Territoires ruraux et réforme territoriale (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur les territoires ruraux et la réforme territoriale à Mme Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique et M. Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale.

M. Gérard Le Cam .  - Les collectivités rurales et leur population ressentent un profond sentiment d'abandon, que la réforme territoriale va aggraver. La libre administration des collectivités territoriales est déjà mise à mal par la baisse de 11 milliards d'euros des dotations ou leur conditionnement, les mutualisations forcées. Tout cela va à l'encontre de notre proposition de loi tendant à revaloriser la DGF des communes de moins de 20 000 habitants, contredit les lois de décentralisation des années 1980 et impose une vision verticale de la politique.

Au plan humain, les non-dits de la réforme vont tuer la démocratie de proximité et le lien social. Il est urgent de consulter élus, personnels territoriaux et population, entendre la France rurale plutôt que de se conformer aux exigences de Bruxelles, du Medef et des institutions financières.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique .  - Nous débattons de ces évolutions depuis longtemps. Les communes peuvent-elles répondre efficacement aux besoins de leur population ? Peuvent-elles, si j'ose dire, tenir le coup ? Voilà les vraies questions. Ne nous masquons pas les réalités. Votre commune se porte bien, monsieur le sénateur - je la connais. Mais la richesse de certaines masque la pauvreté de bien d'autres ; il n'y a pas d'autre solution que des intercommunalités plus fortes.

La notion de bassin de vie répond à cette complexité. Les maires représentent la République, les intercommunalités portent les investissements et les services. Les décisions viennent de l'observation des territoires, non d'en-haut. Je sais votre attachement à votre territoire et la République. Je vous invite à participer aux débats à venir.

M. Gérard Le Cam.  - C'est justement pour que les communes « tiennent le coup » que j'ai déposé une proposition de loi qui augmentait significativement les moyens de celles de moins de 20 000 habitants. Les maires ne doivent pas devenir les exécutants de décisions prises ailleurs. Je défends les communes au nom de l'héritage de la Révolution française.

M. Joël Labbé .  - En cette période post-électorale, nous avons pour obligation de nous interroger sur le signal qui nous a été donné, notamment par une partie de la population rurale qui ressent un sentiment de déclassement et d'abandon. Il y va de la solidité du pacte républicain.

François Mitterrand disait en 1981 que la France avait eu besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire, mais avait désormais besoin d'un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. Pour les écologistes, la réforme territoriale doit apporter des réponses aux attentes de nos concitoyens, avec des régions aux compétences renforcées et disposant d'une grande autonomie financière, et des intercommunalités organisées autour de bassins de vie, aux compétences élargies, sachant que le rôle du maire, premier interlocuteur de la population, doit rester essentiel. Les territoires ruraux seront ainsi au coeur des stratégies régionales, ils pourront construire leurs propres projets de territoire. L'agriculture retrouvera sa fonction première, nourrir les hommes.

Il y faudra des moyens financiers. Mais la DGF baisse... La seule solution, c'est la péréquation. Quelle péréquation intra et interrégionale pour demain ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale .  - Les inégalités territoriales sont fortes, vous avez raison ; la fiscalité est injuste et le système des dotations inégalitaire. Nous avons commencé la révision des valeurs locatives, une expérimentation est en cours pour l'habitation qui doit aboutir fin 2014 ou début 2015. Nous entendons aussi rendre la DGF plus juste d'ici 2016. Elle pèse 40 milliards d'euros dont 23 milliards pour les communes et leurs groupements, l'enjeu est considérable. DSU et DSR seront fortement revalorisées. Le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) sera abondé à hauteur de 780 millions d'euros. Et dès 2016, l'agrandissement des régions sera l'occasion de renforcer la péréquation en leur sein. Une péréquation qui est déjà organisée au sein du Grand Paris et de la métropole d'Aix-Marseille.

Vous le voyez, nous sommes attachés à l'égalité des territoires.

M. Joël Labbé.  - Au vu de l'importance que vont prendre les intercommunalités, l'élection au suffrage universel direct devra intervenir rapidement. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jacques Mézard .  - Cette séance de questions cribles thématiques était une demande du RDSE. Comment le Gouvernement entend-il concilier élargissement des régions et suppression des conseils généraux avec le besoin de proximité ? C'est surréaliste ! Tous les parlementaires d'Auvergne ne sont pas favorables à la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes, contrairement à ce que vous avez dit dans la presse, monsieur le ministre ! Je suis ici devant vous ! La préfecture d'Aurillac sera à dix heures cinquante-deux, aller-retour, de la métropole régionale... Vous avez reconnu que les petits départements, qui n'intéressent personne il est vrai, n'auraient plus que deux conseillers régionaux sur 150... Un PS et un UMP...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Ou deux UMP !

