Déclaration du Gouvernement sur l'engagement des forces armées en Irak

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'engagement des forces armées en Irak, en application de l'article 35, alinéa 2, de la Constitution.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense .  - Un péril mortel s'étend au Moyen-Orient.

M. Bruno Sido.  - C'est vrai.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - La stabilité de la région et au-delà, la sécurité du monde est menacée par le groupe terroriste Daech.

La France est une grande puissance.

La France assume ses responsabilités, parce qu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité. Parce que la sécurité de l'Europe est menacée. Parce que notre sécurité nationale est en jeu comme elle ne l'a jamais été au cours de ces dernières années.

Le président de la République a donc décidé d'employer la force en Irak, à la demande expresse des autorités de Bagdad.

Conformément à l'article 35 de notre Constitution, lorsque les forces armées sont engagées à l'extérieur, le Gouvernement informe le Parlement dans les meilleurs délais. Le Premier ministre a écrit au président de votre assemblée dès que les premières frappes ont été réalisées, vendredi dernier 19 septembre. Il a reçu ce matin avec Jean-Marie Le Guen, Bernard Cazeneuve et moi-même, ainsi qu'avec le chef d'état-major des armées et les directeurs du renseignement, les présidents des deux assemblées, les présidents de groupes parlementaires ainsi que les présidents des commissions de la défense et des affaires étrangères.

Je veux exprimer, à travers la représentation nationale, tout le soutien de la Nation aux militaires engagés dans cette opération.

Le moment est venu, à nouveau, de faire corps derrière les armées françaises et de nous rassembler, de faire preuve d'unité. Et je ne doute pas que ce sera le cas.

Grâce notamment au travail, souvent très risqué, des journalistes, les crimes du groupe Daech sont connus de tous. Actes de barbarie, massacres de masse, exécution d'otages : ces terroristes ne connaissent pas de limite à l'horreur.

Daech, c'est l'acronyme de la terreur. Celui d'un groupe qui prétend établir un califat au coeur du Moyen-Orient. Un groupe qui n'offre comme choix que la conversion forcée ou la mort.

Lutter contre Daech, c'est combattre une organisation dont l'appellation « État islamique » constitue un double mensonge. Elle n'a rien d'un État et ne représente en rien l'islam. C'est un rassemblement d'assassins, pour qui la vie humaine est sans valeur.

Ce groupe, ainsi que l'ont exprimé les plus hautes autorités de l'islam, est une insulte à cette religion. Et c'est une triple menace : pour l'Irak, pour le monde, et pour la France.

Une menace pour l'Irak. Depuis la chute de Mossoul, en juin dernier, Daech contrôle près du tiers du territoire irakien. Il maîtrise les points de communication et les axes stratégiques. II a accumulé d'immenses richesses, lui permettant d'acquérir encore plus d'armes, de recruter et de payer des supplétifs venant des quatre coins du monde, d'Europe, et de France.

Aujourd'hui, la stabilité de l'Irak est menacée. Son existence même est en danger. Un nouveau gouvernement s'est mis en place. II est maintenant constitué, autour de quelques priorités : lutter contre cet ennemi de l'intérieur et tenter de réconcilier les communautés irakiennes, sunnites, chiites, kurdes. Il doit aussi protéger les minorités, les chrétiens d'Irak, les yazidis.

Le gouvernement irakien nous appelle à l'aide. Le nouveau président d'Irak Fouad Massoum a demandé le soutien militaire de la France. C'est notre devoir de l'entendre. Aider l'Irak, éviter sa désintégration, c'est aussi éviter une déstabilisation massive de la région.

Une menace pour la région. Daech est né dans le chaos syrien. Il a prospéré avec la complicité du régime de Damas et s'est nourri de l'inaction de la communauté internationale. Ses effectifs seraient aujourd'hui proches de 30 000 combattants. Mais Daech ne s'arrêtera pas à l'Irak. Ses membres sont, au-delà de ce pays, une menace pour tout l'Orient. Ils contrôlent plus du quart du territoire syrien. Ils cherchent à déstabiliser le Liban. Voilà le vrai plan de cette internationale du crime : la création d'un sanctuaire terroriste depuis les rives de la Méditerranée jusqu'à celles du Golfe persique.

Une menace pour l'Europe et pour la France. Daech, c'est aussi une menace pour l'Europe et pour la France. J'ai souligné le risque que représentent les filières qui conduisent des individus français ou résidant en France à s'enrôler et à partir combattre là-bas. Je vous ai donné les chiffres : ils sont inquiétants.

C'est aussi pour cela que nous devons agir. Les filières terroristes trouvent dans ces régions déstabilisées les moyens de se développer et de frapper les pays occidentaux.

Nous avons tous à l'esprit le sort de notre compatriote enlevé en Algérie. C'est à Hervé-Pierre Gourdel que s'adressent mes pensées, à sa famille et à ses proches. Je veux dire aux Français que nous ne nous laisserons pas intimider. En s'en prenant à notre compatriote, les djihadistes s'en prennent à nous, à chacun d'entre nous.

Si nous nous montrons faibles face à cette menace, nous encouragerons ces lâches à poursuivre leur oeuvre de mort. Nous ne nous laisserons intimider, nous ne faillirons pas, nous ne tremblerons pas. Face à la menace, face au chantage, la France ne cède pas.

Intervenir en Irak, c'est protéger la France, c'est agir pour notre sécurité nationale.

Depuis plusieurs mois, la France a pris l'initiative. Parce notre pays a toujours été présent au Moyen-Orient, et parce que nous avons des responsabilités et des devoirs envers cette région.

Début août, alors que l'intégrité territoriale de l'lrak était mise à mal, que des minorités étaient menacées et que la situation humanitaire se dégradait, la France a décidé de s'engager. Tout d'abord, par de l'assistance humanitaire, puis par la fourniture d'armes et la formation de combattants.

Ce sont désormais nos avions de chasse qui survolent le territoire irakien, pour des missions de reconnaissance et, depuis vendredi dernier, pour des opérations de frappes. Les opérations aériennes en cours sont conduites en plein accord avec les forces armées irakiennes, et en coordination avec nos alliés, en particulier les États-Unis.

Notre objectif est clair. Il a été annoncé par le président de la République. Nous répondons à la demande de soutien des autorités irakiennes, pour affaiblir l'organisation terroriste Daech. Car il faut aider les forces de sécurité irakiennes et les combattants kurdes à restaurer la souveraineté de l'Irak.

Cet engagement militaire se traduit par des opérations aériennes sur le territoire irakien. Nous n'engagerons en revanche pas de troupes françaises au sol. Nous resterons impliqués jusqu'à ce que l'armée irakienne ait retrouvé la supériorité face à Daech.

Nous n'agissons pas seuls. L'action de la France s'inscrit dans le cadre d'une coalition politique et militaire. Cette coalition s'est constituée à Paris, lors de la conférence sur la sécurité et la paix en Irak, à l'initiative du président de la République, le 15 septembre dernier.

Le régime de Bachar al-Assad continue de semer le chaos qui profite aux terroristes. Le président de la République l'a rappelé lors de sa conférence de presse de jeudi dernier : la France était prête à prendre ses responsabilités il y a un an, lorsque les preuves d'un usage des armes chimiques par Assad contre son propre peuple ont été rassemblées. Nous n'en serions certainement pas là en Syrie si la communauté internationale était alors intervenue.

Les États-Unis, aidés des principaux pays de la région, ont décidé de mener des opérations contre les fiefs de Daech sur le territoire syrien.

Pour notre part, nous avons fait le choix de nous concentrer sur l'Irak et de continuer à soutenir l'opposition modérée au régime de Bachar al-Assad. Ces forces d'opposition luttent avec détermination contre les terroristes. Nous sommes résolus, avec nos partenaires, à leur apporter un soutien civil et militaire accru. Nos efforts sont complémentaires de l'action militaire que mènent les Américains.

Mais nous l'avons déjà dit et je le répète ici devant vous : Assad ne peut absolument pas être un partenaire dans la lutte contre Daech.

L'action militaire répond à l'urgence. Le combat est un combat de longue haleine contre l'islamisme, cette idéologie de mort qui détourne, corrompt le message de l'islam. Et c'est aux pays arabes aussi, ensemble, d'agir. Mais sans un accompagnement de long terme, sans une réponse politique aux causes de la menace, cette action militaire risque d'être vaine.

Cette conférence internationale a donc constitué une étape importante. Je remercie le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, d'avoir pu l'organiser avec une telle efficacité. Elle a permis de déterminer les grandes lignes d'une stratégie commune. Elle a démontré la mobilisation de 29 pays et organisations internationales pour soutenir les nouvelles autorités irakiennes, engagées dans la reconstruction de l'État irakien et la réconciliation du pays autour d'un gouvernement inclusif.

