être corrigées par la péréquation, et les inégalités de matière grise. Certaines collectivités peinent à trouver des cadres de haut niveau. Une région trop petite et isolée, loin des lieux d'enseignement et de recherche, est lourdement handicapée.

L'État doit apporter partout des moyens humains : un préfet ne suffit pas. Les fonctionnaires ne sont plus affectés comme il y a cinquante ou cent ans. Si une région manque de matière grise, les entreprises peineront à conserver leurs cadres. Cela peut s'arranger quand une région est voisine de métropoles, comme les Charentes entre Bordeaux et Nantes, mais pas du tout si elle en est éloignée. Les écarts ne se comblent plus, ils se creusent.

Dans mon rapport de 2009, je parlais de faire « confiance à l'intelligence des territoires ». Au lieu de quoi, on tue l'innovation territoriale. Il faut pousser les territoires à innover. L'État doit donner les moyens de l'égalité, mais c'est aux collectivités de tracer le chemin pour l'innovation.

M. Gérard Bailly .  - Il y a quarante-neuf ans que j'ai été élu maire pour la première fois. Dans les territoires ruraux, il y a de très petites communes, qui ont dû déléguer de nombreuses compétences aux intercommunalités. J'y souscris pleinement mais les maires se demandent ce qui va leur rester. Les communes se refusent à fusionner. On n'y réussira pas par la loi, par une règle uniforme. En revanche, peut-on encourager cette intégration ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Rappelez-vous nos débats : quand nous avons essayé de rendre obligatoire un PLU dans les EPCI, vous vous y êtes opposés par peur que les petites communes n?aient plus aucune compétence. Je persiste à dire que c'est l'intercommunalité qui peut sauver les petites communes, en offrant des services qu'il n'est plus possible de proposer à l'échelon communal. Les habitants ne vont pas se précipiter vers des communes où il n'y a plus aucun service.

Certaines petites communes sont exsangues ; je leur fais confiance pour fusionner si nécessaire mais ce n'est pas à la loi de le leur imposer. Sans doute peut-on les y encourager. De ce point de vue, on ne peut qu'approuver le schéma de coopération intercommunale que la précédente majorité a eu le courage de mettre en place.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d'information.  - M. Bailly met le doigt sur le problème majeur des prochaines années. Les transferts de compétences aux intercommunalités se multiplient, y compris dans le domaine scolaire, le coeur pourtant des communes. Les petites communes peuvent être disposées à se fondre dans des entités plus globales, sans être forcément prêtes à fusionner avec la pauvre d'à côté ou avec celle qui s'est enrichie, parfois à ses dépens.

M. Bruno Retailleau .  - Le rapport a eu le mérite de réfuter deux poncifs : le prétendu mille-feuille et le prétendu gaspillage des collectivités territoriales.

Dans les deux cas, nous sommes dans la moyenne européenne. Lecteur de Christophe Guilluy, je suis convaincu que l'uniformité, le jardin à la française, cela ne marche pas.

Pourquoi ne pas inscrire dans la Constitution que celui qui décide doit payer ? Regardez l'exemple des rythmes scolaires.

Lors de ses voeux, le président de la République a annoncé une réforme territoriale, le système actuel étant devenu « illisible et coûteux ». Un autre projet de loi est-il donc prévu ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Il n'est pas toujours possible que celui qui décide paie. Ce matin, le président de la République l'a fait comprendre : le rétablissement de la clause de compétence générale n'exclut pas la suppression des doublons. (M. Jean-Jacques Hyest le conteste) Faut-il créer des compétences exclusives dans certains domaines stratégiques ? La question se pose.

L'empilement des schémas est inutile. Il en faut un, en revanche, au niveau régional, opposable au Scot et au PLU. Un tel schéma régional d'aménagement du territoire prendrait en compte les CHU, les universités, les gares, les aéroports, les noeuds intermodaux. Je souhaite un tel schéma prescriptif qui ne doit pas aller contre le principe de libre administration. Il est dommage que les expérimentations soient limitées à cinq ans. On pourrait envisager une petite révision constitutionnelle mais le président de la République m'incite à trouver d'autres solutions. Je vais donc m'allier à vous afin de recourir à votre imagination.

