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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Échec en CMP

CMP (Candidatures)

Engagement de la procédure accélérée

Mise au point au sujet d'un vote

Débat sur l'avancée des négociations du traité transatlantique

M. Jean Bizet, au nom du groupe Les Républicains

M. Jean-Claude Lenoir

M. Daniel Raoul

M. André Gattolin

M. Éric Bocquet

M. Yvon Collin

M. David Rachline

M. Claude Kern

M. Jean-Paul Emorine

M. Didier Marie

M. Bruno Sido

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique

Dépôt d'un rapport

CMP (Nominations)

Réglementation applicable aux entreprises (Question orale avec débat)

Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question

M. Henri Cabanel

M. Dominique Watrin

M. Yvon Collin

M. Michel Canevet

M. Michel Vaspart

M. Jérôme Durain

M. Olivier Cadic

M. Gérard Cornu

M. Didier Mandelli

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification

M. Jérôme Durain

Mme Élisabeth Lamure

Université des Antilles (Procédure accélérée - Nouvelle lecture)

Discussion générale

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Mme Corinne Bouchoux

M. Michel Magras

Mme Françoise Laborde

M. Claude Kern

Mme Dominique Gillot

M. Patrick Abate

M. Serge Larcher

M. Félix Desplan

Discussion de l'article premier

Changement de dénomination d'un groupe

Ordre du jour du jeudi 11 juin 2015

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mercredi 10 juin 2015

115e séance de la session ordinaire 2014-2015

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

Secrétaires : M. Claude Haut, Mme Valérie Létard.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Échec en CMP

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la réforme de l'asile et de la proposition de loi tendant à faciliter l'inscription sur les listes électorales ne sont pas parvenues à l'adoption de textes communs.

CMP (Candidatures)

Mme la présidente.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renseignement.

J'informe le Sénat que la commission des lois a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été publiée conformément à l'article 12, alinéa 4, du Règlement et sera ratifiée si aucune opposition n'est faite dans le délai d'une heure.

Engagement de la procédure accélérée

Mme la présidente.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Secrétariat de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et son protocole de Kyoto concernant la vingt et unième session de la conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la onzième session de la conférence des parties agissant comme réunion des parties au protocole de Kyoto et les sessions des organes subsidiaires, déposé sur le Bureau du Sénat le 10 juin 2015.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Claude Kern.  - Lors du scrutin n°200 de la séance du 9 juin 2015 sur le projet de loi sur le renseignement, Mme Gatel souhaitait s'abstenir, non voter contre.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de cette rectification. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Débat sur l'avancée des négociations du traité transatlantique

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « l'avancée des négociations du traité transatlantique (TTIP) suite au 9e cycle de négociations du 20 au 24 avril et en vue du 10e cycle du 13 au 17 juillet ».

M. Jean Bizet, au nom du groupe Les Républicains .  - Le débat sur le TTIP tombe à point nommé : deux ans après l'ouverture des négociations, et à moins de deux ans de la fin de l'administration Obama, nous sommes au milieu du chemin. Cet accord est majeur pour les deux zones économiques les plus puissantes du monde ; l'Europe et les États-Unis représentent, en effet, 50 % des échanges et 30 % du PIB mondiaux.

Cet accord se veut ambitieux. Accès au marché, convergence réglementaire et nouvelles règles commerciales en sont les trois piliers. Après neuf cycles de négociations, toutefois, les choses ont peu avancé.

J'insisterai sur les enjeux économiques, de société, démocratiques. Sur le plan économique, il va de soi que la baisse des tarifs douaniers, ainsi que la réduction de l'ensemble des barrières, réglementaires et bureaucratiques, aidera nos PME à exporter outre-Atlantique. Il en va de même du rapprochement des normes. L'accès aux marchés publics fédéraux, comme à ceux des États fédérés, est un objectif important : 30 % seulement de ceux lancés aux États-Unis sont ouverts à nos entreprises - 80 % dans l'autre sens...

Les opportunités économiques sont grandes, donc, pourvu que les États-Unis lèvent leurs obstacles tarifaires et non tarifaires, là où l'Europe a baissé ses propres défenses il y a bien longtemps.

La conclusion de l'accord entraînerait une croissance du PIB, selon les estimations, qui sont controversées, de 0,5 % à 1 % par an supplémentaire. D'autres accords, et l'exemple récent de celui conclu avec la Corée du Sud, montrent encore que l'Europe bénéficierait d'une telle ouverture aux échanges, bilatérale et équilibrée. Nul ne s'est jamais développé hors de la mondialisation.

J'en viens à l'enjeu de société. Comme le dit Pascal Lamy, ces traités ne sont plus, comme autrefois, des traités de protection. Les barrières non tarifaires - non administratives - représentent 15 % de la valeur des échanges. Derrière la notion de convergence réglementaire toutefois, il y a nos préférences collectives, en matière de préservation de nos services publics, de normes de fabrication des médicaments, de contenu de notre alimentation, de choix environnementaux ou sociaux. À mon sens, ces craintes diffuses ne sont guère fondées, mais elles affectent le regard porté par nos citoyens sur le TTIP, d'où l?intérêt de notre débat.

Quant au développement durable et aux normes sociales, les États-Unis n'ont justement pas ratifié six conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), parmi les plus importantes au regard des droits sociaux ; c'est un mauvais signal donné au monde et en tout cas à l'Europe...

Autre exemple, les indications géographiques (AOP, IGP, etc.), sont des marqueurs de rareté, importants pour la France, mais pas seulement puisque l'Espagne et l'Italie ont adopté de telles normes protectrices de leur identité... et même la Chine s'y intéresse. Les États-Unis y opposent leur système de marque commerciale : modèle anglo-saxon versus modèle latin.

Le 21 mai dernier, un accord est intervenu à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à Genève, qui modifie l'arrangement de Lisbonne et légitime désormais les indications géographiques au même titre que les appellations d'origine. Les vives réticences exprimées par les États-Unis nous rendent pessimistes sur l'évolution des négociations sur ce point, même si l'exercice est distinct de celui du TTIP.

L'Union européenne propose en outre la création d'un organe de coopération réglementaire dont les modalités d'intervention et d'articulation avec les institutions existantes restent à préciser.

L'enjeu démocratique, enfin. Nous revenons de loin. La transparence a indéniablement progressé depuis la publication du mandat de négociation. Il faut saluer les efforts de la Commission et de la commissaire en charge du commerce Mme Malmström à cet égard. Reste que nous pouvons être encore mieux informés. Il faut saluer aussi l'effort du Gouvernement, du ministère des affaires étrangères en particulier, pour tenir les parlementaires au courant de l'avancée des négociations.

Le mécanisme de règlement des différends (ISDS) reste un point d'achoppement. Il autoriserait une multinationale à intenter un procès à l'État devant un tribunal arbitral spécial pour obtenir un dédommagement à cause de politiques publiques protégeant la santé ou l'environnement. Le soi-disant dommage subi par un tel groupe mobiliserait d'importantes ressources publiques. On serait préoccupé à moins.

Le mécanisme d'appel, le choix des arbitres, l'exclusivité laissée aux juridictions nationales dans l'interprétation des stipulations du traité sont autant de points restant à clarifier...

Mme la Présidente. - Veuillez conclure.

M. Jean Bizet.  - De nombreux autres sujets pourraient être abordés, comme l'énergie, en particulier le GPL. Je m'arrête là pour l'instant. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs RDSE)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Je félicite M. Bizet de son initiative. Distinguons les fantasmes, rumeurs, des inquiétudes légitimes de certains secteurs comme celui de l'élevage, ou relatives à certains mécanismes. Démystifions le débat.

Il s'agit, dans un monde dominé par le multilatéralisme, de négociations bilatérales. Les discussions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui compte 161 États membres, aboutissent de plus en plus rarement à des accords... Nos partenaires américains ont donc pris l'initiative, en 2008-2010, soit au plus fort de la crise, de se rapprocher de leurs partenaires privilégiés. Ce faisant, ils prenaient acte des risques inhérents au basculement du centre de gravité de l'économie mondiale vers l'Asie-Pacifique. Gageons qu'ils ne seraient pas fâchés d'un rééquilibrage vers l'Atlantique.

Nos boîtes électroniques regorgent à présent de courriers d'alerte et de mises en garde, souvent sur le même modèle. Gardons la tête froide. Le choix fait a été de nous placer sur le terrain de l'efficacité, de la réduction des coûts administratifs inutiles, des contrôles bureaucratiques redondants. Le secteur du médicament est exemplaire à cet égard.

Le commerce international n'est pas un jeu à somme nulle. Les économistes s'y intéressent depuis longtemps. David Ricardo, il y a deux siècles, a montré que la production totale augmente par le fait du commerce. Adam Smith, lui, a montré que l'on pouvait être un brillant parlementaire et un brillant économiste...

Le traité nous donnera-t-il les points de croissance qui nous manquent ?

Il diminuera assurément les coûts, au bénéfice du pouvoir d'achat des ménages... (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Raoul .  - Je suis heureux que nous débattions du TTIP aujourd'hui, avant le 10e cycle des négociations du 13 au 17 juillet prochains.

Malgré les propositions concrètes faites par l'Union européenne aux États-Unis, alors que l'administration américaine est occupée à obtenir la loi dite TPA (Fast Track) et à conclure le partenariat transpacifique, les négociations patinent et les incertitudes sont grandes sur l'accord final. Il y a là un avantage : celui de pouvoir encore faire avancer le débat - dont je me félicite - sur la transparence qui doit être accrue.

Le contrôle parlementaire fonctionne. Voici deux ans que le « comité stratégique » a été créé ; ce débat est d'ailleurs le troisième sur ce sujet au Sénat. Des groupes de travail ont été mis en place. La définition des règles de transparence et d'information des parlementaires a progressé, mais il reste des marges d'amélioration, puisque le texte lui-même reste inaccessible.

L'ISDS - le règlement des différends entre investisseurs et États - est au coeur de ce débat. Ce mécanisme d'arbitrage n'est pas acceptable en l'état puisqu'il place entreprises et États sur le même plan, demeure opaque, ferait primer les sentences arbitrales sur le droit national et européen, et aurait un coût inacceptable pour les contribuables.

La proposition alternative avancée par la France présente toutes les garanties de sérieux, qui fait primer le caractère équitable et transparent de la procédure. Malgré l'instauration d'un mécanisme d'appel et la réaffirmation du droit absolu des États à légiférer et réglementer, nous restons hostiles quoi qu'il en soit aux dispositifs d'arbitrage privé.

Le président du Parlement européen a récemment été contraint de repousser le vote sur la résolution sur le TTIP pour les mêmes raisons.