Les participants se sont entendus pour lutter contre la radicalisation, pour améliorer le contrôle des frontières et pour tarir les flux de combattants étrangers et l'assèchement de toutes les sources de financement de Daech.

C'est en effet une stratégie d'ensemble qui est nécessaire pour combattre ce terrorisme. L'action militaire n'en est qu'un des aspects.

Au-delà de l'engagement militaire, il faut poursuivre les efforts déployés en matière d'aide humanitaire. Les partenaires de cette conférence s'y sont engagés. La France est en première ligne. Nous avons déjà affrété 87 tonnes d'aide ; nous continuerons cette assistance.

Pour stabiliser la région, le sort des populations déplacées, en Irak comme en Jordanie ou au Liban, doit également faire l'objet d'une mobilisation internationale. Face à l'urgence, nous accueillons des réfugiés ayant un lien avec la France. Samedi, Laurent Fabius a ainsi accueilli, à l'aéroport de Roissy, près de 150 réfugiés irakiens.

La seule préoccupation du Gouvernement est de garantir la sécurité des Français, de la France et de ses partenaires.

La France assume à nouveau ses responsabilités en agissant pour sa sécurité, ses intérêts et la défense de ses valeurs.

À nouveau en effet, car nos armées restent déployées en Afrique sahélo-saharienne, au Mali, au Tchad, au Niger pour lutter contre le terrorisme dans la cadre de l'opération Barkhane. De même, nos soldats sont engagés en République Centrafricaine pour aider à stabiliser ce pays. Comme elles sont aussi engagées au Liban, où elles participent à la sécurisation du sud du pays et appuient les forces armées libanaises.

Le Premier ministre l'a dit hier en Allemagne : la France agit lorsque sa sécurité est en jeu ; mais elle agit aussi pour l'Europe. Cependant, celle-ci ne peut pas remettre sa sécurité à un seul de ses États membres, fût-ce la France. C'est pourquoi nous n'abandonnons pas notre volonté de voir progresser une véritable Europe de la défense.

Tous ces engagements militaires confirment la nécessité de disposer des ressources adéquates pour notre défense et notre sécurité nationale. Le président de la République a fait le choix de maintenir les crédits de la défense au cours des prochaines années, malgré un contexte budgétaire particulièrement difficile. Et nous avons traduit ce choix dans la loi de programmation 2014-2019 que vous avez votée l'an dernier.

La situation en Irak, et au Moyen-Orient, a des conséquences majeures sur notre sécurité intérieure. C'est notre principal sujet de préoccupation sur le plan de la lutte contre le terrorisme.

Nous devons agir hors de nos frontières. Mais nous devons agir aussi sur le sol national, parce que les groupes radicalisés constituent une menace chez nous.

Près de 1 000 Français ou résidents sont aujourd'hui concernés par les filières syro-irakiennes ; 580 d'entre eux combattent ou ont combattu là-bas ; 36 y sont morts ; 189 djihadistes sont revenus de Syrie. Jamais notre pays n'a eu à affronter un tel défi en matière de terrorisme.

Au-delà de ces chiffres, les profils de ces personnes doivent nous interpeller : des mineurs, des femmes, des convertis, des individus jusqu'alors inconnus des services. Ils viennent de lieux divers, de nos quartiers, de nos territoires y compris ruraux mais aussi de nos outre-mer. Le djihadisme violent exerce sur cette jeunesse sans repères une fascination qui les conduit à la radicalisation et les mène l'action directe. Le parcours de Nemmouche, l'assassin du musée juif de Bruxelles nous éclaire à cet égard.

Il nous faut être implacables dans la lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi, dès décembre 2012, une première loi anti-terroriste a renforcé la lutte contre le cyber-djihadisme, a facilité la répression de l'incitation à la haine et à la violence terroriste sur internet. Elle a aussi prévu la possibilité de sanctions pénales contre les terroristes français ou résidents dont l'intégralité des actes était commise à l'étranger.

Ce travail s'est poursuivi et enrichi avec le plan de prévention de la radicalisation présenté en avril dernier par Bernard Cazeneuve et le projet de loi adopté le 18 septembre par l'Assemblée nationale, à la quasi-unanimité et qui va être examiné par la Haute Assemblée.

Vous en connaissez les quatre objectifs principaux : prévenir et contrarier les départs ; mieux lutter contre la diffusion de la propagande terroriste, notamment sur Internet ; prendre en compte les nouveaux modes opératoires des terroristes, notamment ceux agissant seuls ; enfin, doter la justice et les services de police de moyens d'investigation adaptés à la menace et à ses évolutions.

En complément de ces mesures, le Gouvernement est engagé dans une démarche visant à lutter contre les phénomènes d'endoctrinement et de radicalisation, et à accompagner les familles qui y sont confrontées.

Dans le cadre de la lutte contre les filières terroristes vers la Syrie, 114 individus ont été interpellés, 78 ont été mis en examen et 53 incarcérés ces derniers mois. Des départs de combattants ont été empêchés, des projets d'attentat déjoués. Trois djihadistes présumés sont arrivés hier sur le sol national en provenance de Turquie. Le ministre de l'intérieur qui s'est exprimé sur le sujet aura l'occasion d'y revenir très prochainement : cette affaire ne s'est pas déroulée comme il aurait fallu.

M. Christian Cointat.  - C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je rends hommage à nos services.

La décision prise par le président de la République d'engager les forces armées en Irak, à la demande des autorités irakiennes, repose sur un triple objectif : un objectif de sécurité, car nous sommes confrontés à une menace directe, immédiate et d'une gravité exceptionnelle ; un objectif de stabilité, car Daech met en péril la survie et l'unité de l'État irakien dans une région stratégique ; un objectif de crédibilité, car lorsqu'un pays ami nous appelle à l'aide, quand des populations innocentes sont massacrées, quand nos partenaires dans la région sont menacés, quand un groupe terroriste d'une violence inouïe s'attaque à tout ce en quoi nous croyons, la France ne détourne pas le regard.

L'action de la France est nécessaire. Le président de la République l'a décidée. Elle est légitime et conforme au droit international. Elle s'appuiera sur le professionnalisme et le sens du devoir de nos armées. Elle doit pouvoir s'appuyer sur le soutien de la Nation tout entière. Je souhaite donc pouvoir compter sur l'appui de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, écologiste, au centre et à droite)

M. Pierre Laurent .  - La première raison invoquée pour légitimer cette intervention est la situation tragique des populations civiles. Nous avons le devoir de les secourir, mais comment, et par quels moyens ? Au moins 650 000 personnes restent à secourir, en Irak mais aussi en Syrie. Les Kurdes résistent seuls, sans aide internationale, à la fois contre les armées de Bachar et celles de l'État islamique. La Turquie bloque les réfugiés. Le France elle-même n'est pas à la hauteur : elle n'a accueilli que 1 500 réfugiés syriens, contre 10 000 pour l'Allemagne et la Suède. Elle n'a ouvert ses portes qu'à moins de 200 réfugiés irakiens. Nos pensées se tournent évidemment en cet instant vers notre compatriote qui vient de se faire enlever en Algérie et l'État islamique menace de s'en prendre, sur notre territoire, à la population. Nous pouvons y faire face sans céder à la peur, sans nouvelles lois d'exception. Tant que la lutte contre les groupes djihadistes ne visera pas ses causes réelles, nous n'arriverons à rien. D'où sortent ces forces obscures ? Les États-Unis ont favorisé des alliés de circonstance et se trouvent aujourd'hui dépassés par la bête immonde qu'ils ont eux-mêmes nourrie. Les interventions en Irak, en Afghanistan, ont toutes été des désastres. Comment et avec qui, stopper la barbarie ? Il faut mettre en cause ceux qui ont armé les djihadistes, ceux qui continuent d'acheter le pétrole irakien... Les frappes aériennes atteindront vite leur limite. La France s'engage-t-elle pour trois ans, comme les États-Unis. L'alignement sur l'Otan et sa stratégie dominatrice est un handicap ; nous ne soutenons plus les forces de progrès de la région.

La recherche d'une solution politique en Syrie a été torpillée. Que dire des aspirations du peuple palestinien ? La France répondra-t-elle aux demandes exprimées par Mahmoud Abbas devant les Nations unies ? (M. Philippe Dallier s'exclame)

M. Roger Karoutchi.  - Où veut-il en venir ?

M. Bruno Sido.  - C'est confus...

M. Pierre Laurent.  - Le PKK restera-t-il inscrit sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne ? Tout cela se déroule sur fond de pétrole, bien sûr, chacun jouant pour ses propres intérêts. Les sunnites ont été écartés du partage des richesses, l'État central démantelé, l'économie irakienne rendue dépendante uniquement du pétrole, sur fond de privatisation à outrance sous l'oeil bienveillant du FMI et de la Banque mondiale. (Exclamations à droite)

La Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar ont indirectement favorisé ces groupes djihadistes car ces puissances sont des clients de la France...