M. Jacques Mézard.  - Autant s'abstenir d'aller voter ! On ne peut pas dire que vous vous préoccupez des territoires ruraux... Cette réforme ne fera pas faire d'économies et mettra à mal la proximité ; c'est l'assurance que les départements ne seront pas supprimés... (Applaudissements sur les bancs UMP et du RDSE)

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Tous les députés d'Auvergne sont favorables à la fusion, y compris M. Chassaigne.

M. Roger Karoutchi.  - Pas M. Marleix !

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - La réforme apportera clarté, compétitivité et proximité. Clarté, parce que notre organisation a vieilli et que les citoyens ne s'y retrouvent plus. Compétitivité, parce qu'à taille critique nos régions seront mieux armées pour affronter la mondialisation. Proximité enfin : je le vois dans mon département, les territoires ruraux s'organisent autour d'intercommunalités qui grandissent et vont grandir encore, se regroupent...

Mme Catherine Procaccia.  - Encore des structures !

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - ... font jouer la solidarité. Ce qui remet en cause la pertinence des départements. Nous avons quatre ans pour réfléchir par quelle structure les remplacer.

M. Jacques Mézard.  - Inutile de dire que je ne suis pas convaincu... Vous voulez simplifier ? Vous revenez sur la suppression de la clause de compétence générale après avoir voté pour... Que deviendra la proximité avec les métropoles et des intercommunalités regroupées ? J'avais proposé un système pour élire les conseillers départementaux sur une base intercommunale, vous vous y êtes opposés ! Nous avons besoin d'objectifs lisibles !

M. François-Noël Buffet .  - Dix milliards, douze milliards, vingt-cinq milliards... Les estimations des soi-disant économies de la réforme territoriale varient. Comment avez-vous calculé ces chiffres ? S'il y a eu une étude d'impact, qu'elle nous soit communiquée - mais peut-être n'est-elle pas aussi parlante que vous voulez bien le dire...

L'agence Moody's bat en brèche tous vos propos : elle juge que la réforme ne fera que déplacer les coûts et même qu'elle aggravera la dépense locale. Comment feront les élus ? De quels moyens disposeront-ils pour faire face à tout ce que vous leur imposez ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Cette réforme sera source d'économies à long terme. Au départ, c'est vrai, les transferts de personnels auront un coût. Mais ne pouvons-nous pas échapper au court-termisme ?

L'UMP exige depuis longtemps des réformes structurelles, en voilà une qui marquera l'organisation de la République pour cinquante ans, dont les effets financiers se feront sentir dans cinq ou dix ans. Je tiens à votre disposition de nombreux rapports qui documentent les économies d'échelle possibles, pourvu que chacun se mette au travail. Les collectivités territoriales dépensent 250 milliards d'euros. Si l'on croit impossible d'en économiser 5 % en dix ans, autant changer de métier ! La politique, c'est du volontarisme.

M. François-Noël Buffet.  - Nous voulons une réforme structurelle des collectivités territoriales. La clarté ? Votre ligne n'est pas claire. La compétitivité ? Vous vous êtes opposés à la spécialisation des niveaux de collectivités. La proximité ? Vous avez combattu le conseiller territorial... Vous y reviendrez. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Aymeri de Montesquiou .  - La réforme territoriale est une nécessité. Mais votre projet unilatéral inquiète les élus de zones rurales ; il fait la part belle aux zones urbaines et ignore la diversité des territoires. À peine la nouvelle carte des EPCI adoptée que vous voulez imposer un nouveau seuil de 20 000 habitants d'ici 2016. La majorité des intercommunalités ne pourront assumer les dépenses sociales qui incombent aujourd'hui aux départements. Quelle place pour les bassins de vie ? Quel avenir pour les services de l'État, les chambres consulaires ?

Il n'est question que de découpage, la répartition des compétences est éludée.

