Usage contrôlé du cannabis

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'usage contrôlé du cannabis.

Discussion générale

Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi .  - Le 28 janvier 2014, je déposais sur le bureau du Sénat la première proposition de loi destinée à autoriser l'usage contrôlé du cannabis. Ce texte est inspiré de la loi uruguayenne du 10 décembre 2013 qui confie à l'État le contrôle, l'importation, la production, la commercialisation du cannabis. En janvier 2014, c'est l'État du Colorado qui adoptait la légalisation contrôlée du cannabis, suivi par l'État de Washington, au printemps, puis par l'Alaska, l'Oregon et Washington DC. En France, Daniel Vaillant publiait dès 2011 un rapport intitulé : « Pour mieux lutter contre le cannabis, sortir de l'hypocrisie ». Citons également le rapport d'information de l'Assemblée nationale, celui de Terra Nova, en 2014, et une riche documentation scientifique et statistique. Cette proposition de loi n'est pas sortie de l'esprit enfumé d'une sénatrice écologiste présumée amatrice de joints mais résulte d'un long cheminement. Les écologistes sont fidèles au rôle d'aiguillon qu'ils affectionnent.

Daniel Vaillant constatait en 2011 que le cannabis était devenu un produit de consommation courante, comme le tabac et l'alcool ; que l'hypocrisie du statu quo n'était plus tenable ; que la loi de 1970 a totalement échoué ; qu'on ne pouvait pas laisser les Français sans réponse. En déposant ce texte, je n'ai pas d'autre objectif que de convaincre qu'il faut sortir d'une forme de laxisme de fait.

Le problème a de multiples aspects. Plus d'une commission aurait pu être saisie ; que celle des affaires sociales l'ait été ne nous étonne pas -le cannabis est peut-être avant tout une question de santé publique.

Je salue le travail du rapporteur, Jean Desessard. Assurément, le cannabis n'est pas un produit anodin, il contient des substances psychotropes potentiellement dangereuses pour la santé, notamment des jeunes dont le cerveau est encore en formation. Voilà la raison qui m'a poussée à rédiger cette proposition de loi.

Je regrette l'absence au banc du Gouvernement de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé ; même si j'estime beaucoup Mme Boistard, que je connais depuis longtemps, je ne vois guère de lien entre la cause féminine et la consommation du cannabis... (Sourires) Sans doute est-ce parce que Mme Touraine s'est déclarée hostile à une légalisation du cannabis et a jugé qu'il ne fallait pas ouvrir ce débat. Nous, nous préférons regarder la réalité en face. Ce sont les Français eux-mêmes qui ont brisé le tabou.

Ils deviennent plus favorables à des sanctions au tabac et à l'alcool mais sont à 60 % favorables à l'autorisation encadrée de la vente du cannabis. Ils sont de plus en plus réservés à l'égard des sanctions qui frappent les simples consommateurs et plaident pour le soin ou le rappel à la loi.

Les ressources publiques doivent être réorientées vers la prévention, la réduction des risques et les traitements. 41 % des jeunes de 17 ans ont déjà expérimenté le cannabis, 6,5 % sont des fumeurs réguliers ; chez les 18-64 ans, ces chiffres sont respectivement de 32,8 % et 2,1% ; 38 000 personnes sont prises en charge dans des structures spécialisées en addictologie.

Démontons certains préjugés qui étayent la logique absurde de la prohibition. La théorie de l'escalade ne tient pas. La consommation de cannabis est ordinairement transitoire et, même en cas de dépendance, les deux tiers des usagers mettent fin à leur addiction entre 25 et 30 ans. Selon un des promoteurs de la législation au Colorado, les désastres annoncés -les ados vont se ruer sur le cannabis, les adultes défoncés n'iront plus travailler- ne se sont pas produits.

Le cannabis ne tue quasiment pas en comparaison de l'héroïne et de la cocaïne. Sa dangerosité est moindre que celle du tabac et de l'alcool. Conduire sous l'emprise du cannabis multiplie par 1,8 le risque d'être responsable d'un accident mortel de la route mais, couplé à l'alcool, le risque est quinze fois supérieur... Les experts européens soulignent que le cannabis est moins dangereux que bien d'autres substances : au premier rang vient l'alcool, puis l'héroïne, la cocaïne, le tabac, et enfin le cannabis. Ce dernier entraîne des dommages sociétaux plus que sanitaires ; sa consommation chez les jeunes s'accompagne d'un déficit d'activité, d'une fatigue physique ou intellectuelle, de difficultés de mémorisation, parfois de troubles psychiatriques. Mais il n'est pas démontré qu'elle soit la cause unique de la schizophrénie.