L'Irak doit recevoir l'aide nécessaire, ainsi que les troupes kurdes. Mais les frappes aériennes ne sont pas la réponse adéquate ; elles ne feront que renforcer le ressentiment des populations sunnites bombardées. Cessons de considérer ces régions comme l'arrière-cour des puissances occidentales avides de matières premières. À quel titre l'occident jouerait-il le gendarme du monde ? Il faut d'urgence mener d'autres politiques visant à éradiquer la pauvreté. Le Moyen-Orient n'est pas condamné à la guerre ; les solutions politiques existent : le développement, la paix, la démocratie, la solidarité. Redonnons aux Nations unies tout leur rôle, renforçons le multilatéralisme face à la suprématie de l'Otan. La politique extérieure de la France, plus atlantisée que jamais, est à contre-sens des évolutions actuelles du monde. Le sujet mérite un vrai débat, sans quoi la voix de la France ne se fera plus entendre. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs CRC)

M. Daniel Reiner .  - Je vais exprimer l'accord et le soutien du groupe socialiste à l'action menée par le Gouvernement en Irak. Le président de la République ne s'est pas trompé en qualifiant, lors de son allocution du 15 septembre, Daech de menace majeure. Nous saluons l'action du président de la République, du Premier ministre, du Gouvernement. Leur sens de l'anticipation qui conduit la France à assumer pleinement ses responsabilités. Les commissions des affaires étrangères et de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat ont été tenues régulièrement informées ces dernières semaines ; je vous en remercie.

La France est fidèle à elle-même. Son action est légitime : elle a eu lieu à la demande des autorités irakiennes, après le déplacement du président de la République en Irak le 12 septembre dernier. Acte important que la reconnaissance du nouveau gouvernement irakien d'Haïder al-Abadi, gouvernement inclusif, gouvernement d'union nationale associant les minorités jusque-là écartées par Nouri al-Maliki.

Les relations entre la France et l'Irak sont fortes et anciennes, constamment guidées par l'amitié avec le peuple irakien.

Si la France a participé à la libération du Koweït, elle a refusé d'intégrer la coalition de 2003 faute de preuves tangibles et parce que les vraies motivations semblaient ailleurs.

Nos relations sont aujourd'hui normalisées et doivent répondre à un souci de réciprocité. Notre intervention ne déroge pas au droit international : le 19 septembre, le Conseil de sécurité a prié instamment la communauté internationale de renforcer et d'élargir son appui au gouvernement irakien, et aujourd'hui se tient aux Nations unies un sommet consacré à la lutte contre la menace mondiale créée par les combattants terroristes étrangers.

La prise de conscience internationale témoigne de la gravité de la menace. La France a accueilli des réfugiés irakiens issus des minorités menacées, ayant des liens avec la France.

La France a fourni très vite de l'aide humanitaire d'urgence. Le président de la République a confirmé le déploiement d'un véritable pont humanitaire. Notre pays a aussi livré des armes aux Peshmerga kurdes, qui ont ainsi pu reprendre le barrage de Mossoul. Il a agi dans les instances internationales et organisé une première conférence sur la sécurité en Irak le 15 septembre à Paris. Enfin, elle a effectué des missions de reconnaissance et frappé un dépôt logistique près de Mossoul.

Son action s'inscrit dans une stratégie globale, face à une menace globale. Daech menace aussi directement nos ressortissants. La France a réorganisé son dispositif sur le continent africain ; elle ne déploiera pas de troupes au sol en Irak. Les troupes américaines se sont retirées en 2011 ; le souvenir en est trop récent pour intervenir à nouveau au sol.

Parce que ses actes sont d'une inhumanité inqualifiable, Daech doit être combattu. Cette organisation, qui s'appelait naguère « l'Armée islamique en Irak (AII) », avait déjà enlevé une journaliste française. Son chef d'alors, Abou Moussab al-Zargaoui avait lancé les premières attaques anti-chiites dès 2004.

Ses agissements d'un autre âge ne peuvent se réclamer de l'islam : il n'est ni un État, ni islamique. L'extrémisme et l'idéologie de groupe sont le plus grand ennemi de l'Islam, disent les dirigeants musulmans. Il faut tarir ses sources de financement.

Cette organisation a prospéré sur les frustrations causées par les impérities du gouvernement de Bachar en Syrie et du gouvernement de Nouri al-Maliki en Irak. Que la non-prise en compte de la pluralité de des sociétés-États prouve qu'il faut apporter des solutions politiques au niveau local et à une échelle plus globale.

L'engagement des États du Moyen-Orient doit devenir effectif : pour nombre d'entre eux, il s'agit d'une question existentielle. La Turquie craint un Kurdistan autonome ; il faut lui apporter des garanties pour encourager sa participation. L'Égypte, le Liban, l'Arabie saoudite et le Qatar sont eux aussi menacés. La Syrie et l'Iran sont des cas particuliers. Leur participation à la coalition est conditionnée à leurs engagements sur le nucléaire pour l'Iran, à une solution politique en Syrie.

Daech lance un défi à l'ensemble du monde. Le territoire qu'il veut contrôler, le long du Tigre et de l'Euphrate, échappe à toute convention internationale - c'était aussi l'objectif d'Aqmi au Mali. Sa logique est celle d'une multinationale du terrorisme, comme Al-Qaïda. Quelque 10 000 Européens, 1 000 Français se sont rendus en Syrie et se réclament de cette organisation.

Lutter contre Daech est un combat de civilisation. L'absence de représentants européens dans les opérations militaires interpelle. Il faudra poser la question au prochain conseil. (M. Daniel Raoul approuve) Il en va de la défense de nos valeurs. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes ; M. André Gattolin applaudit aussi) La France est une fois de plus à sa place, à la hauteur de ce double défi : combattre le terrorisme - et je salue nos militaires - et travailler à la recherche d'issues politiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, RDSE et écologiste)

M. Robert Hue .  - Le 29 juin dernier, la proclamation d'un califat par Daech sur une partie de l'Irak et de la Syrie a marqué un tournant majeur, même si nous étions déjà alertés depuis plusieurs mois, sur cette évolution inquiétante imposée avec barbarie par les djihadistes.

Ces dernières semaines, nous avons tous suivi, avec effroi, la brutalité de l'avancée de ces terroristes jusqu'à Mossoul, ne laissant aux chrétiens d'Orient d'autre choix qu'entre l'exil, la conversion forcée ou la mort. La France a d'ailleurs très vite mesuré la gravité de la situation, et je salue sa prompte réaction qui a permis de mobiliser l'Union européenne dès le 15 août pour l'organisation d'un pont humanitaire afin d'aider les populations d'Erbil. Fidèle à sa tradition de protection des minorités persécutées, notre pays a accueilli des réfugiés.

Dans ce chaos insoutenable, la violence de l'assassinat des trois otages occidentaux illustre une détermination sans borne, sans foi ni loi, de ces djihadistes dont la prétendue ferveur recherche une domination absolue pour mieux propager son obscurantisme.

Nous devons lutter, contre un mouvement qui fait de la négation de l'être humain une politique. Et contrairement à ce que prétendent les communiqués de ces terroristes, notre engagement ancien dans la lutte contre l'extrémisme islamiste n'est pas une guerre de civilisation. Tout au long de son histoire, la France a toujours noué des liens étroits avec la plupart des pays du Moyen-Orient et plus globalement avec les pays musulmans.

C'est d'ailleurs au nom de cette amitié, au nom de celle que nous avons souvent entretenue avec le peuple irakien, que nous ne pouvons pas laisser des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants se faire massacrer. Bagdad a officiellement demandé notre intervention. Comment ne pas répondre ?

Le président de la République a donc décidé la participation de la France à la coalition décidée à Newport au sommet de l'Otan. Dans sa grande majorité le RDSE approuve cette initiative, même si pour ma part, j'émettrai quelques réserves.

Il fallait rapidement agir pour affaiblir l'organisation terroriste et venir en appui des autorités irakiennes. Les forces armées irakiennes auraient été débordées sans l'aide efficace des Peshmergas kurdes. L'armée irakienne doit affronter une force qui compterait désormais de 30 000 combattants.

