Réforme du droit d'asile (Procédure accélérée - Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la réforme du droit d'asile.

Discussion générale

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification .  - Je renouvelle les excuses du ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve.

Face à la crise migratoire en Europe, la France agit. Quelque 150 000 personnes sont entrées clandestinement en Europe depuis le début de l'année. Parmi eux, des Érythréens, des Syriens et des Irakiens relevant du droit d'asile ; d'autres sont des migrants économiques. Cet afflux nous impose de renforcer la politique européenne : distinction des migrations dès l'arrivée dans le premier pays de l'espace Schengen, coopération avec les pays d'origine. C'est la position que la France a défendue au Conseil européen des 25 et 26 juin, c'est celle que le ministre de l'intérieur soutiendra lors du conseil informel du 9 juillet à Luxembourg.

Pour être à la hauteur d'elle-même, la France doit disposer de procédures efficaces et conformes aux standards européens.

Sur un droit aussi complexe et fondamental que le droit de l'asile, on ne saurait se passer du temps de la discussion. C'est aussi cela la démocratie, le dialogue. Le Premier ministre a voulu discuter avec des parlementaires comme Valérie Létard.

Le constat est partagé : une embolie du système et un afflux de demandes dans certaines régions. Pour ramener le délai d'examen à trois mois, 55 équivalents temps plein ont été créés pour l'Ofpra cette année et de nouveaux recrutements auront lieu avant la fin 2015. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) bénéficiera également de renforts de magistrats afin de traiter en cinq semaines les demandes en procédure accélérée et en cinq mois les demandes en procédure normale. Pour raccourcir les délais d'inscription, un guichet unique sera mis en place dans les préfectures.

Ce projet de loi réalise des avancées essentielles. Premièrement, l'Ofpra aura le dernier mot pour déterminer si un demandeur doit être placé en procédure accélérée ou non.

Deuxièmement, un accueil digne des demandeurs. D'ici à 2017, l'hébergement en Cada doit devenir la norme, l'hébergement d'urgence l'exception. D'où 4 000 places de plus en deux ans en Cada et 8 200 d'ici l'année prochaine - c'est 50 % de plus qu'en 2012.

Troisièmement, nous devons aussi en finir avec la dispersion des aides : elles seront fondues en une allocation unique tenant compte de la situation familiale des demandeurs.

Quatrièmement, l'hébergement directif pour éviter que les demandeurs ne se concentrent en Île-de-France ou en région lyonnaise, chère à M. Buffet. Parce que c'est la République qui accueille, et non telle ou telle région, le bénéfice du logement et des aides sera conditionné au lieu d'installation.

Enfin, nous renforçons les droits des demandeurs : appui par un tiers devant l'Ofpra ; accompagnement des plus faibles, enfants et femmes victimes de viols de guerre.

Un désaccord tactique persiste entre les deux assemblées. Je note néanmoins que le Sénat n'a pas rétabli son texte sur de nombreux points. En revanche, vous êtes revenus sur l'amendement du Gouvernement relatif aux délais de demande de l'aide juridictionnelle. Rassurez-vous : celle-ci ne sera pas limitée.

Vous avez rétabli le délai symbolique de trois mois devant l'Ofpra. Mais certains dossiers requièrent plus d'attention. Restons-en à un délai moyen de trois mois. Certaines mesures transposent une directive européenne.

Nous souhaitons que le projet de loi entre en vigueur avant la fin de l'année. Un autre amendement du Gouvernement concerne l'affectation de magistrats administratifs professionnels à la CNDA. S'il n'était pas adopté, les onze juges professionnels devraient être remplacés avant le 31 décembre 2015, compliquant l'entrée en vigueur de la réforme.

Je salue la contribution du rapporteur, M. Buffet, du rapporteur pour avis M. Karoutchi, de Mme Létard, M. Sueur, Mme Tasca, ainsi que de Mmes Assassi et Benbassa. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois .  - La CMP a échoué le 10 juin, en raison de désaccords sur les moyens d'assurer l'effectivité de l'éloignement des demandeurs d'asile déboutés.