Les territoires ruraux ont un grand potentiel mais ils sont fragiles, sous la menace de voir disparaître toute solidarité des territoires urbains au mépris du principe républicain d'égalité des chances. Pouvez-vous les rassurer ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - J'ai apprécié le ton de votre propos. Le 18 juin seront déposés deux textes, l'un sur le redécoupage et l'autre sur les compétences. Sur les intercommunalités, nous avons appliqué la clause de revoyure ; la densité sera un des critères pris en compte.

Le sentiment d'abandon est né d'une série de difficultés, la fermeture des services publics, des bureaux de poste, des classes... Nous devons repenser ensemble l'accès aux services publics. Je mesure l'inquiétude de ces territoires. Vous avez raison : il n'y a pas d'égalité des possibles en France. Cette égalité passe par l'organisation territoriale, par la péréquation, par un travail en commun. Nous aurons cet automne un débat parlementaire totalement ouvert.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Merci de cette réponse pesée. Nous sommes tous soucieux de l'égalité des chances, d'où notre indignation quand nous constatons que les dotations d'État oublient les zones rurales. La solution, c'est le numérique. Gauche, droite, centre doivent se réunir, sur la base des conclusions d'un audit indépendant. Les affrontements partisans sur un sujet d'une telle importance pour le pays n'ont pas lieu d'être.

Mme Frédérique Espagnac .  - La simplification de notre organisation territoriale est indispensable et son principe fait consensus, comme l'a montré notre vote sur le rapport Raffarin-Krattinger en 2013. La réforme rendra les régions plus puissantes, favorisera la cohésion territoriale. Le président de la République et le Gouvernement ont enfin le courage de s'y attaquer.

Nous voulons cependant vous faire part des inquiétudes qui s'expriment dans les territoires ruraux, qui souffrent d'un sentiment de relégation et sont particulièrement touchés par la crise. N'aggravons pas ce sentiment d'abandon en donnant le sentiment qu'on éloigne d'eux un peu plus les centres de décision. Au Pays basque, territoire identitaire s'il en est, les perspectives de solidarité du rural par l'urbain sont intéressantes ; en Béarn, il en va de même pour les zones de montagne. Beaucoup d'autres territoires sont concernés.

Dans sa tribune publiée le 3 juin 2014, le président de la République a affirmé que « des adaptations seront prévues pour les zones de montagne et les territoires faiblement peuplés ». C'est une nécessité absolue. Le Gouvernement peut-il préciser ses intentions ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Le sentiment d'abandon, la demande d'accès aux services publics sont réels. L'action publique est notre principale préoccupation. Le service public a été mis en danger à d'autres moments... Est-il possible, dans les territoires que vous évoquez, de créer une intercommunalité forte, respectueuse de l'identité locale, ouverte sur le monde ? Sans aucun doute.

Il faut regrouper les services publics en zone rurale, pour que tous les citoyens y aient accès ; l'action publique est une et doit le rester. Je connais l'acharnement des élus à défendre la présence des services publics sur leur territoire. C'est à leurs questions que nous voulons répondre.

Mme Frédérique Espagnac.  - La réforme se justifie à maints égards. Le groupe socialiste s'y engagera avec détermination et franchise, afin qu'elle bénéficie à tous. Il est temps de moderniser les services publics dans les territoires ruraux, ainsi que les territoires isolés ou fragiles : maisons de services publics, couverture en très haut débit, politique de développement... Ces territoires ne doivent pas être oubliés.

M. François Pillet .  - Il y a moins de cinq mois, le président de la République se déclarait hostile à la suppression pure et simple des départements, nécessaires à la solidarité territoriale et à la cohésion sociale. Les territoires ruraux, disait-il, y perdraient en qualité de vie sans économie supplémentaire. Ce diagnostic est partagé... Comment alors comprendre le revirement actuel ? Votre réforme obéit à des considérations opportunistes plus qu'à l'intérêt général. Réduire le millefeuille administratif ? Vous n'en faites rien, vous contentant, après vous y être opposés, de supprimer la clause de compétence générale. Que deviendront les anciennes routes nationales départementalisées ? Seront-elles régionalisées ? Les fonctionnaires des départements ? Quel avenir même pour le Sénat si les départements disparaissent ?

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Conseiller général depuis vingt-deux ans, je sais combien les départements ont été utiles, et quelle est l'implication des élus, je connais l'attachement très fort qu'ils portent à leur territoire - je le vis moi-même. Mais la montée en puissance de l'intercommunalité a mis en cause la pertinence de l'échelon départemental. Les intercommunalités passent déjà des conventions entre elles pour exercer des compétences à la place du département : transport, développement économique, foncier... Les départements restent utiles pour ce qui est de la solidarité sociale.