M. Jean Bizet.  - Exact !

M. Daniel Raoul.  - Nous privilégions la création d'une Cour européenne indépendante - ou d'une Cour internationale, semblable à celle qu'a mise en place l'OMC, afin que les protagonistes européens et américains soient traités également.

La convergence réglementaire stagne, malgré le cycle de négociations qui lui a été consacré. D'abord en raison de la différence de culture réglementaire entre l'Europe et les États-Unis. Ensuite, parce que les États-Unis ne discutent que de leurs règles fédérales, quand la plupart sont édictées par les États fédérés.

Le bras de fer entre l'Europe et les États-Unis sur l'accord sur le commerce des services (TiSA) ne facilite pas la tâche. L'accord pour un partenariat transpacifique, en revanche, qui pourrait être conclu après l'adoption de la loi Fast Track, espérons-le cet été, pourrait faire bouger les lignes.

Le champ de coopération et la portée de l'organe réglementaire permanent qui serait créé suscitent également de nombreuses interrogations. Quels seraient les secteurs concernés par cet organe in fine ? Le droit des États à légiférer serait-il protégé ? Quid des enjeux sociaux et environnementaux ? Il est urgent de border l'action de cet organe.

L'ouverture des marchés publics américains dans le génie civil, les transports, l'énergie, devrait être une priorité, de même que la protection de notre agriculture.

Le chemin est encore long ; je souhaite que ce partenariat aboutisse. (Applaudissements sur la plupart des bancs, des bancs socialistes à la droite)

M. Bruno Sido.  - Bravo !

M. André Gattolin .  - Ce débat tombe vraiment à point nommé. Le moment est crucial : le neuvième round des négociations a été marqué, fin avril, par un coup d'arrêt, témoignant des doutes profonds de l'Union européenne sur l'agenda et les ambitions du traité. Revenons aux enjeux fondamentaux.

Pourquoi ce traité, d'abord ? La réponse autorisée est simple, mais guère convaincante : l'abaissement des barrières douanières pour un gain, très hypothétique à mon sens, de 0,5 % de PIB... à l'horizon 2027 ! Ce qui est peu !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Ce ne serait déjà pas mal !

M. André Gattolin.  - Ceux qui avancent ce chiffre y croient-ils eux-mêmes ? On peut faire autrement !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Comment ? Avec la décroissance ?

M. André Gattolin.  - La réalité, c'est la nécessité d'un rééquilibrage de l'économie mondiale face à la Chine. Mais le libre-échange profite toujours au plus fort (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve). Le président Xi Jinping n'a pas caché, lors de sa tournée européenne l'an dernier, sa volonté de conclure un traité de libre-échange avec l'Union européenne.

Il sera difficile de refuser une telle requête de la première puissance économique mondiale... Les États-Unis devaient donc prendre les devants, pour éviter que la Chine devienne le seul arbitre du commerce international. L'enjeu est donc géopolitique plus qu'économique. D'où le passage en force de la Commission européenne, l'absence de transparence et les difficultés qui minent le projet.

Si le mandat de négociation et certaines prises de positions de l'Union ont été rendus publics, aujourd'hui, seuls 13 députés européens, soumis au secret, ont obtenu un accès complet aux textes conjoints consolidés qui formeront l'accord final du TTIP.

Au nom de son « Agenda pour la transparence », notre secrétaire d'État au commerce international, Matthias Fekl, avait pourtant fait de ce point une de ses priorités, avec à la clef des propositions concrètes.

Disposons-nous, madame la ministre, d'une réponse de la Commission à ces propositions ?

Nous nous trouvons dans une situation absurde, où les acteurs industriels et économiques participent en permanence à la négociation du traité, quand les acteurs politiques des 28 États membres en sont largement tenus à l'écart. Ainsi, par le mandat accordé à la Commission européenne, nous avons réussi le tour de force de privatiser un débat public au nom d'une nouvelle forme de raison d'État. Cela a permis à la DG chargée du commerce d'imposer sa lecture ultralibérale du contenu du traité, au mépris de toute souveraineté démocratique européenne.

Les propositions de M. Fekl relatives à une norme au mécanisme de règlement des différends entre entreprises et États ont-elles été suivies, madame la ministre ?

Heureusement, la société civile se mobilise, comme le Parlement européen ; les parlements nationaux, eux, ne manqueront pas de s'exprimer quand ils seront enfin consultés.

M. Jean-Claude Lenoir.  - C'est un traité !

M. André Gattolin.  - La Commission européenne procède à un coup de force. Nous, parlementaires, européens et nationaux, devons nous faire entendre. (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur quelques bancs socialistes)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Très bien !

M. Éric Bocquet .  - Saluons l'initiative des collègues à l'origine de ce débat. Voilà des mois que des associations, des ONG, aux côtés de quelques parlementaires, se mobilisent pour faire connaître les enjeux de ce traité, négocié dans une opacité qui nous dépossède de notre rôle.

Les négociateurs invoquent, pour justifier ce mystère, le caractère stratégique et sensible de leurs discussions, Washington refusant catégoriquement de rendre publiques ses positions.

Tout juste a-t-il été concédé, dans la dernière période, le droit aux membres du Parlement européen, d'avoir accès aux documents relatifs aux négociations dans des reading rooms, sans qu'il leur soit permis d'en obtenir copie, ni même de prendre des notes !

Nous avons eu, il y a peu, un débat sur le déficit démocratique de l'Union européenne : en voilà un bel exemple !

Le traité touche tous les pans de notre économie. Il n'est pas possible d'en évoquer ici tous les aspects, mais indispensable de dire un mot du fameux ISDS. La Commission européenne avait consulté 150 000 citoyens européens : 97 % s'y opposaient ! Les conflits dont il s'agit sont réels : la compagnie qui gère l'eau de Tallin a obtenu réparation de l'Estonie pour n'avoir pu augmenter ses tarifs ; un géant néerlandais des assurances a saisi 30 millions d'euros d'actifs slovaques au Luxembourg pour n'avoir pas pu augmenter ses dividendes en Slovaquie, tel autre groupe énergétique suédois implanté à Hambourg s'insurge de ne pas pouvoir rejeter ses déchets polluants dans l'Elbe... C'est décidément un monde où les bénéfices des multinationales prévalent sur l'intérêt général et le service public !

M. Fekl a fait des propositions concrètes qu'il a adressées aux parlementaires : création d'un mécanisme d'appel, rééquilibrage des droits au profit des États, création d'une commission internationale ad hoc. Le consensus n'est pas encore en vue...

La procédure de liste négative rend possible la privatisation de tous les services sauf ceux explicitement exclus. C'est exactement l'inverse de l'approche européenne classique, qui doit préciser les services ouverts à la concurrence et uniquement ceux-là. Nous défendons le principe d'une liste positive.

La décision de M. Schulz, président du Parlement européen, de reporter sine die le vote sur la résolution du Parlement européen sur le TTIP, illustre les interrogations qui demeurent.

Dès juillet 1962, John Kennedy envisageait une vaste alliance économique entre l'Europe et les États-Unis, en déclarant : « cela ne pourra se faire en quelques années... ».

Transparence, démocratie, intérêt général : voilà ce qui doit nous guider.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

(Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes, ainsi que sur plusieurs bancs socialistes et du centre)

M. Yvon Collin .  - Ce sujet est d'une brûlante actualité et ce débat fait suite à celui organisé en janvier dernier. Nous regrettons néanmoins de n'être pas plus associés à l'évolution des négociations.

Les neuf cycles de négociations n'ont pas été très transparents, cela a été souligné. Or ce sont de domaines cruciaux pour l'avenir de nos économies qu'il s'agit.

Nous saluons la proposition française de créer une commission de règlement des différends spécifique. Le sujet retient l'attention de la société civile depuis deux ans. Évitons les dérives observées en Australie ou aux États-Unis, protégeons nos normes sanitaires et nos politiques publiques.

Les garanties avancées par la Commission européenne suffiront-elles ? Quid des aides d'État ? Quid de la PAC ?

Les propositions de M. Fekl sont constructives, mais encore faudrait-il que nous ayons des alliés...

Les négociations sont un enjeu majeur pour la France et l'Europe. J'y vois aussi l'occasion de promouvoir dans le monde nos standards de qualité. Nous y serons très attentifs. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

M. David Rachline .  - « Le Pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas / Que par son compagnon il fut mis en éclats, / Sans qu'il eût lieu de se plaindre. / Ne nous associons qu'avecque nos égaux. / Ou bien il nous faudra craindre / Le destin d'un de ces Pots. »

Le TTIP nous rappelle la fameuse fable de Jean de La Fontaine, mais dans cette fable, le pot de fer ne voulait aucun mal au pot de terre ; ce n'est, à l'évidence, pas le cas des États-Unis à l'égard de l'Europe !

Ce projet de traité illustre tout ce que les Français rejettent dans la construction européenne, qui gomme les identités nationales et réduit l'Europe à une zone économique dans une mondialisation uniforme. Ce traité assurera la domination des Américains sur la France et l'Europe, de leurs entreprises sur les nôtres, de leurs juridictions arbitrales sur nos tribunaux - « spéciale dédicace », comme disent les jeunes, à M. Tapie et à Mme Lagarde !

Si un État modifie ultérieurement ses normes sociales, techniques, environnementales, sanitaires, alimentaires, il pourra être attaqué devant une juridiction privée. En matière de commerce, c'est toujours la loi du plus fort qui l'emporte. Notre agriculture, notre santé, notre culture seront soumises à un commerce déloyal, car les États-Unis n'accepteront jamais d'abaisser leurs protections pour nos beaux yeux. Ce texte ne créera ni croissance, ni emplois.

Nous défendons un autre modèle économique, une autre idée que celle de Don Salluste, selon qui les pauvres sont faits pour être très pauvres, les riches très riches.

Le silence des syndicats est éloquent sur ce point, sans doute préfèrent-ils se liguer contre le Front national... (Protestations à gauche)

Il est vrai qu'ils ne pèsent désormais guère plus que vous, les communistes, qui n'obtenez que 2 % aux élections ! (Même mouvement)

Un référendum serait opportun ; mais sans doute avez-vous peur que le peuple français vous fasse la même réponse qu'il y a dix ans ; pour ma part, je m'en féliciterais.

M. Claude Kern .  - Le 9e cycle des négociations sur le TTIP s'est achevé fin avril. La constitution du plus grand espace économique mondial avance. Les sénateurs UDI-UC soutiennent cette construction. Dans un monde polarisé où de nouvelles puissances émergent, ce traité est nécessaire. Des difficultés apparaissent. Les négociations révèlent des crispations et des blocages, illustrés par le report du vote au Parlement européen.

