Protection des navires (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires.

Discussion générale

Mme Odette Herviaux, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - L'accord en CMP n'a pas été difficile à obtenir en raison du consensus sur ce texte, les votes à la quasi-unanimité dans chacune des deux chambres l'avaient montré.

Le Sénat avait approuvé les améliorations apportées au texte par les députés, par exemple pour placer symboliquement la protection des hommes avant celle des biens ou sur le rôle du comité d'alerte sur la définition des zones de piraterie.

J'avais salué le choix de la codification effectué à l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Chanteguet. Nous avons voulu prolonger ce travail en laissant le coeur du projet de loi dans le code des transports pour placer dans le code de la sécurité intérieure ce qui relève de la régulation classique d'une activité privée de sécurité. La commission mixte paritaire a avalisé ce choix, je salue la sagesse des députés.

La CMP a adopté quelques modifications en élargissant la contribution au CNARS à toutes les entreprises, qu'elles soient françaises ou non, à l'article 3, en levant les ambiguïtés concernant le rôle du capitaine pour l'emploi de la force en cas de légitime défense à l'article 21 et, enfin, en définissant la notion d'incrimination à l'article 34 bis relatif au contrôle des douanes.

Ce projet de loi, sans régler tous les problèmes liés à la piraterie, marquera un progrès. Il est très attendu. J'invite le Gouvernement à publier les décrets d'application dans les plus brefs délais et le Sénat à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Merci de votre implication. Le texte, qui est le fruit d'un engagement pris par tout le Gouvernement après le conseil interministériel de la mer renforcera la sécurité de nos navires et la compétitivité de notre pavillon.

C'est un impératif : ce matin encore, un tanker a été attaqué dans le détroit de Malacca. L'enjeu est économique, il y va de notre compétitivité.

Au cours de la discussion parlementaire, les tâches respectives du capitaine et de l'armateur ont été clarifiées ; c'est heureux. Le recours à la force, cela a été confirmé, sera autorisé dans le seul cadre de la légitime défense, ce qui différencie l'activité de protection de celles de nos forces de sécurité. Point important car cela lève la crainte d'un détournement d'une activité de service public au profit du privé. La détention des pirates respectera les droits de l'homme.

Ensuite, un seuil minimal de trois gardes de sécurité par navire sera exigé. Naturellement, ils pourront être plus nombreux. Enfin, je salue le travail de codification. Ce texte réunira une fois de plus, je l'espère, le Sénat. Il constitue un signal attendu. Je présenterai simplement deux amendements de forme.

Je suis sensible à votre appel à une publication rapide des décrets d'application. J'y répondrai car c'est un gage de crédibilité et le moyen d'aider les professionnels à anticiper la mise en place du dispositif. Il y a le décret pris après avis du Conseil d'État et ce qui relève de mesures réglementaires simples. La concertation avec les professionnels, engagée depuis janvier, se poursuivra avec une réunion à la fin du mois pour tirer les conséquences des modifications législatives intervenues. L'objectif est de saisir le Conseil d'État avant l'été pour une publication à la rentrée. Grâce à des décrets simples, nous préciserons le nombre d'hommes à bord ou la définition des navires concernés.

Sur le référentiel, le travail interministériel a été dense et précis, avec une participation active de tous les acteurs concernés. La confiance a régné durant les réunions entre institutionnels et professionnels ; c'est la condition de l'efficacité de ce dispositif.

Le monde de la mer attendait fébrilement ce texte, dont dépend notre compétitivité. Le Sénat a fait preuve de son sens des responsabilités, personne ne doutait d'ailleurs qu'il en soit autrement. Poursuivons pour la France et le pavillon français ! (Applaudissements à gauche)

M. Charles Revet .  - Ce projet de loi comportait des imperfections que nous avons levées en première lecture au Sénat. La complexité du titre II, en particulier, posait problème. Le groupe UMP s'est réjoui de sa simplification : désormais, une autorisation d'exercice, un certificat et une carte individuelle pour les agents seront exigés. Cela ne constituera pas un obstacle pour ces agences habituées à de telles procédures. Nous avons trouvé le bon équilibre, la CMP l'a heureusement conservé.

Si nous comprenons l'interdiction d'afficher la qualité d'ancien militaire ou d'ancien agent des forces de sécurité pour les agences de sécurité, nous regrettons que le débat ait été écarté. Nos partenaires étrangers, eux, peuvent faire mention de cette qualité ; ce qui entraîne une distorsion de concurrence.

Il était trop lourd de fixer les zones par décret : l'Assemblée nationale a confié cette tâche à un comité réunissant professionnels et pouvoirs publics. Ce sera plus souple. Fallait-il fixer dans la loi un nombre minimal d'agents ? La question reste posée. Les professionnels en sont satisfaits, tant mieux. Le groupe UMP soutient pourtant globalement ce texte.

