Simplification du droit dans les domaines justice et affaires intérieures (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Discussion générale

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Ce projet de loi s'inscrit dans le chantier ambitieux de simplification du droit et des procédures engagé par le Gouvernement pour faciliter la vie de nos concitoyens. Plusieurs articles autorisent le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Ancienne parlementaire...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Brillante !

Mme Cécile Cukierman.  - Très à l'aise !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ... je connais vos réticences à ce sujet. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, confirme) J'ai moi-même souvent ferraillé contre de telles habilitations.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Nous avons les preuves ! (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le procédé est contestable sur le principe, mais parfois opportun : ainsi pour l'application des lois outre-mer.

Le présent texte est d'une autre ambition, je l'avoue : simplifier, moderniser le droit, pour rendre nos institutions et administrations plus efficaces, au service de nos concitoyens. Il ne s'agit pas d'exproprier le Parlement. Le débat parlementaire est inappréciable, je le sais par expérience. Les ordonnances conservent d'ailleurs un caractère réglementaire, avant leur ratification par le Parlement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Par d'obscurs amendements !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le Parlement a toute liberté de retoucher des ordonnances. L'écriture originale de celles-ci tiendra compte, d'ailleurs, de vos observations. Le Gouvernement n'entend pas se précipiter.

Votre commission a supprimé certains articles, et rendu certaines dispositions directement applicables. Convenez que la Chancellerie a facilité les choses et que nous avons travaillé dans un bon esprit.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Absolument.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce projet de loi concerne la justice, l'administration territoriale, mais aussi le régime conservatoire des hypothèques.

Le juge n'interviendra plus systématiquement pour contrôler l'administration du patrimoine d'un défunt par le conjoint survivant : ce n'est plus nécessaire, du moins pour les patrimoines modestes. Je veillerai cependant à ce que les petits patrimoines ne soient pas moins protégés que les autres. Votre commission est revenue sur cette disposition ; je souhaite cependant qu'on y réfléchisse.

En ce qui concerne la protection juridique des majeurs, nous proposons que le juge puisse décider que les mesures de rétention ne seront pas révisées avant dix ans au maximum. Actuellement, la limite est fixée à cinq ans pour la première révision, mais il n'y a ensuite aucune limite de durée. Nous nous sommes fondés sur le bilan de la loi de 2007. On me demandait de reporter d'un an les révisions de tutelles, mais cela n'aurait rien résolu ; j'ai préféré renforcer les moyens des tribunaux d'instance. Le retard pris a ainsi été comblé.

C'est pour éviter que le problème ne se reproduise que nous avions porté le délai à dix ans. Votre commission n'a pas voulu de cette mesure. Il ne s'agit pourtant pas de mettre en péril les majeurs protégés.

Nous souhaitons aussi que les personnes sourdes et muettes puissent tester par un acte authentique. Elles ne le peuvent pas, ce qui est aberrant ! Vous demandez la présence de deux interprètes, pour ne pas compliquer je proposerai plutôt un seul interprète agréé.

Vous n'avez pas retenu la simplification de la preuve de la qualité d'héritier, pour les héritages de moins de 5 300 euros, soit 30 % du total. Actuellement, les maires doivent délivrer le certificat, mais ils craignent que leur responsabilité soit engagée, et c'est pourquoi beaucoup d'héritiers renoncent à leur héritage : ces renoncements, sont en hausse de 25 % : il faut y remédier car il ne s'agit pas seulement d'argent mais d'objets et de souvenirs qui n'ont d'autre valeur que sentimentale.

Votre commission a aussi supprimé l'article 3. La question est délicate.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - C'est le sujet principal

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je reconnais volontiers que nous avons eu l'audace d'aborder des sujets lourds. L'article habilitait le Gouvernement à moderniser par ordonnances le droit des contrats et obligations...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Rien que ça !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ... qui n'a pas été substantiellement modifié depuis le code Napoléon. Deux cent dix ans !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Raison de plus pour ne pas y toucher par ordonnance !

