Débat sur les perspectives de la construction européenne

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les perspectives de la construction européenne.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes .  - Je me félicite de la tenue de ce débat, à quelques jours des élections européennes ; j'en remercie le président du Sénat et la Conférence des présidents.

Depuis le traité de Lisbonne, le rôle du Parlement européen a été renforcé : il est désormais codécideur en de nombreux domaines. Et pour la première fois, les citoyens pèseront directement sur le choix du président de la Commission européenne. Mais le climat est morose, l'Europe est trop souvent le bouc émissaire de nos maux... Ses dysfonctionnement sont souvent commentés et ses succès passés sous silence. Pourtant, 14 millions d'Européens se sont établis dans un autre État grâce à la libre circulation, Erasmus a bénéficié à 3 millions d'étudiants. La PAC, c'est 10 milliards d'euros chaque année pour notre agriculture et la politique de cohésion, 14 milliards pour nos territoires. La construction européenne a permis à notre continent de vivre durablement en paix.

Mais le sens du projet européen s'est effiloché. Une vision fait défaut, que les peuples ressentent. Le doute fait le lit du populisme. Nous devons aux jeunes générations de le combattre pour qu'ils vivent l'Europe comme une chance et non comme une menace. La commission des affaires européennes a mené une réflexion approfondie sur les perspectives européennes, sous la houlette convaincue et expérimentée de Pierre Bernard-Reymond. Son rapport, très complet, fait des propositions pertinentes ; il a recueilli une approbation unanime.

Quelle Europe voulons-nous ? Pas une Europe qui subisse les errements de la finance, l'austérité qui découle des manquements de quelques-uns, la crise, le chômage. Oui, il faut rétablir les comptes publics, réduire l'endettement. Les peuples peuvent accepter des efforts, mais il faut leur donner des motifs d'espérer. Nous voulons une Europe sociale, qui lutte contre le chômage et pour l'harmonisation fiscale, qui protège mieux les droits sociaux et les libertés fondamentales. Gardons-nous de diviser l'Europe, il n'y a pas d'un côté une Europe du Nord, parée de toutes les vertus, et une Europe du Sud, coupable de toutes les turpitudes.

La France porte ce message. Elle joue un rôle moteur pour combattre le dumping social, les fraudes. Il n'y aura pas d'espace commun sans harmonisation fiscale et sociale. L'annonce de la création d'un smic allemand va dans le bon sens, mais il faudra aller plus loin vers une plus grande harmonisation.

L'Europe doit renouer avec les grands projets, ce qu'elle a su faire dans le passé. C'est à l'échelle européenne qu'ils auront un effet de levier sur la croissance, notamment dans le domaine du numérique. Comme le disait justement Mme Morin-Desailly, l'Europe ne doit pas devenir une colonie numérique : en matière de protection des données, elle a un modèle à défendre. La crise ukrainienne nous rappelle aussi l'intérêt qu'auraient les Européens à mener une politique énergétique commune. Agir en ordre dispersé, c'est affaiblir l'Union et chacun des États qui la composent.

Pouvons-nous réaliser ces ambitions dans une Europe à 28 ? Le rapport de Pierre Bernard-Reymond pose clairement la question : qui veut avancer dans le sens de l'intégration et de la solidarité, en délaissant les égoïsmes nationaux ? Les coopérations renforcées ont fait leurs preuves. Laissons ceux qui le veulent approfondir le projet européen. L'union bancaire prend enfin forme, la coordination des politiques économiques et budgétaires a beaucoup progressé. Pour construire une Europe puissance, il faut des institutions rénovées, plus crédibles et plus visibles, un budget augmenté. Cela suppose de définir des ressources propres ; nous attendons les conclusions du groupe présidé par Mario Monti.

Nous voulons aussi une Europe plus démocratique, la composition du Parlement européen doit évoluer. Les parlements nationaux ont aussi un rôle essentiel à jouer, avec le contrôle de subsidiarité - que nous exerçons ici avec vigilance. À deux reprises, les parlements nationaux ont adressé un carton jaune à la Commission européenne, ce qui a conduit la Commission à retirer son texte sur le droit de grève et à convenir que l'avis des parlements nationaux serait pris en compte sur son projet de parquet européen.

Il faut aller plus loin avec un droit d'initiative des parlements nationaux. En matière économique et financière, en matière de politique étrangère et de défense, des structures existent désormais ; à nous de nous en saisir.

L'Europe est un grand projet, qui a permis des avancées considérables. Les dysfonctionnements existent ; il faut les analyser lucidement, pour dessiner l'Europe que nous voulons, proche des citoyens et qui réponde à leurs attentes. (Applaudissements)

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur de la commission des affaires européennes .  - Vivons-nous une simple crise, financière, économique, sociale, morale qui a déferlé sur l'Europe, sans que celle-ci n'ait eu les instruments pour y répondre ? Ne sommes-nous pas plutôt à l'aube d'une grande mutation qui va, pendant plusieurs décennies, rebattre les cartes avant que s'installe un nouvel ordre du monde au sein duquel aucune nation ne peut dire la place qu'elle y occupera ? Ou encore l'Europe, ce petit cap de l'Asie qui a apporté au monde les idées de liberté, de progrès, de solidarité, a-t-elle amorcé son déclin ? Le Bas-Empire européen a-t-il commencé ?