Avec la rapporteur de l'Assemblée nationale, nous avons essayé de rapprocher nos points de vue. Mme Mazetier a ainsi appelé ses collègues à adopter plusieurs dispositions adoptées par le Sénat. La commission des lois du Sénat s'est inspirée de cet état d'esprit constructif. Toutefois, elle reste attachée à éviter le détournement du système.

Cinq articles ont été adoptés de manière conforme avant la CMP, six articles ensuite ont été adoptés conformes : Les articles premier bis, 6 bis, 9 B, 14 ter, 16 ter et 19 bis. À l'article 14 ter, l'amendement du Gouvernement qui inscrit au Ceseda la faculté de demander à un demandeur d'asile de quitter le territoire s'il n'a pas de motifs de séjour a été adopté au Sénat et à l'Assemblée nationale. C'est une avancée et je me réjouis que le Gouvernement ait écouté la majorité sénatoriale.

La commission des lois a adopté ou supprimé conforme douze articles. Restent quatorze articles en discussion.

Un désaccord d'importance porte sur les conséquences de la qualification de certains points sur les compétences de l'Ofpra. Nous plaidons pour une compétence liée : l'Ofpra devrait rejeter une demande si elle constate que certains éléments requis ne sont pas réunis. Nous souhaitons aussi limiter la présence des parlementaires dans les organes extraparlementaires. Un autre désaccord majeur porte sur les procédures, notamment le délai de trois mois. Il nous reste à examiner trente-deux amendements. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - Ce texte est meilleur qu'en première lecture. L'Assemblée nationale n'a pas remis en cause certaines mesures votées par le Sénat : la possibilité de solliciter une participation financière des bénéficiaires de l'hébergement d'urgence, la création d'un délai, la possibilité de supprimer l'aide d'hébergement, etc.

Meilleur, il n'est pas pour autant bon. Nous proposons ainsi un amendement sur l'entrée des demandeurs d'asile sur le marché du travail. Les effectifs de l'Ofpra et de la CNDA ont certes augmenté mais bien moins vite que le nombre de demandeurs - qui ont progressé de 30 à 40 % sur cinq ans. Croire que l'engorgement aura été résolu en neuf mois relève du voeu pieux.

Sous la pression des événements en Méditerranée, la France est appelée à accepter les demandes d'hébergement de nouveaux réfugiés, 6 à 8 000 de plus par an. Le mécanisme s'emballe.

Le ministre de l'intérieur a raison de réaffirmer que les critères sont objectifs. Mais faudra-t-il réquisitionner les casernes et les gymnases comme en Allemagne où l'on accueille 300 à 400 000 demandeurs d'asile ? Ne faudrait-il pas plutôt traiter en amont les demandes d'asile, dans les pays de départ ?

Les chiffres sont connus : avec 15 000 acceptations et 50 000 déboutés, dont nous ne raccompagnons à la frontière que 10 000 d'entre eux, nous fabriquons 40 000 sans-papiers par an. Le Gouvernement souhaite, à juste titre, raccourcir le délai d'instruction mais celui-ci faute d'effectifs suffisants ne pourra qu'augmenter.

Mettez-vous les moyens nécessaires pour garantir la reconduite aux frontières ? Il aurait fallu lier droit d'asile et immigration. C'est une occasion manquée. Dommage. Ce texte contient toutefois des avancées. Je redéfendrai mon amendement sur l'accès au marché du travail. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Valérie Létard .  - Deux ans après l'installation du comité de concertation, nous finalisons l'examen du projet de loi sur le droit d'asile.

Je regrette l'échec de la CMP : les députés auront le dernier mot... Nous visons tous une meilleure efficacité de notre dispositif. Le contexte a pesé lourd sur nos échanges : flux migratoire en Méditerranée, attentats terroristes incitant parfois à des discours simplistes... Dans les faits, le migrant qui souhaite obstinément passer au Royaume-Uni depuis Calais refusera l'aide que nous lui offrirons. Je salue la hausse des moyens de l'Ofpra et de l'Ofii.

Si ce projet de loi traite l'urgence, certains points relèvent du niveau européen : répartition des réfugiés, lutte contre les passeurs, politique méditerranéenne, Frontex, co-développement... Je salue néanmoins le travail constructif du rapporteur et de la commission des lois.