M. Jacques Mézard.  - Il était mieux écrit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cela fait plaisir venant du RDSE ... Notre code civil jouit d'une aura extraordinaire, d'autres États s'en sont inspirés. Mais une part importante du droit civil découle désormais de la jurisprudence. Il faut donc moderniser notre droit en renforçant la protection de la partie la plus faible. Les relations contractuelles ne sont-elles pas en pleine expansion ? Cette réforme n'a-t-elle pas été annoncée dès le bicentenaire du code civil ? De nombreux travaux ont été accomplis et l'on sait ce qui doit être fait. Or il est impossible d'inscrire cette réforme à l'ordre du jour des assemblées. Si nous ne la faisons pas maintenant, nous en reparlerons dans dix ans ! Les attentes sont fortes.

Nous voulions aussi supprimer l'action possessoire qui ne sert plus guère que de matière à des cours universitaires ! D'autres dispositions étaient envisagées concernant la prescription acquisitive pour la Corse et les outre-mer, mais elles n'étaient pas mûres et je comprends vos réticences.

Ce projet de loi habilite aussi le Gouvernement à réformer le tribunal des conflits, une juridiction qui remonte à 1872. J'ai repris la plupart des recommandations de Jean-Louis Gallet, son ancien vice-président. Le garde des sceaux ne présidera plus le tribunal des conflits, car cela entretient l'idée d'une confusion des genres. La question du départage est réglée par ailleurs.

L'institution s'est modernisée, sa jurisprudence - une jurisprudence en action - a évolué, et le projet de loi reprend ces avancées. Je proposerai un amendement prévoyant une loi, et non de simples dispositions dans un projet de loi d'habilitation.

Les convocations au tribunal par voie postale - recommandé avec accusé de réception - coûtent 58 millions d'euros par an, alors même que 80 % d'entre elles ne sont pas retirées. Ce projet de loi autorisera la convocation par voie électronique.

Plusieurs dispositions concernent l'administration territoriale. Ainsi nous supprimons la transmission obligatoire des actes de certains établissements publics aux préfets. Nous facilitons l'accès au relevé des points du permis de conduire. Enfin, nous remplaçons de nombreux régimes d'autorisation par des régimes de déclaration. J'ai noté la réticence de votre commission.

J'espère que le débat permettra d'avancer. (Applaudissements à gauche)

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois .  - Voici le quatrième projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier notre droit par ordonnance. En procédant par textes successifs, à l'objet clairement délimité, le Gouvernement se tient à sa nouvelle méthode de simplification du droit, et évite les textes fourre-tout du passé.

La commission des lois, dans le droit fil des travaux antérieurs du Sénat, a voulu limiter les habilitations au strict nécessaire. Elle a tantôt supprimé purement et simplement les habilitations - parfois à titre conservatoire, en l'attente d'explications. Tantôt, elle a rendu des dispositions directement applicables. Le Gouvernement s'est attaché à préciser les choses autant que possible, et je l'en remercie. L'étude d'impact est claire et exhaustive.

Mme la garde des sceaux a présenté l'essentiel des dispositions du texte, qui touche d'abord au droit civil : dans la plupart des cas, il s'agissait d'habiliter le Gouvernement à prendre des mesures ponctuelles par ordonnance.

Ce projet de loi l'habilite aussi à réformer le tribunal des conflits. Je me félicite des concessions du Gouvernement.

Sur les communications électroniques, la commission des lois a voulu apporter des garanties.

Je n'entre pas dans le détail des dispositions relatives à l'administration territoriale.

Revenons en revanche sur l'article 3. Le droit des contrats et des obligations n'a pas changé depuis 1803. En raison d'une jurisprudence considérable, « il n'est plus dans le code civil » », disait M. Mazeaud. Une réforme est donc nécessaire. Mais vu son importance, il est impensable qu'elle échappe au Parlement. Je ne vois que deux précédents : la réforme du droit de la filiation, une exception qui ne fut pas heureuse car le Parlement dut y revenir, et celle du droit des sûretés, ratifiée à la va-vite dans un texte sur la Banque de France, ce que M. Hyest avait vigoureusement dénoncé à l'époque.

Le Parlement n'aurait-il donc pas les compétences techniques nécessaires ? L'argument n'est pas recevable, au vu du travail déjà accompli sur le droit des successions en 2005 et le droit des prescriptions en 2008. Des problèmes politiques sont en jeu. Il faut trouver un « équilibre entre l'impératif de justice dans le contrat et celui de sa sécurité, obligeant une partie à rester tenue même si les dispositions lui deviennent défavorable. ». Faut-il autoriser la résiliation unilatérale d'un contrat ?