Ces interrogations, cette peur expliquent confusément la radicalisation, le désamour, la défiance palpable au cours de cette campagne électorale. Entre ceux qui veulent se réfugier derrière la seule Nation, les partisans de la fuite en avant vers un super-État et ceux dont l'horizon se limite aux échéances électorales, nous percevons le trouble profond que crée l'existence des différents avenirs possibles.

En réaction à l'impérialisme, s'est dressée la Nation - et avec elle le nationalisme. Après les atrocités des deux guerres, les pères fondateurs de l'Europe ont eu une intuition historique, transcender la Nation sans l'effacer pour faire émerger une communauté fondée sur la libre adhésion, la démocratie, la solidarité, le progrès et la paix. Le défi de la paix a été gagné. Le deuxième défi, ce fut la réunification du continent ; des ex-dictatures sont venues nous rejoindre. Ceux qui doutaient, les pays nordiques, le Royaume-Uni, ont estimé qu'il valait mieux être dedans que dehors.

Prochain défi : la mondialisation. La question est simple : vaut-il mieux l'aborder seuls ou plusieurs ? Le contexte appelle la réponse... En 1950, la planète comptait 2,5 milliards d'habitants, elle en comptera en 2050 plus de 9 ; tous les continents verront leur population augmenter - sauf l'Europe. Dès 2030, aucun pays de l'Union européenne ne figurera plus dans les huit premières puissances du monde. On pense alors au proverbe touareg : « Seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ».

Voulons-nous être acteurs de l'organisation et du destin de la planète, défendre nos valeurs, notre mode de vie, notre qualité de vie, ou bien usés, fatigués, désabusés et divisés nous contenterons-nous d'être simples spectateurs, livrés à la puissance d'États-continents ? J'espère que nous serons nombreux, en France et en Europe, à vouloir relever ce troisième défi. Il n'est pas gagné, mais il n'est pas perdu non plus. Le désamour à l'égard de l'Europe est explicable. La crise financière née de l'ultralibéralisme et d'un capitalisme non régulé a provoqué de vraies souffrances, sans que l'Europe ne s'érige en rempart. La plupart des chefs d'État et des politiques n'ont pas osé dire aux peuples que les Trente Glorieuses étaient révolues et pour masquer la réalité, ont endetté leur pays. Ils ont cédé à la facilité, s'attribuant ce qui allait bien et rejetant sur l'Europe bouc émissaire tout ce qui n'allait pas - en songeant à la prochaine élection plutôt qu'à la prochaine génération, en préférant sondages, marketing, tactique et communication à toute réflexion à long terme et au courage. Les chefs d'État ont du mal à déléguer une partie de leur souveraineté. Les hommes politiques qui vantaient naguère l'Europe, n'osent plus en parler devant la montée de populismes avec lesquels certains d'entre eux sont tentés de composer. La presse ne s'intéresse plus à l'Europe - sauf Public Sénat qui a retransmis le débat des prétendants à la présidence de la Commission...

La gestion de la Commission européenne est apparue à juste titre comme tatillonne, technocratique, multipliant les normes ridicules au point d'oublier le travail important réalisé, notamment par Michel Barnier.

La politique commerciale donne parfois une impression de naïveté, l'absence de politique de change provoque l'euro fort - qui n'a pas que des inconvénients mais est perçu comme un frein à nos exportations ; la politique de concurrence empêche la constitution de groupes capables de peser face aux géants internationaux. Surtout, la démocratie en Europe est largement inachevée. Le président du Conseil européen est nommé, non élu, quand l'Europe, comme toutes les grandes puissances, a besoin d'une voix, d'un visage, d'un patron ; le président de la Commission sera désigné par le Conseil, même s'il sera tenu compte de l'avis du Parlement ; les électeurs ne voient leurs députés que tous les cinq ans. Le couple franco-allemand est déséquilibré, le budget européen indigent - 1 % du PNB - ce qui est d'autant plus regrettable que si une politique de désendettement est indispensable pour les États, elle ne l'est pas pour l'Europe... C'est au niveau européen qu'il aurait fallu faire la relance (Mme Corinne Bouchoux approuve) mais des États ne l'ont pas voulu. La méthode intergouvernementale est à bout de souffle, la règle de l'unanimité rend la prise de décision difficile.

En France les pro-européens sont séparés par le mur de la bipolarisation et la tendance de chacun des camps à prêter l'oreille à la démagogie des extrêmes. Plus que tout, le problème vient de la coexistence de deux conceptions fondamentales de l'Europe : une Europe-espace à la britannique et une Europe puissance construite autour de politiques communes, avec une visée fédérale à terme. Il faut que ces deux visions cohabitent en conservant les Vingt-huit dans l'Union ; que les tenants de la seconde vision, que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin puissent le faire sans en être entravés ; qu'ils lancent un appel d'offres pour plus d'intégration.