M. Jean-Claude Peyronnet .  - Il est de moins en moins vrai que le préfet soit le seul représentant de l'État dans les départements, et c'est bien dommage. Il a en fait de moins en moins de pouvoirs et de moyens. Il faut lui confier un rôle de coordination et de médiation.

Un problème se pose aussi, concernant le rôle des parlementaires, avec l'interdiction du cumul. Ils seront en apesanteur. Élus sans doute quelque part mais pour y faire quoi ? Inaugurer les chrysanthèmes ? S'ils n'ont plus d'attaches territoriales, pourquoi n'irait-on pas vers un scrutin proportionnel sur liste nationale ? Sans attaches territoriales, quelle connaissance précise le parlementaire aura-t-il de la réalité concrète, dans sa technicité ? Le lien créé par la seule circonscription électorale est très fugace.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Les parlementaires, étant législateurs, ne sauraient avoir de pouvoir exécutif. La question de la séparation entre pouvoirs exécutif et délibératif se pose même pour les régions.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Comme en Corse.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Le rôle que vous cherchez pour eux peut être trouvé sur la base du contrôle de l'action gouvernementale. On peut aussi penser à un rôle de médiation, même si toute codécision est exclue. Un département compte plusieurs parlementaires... Une solution est possible, dans le respect de la séparation des pouvoirs, conformément aux enseignements de Montesquieu.

M. Jean-Jacques Hyest .  - Quel excellent rapport ! J'avais déjà apprécié le précédent. Mais, au moment d'appliquer les recommandations, on se heurte vite à des limites. On l'a vu quand M. Raffarin a voulu faire une loi définissant les compétences des différentes collectivités locales.

Avec le nouveau découpage cantonal, les territoires ruraux sont écrasés, sous-représentés. Je pourrais vous montrer ce qu'il en est pour la Seine-et-Marne.

La force des lois de 1982 et 1983, c'est d'avoir aidé les collectivités territoriales à faire de l'aménagement rural, grâce à la péréquation. Avec les nouvelles charges qui leur incombent, les départements n'en auront bientôt plus les moyens. Que deviendront-ils ? Quelle possibilité d'initiative auront-ils encore ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - En France, c'est la population qui détermine la représentation, non la géographie.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Sauf pour le Sénat !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Tant que notre système de représentation sera fondé sur le principe « Un homme = une voix », nous n'échapperons pas aux difficultés que vous soulignez. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé.

M. Krattinger a raison : ce qui manque souvent aux collectivités, ce sont des cadres A. Il faut encourager la mutualisation. Voilà pourquoi je comprends mal les critiques sur le nombre de fonctionnaires. Leurs nouvelles compétences et l'augmentation de leur population ont conduit certaines intercommunalités à recruter, voilà tout.

Les dépenses par habitant varient selon les régions. Pourquoi le Limousin dépense-t-il cinq fois plus par habitant que la Loire-Atlantique ? Parce qu'il doit compenser le manque de cadres A dans les collectivités qui en font partie.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d'information.  - Merci à tous pour ce débat de haute qualité. Au Sénat, on sait respecter les règles du jeu. J'aurais pu dire mon mécontentement sur le redécoupage des cantons de la Vienne. Mais je sais mettre mes griefs de côté pour réfléchir à l'avenir de notre pays. Vous continuerez à avoir en nous des opposants parfois vifs mais aussi des partenaires pour construire la France de demain.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Moi aussi, je pourrais me plaindre du redécoupage !

Toute contribution est bonne à prendre, la vôtre tout particulièrement. Je m'engage à en tenir le plus grand compte lors de l'élaboration des prochains projets de loi, lorsque nous écrirons ensemble la prochaine page de la décentralisation, qui préparera une meilleure déconcentration.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l'application de la loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de communes. Il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et, pour information, à la commission des lois.