La perspective d'une ratification ne suffit pas. Le législateur ne peut alors remettre en cause les grands équilibres des textes. En outre, la voie des ordonnances n'est pas nécessairement plus rapide : l'exemple de la réforme de la filiation, qui a pris plus de quatre ans, en témoigne.

En outre, l'article exclut du champ de l'habilitation la question de la responsabilité civile, qui mérite pourtant réflexion. Voilà pourquoi la commission des lois a supprimé cette habilitation et lance un appel insistant au Gouvernement pour qu'il inscrive cette réforme à notre ordre du jour.

La question du démarchage juridique mérite aussi d'être examinée par le Parlement : elle a été réglée hâtivement par un amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à la consommation. Tout vient de la décision du 5 avril 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) jugeant contraire à la directive « Services » l'interdiction absolue du démarchage juridique. Le Gouvernement a voulu régler rapidement le problème dans la loi sur la consommation en réservant ce démarchage aux avocats.

Il en résulte une rupture d'égalité entre professions. Il est regrettable qu'elles n'aient pas toutes été associées à la réflexion. Il est souhaitable de n'autoriser que le démarchage par voie écrite, afin que l'on puisse faire la preuve que celui-ci a eu lieu et dans le respect de la déontologie de cette profession.

J'ai tenu à associer à nos travaux les représentants de la profession d'avocat. Je les ai reçus à trois reprises. Sous réserve de l'adoption de nos amendements, notre commission vous propose d'adopter ce texte, pertinent et utile, dans les limites que nous lui avons fixées. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Madame la ministre, vous nous avez parlé avec sincérité et humour. Le discours de M. Mohamed Soilihi, plein de sagesse, a bien montré les difficultés auxquelles nous faisons face. Faut-il céder au rituel qui veut que l'on dénonce avec force les ordonnances lorsque l'on est dans l'opposition et qu'on y consente lorsqu'on est dans la majorité ? Je n'en suis pas sûr.

Rendu possible par l'article 38 de la Constitution, le recours aux ordonnances peut être utile ; nous en acceptons d'ailleurs certaines dans ce projet de loi. Mais elles ne doivent concerner que des modifications à caractère technique, sans empêcher des débats fondamentaux. Notre commission a toujours eu cette position, comme elle a eu une position constante sur les lois mémorielles. MM. Hyest et Gélard pourront le confirmer.

Portalis nous regarde.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Pas d'idolâtrie ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Lorsqu'il a présenté le projet de code civil, il a dit : « Le plan que nous avons tracé de ces institutions remplira-t-il le but que nous nous sommes proposé ? Nous demandons quelque indulgence pour nos faibles travaux, en faveur du zèle qui les a soutenus et encouragés. Nous resterons au-dessous, sans doute, des espérances honorables que l'on avait conçues [du résultat] de notre mission : mais ce qui nous console, c'est que nos erreurs ne sont point irréparables ; une discussion solennelle, une discussion éclairée les réparera ». Et il s'agit là de ce que le doyen Carbonnier qualifiait de « Constitution civile de la France ».

Je pourrais aussi citer un ami disparu, Guy Carcassonne, qui écrivait : « Pour faire de bonnes lois, on n'a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les ordonnances sont comme des projets de loi qui deviendraient directement des lois. Ce sont généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu'posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce innocemment, le problème qui ne s'est découvert qu'après, à l'occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle utilement. »

Certains soirs de grande fatigue, passer devant le Parlement peut être senti comme une contrainte. Ce serait si simple de s'en passer ! Mais la procédure des ordonnances ne doit pas s'appliquer aux grands sujets comme le droit des contrats, le code civil. Le travail du Parlement est irremplaçable. C'est un travail lent, laborieux, de tamisage des amendements. La République a voulu que la loi fût écrite non par de brillants juristes mais par les représentants de la Nation, qui élaborent un texte dans le feu du débat, et le polissent et le repolissent au fil des navettes.

La réforme constitutionnelle a instauré une semaine de contrôle.

M. Jean-Louis Carrère.  - Dont l'intérêt est très relatif.

Mme Nathalie Goulet.  - Inégal.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Je vous propose de rédiger dans les formes un projet de loi que la commission des lois pourrait inscrire à l'ordre du jour dans une semaine de contrôle. Ce pourrait être dès le mois de mai.