En outre, en conquérant un territoire près de 40 % de l'Irak les terroristes mettent la main sur des axes stratégiques, des richesses naturelles et organisent des flux financiers. Daech disposerait d'une manne financière évaluée entre un et deux milliards de dollars. Et cette réserve s'accroît au fur et à mesure de son avancée. Il est donc temps de la contenir, car les visées expansionnistes d'al-Baghdadi dépassent la Syrie et l'Irak. La Palestine, la Jordanie mais aussi le Liban figurent parmi ses objectifs. II veut réussir là où Ben Laden a échoué.

Nous ne pouvions pas rester passifs. Un large consensus s'est dégagé au plan politique comme dans l'opinion en faveur de l'intervention des forces françaises en Irak.

Sur le terrain, les premières frappes aériennes ont eu lieu. Tout doit être mis en oeuvre pour épargner les populations civiles qui n'ont déjà que trop souffert.

Cette intervention est également nécessaire pour la propre sécurité de nos concitoyens, même si à court terme, le risque de représailles est réel comme le montre hélas l'enlèvement d'un Français en Algérie. C'est une très triste nouvelle.

L'organisation, sur notre territoire, de filières d'apprentis terroristes, expose les Français à une menace croissante. Mais de l'action des services de renseignement, à Vigipirate et à notre législation sur la lutte contre le terrorisme, tout est mis en oeuvre pour que notre pays dispose d'outils toujours plus efficaces, sans nous éloigner malheureusement du risque d'un acte isolé.

Mais l'incident d'hier à propos du retour des trois djihadistes français, pose la question des moyens des services de lutte contre le terrorisme et de leur coordination. Les prochains débats budgétaires permettront d'en discuter. Cependant, vous pourrez peut-être nous éclairer dès aujourd'hui sur ce « raté » ?

Si je devais néanmoins exprimer quelques regrets autour de cette intervention, ce serait tout d'abord celui du manque d'implication significative de nos voisins européens, ce qui laisse finalement apparaître la France derrière les États-Unis, voire les Français « bons élèves » et supplétifs d'une stratégie purement américaine. Or la France est forte dans ce monde quand elle porte cette conscience et ses valeurs, affirmant plus que jamais sa capacité d'intervenir en toute autonomie et indépendance Notre pays s'honore du combat conduit à son initiative en Afrique, que ce soit au Mali ou en République centrafricaine. Mais peut-elle tenir tous ces fronts ? Est-ce souhaitable politiquement et en a-t-elle les moyens ?

Gardons notre libre arbitre, en particulier quant à l'extension de l'intervention de la coalition en Syrie. Les États-Unis effectuent depuis peu des raids en territoire syrien, alors que ce point n'avait pas été tranché au dernier Conseil de sécurité. Or notre décision d'intervenir a été prise avec l'accord de Bagdad. Quelle est la position de la France sur ce point, monsieur le ministre ? Ensuite, cette intervention, dans son seul format militaire, si nécessaire soit-elle, ne m'apparaît pas suffisante. Nous savons pertinemment que l'absence de stratégie globale ne fait que différer les problèmes.

Nous ne pouvons que le déplorer en Irak où l'intervention de 2003, à laquelle je m'étais d'ailleurs opposé, n'a pas apporté l'effet escompté. Daech est une réminiscence hybride de l'idéologie d'Al-Qaïda et de l'insurrection sunnite contre l'occupation américaine des années 2003-2008. Après une intervention militaire, comment contribuer à une solution politique dans le cadre d'une stratégie diplomatique dans laquelle la France et l'Europe peuvent prendre une place majeure et indépendante ?

Dans ce pays et au-delà, nous sommes dans une situation complexe où la lutte d'influence entre le sunnisme et le chiisme minoritaire complique les choses. On le sait, le gouvernement irakien d'al-Maliki, a concentré tous les pouvoirs et n'a pas intégré toutes les communautés, contrairement aux dispositions de l'accord d'Erbil de novembre 2010.

Il est temps que tous les pays concernés de la région participent à une stratégie commune, car seule la coexistence de toutes les communautés jugulera le terrorisme qui se nourrit de la marginalisation et de la paupérisation qui en découle bien souvent. Comment aussi imaginer dans cette partie du monde une solution politique durable qui n'associerait pas la Russie et la Chine ?

Dans cette perspective, du côté de la diplomatie occidentale, il faut intensifier les efforts en faveur des règlements politiques, car l'intervention militaire est une réponse d'urgence, mais certainement pas la voix de la paix.

La France a pris ses responsabilités en décidant d'affaiblir et si possible de contribuer à éliminer Daech, le visage inquiétant du fanatisme le plus monstrueux. Le RDSE soutient cette entreprise qui doit s'accompagner d'une réflexion stratégique plus profonde et d'une action diplomatique soutenue avec la communauté internationale dans le cadre et sous l'autorité de l'ONU. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, socialistes, écologistes, ainsi que sur plusieurs bancs UDI-UC et UMP)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bonne intervention !

M. André Gattolin .  - Il y a un an, presque jour pour jour, après avoir débattu d'un possible engagement de nos armées suite à la terrible tournure prise par la guerre en Syrie, nous nous retrouvons pour évoquer un sujet presque similaire et concernant la même région ; mais en l'espace de douze mois, la situation sur place a pris une dimension qui ajoute encore de l'horreur extrême à ce qui paraissait déjà à l'époque le pire de l'horreur.

Hier, en effet, l'usage d'armes chimiques contre des populations civiles en Syrie représentait le plus haut degré de violence jamais atteint dans ce conflit. Depuis, la guerre dans la région a franchi un seuil de barbarie presque impensable : nouveaux déplacements de population, exécutions sommaires, massacres de civils, actes de tortures et viols massifs..., une terreur sans limite qui, bien au-delà de la Syrie, s'étend désormais à l'Irak voisin.

Devant cette tragédie, la communauté internationale se trouve de fait acculée. Nous n'avons d'autre choix que d'intervenir pour tenter de venir en aide à des populations prises au piège et pour enrayer la progression d'une entreprise terroriste d'une ampleur jamais connue auparavant.

De ce point de vue, le groupe écologiste du Sénat ne peut que soutenir la décision du Gouvernement de participer à la coalition internationale qui se met en place depuis plusieurs jours.

Une participation de la France, certes toujours risquée comme toute participation à un conflit, mais une participation d'emblée voulue et affirmée comme très limitée par le président de la République, d'une part, parce que nos moyens dans la région demeurent modestes et que l'essentiel de nos capacités d'intervention extérieure est déjà mobilisé sur d'autres théâtres d'opérations en Afrique subsaharienne ; d'autre part, parce que notre action s'inscrit dans un cadre de stricte légalité internationale : nous répondons à une demande pressante d'assistance de l'État irakien. Nul besoin donc, dans ce cas précis, d'une résolution de l'ONU.

Pour autant, nous ne sommes pas ici dans la meilleure des configurations pour mettre fin, exclusivement à coup de frappes aériennes, à un conflit horriblement complexe et sanglant.

Nous pouvons certes contribuer à contenir la progression des djihadistes du soi-disant État islamique de l'Irak et du Levant dans le nord de l'Irak, pour peu que les Peshmergas kurdes n'enregistrent pas au sol de nouvelles défaites et que l'armée régulière irakienne, en cours de reconstruction, devienne très rapidement opérationnelle.

Mais nous le voyons bien, ces derniers jours le coeur du conflit s'est largement déplacé vers la Syrie, aux frontières aussi de la Turquie et du Liban.

C'est la raison pour laquelle les États-Unis, et cinq pays arabes, ont choisi depuis lundi de procéder aussi à des frappes aériennes dans certaines zones de la Syrie.

Dans l'idée d'une opération visant à contenir ou à déstructurer militairement les troupes de Daech, cette intervention en Syrie, même si elle sort du strict droit international - on peut au passage s'interroger sur l'existence aujourd'hui d'un État syrien légal et cohérent - a une logique peu discutable.

Nous sommes même légitimement en droit de nous demander jusqu'où la volonté affichée par les États-Unis de ne pas engager de troupes au sol permettrait de tenir ses objectifs. Dans l'hypothèse d'un engagement au sol, le conflit entrerait alors dans une autre dimension avec son cortège de risques et de conséquences contradictoires à court comme à moyen terme.

Disons-le clairement, cette hypothèse ne concerne pas directement la France, d'une part, parce que nous n'en avons pas les moyens militaires, d'autre part, parce que la sagesse passée de notre diplomatie, qui nous a tenu à l'écart d'une telle participation durant la guerre en Irak en 2003, nous protège d'une escalade dans notre engagement.

Il faut bien garder en tête que se contenter de frappes aériennes ou plus largement d'une opération militaire ne suffira pas à instaurer la paix dans cette région. La réponse sera nécessairement une réponse politique et diplomatique et non pas seulement une réponse d'urgence à la fois humanitaire et sécuritaire.