Ce diagnostic trace le chemin et dicte le projet. Dans mon rapport, j'ai affirmé une conviction plutôt que de tenter une impossible synthèse. J'ai articulé 24 propositions, toutes soumises à discussion et amélioration ; il faudra du temps, beaucoup de temps pour qu'elles entrent un jour dans le droit positif. Mais l'Europe a besoin d'un grand projet, un projet de civilisation. Les chefs d'État devraient cesser de louvoyer, de ne s'intéresser qu'au futur proche. Il suffirait de quelques visionnaires courageux, au lieu de tacticiens frileux, pour que l'Europe se réconcilie avec elle-même et entraîne à nouveau les peuples. L'Europe doit s'organiser à terme sur un modèle fédéraliste, devenir une communauté de nations menant de nouvelles politiques fiscales, économiques, climatiques, de défense...

L'Europe sera politique ou ne sera pas. Pourquoi ne pas faire élire le président du Conseil par les 10 000 parlementaires européens et celui de la Commission européenne par le Parlement européen ? Hiérarchiser cette commission à l'exemple d'un gouvernement ? Donner un pouvoir d'initiative et le vote d'une partie des recettes au Parlement européen ? Mieux associer les parlements nationaux ?

Sur le plan économique, il faudrait doter le budget européen de ressources propres à hauteur de 60 % et le doubler, autoriser l'Europe à emprunter, créer des eurobonds, confier la politique de change à la BCE, renforcer la Cour des comptes européenne.

Oui, l'Europe est au milieu du gué. C'est en étant plus européens que nous pourrons rester souverains. Comme le disait Keynes, la difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles mais d'échapper aux idées anciennes. Il s'agit non de faire la révolution ou un grand bond en avant, mais de sortir du clair-obscur, de s'affranchir des égoïsmes nationaux pour tracer un chemin. Face au gigantesque défi que nous lance le XXIe siècle, la Nation ne peut demeurer le stade ultime de l'organisation des peuples. Les provinces ont fait la France en leur temps. Les États doivent faire l'Europe sans défaire les nations. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - Qui se rend compte que nous sommes à quelques jours des élections européennes ? La question de la diffusion du débat entre les candidats à la présidence de la Commission européenne est exemplaire : non seulement le groupe France Télévisions a refusé de le retransmettre, mais il a diffusé un programme concurrent... Il est temps de créer une radio publique consacrée à l'Europe, comme le recommande le grand fédéraliste Pierre Bernard-Reymond que, par-delà nos divergences politiques, je rejoins tout à fait sur ce sujet. Les Européens comme lui sont trop peu nombreux.

Les responsables nationaux cèdent souvent à la tentation de se défausser sur l'Europe. Il est si facile de blâmer une institution lointaine... L'Europe n'est certes pas parfaite mais dans un monde qui évolue vite elle fait du sur-place. Dans 30 ans, plus aucun pays européen ne sera membre du G8 : cela nous inquiète, cela devrait nous mobiliser.

Comment l'Europe échapperait-elle à la crise actuelle de la démocratie et de la solidarité ? Pour paraphraser Sieyès, je dirais : Qu'est-ce que l'Europe ? Tout. Qu'a-t-elle été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien. Que demande-t-elle ? À y devenir quelque chose.

Les gouvernements successifs sont passés maîtres dans l'art de minimiser le caractère politique des intégrations successives. La Commission est condamnée pour ses orientations libérales, mais ce sont celles du Conseil qu'elle sert... Et si le Parlement est impuissant, c'est parce que les États le veulent. L'opacité dans laquelle se négocie le traité transatlantique est un déni de démocratie.

Le débat du 15 mai fut, malgré tout, un putsch démocratique. Les candidats ont prévenu les gouvernements : désormais, le choix des peuples s'imposera à eux. Véritable mini serment du Jeu de paume, prêté dans un silence assourdissant. Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombes a dit un fameux philosophe.

Nous serons plus forts, non en sortant de l'euro, mais en complétant notre politique monétaire. L'Europe sera plus forte, non en donnant plus de pouvoirs aux nations, mais en rendant ses institutions plus démocratiques, en renforçant les liens entre échelons nationaux et européens. Déconnectons la citoyenneté européenne de la notion de nationalité. Accordons au Parlement européen un droit d'initiative législative, et aux élections européennes une dimension supranationale. Assumons le destin politique de l'Europe. C'est en franchissant ce pas que nous lui redonnerons vie. (Applaudissements)

M. Jean Bizet .  - En ce centenaire de la Première Guerre mondiale, et alors que l'Ukraine sombre dans la guerre civile, le projet européen conserve tout son sens. Le rapport de Pierre Bernard-Reymond le rappelle utilement après celui de Jean Arthuis sur la zone euro en 2012. Jamais ce projet n'a été un long fleuve tranquille mais ce n'est pas une raison pour que nous nous en lassions... L'Union européenne est effectivement au milieu du gué, à nous de lui donner un nouvel élan. Nos concitoyens ne doivent pas se laisser séduire par les extrémistes et les eurosceptiques, ce qui est en jeu est moins l'Europe elle-même que son fonctionnement.

L'Europe reste un projet enthousiasmant, qu'animent intrinsèquement les valeurs de paix, de liberté, de dignité et de solidarité. La construction européenne a sorti le continent de guerres régulières, qui ont débouché par deux fois sur des conflagrations mondiales.