Pour lutter contre ces maux, il ne faut pas interdire ni punir mais prévenir et guérir. On se souvient des effets contre-productifs de la prohibition aux États-Unis. La guerre menée contre le trafic des stupéfiants n'a pas limité la consommation ni endigué la criminalité liée à leur production ou à leur commerce. 122 000 personnes sont interpelées chaque année pour usage de cannabis, soit cinq fois plus qu'au début des années 1990 ; plus de 15 000 pour revente et trafic. Notre justice et notre police n'ont-elles pas mieux à faire ? N'avons-nous aucun souci de l'usage des deniers publics ?

Le modèle répressif français est désastreux. La prévalence du cannabis est parmi la plus forte en Europe ; un quart des élèves de troisième en ont déjà consommé. Dans le Colorado, une partie des taxes perçues sur la consommation sont affectées aux écoles...

Des évolutions législatives sont en cours dans les autres pays européens. Les Pays-Bas n'ont jamais légalisé la vente de cannabis, qui est tolérée sous certaines conditions ; ils n'en ont jamais légalisé la production sur leur territoire. Résultat, dix fois moins d'interpellations qu'en France et une prévalence du cannabis inférieure à la France : 13,3 % pour les 18-64 ans, contre 17,5 % en France, qui n'a aucune tolérance pour la vente libre.

Cette proposition de loi a pour objet d'autoriser l'usage et d'encadrer de manière très rigoureuse la vente au détail aux personnes majeures et l'usage de plantes de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées, et dont les caractéristiques et la teneur en principe psychoactif seraient réglementées.

Nous avons plusieurs exemples dans le monde. L'Uruguay a légalisé la production et la vente du cannabis. Son modèle repose sur un degré d'intervention étatique plus élevé que les modèles commerciaux des États de Washington et du Colorado où les recettes liées au cannabis ont été, fin 2014, de 570 millions d'euros. Le rapport de Terra Nova envisage la légalisation du cannabis avec un monopole public afin de protéger les populations les plus vulnérables.

Il faudrait assécher le marché noir en baissant d'abord le prix du gramme de cannabis avant de le relever, afin de limiter la prévalence. Le gain fiscal serait de 1,7 à 2 milliards d'euros, les créations d'emplois, de 13 000, hors production. On assécherait ainsi les sources de financement de la criminalité organisée et du terrorisme.

Il faut ici apporter une réponse à une question sociétale, sanitaire et sociale. Je me réjouis que le débat soit ainsi ouvert au plus haut niveau. (Applaudissements à gauche et sur quelque bancs centristes)

M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Merci à la commission des affaires sociales de m'avoir désigné rapporteur sur un tel sujet. J'ai pu ainsi réaliser 22 auditions très intéressantes de personnalités d'avis divers. Le débat ne fait que s'engager. Il faut une meilleure information sur ce sujet. Avec 13,4 millions d'expérimentateurs, 1,2 million d'usagers réguliers, 500 000 consommateurs quotidiens de 11 à 75 ans (exclamations à droite), la France fait partie des plus gros consommateurs de cannabis. Son usage se banalise et concerne les milieux sociaux les plus divers.

Les faits nous invitent à nous abstraire de nos représentations courantes pour étudier la question avec pragmatisme. L'autoculture progresse, avec 100 000 à 200 000 cannabiculteurs. La majeure partie du cannabis en circulation demeure toutefois issu du trafic international, qui s'est criminalisé. Les réseaux mafieux entretiennent une économie parallèle qui déstabilise la vie de certaines cités. Le cannabis draine des intérêts financiers considérables. La France a pourtant adopté, il y a quarante ans, l'un des dispositifs les plus répressifs en Europe.

Depuis la loi de 1970, l'usage du cannabis est réprimé comme tout autre stupéfiant.

M. Gilbert Barbier - C'est bien normal !

M. Jean Desessard, rapporteur.  - Nous en discutons...

L'application de ces règles mobilise des énergies considérables, sans endiguer la consommation. En quarante ans, le nombre d'interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par soixante. On en dénombrait 135 000 en 2010, le cannabis étant concerné dans neuf cas sur dix. La masse de ce contentieux conduit les parquets à multiplier les procédures alternatives. La dépense publique consacrée à la répression s'élève à 176 millions d'euros.

