SÉANCE

du jeudi 12 février 2015

63e séance de la session ordinaire 2014-2015

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire : M. Jean-Pierre Leleux.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Rapport de la Cour des Comptes

M. Gérard Larcher, président du Sénat . L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes par M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes (M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, prend place dans l'hémicycle)

Monsieur le Premier président, c'est toujours un grand plaisir de vous accueillir dans cet hémicycle pour la remise du rapport annuel de la Cour des comptes.

Le Sénat et la Cour des comptes entretiennent des liens anciens et étroits, que la révision constitutionnelle de 2008 a renforcés en confortant votre rôle d'assistance au Parlement. Le Sénat lui-même avait souhaité, à l'époque, introduire le principe selon lequel la Cour des comptes contribue à l'évaluation des politiques publiques. Aujourd'hui, nous nous félicitons tous de pouvoir bénéficier de votre expertise pour nos travaux de contrôle de l'action du Gouvernement, de l'exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale ainsi que d'évaluation des politiques publiques.

Je tiens à vous remercier personnellement pour votre présence et vos nombreuses interventions devant nos commissions. Je sais que vos anciennes fonctions, notamment celle de président de la commission des finances de l'Assemblé nationale, vous rendent particulièrement sensible aux préoccupations du Parlement. Vous le démontrez à travers les rapports prévus par la Lolf, dont vous avez été l'instigateur avec notre ancien collègue Alain Lambert, et les nombreux rapports publics thématiques que la Cour produit chaque année. Vous avez également à coeur de répondre aux nombreuses demandes d'assistance qui émanent de nos commissions des finances et des affaires sociales.

Celles-ci ont ainsi pu bénéficier, cette année encore, de votre concours et de votre expertise pour l'exercice de leur fonction de contrôle -essentielle au Sénat, comme je l'ai rappelé hier en Conférence des Présidents. Je pense aux rapports portant, pour la commission des finances, sur la protection judiciaire de la jeunesse, les contrats de projet État-région ou l'Agence nationale de la rénovation urbaine ; pour la commission des affaires sociales, sur les maternités, les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé ou l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes. Un débat sera d'ailleurs organisé en séance publique lors d'une prochaine semaine de contrôle sur les maternités.

Les observations, constats et préconisations qui émanent de vos travaux nous sont très utiles pour remplir notre rôle de parlementaire, pour mieux légiférer et mieux contrôler. L'examen minutieux des crédits et de la gestion des services publics auquel la Cour procède régulièrement et son regard acéré sur l'efficacité des politiques publiques, qui montre parfois un certain décalage entre les objectifs souhaités et les résultats obtenus, constituent une information précieuse tant pour le citoyen que pour les parlementaires.

Cette collaboration fructueuse me semble d'autant plus cruciale que la situation des finances publiques demeure préoccupante. Je suis intimement convaincu que nous devons progresser vers une réduction des dépenses publiques -les comparaisons avec d'autres pays de la zone euro sont éloquentes- et, dans le même temps, engager les réformes structurelles vigoureuses pour créer la croissance dont notre pays a besoin. Il n'est ni concevable ni souhaitable que le déficit public français reste durablement deux fois plus élevé que la moyenne de la zone euro, je le disais récemment au président Juncker. Par ses travaux, la Cour des comptes peut contribuer à cette ambition.

La remise du rapport annuel de la Cour est toujours très attendue, pour son analyse de la situation générale des finances publiques et son éclairage critique sur l'action publique mais aussi pour l'analyse des suites données par les administrations, collectivités et autres organismes publics contrôlés aux observations et recommandations que vous avez formulées dans le passé. La représentation nationale est attentive aux suites positives et aux progrès qui résultent de vos travaux.

C'est donc avec le plus grand intérêt et toute notre attention, monsieur le Premier président, que nous allons vous écouter présenter le rapport annuel de la Cour des comptes.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes .  - (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour) Merci, monsieur le président, de vos propos bienveillants à mon endroit et à celui de la Cour. C'est toujours avec grand plaisir que je viens devant le Sénat.

Le rapport annuel de la Cour, même s'il n'est plus sa seule publication, reste le plus emblématique de sa mission d'information des décideurs publics et des citoyens. Les thématiques abordées dans plusieurs chapitres se veulent proches du quotidien de nos concitoyens : la qualité des services rendus, les performances réelles mesurées à l'aune des objectifs et de la dépense effectuée.