La séance est suspendue à 19 h 5.

présidence de M. Charles Guené,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Ce débat revêt une double originalité par rapport à ceux organisés par la commission que je préside. En effet, ce rapport sur la loi du 5 janvier 2010, dite loi Morin, est le premier à conclure à un bilan très négatif de l'application de celle-ci. Mais, aspect positif, il propose également des pistes législatives. Nos rapporteurs, malgré le scepticisme de certains au vu de leurs sensibilités politiques différentes, ont su travailler en bonne intelligence. Mme Bouchoux a proposé deux amendements à la loi de programmation militaire, adoptés après avis favorable du Gouvernement. Voilà qui illustre à nouveau le lien fort entre notre fonction de contrôle et de législation.

Je veux saluer le travail de M. Cléach, rapporteur de la loi Morin, et de Mme Demessine, membre de la commission consultative de suivi, qui a participé aux réunions du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen).

En adoptant la loi de 2010, le législateur a voulu indemniser et reconnaître les victimes des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie française. Pourtant, très peu d'indemnisations ont été accordées. Un tel blocage n'était pas acceptable, qui jetait le discrédit sur la parole publique. Il était plus que temps d'y remédier, alors que s'engage une véritable course contre la montre pour reconnaître les victimes encore en vie.

Nos rapporteurs n'ont pas voulu abroger la loi de 2010 pour ne pas retarder davantage l'indemnisation. L'un des amendements déposés par Mme Bouchoux octroie un délai de cinq ans aux ayants droit pour déposer une demande et l'Assemblée nationale a élargi le périmètre du dispositif à l'ensemble de la Polynésie française.

Pourquoi une telle défaillance de la loi ? Les crédits ont été alloués, les procédures contentieuses se sont multipliées. Le problème tient surtout au traitement des dossiers individuels. Résultat, une impasse législative, comme l'ont écrit nos rapporteurs.

Le maintien des crédits consacrés est un impératif car cette loi peut connaître une nouvelle jeunesse. Nos rapporteurs proposent la sanctuarisation de l'architecture financière, la sous-consommation des crédits ne pouvant justifier leur réduction.

Deuxième point que je veux souligner, une distinction honorifique, comme l'avais proposé M. Cléach dès 2009, serait un gage de reconnaissance de la Nation. Il est temps d'y venir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)

M. Jean-Claude Lenoir, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - « Une loi qui n'a pas encore atteint ses objectifs », le titre du rapport indique une appréciation un peu plus positive que ne l'a dit M. le président Assouline. Si je formais avec Mme Bouchoux un binôme improbable, chacun a pu constater que notre travail en commun a abouti.

C'est le 13 février 1960 que la première bombe a explosé dans le Sahara, près de Reggane, dans le cadre de l'opération Gerboise bleue. Depuis, la France a procédé à 200 tirs : atmosphériques en Algérie puis quand ce pays a obtenu son indépendance, atmosphériques puis sous-marin en Polynésie Française. Les essais Améthyste, Rubis, Jade et Béryl dans le Sahara, entre 1963 et 1965, et l'essai Centaure en Polynésie française en 1974 n'ont pas été totalement confinés et ont entraîné des retombées radioactives. Cette situation, que les associations de victimes ont contribué à faire connaître, a fait l'objet d'un règlement par la loi Morin. Celle-ci poursuivait trois objectifs : reconnaître les souffrances, simplifier les procédures et indemniser. Auparavant, les victimes devaient se tourner vers le juge administratif. Depuis 2010, l'indemnisation dépend de trois critères : le lieu, la période et la maladie. La charge de la preuve a été renversée. Les lieux sont bien identifiés : le Sahara, certains archipels : Moruroa, Hao et Fangataufa, mais aussi Tahiti, touchée lors de l'essai Centaure. On estime à 200 000 le nombre de personnes exposées : 50 000 au Sahara et 150 000 en Polynésie, sans parler des populations locales. La liste des maladies radio-induites a été établie en conformité avec les préconisations de l'ONU. Elle a été modifiée ultérieurement.

La loi de 2010, précisée par les décrets du 11 juin 2010 et du 23 juillet 2010, a créé le Civen, instauré une présomption de causalité, une réparation intégrale du préjudice et un délai de cinq ans pour les ayants droit. Les indemnités ont été déclarées non fiscalisables.

En dépit de la mobilisation des associations et des campagnes d'information organisées par les pouvoirs publics, la loi n'a pas atteint les résultats escomptés.