Le droit des sûretés et celui des filiations, traités par ordonnance, ont suscité de nombreuses désapprobations, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. M. Hyest s'était opposé à cette procédure. Nous souhaitons que le débat parlementaire puisse avoir lieu sur ces sujets importants.

Telles sont les raisons de fond pour lesquelles La commission des lois, unanime, rejette l'article 3. (Applaudissements)

Mme Cécile Cukierman .  - Je salue le travail du rapporteur, qui dénonce le recours abusif aux ordonnances prévues par l'article 38 de la Constitution.

Cette procédure s'est banalisée depuis les années 2000, après avoir longtemps fait figure d'exception. Ces ordonnances touchent à des domaines divers et contribuent au désordre juridique. Le Conseil constitutionnel justifie qu'on y recoure par l'urgence et par l'encombrement du calendrier parlementaire ; la pratique en est facilitée par un jeu de complicités entre le Gouvernement et sa majorité parlementaire.

Certaines dispositions dans ce projet de loi sont effectivement de simplification et relèvent donc bien de la procédure des ordonnances. Mais il ne saurait en aller de même pour une réforme du droit des obligations. Son importance est telle qu'un vrai débat parlementaire est indispensable, sachant que la navette doit servir à enrichir les textes et pas à donner à l'Assemblée nationale l'occasion de supprimer les apports du Sénat.

La récurrence des critiques contre le recours abusif à la législation déléguée et l'absence de mesures prises pour y remédier révèle le paradoxe de cet article 38 de la Constitution, dénoncé sans relâche par l'opposition, qui l'utilise quand elle devient majorité. Notre groupe, lui, continue à dénoncer l'usurpation du droit des parlementaires par le Gouvernement.

Nous espérons être entendus afin de pouvoir voter ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Stéphane Mazars .  - Le projet de loi répond à un objectif de sécurité juridique dont le moyen doit être une simplification du droit.

Le Conseil constitutionnel a consacré dans sa décision du 16 décembre 1999 le principe d'intelligibilité de la loi. La Cour européenne des droits de l'homme, en 1979 et 1994, a affirmé les mêmes objectifs. Cela ne doit pas conduire à ignorer la complexité des textes, qui est celle des rapports sociaux. C'est pourquoi le groupe RDSE a déposé des amendements.

La réforme du droit des contrats et des obligations ne pourrait faire l'objet d'un amendement unique, la commission des lois en ayant voté la suppression. Le remplacement de l'action possessoire par une action en référé n'est pas satisfaisant. La suppression du titre exécutoire non plus : l'huissier protège l'exécution des décisions de justice, mais les procédures civiles d'exécution ne doivent pas être trop intrusives. De même, il ne nous paraît pas opportun de supprimer l'avis conforme des conseils municipaux aux emprunts contractés par les CCAS. La commune n'est-elle pas concernée par le risque pris ainsi ?

Nous proposons enfin un amendement établissant la mixité des formations collégiales de jugement, alors que les promotions de l'école de la magistrature sont désormais composées de femmes à 80 %. Les points de vue masculins et féminins doivent se compléter utilement.

M. Alain Bertrand.  - Très bien !

M. Stéphane Mazars.  - Nous suivrons les débats avec attention.

Mme Esther Benbassa .  - Ce projet de loi s'ajoute à d'autres projets de loi d'habilitation à prendre des ordonnances. Il s'inscrit dans l'objectif de simplification du droit. Améliorer la lisibilité de notre législation est pertinent : cela accroîtra la sécurité juridique de nos concitoyens. Mais le temps pour débattre de ce projet de loi est trop court : procédure accélérée, recours aux ordonnances. Comme ils l'ont fait à l'Assemblée nationale, les écologistes contestent les conditions de ce débat.

Je salue le travail du rapporteur, qui a limité les habilitations au strict nécessaire, ce qui rend le texte plus acceptable. Certains domaines d'habilitation se distinguent : le droit des obligations à l'article 3, le tribunal des conflits à l'article 7, les communications électroniques en matière pénale à l'article 8, la substitution, à l'article 14, de régimes déclaratifs à certains régimes d'autorisation administrative applicables aux entreprises.