Profondément attachées au principe de séparation des pouvoirs, les juridictions financières sont au service de la République, dans le respect des textes fondamentaux qui régissent leur mission. Elles apportent une contribution indépendante, grâce à une programmation libre de leurs travaux et à la publicité donnée à leurs observations. Elles soutiennent, de manière constructive, celles et ceux qui ont pour objectif d'améliorer l'action publique dans leurs démarches.

En 2014, la Cour des comptes a rendu publics 63 travaux. Au-delà des six rapports annuels sur les finances publiques, elle a réalisé 17 enquêtes à la demande du Parlement qui l'a auditionnée une cinquantaine de fois. La Cour est très attachée à cette mission d'assistance au Parlement et s'efforce d'être utile à la représentation nationale. Je vous ai également adressé 25 référés qui ont été communiqués aux membres du Gouvernement et cinq rapports particuliers concernant des entreprises publiques.

Les juridictions financières veillent à exercer leur mission avec un haut niveau d'exigence éthique et professionnelle. Comme vous l'aviez souhaité en votant, fin 2011, une disposition expresse en ce sens, j'ai arrêté en décembre dernier le recueil des normes que les équipes de contrôle doivent respecter ; ce recueil comporte en annexe notre charte de déontologie. Ces documents sont accessibles sur le site internet de la Cour.

Si elles sont souvent conduites à souligner les dysfonctionnements, les juridictions financières savent aussi reconnaître les efforts consentis pour améliorer l'action publique. Sur la gestion des avoirs bancaires et les contrats d'assurance vie en déshérence et sur le recours au chômage partiel, le législateur a largement repris à son compte ses propositions. La Cour continuera d'en assurer le suivi.

Le décalage trop souvent observé entre les annonces, les engagements et les résultats réellement obtenus nuit à la crédibilité des politiques publiques. C'est le premier message de la Cour. Certains services publics doivent être gérés avec un niveau d'exigence plus élevé. Des marges d'économies et d'efficience existent. Nous accumulons les déficits depuis près de quarante ans -depuis 1974 sans discontinuer pour le budget de l'État. Le chômage demeure à des niveaux inquiétants. La part de nos dépenses publiques dans le PIB est parmi les plus élevées, sans que les résultats soient à la hauteur. L'effort devrait être plus résolu en faveur d'une gestion plus rigoureuse des finances et des services publics et davantage tourné vers la recherche d'efficacité.

La confiance dont jouit notre pays dans les instances européennes et internationales est étroitement liée à la crédibilité de sa politique budgétaire. Les débats de politique économique sont nourris alors que la situation reste difficile et que les dettes publiques de plusieurs États européens, dont le nôtre, continuent de se creuser.

Naturellement, le rôle de la Cour n'est pas de se substituer au pouvoir politique dans la prise de décision, les choix à retenir ou les engagements à prendre vis-à-vis de nos partenaires mais d'informer sur la situation et les perspectives des finances publiques ainsi que sur le respect des engagements pris.

La Cour fonde ainsi son appréciation sur une réalité observable : les lois que vous votez, les hypothèses du Gouvernement, les résultats des lois de finances ainsi que la statistique publique nationale et européenne. Comme chaque année, dans un chapitre de son rapport public annuel, la Cour livre son regard sur la situation des finances publiques.

Deux grandes observations s'en dégagent cette année. Tout d'abord, le mouvement de réduction des déficits s'est interrompu en 2014. Le mois dernier, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour, j'ai salué l'opération-vérité de septembre 2014, par laquelle le Gouvernement a, certes tardivement, reconnu la réalité de l'ampleur des déficits. Les résultats de 2014 devraient se révéler meilleurs que la prévision de 4,4 % inscrite dans la loi de finances ; quand bien même ils se rapprocheraient de 4,1 %, cela resterait encore bien supérieur aux 3,6 % prévus initialement. Pareils résultats ne marqueraient pas une amélioration par rapport à 2013, au contraire de ce qui se passe dans presque tous les autres pays de l'Union européenne dont le déficit dépasse 3 %.

Par voie de conséquence, la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine pour 2015. La Cour identifie en effet plusieurs risques, en dépenses comme en recettes, liés notamment aux perspectives de baisse de l'inflation.