Malgré le large consensus sur cette loi, je m'en souviens puisque j'étais député à l'Assemblée nationale, elle a donné peu de résultats. L'on estimait à 20 000 le nombre de dossiers et de 3 à 5 000 ceux pouvant donner lieu à indemnisation. Fin octobre 2013, 861 dossiers avaient été déposé et seulement 12 d'entre eux avaient trouvé une issue favorable, soit une consommation de 300 000 euros sur les 10 millions inscrits en loi de finances, c'est dire le décalage entre les espérances et la réalité.

Pourquoi ? Le Civen manquait de moyens, avec deux petites structures installées à Paris et à La Rochelle, qui communiquaient difficilement. Surtout, la loi a généré de nombreux contentieux, dont certains sont toujours pendants devant le tribunal administratif. Nous aurions été bien inspirés de prendre exemple sur les Américains et les Australiens ; le Civen a pris de nombreuses décisions de refus, faute, sans doute, d'une expertise suffisante. Le législateur a voulu régler un problème douloureux ; nous souhaitons sur tous les bancs que cette loi soit le moyen de reconnaître les victimes des essais nucléaires. Des solutions ont déjà été adoptées, poursuivons ! (Applaudissements)

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - 12 dossiers acceptés sur 861, tout ça pour ça ! Pourtant, crédits débloqués, création du Civen et publicité, tout était en place. Nous n'avons pas voulu abroger cette loi, ce qui eût été périlleux, préférant proposer des solutions. Certaines ont déjà été retenues : adapter les limites des périmètres en fonction des connaissances nouvelles que nous ont données les archives -toute la Polynésie française est désormais considérée comme zone à risque-, élargir la liste des maladies et allonger le délai des ayants droit ; transformer le Civen en autorité administrative indépendante, en y intégrant un épidémiologiste et un médecin désignés par les associations tout en renforçant le principe du contradictoire. Il est indispensable de maintenir les 10 millions d'euros ; la ligne a été inscrite dans le budget pour 2014, nous nous en félicitons mais voulons des garanties pour la suite. Autre défi, avancer dans le dialogue entre le ministère de la défense et les associations, dont une affirme avoir 1 000 dossiers en attente : nous l'encourageons à se rapprocher du ministre. Une nouvelle campagne d'information, relayée par les oncologues en particulier et assurée lors du versement des pensions militaires, serait opportune. Des améliorations résident sans doute également dans les relations diplomatiques avec l'Algérie. Une distinction honorifique qui ne serait pas coûteuse est unanimement demandée par les associations de victimes. Enfin, noeud du « risque négligeable », le logiciel et le calcul du risque annihilent en deux lignes les ouvertures de la loi Morin.

Des avancées ont été enregistrées : tout le monde s'accorde à dire qu'il n'y a pas eu d'essais propres ; le périmètre géographique et la liste des maladies ont été élargis.

S'il y a une leçon à tirer de ce rapport, c'est qu'une loi parée des meilleures intentions du monde mais qui ferme d'une main ce qu'elle ouvre de l'autre est inopérante. À quelques mois d'importantes échéances électorales, montrons à des gens qui ont fait leur devoir qu'ils ne sont pas oubliés. (Applaudissements)

M. Jean-Marie Bockel .  - Le choix courageux des essais nucléaires, un demi-siècle après, fait de la France une puissance nucléaire civile et militaire qui peut tirer son épingle dans le jeu international. Ce succès a un prix : 150 000 personnes exposées à un risque. Le nucléaire étant indissociable de notre histoire nationale, l'indemnisation était le moins qu'on pût attendre pour ceux grâce auxquels la France assure désormais son indépendance et sa souveraineté. L'État a pris ses responsabilités avec la loi Morin. Ce débat ne porte donc pas sur le bien-fondé de l'indemnisation mais sur son application. Il intervient à un moment qui n'est pas anodin.

En octobre dernier, l'Assemblée nationale a voté, dans une belle unanimité, l'extension du périmètre du dispositif d'indemnisation à l'ensemble de la Polynésie française, dont le rapport Bataille de 2001 indiquait encore qu'elle avait été peu exposée. Grâce à la déclassification de certains documents, depuis 2010, nous savons aussi qu'il y a eu une sous-estimation concernant les équipages de la marine nationale.