Ces blocages sont d'abord dus à l'opacité qui entoure les négociations. Dommage que nous n'ayons pu, madame la ministre, nous revoir tous les trimestres pour faire le point. Pourtant le traité devra être ratifié par les États.

Ensuite, la procédure d'arbitrage privé remet en cause la souveraineté des États. Si à l'origine l'ambition de cet outil était de protéger les investisseurs dans les pays où l'État de droit est défaillant, cet outil de protection juridique a été transformé en une puissante arme pour infléchir les législations nationales, dans le sens des intérêts des investisseurs bien sûr. On l'a vu avec l'industrie du tabac en Australie et l'industrie nucléaire en Allemagne. Les États se trouvent à la merci des multinationales, c'est inacceptable. Pourtant la Commission européenne refuse le débat. On pourrait comme l'Australie refuser un tel mécanisme, ou moderniser la procédure. Pourquoi ne pas s'inspirer du mécanisme de règlement des différends de l'OMC ?

En outre, le traité souffre d'un manque de réciprocité. Les États-Unis achètent de préférence des produits américains avec le Buy American Act. L'excès de normes nuit aux échanges. Espérons que la réunion des régulateurs américains et européens y réfléchiront.

Si le groupe UDI-UC soutient le principe d'un traité, il émet les réserves les plus vives sur ses modalités. (Applaudissements au centre ainsi que sur quelques bancs socialistes)

M. Jean-Paul Emorine - Toute négociation commerciale s'accompagne de risques. Si certaines filières pourraient bénéficier du traité de libre-échange avec les États-Unis, d'autres seront beaucoup plus vulnérables, à commencer par notre filière bovine déjà fragilisée.

Après l'accord de 2012 entre l'Europe, les États-Unis et le Canada qui a autorisé l'importation en Europe de 50 000 tonnes de boeuf nord-américain sans hormones, celui qui a été conclu avec le Canada a ouvert la voie à l'importation de 65 000 tonnes supplémentaires. Les États-Unis voudront sans doute en faire une base de négociation : en proportion de leurs capacités exportatrices, cela pourrait représenter 250 000 à 300 000 tonnes de viande américaine supplémentaire.

Or, s'il n'est pas question de transiger sur le boeuf aux hormones ou le poulet chloré, le différentiel de compétitivité n'en demeure pas moins entre les deux continents. Des milliers, voire des dizaines de milliers de bêtes sont élevées outre-Atlantique dans des parcs d'engraissement où elles sont nourries au soja et au maïs OGM, et bourrées de médicaments et d'hormones de croissance. Les normes européennes en matière d'environnement, de bien-être animal ou de traçabilité n'y ont pas cours.

La superficie agricole américaine est de 372 millions d'hectares, contre 140 millions dans l'Union européenne et 28 millions en France, dont 40 % en herbe. Nous ne pouvons rivaliser. Le principe de réciprocité devra s'appliquer et les producteurs américains désireux d'exporter devront appliquer les mêmes normes que nous. Mais sans doute est-ce illusoire...

La filière bovine doit être inscrite sur la liste des productions sauvegardées.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Jean-Paul Emorine.  - Il y va de la survie de cette filière, qui génère des centaines de milliers d'emplois dans les espaces ruraux et contribue à leur survie. Ne la sacrifions pas au nom de prétendus intérêts économiques. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Didier Marie .  - Je salue l'effort de communication de la France, tant la négociation sur le TTIP reste opaque. Il est à regretter que les Américains gardent le secret sur leurs positions.

Si cet accord était adopté, il contribuerait à la croissance en Europe. Toutefois on a l'impression que les États-Unis privilégient la conclusion d'un accord avec l'Asie.

Je partage les craintes de M. Raoul sur le mécanisme d'arbitrage. Il s'agit là d'un point dur.

Les services publics, exclus de la directive Service, ne doivent pas être remis en cause. Voilà une ligne rouge. De même, il faut rétablir l'équilibre pour l'accès aux marchés publics : les marchés publics américains restent protégés.

Autre inquiétude, la reconnaissance des appellations d'origine : les vins et fromages représentent un chiffre d'affaires en France de 2 milliards d'euros. Or ces appellations ne sont pas reconnues aux États-Unis, où des producteurs produisent même une autre forme de champagne. Là encore, nous n'accepterons pas un nivellement par le bas. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bruno Sido .  - Le traité vise à harmoniser les normes mais cette ambition soulèvera des problèmes. Je regrette l'opacité sur les négociations. Quels sont les points de blocages ? Quelles sont les avancées sur la protection des données personnelles numériques et de l'environnement ?

Il est essentiel que les États-Unis respectent notre législation sur les données numériques. Le 28 mai 2015, le Parlement européen a voté une résolution pour exclure de cet accord les données à caractère personnel et n'autoriser la communication de ces données à d'autres pays que si leur législation est aussi protectrice.

Autre thème, l'énergie. Les prix de gros de l'énergie reste en Europe 30 % supérieurs à ceux des États-Unis, et 50 % pour le gaz. Il faut lever les restrictions aux importations sur les carburants pour baisser les prix. Il faut aussi instaurer une clause de sauvegarde pour protéger, à titre temporaire, les secteurs à forte consommation d'énergie, comme les industries chimiques et sidérurgiques.

La concurrence doit être « dure et parfaite », comme disaient les économistes classiques - autrement dit, loyale. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique .  - Les négociations sur le TTIP ont commencé il y a deux ans. Chacun a constaté combien le débat s'est développé de proche en proche jusqu'à devenir un enjeu majeur pour la société civile elle-même. À Bruxelles, le débat est vif.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il n'y en a pas !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Le vote du Parlement européen a été reporté ce matin. Aucun document n'est accessible sur l'état des négociations...

M. Bruno Sido.  - En effet !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Or le flou entretient la suspicion. Les négociations se poursuivent ; aucun chapitre ne sera clos avant que tous ne le soient. La France veille à ce que ses demandes, qui figurent dans le mandat de négociation, soient respectées faute de quoi les discussions s'arrêtent. Nous avons à distinguer l'acceptable de ce qui ne l'est pas. Il n'y a pas d'accord secret en tout cas. Est-ce à dire que la transparence serait satisfaisante ? Non ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

MM. Bruno Sido et Yvon Collin.  - Très bien !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Des progrès peuvent néanmoins être observés et la commissaire Cecilia Malmström semble sincèrement engagée en faveur de la transparence.

M. Daniel Raoul.  - Enfin !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Peut mieux faire !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Le mandat de négociation a été rendu public en octobre, conformément à la demande insistante de la France. Les parlementaires européens ont eu accès aux documents de travail. Il faut aller plus loin pour avoir accès aux négociations secteur par secteur.

Monsieur Gattolin, nous refusons un accès dans les seules ambassades américaines et réclamons un accès depuis les administrations, ce que les États-Unis pour l'instant refusent.

M. Fekl a élargi à la société civile - ONG, organisations professionnelles, syndicats - la composition du comité stratégique qui se réunit régulièrement. Il lui a été adjoint des comités thématiques. Nous souhaitons comme le président de la République l'a rappelé que ce partenariat euro-américain soit un succès. La transparence y contribuera.

Certains craignent que la machine américaine ne nous écrase. Nous n'avons pas à nous excuser, nous sommes la première puissance économique. Notre objectif est clair : la création d'emplois...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Balivernes !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - L'Europe n'a pas à rougir de ses valeurs, de ses industries. Nous avons tracé des lignes rouges : la défense des préférences collectives - comme la législation européenne sur les OGM ou l'interdiction des poulets chlorés - ; la protection de certains secteurs, comme l'audiovisuel, ou les données personnelles. En outre, les services publics ont été exclus.

M. Martial Bourquin.  - Très bien.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - La France est vigilante. La concordance réglementaire suscite aussi des inquiétudes. Nous n'accepterons pas un nivellement par le bas. Cet accord ne doit pas se faire à n'importe quel prix. Les États doivent conserver leur capacité à légiférer. Par exemple, le TTIP prévoit une diversification des modes d'approvisionnement énergétique, mais cela ne signifie pas que les partenaires puissent se prononcer sur leurs modes de production respectifs.

Convergence ne signifie pas nivellement par le bas. Simplement, il faut supprimer les redondances des contrôles, les obstacles réglementaires.

Le numérique fait partie des négociations. Le décalage est patent entre la rapidité du développement du commerce numérique et la lenteur de l'adaptation du droit international en la matière : ni traité commercial ni lex mercatoria en la matière, ni définition d'un bien commun de l'internet. Les règles dans ce domaine datent de 1994 !

Nous devons renforcer notre législation européenne parallèlement. Il est en tout cas hors de question que les données personnelles soient incluses. Mais nous devons aussi défendre des positions offensives. Notre continent ne doit pas être un simple consommateur de numérique, il doit affirmer ses intérêts.

Défendons aussi nos intérêts dans le domaine des marchés publics : actuellement les marchés européens sont ouverts à 95 %, quand les marchés américains ne le sont qu'à 47 %. Nous ne pourrons nous contenter que l'État fédéral américain nous ouvre ses marchés si les États fédérés maintenaient leurs barrières.

Oui, monsieur Bizet, nous tenons à protéger aussi nos indications géographiques et appellations protégées. Les consommateurs souhaitent d'ailleurs être informés de l'origine des produits.

La France a obtenu un succès avec la révision de l'arrangement de Lisbonne qui étend la reconnaissance des appellations aux Vingt-huit. La France est attentive à la négociation sur les quotas alimentaires. Actuellement, le marché est très fragmenté. Monsieur Emorine, l'accord avec le Canada sur la viande bovine ne saurait servir de précédent pour le TTIP, même s'il ne concerne pas la viande aux hormones.

Pour l'instant, les États-Unis ont une position fermée sur les appellations alors même que celles-ci sont compatibles avec les marques. Aucune avancée américaine n'a été enregistrée non plus sur les marchés publics. Les discussions n'avancent pas davantage sur la convergence réglementaire en matière sanitaire et phytosanitaire. La création d'un conseil réglementaire est en discussion, mais nous refusons un organe super étatique. Il ne doit être que consultatif. Les Américains doivent reconnaître les droits des entreprises européennes.

La TTA qui clarifie le mandat du président Obama a été approuvée par le Sénat américain et doit encore être adoptée par la chambre des Représentants.