Un premier risque pèse sur la réalisation des 21 milliards d'euros d'économies annoncées en avril 2014. Ces économies sont conçues pour leur très grande part non comme une diminution de la dépense publique mais comme un effort de ralentissement par rapport à son évolution tendancielle.

Un second risque pèse sur le montant des recettes fiscales attendues. Le risque ne se situe pas, comme les autres années, sur la croissance ou les hypothèses d'élasticité des recettes fiscales mais sur l'inflation prévue -l'hypothèse retenue par les lois financières, soit 0,9 %, est largement supérieure aux dernières prévisions. La Commission européenne envisage ainsi une inflation voisine de zéro pour la France.

Les pouvoirs publics doivent se pencher sans tarder sur cette très faible inflation, qui fragilise les perspectives d'équilibre des finances publiques et le cadre budgétaire triennal sur lequel reposent le budget de l'État et l'Ondam.

Si ces risques se concrétisent, le retour sous le seuil de 3 % du PIB en 2017 sera probablement compromis. À cet horizon, la dette publique pourrait approcher, voire dépasser 100 % et l'équilibre structurel des comptes publics serait repoussé au-delà de 2019. Il ne faut pas se laisser abuser par le très faible niveau des taux d'intérêt auxquels l'État se finance actuellement : la dette supplémentaire que nous continuons d'accumuler devra être financée et refinancée pendant de nombreuses années. Et elle ne le sera sans doute pas éternellement aux taux exceptionnellement bas que nous connaissons actuellement. Ces déficits et cette dette supplémentaire pèseront lourdement sur les générations futures et sur les marges de manoeuvre des gouvernements dans l'avenir. Paradoxalement, en ce moment, la dette augmente, la charge de la dette diminue. Cela ne durera pas toujours.

Le rééquilibrage durable de nos finances publiques dépend des choix de politique économique susceptibles de renforcer le potentiel de croissance de l'économie. Il implique aussi de faire des choix clairs pour une organisation plus performante des services publics, une meilleure répartition des compétences et des moyens. Ces choix ne s'imposent pas au nom d'une contrainte, subie ou importée, ils s'imposent de l'intérieur si nous voulons préserver notre souveraineté, c'est-à-dire notre capacité à faire des choix. Les politiques de rabot ne peuvent pas plus tenir lieu de stratégie de redressement des comptes publics que d'horizon pour les services publics de demain.

Dans son rapport public annuel de 2015, la Cour s'interroge à plusieurs occasions sur la cohérence de l'action de tel ou tel organisme public avec les objectifs visés. Elle met parfois en doute la conduite de l'action publique au regard des objectifs qu'elle est censée remplir. Nos concitoyens exigent, à juste titre puisqu'ils y contribuent, que l'action publique débouche sur des résultats tangibles, concrets, dans leur vie de tous les jours. Cela est encore loin d'être le cas au regard des crédits consacrés. De nombreux sujets de ce rapport touchent à la vie quotidienne des habitants, qu'il s'agisse des transports, de l'eau, de l'électricité, de l'emploi, du sport ou de la vie étudiante. Sans les citer tous, j'évoquerai devant vous les exemples les plus saisissants.

Les agences de l'eau, principaux financeurs de la politique de l'eau en France, collectent des taxes ou redevances dans le respect théorique du principe pollueur-payeur. En réalité, ceux qui polluent le plus ne sont pas ceux qui paient le plus.

Le bilan de l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence est contrasté. Plusieurs dispositions du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte vont dans le sens des préconisations de la Cour à ce sujet.

La gestion des trains Intercités illustre l'atermoiement entre volonté affichée de réforme et indécision persistante. La Cour appelle les pouvoirs publics à sortir de l'impasse.

Dans un contexte économique difficile, des signes de défiance sont perceptibles à l'égard du secteur public. C'est pourquoi la Cour insiste sur l'impératif de rigueur et d'exigence qui s'impose aux agents et aux services publics. Elle a voulu rendre publics des cas et des situations qui appellent davantage de retenue dans l'usage des deniers publics ou dans les comportements, sans préjudice des irrégularités qu'elle pourra constater et qui pourraient être sanctionnées.