À compter du vote de la loi, nous avons quatre ans pour réfléchir à la transition ; il n'est en tout cas pas question de remettre en cause les politiques sociales.

M. François Pillet.  - Cette réforme touche à la vie démocratique de la France telle qu'elle fonctionne depuis des siècles. Il faut que nos concitoyens y adhèrent. Après la baisse des dotations, les hausses de charges, c'est bien mal parti... (Applaudissements à droite)

M. Vincent Eblé .  - La réforme territoriale, nécessaire, suscite des interrogations. Que les compétences départementales soient reprises par les régions et les intercommunalités, cela ne pose pas de problèmes en zone urbaine, mais il n'en va pas de même en zone rurale.

Le département, premier échelon de la décentralisation, au rôle majeur en matière de handicap, de dépendance et d'enfance en danger notamment, assure la solidarité en ville et en campagne. Fédérateur des intercommunalités, il est l'interlocuteur naturel des maires. Sa suppression impose de trouver les bons outils pour le suppléer.

La notion de « territoires ruraux », mentionnée par le Gouvernement, est imprécise : en Seine-et-Marne, villes et campagnes se côtoient. Il en va de même de toutes les zones périurbaines. À nous de trouver le bon partage des compétences pour que ces territoires continuent à se développer. La suppression sèche des conseillers généraux serait cause d'une perte de dynamique. Trouvons l'échelon adéquat.

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Président du conseil général de Seine-et-Marne, vous savez de quoi vous parlez. Nous devons réfléchir ensemble, Parlement, Gouvernement, ADF, à l'avenir de l'échelon départemental, faire preuve de responsabilité et de sens des réalités. La plupart des pays européens ont réduit le nombre de leurs échelons territoriaux. En France, il reste 13 400 syndicats intercommunaux, dont 5 800 dans le périmètre d'un EPCI. Pourquoi ne seraient-ils pas absorbés ? Il faut simplifier, rationnaliser notre organisation.

Dans les zones ni tout à fait urbaines, ni tout à fait rurales, nous avons quatre ans pour trouver le bon niveau pour faire jouer la solidarité.

M. Vincent Eblé.  - Nous sommes prêts à cette élaboration collective et même impatients. La loi devra autoriser des adaptations aux réalités propres à chaque territoire, car la France est diverse.

M. Philippe Adnot .  - Comment un président de conseil général comme vous peut-il s'opposer aussi violemment à l'existence des départements ? Ignorez-vous à quel point l'action départementale s'est enrichie ? Vous annoncez une économie de 17 milliards, vous savez très bien que c'est faux, comme s'il y avait 85 millions d'économies à faire dans l'Aube...

Votre réforme augmentera la dépense. Les départements ont su maîtriser leurs effectifs, ce n'est pas le cas des régions. Pour gérer les transports scolaires, il faut faire de la dentelle. Quand une région construit un lycée en même temps qu'un département un collège, c'est le département qui construit pour le compte de la région, qui n'a pas l'expertise nécessaire. D'aucuns affirment que la suppression de la clause de compétence générale conduira à faire 35 % d'économies dans les conseils généraux : comment peut-on dire des sottises pareilles ?

Vu la différence de régimes intermédiaires entre départements et régions et l'augmentation du nombre de TOS dans celles-ci, on peut s'attendre à une hausse de 15 % de la masse salariale. Vous préparez la ruine de nos finances et la désertification des campagnes.

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Élu du canton de ma ville natale, j'ai la passion de mon département de l'Isère, sans pour autant renoncer à ce que les institutions s'adaptent aux évolutions de la société. J'ai la fierté de n'avoir pas augmenté les impôts, d'avoir privilégié l'investissement. L'Isère est le département le moins endetté de France... Les régions sont capables d'assumer les compétences, en déléguant ensuite aux intercommunalités, rassurez-vous. Nous élaborerons cette grande et belle réforme ensemble. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Adnot.  - Demandez à la Cour des comptes de chiffrer le coût de votre réforme : vous constaterez que la dépense publique augmentera, et pour longtemps ! Chaque fois qu'une nouvelle dépense est créée, vous la transférez aux départements. Et vous voulez les renationaliser ? Bon courage ! Quant aux intercommunalités, vous n'avez toujours pas fini de mettre en oeuvre la dernière carte ! Tout cela est de la folie pure !

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 5.