Or la France, avec 17,5 %, devance la Pologne -17,1 %- ou la République tchèque -16,1 %-, en ce qui concerne la part des 15-34 ans ayant consommé du cannabis dans les deux derniers mois. En 2011, 42 % des adolescents de 17 ans auraient expérimenté le cannabis. Or les risques sanitaires et sociaux sont d'autant plus importants que l'usage est précoce. Les troubles cognitifs et moteurs peuvent favoriser le décrochage scolaire, la désinsertion sociale, voire, rarement, des troubles psychotiques. L'Inserm indique cependant que le risque est faible pour la consommation occasionnelle et que la dépendance ne touche que 5 % des usagers réguliers, soit la même proportion que pour les consommateurs d'alcool !

La dangerosité du cannabis doit être relativisée. Selon le professeur Michel Reynaud, il y a un décalage dans la perception de dangerosité : l'alcool est le produit le plus dangereux, suivi de l'héroïne et de la cocaïne, puis vient le tabac, enfin le cannabis. Pourtant, l'alcool est autorisé !

M. Gilbert Barbier.  - Il faut l'interdire ?

M. Jean Desessard, rapporteur.  - Si vous allez jusque-là, il n'existe pas de cas de décès par surdose ; le principal risque est lié à la sécurité routière. La teneur moyenne en THC, principal agent de la résine, a doublé en dix ans ; l'adultération de la résine progresse, ce qui fait que le produit devient plus dangereux. Plusieurs voix se sont élevées : la commission mondiale sur les drogues, la fondation Terra Nova, qui souligne les avantages économiques et financiers d'une régulation publique du marché du cannabis...

M. Gilbert Barbier.  - Argument scandaleux, face à la santé publique !

M. Jean Desessard, rapporteur.  - ...le rapport d'information de l'Assemblée nationale, qui préconise une autorisation dans le cadre privé. Désormais, 60 % des Français, contre 30 % en 2008, sont pour une légalisation contrôlée. Preuve que les esprits évoluent...

Cette proposition de loi autorise la vente au détail, dans le cadre d'un monopole de l'État. La vente aux mineurs serait interdite, l'information en milieu scolaire renforcée. Il ne s'agit ni de libéraliser le cannabis ni de le dépénaliser mais d'une légalisation contrôlée par l'État, avec pour but de lutter contre les mafias et les trafics, et donc l'insécurité.

M. François Grosdidier.  - Si l'on dépénalise, les mafias se replieront sur les drogues dures, c'est prouvé !

M. Jean Desessard, rapporteur.  - Avec la légalisation contrôlée, c'est l'État qui organise le transport, etc... Et on peut faire de la prévention ! La Fédération Addiction, qui regroupe les professionnels de terrain, juge qu'une politique de régulation serait plus efficace qu'une prohibition théorique. Nous avons en effet le système le plus répressif et la plus forte consommation de cannabis en Europe !

Je suis donc favorable à cette proposition de loi mais je dois, en tant que rapporteur, vous donner le point de vue de la commission.

M. Henri de Raincourt.  - Tout de même ! (Sourires)

M. Jean Desessard, rapporteur.  - Des divergences sont apparues et la commission n'a pas souhaité donner une suite favorable à ce texte. (On feint de s'étonner à droite) Certains estiment en effet que la prévention est préférable à la légalisation, qui enverrait un mauvais signal dans une société en perte de repères.

M. Gilbert Barbier.  - Tout à fait.

M. Jean Desessard, rapporteur.  - D'autres se félicitent que le débat ait été ouvert.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Absolument !

M. Jean Desessard, rapporteur.  - Il y a urgence à agir, pourtant. Après quarante ans de lutte stérile, voyez l'insécurité, le risque de corruption de policiers et de douaniers. Nous ne pourrons rester sans rien faire face à ces mafias qui gangrènent nos quartiers.

Je me félicite que nos échanges se soient engagés sur la base d'un constat commun. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur plusieurs bancs socialistes, UDI-UC et CRC)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Longtemps, on a cru la consommation de cannabis, considéré comme une drogue douce, récréative, sans effet sur la santé. De récentes études ont pourtant mis en évidence un impact certain sur la santé des plus fragiles, à commencer par les jeunes ; le processus de maturation cérébrale bat son plein à l'adolescence et le THC, principe actif du cannabis, peut conduire à des anomalies de la substance grise et de la substance blanche. Or la première expérimentation du cannabis a lieu à un âge de plus en plus précoce. La consommation régulière peut causer ou aggraver le décrochage scolaire, voire la désocialisation. L'usage du cannabis et de l'alcool multiplie par 14 le risque d'accident mortel de la route... Les symptômes de pic d'angoisse, de dépression, sont avérés. Il existe un lien statistique entre exposition au cannabis et survenue de troubles psychiatriques, dont la schizophrénie. Les effets carcinogènes induits par le cannabis sont indépendants de ceux liés au tabac. S'y ajoutent les risques d'infarctus du myocarde, d'AVC... L'appétence des usagers pour des produits sans cesse plus dosés en THC ainsi que l'émergence de cannabinoïde de synthèse n'augurent rien de bon. Voilà pour l'impact sanitaire du cannabis.