Dans son rapport, la Cour évoque la mise en place d'un dispositif importé du secteur privé, l'attribution gratuite d'actions aux salariés de CDC Entreprises, filiale à 100 % de la Caisse des dépôts et consignations. C'est un cas de dérive, choquant, qui révèle plusieurs dysfonctionnements. Au regard du caractère tout à fait anormal de cette situation, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie par le procureur général.

La Cour a procédé à un contrôle de suivi du Conseil économique, social et environnemental. Elle s'est à nouveau intéressée à la gestion budgétaire et comptable de l'institution, à sa gestion du personnel et au régime spécial de retraite des anciens conseillers.

L'exigence de rigueur concerne aussi les collectivités territoriales. Après examen de plusieurs contrats de partenariat signés par certaines d'entre elles depuis 2004, la Cour recense les conditions qui devraient à l'avenir être réunies si l'on veut recourir à ce mode dérogatoire de gestion des services publics.

La Cour s'est également penchée sur les compléments de rémunération dont bénéficient les fonctionnaires d'État outre-mer. Ce système est à bout de souffle, une réforme est souhaitable.

Troisième et dernier message : des marges importantes d'économies, d'efficacité, d'efficience existent et doivent être davantage mobilisées. Ainsi la révision du réseau et des missions des oeuvres universitaires et scolaires est-elle indispensable, à la fois au regard de l'offre territoriale, des choix d'investissement, de la simplicité et de l'efficacité du ciblage de son action.

Un service public de qualité passe aussi, parfois, par une refonte des cartes administratives. Il en va ainsi développement durable la gestion des services d'eau et d'assainissement, au nombre de 31 000, dont 22 000 sont en régie. Symboles d'une gestion communale de proximité, près de 92 % des régies concernent un territoire de moins de 3 500 habitants. Dans ce cas comme dans d'autres, proximité ne rime pas nécessairement avec efficacité ou qualité. La conduite d'une réforme territoriale d'ampleur n'est pas une tâche impossible, l'État en a fait la preuve en procédant à la refonte de la carte judiciaire, que la Cour juge globalement positive.

En revanche, s'agissant du réseau des sous-préfectures, le ministère de l'intérieur se positionne entre le statu quo et l'expérimentation. Or les services publics de demain doivent être orientés vers les besoins de demain, qui ne coïncident pas forcément avec le maillage administratif du XXe, voire du XIXe siècle. Une refonte expérimentale de la carte des arrondissements d'Alsace et de Moselle est entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Le ministre de l'intérieur a annoncé la poursuite de l'expérimentation dans cinq régions. La Cour y sera attentive.

Les recommandations de la Cour portant sur le maillage territorial des services publics ont aussi pour objectif une réduction des inégalités d'accès ; il en est ainsi pour la prise en charge des soins palliatifs.

Dans des travaux récents portant notamment sur les finances locales ou sur la grande vitesse ferroviaire, la Cour a eu l'occasion d'appeler les pouvoirs publics à adopter une attitude plus réaliste et plus rationnelle, y compris en ce qui concerne les investissements publics. Un investissement n'est pas vertueux par principe. Il l'est s'il est porté par un souci d'efficacité et d'efficience, s'il répond à des besoins, s'il améliore réellement le service rendu et si les dépenses de fonctionnement qu'il entraîne ont été correctement anticipées. La refonte du circuit de paie des agents de l'État offre un contre-exemple calamiteux ; entre 2008 et 2013, 346 millions d'euros ont été dépensés au titre de ce programme, pratiquement en pure perte. Cet échec n'est pas rassurant. La Cour s'inquiète des difficultés récurrentes que rencontrent les grands projets informatiques menés par l'État.

Ce qui est vrai pour l'action de l'État l'est également pour l'action locale. Je cite fréquemment le cas des deux gares construites à quelques dizaines de kilomètres d'écart sur la ligne à grande vitesse Est-TGV Lorraine et Meuse TGV, sans interconnexion avec le réseau de transport régional. (M. Gérard Longuet s'exclame) Le cas des aéroports de Dole et de Dijon distants de moins de cinquante kilomètres est à bien des égards comparable ; leur bilan financier est choquant, ce qui amène la Cour à recommander la fin du soutien public aux deux équipements.

D'autres situations appellent la vigilance des pouvoirs publics. Telles les offres proposées en matière de transport public urbain de voyageurs qui continuent de s'étoffer, sans la coordination ni la mutualisation nécessaires. Telles les stations de ski des Pyrénées : les collectivités territoriales doivent accepter de les restructurer et de repenser leur modèle économique.