Dans tous les cas, nous voulons un accord réciproque, sans précipitation. La protection des investissements ne sera abordée qu'en septembre. Le mécanisme d'arbitrage suscite bien des inquiétudes, comme l'illustre le report du vote du Parlement européen. On constate une érosion lente du droit des États au profit des investisseurs... La France ne cesse de le réaffirmer. Ne mettons pas à mal davantage la capacité à légiférer des États. M. Fekl a adressé à la Commission européenne des pistes d'amélioration avec un dispositif d'appel et un encadrement du choix des arbitres, la réaffirmation du droit des États à légiférer. Avec l'Allemagne, nous bâtissons une coalition.

Un changement législatif ne doit pas être prétexte à une attaque par une entreprise sur le fondement des attentes légitimes des investisseurs ou de l'expropriation indirecte. Les États doivent pouvoir légiférer au nom de l'intérêt général. Ils doivent pouvoir restructurer leurs dettes le cas échéant dans des conditions encadrées.

Nous proposons une commission internationale dont le recrutement empêcherait tout conflit d'intérêt. Elle serait permanente et formerait l'ossature d'un nouveau système juridique international. La France en cela est fidèle à sa position historique. Pour mieux défendre nos valeurs, nous avons besoin de votre soutien. (Applaudissements)

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 25.

Dépôt d'un rapport

Mme la présidente.  - M. le président du Sénat a reçu du Premier ministre le rapport relatif aux formations biqualifiantes dans les établissements d'enseignement agricole -Le cas des métiers du sport et de l'animation - États des lieux et conditions de développement-.

Acte est donné du dépôt de ce rapport qui a été transmis à la commission de la culture, ainsi qu'à la commission des affaires économiques.

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renseignement.

La liste des candidats a été publiée ; je n'ai reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 12 du Règlement.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : comme membres titulaires, MM. Philippe Bas, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne, Jean-Pierre Sueur, Michel Boutant et Mme Cécile Cukierman, et comme membres suppléants, MM. Pierre-Yves Collombat, Michel Delebarre, Mme Catherine di Folco, MM. Christophe-André Frassa, Michel Mercier, Alain Richard et Jean-Pierre Vial.

Réglementation applicable aux entreprises (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de Mme Élisabeth Lamure à M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises (demande de la délégation sénatoriale aux entreprises).

Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question .  - Triste record : 3 150 000 Français sont au chômage, en dépit des prémices de reprises, d'un euro faible, et d'un pétrole bon marché. C'est pourquoi le président Larcher a proposé de créer une délégation aux entreprises pour aider les PME, recenser les obstacles à l'installation et les mesures de simplification possibles. La centaine d'entrepreneurs que nous avons rencontrés nous ont alertés sur la lourdeur de la réglementation et son instabilité. « Laissez-nous travailler ! », tel est leur mot d'ordre. La gestion de la réglementation leur prend en effet entre 20 % et 30 % de leur temps...

Dans le domaine social, le code du travail français est particulièrement épais. Au-delà de 50 salariés, la complexité est telle qu'il faut parfois en embaucher un 51ème pour la gérer. En matière environnementale, fiscale, le même constat s'impose, au point que nombre d'entreprises souhaitent une généralisation du rescrit.

L'accumulation de normes coûtait en 2008 60 milliards d'euros selon la commission Attali, et freine l'activité, comme le souligne le rapport Boulard-Lambert. D'où le gel annoncé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en 2013 : à chaque norme nouvelle, une autre doit être supprimée. Comment cette circulaire est-elle appliquée et selon quelle méthodologie ? Les normes ont-elles toutes été recensées et leur charge induite évaluée ? Est-il vérifié que la charge liée à une norme nouvelle équivaut à celle liée à une norme supprimée ! L'objectif a-t-il été atteint ?

En Allemagne, un organe indépendant offre depuis 2006 une évaluation précise et transparente du coût des nouvelles normes, de même que le Regulatory Policy Committee britannique. Vous avez annoncé la mise en place d'une telle instance pour juillet, monsieur le ministre. Qu'en est-il ?

Au Royaume-Uni, on est passé de la règle « One in, one out » à « One in, two out ». En mars 2015, une loi a été adoptée qui astreint le gouvernement britannique à la simplification réglementaire.

Les normes doivent aussi être mieux évaluées en aval mais aussi en amont. Les études d'impact des projets de loi sont trop souvent lacunaires, comme l'a reconnu le Conseil d'État à propos du projet de loi Macron.

La délégation aux entreprises manque ainsi des informations nécessaires à ses missions. Comme elle a reçu celle de proposer des mesures pour favoriser l'esprit d'entreprise et simplifier les normes applicables à l'activité économique, elle a besoin de pouvoir évaluer celles que proposent les entrepreneurs. La Commission Juncker plaide aussi en ce sens. Comment le Gouvernement en prend-il sa part ?

Les chefs d'entreprises se plaignent aussi de l'état d'esprit de l'administration, qui se comporte en contrôleur plutôt que de les conseiller et de les aider à se conformer à la réglementation. « Faites-nous confiance ! », voilà ce qu'ils disent. Le Premier ministre clame dans toutes les langues qu'il aime les entreprises...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le football aussi !

Mme Élisabeth Lamure.  - Il y a une sorte de dépit amoureux chez les entrepreneurs. L'un d'eux a reçu un courrier le menaçant de poursuites pénales s'il n'appliquait pas les 35 heures... Un autre a subi un contrôle fiscal dans la foulée de sa demande de crédit impôt recherche... On est suspect aux yeux de l'administration dès lors qu'on innove. Les choses se passent différemment au Royaume Uni.

Nos concurrents, eux, ne sont pas soumis aux mêmes normes. L'Union européenne pêche sans doute par naïveté dans ses négociations, mais nous sur-transposons aussi la réglementation européenne. Une claire distinction devrait être faite entre ce qui relève de l'Europe, de l'échelon national ou local. Le paquet « Mieux légiférer » de la Commission européenne va dans ce sens.

Les entreprises sont le berceau de la croissance et de l'emploi. Il faut leur simplifier la vie, leur laisser le temps de travailler, d'innover. Faisons-leur confiance. Et faisons des normes un facteur de croissance et de compétitivité, pour que la France tienne une place solide dans l'économie mondiale. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Henri Cabanel .  - Les entreprises saluent unanimement la création d'un lien fort entre elles-mêmes et le Parlement. Cette démarche, que j'applique moi-même dans mon département, est illustré par la création de la délégation aux entreprises et ses déplacements sur le terrain.

On trouve encore des entrepreneurs heureux ! Dans la Drôme, nous avons été accueillis par une banderole : « Bienvenue aux sénateurs dans une entreprise où tout va bien ! » ; 84 % des salariés de cette entreprise, 11e au classement Great places to work, se disaient heureux au travail...

Contrairement à son prédécesseur, le Gouvernement a entendu la soif de simplification des entreprises, pris plus de 200 mesures en ce sens et créé un secrétariat d'État dédié. Je remercie le ministre pour son travail et son engagement...

M. Martial Bourquin.  - Il était temps !

M. Henri Cabanel.  - ... qui a pris le relais du combat courageux de certains parlementaires. En ce qui concerne la sur-transposition, une entreprise de charcuterie nous a parlé du bisulfite, interdit en France mais autorisé ailleurs en Europe dans des produits ensuite vendus dans notre pays... Il faudrait justifier toute sur-transposition et réexaminer les précédentes.

En matière d'apprentissage, les règles sur les escabeaux avaient été imaginées par des gens qui n'avaient sans doute jamais vu un arbre fruitier... Le Gouvernement y a mis bon ordre. De même sur les tenues individuelles de protection.

De nombreux entrepreneurs m'ont alerté sur l'interprétation litigieuse que certaines administrations font de la réglementation. Les doctrines nationales d'interprétation doivent être publiées pour chaque corps de contrôle.

J'ai connaissance d'une entreprise qui a essaimé pour ne pas dépasser le seuil des 50 salariés... Le Gouvernement vient d'annoncer la suppression des deux premiers seuils et le gel des prélèvements sociaux pendant trois ans pour le seuil des 50, afin de doper l'embauche dans les TPE et PME ; ainsi qu'une aide de 4 000 euros aux TPE embauchant un premier salarié en CDI ou en CDD de plus de douze mois.

Le Gouvernement a aussi apporté des réponses concrètes aux agriculteurs, en dématérialisant de nombreuses procédures et en privilégiant les contrôles sur pièces. Je m'interroge toutefois sur la déclaration unique de récolte.

Je salue le travail effectué par le Gouvernement. Nous, parlementaires, devons communiquer sans modération sur les nouvelles mesures et faire ultérieurement le bilan de leur application, par exemple au travers de notre délégation. J'espère que nous serons accueillis souvent par la même banderole que dans la Drôme, cela prouvera que le travail aura porté ses fruits. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Dominique Watrin - Notre débat prolonge celui relatif à la CNEN. Comme le disait alors Cécile Cukierman, malgré le flot de critiques, l'inflation normative se poursuit, par exemple avec les 300 articles du projet de loi Macron : pour faire moins de normes, faisons-en une nouvelle...

Nulle volonté perverse de la part de l'administration, mais la volonté d'édicter la norme la meilleure. Comme le notait un rapport de la commission des lois, « la situation des entreprises françaises n'est pas préoccupante du point de vue du droit applicable ». Une norme contraignante pour certains en protège d'autres à plus long terme ! La simplification n'est-elle pas le faux-nez de la dérégulation, de l'abandon du service public et du rôle l'État ? Les mutualisations, restructurations et privatisations larvées, la diminution du nombre de fonctionnaires en témoignent.

Avec la circulaire de 2013, les normes juridiques, administratives et techniques sont considérées comme des marchandises, dont on mesure le volume, le poids, la validité et pour lesquelles on fixe une date de péremption comme l'a souligné le professeur Koubi ! C'est là que nous devons être vigilants. Ce qui fait l'activité et la croissance, ce sont les carnets de commande... Ce que les Gouvernements successifs considèrent comme de la complexité, ce sont les droits sociaux, comme le droit à l'information des salariés en cas de cession ou l'action de groupe.

C'est le législateur qui définit l'intérêt général, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers. L'évaluation économique systématique du droit a des limites ; c'est pourtant en ces termes que la circulaire envisage la simplification administrative. Les entreprises, les citoyens n'attendent-ils pas toujours plus de la sécurité, donc des normes ? Et l'apparition de nouveaux domaines comme la multiplication des sources externes du droit s'accompagnent naturellement de sa complexification.

L'évolution qualitative doit l'emporter sur une évolution faussement comptable. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Yvon Collin .  - Le prolifération des normes est une question récurrente tant la France souffre de harcèlement textuel... Dans un rapport de 2004, l'OCDE évaluait à 11 % du PIB le coût de la paperasserie en France, ce qui place notre pays en 130e position mondiale.... Les entreprises doivent assimiler tous les ans 3 000 nouvelles informations et se soumettre régulièrement à de nombreuses formalités - car les administrations ne se communiquent pas les informations déjà transmises.