Dès lors, faut-il revoir le traitement pénal du cannabis ? Ce sujet a suscité un riche débat. Je salue la qualité du travail de M. Desessard, sa précision, son objectivité. Des arguments solides ont été avancés de part et d'autre. Un assouplissement du cadre légal paraîtrait contradictoire avec le message de prévention... mais la réponse pénale actuelle conduit à l'impasse. Les professionnels de terrain appellent de leurs voeux un grand débat public sur la question des drogues car la criminalisation des usagers fait obstacle aux soins. Mme Cohen, ancienne rapporteur des crédits de la Mildt, avait insisté là-dessus. M. Barbier, son successeur, ne dit pas autre chose.

Au terme de ce débat, la commission n'a pas approuvé la proposition de loi de Mme Benbassa. La légalisation du tabac et de l'alcool est-elle un argument ? L'alcool n'a pas eu à être légalisé car il est traditionnel et ceux qui ont légalisé le tabac ne connaissaient pas sa dangerosité.

Mme Catherine Procaccia.  - C'est vrai !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales.  - Le tabac rapporte 11 milliards à l'État, certes, mais cause 73 000 décès par an, des dépenses de santé de 20 milliards d'euros, soit 9 milliards de plus que ce qu'il est censé rapporter. Son coût global pour l'économie française s'élèverait à 46 milliards d'euros ! Autoriser le cannabis dans l'espoir que cela rapporterait de l'argent à l'État ne me paraît pas une bonne solution. Je voterai contre cette proposition de loi, à laquelle je reconnais le mérite d'avoir ouvert un débat.

Nous aurions peut-être l'occasion, dans quelques années, de regretter une décision trop hâtive... (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes .  - La consommation de substances psychoactives évolue. Nous sommes confrontés de plus en plus aux poly-consommations. Le tabac et l'alcool restent les plus consommés mais le cannabis l'est dix fois plus que la cocaïne ou l'ecstasy. Les risques sanitaires sont graves et connus.

Les chiffres ont été cités : le cannabis a été expérimenté par 13,8 millions de personnes, 1,2 million de personnes en consomment dix fois par mois au moins. Plus de 41 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis. Cette consommation est nocive, en particulier chez les jeunes. Les risques de troubles psychiatriques sont largement documentés. Il s'agit aussi de lutter contre les réseaux criminels qui se cachent derrière les petits trafics.

Le plan lancé par le Premier ministre en 2013 comprend un volet prévention, notamment en direction des jeunes, le renforcement des partenariats entre les acteurs, la prise en charge des consommateurs les plus vulnérables, la recherche sur les motivations, l'intensification de la lutte contre les trafics, en particulier aux abords des lycées et collèges, la mobilisation des acteurs, la saisie du patrimoine des trafiquants. Ces mesures tendent à mieux protéger la jeunesse de notre pays contre ce fléau.

La proposition de loi avance des solutions qui risquent d'être contreproductives. Banaliser la consommation de cannabis nous semble inopportune, voire dangereuse. Toute dépénalisation risque de se heurter à des stratégies de contournement. N'oublions pas que le but du crime organisé reste le profit : pour preuve, l'ampleur de la contrebande de cigarettes. (Mme Esther Benbassa s'exclame)

L'Uruguay a été le premier pays à légaliser le cannabis, l'État de Washington et le Colorado l'ont fait aussi. Ces expériences sont trop récentes pour que l'on puisse en dresser le bilan mais elles nourriront le débat.

Le Gouvernement donne la priorité à la prévention des conduites addictives. La France dispose d'atouts dans l'organisation de la prise en charge des comportements addictifs : médecins généralistes, centres de soins, consultations pour les jeunes consommateurs, bientôt salles de consommation à moindre risque.

Certes, le cannabis a un impact sur la santé moindre que d'autres drogues mais augmente les risques de décrochage scolaire et d'accidents de la route. Cela suffit à justifier la poursuite de la politique du Gouvernement qui, vous l'aurez compris, n'est pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi.