Comme elle l'a toujours fait, la Cour appelle les pouvoirs publics à s'engager résolument en faveur du redressement des comptes publics et d'une action publique plus exigeante, plus rigoureuse, plus efficace, plus efficiente. Cela est possible et, selon nous, nécessaire. Nous essayons de le démontrer. Des marges de manoeuvre existent. Des réformes sont attendues par nos concitoyens, qui savent pertinemment que la qualité des services publics ne se confond pas avec l'augmentation de la dépense publique.

Je veux rappeler l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi... ». Le consentement à l'impôt est le fondement de notre démocratie. C'est à vous qu'il appartient de convaincre nos concitoyens de la nécessité de consentir à l'impôt. Pour cela, il n'est pas de meilleure méthode que d'arrêter des priorités, de prendre les décisions qui en découlent, de veiller à leur mise en oeuvre effective alors que, trop souvent, une fois la loi votée ou la décision prise, le regard se détourne de l'évaluation effective du résultat -même si je sais que le Sénat a depuis longtemps la culture de l'évaluation.

Chacun, dans le rôle qui est le sien, peut contribuer aux réformes qui s'imposent. Par son rapport public annuel, et plus généralement par ses travaux, la Cour s'efforce pour sa part de contribuer, sans se substituer aux décideurs publics que vous êtes, à ce qu'une attention plus grande soit portée au résultat. Veiller à l'article 14 de notre Déclaration de 1789, c'est accorder plus d'importance à la performance et à l'efficacité de l'action publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, au centre et à droite)

M. Gérard Larcher, président du Sénat.  - Le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances .  - Une fois par an, à l'occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes, le contrôle des finances publiques fait la une des médias, preuve que la Cour atteint le but qui lui est assigné par l'article 47-2 de la Constitution : contribuer à l'information des citoyens.

La Cour évalue le bon usage des deniers publics ; le Parlement, la pertinence des choix politiques. Nos travaux sont donc complémentaires. L'insertion, dans le rapport public, consacrée à l'opérateur national de paye fait écho aux auditions que notre commission a organisées. Philippe Adnot nourrira les travaux qu'il a engagés sur les droits des étudiants boursiers des développements du rapport sur l'indispensable modernisation du réseau des oeuvres sociales et universitaires.

Je note que le président de l'Agence française de lutte contre le dopage a, en quelque sorte, répondu par avance à certaines observations de la Cour en engageant des réformes inspirées des conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur la lutte contre le dopage, dont le président était Jean-François Humbert et le rapporteur Jean-Jacques Lozach.

Ayant rédigé l'année dernière un rapport d'information sur le réseau des services de l'État, j'ai lu avec attention les développements de la Cour sur celui des sous-préfectures. J'ai également bien noté l'insertion consacrée aux centres de gestion de la fonction publique territoriale, qui sera une lecture utile dans certains départements...

Cette année encore, l'assistance de la Cour des comptes au titre de la Lolf s'annonce très utile. La commission des finances a rendu public hier son programme de contrôle pour l'année 2015 ; plusieurs rapporteurs pourront appuyer leurs travaux sur des enquêtes demandées à la Cour. Antoine Lefèvre a présenté le mois dernier son rapport sur la PJJ, qu'il a préparé à partir d'une de vos enquêtes. Nous organiserons bientôt deux auditions à partir d'autres enquêtes de la Cour, qui donneront lieu à des rapports d'information d'Alain Houpert et Yannick Botrel sur la filière-bois et d'Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier sur le recours par l'État aux consultants extérieurs. D'autres enquêtes encore bénéficieront aux travaux de Francis Delattre sur le fonds CMU, de Philippe Adnot sur l'autonomie financière des universités ou de François Marc sur le Crédit immobilier de France. Le rapporteur général tirera également profit d'enquêtes sur la fonction publique tandis que les travaux du groupe de travail sur le logement seront complétés par une enquête sur les aides personnelles au logement, qui sera remise à Philippe Dallier cet été. Enfin, en 2016, les travaux de Marc Laménie sur la Journée défense et citoyenneté seront éclairés par une enquête de la Cour.