Le régime fonctionne ; ce qui pose problème, c'est le ciblage. Il serait tentant pour certains d'ouvrir grandes les vannes de l'indemnisation pour mettre en cause le bilan de notre demi-siècle nucléaire. Concilions l'empathie pour les victimes à une démarche rationnelle. Nous ne devons pas faire non plus de l'indemnisation un revenu pour ceux qui n'ont pas été exposés aux radiations. Nous aborderons une autre fois le problème des ayants droit des victimes décédées.

Je veux saluer, au nom du groupe UDI-UC, le travail remarquable fait par nos rapporteurs. Il y a une dizaine d'années, évoquer des victimes des essais nucléaires faisait l'objet de débats passionnés. De bonne foi, on a pu croire que les retombées étaient sans conséquences. Nous pouvons tous balayer devant notre porte... Encore bravo à nos rapporteurs ! (Applaudissements sur les bancs de la commission)

Mme Michelle Demessine .  - Ce débat, qui prend appui sur l'excellent rapport de Mme Bouchoux et M. Lenoir, illustre l'intérêt du contrôle parlementaire. La loi du 5 janvier 2010, on s'en est vite aperçu, fonctionne mal. À preuve, très peu de dossiers de demandes d'indemnisation ont été déposés et peu acceptés : 12 sur 161, selon les derniers chiffres disponibles. Rendre cette loi opérante, au risque de paraître grandiloquente, engage la crédibilité de la France, du Parlement et de la Nation. Mon groupe s'y était d'ailleurs opposé, en dénonçant une indemnisation a minima, résultat des pressions d'un lobby militaro-nucléaire qui voulait nous faire croire qu'il n'y avait eu que des essais propres. Depuis, il y a eu des avancées et je salue l'action du ministre de la défense.

Ce rapport ne préconise pas de remettre en cause un dispositif validé par la communauté internationale et une méthodologie approuvée par l'AIEA. Il vise à améliorer le dispositif en faisant du Civen une structure indépendante. La transformation a eu lieu, ce qui lève le doute sur l'intervention du ministère de la défense.

Les associations demandaient des modifications plus considérables, qu'il ne faut pas exclure si la loi continue de se révéler inopérante. L'introduction de la dosimétrie pour calculer le risque, que le législateur avait écartée au profit d'une présomption de causalité, est très critiquée. En outre, je l'avais moi-même dit en tant que membre de la commission consultative de suivi, un expert médical doit être nommé au Civen afin de renforcer l'examen contradictoire des dossiers tout en préservant le secret médical.

Avançons d'ici la prochaine réunion de la commission consultative de suivi, en janvier, sans quoi nous serons tous discrédités. (Applaudissements à gauche)

M. Robert Tropeano .  - Quatre ans après, presque jour pour jour, nous débattons de la loi du 5 janvier 2010. Le groupe RDSE, très attaché à la réparation, s'en réjouit.

Cette loi vise à reconnaître et à indemniser les personnes atteintes de maladies radio-induites à la suite d'expositions aux rayons ionisants. Longtemps, une chape de plomb a étouffé ce risque. Le choix du nucléaire, qui assurait à la France son rang international, peut se comprendre en temps de guerre froide, jusqu'au moratoire décidé par M. Mitterrand en 1992 et l'abandon des essais par son successeur, M. Chirac.

On prévoyait 20 000 demandes ; résultat, 12 dossiers seulement acceptés ! Pourtant, la loi avait été appliquée avec célérité, le Civen rapidement mis en place et les Gouvernements successifs se sont attachés à maintenir les 10 millions de crédits consacrés à l'indemnisation.

Le rapport préconise des adaptations réglementaires plutôt qu'une nouvelle loi, nous l'approuvons.

Plus de moyens pour le Civen, plus de transparence et d'informations pour traiter les dossiers, le Gouvernement doit s'engager avec promptitude dans cette voie. La réparation n'a de sens que si elle est effective.