La complexité de la réglementation décourage bien des entrepreneurs. D'autant que l'utilité de la norme prescrite n'est pas toujours démontrée. On mesure la taille des cages pour palmipèdes gras, ou encore le calibre des bananes qui est déterminé « par la longueur du fruit, exprimée en centimètres et mesurée le long de la face convexe, depuis le point d'insertion du pédoncule sur le coussinet jusqu'à l'apex »...

Je me félicite donc du « choc de simplification » amorcé par le Gouvernement. C'est vital, surtout pour les petites entités. Le Conseil de la simplification a vocation à desserrer l'étau réglementaire. Je me réjouis également des annonces récentes du Premier ministre et de certaines des dispositions de la loi Macron. Reste le stock de normes fossilisées. Où en est l'application de la circulaire du 17 juillet 2013, selon laquelle une norme doit être supprimée pour toute norme créée ? La simplification, comme l'a dit Mme Lamure, est un enjeu de compétitivité.

Il faut aussi s'attaquer à la production de la norme. Le rapport Lambert-Boulard souligne qu'à chaque problème, on a rédigé une loi nouvelle plutôt que de tenter d'améliorer les choses dans le cadre des lois existantes.

Il faut trouver le point d'équilibre entre Colbert et Tocqueville, entre une société encadrée pour mieux la protéger et une société responsabilisée pour encourager son dynamisme. Le groupe RDSE vous fait confiance, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs RDSE ; M. Jean-Claude Lenoir applaudit aussi)

M. Michel Canevet .  - La délégation aux entreprises, dont je salue la présidente, a rencontré de nombreux entrepreneurs ; elle a constaté combien l'accumulation des normes nuit à l'activité en bridant les énergies. Il reste beaucoup à faire pour lever les freins à l'embauche dans les PME, en s'attelant au code du travail par exemple, aux contrats, au temps partiel.

J'ai rencontré récemment des chefs d'entreprises dans le domaine des biotechnologies : ils se plaignent de devoir se soumettre à des formalités auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et de diverses commissions qui n'ont pas les moyens de répondre rapidement, et ont tendance à délocaliser leur activité.

Il faut une action volontariste, une simplification rapide et durable. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Vaspart .  - La circulaire de 2013 va dans le bon sens, mais elle n'a par nature aucune valeur normative. Depuis mon élection en 2014, je m'étonne de la complexité des projets de lois qui nous sont soumis, loi NOTRe, loi Alur... La prolifération des normes est paralysante, leur simplification urgente. La France en est-elle vraiment capable ? Les mesures annoncées cette semaine en faveur de l'embauche dans les PME sont-elles à la hauteur ? Je voudrais vous en faire crédit, monsieur le ministre et je ne doute pas de votre bonne volonté. Mais avez-vous les moyens de vos ambitions ?

Le développement des démarches en ligne simplifie la vie de l'administration plus que celle des entreprises ou des citoyens. Ce ne sont d'ailleurs que des gouttes d'eau dans un océan de complexité... Les classements internationaux ne sont pas en notre faveur : nous sommes 126e pour les droits d'enregistrement, 95e pour le paiement de l'impôt et à la 90e place pour les permis de construire... Le Royaume-Uni et l'Allemagne occupent, eux, respectivement la 8e et la 14e place mondiale en termes de simplicité administrative...

La simplification administrative ferait faire de substantielles économies. Vous parlez de 11 milliards d'ici 2017, monsieur le ministre : si c'est vrai, que n'allez-vous plus vite ?

Les dirigeants de PME passent trop de temps à des tâches administratives, au lieu de développer leurs produits. J'ai fait un rêve, que les deux chambres travaillent de conserve à la simplification, à la réécriture des textes qui bloquent le développement et la création d'entreprises. Redonnons du souffle, de l'espoir et de la confiance à nos entrepreneurs : c'est ainsi que nous renouerons avec la croissance et l'emploi. (Applaudissements au centre et à droite).

M. Jérôme Durain .  - La question de Mme Lamure est intéressante. La circulaire du 17 juillet 2013 s'apparente à l'article 40 de la Constitution. Doit-elle être appliquée strictement ? Si le Gouvernement ne semble pas faire d'études d'impact systématiques, force est de reconnaître qu'il supprime plus de charges administratives qu'il n'en crée - ce qui ne va pas sans débat chez les socialistes... Il associe chefs d'entreprises, particuliers, fonctionnaires, pour prendre les mesures les plus efficaces. Sur ses 900 propositions, 350 sont déjà appliquées, pour une économie de 3,3 milliards. « Jusqu'à aujourd'hui, aucun gouvernement n'a pris pareilles mesures », nous a dit la présidente de l'Association Femmes-chefs d'entreprise de l'Essonne. « Il y a un vrai sentiment de simplification », dit Jose Ramos, chef d'une entreprise de BTP.

Mais qui dit simplification ne dit pas destruction de notre modèle social. D'après Marc Simoncini, nos entreprises, pour être protégées, ont besoin d'un minimum de complexité avant de partir à la conquête de nouveaux marchés. Prenant prétexte de la complexité du compte pénibilité, c'est son principe même que contestait le Medef ; les récentes décisions du Gouvernement à ce sujet sont un exemple de simplification pragmatique et non idéologique, une simplification réussie. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Olivier Cadic .  - Nos compatriotes d'outre-Manche, qui se désolent de la complexité administrative française, saluent en revanche le travail entrepris par le Gouvernement britannique de David Cameron, avec la règle « One in, one out » et la création de l'Office of Tax Simplification. En deux ans, 963 millions de livres de charges administratives ont été économisés. En juillet 2013 a été instituée la règle « One in, two out », une règle simple et efficace. Deux fois par an, le Gouvernement doit publier la liste des règles à venir dans les six mois suivants et celles des règles qui vont disparaître, ainsi que leur évaluation.

Au même moment, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault publiait la circulaire du 17 juillet 2013. N'est-il pas temps d'imposer la suppression de deux règles à chaque règle nouvelle ? « Nous allons légiférer mieux, donc moins », annonce Jean-Claude Juncker : voilà qui devrait nous inspirer. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Gérard Cornu .  - Je salue l'initiative de Mme Lamure. La simplification, on en parle beaucoup, mais pour quel résultat ? Ancien artisan commerçant, j'ai eu l'expérience d'une administration tatillonne, et je sais que les choses ont empiré depuis...

J'entends parler de simplification depuis que je suis parlementaire. En 2002, le secrétariat d'État à la réforme de l'État en était spécialement chargé, qui compilait dans des projets de loi d'habilitation fourre-tout les souhaits de simplification des autres ministères... Depuis, la méthode n'a pas changé. Mais peut-on se contenter de demander aux ministères quelles normes ils acceptent de voir supprimées ?

La sur-transposition des directives européennes nous pénalise. C'est le cas pour les rapports de sécurité des sites Seveso ou l'exposition des salariés à des substances dangereuses. Pourquoi sur-transposer ? Pourquoi continuer de freiner les entreprises françaises ?

Quelques modèles de complexité depuis 2012, même si droite et gauche sont coupables de la prolifération législative... La loi Alur est sur la première marche du podium, un chef-d'oeuvre de complexité mâtinée d'idéologie. La loi relative à l'économie sociale et solidaire, dont les articles 19 et 21 créaient un droit d'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, ne valait guère mieux : le décret d'application a tardé à paraître et il a fallu attendre M. Macron pour le corriger...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Il est très bien, M. Macron !

M. Gérard Cornu.  - Le projet de loi Rebsamen inquiète lui aussi les petits patrons - bien qu'il simplifie le compte pénibilité créé il y a quelques mois... Que de revirements et de pertes de temps ! L'instabilité juridique nuit à la compétitivité et dissuade les créateurs d'entreprise comme les investisseurs.

Il faut arrêter de se payer de mots, en finir avec le marketing politique. Et dire la vérité : on ne simplifie pas, au contraire. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Didier Mandelli .  - La circulaire du 17 juillet 2013 s'est substituée au moratoire de 2010, avec pour même objectif d'endiguer la complexification administrative, facteur d'inégalité qui nuit aussi à l'attractivité du territoire français comme à l'esprit d'entreprise. Pour les PME et TPE, la paperasserie est chronophage : en moyenne, elle prend à leurs dirigeants trois heures dix-huit par jour... Selon l'OCDE, cette complexité coûte 60 milliards d'euros par an et la France se situe au 130e rang mondial dans ce domaine - sur 148...

Monsieur le ministre, l'inventaire de mesures techniques et sectorielles que vous venez d'annoncer allègera-t-il le quotidien des entreprises ? Les 273 mesures prises depuis 2013 ont-elles eu un réel impact sur la croissance, l'innovation, la création d'emplois, la confiance des entreprises ? Il paraît hasardeux d'en mesurer les effets, surtout si l'on se fie au nombre de demandeurs d'emploi, critère essentiel pour nos concitoyens...

Le Gouvernement prône la simplification mais crée le compte pénibilité, qui ajoute de la complexité ! La circulaire de 2013 doit être accompagnée d'un allègement de charges des entreprises. Ce n'est qu'à cette condition qu'elles créeront de l'emploi. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification .  - Le débat de cet après-midi est riche, précis, non dogmatique, et je vous en sais gré.

Nous irons plus loin, plus vite, plus fort dans les mois à venir sur la simplification de la vie de nos entreprises. Il en va de leur compétitivité, et de notre vision de l'économie, de l'équité entre les grandes, qui ont les moyens de déchiffrer, voire d'utiliser le droit à leur profit, et les petites, qui subissent de plein fouet l'accumulation des normes.

L'un de vous citait Tocqueville selon qui : « il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul ». Vous en avez apporté la preuve au cours de ce débat, même s'il convient, en l'occurrence, d'ajouter à la citation « les femmes ».

Votre débat va bien au-delà de la circulaire de 2013, puisqu'il vise tout autant le stock de normes existantes que le flux de nouvelles mesures.

Les politiques de simplification ne sont pas nouvelles : dès le 26 septembre 1953, un décret établissait la nécessité de simplifier les formalités administratives ; une commission spécifique fut créée en 1983 pour s'y atteler. Je pourrai continuer la chronologie, qui est fournie. Les effets n'ont, à l'évidence, pas été au rendez-vous. Investi par Jean-Marc Ayrault et le président de la République en 2013, j'ai commencé par faire un tour d'Europe des exemples qui ont donné plus ou moins de résultats, pour en retenir les outils dont l'efficacité est avérée.