L'Union européenne a consolidé la sortie de la guerre froide et accueilli les pays de l'est dans la démocratie, avec la libre circulation, avec Erasmus. Elle a mis en place des politiques communes comme la PAC. Sa politique économique commune reste un solide acquis : l'Union européenne est le premier marché mondial, ses parts de marché dans le monde sont stables à 16 %. Bref, il n'y a pas lieu de douter du succès de l'Union européenne.

Sortir de l'euro ce serait voir immédiatement nos taux d'intérêt augmenter, au risque de renchérir la dette publique et de nuire au financement de notre économie. Ce n'est pas parce que l'Europe ne fonctionne pas de manière optimale qu'il faudrait la mettre à bas.

Le Mécanisme européen de stabilité (MES) constitue l'outil de gestion de crise qui manquait. La supervision budgétaire a été renforcée, l'union bancaire est en marche. Même avec ses défauts, la zone euro a résisté à la crise en faisant preuve de solidarité ; les marchés ne se risquent plus à spéculer sur l'effondrement de l'euro. Ne gâchons pas à la veille d'en récolter les fruits ce que nous avons construit. La désaffection à l'égard de l'Europe s'explique largement par la conjoncture économique. Il n'y a pas d'avenir pour notre pays isolé.

Nous ne réussirions seuls ni le retour de la croissance, ni la transition énergétique, ni la maîtrise des flux migratoires. La libre circulation est un acquis auquel nos concitoyens tiennent. Pour faire face à l'arrivée des immigrés illégaux, nous soutenons la nomination d'un commissaire européen à l'immigration et l'augmentation des moyens de Frontex.

Le péché originel de la monnaie unique, c'est de ne pas être accompagnée d'une coordination fiscale et budgétaire. Poursuivons l'intégration en prenant chacun nos responsabilités, c'est-à-dire en réduisant les dettes nationales. À cet égard, la politique du Gouvernement nous laisse perplexes. Il ne suffit pas d'espérer le retour de la croissance pour qu'il vienne.

Je suis prêt à transgresser les frontières politiques pour soutenir les mesures qui vont dans le bon sens. La politique énergétique, elle aussi, doit être menée au niveau européen, dans la logique de ce qui fut la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Notre indépendance énergétique en dépend, comme nous le rappelle la crise ukrainienne.

La question est moins celle du fédéralisme que celle de la poursuite d'une construction qui serait un modèle original. Trouvons un équilibre entre le communautaire et l'intergouvernemental, évitons que Bruxelles ne s'immisce dans tous les détails de notre vie quotidienne.

Le progrès de l'intégration passe par une Europe à plusieurs cercles. Il faut mettre en place un véritable budget européen, finançant des projets communs. L'Eurogroupe doit être officialisé et doté d'une présidence permanente.

Les Français attendent avant tout une Europe plus lisible et plus démocratique. La nouvelle procédure de sélection du président de la Commission européenne constitue un premier pas.

L'Europe ne peut se passer du couple franco-allemand, d'où nos inquiétudes face aux divergences économiques qui se creusent entre nos deux pays. Cela pourrait empêcher la constitution d'un noyau central - ou alors, la France n'en ferait pas partie. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - À quelques jours d'élections européennes qui devraient être une respiration démocratique majeure, il faut tirer la sonnette d'alarme : l'abstention risque fort d'atteindre des sommets et il est à craindre de voir plus d'une centaine de députés anti-européens siéger à Strasbourg. C'est sans doute la manifestation la plus évidente du malaise qui gangrène l'Europe.

L'Union est la fille de notre histoire continentale, elle signifie libre circulation, justice, droits de l'homme et aussi la Ceca, Erasmus, Airbus. Depuis 60 ans, elle agit comme force de progrès et de liberté. Hélas, elle apparaît aujourd'hui comme une source de contraintes. L'euro est devenu un bouc émissaire après qu'il nous a permis, pour reprendre le mot de Jean Arthuis, de « jouer les prolongations » en évitant de nous réformer.

Soit, l'Europe a pris du retard sur la marche du monde. Mais ses lacunes indéniables sont-elles une raison de tout abandonner ? Face à la Chine et aux États-Unis, l'Europe ne pèse guère, on l'a vu à propos du scandale des écoutes de la NSA. Et les crises syrienne et ukrainienne montrent notre impuissance face à une Russie sûre d'elle-même et dominatrice. Mais seuls, nous serions marginalisés, ne serait-ce qu'en raison de notre stagnation démographique.

Nous avons besoin de plus d'Europe, mais pas de n'importe laquelle. Seule l'harmonisation des politiques nationales permettra de nouer de nouveaux partenariats, en particulier avec l'Afrique, ce géant de demain.

Le plus urgent est de combler le fossé démocratique entre l'Europe et les citoyens. L'euro doit enfin marcher sur ses deux jambes, avec un gouvernement économique en lien avec la BCE. Le Parlement européen doit recevoir toutes les compétences d'un parlement, avec une seconde chambre constituée de parlementaires nationaux.

La mission d'information sur la gouvernance de l'Internet a confirmé l'importance du rôle de l'Europe. Elle peut infléchir cette gouvernance dans le sens du respect des libertés, alors que le magistère des États-Unis a faibli. Nous ferons des propositions dans les prochaines semaines.