Le petit nombre de dossiers déposés et d'indemnisations est un mauvais signe. L'État a un devoir de réparation et de reconnaissance à la hauteur des espérances nées de la loi de 2010. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Jacques Gautier .  - M. Cléach regrette de ne pouvoir être présent ce soir ; il vous prie de l'en excuser. Il fut un remarquable rapporteur de la loi de 2010. Je veux également saluer Mme Bouchoux et M. Lenoir, qui ont su éviter les écueils de la politisation et aborder sereinement un sujet difficile et sensible.

La loi Morin a été une avancée inégalée dans l'histoire de notre défense nationale. Si toutes les lois doivent être marquées par la rigueur et la justice, c'est grâce au contrôle du Parlement que leur application peut être évaluée. Nous ne siégeons pas au sein d'une simple chambre d'enregistrement de la loi ; c'est à l'honneur de chacun d'entre nous de la corriger si nécessaire.

Entre 1960 et 1998, la France a procédé à 210 essais nucléaires, sources potentielles de maladies radio-induites, autrement dit de cancers. Pendant des années, les associations de victimes, relayées par les élus, n'ont cessé de se battre pour faire reconnaître leurs droits. Pas moins de 18 propositions de loi ont été déposées avant 2010, sans succès. La volonté des parlementaires et la pugnacité des associations ont conduit Hervé Morin à préparer un projet de loi. Un mot sur la méthode qui a présidé à l'élaboration du texte de 2010 : le ministère avait largement et ouvertement consulté. Cette méthode devrait être plus largement utilisée, elle évite les couacs et les rétropédalages.

Avec la loi Morin, la France et sa défense avaient rendez-vous avec elles-mêmes. Il était temps de mettre fin aux tabous qui hantaient les couloirs du ministère de la défense. Je me réjouis que le gouvernement de l'époque ait eu le courage d'assumer les conséquences de choix stratégiques qui nous permettent encore de peser dans le concert des Nations, de protéger nos concitoyens comme nos intérêts vitaux. Aucun gouvernement n'a remis en cause ce choix gaullien. Le courage politique a été d'assumer le passé.

Les cancers sont des maladies sans signature, dont il est encore très difficile d'identifier l'origine. Mais dire que les essais ont été sans conséquences serait une faute. Les décrets sont sortis rapidement, qui dressent une liste de maladies sur le fondement des recherches les plus avancées des experts des Nations unies.

Autres points forts du texte : son champ d'application relativement large ; sa rigueur, que traduit l'implication des ministères de la défense et de la santé dans la composition du Civen ; la prise en compte des ayants droit des personnes décédées ; un temps limité pour les expertises -les victimes n'ont pas le temps d'attendre. Heureusement, aucun fonds d'indemnisation n'a été créé, structure connue pour sa lourdeur -voyez le cas de l'amiante.

Mme Michelle Demessine.  - Comment ça ?

M. Jacques Gautier.  - II a fallu deux ans et demi pour le créer ! Enfin l'évaluation du dispositif était prévue, au moyen de la commission consultative de suivi. Je salue la volonté d'impliquer les associations jusqu'au terme du processus et le caractère personnel et humain du traitement des dossiers -chaque cas est unique.

Des dysfonctionnements demeurent toutefois, l'indemnisation se fait au compte-gouttes, le sentiment d'injustice demeure. En cela, les objectifs de la loi ne sont pas atteints.

Les chiffres relatifs au nombre de dossiers traités et d'indemnisations ont été rappelés ; ils sont loin, très loin des estimations initiales. Le Civen, divisé en deux entités géographiques, manque de moyens humains et d'expertise médicale. Il n'a pas la capacité de recruter des experts. La loi n'a pas été un échec, il a manqué les moyens nécessaires pour remplir ses ambitions.

Depuis, la liste des maladies a été élargie ; c'est heureux. Reste que l'information est insuffisante. Des campagnes sont nécessaires. Je rejoins également Mme Bouchoux sur le besoin de reconnaissance symbolique de ceux qui ont contribué à asseoir la souveraineté et l'autonomie stratégique de la France. C'est effectivement une question de fierté.