C'est particulièrement vrai ici, à chaque fois qu'une intervention extérieure a été déclenchée dans la région, elle s'est in fine traduite par l'apparition de nouveaux groupes armés, de nouvelles factions aux objectifs plus radicaux. II est impératif de tirer les enseignements des échecs passés si nous voulons enfin pouvoir mettre en place les conditions d'une sortie par le haut à cette succession de conflits.

Les conditions de cette sortie de crise supposent d'engager très vite les voies d'un règlement politique et diplomatique qui pourrait prendre le relais de l'actuelle réponse militaire. En la matière, la France et l'Union européenne ont un rôle majeur d'initiative à jouer.

Quelles sont les raisons de l'émergence de ce prétendu État islamique en Irak et au Levant et l'origine de ses moyens humains, logistiques et financiers ? Celui-ci, qui s'est constitué en agrégeant des groupes parfois très divers, a souvent bénéficié de l'appui de pays de la région qui voulaient ainsi intervenir dans la guerre en Syrie, avant de s'allier, de rompre avec leurs anciens sponsors et de se radicaliser.

Au stade actuel, cette organisation profite évidemment des prises de guerre et des détournements de matériels opérés en Irak et surtout en Syrie, à l'occasion des combats et du ralliement des groupes dont je parlais à l'instant.

Mais il est manifeste qu'elle s'appuie aussi sur divers trafics, notamment de pétrole, provenant des champs pétroliers des zones du nord de l'Irak passées sous son contrôle. II serait intéressant d'identifier les intermédiaires et les clients de ces trafics et restreindre si possible cette manne trop commode. Là encore, cette démarche requiert une coopération internationale aussi prononcée que possible.

Nous le savons, les responsabilités dans cette tragique évolution sont des plus partagées et, dans le même temps, nous ne pouvons en aucun cas nous contenter d'établir ces responsabilités pour dire avec lesquels de ces acteurs, nous voulons ou non travailler aujourd'hui. Cela peut être difficile à admettre. Car si nous faisions cela, il y aurait très peu de monde autour de la table des discussions, au moment où la diplomatie devra succéder à l'action militaire.

Disons-le tout net : seule une grande conférence internationale mobilisant l'ensemble des puissances et des acteurs concernés permettra peut-être de sortir la région de cette spirale infernale. Dans cette perspective, nous ne devrons avoir aucun tabou, aucune réticence. Quand bien même cela ne dédouanera personne de ses responsabilités, ni ne permettra d'oublier les terribles drames qui ont secoué ces pays.

Cela veut dire que les acteurs syriens dans leur ensemble - régime de Bachar el-Assad et opposants à ce régime compris - devront être associés à ces discussions ; que l'Iran - seul pays à même, aujourd'hui, de parler avec la plupart des parties à ce conflit - ne pourra être laissé à l'écart ; que la Turquie, dont le rôle est hélas souvent ambigu, devra clarifier sa position :elle a peut-être commencé à le faire en accueillant depuis peu sur son territoire des dizaines de milliers de réfugiés kurdes, les principales victimes de la situation actuelle.

Cela signifie aussi que la question du Kurdistan et de son autonomie devra bien sûr, elle aussi, être posée mais là encore posée sans tabou.

La politique du gouvernement irakien devra elle aussi évoluer - et avec le changement de Premier ministre elle a commencé à le faire - pour apaiser les tensions passées avec ses populations sunnites.

Sans oublier bien sûr la Russie, très constante et très présente dans la région via son appui au régime syrien...

Apporter une réponse durable à la situation à laquelle fait face la communauté internationale ne sera pas aisé, mais je crois qu'il est important de rassurer nos concitoyens sur un certain nombre de points.

Oui, cette organisation terroriste peut être militairement réduite, et même vaincue : quoique fortement équipée et manifestement déterminée, elle ne semble pas être en mesure de tenir durablement des territoires aussi vastes que ceux sur lesquels elle prétend aujourd'hui exercer sa domination. La mobilisation des opinions publiques dans de nombreux pays musulmans pour dénoncer les exactions de ce prétendu État djihadiste, ainsi que la participation directe d'États de la région aux opérations visant à la réduire témoignent assez de ce qu'il ne s'agit en rien d'un choc entre civilisations mais d'une lutte entre les civilisations et ceux qui veulent leur porter atteinte.

Nous devons bien prendre garde, en France, dans un contexte sociétal et politique tendu, à ne pas céder aux facilités de l'amalgame ni à la panique.

Nous devons faire preuve de prudence sur notre territoire, en luttant contre les possibles actes terroristes mais aussi contre les effets délétères de ces drames sur nos propres consciences. Sans minimiser l'impact possible de la situation en Syrie et en Irak au sein de notre société, rappelons quand même que le conflit israélo-palestinien est de loin celui qui suscite le plus de passions dans notre opinion - et qu'instinctivement beaucoup de monde y voient la source de bien d'autres conflits, celui-ci inclus.

N'oublions pas non plus cette autre bombe à retardement qu'est la Libye, dont la mise à feu semble déjà bien enclenchée, et dont les retombées pourraient être considérables.

Nous devons avoir ces questions en tête en même temps que nous réfléchissons et agissons sur ce qui se passe en Irak et en Syrie.

Tous ces conflits sont certes différents, mais ils restent liés à bien des égards et notamment dans les représentations collectives ; vouloir mettre fin à l'un d'entre eux, c'est vouloir mettre fin aux autres.

Je conclurai sur le rôle que l'Union européenne, au-delà de notre seul pays, pourrait et devrait jouer dans les mois et les années à venir. C'est peu de dire qu'elle est absente aujourd'hui, en raison du caractère embryonnaire des politiques extérieures et de sécurité européennes, des divisions qui peuvent encore la parcourir sur certains aspects, et enfin, de manière plus conjoncturelle, en raison du renouvellement en cours de ses instances.

Ce dernier point en dit long sur le chemin qu'il nous reste à parcourir pour rendre l'Europe plus efficace et opérationnelle... En outre, l'Angleterre reste totalement à l'écart de ce conflit, sans doute parce que David Cameron se souvient encore un peu trop de l'échec qu'il a essuyé l'an passé, au sujet de la Syrie, vis-à-vis de sa propre majorité. Et pourtant l'Union européenne a une carte à jouer ; plusieurs de ses États sont des acteurs engagés sur la scène internationale, comme la Pologne, la République tchèque, les Pays-Bas ou le Danemark ; à ce propos, je salue l'action du ministre de la défense et de son homologue danois qui en juin dernier ont élaboré une stratégie de coopération entre nos deux pays. Ces pays constituent peut-être les embryons d'une future défense européenne.

L'Europe, aussi, a su faire la démonstration de son utilité dans les discussions avec l'Iran ; elle entretient une relation de longue date, quoique particulièrement tumultueuse, avec la région. Son engagement dans ces dossiers constituera sans doute le premier test grandeur nature pour ses dirigeants, une fois que la nouvelle Commission sera en fonction.

L'intervention est aujourd'hui inévitable pour répondre à la crise humanitaire et redonner de l'espace et du temps locaux à nos alliés locaux dans ce conflit. Sachons utiliser au mieux ce nouveau délai pour préparer une sortie de crise qui soit enfin durable et permette d'associer au mieux l'ensemble des peuples concernés. (Applaudissements sur les bancs écologistes, sur certains bancs socialistes et du RDSE et sur quelques bancs au centre)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

M. André Trillard .  - À quelques jours du renouvellement du Sénat, il y a urgence face à la barbarie. La France ne peut rester immobile face aux massacres des chrétiens d'Orient et d'autres communautés par des terroristes. La France, dont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a inspiré la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies, la France, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, ne peut rester inactive.

MM. Roger Karoutchi, Philippe Marini, Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. André Trillard.  - Face à une telle cruauté, il ne peut y avoir de polémique ou de division. Je remercie les responsables des communautés religieuses en France, qui ont fermement condamné la violence de ces fous d'un dieu qui leur tient lieu d'alibi et je salue particulièrement les déclarations de soutien des responsables de la communauté musulmane en France aux chrétiens d'Orient pour leur langage de vérité et de paix.

M. Roger Karoutchi.  - Très bien !

M. André Trillard.  - Tous les responsables doivent ouvrir lucidement les yeux sur la réalité des menaces. Attaché à l'unité nationale, le groupe UMP soutient le Gouvernement dans sa lutte contre le terrorisme, en France, en Irak, et ailleurs dans le monde.