Seuls les articles 3, 21 et 34 bis ont été modifiés en commission mixte paritaire. Les modifications à l'article 3 ne changent rien au fond : la contribution au fonds de sécurité ne sera pas limitée aux entreprises françaises.

Nous avions des doutes sur le caractère évasif de l'article 21 et nous dénoncions le fait que la combinaison avec l'article 27 ne donne pas toutes les garanties légal. Certes, la rédaction nouvelle de cet article 21 sécurise davantage le travail des entreprises de sécurité. Toutefois, nos interrogations sur l'exercice des pouvoirs de police n'ont toujours pas trouvé de réponse.

C'est notre seule réserve sur ce texte satisfaisant que l'UMP votera. Je salue l'esprit de concorde qui a prévalu en commission mixte paritaire, alors même que des divergences étaient apparues sur la codification. Le travail n'est pas fini. Nous attendons les décrets. Il faut aussi mener une politique coordonnée avec les États concernés. Ce midi, l'ambassadeur du Nigéria m'a dit toute l'importance qu'il y attachait.

M. Jean-Marie Bockel .  - Le projet de loi répond à une attente des acteurs du secteur : les 264 actes de piraterie commis en 2013 appelaient une réponse forte. Alors que 90 % du transport mondial se fait par voie maritime, la présence de gardes armés à bord, déjà autorisée par une dizaine de pays européens, sécurisera nos approvisionnements et renforcera la compétitivité de notre pavillon, dans un secteur porteur de croissance et d'emploi.

À mon tour de saluer l'esprit de consensus en commission mixte paritaire, qui a débouché sur un texte équilibré, reprenant les apports de l'Assemblée nationale sur la définition du nombre des hommes armés à bord ou les obligations du capitaine, ou ceux du Sénat, distinguant dispositions relevant du code des transports et du code de la sécurité. Le cadre juridique est celui de la légitime défense. Il est urgent que la France définisse toutefois un cadre juridique adapté pour ces entreprises de sécurité. Je me félicite des annonces de M. Cazeneuve en ce sens : un chapitre de la nouvelle loi de sécurité intérieure y sera consacré.

Ne soyons pas naïfs, ce texte ne suffira pas à lui seul à faire reculer la piraterie, mais il va dans le bon sens. La circulation maritime est le poumon de l'économie mondialisée. Nous devons soutenir les pays du golfe de Guinée face à la recrudescence de la piraterie.

M. Charles Revet.  - Tout à fait !

M. Jean-Marie Bockel.  - La commission des affaires étrangères y réfléchit. Le Parlement, dans un souci de compromis et de pragmatisme, a su rédiger un texte équilibré. Notre groupe le votera.

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

Mme Évelyne Didier .  - Ma vision sera différente...

M. Charles Revet.  - Pas possible ! (Sourires)

Mme Évelyne Didier.  - Je suis sceptique quant à l'atteinte des objectifs économiques et en termes d'emplois. En effet, l'attractivité des pavillons de complaisance, à commencer par le pavillon britannique, s'accroît au détriment de nos armateurs. Depuis 2008, 2 600 emplois ont été supprimés dans la marine marchande française. Celle-ci est menacée de disparition par une concurrence mondiale qui dégrade l'emploi. Le renforcement de la sécurité ne suffira pas pour inverser la donne, même si le texte de la CMP apporte des clarifications bienvenues.

Les mesures proposées seront-elles efficaces pour la sécurité ? Nos doutes tiennent au nombre de gardes embarqués, à la multiplicité des langues parlées, à celle des instances de décision à bord, à la responsabilité du capitaine, à l'incompatibilité de telles missions avec le régime juridique de la légitime défense, à l'absence de garanties concernant la formation et l'aptitude des agents recrutés. De plus, ce texte s'inscrit dans une marchandisation de la sécurité privée.

4

Selon l'Organisation maritime internationale, l'État du pavillon devrait décourager le port et l'usage d'armes à feu par les marins, sous peine d'une escalade de la violence. Au sens du droit international, l'exercice d'une mission de surveillance armée dans les espaces internationaux et dans les mers territoriales étrangères doit être considéré comme l'exercice d'une prérogative de puissance publique. La France s'expose, avec ce texte, à une difficulté juridique. La convention des Nations unies sur le droit de la mer dispose que la haute mer est affectée à des fins pacifiques. Dans une résolution du 2 juin 2008, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas autorisé l'usage de la force dans ce cadre par des sociétés privées, estimant qu'il s'agissait d'une mission régalienne. L'agrément national des gardes privés à bord de navire ne dispense pas du respect des conventions internationales. Certains pays interdisent d'ailleurs la présence de gardes armés dans leurs eaux territoriales.