La loi de programmation militaire a modifié l'article 4 de la loi de 2010 pour faire du Civen une autorité administrative indépendante : c'était indispensable pour qu'il ne soit plus perçu comme juge et partie. On l'aura compris, la loi n'est pas en cause, c'est son application concrète et matérielle qu'il faut améliorer. Il y va de l'honneur de notre République envers ceux qui l'ont servie. Législateurs, nous devons nous assurer que leur dignité n'est pas bafouée.

Le précédent gouvernement a posé les fondations législatives et mis fin à un tabou historique ; nous souhaitons que le vôtre, monsieur le ministre, parachève cette oeuvre en proposant les mesures réglementaires qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC, RDSE et socialistes)

M. Jacques-Bernard Magner .  - De 1959 à 1996, la France a procédé à 210 essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie, indispensables à la constitution de notre force de dissuasion, avant leur remplacement par des simulations informatiques.

La reconnaissance et l'indemnisation des victimes de ces essais n'ont pas toujours paru nécessaires ; 18 propositions de loi ont été déposées sans succès avant le vote de la loi du 5 janvier 2010. Il faut savoir gré au gouvernement de François Fillon d'avoir déposé un texte dans un contexte encore peu favorable.

Quatre ans après, les chiffres ont été rappelés : taux d'indemnisation de 1,3 %, faible taux de consommation des crédits. Les amendements à la loi de programmation militaire de cet automne ont renforcé le Civen et validé l'extension du périmètre géographique du dispositif. Le Civen, sous la tutelle du ministère de la défense, était jusqu'alors perçu comme l'une des sources de blocage à l'examen des dossiers. Son indépendance devrait y remédier et l'examen des dossiers profitera opportunément de davantage d'expertise médicale. Le principe du contradictoire est désormais acté.

Ces initiatives ambitieuses sont heureuses mais des difficultés demeurent. D'abord, le ministre a évoqué, en octobre, une démarche proactive d'identification des personnes susceptibles de déposer un dossier au Civen ; le confirmez-vous, monsieur le ministre ? Ensuite, la déclassification des documents relatifs aux essais nucléaires est indispensable. Qu'en est-il ? Les victimes y auront-elles accès ? En outre, le lien de causalité est, pour l'instant, présumé : le restera-t-il ? La charge de la preuve est de la responsabilité de l'État. Enfin, la création d'une distinction honorifique souhaitée par tous dans cet hémicycle : est-elle envisagée ?

Il faut aller au terme du processus d'indemnisation : c'est une question de justice, et le président de la République s'y est engagé.

Je veux conclure en saluant le travail de la commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois ; son rôle n'est pas seulement de comptabiliser les décrets mais, bien plus, de localiser les dysfonctionnements et de chercher à les éliminer. Qui mieux que les parlementaires ont légitimité et compétence pour le faire ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Aline Archimbaud .  - En janvier 2012, nous examinions une proposition de loi de notre collègue Richard Tuheiava sur le suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie. Deux ans plus tard, nous débattons des travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois sur la loi Morin de 2010.

Des avancées concrètes ont déjà été enregistrées avec la transformation du Civen en autorité administrative indépendante ou l'introduction d'un début de procédure contradictoire. Mais des points de blocage demeurent et les victimes ont toujours affaire à un parcours du combattant. Si la procédure d'indemnisation a été simplifiée, la présomption de causalité peut être renversée par l'État s'il apparaît que le risque est négligeable ; or le logiciel utilisé conclut presque toujours qu'il l'est. Bref, la montagne a accouché d'une souris. Pourquoi ne pas prévoir un examen au cas par cas des dossiers, conformément à l'esprit de la loi ? Les décisions de rejet ne sont fondées que sur des critères statistiques et les calculs d'un logiciel qui n'a pas été conçu pour cela, non sur les conditions d'exposition aux radiations. Il est urgent de revenir aux exigences légales.

On peut aussi s'interroger sur l'article 40 de la Constitution que certains collègues se sont vu opposer quand ils demandaient un accès plus large à l'indemnisation. Très exactement, 266 284 euros ont été consommés en 2012 sur les 10 millions budgétés. Permettre aux bénéficiaires potentiels d'une aide d'y avoir accès, est-ce augmenter les charges publiques ?