La commission des finances nourrit ses travaux des différentes publications de la Cour des comptes. Nos auditions consacrées à la rénovation thermique des logements privés, sur le fondement d'un référé consacré à la gestion de l'Agence nationale de l'habitat, ont enrichi les travaux de notre rapporteur général sur la réforme de l'éco-PTZ. Notre rapporteur pour avis du projet de loi sur la transition énergétique, Jean-François Husson, s'y est aussi référé. Nous avons également organisé une audition pour suite à donner au référé relatif à l'École nationale supérieure des beaux-arts, qui était particulièrement critique.

La Cour des comptes joue un rôle croissant dans la gouvernance des politiques publiques. Le Haut conseil des finances publiques est composé pour moitié -et conformément au principe de parité- des membres de la Cour des comptes. La Cour des comptes est une vigie exigeante. Elle est dans son rôle quand elle souligne les risques pesant sur le respect des trajectoires financières et la nécessité de renforcer la maîtrise des finances publiques. Il est bon, pour la crédibilité de notre pays dans la zone euro, que des voix indépendantes s'expriment.

Cela dit, il me semble opportun d'adapter le rythme de réduction des déficits aux évolutions de la conjoncture...

M. Claude Raynal.  - Absolument !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances.  - ...d'autant que notre effort structurel porte désormais essentiellement sur les dépenses. Puisse notre collaboration se poursuivre dans les mêmes excellents termes. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, au centre et à droite)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Je salue à mon tour le travail considérable accompli par la Cour et son implication croissante dans l'évaluation de notre système de protection sociale, corollaire de la responsabilité du Parlement depuis la création des lois de financement de la sécurité sociale en 1996. C'est d'autant plus justifié que les finances sociales représentent près de la moitié de nos comptes publics.

Comme le rappelle régulièrement M. le Premier président, il est profondément anormal de financer nos dépenses courantes de protection sociale par le déficit et l'endettement. Il en va de la viabilité d'un modèle auquel les Français sont légitimement attachés.

Comme la Cour, la commission des affaires sociales considère que le Gouvernement n'a pris en compte que tardivement le ralentissement économique dans ces prévisions. De même, aucune alerte n'a été émise sur les dérives des dépenses de médicaments ou d'indemnités journalières. Si la baisse du prix du pétrole et du cours de l'euro est bienvenue, les prévisions d'économies n'ont pas été revues à la baisse -malgré une inflation divisée par deux... La loi sur la prise en charge du vieillissement a été retardée et on attend toujours la loi Santé, qui devait être à l'origine de 3,2 milliards d'économies...

La commission des affaires sociales veut renforcer son contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale : l'enjeu est plus important pour le Parlement que de discuter d'économies virtuelles en loi de finances initiale.

L'Allemagne a su faire du chômage partiel un instrument efficace. Ce n'est pas notre cas. La Cour appelle donc, à juste titre, à évaluer les mesures prises.

Dans le débat sur la fin de vie, le développement des soins palliatifs est l'un des rares points de consensus. Or la Cour constate que l'offre reste très insuffisante, inégalement répartie sur le territoire, et les besoins encore mal connus. C'est d'une véritable culture palliative, comme il en existe une en Grande-Bretagne, que la France a besoin. Adaptation aux maladies chroniques, soins palliatifs dans les Ehpad... J'espère que nous trouverons le moyen de financer ces propositions anciennes.

Le rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, qui, par son ampleur, s'apparente à un second rapport public annuel, la certification des comptes du régime général, les nombreux référés et dossier thématiques -par exemple, celui que la Cour vient de présenter sur les régimes complémentaires de retraite- nous sont extrêmement précieux.

La commission des affaires sociales a aussi sollicité l'an dernier la Cour pour un bilan des relations entre assurance maladie et professionnels de santé libéraux ; la Cour invite à informer régulièrement le Parlement des objectifs et des résultats de la politique conventionnelle. L'enquête sur les maternités illustre, quant à elle, les dysfonctionnements de ce secteur essentiel de notre système hospitalier. Nous en débattrons en séance publique le 4 mars.

Je me félicite que le rapport public annuel analyse le suivi de la mise en oeuvre des recommandations de la Cour. Son concours demeurera extrêmement utile au cours des prochaines années, alors que la France doit plus que jamais redresser ses comptes publics. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, au centre et à droite)

M. Gérard Larcher, président du Sénat.  - Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes. Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente

La séance, suspendue à 10 h 20, reprend à 10 h 30.