La France a connu le terrorisme sur son sol, comme la Belgique, l'Espagne, la Grande-Bretagne, nos alliés, mais aussi le Maroc et d'autres pays voisins. Il est temps d'adopter une grille de lecture cohérente des attentats de ces dernières années qui dépasse très largement la Méditerranée ; chaque ressortissant européen à l'étranger est devenu une cible potentielle. L'enlèvement de notre compatriote auquel nous pensons tous aujourd'hui en est l'illustration la plus récente. Il n'y a pas de mots assez durs pour condamner la terrible mise en scène des décapitations de journalistes, d'humanitaires, de civils. Aujourd'hui, nous devons affronter des mouvances terroristes plurielles, recrutant sur Internet pour des camps d'entraînement ; il ne s'agit plus seulement de nébuleuses identifiables, comme Al Qaïda, mais aussi de sectes comme Boko Haram ; maintenant, nous sommes face à Daech, dont les ramifications vont en Syrie. Ces groupuscules sont en rivalité permanente, en quête de reconnaissance sur la scène internationale ; tous considèrent que leur barbarie est un gage de crédibilité politique et tous jouent de leur médiatisation. Mais le fléau du terrorisme trouve ses origines dans la déliquescence des États, au Mali et ailleurs.

L'EIIL est né des cendres de la deuxième guerre d'Irak ; la communauté internationale s'est détournée de ce pays et les Irakiens n'ont pas cessé de vivre dans la terreur. Le départ des troupes américaines n'y a rien changé.

Il y a un an, ici même, il était question d'intervenir en Syrie contre un dictateur qui faisait usage d'armes chimiques contre son peuple. Aujourd'hui, nous devons combattre le même ennemi que Bachar el Assad.

Monsieur le ministre, où en est l'implication de la Jordanie, de l'Arabie saoudite, du Qatar, du Bahreïn ? Vous avez déclaré la semaine dernière devant les commissions des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat, que la France devait rester libre de ses décisions stratégiques : qu'en est-il ? Quid de la livraison d'armes aux rebelles syriens d'hier, potentiels ennemis d'aujourd'hui ? Nous livrons également des armes aux Kurdes ; à terme, l'unité de l'Irak sera remise en question. Lors de la deuxième guerre d'Irak, le président Jacques Chirac s'était démarqué de la politique de Bush, qui souhaitait une nouvelle carte de la région.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Pas Sarkozy !

M. André Trillard.  - Non, Chirac.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Et il a bien fait !

M. André Trillard.  - Il avait refusé d'entraîner la France dans cette guerre. C'est inspiré de ce message d'indépendance et animé de la volonté de paix à long terme que la France doit agir.

L'Europe doit se préoccuper du problème des réfugiés en Turquie, pays qui joue un rôle charnière : nous l'avons vu hier soir, avec le grave incident du transit de djihadistes français. L'Union européenne doit revoir sa politique aux frontières ; l'espace Schengen, créé en temps de paix, n'est plus adapté à la lutte contre le terrorisme.

Nous soutenons le Gouvernement sur le principe d'une intervention aérienne en Irak, mais rappelons qu'aucune politique de défense ne peut se substituer à une diplomatie globale au Moyen-Orient.

Plus que jamais, la France doit être unie et rassemblée face à cette épreuve.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

M. André Trillard.  - Notre soutien n'est pas un blanc-seing. Dans le même esprit de responsabilité, nous invitons le Gouvernement à revoir d'urgence les restrictions imposées au budget de la défense, en particulier aux crédits des Opex. Le Sénat vous avait déjà alerté lors de l'examen de la LPM.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Et il continuera !

M. André Trillard.  - Nous rendons hommage au professionnalisme et au courage de nos forces armées, qui font l'honneur de la France, mais qui n'ont pas toujours le soutien qu'elles méritent. Leur moral s'en trouve parfois atteint.

Nous nous réjouissons de la réaction de l'Algérie qui lutte fermement contre les djihadistes. Mais le président de la République doit aussi mobiliser nos partenaires européens. Être européen, ce n'est pas seulement satisfaire à des critères d'endettement (rires à droite), se cantonner à des problèmes de croissance et de déficit...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Très bien !

M. Christian Cointat.  - Excellent !

M. André Trillard.  - La France est consciente qu'elle doit respecter ses engagements économiques, mais il faut que nos partenaires respectent aussi les leurs en matière de sécurité et défense.

Le soutien de nos concitoyens est essentiel, et la première réponse aux menaces, c'est l'unité nationale. Ce soutien et cette unité, il vous appartient de les obtenir ; ils dépendront, sur la durée, de la clarté des réponses apportées aux Français. (« Très bien ! » et applaudissements à droite et sur certains bancs socialistes)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Après la Libye, le Mali et la Centre-Afrique, la France assume ses responsabilités. L'ensemble des membres du groupe UDI-UC soutient cette intervention française en Irak. Le groupe est au garde à vous pour soutenir nos armées à l'extérieur.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - La prolifération d'un nouveau terrorisme dans le monde musulman nous interpelle. L'État islamique est un cancer géopolitique, né de l'échec américain en Irak et du refus de Bachar el Assad d'autoriser une vie démocratique en Syrie, qui menace sérieusement la paix et la sécurité internationale. Ce califat autoproclamé a des ambitions larges et des moyens importants. J'avais déjà interrogé le Gouvernement il y a quelques mois sur la situation des chrétiens d'Orient. La prise de Mossoul a montré que l'État irakien est trop faible pour s'imposer face aux menaces qui pèsent sur lui. Nous ne pouvons pas considérer le cas irakien comme isolé. Le djihadisme est un cancer global. La Palestine, la Jordanie, le Liban, la Turquie sont menacés, l'Afrique est touchée.

Une nouvelle génération de djihadistes est née. Ils sont partout, même au Kazakhstan, pays pourtant d'Islam modéré. Le terrorisme islamiste a longtemps été traité comme une simple question sécuritaire. Or c'est un problème politique mondial. Au regard des documents saisis dans sa cache, il semble que Ben Laden, penseur et organisateur, à la fois Marx et Lénine, concevait le djihadisme comme un projet politique global... Daech en reprend l'héritage. Cette idéologie guerrière bouscule le monde musulman. Le cancer djihadiste frappe partout, mais gardons-nous de jouer une fois de plus la mélodie du fardeau de l'homme blanc !

Nous sommes intervenus en Libye, la région s'en est trouvée déstabilisée. Nous sommes intervenus au Mali et les terroristes se sont réfugiés ailleurs. Les États d'Asie centrale, où je me suis rendu avec le sénateur Dulait, craignent beaucoup le départ des troupes alliées d'Afghanistan. La déstabilisation de ces États serait un véritable drame ! Prenons garde de ne pas jouer l'Occident contre l'Orient ; les solutions politiques aux défis du djihadisme doivent être formulées par les musulmans eux-mêmes. Ainsi, le Kazakhstan accueillera en 2015 un grand congrès religieux de l'ensemble du monde musulman modéré, du Maroc à l'Indonésie.

Réfléchissons aux institutions propres à enrayer la prolifération du djihadisme. D'où des questions sur le périmètre et les objectifs de notre intervention en Irak : la demande du gouvernement irakien ne suffira pas à éradiquer Daech. Cela dit, le risque d'escalade n'est-il pas exclu, au regard des frappes américaines en Syrie ? Devons-nous nous résigner à intégrer l'actuel gouvernement syrien dans le règlement de la crise créée par Daech ? Pourquoi ne pas regrouper l'ensemble des puissances régionales, y compris la Russie et l'Iran, menacées par l'expansion du terrorisme ? La Russie serait d'un grand secours... Or nous avons suspendu après la crise ukrainienne un programme de coopération avec la Russie pour lutter contre le terrorisme. L'Iran a aussi un rôle clé à jouer pour réunir sunnites et chiites au sein d'un projet commun, rappelle Mme Goulet.

M. Christian Cointat.  - Tout à fait !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Je regrette enfin que la France et le Royaume-Uni soient les seules puissances européennes à supporter la sécurité et la diplomatie européenne. Où est l'Allemagne, où est l'Union européenne ?

D'où vient l'argent de l'État islamique ? Ne peut-on couper les racines du mal en asséchant ses finances ? La Turquie achète-t-elle le pétrole qui transite par ses affidés ? Nous avons armé les rebelles syriens ; certaines armes ont-elles rejoint Daech ?

Depuis la loi de programmation militaire, sommes-nous en capacité logistique d'intervenir en Irak, sachant que nous sommes engagés au Mali, en RCA, que nous sommes présents au Liban, au Kosovo, en Côte d'Ivoire, en Guinée, en Asie centrale? Nous sommes proches du point de rupture. Puisque nous avons les pays du Golfe avec nous, ne pourraient-ils pas nous aider ? Le surcoût des Opex correspond au prix d'un grand magasin qu'ils ont acheté à Paris ! (On s'amuse) Nous pourrions leur poser la question...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Vous viendrez avec moi ! (Sourires)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Et en plus, ils ne paient pas d'impôts !