Nous en avons retenu quelques principes d'action. D'abord, cette politique de simplification ne peut être que collaborative : l'administration ne peut se borner à faire ce qui l'arrange, elle doit partir de la complexité vécue par les entreprises, qui doivent cibler elles-mêmes les dispositifs à simplifier.

C'est la raison d'être du Conseil de la simplification, réunissant plus d'une centaine de représentants d'entreprises, en ateliers thématiques consacrés aux moments clés de la vie d'une entreprise : création, déclaration fiscale et sociale, recrutement, import, export... Les entreprises ne sont pas nécessairement représentées par les niveaux hiérarchiques les plus élevés, mais de préférence par ceux qui sont directement en butte à la complexité. S'y élaborent les mesures à prendre, pour résoudre les problèmes vécus par les entreprises, avant qu'elles soient inscrites dans des plans d'action opérationnels.

Cette procédure collaborative représente une mini-révolution. En France, culturellement, les normes sont produites par l'administration pour répondre à une orientation politique, mais on ne se soucie pas des modalités d'application, et on n'en découvre les effets pervers ou inattendus qu'au moment de les mettre en oeuvre, si on le peut... Le texte initial relatif à la pénibilité souffrait de ce défaut. Nous y avons travaillé.

Notre travail est méthodique, il consiste à anticiper l'application des textes avant de les proposer. Il est systématique et a vocation à s'inscrire dans la durée, au-delà du quinquennat. Cinquante mesures tous les six mois, cent par an, n'y suffiront pas.

Nous avons travaillé avec la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales ; je suis tout à fait prêt, madame la présidente, à travailler avec votre délégation aux entreprises.

Vous m'interrogez sur le décret du 17 juillet 2013, dit « un pour un », soit « une norme supprimée, pour une norme créée ». De septembre 2013 à mai 2015, 1 100 textes réglementaires, ordonnances, décrets, arrêtés, sont entrés en application, dans le périmètre du décret du 17 juillet 2013. Ils concernent essentiellement les entreprises, secondairement les collectivités territoriales et les particuliers. Un tiers provient du ministère des finances, un tiers du ministère des affaires sociales et un tiers du ministère de l'écologie. Les gains nets sont pour les entreprises d'un peu plus d'1,5 milliard d'euros ; de près de 3 milliards d'euros au total.

Chaque ministère qui rédige un projet de décret y joint une étude d'impact en estimant le coût et les propositions de suppression de charges en contrepartie. Le Secrétariat général du Gouvernement veille à la cohérence entre ce qui est proposé et ce qui est supprimé. Les coûts sont calculés sur le fondement des charges administratives, des coûts de mise en conformité avec les normes envisagées, relatifs aux investissements nécessaires, par exemple. La méthode de calcul utilisée est éprouvée hors de nos frontières, à l'étranger par exemple.

Le dispositif fonctionne, mais est encore insuffisant. Ce n'est qu'un premier pas. Il faudrait, à mon sens, que cette règle soit étendue à toute la production normative, lois incluses. Au 1er juillet 2015, un comité d'impact entreprises sera créé, sur le modèle des organes équivalents anglais et allemand, réunissant des représentants du monde économique et des personnalités qualifiées. Il donnera un avis sur les conséquences microéconomiques, sur la vie des entreprises, d'un texte dont le Gouvernement l'aura saisi, sur le fondement des études d'impact. Ce comité n'est qu'une mission supplémentaire confiée au Conseil de la simplification : sa saisie ne sera pas obligatoire.

Trois éléments de simplification forts sont en cours de réflexion. La codification des seuils sociaux d'abord : le gel du seuil de 50 salariés pendant trois ans, avec toutes ses conséquences fiscales et sociales; la fusion à 11 salariés des seuils à 9, 10 ou 11 salariés ; la clarification globale des méthodes de calcul des seuils.

Dès janvier prochain, pour la BPI, un dispositif d'aide publique simplifiée sera mis en place pour les PME, qui sera généralisé à toutes les aides de l'État dans un second temps ; sur le modèle des marchés publics simplifiés, un numéro de Siret suffira pour en bénéficier.

Enfin, le ticket emploi service, encore peu connu et qui n'a pas été suffisamment utilisé, sera élargi aux entreprises de moins de 20 salariés. Il facilite considérablement la procédure de recrutement dans les PME : le temps nécessaire pour effectuer la déclaration passe de trois heures à cinq minutes !

Nous travaillons étroitement avec nos homologues européens sur les études d'impact européennes. La norme devra procéder davantage de la concertation avec les professionnels et moins des seuls cerveaux bruxellois.

Mme Massat, députée de l'Ariège, remettra dans les tout prochains jours son rapport de mission sur les contrôles ; les contrôles sur pièces devront être privilégiés aux contrôles sur place ; une charte nationale des contrôles sera élaborée.

Vous avez souligné l'importance du dispositif visant à éviter la surtransposition des directives, inspiré du mécanisme allemand de double corbeille. Son élargissement au droit français, que j'aurais souhaité, est hélas impossible. Il consiste en ceci : un texte transpose une directive minima, tandis qu'un second, assorti d'une étude d'impact, comporte le cas échéant, des mesures allant au-delà. Il s'agit en quelque sorte d'une double correction.

M. Cabanel souligne l'importance de l'apprentissage. Nous avons simplifié les contraintes imposées aux entreprises qui les emploient : le régime désormais applicable aux apprentis mineurs est la déclaration à l'inspection du travail et non plus l'autorisation préalable, l'inspection pouvant de toute façon diligenter les contrôles qu'elle estime utiles.

M. Watrin pose une question cruciale pour l'esprit même de la politique de simplification. Il ne faut pas la confondre avec la déréglementation ! La simplification est un combat mené au nom du droit, pour le rendre lisible et efficace, non pas contre le droit ou les droits, pour les réduire. Nous ne partageons pas le choix, politique, au demeurant concevable et respectable, de ceux qui veulent faire passer le code du travail de 3 500 pages à 50 pages !

J'attire l'attention de M. Collin sur le programme « Dites-le nous une fois », adopté en conseil des ministres récemment et qui sera mis en place le 1er janvier 2017 : il permettra aux entreprises françaises de ne fournir qu'une fois à l'administration chaque document exigé d'elles.

Monsieur Canevet, j'ai rencontré le bras droit de M. Cameron chargé de la simplification : il m'a confié qu'après dix ans de simplification, il lui restait encore cinq ans de travail... Notre travail s'inscrit résolument dans le long terme.

Monsieur Durain, nous avons déjà beaucoup simplifié le compte pénibilité. Les référentiels de branche, si les branches jouent le jeu, seront déterminants. Nous n'avons rien inventé, chacun des facteurs de pénibilité que nous avons réunis existent déjà en Europe. Restait à mettre ce droit social fondamental en application.

Monsieur Cadic, je m'en tiens pour ma part à l'étude du Wall Street Journal selon lequel nous sommes 7e mondiaux dans l'accueil des startup. Dans d'autres classements, nous sommes même 2e ! Certes, les prélèvements fiscaux sont plus lourds en France qu'au Royaume-Uni. Mais notre régime des plus-values de cession est l'un des plus attractifs d'Europe.

Monsieur Watrin, pourquoi surtransposons-nous ? Mais je vous retourne la question, c'est vous qui faites les lois ! Les parlementaires en partagent la responsabilité avec le Gouvernement.

De même, monsieur Cornu, pour l'inflation des articles du projet de loi Macron, dont le nombre a doublé à l'issue de son passage par les deux chambres du Parlement...

Monsieur Mandelli, la revue des normes résultant de surtranspositions de directives sera confiée au Conseil national de l'industrie, dans la logique collaborative que j'ai exposée.

Il nous reste un point faible : nous ne convaincrons nos partenaires que si nous nous dotons d'outils d'évaluation indépendants du Gouvernement ou des parlementaires. Nous travaillons déjà à un cahier des charges. Nous pourrons dépasser les résultats britanniques si nous y parvenons.

J'espère vous avoir convaincus de l'intérêt de cette politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE ; Mmes Colette Mélot et Élisabeth Lamure applaudissent aussi)

M. Jérôme Durain .  - Merci de nous avoir exposé votre méthode, monsieur le ministre. Vous êtes à l'écoute des chefs d'entreprises qui réclament du concret. Je ne partage pas le point de vue de M. Cadic : il faut légiférer non pas moins, pour légiférer mieux, mais plus justement. Derrière les normes, il y a des droits, du travail, de l'environnement, notamment.

Sortons d'une opposition simpliste entre administration et entreprises. Dessinons un paysage économique collaboratif où les chefs d'entreprises se tiennent aux côtés du Gouvernement. Il n'y a pas d'un côté ceux qui aiment l'administration, de l'autre ceux qui aiment les entreprises. En un mot : soyons pragmatiques.

Mme Élisabeth Lamure .  - Merci pour vos explications, monsieur le ministre. J'ai bien noté la mise en place du comité de simplification « un pour un » au 1er juillet. J'espère sincèrement que nous verrons les effets de votre politique dans nos territoires, car cela est parfois sous-estimé à Paris.

Les interprétations divergentes des normes, pour certaines Dreal par exemple, continuent de poser problème dans nos départements. L'administration est là pour faciliter la vie des administrés, non pour la compliquer.

Le rapport Lambert-Boulard insistait sur la nécessité pour chaque administration d'interpréter la norme dans un sens favorable aux entreprises, qu'elle ne doit pas freiner dans leur développement. Elle doit en effet faciliter, non empêcher. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)

La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 15.

Université des Antilles (Procédure accélérée - Nouvelle lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.

Discussion générale

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - La nouvelle lecture du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 17 juillet 2014 est l'aboutissement d'un long cheminement. La création d'une université est un acte solennel, particulièrement significatif dans une société fondée sur la connaissance.

L'enseignement supérieur est le facteur essentiel de notre compétitivité de demain, c'est là que se joue notre avenir, et au niveau individuel, la mobilité sociale et l'épanouissement de chacun. D'où l'objectif du Gouvernement d'élever progressivement la proportion d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur pour atteindre 50 % au niveau licence.

Dans les départements d'outre-mer, l'élévation du niveau de qualification est un facteur majeur de développement. L'histoire universitaire de la Martinique et de la Guadeloupe est déjà ancienne et s'enracine dans une tradition de valorisation du savoir. Les premières formations de niveau supérieur apparaissent aux Antilles à la fin du XIXsiècle. D'abord consacrées aux disciplines juridiques, ces formations s'enrichissent tout au long du XXe siècle, avec des enseignements nouveaux. Cette histoire universitaire se confond à partir des années soixante-dix avec celle de la Guyane, une université des Antilles et de la Guyane ayant été créée en 1982.