Les victimes, personnels civils et militaires et populations, ont subi le manque d'informations sur les conséquences des essais nucléaires et pâtissent aujourd'hui de l'impossibilité d'accéder aux documents classifiés. Il faut mettre un terme à cette situation et rendre justice aux associations qui se battent depuis tant d'années. J'espère que les préconisations du rapport seront suivies d'effet. (Applaudissements à gauche)

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants .  - Au terme de ce riche débat, je veux vous remercier pour la qualité de vos interventions, qui témoignent de l'intérêt que porte le Parlement aux victimes des essais nucléaires -intérêt que partage le Gouvernement.

La loi de 2010 n'est remise en cause par personne. Des pistes d'amélioration sont néanmoins proposées, notamment sur la procédure de dépôt des dossiers. La loi de programmation militaire renforce les obligations du Civen ; l'indemnisation demeure soumise à l'existence d'un lien de causalité que l'administration a la charge de réfuter. En outre, la loi mêle victimes et vétérans ; la confusion doit être levée. Je salue la saisine de la Grande chancellerie pour la création d'une distinction spécifique.

Le nombre actuel d'indemnisations reste faible car peu de dossiers ont été déposés au Civen. Au 31 décembre 2013, 880 dossiers avaient été déposés, 500 jugés recevables et 13 indemnisations accordées. Ces nombres empêchent un traitement statistique fiable. Certaines associations disent disposer de centaines, voire de milliers de dossiers en attente... Comme l'a dit le ministère de la défense à de nombreuses reprises, les associations doivent inciter leurs membres à déposer des dossiers. (M. Roland Courteau approuve)

Le pilotage de l'action, désormais interministériel, sera amélioré sur le modèle d'autres dispositifs d'indemnisation confiées à des autorités administratives indépendantes. L'article 53 de la loi de programmation militaire a transformé le Civen en autorité administrative indépendante placée sous l'autorité du Premier ministre. Un pas important a ainsi été franchi.

Concernant la transparence, nous travaillons de concert avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de la santé et celui des outre-mer pour améliorer l'information auprès des populations concernées, notamment par la valorisation des travaux du Civen.

Autre chantier, associer les médecins reconnus par les associations aux travaux du Civen, une option écartée lors de l'examen de la loi Morin. Le Civen travaille de manière très transparente, l'étude des dossiers se fait au cas par cas. Sous réserve du respect du secret médical, nous ne sommes pas opposés à ce que des experts assistent aux réunions du comité, comme les parlementaires le font. Le Sénat a fait un pas de plus en réservant un siège à un médecin reconnu par les associations au sein du Civen. Sans être spécialiste, l'utilisation d'un logiciel de calcul de probabilités n'empêche pas l'instruction individuelle des dossiers car des éléments spécifiques au demandeur peuvent y être introduits.

Concernant la déclassification des informations, le ministère de la défense a traité 200 dossiers dans le courant du mois d'octobre et les données ont été transmises aux demandeurs. Une étude sur la possibilité légale et pratique de recenser tous ceux qui ont été exposés à des radiations sera bel et bien menée, selon une démarche proactive.

La transformation du Civen en autorité administrative indépendante clarifie la mission de cette institution qui ne pourra désormais plus être considérée comme juge et partie. Cela correspond aux objectifs qui sont les vôtres et les nôtres, un système juste et transparent. (Applaudissements)

Le débat est clos.

Prochaine séance demain, mercredi 8 janvier 2014, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 10.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du mercredi 8 janvier 2014

Séance publique

À 14 heures 30

Présidence :

M. Jean-Léonce Dupont, vice-président

Secrétaires :

M. Gérard Le Cam

Mme Marie-Noëlle Lienemann

1. Débat sur la politique du Gouvernement en matière d'égalité des territoires.

À 17 heures

Présidence : M. Jean-Léonce Dupont, vice-président

2. Débat sur la politique étrangère de la France.

À 21 heures 30

Présidence :

M. Didier Guillaume, vice-président

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres (n°35, 2013-2014).

Rapport de Mme Bariza Khiari, fait au nom de la commission de la culture (n°247, 2013-2014).

Texte de la commission (n°248, 2013-2014).