Pourquoi la France ne serait-elle pas le fer de lance d'une vaste consultation européenne sur l'Europe que les citoyens souhaiteraient ?

En 1916, Apollinaire, poète français d'origine polono-italienne, écrivait : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Mobilisons-nous pour dire quelle Europe nous voulons et rallumer les étoiles de son drapeau ! (Applaudissements)

Mme Michelle Demessine .  - Les élections européennes n'intéressent guère les citoyens. C'est pourtant l'occasion de dire quel sens ils veulent donner à l'Europe. Celle-ci ne pourra continuer à se construire sans entendre les attentes des peuples.

Loin de favoriser la coopération, l'Union européenne met aujourd'hui en concurrence peuples et territoires. Après la Seconde Guerre mondiale, la construction européenne fut un gage de paix. Or la paix n'est pas acquise, comme nous le voyons en Ukraine, à propos de laquelle l'Union européenne se montre encore une fois impuissante.

Les citoyens doivent être informés des vrais enjeux. Le traité transatlantique est négocié en secret, alors que c'est la copie conforme du projet de 1994, négocié lui aussi dans le plus grand secret et rejeté in extremis. Comment compter sur ce gouvernement, quand le président de la République veut accélérer la négociation ? Les députés du Front de gauche avaient déposé une proposition de résolution demandant l'arrêt des négociations, les députés socialistes l'ont vidée de sa substance.

Mme Nicole Bricq.  - Ils ont bien fait !

Mme Michelle Demessine.  - Jamais le fossé entre les institutions européennes et les citoyens n'a été aussi grand. Le Parlement européen doit se voir reconnaître un vrai pouvoir de décision. L'Europe doit aussi se doter d'une politique industrielle cohérente. L'actualité l'impose : projet de rachat d'Alstom par General Electric en France, enquête sur la fusion des deux grands opérateurs téléphoniques en Allemagne. Même le lobby des grandes entreprises reproche à la Commission de ne pas être assez protectrice, de ne pas porter de vision stratégique et de ne pas préserver nos capacités de recherche. Le cas de la SNCM montre que la concurrence libre et non faussée coule l'industrie européenne : la Commission lui impose de rembourser 440 millions d'aides, une véritable épée de Damoclès, quand l'entreprise propose un plan industriel consistant. Là encore, on fait primer la logique de libéralisation.

Les salariés doivent être impliqués dans les choix stratégiques des entreprises. Les peuples doivent être systématiquement consultés sur les traités essentiels. L'harmonisation fiscale et sociale n'est pas moins indispensable, pour une Europe de progrès. (Applaudissements sur les bancs CRC)

présidence de M. Charles Guené,vice-président

M. Jean-Pierre Chevènement .  - En 2012, le Gouvernement nous appelait à contextualiser le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en tenant compte de l'annexe sur la croissance, de la taxe sur les transactions financières, de l'union bancaire. Dans une motion, je soutenais que ce traité nous enfermait dans un corset budgétaire dont nous ne sortirions qu'à la suite d'une grave crise sociale. Nous y sommes. L'austérité mène à la stagnation : en 2014, la croissance en Europe sera entre 2,5 fois et 7 fois inférieure à celle des autres régions du monde. Seule l'Allemagne tire son épingle du jeu.

Citant Apollinaire Mme Morin-Desailly parlait de rallumer les étoiles. Je souhaite pour ma part réhabiliter un pharmacien lorrain qui fut en vogue dans les années 1920, le docteur Coué (Sourires), lequel prétendait guérir les gens en leur faisant répéter : « Demain sera meilleur qu'aujourd'hui. »

Le chômage explose, la déflation menace, l'excédent commercial de la zone euro s'explique par le cas allemand, quand nous sommes en déficit de 60 milliards... Les pays moins bien placés dans la division internationale du travail pâtissent de l'euro fort. La monnaie unique est inadaptée à une zone économique hétérogène. Cela peut mener à une mezzogiornisation, un appauvrissement des pays du Sud, à moins que l'on ne transforme la monnaie unique en monnaie commune, comme nous avions entre 1999 et 2002, avec des possibilités d'ajustement périodique.

Dimanche, l'abstention sera une nouvelle fois la réponse des citoyens au défaut de démocratie, une nouvelle fois illustré par le traité de Lisbonne, qui reproduisait le traité constitutionnel rejeté par 55 % des Français. En Allemagne, même, les adversaires de l'euro risquent d'obtenir un score intéressant...

Pour la Grèce, l'Irlande, Chypre, peut-être une restructuration de la dette est-elle inévitable. On s'ébaubit de ce que les pays fortement endettés peuvent maintenant se refinancer à long terme à des taux moins élevés. C'est que la BCE accorde aux banques espagnoles des prêts très avantageux pris sur la dette de leur pays.

Le Gouvernement réclame la fin de l'euro fort, l'Allemagne a beau jeu d'exciper de sa loi fondamentale, qui interdit tout prêt de la Banque centrale à l'État... Ce que font le Japon et les États-Unis, nous ne pouvons pas nous l'autoriser !

Le Premier président de la BCE s'est souvenu que le Conseil des gouverneurs pouvait prendre des mesures correctrices en matière de change, en cas de déséquilibre grave. N'est-ce pas le cas ?