M. Roger Karoutchi.  - Qu'ils achètent plutôt des Rafale !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Et quid des pays asiatiques, menacés de déstabilisation par le terrorisme musulman ? Je pense au Pakistan, à l'Indonésie et aux Philippines...

Seules des solutions politiques issues du monde musulman permettront de régler ce conflit idéologique. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC, UMP et quelques bancs écologistes, socialistes, du RDSE)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - L'heure est grave. En dépit de vos déclarations triomphalistes, monsieur le ministre,...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Pas du tout !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - ... le seul succès actuel est de communication. (Protestations sur les bancs socialistes) Pas moins de 61 % de Français - dont moi-même - favorables à l'intervention : vu le niveau de popularité du président de la République et du Gouvernement, un sondage positif relève de l'exploit ! (Applaudissements sur quelques bancs à droite ; murmures sur les bancs socialistes)

Mais la guerre est un acte trop grave pour l'instrumentaliser à des fins politiciennes. Qualifier de succès la destruction de quelques cibles, c'est aller bien vite en besogne.

La situation n'est pas si simple. Nous faisons face non à une armée de fous de Dieu, avançant en ordre de bataille, mais à des groupes ultra-violents mais dispersés dans des territoires livrés au chaos, et des populations locales contrôlées non par la seule terreur mais le rétablissement d'un certain ordre public. Le traitement du problème ne saurait se résumer à la communication, ni à l'action militaire : l'impasse libyenne le prouve.

Tirons les leçons des précédentes guerres d'Irak et d'Afghanistan. L'urgence est à la constitution d'un gouvernement irakien légitime associant toutes les communautés. Avec Bariza Khiari et Roger Karoutchi, nous travaillons à la création au Sénat d'un groupe d'études sur les chrétiens d'Orient pour réfléchir aux moyens d'inverser la spirale de la violence.

La solution ne viendra pas du ciel, fût-il sillonné par les Rafale.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Alors, que faut-il faire ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Il faut des hommes sur le terrain. La coalition internationale a donc armé des rebelles locaux ; mais certains rebelles syriens qui se sont fâchés avec Daech n'ont rien de démocrates ! Instrumentaliser les uns pour neutraliser les autres est un jeu de poker très risqué. Gare au pourrissement !

La France a longtemps refusé des frappes en Syrie, au prétexte que cela pourrait aider Bachar al-Assad.

Hubert Védrine a rappelé récemment que contre Hitler, les démocraties ont fait alliance avec Staline en dépit du sang qu'il avait sur les mains... (M. Jean-Yves Le Drian, ministre, s'exclame)

Face à ces défis, le manque de coopération internationale est désespérant. L'absence de l'Iran, l'un des premiers pays à combattre l'EIIL, est incompréhensible, comme celle de la Russie et de la Chine, principal investisseur dans le pétrole irakien. L'implication de la Turquie, de l'Arabie saoudite, de la Jordanie, du Qatar est aussi cruciale. L'image d'une croisade franco-américaine est ravageuse pour les populations locales, mais aussi pour nos compatriotes présents dans la région. Cela nous donne une image de suiveurs alors que nous devrions avoir un rôle moteur dans la recherche d'une solution politique concertée.

M. Christian Cointat.  - Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Nous nous réveillons un peu tard, pour répondre au triste sort des chrétiens d'Orient...

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Vous ne pouvez pas dire cela !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Nous avons lancé en juillet un appel parlementaire en ce sens ; le président Hollande n'y a pas encore répondu...Autre obstacle à une force d'intervention de l'ONU, le probable veto russe. Là encore, je déplore qu'on s'évertue à écarter la Russie des négociations. Le dialogue est très insuffisant. Une intervention onusienne serait indispensable à la crédibilité de la légalité internationale. Or les États-Unis bombardent depuis un mois, sans mandat international. L'artifice juridique de l'article 51 de la Charte ne trompe personne. (Protestations sur les bancs socialistes) L'ONU doit être réformée, c'est vrai, mais elle offre déjà un cadre : une mission est déjà en place, dont le mandat court jusqu'au 31 juillet 2015. Pourquoi ne pas s'appuyer davantage sur elle ? Si la cause est juste, les moyens de la servir sont essentiels : j'émets donc de réels doutes sur la stratégie déployée. Au-delà de l'anéantissement du Daech, il faudra savoir instaurer la paix. « L'Irak a été créé un dimanche de folie » disait Churchill. Ce pays ne pourra fonctionner sans associer à son gouvernement les chiites ; Jacques Chirac l'avait compris. Cela demeure valable. Quid des chrétiens en Syrie ? Comment résoudre le problème palestinien ? Soyons conscients des dangers sur le territoire national. Le rapport de juin 2013 de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la surveillance des djihadistes dressait un triste constat - illustré hier encore par l'échec retentissant de nos services dans l'interception de djihadistes proches de Mohamed Merah.

Je suis très inquiète pour la sécurité de nos ressortissants à l'étranger, en particulier en Algérie, et dans les pays du Moyen-Orient où ils sont facilement identifiables. Ils nous demandent d'être prudents dans nos paroles, de ne pas toujours tout dire ! On ne peut pas laisser dire n'importe quoi sur les réseaux sociaux et sur ces plateaux télévisés où se succèdent des débats parfois dignes du café du commerce.

MM. Christian Cointat, Jean-Claude Lenoir, Gérard Larcher, Roger Karoutchi.  - Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Parfois, le silence est d'or !

J'attends le projet de loi sur le terrorisme avec impatience, et j'exhorte tous nos collègues, tous nos compatriotes, à nous rejoindre dans ce combat contre la barbarie, tout en veillant à ne pas exacerber les tensions intra-communautaires. Ce n'est pas l'islam que nous combattons, mais la bestialité et l'ignorance d'une petite minorité. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères .  - A l'issue de ce riche débat, les propos - parfois contradictoires - expriment une approbation très majoritaire de la décision du président de la République. Mais il faudra faire le tri dans tous ces conseils...

Avec Daech, exacte traduction en arabe des termes d'État islamique en Irak et au Levant - dénomination impropre, tant le terme d'État et la référence à l'islam sont inappropriés - nous sommes face à un véritable califat de la barbarie et de la terreur, selon l'expression de Laurent Fabius, que je préfèrerais utiliser...

MM. Christian Cointat, Jean-Claude Lenoir, Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Très bien !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Par commodité, je m'en tiendrai néanmoins à l'acronyme bien connu désormais. À nous de faire prendre la mesure du danger à l'opinion publique et à nos partenaires. Il faut expliquer et expliquer encore. L'objectif de Daech menace toute la région : les prochaines cibles seront le Liban, la Jordanie, et bien sûr Israël. Son idéologie se résume dans un choix simple : se soumettre, ou mourir. Il organise une véritable éradication de tout ce qui n'est pas lui, et notamment de toutes les minorités. La menace est désormais globale et recouvre un arc de crise, des zones tribales du Pakistan au golfe de Guinée. Un véritable cancer, dont les métastases se propagent jusqu'au Yémen, dans la corne de l'Afrique. Le danger, c'est la mise en synergie de cette internationale terroriste. Les porosités apparaissent, hélas, nombreuses. Le ralliement de groupes mafieux notoires, comme celui qui a enlevé l'un de nos compatriotes en Algérie, en est une illustration. Nos ressortissants sont désormais des cibles, et les combattants à l'étranger de véritables bombes à retardement. La possibilité d'un attentat sur le sol français est forte, malgré la remarquable efficacité de nos services.

Toute la région risque d'être déstabilisée. La prise de conscience du danger a conduit à mettre en place une coalition - même si il y a des pays plus rapides que d'autres à prendre leurs responsabilités, selon une expression en cours à l'ONU, que je fais mienne. Ce nouvel ennemi utilise le cyberespace, se fond dans la population, n'offre pas de prise. Il faut lui opposer l'action globale, avec la résolution 2170 du Conseil de sécurité. Cela suppose une réponse dans le temps long. À nous d'imposer notre agenda. Les condamnations de Daech par les autorités religieuses de l'islam vont dans le bon sens. Mais c'est sur le terrain, dans les mosquées, lors des prêches du vendredi, qu'elles auront le plus d'impact.

Pas de troupes au sol, ont dit la France et les États-Unis. Or les frappes aériennes ne suffiront pas. C'est donc sur les forces irakiennes et kurdes que reposera l'essentiel de l'effort. D'où l'importance de la reconstruction politique en Irak. L'instauration d'un gouvernement inclusif va dans le bon sens, mais le chemin sera long pour désolidariser les tribus sunnites de Daech, pour convaincre les Kurdes de renoncer à leurs tendances irrédentistes et pour traiter le cas des cadres de l'ancien régime...