Au terme de certaines difficultés, une université de plein exercice a été créée en Guyane. Ce nouvel établissement fonctionne depuis le 1er janvier 2015. Cette évolution a rendu indispensable l'adaptation des structures de l'ancienne université des Antilles et de la Guyane, pour créer la nouvelle « université des Antilles ».

Ce texte va bien au-delà d'un changement de périmètre de l'établissement. Son cadre juridique sera aussi adapté que possible à l'environnement local. L'ordonnance du 17 juillet 2014 réaffirme l'unité de l'université des Antilles tout en confiant à ses pôles une large autonomie. C'est d'ailleurs la seule de nos universités implantées dans deux régions.

Cette ordonnance repose sur une très large concertation des acteurs concernés. Elle résulte aussi d'un accord politique, validé par les comités techniques des établissements et les collectivités territoriales concernées.

La déclaration des présidents des exécutifs régionaux et départementaux énonce les principes qui sous-tendent ce texte : la parité de représentation des pôles martiniquais et guadeloupéen au sein des instances dirigeantes de l'université ; l'élection du président de l'université pour un mandat non renouvelable de cinq ans afin d'aboutir à une alternance régulière de la présidence entre les représentants des deux pôles de l'université ; l'élection des vice-présidents de l'université par les « conseils de pôle » afin de garantir l'autonomie des deux pôles dans le cadre d'une organisation de type fédéral.

La première lecture au Sénat avait enrichi ce projet, notamment pour prendre acte du changement de dénomination de l'université, désormais « des Antilles ». Vous avez aussi modifié la composition du conseil d'administration pour tenir compte du retrait des membres guyanais.

Toutefois, vous avez modifié le texte sur l'élection des vice-présidents de pôles, afin qu'ils soient élus simultanément au président de l'université, sur un même « ticket ». Ces dispositions, qui traduisaient votre souci de préserver l'unité de l'université des Antilles, n'ont pas été confirmées par l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire a échoué. Les députés se sont rapprochés du texte ayant fait l'objet du plus large accord par tous les acteurs sur le terrain ; votre commission de la culture a néanmoins souhaité revenir au « ticket unique » : le Gouvernement y demeure opposé, d'où l'amendement que je défendrai tout à l'heure.

Ce texte assure une base solide à l'université des Antilles, un cadre stable et serein de nature à donner aux étudiants et à leurs parents de quoi croire en l'avenir.

Le président de la République, lors de son récent déplacement, a de plus annoncé la création de deux IUT à la Martinique et à la Guadeloupe. Je ne doute pas que le texte que vous adopterez dotera les Antilles d'une université qui soit à la hauteur des ambitions que nous avons tous collectivement pour ce territoire.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Que de temps perdu ! En janvier dernier, notre assemblée adoptait ce texte dans une belle unanimité, à l'exclusion du groupe CRC, qui s'était abstenu pour des raisons de principe. Majorité et opposition, nous avions travaillé dans un esprit de responsabilité partagée, dans l'intérêt supérieur de l'université des Antilles, de ses étudiants, de ses enseignants-chercheurs et des territoires de Guadeloupe et de Martinique !

Nous avons défendu un ticket unique de trois candidats à la présidence et à la vice-présidence de l'établissement, conformément à, la recommandation du rapport de nos collègues Michel Magras et Dominique Gillot de 2014. Je tiens également à saluer le travail de Serge Larcher à la délégation sénatoriale à l'outre-mer.

Si nous ne garantissons pas, par un dispositif institutionnel, la confiance et la cohérence entre la présidence et les deux vice-présidences, le nouvel établissement risque fort de faire les frais des forces territoriales centrifuges qui ont déjà eu raison du pôle guyanais de feu l'université des Antilles et de la Guyane...

Voulons-nous aboutir à la scission de l'université des Antilles en deux universités, de Guadeloupe d'un côté et de Martinique de l'autre, dont aucune n'aurait la masse critique suffisante pour peser dans le paysage universitaire français et, fortiori, international.

À terme, le départ des bacheliers ultramarins vers les universités métropolitaines, américaines ou canadiennes serait préjudiciable à notre système universitaire et à nos territoires.

La commission de la culture de l'Assemblée nationale proposait en première lecture de voter conforme quatre des cinq articles du texte voté par le Sénat, voyant dans le dispositif du ticket une solide garantie. C'était sans compter les manoeuvres de quelques députés soutenus par le Gouvernement, qui ont pris prétexte d'un « accord politique » conclu en juillet 2014. L'Assemblée nationale a donc déjugé sa commission, et le malheureux rapporteur initial du texte, qui avait loué le travail du Sénat, a démissionné, puis a été remplacé par un autre plus accommodant.

À l'heure où notre système universitaire se réorganise autour de projets partagés et de regroupements cohérents pour promouvoir le développement de nos territoires, comment comprendre que l'on prenne le risque d'une scission de l'université des Antilles en deux micro-établissements aux micro-moyens et aux micro-ambitions ?

Après l'échec de la CMP, en raison des pressions des députés, la commission de la culture de l'Assemblée nationale s'est réjouie en nouvelle lecture que la « formule dangereuse » du ticket n'ait pas été adoptée...

Nous revoilà donc au point mort. Que de temps perdu ! L'université des Antilles attend patiemment que le texte soit adopté...

L'incertitude est dommageable. Certains suggèrent de voter conforme le texte de l'Assemblée nationale pour gagner du temps. Mais pourquoi le Gouvernement a-t-il attendu deux mois entre la CMP et la deuxième lecture ? Ne nous déjugeons pas. Rétablissons notre texte, dans l'intérêt de l'université des Antilles, de la communauté étudiante et des professeurs.

Mme Corinne Bouchoux .  - Résoudre un problème peut parfois en soulever d'autres... Le centre universitaire des Antilles et de la Guyane a été créé en 1970 et transformé en université des Antilles et de la Guyane en 1982. Le protocole du 11 novembre 2013 a prévu le détachement du pôle guyanais. Ainsi l'université des Antilles a vu le jour en 2015. Alors que partout la tendance est au regroupement des universités en grandes entités, l'université antillaise s'est fractionnée en pôles. Les écologistes avaient proposé la création d'une université fédérale...

La situation est très complexe. Quelle est la meilleure gouvernance ? L'université de Guyane dispose d'un cadre juridique et se développe rapidement. Elle abritera aussi bientôt une ESPE. Elle a besoin, comme les autres sites, de stabilité. Il est urgent de résoudre la question de la gouvernance. L'avenir de 12 000 étudiants est en jeu.

Nous devons prendre nos responsabilités, énergiquement, efficacement. Nous nous réjouissons que lors du Conseil des ministres, il ait été annoncé que l'examen définitif à l'Assemblée nationale ait lieu le 16 juin. La situation n'est plus tenable. Nous soutiendrons toute solution rapide. Nous remercions Mme Gillot pour les éclaircissements qu'elle a apportés au débat.

M. Michel Magras .  - La mission commune à la commission de la culture et à la délégation à l'outre-mer a distingué trois thèmes clés dans son rapport.

Le premier, la territorialité et la valorisation du potentiel de chaque département qui a manqué à l'ancien pôle guyanais, dont la scission a renforcé les forces centrifuges entre les pôles martiniquais et guadeloupéen subsistants. Il est donc nécessaire de renforcer l'unité grâce à une stratégie délibérée de l'université des Antilles au sein du conseil d'administration, mais dont chacun des deux pôles aurait la responsabilité de l'application.

L'université doit aussi moderniser sa gestion et sa politique internationale.

La solidarité enfin : les deux pôles doivent coopérer entre eux, et travailler avec les établissements de métropole ou internationaux.

J'insiste sur l'autonomie des pôles régionaux. L'ordonnance prévoyait une élection des présidents de pôles par leur conseil, nous avons préféré un ticket commun président-vice-président, rempart contre les rivalités. Je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas retenu cette solution adoptée à l'unanimité par la commission de la culture du Sénat. Voilà un mauvais coup porté à l'unité.

Ainsi, les conseils consultatifs de pôles, fragilisés par l'absentéisme de leurs membres, n'ont pu s'imposer. La présidence n'a pas pu pleinement jouer le jeu de cette gouvernance déconcentrée, malmenée par les rivalités et échouant à donner une réelle autonomie aux vice-présidents.

L'université des Antilles est à la croisée des chemins et une gouvernance inadéquate risquerait de la paralyser.

Mme Françoise Laborde .  - L'histoire de l'université des Antilles et de la Guyane n'a jamais été un long fleuve tranquille.

Depuis sa création, l'établissement a été confronté à une tension entre unité et autonomisation des pôles. Dans cet équilibre précaire, la Guyane a toujours eu du mal à trouver sa place. Le développement d'une offre de formation supérieure en Guadeloupe et Martinique au détriment de la Guyane a abouti à un mouvement de grève, en octobre 2013.

Le décret du 30 juillet 2014 pris en concertation a isolé l'université de Guyane, l'ordonnance du 17 juillet 2014 organisant l'université des Antilles, autour de deux pôles guadeloupéen et martiniquais.

Je salue le travail mené par M. Magras et Mme Gillot. Il est essentiel de parvenir à une représentation équilibré des deux pôles. Toutefois, le texte du Gouvernement s'appuie sur les spécificités locales.

Seulement un quart des bacheliers antillais s'inscrivent à l'université des Antilles. Celle-ci est la seule université francophone dans cette région du monde. Saisissons cette opportunité pour la doter d'un cadre qui facilitera son développement et lui permettra de nouer des accords sur les autres universités.

Le seul point de désaccord est le mode d'élection du président et des vice-présidents. Nous regrettons que l'Assemblée nationale et le Sénat n'aient pas pu s'entendre. La loi ne suffira pas à apaiser les tensions locales. Le RDSE, attaché au développement de l'université des Antilles, regrette l'impossibilité d'un vote conforme, tous en souhaitant que soient trouvés les moyens juridiques pour lever les blocages. Il s'abstiendra donc sur le texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE).

M. Claude Kern .  - Je n'épiloguerai pas sur les soupçons de détournement de fonds, qui pèsent sur l'université des Antilles, les sanctions prises contre le directeur d'un centre d'études ou les révélations de Mediapart qui font état du rôle que MM. Lurel et Letchimy ont joué dans cette affaire. Les étudiants doivent être notre priorité.

Je souhaiterais un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

En première lecture, nous avions adopté à l'unanimité le ticket pour l'élection du président et des vice-présidents. Dans un premier temps, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée Nationale s'y était déclarée favorable. C'est au terme d'une séance publique agitée que des députés sont revenus sur cette mesure, à l'initiative de M. Lurel.