Cessons de nous raconter des histoires sur la fin prétendue de la crise de l'euro, ou sur la taxe sur les transactions financières, purement cosmétique, qui ne rapportera que 5 milliards d'euros par an. L'union bancaire ? Elle s'est fondée sur l'exemple chypriote, c'est-à-dire la mise à contribution des épargnants au-delà de 100 000 euros.

Ce monde est dangereux, gardons-nous de l'aborder avec des idées trop simples. La crise ukrainienne, par exemple, doit être affrontée sans préjugés russophobes. De même, faisons preuve d'imagination en matière monétaire.

M. le président.  - Votre temps de parole est largement épuisé.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - J'en ai fini, monsieur le président. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, CRC et quelques bancs à droite)

M. Richard Yung .  - À l'instar de M. Pierre Bernard-Reymond, et contrairement à M. Chevènement, je crois que notre avenir passe par la consolidation de l'union monétaire. Grâce à la monnaie unique, nous avons surmonté la crise au cours de laquelle s'est constitué l'Eurogroupe, embryon de gouvernance européenne.

La crise a été l'occasion d'avancées : l'union bancaire, dont M. Chevènement pense qu'elle n'est rien, est pour moi un progrès considérable.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Dérisoire !

M. Richard Yung.  - Désormais, le citoyen ne paiera plus pour les crises bancaires.

L'union bancaire demandera du temps, au moins dix ans. En attendant, il faut mettre en place un filet de sécurité en adossant le fonds d'aide au MES. Pour cela, il faudra convaincre la chancelière allemande, qui s'y refuse encore. Interventions sur le marché secondaire, refinancement des banques commerciales à hauteur de 500 milliards, la BCE a agi durant la crise et réduit les tensions sur les dettes souveraines. Reste pourtant du chemin à parcourir.

Faisons de la zone euro une véritable union politique. Différentes pistes sont possibles : institutionnaliser l'Eurogoupe avec un président pérenne, sorte de ministre des finances de la zone euro, créer un parlement de la zone euro - l'économiste Thomas Piketty le suggère dans Le Monde de ce soir : une chambre des représentants des nations, une sorte de Bundesrat européen. Cette seconde voie est probablement une impasse, les députés européens disant qu'ils sont les représentants des peuples et presque tous les partis politiques allemands la refusant.

La mutualisation partielle des dépenses d'indemnisation du chômage, défendue par Dominique Bailly, est une idée intéressante. Le projet de taxe sur les transactions financières va clopin-clopant, je n'en dis pas plus. Les euro-obligations, défendues par M. Bernard-Reymond, seraient un moyen d'avancer.

Voilà quelques pistes pour animer ce débat ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, centristes et sur certains bancs de l'UMP)

Mme Colette Mélot .  - Tout a commencé en 1950 par une déclaration de Robert Schuman sur la paix. Ont suivi la Ceca en 1952, puis la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique en 1957. Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signèrent le Traité de l'Élysée qui lança le couple franco-allemand, moteur de la construction européenne. Dans les années soixante-dix, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt firent avancer la coopération sur de nombreuses questions politiques.

Nous devons garder en mémoire ces actes fondateurs. L'Europe, même s'il ne faut pas verser dans l'eurobéatitude, est une chance pour nous et nos enfants. Comment revenir en arrière devant l'émergence des géants que sont la Chine, le Brésil et l'Inde ? Avec 500 millions d'habitants, l'Europe représente le plus fort PIB au monde ; notre monnaie est recherchée. L'Union européenne doit fonctionner à géométrie variable, admettons-le. Difficile de faire l'Europe sans la Grande-Bretagne. Or elle ne veut pas de l'euro.

Mario Monti, reçu à l'Académie des sciences morales et politiques, a donné une leçon d'Europe : rejetant toute idée d'alliance des pays du sud contre l'Allemagne, il a demandé à la France de redevenir la France, pour qu'elle joue le rôle de pont avec l'Allemagne - ce qui suppose qu'elle améliore ses performances. Ce sont effectivement nos deux pays qui ont construit l'Europe, eux qui représentent la moitié de la croissance européenne.

Les arguments populistes sur l'Union ont conduit, ne l'oublions pas, à la guerre. L'élargissement de l'Union est indispensable à la démocratie. Dix ans après leur adhésion, les pays d'Europe centrale et orientale se félicitent de leur entrée dans l'Union : de l'Estonie à la Slovénie, celle-ci a dopé l'activité, les exportations, les investissements étrangers

En Pologne, le niveau de vie est quatre fois plus élevé qu'en Ukraine. Après avoir choisi la déréglementation au sortir du carcan soviétique, la Pologne est désormais une démocratie. Sur les dix pays qui ont adhéré en 2004, six ont choisi l'euro.

Le rapport de M. Bernard-Reymond est riche de recommandations. Le projet Erasmus 2 est un programme phare. Reste à harmoniser nos politiques sociales et fiscales.