Le texte initial prévoyait la réforme des titres III et IV du code civil. Le rapporteur a rappelé que le droit des contrats et des obligations est la source de nombreux autres droits. Une aussi ambitieuse réforme mérite un travail parlementaire approfondi. Loin d'être technique, elle pose des problèmes politiques majeurs. La commission des lois a bien fait de s'opposer au traitement par ordonnances de la réforme du code civil.

L'objectif louable de simplification ne peut justifier une habilitation aussi générale, ou la réécriture par ordonnance de pans entiers du code civil. Le groupe écologiste soutient le texte issu de la commission des lois. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest .  - Quand je lis le mot modernisation, je m'inquiète. Avec le mot simplification, je m'interroge. Quand s'y ajoute l'expression « par ordonnance », cela me fait bouillir ! Les ordonnances sont un mal nécessaire, sans doute. Mais il y en a de plus en plus. Notre travail est déstabilisé par le partage de l'ordre du jour entre Parlement et Gouvernement. Le Sénat considérait en 2008 qu'une semaine d'initiative suffisait, et que le contrôle s'exerçait au fil de l'année, en commission ; mais il a fallu composer avec l'Assemblée nationale.

En outre, on légifère beaucoup trop. Certains textes doivent être repris ensuite, voyez la question du démarchage. Le Conseil d'État serait bien meilleur que ces imbéciles de parlementaires.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Qui dit cela ?

M. Jean-Jacques Hyest.  - Un président de haute juridiction.

D'autres sujets n'intéressent personne, dit-on, et c'est pourquoi il serait légitime de les traiter par ordonnance ; c'est ce que l'on m'a répondu à propos du droit des sûretés, qui n'intéresserait que moi. Le Parlement est parfaitement capable de modifier des pans entiers du code civil. Je ne me résous pas à ce que le droit des contrats soit réformé par ordonnance. Cette réforme doit être débattue au Parlement, car ses implications sont considérables.

Certaines habilitations peuvent se transformer en textes immédiatement applicables, je pense à celle sur le consentement des sourds et muets. D'autres doivent être précisées : l'article 14, par exemple, est beaucoup trop flou.

Le rapporteur a fort bien précisé ce qu'il fallait préciser et intégré les dispositions qui ne méritent pas l'habilitation. Je n'ai jamais été favorable aux ordonnances, ni dans l'opposition, ni dans la majorité.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je n'ai pas varié non plus !

M. Jean-Jacques Hyest.  - L'État réduit son soutien aux petites collectivités territoriales. Il ne faudrait pas que cela les conduise à engager davantage leur responsabilité. Il est trop facile de leur dire « Débrouillez-vous ! » même si c'est un bon moyen pour faire faire des économies - à l'État. Cette loi ne sera pas la dernière loi de « modernisation » ou de « simplification ». Mais l'objectif ne doit pas être uniquement de faire des économies.

Madame la garde des sceaux, présentez-nous un excellent texte.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - C'est fait !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je n'en ai pas eu connaissance. Mais je m'arrête, car il semble que beaucoup de nos collègues aient hâte d'aller assister aux voeux du président de la République, puisqu'ils sont invités, eux. (Applaudissements)

M. François Zocchetto .  - L'objet de ce texte est manifestement vague. C'est presque un texte fourre-tout. Quel lien entre l'action possessoire, la communication électronique en matière pénale et les voitures de petite remise ? Vous souhaitez de plus que nous nous dessaisissions de nos prérogatives sur cette jungle de dispositions.

Guy Carcassonne s'inquiétait déjà de l'usage immodéré des ordonnances qui aboutissait à des « textes défectueux ». Il affirmait que le « tamis parlementaire » avait des « vertus intrinsèques ». La réforme proposée est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Peut-on raisonnablement l'envisager par ordonnance ? Évidemment non ! Si encore vous aviez annexé au texte ces projets d'ordonnance !

Aussi la position de principe affirmée par notre rapporteur et le président Sueur a-t-elle notre soutien. La réforme du droit des obligations pose des questions que seul le Parlement peut trancher. Même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte, nous voterons ce projet de loi tel qu'il est présenté par le rapporteur, avec l'espoir que notre message sera entendu.

M. le président.  - Nous arrivons au terme des quatre heures dévolues au groupe socialiste.

La séance est suspendue à 18 h 30.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 heures.