Mme Laurence Cohen .  - Rapporteur pour avis des crédits de la Mildt, j'ai pu constater l'inefficacité de la politique dite de zéro drogue. Élue de terrain, je puis témoigner des dégâts que celles-ci causent dans nos quartiers. Il faut en finir avec les dérives sécuritaires. J'aurais préféré une approche plus globale des addictions. Mais ne nions pas la réalité. La consommation de cannabis, chez les adolescents et les jeunes adultes, est un vrai problème de santé publique. La France a pourtant l'une des législations les plus répressives en Europe. La consommation des jeunes relève de l'expérimentation, de la socialisation. Résultat, les trafiquants se multiplient aux abords des lycées... La seule réponse des pouvoirs publics a été de renforcer les sanctions. L'usage est pénalisé, ce qui n'est pas le cas partout. Cette criminalisation coûte 1 milliard d'euros par an et freine l'accès aux soins. (M. Jean Desessard, rapporteur, approuve) Les quartiers sont gangrénés par ce phénomène, les maires sont impuissants et laissés à eux-mêmes.

Les pays qui se sont livrés à une guerre contre la drogue, comme les États-Unis, en reviennent. Il faut un véritable programme national de prévention, notamment dans les établissements scolaires. Encore faut-il s'en donner les moyens, or ceux-ci diminuent.

Légaliser n'est pas dépénaliser, c'est substituer à la prohibition un système de monopole d'État, de la production à la vente. Mon groupe préconise plutôt la dépénalisation de la consommation, avec un maintien de l'interdit. C'est la politique menée par le Portugal depuis quinze ans et la consommation y a diminué. Faisons appel à l'intelligence collective, poursuivons le travail pluridisciplinaire afin d'aboutir à un grand débat public. Nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi, qui ne se dote pas du bon outil. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Gilbert Barbier - Je m'étonne qu'un club de réflexion connu préconise la légalisation du cannabis en France afin de dégager 1,5 milliard d'euros qui seraient consacrés à la prévention.

M. Jean Desessard, rapporteur.  - Terra Nova !

M. Gilbert Barbier.  - Comme si, depuis la vignette automobile de Paul Ramadier, le fléchage des taxes avait fait ses preuves... (Sourires)

Les cosignataires de cette proposition de loi ne nient pas la dangerosité du principe actif du cannabis. Une enquête épidémiologique d'envergure sur ce phénomène de société serait d'ailleurs bienvenue. Curieux, dès lors, d'en préconiser la légalisation.

Que d'improvisations sémantiques ! Dépénaliser signifie lever les sanctions pénales en vigueur, donc lever l'interdit. Or ce qui n'est pas interdit est permis, ce qui est permis est légal. Dépénaliser, c'est donc légaliser, d'autant qu'aucune sanction administrative n'est prévue. La proposition de loi renvoie tout encadrement au décret...

L'objectif d'une société sans drogue, commun à l'ensemble des pays européens, demeure un idéal auquel aucun d'entre eux n'a renoncé ; il n'empêche pas de chercher à réduire les risques. L'usage de cannabis doit rester une transgression.

Mieux vaudrait adapter la sanction. La réponse pénale est manifestement inefficace : le nombre des interpellations a beau augmenter, il reste faible par rapport au nombre de consommateurs, et épargne les jeunes. J'avais proposé une contravention pour toute utilisation en premier usage. Peut-être cette idée prospérera-t-elle... En tout état de cause, notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. David Rachline .  - Non, la drogue n'est pas une fatalité. La dépénalisation est une duperie : loin de régler les problèmes, elle les aggrave. Le cannabis n'est pas un produit de consommation comme l'alcool et le tabac, c'est la porte vers la consommation de drogues dures.

M. Jean Desessard.  - C'est faux !

M. David Rachline.  - Ses effets sont indéniables. Les héroïnomanes et cocaïnomanes ont toujours commencé par le cannabis. Dépénaliser, c'est mettre la drogue à la disposition de tous. C'est de l'inconscience, de l'irresponsabilité. C'est mettre en danger nos jeunes, déjà vulnérables. On ferait de la prévention tout en leur proposant du cannabis sur un plateau d'argent ?

C'est naïveté de penser que les mafias vont facilement renoncer à cette rente ! Avec la légalisation, l'État deviendrait le partenaire des groupes criminels ! Avec cette proposition de loi, le groupe écologiste sombre à nouveau dans la démagogie de l'idéologie libertaire.

Face à la drogue, il ne faut pas baisser les bras. Il faut lutter sans relâche contre les trafiquants, démoder le cannabis en expliquant que les joies éphémères qu'il procure sont un leurre qui ne laissent derrière elles que la détresse.

M. le président.  - Il est 18 h 30. Le temps imparti s'est écoulé. Il appartiendra à la Conférence des présidents d'inscrire la suite de l'examen de ce texte à l'ordre du jour d'une prochaine séance.