Soixante-cinq ans après la déclaration Schuman, 57 ans après le traité de l'Élysée, il faut avoir l'audace d'aller de l'avant. Non, le projet européen n'est pas une vue de l'esprit ! (Applaudissements à droite)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Dominique Bailly .  - Dimanche, 400 millions de citoyens européens sont appelés à se rendre aux urnes pour choisir leurs députés. Quelle Europe voulons-nous ? Voilà toute la question. Ne laissons pas les eurosceptiques démanteler le projet européen que nous construisons pas à pas depuis des décennies. Le 25 mai constituera une nouvelle étape démocratique : le Parlement européen aura son mot à dire sur le choix du président de la Commission européenne. L'Europe pourra s'appuyer sur une légitimité démocratique qui lui faisait défaut jusque-là !

Sortons de l'austérité voulue par la droite européenne pour montrer qu'une autre Europe est possible, une Europe du progrès et de la croissance. Depuis deux ans, le président François Hollande a obtenu des avancées sur la garantie jeunesse, ainsi que sur l'encadrement et le contrôle des travailleurs détachés : la responsabilité du donneur d'ordre sera engagée ; ce n'est pas rien. C'est écrit dans la directive d'application. Progrès léger peut-être, mais qui prouve que l'Europe peut protéger les travailleurs contre le dumping social.

L'Europe sociale n'est pas une utopie, la bâtir passe par l'application des textes existants. La lutte contre les inégalités et la poursuite du modèle social européen sont l'avenir de l'Europe. J'ai toujours défendu l'idée d'une mutualisation partielle des prestations chômage, elle est désormais reprise et considérée avec sérieux. Une assurance chômage européenne remplirait un rôle de stabilisation économique, elle éviterait de faire des politiques sociales une variable d'ajustement, elle donnerait aux Européens une vision immédiate de ce que l'Europe fait pour eux.

L'Europe a beaucoup à faire : un smic européen, défini en fonction du niveau de vie de chaque État et égal à 60 % du salaire médian ; l'égalité salariale entre femmes et hommes, lutter encore et toujours contre le dumping social ; combattre le chômage des jeunes avec la garantie jeunesse, l'encadrement des stages et une aide à la mobilité étudiante, la protection des services publics, voilà quelques suggestions pour que l'Europe ne perde pas son souffle ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Roland Ries .  - Le 25 mai, les électeurs pourront exprimer leur vision de l'Europe. Hélas, beaucoup ne le feront pas ; d'autres exprimeront leur défiance, voire leur hostilité à l'égard du projet européen.

Les pères fondateurs, après la guerre, travaillèrent à une union économique qui serait le ferment d'une union plus large où Allemands et Français ne se verraient plus comme des ennemis irréductibles mais comme des partenaires.

Dans ma ville de Strasbourg, siège du Conseil de l'Europe, de la Cour européenne des droits de l'homme et du Parlement européen, chacun mesure l'extraordinaire progrès accompli par l'Europe en 60 ans. L'Union européenne aujourd'hui se trouve à la croisée des chemins.

Qui, depuis la crise de 2008, peut contester que l'idéal européen s'est abîmé dans sa politique : l'Europe s'est faite sans les peuples ? Dans ces doutes et ces défiances qui s'expriment, terreau des extrêmes, on interroge l'Europe mais l'Europe aussi s'interroge sur elle-même.

Cela nous invite à rompre avec la « vision minimale » de l'Europe, dénoncée par le président de la République dans sa tribune du 9 mai, une Europe commerciale, politique, sans âme. À cette vision, les socialistes et socio-démocrates veulent opposer une Europe des peuples. Cela passe par un approfondissement du débat démocratique dans nos instances. Or la crise a précipité sur le devant de la scène des institutions comme la Commission européenne et la BCE qui se situent hors de l'espace délibératif. Ne nous y trompons pas, derrière le principe d'indépendance que le traité confère à ces institutions, derrière le voile technocratique, c'est bien de questions politiques, au sens large, qu'il s'agit.

Depuis 1979, les citoyens élisent leurs députés européens. Avec ces élections, nous franchissons un pas démocratique : les partis européens présentent leur candidat à la présidence de la Commission européenne, les commissaires pourront être choisis parmi les nouveaux députés. La légitimité démocratique de la Commission en sera renforcée. Cela ne suffira pas, certes.

Sans vouloir verser dans la critique populiste du gouvernement des juges, je m'étonne de la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne sur les Epic. La construction européenne ne doit pas s'enliser dans le juridisme. À l'Europe technocratique, dont le siège est à Bruxelles, opposons l'Europe démocratique et citoyenne, dont le siège est à Strasbourg. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Merci à la commission des affaires européennes du Sénat pour sa contribution très riche au débat sur l'Europe. L'expérience de secrétaire d'État aux affaires européennes, de député européen et de sénateur de M. Bernard-Reymond est précieuse. À l'évidence, nous partageons une même conviction, une même certitude, une même ambition : l'Europe n'est pas la source de nos maux ; elle a apporté la paix, la stabilité, la croissance. Nous différons ensuite sur les moyens et voies à suivre... Peu importe, le Sénat s'honore d'organiser ce débat à l'orée des élections européennes. Non, l'Europe ne se fera pas sans les peuples. Et l'Europe, c'est les normes sanitaires, la PAC, les accords commerciaux avec le reste du monde, la lutte contre le dumping social. Il faut mettre fin à ce paradoxe : l'abstention progresse quand le Parlement européen est doté de plus en plus de pouvoirs. L'abstention est un renoncement : pour que la France pèse, il faut une participation forte. Je n'éviterai pas la question de l'architecture institutionnelle. L'Europe différenciée est déjà une réalité : le coeur du réacteur, c'est la zone euro ; l'espace Schengen compte 22 membres, des coopérations renforcées ont eu lieu sur le divorce, les brevets, la taxe sur les transactions financière. Cette souplesse est nécessaire, mais veillons à ne pas créer la division.