Le ministre des affaires étrangères a justement posé les termes de l'équation le 19 septembre aux Nations unies : Daech a des forces importantes en Syrie, il faut donc soutenir l'opposition modérée. La France ne peut pas tout faire à elle seule ! Pour Daech, la notion de frontière n'existe pas. Le gouvernement Assad fait des offres de service pour combattre le danger dont il a encouragé l'émergence. Cela me rappelle le titre du livre de Pierre Grosser, Traiter avec le diable.

L'Iran est un acteur incontournable, qu'il faut impliquer, directement ou indirectement.

La Turquie semble, quant à elle, avoir retrouvé une marge de manoeuvre. Chacun a sa place pour lutter contre cette menace mortelle.

J'en viens aux enjeux qui appellent selon nous une vigilance particulière.

Nul doute que l'état d'esprit de notre commission des affaires étrangères perdurera, quel que soit son président. Nos forces armées sont engagées dans une vingtaine d'Opex ; c'est un effort considérable, et je rends hommage, une fois de plus, à nos armées. Elles ne sont plus au Kosovo, monsieur Pozzo di Borgo,...

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Dont acte !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Le travail n'est pas fini en Libye, nous l'avons dit et répété : un cancer terroriste y prolifère. Le président Hollande en a fait une priorité. D'où la question du partage des tâches avec nos alliés et partenaires.

Notre capacité à nous engager en premier, notre autonomie stratégique doivent absolument être préservées.

Nos services de renseignement doivent être confortés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur : la délégation parlementaire au renseignement s'est unanimement prononcée pour une consolidation législative du cadre juridique des services de renseignement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très bien !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Au Gouvernement de presser le pas.

Enfin, les ressources de la défense doivent être au rendez-vous. Monsieur Trillard, avoir obtenu la sanctuarisation de 31,4 milliards d'euros, ce n'est pas rien !

Depuis trois ans, les Opex dépassent le milliard d'euros ; nous en sommes déjà à 600 millions d'euros de dépassement par rapport au surcoût budgété en loi de finances initiale. Comptez sur la vigilance de notre commission pour s'assurer de la mise en oeuvre de la mutualisation interministérielle des surcoûts non budgétés. Où en est d'ailleurs le dialogue, sûrement tonique, entre le ministère de la Défense et Bercy sur ce point ? Quid des ressources exceptionnelles ? Je vous renouvelle tout notre soutien, monsieur le ministre.

Vous pouvez compter sur notre soutien total, vous avez notre confiance pour la conduite des opérations, mais elle s'accompagnera toujours d'une réelle vigilance qui vous servira dans votre action et qui ne se relâchera pas. (Applaudissements sur les bancs socialistes, au centre et à droite)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre .  - Je remercie votre Haute Assemblée pour la qualité de ce débat. Selon M. Trillard, la première réponse aux menaces, c'est l'unité nationale ; votre soutien très large, que j'ai constaté, est indispensable à nos armées et à la sécurité de la Nation.

Des dépêches d'agence nous indiquent, vidéo à l'appui, la probable décapitation de notre compatriote Hervé Gourdel. Nous sommes en train de vérifier cette information, mais cela montre bien la barbarie à laquelle nous sommes confrontés.

Le risque de connexion des différents espaces où se manifeste le terrorisme est réel. Le groupe des soldats du califat en terres d'Algérie, est dirigé par Gouri Abdelmalek, produit du Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC), et il est l'adjoint de l'émir Droukdel, lequel organisait Al-Qaida au nord-Mali et qui est réfugié en sud-Libye. Il montre ici la force de son allégeance à Daech, plus attractif. La menace est bien globale. Au moment où al-Baghdadi proclamait le califat en Syrie et en Irak, le leader de Boko Haram faisait de même dans une autre partie de l'Afrique...

Le ministre de l'intérieur a diligenté une enquête administrative précise après les incidents d'hier. Les djihadistes français seraient 365 auprès de Daech aujourd'hui. Au-delà, on compte 10 000 volontaires européens et étrangers venant de Tunisie, d'Arabie saoudite, de Tchétchénie, du Caucase, d'Australie, de partout. Comment éviter ces connexions entre groupes terroristes ? Il en va de la sécurité de la France et de l'Europe.

Cette intervention se fonde d'abord sur l'appel du gouvernement irakien. La référence à l'article 51 de la charte des Nations unies est tout à fait respectable : nous répondons à la demande des autorités irakiennes, pas à un coup de téléphone de M. Obama... Nous sommes dans le cadre d'une coalition avec nos propres buts de guerre. Nous aiderons l'armée syrienne libre à s'organiser et à être en mesure de riposter à Bachar el-Assad : nous n'avons pas à choisir entre un dictateur sanguinaire et une organisation terroriste. N'oublions pas la résolution 2170 du conseil de sécurité et son communiqué du 19 septembre. Je ne sais pas où Pierre Laurent est allé chercher l'intervention de l'Otan...

Mme Éliane Assassi.  - Vous allez nous l'expliquer...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Elle n'a rien à voir là-dedans.

Mme Éliane Assassi.  - Si !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - La réponse n'est pas uniquement militaire ; elle est aussi humanitaire. La France en est dans ce domaine à sa sixième livraison.

Il y a une réponse politique et une réponse internationale. Le nouveau Premier ministre Al-Abadi oeuvre à la réconciliation nationale. La conférence de Paris, monsieur Hue, a été une étape importante. Nous faisons face à un groupe terroriste d'un nouveau type, une nouvelle génération. Avec Ben Laden et Al Qaïda, nous avions affaire à un terrorisme de réseau ; avec Daech, nous avons un terrorisme qui affirme une volonté territoriale, retrouver l'oumma des abbassides, ce n'est pas un hasard si son leader s'appelle Al-Baghdadi... Ses moyens financiers sont considérables : la banque de Mossoul, mais aussi la contrebande de pétrole. Vous connaissez le prix du baril ! Ces circuits parallèles qui défient toute concurrence, aiguisent les appétits...

Les participants à la coalition préservent leur autonomie stratégique et militaire. Les frappes de vendredi ont été un succès, oui, mais l'opération sera longue.

La Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas envisagent, potentiellement, une intervention. L'Allemagne, elle, parle de livraison d'armes à ce pays en guerre : c'est une première. Beaucoup de pays n'ont pas les moyens d'être des acteurs militaires.

M. Erdogan était retenu jusqu'à la libération de 48 otages turcs ; il a fait un choix très clair et a annoncé au président de la République sa détermination à agir. Il en est de même pour le Qatar.

Notre participation s'appuie sur des forces pré-positionnées. Nous avons six Rafale, un Atlantic et un avion ravitailleur sur notre base d'Al-Afrah à Abu Dabi. Ce site s'est révélé très utile.

Ce n'est pas le montant des Opex inscrit dans la loi de programmation militaire qui est déterminant : sanctuariser un montant important, c'est pénaliser les investissements...

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - D'où notre façon de procéder, en compensant les surcoûts à l'euro-l'euro en fin d'exercice, comme nous l'avons fait l'an dernier et l'année d'avant.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Vous avez notre appui !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Le budget de la défense est sanctuarisé, le président de la République l'a affirmé.

Monsieur Pozzo di Borgo, vous m'avez interrogé sur les livraisons d'armes. Nous fournissons des armes en Irak sous contrôle des autorités irakiennes légitimes ; elles vont généralement au Kurdistan et le ministre de la défense du Kurdistan m'a confirmé qu'il en était satisfait. En Syrie, nous avons des réseaux bien identifiés et sécurisés, et faisons preuve d'une grande vigilance. Notre objectif est d'aider l'armée syrienne libre à se constituer.

La Libye est en situation de chaos, les groupes terroristes y prospèrent. Nous avons alerté la communauté internationale sur les risques ; le président de la République prend des initiatives et le secrétaire général des Nations unies a désigné un Haut représentant, car il y a urgence à clarifier et à sécuriser la situation du pays.

Dans ce lourd contexte, la France ne doit pas céder, elle doit assumer ses responsabilités, elle en a les moyens, encore plus quand il y a unité nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, écologiste et RDSE, ainsi qu'au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Excellent débat !

M. le président.  - Je veux dire au nom du Sénat tout entier notre émotion à entendre la nouvelle que vous avez annoncée. Nous exprimons notre solidarité envers la famille d'Hervé Gourdel en attendant confirmation de cette tragique information.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Il convient en effet d'attendre que les vérifications soient faites.

Le débat est clos.