Le groupe CRC, hostile à la privatisation de missions régaliennes, votera contre ce texte. Vous m'en voyez désolée, monsieur le ministre.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État.  - Pas tant que moi !

Mme Leila Aïchi .  - Les écologistes reconnaissent la menace représentée par la piraterie. Toutefois, nous regrettons que la question soit abordée sous le seul angle sécuritaire ; nous aurions souhaité une discussion plus globale.

En CMP, deux points ont fait débat. Il revient à l'armateur de définir le nombre d'hommes armés à bord. En outre, à l'article 21, de nombreuses interrogations subsistent : l'application du cadre de la légitime défense crée des ambiguïtés. Je regrette que les craintes du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations n'aient pas été entendues. Ne laissons pas à des acteurs privés le soin de définir les modalités d'usage de la force.

Les sénateurs écologistes s'abstiendront donc. Nous saluons l'effort d'équilibre en CMP, notamment sur la codification. Les garanties supplémentaires apportées au cours du débat ont été conservées, c'est bien. Toutefois, les impératifs budgétaires ne doivent pas nous forcer à renoncer à notre marine nationale.

Ce texte fait fi de l'échelon européen et de la nécessité d'une sécurité européenne. De plus, il aurait dû s'accompagner d'une politique plus large en faveur du développement économique des pays concernés. Ne restons pas prisonniers d'une politique symbolique et passéiste. (Applaudissements sur les bancs CRC et RDSE)

M. Yvon Collin .  - Le droit de la mer s'est bâti sur les coutumes. C'était simple : « pas de quartiers ! ». (Sourires) Les actes de piraterie sont en recrudescence et menacent la sécurité des États et des approvisionnements, sans parler des prises d'otages. Loin de Rackham le Rouge, il s'agit d'une nouvelle forme de terrorisme !

Les forces publiques sont très sollicitées. Le Royaume-Uni, l'Espagne, le Danemark ont déjà autorisé la présence de sociétés de protection privée à bord. Si l'État délègue une partie de ses missions régaliennes, il régule les conditions d'obtention de l'agrément et instaure de nombreuses garanties : l'encadrement de l'usage des armes, le contrôle administratif, les sanctions disciplinaires seront dissuasives. La protection des marins a permis de réduire les actes de piraterie au large de la Somalie de 237 en 2010 à 15 en 2013. Le RDSE votera ce texte à l'unanimité.

M. Jean-Jacques Filleul .  - Ce texte était très attendu par les professionnels. Les pirates sont devenus des entreprises terroristes dynamiques. Alors que d'autres pays européens ont autorisé le recours aux sociétés de sécurité privées, nos armateurs ont été longtemps réticents mais nos forces publiques ne peuvent pas tout faire. Il était urgent de légiférer.

L'Assemblée nationale a fait primer de manière bienvenue la protection des hommes sur celle des biens. S'agissant de la codification, le Sénat a préféré une solution médiane, au profit de la lisibilité de la norme. La commission mixte paritaire a travaillé en ce sens. À l'article 21, elle a inscrit l'action des agents privés dans le cadre de la légitime défense et ainsi supprimé les distorsions dont pâtissaient les entreprises françaises. Les moyens du CNAPS ont été augmentés. Un comité tripartite aidera le Gouvernement à définir les navires concernés

Le recours à des agences privées complétera l'action de la Marine nationale. Comme le rapportait Mme Herviaux, il n'est pas question d'abdiquer un élément de souveraineté, il ne s'agit pas d'une privatisation de missions régaliennes. Alors que le président Carrère s'était inquiété du respect de la loi de programmation militaire, je note avec satisfaction que le président de la République a déclaré que les engagements votés seraient tenus. Le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement ; le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Discussion des articles

ARTICLE 12 BIS

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

1° Remplacer les mots :

Au premier alinéa

par les mots :

À la première phrase du premier alinéa

2° Compléter cet article par les mots :

et, à la seconde phrase, après les mots : « et déposée », sont insérés les mots : « , sauf pour l'activité mentionnée au 4° de l'article L. 611-1, ».

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État.  - Il n'y a pas de raison de ne pas étendre cette disposition aux personnes morales.

Mme Odette Herviaux, rapporteure.  - Favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

ARTICLE 34

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 4

Remplacer la référence :

616-1

par la référence :

611-2

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État.  - Nous corrigeons une erreur de référence.

Mme Odette Herviaux, rapporteure.  - Favorable.

L'amendement n°2 est adopté.

Le texte ainsi amendé est adopté dans la rédaction issue de la commission mixte paritaire.

La séance est suspendue à 18 h 10.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.