Nous devons donc continuer à travailler à Vingt-huit, chaque fois que cela est possible. Nous l'avons fait sur la directive d'application sur le détachement des travailleurs en obtenant le soutien de la Pologne. Ensuite, cette Europe différenciée doit rester ouverte à ceux qui voudront la rejoindre. Enfin, elle ne doit pas faire figure d'Europe à la carte : pas question de demander l'accès au marché commun sans accepter la libre circulation...

Le couple franco-allemand a, bien sûr, un rôle essentiel à jouer. Le président François Hollande a des contacts étroits avec la Chancelière Merkel, qui l'a invité dans sa circonscription électorale - fait rare ; j'en ai également avec mon homologue allemand. Notre histoire explique cette coopération, nous devons la poursuivre en restant un laboratoire de la construction européenne. Concrètement, nous devons répondre au défi migratoire par le renforcement de Frontex, et une politique de voisinage avec les pays du sud de la Méditerranée. Mieux vaut exploiter, à traités constants, les virtualités de l'Europe, plutôt que de s'engager dans une réforme institutionnelle qui nous vaudrait de nombreux opt-out britanniques.

Désormais, la priorité va à l'Europe de la croissance et de l'emploi, non à l'Europe de l'austérité. C'est l'axe de la politique européenne de la France. Dès juin 2012, François Hollande s'est battu pour un pacte de croissance de 120 milliards d'euros. Le BIE, qui a augmenté ses investissements de 60 milliards supplémentaires, a accordé 7,8 milliards de prêts en France en 2013, contre 4,5 milliards par an autrefois. Il faudra utiliser les project bonds, doter l'Europe de ressources propres - M. Gattolin a raison. Le cadre financier pluriannuel a été sauvegardé, les budgets de la recherche, des transports, de l'énergie augmentés, sans oublier le numérique. Enfin, d'importantes avancées ont été réalisées dans la lutte contre l'évasion fiscale. Preuve que nous tenons notre objectif de sérieux budgétaire sans obérer notre capacité à prendre le train de la croissance.

À moyen terme, l'Union monétaire devra se doter d'un mécanisme de garantie. La gouvernance de la zone euro doit effectivement être rénovée, c'est indispensable pour l'harmonisation de nos politiques. La taxe sur les transactions financières (TFF) entrera en vigueur d'ici au premier janvier 2016. Le traité transatlantique facilitera l'accès de nos producteurs au marché américain, qui leur est souvent fermé, sans diminuer nos exigences européennes. Nous sommes favorables à la transparence : d'ailleurs, les parlements nationaux et le Parlement européen auront le dernier mot.

La présidence italienne qui commence bientôt sera une opportunité pour l'Europe de la croissance. Le Conseil d'octobre sera un rendez-vous important : les Italiens veulent soutenir l'économie réelle, avec pour objectif de faire remonter la part de l'industrie à 20 % du PIB européen. Autres sujets d'importance qui seront traités : le numérique, ainsi que la défense. La crise ukrainienne a souligné l'impérieuse nécessité de bâtir une Europe de l'énergie. Le sujet sera à l'ordre du jour du Conseil de juin. Les travaux du Conseil s'articulent autour d'un accord-cadre sur le climat - avec pour objectif de réduire de 40 % les émissions de CO2 et de porter à 27 % la part des énergies renouvelables - le renforcement des interconnexions et des mécanismes d'achats groupés. Les échanges entre le président Hollande et le Premier ministre polonais ont donné lieu à des avancées, le sujet sera discuté dès le Conseil en juin. Nous devons donner un signal clair en septembre, lors du sommet convoqué par le secrétaire général de l'ONU.

C'est indispensable avant la réunion de la COP21 à Paris en 2015. Choisir entre climat et sécurité énergétique serait absurde ; pour nous, les deux vont de pair.

Enfin, l'Europe de la défense a montré ces derniers mois son actualité. Les décisions du Conseil des 19 et 20 décembre derniers doivent être mises en oeuvre, le calendrier a été fixé, il faudra tenir les échéances.

C'est vrai pour les actions en cours en Afrique, notamment au Mali. Ces progrès doivent aussi se traduire dans le domaine des capacités - je pense aux drones et aux avions ravitailleurs.

Tout ceci est au service de la grande ambition de la France pour une Europe plus prospère et plus solidaire. J'entends nos concitoyens qui se plaignent d'un divorce avec l'Union européenne. Je veux leur témoigner de notre détermination à fixer un cap clair, vers la croissance et l'emploi. Servir l'Europe, c'est servir un beau projet pour notre continent, mais c'est aussi la meilleure façon de servir la France, ses valeurs et sa place dans le monde. (Applaudissements à gauche)