Le rapporteur, M. Christophe Premat a démissionné, remplacé par M. Yves Durand, jugé plus malléable... (Mme Maryvonne Blondin proteste)

Ce climat malsain a perduré en CMP. Je comprends votre déception, monsieur Grosperrin, face à ces manoeuvres politiciennes à la veille des élections régionales. Le Gouvernement a fait adopter un amendement qui a détricoté le travail commun et réfléchi de nos commissions.

Que répondez-vous, madame la ministre, aux étudiants qui scandent : «université dépassée, jeunesse bousillée » ? Nous refusons les magouilles politiciennes pour penser à l'intérêt des Antilles. Le rapport de Mme Gillot et M. Magras était excellent. Le mode de gouvernance proposée est voué à l'échec, comme l'illustre la scission du pôle guyanais.

Dans les faits, les pôles désignent déjà leurs responsables au détriment d'un projet fédérateur. Le texte de l'Assemblée nationale renforce encore la décentralisation et exclut tout droit de regard du président de l'université. Pourtant seule la confiance entre le président et les vice-présidents permettra d'avancer.

Le Sénat doit faire son travail jusqu'au bout et refuser les magouilles politiciennes. Le groupe UDI-UC restera fidèle au texte du Sénat qui, seul, jette les bases d'une université unie et sereine. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

Mme Dominique Gillot .  - L'ordonnance du 17 juillet 2014 aurait dû être ratifiée il y a plusieurs mois. Ce retard est dû à l'influence de certains élus locaux pour accroître l'autonomie des pôles. Alors même qu'il faut renforcer l'unité et l'attractivité de l'université des Antilles, celle-ci est minée par des conflits internes, dont le détachement de la Guyane est une illustration. Nous devons offrir aux étudiants antillais un avenir. Au lieu de cela, harcèlement de la présidence, cabales, absence de sécurité juridique...

Comment en finir ? Devons-nous défendre notre position initiale ? Renoncer à batailler, pour ne pas entretenir les polémiques locales et pour que l'université des Antilles puisse enfin se doter de statuts ? Je ne propose pas de voter le texte amendé par la commission, bien que je salue l'excellent travail accompli par notre rapporteur.

Je continue cependant à croire à la pertinence d'un accord en amont entre le président et ses vice-présidents pour garantir l'unité de l'université des Antilles. Mme Fioraso estimait que la position du Sénat allait à l'encontre du souhait des présidents des exécutifs de Martinique et de Guadeloupe. Mais les rivalités n'ont pas de raison d'être à l'heure où l'urgence est la réussite des étudiants.

L'Assemblée nationale aura le dernier mot, soit. Ne perdons plus de temps pour faire réussir l'université des Antilles. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et centristes)

M. Patrick Abate .  - L'outre-mer mérite une université de qualité. Trop de bacheliers ultra-marins quittent ces territoires et n'y reviennent pas, ce qui aggrave le déséquilibre démographique et entretient la morosité de l'économie. Une université est un facteur de dynamisme.

Les dysfonctionnements structurels au sein de l'université de la Guyane et des Antilles ont abouti à une scission entre le pôle guyanais et ceux de la Guadeloupe et de la Martinique. Il est urgent de remettre sur de bons rails l'université, en conciliant structure fédérale et autonomie des pôles. Le ticket semble une bonne solution. Les présidents de pôle doivent être élus par le conseil d'administration. Conjuguée à l'élaboration de listes, cette mesure renforcerait la cohésion de l'université. Sinon quel sera le rôle du président de l'université ?

Au-delà de la gouvernance, les dysfonctionnements sont dus à des problèmes budgétaires, aggravés par la loi LRU qui, en globalisant le budget des universités, a entraîné des transferts de moyens et de postes. Ainsi, l'IUT de Kourou a perdu 77 % de ses crédits entre 2008 et 2014. Le pôle guyanais s'estimant lésé a fait sécession, dénonçant des détournements et de mauvaises affectations des fonds. Les entités ne doivent pas être en concurrence mais travailler ensemble.

Le groupe CRC ne s'opposera pas à ce texte qui constitue une porte de sortie de crise mais, puisqu'il ne règle pas les problèmes de fond, nous resterons cohérents avec notre position de première lecture.

M. Serge Larcher .  - Depuis la scission du pôle guyanais en novembre 2013, que de temps passé... La délégation à l'outre-mer et la commission de la culture avaient constitué un groupe de travail pour mener une réflexion de fond. Il avait proposé le ticket, conciliant exigence d'unité de l'université et autonomie des pôles. Aujourd'hui l'heure n'est plus à l'idéologie mais à la mise en place de solutions rapides. Il est temps de faire confiance aux acteurs locaux, qui n'ont pas moins à coeur que les élus de l'Hexagone de travailler pour la réussite des étudiants ! L'incertitude n'a que trop duré. Il est temps d'offrir aux Antillais des enseignements de qualité.

Nous avons aussi proposé un système Erasmus régional. Nous pourrions aussi renforcer notre filière fondée sur la biodiversité locale.

Il est urgent de trouver des solutions au problème de gouvernance. Un dialogue constructif doit avoir lieu entre Guadeloupéens et Martiniquais, sénateurs et députés. Je vous invite à adopter ce texte afin de disposer d'un cadre opérationnel à la rentrée.

M. Félix Desplan .  - La commission mixte paritaire a échoué alors même que sénateurs et députés avaient le même objectif de préserver l'unité de l'université des Antilles après la scission.

Le point d'achoppement est le mode de désignation des vice-présidents : ticket avec le président ou élection par les pôles ? Le ticket offre une perspective de développement même sous l'égide du président. Mais n'est-ce pas une vue de l'esprit ? N'est-ce pas la tentation centralisatrice qui a conduit à la scission guyanaise ? Le vice-président du pôle guadeloupéen souligne que les Antilles sont une construction fictionnelle, contrairement à la Martinique et à la Guadeloupe qui sont des territoires bien réels. Il est dommage que les commissions parlementaires n'aient pas auditionné des responsables universitaires guadeloupéens dont la volonté d'autonomie est évidente. N'oublions pas que les trois quarts des bacheliers locaux partent étudier en métropole.

On ne peut reconstruire l'université des Antilles si l'on n'écoute pas les acteurs locaux. Ce n'est pas parce que les vice-présidents seront élus par les pôles qu'ils ne pourront travailler ensemble. Comme le dernier mot revient à l'Assemblée nationale et que les objectifs sont les mêmes, je voterai l'amendement du Gouvernement et m'abstiendrai sur le texte.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article premier

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 27 à 29

Supprimer ces alinéas.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Cet amendement supprime l'élection conjointe du président de l'université et des vice-présidents de pôle universitaire régional, afin de garantir l'autonomie des pôles et la libre expression des candidatures, tant à la présidence de l'université qu'à la vice-présidence de chaque pôle. Ce texte doit être adapté aux attentes des acteurs locaux.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur.  - Défavorable.

M. Maurice Antiste.  - Le ticket à trois me semble un bon compromis. Toutefois, j'entends les réserves de nos collègues guadeloupéens. L'essentiel est de travailler dans la concertation. Il est urgent de trouver une solution pour permettre à l'université des Antilles de rayonner et accroître son attractivité. Imposer le ticket serait un mauvais départ pour ce ménage à deux. Je m'abstiendrai.

M. Patrick Abate.  - On ne fait pas le bonheur des gens contre eux. Nous nous abstiendrons, malgré notre attachement au ticket.

Mme Corinne Bouchoux.  - Nous souhaitons beaucoup de bonheur et de réussite à l'université des Antilles. Nous nous abstiendrons, par souci de cohérence.

Mme Dominique Gillot.  - Chacun souhaite sortir de l'impasse. Je suis convaincue que la gouvernance avec trois élections isolées est vouée à l'échec. Toutefois, à l'exception de sénateurs ultramarins, nous nous abstiendrons.

À la demande de la commission, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente - Voici le résultat du scrutin n°202 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 194
Pour l'adoption     6
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

Vu que l'article premier est le seul à rester en discussion, le vote le concernant équivaudra à un vote sur l'ensemble.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur.  - J'invite bien sûr à voter pour l'article, tel que modifié par la commission.

À la demande de la commission, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°203 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 188
Pour l'adoption 188
Contre      0

Le Sénat a adopté.

Changement de dénomination d'un groupe

Mme la présidente.  - Par courrier en date de ce jour, M. le président Didier Guillaume a informé M. le président du Sénat du changement de dénomination du groupe qu'il préside, qui s'appelle désormais : « Groupe socialiste et républicain ». (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Il a en outre confirmé que son groupe se déclare comme groupe d'opposition au sens de l'article 51-1 de la Constitution.

Acte est donné de cette communication.

Prochaine séance demain, jeudi 11 juin 2015, à 11 heures.

La séance est levée à 19 h 40.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du jeudi 11 juin 2015

Séance publique

À 11 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, Président

Secrétaires : MM. Serge Larcher et Jean-Pierre Leleux

1. Débat sur le bilan annuel de l'application des lois (salle Clemenceau)

De 15 heures à 15 h 45

Présidence : M. Gérard Larcher, Président

Secrétaires : MM. Serge Larcher et Jean-Pierre Leleux

2. Questions cribles thématiques sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement.

Analyse des scrutins publics

Scrutin n° 202 sur l'amendement n°1, présenté par le Gouvernement, à l'article premier du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :344

Suffrages exprimés :194

Pour :6

Contre :188

Le Sénat n'a pas adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (144)

Contre : 143

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe socialiste (110)

Pour : 6 - MM. Jacques Cornano, Félix Desplan, Jacques Gillot, Antoine Karam, Serge Larcher, Georges Patient

Abstentions : 104

Groupe UDI-UC (43)

Contre : 42

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Jacqueline Gourault, Présidente de séance

Groupe CRC (19)

Abstentions : 19

Groupe du RDSE (13)

Abstentions : 13

Groupe écologiste (10)

Abstentions : 10

Sénateurs non-inscrits (9)

Contre : 3 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Alex Türk

Abstentions : 4

N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. David Rachline, Stéphane Ravier

Scrutin n° 203 sur l'article premier du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :344

Suffrages exprimés :188

Pour :188

Contre :0

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 143

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe socialiste (110)

Abstentions : 110

Groupe UDI-UC (43)

Pour : 42

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Jacqueline Gourault, Présidente de séance

Groupe CRC (19)

Abstentions : 19

Groupe du RDSE (13)

Abstentions : 13

Groupe écologiste (10)

Abstentions : 10

Sénateurs non-inscrits (9)

Pour : 3 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Alex Türk

Abstentions : 4

N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. David Rachline, Stéphane Ravier