L'article L. 743-3-1 a été supprimé. J'approuve la possibilité de missions déconcentrées de l'Ofpra et d'audiences foraines de la CNDA à l'article 10, corollaires bienvenus du schéma d'orientation directif des demandeurs d'asile. En dépit de moyens certes encore insuffisants, comme l'a dit M. Karoutchi, cette meilleure organisation territoriale contribuera à réduire les délais, pour peu que l'on fasse preuve de volontarisme.

Je me félicite du rétablissement de l'article 14 bis sur l'accompagnement des personnes déboutées du droit d'asile. Comment en effet se préoccuper de l'asile en ignorant le sort de ceux qui seront déboutés au sortir de la procédure ? Nous ne pouvons pas nous contenter de les ramener au sort d'étrangers en situation irrégulière. Leur démarche les a signalés aux autorités administratives ; ce ne sont plus des clandestins anonymes. J'espère que l'Assemblée nationale nous écoutera.

En première lecture, sur ma proposition, le Sénat avait retenu la nécessité d'associer étroitement les communes et intercommunalités compétentes en matière d'habitat à l'élaboration du schéma régional. Cela me paraissait la meilleure manière de créer les conditions d'une acceptation positive de l'accueil des demandeurs par la population d'un territoire. Un avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement ne me paraît pas la procédure plus pertinente, ce comité ayant de multiples objets et cette question risquant de se retrouver traitée un peu à la marge. Je proposerai de rétablir le texte du Sénat pour favoriser une co-construction sous l'égide des préfets.

Je salue le travail réalisé par chacun, et en particulier l'esprit d'ouverture de M. Cazeneuve. Nous avons oeuvré, au Sénat, à construire une réforme équilibrée, mais nous n'aurons atteint notre but que lorsque tous les demandeurs d'asile seront accueillis dans de bonnes conditions, et ils en ont grand besoin. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Yves Leconte .  - Ce texte renforce les droits des demandeurs, accélère les procédures et met en place un système d'hébergement directif. La CMP a échoué.

En première lecture, le groupe socialiste avait déploré l'inflexion du texte au Sénat. L'Assemblée nationale a tenu compte de certaines propositions du Sénat. Dans le même esprit, notre commission des lois n'a pas rétabli toutes les dispositions adoptées en première lecture.

Certaines des propositions du Sénat sont consensuelles, comme la composition du conseil d'administration de l'Ofpra. La position du rapporteur, sur la CNDA notamment, va même dans le sens de la position du Gouvernement. Toutefois, certaines dispositions vont trop loin : l'abandon de l'hébergement ne doit pas valoir clôture de la demande ; le délai de trois mois imposé à l'Ofpra n'est pas pertinent et l'on risque ainsi d'augmenter les délais globaux, en favorisant les recours devant la CNDA ; enfin la commission des lois n'a pas accepté que le dépôt d'une demande d'asile vaille autorisation de séjour. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

Face à la situation en Méditerranée, je salue l'augmentation du nombre des places en Cada, ainsi que la répartition des migrants sur le territoire au moyen du dispositif national d'accueil. Depuis 2012, le Gouvernement a accru les moyens de l'Ofpra et de la CNDA. Il s'agit de raccourcir les délais d'examen pour limiter l'incertitude des personnes concernées et éviter que des personnes ne s'installent sans titre.

La théorie de l'appel d'air ne se vérifie pas. En restreignant l'accès aux droits d'asile, on a, au contraire, contribué à l'embolie du système.

En Allemagne, le nombre de demandeurs d'asile a triplé en trois ans ; en Italie, il a été multiplié par 2,5. La hausse des moyens ne suffit pas. Il fallait refondre notre système. Dans un contexte où les migrations Sud-Sud sont devenues plus complexes, les migrants se tournent vers l'Europe. Celle-ci doit être solidaire, fidèle à ses valeurs. Des familles entières traversent la Méditerranée au péril de leur vie : il ne s'agit pas d'une migration économique.

La France doit être fidèle à son histoire et à ses valeurs. Son attachement au droit d'asile remonte, vous le savez, à la Révolution. Ce projet de loi permettra à la France d'être fidèle à ses valeurs, mais il faudra faire plus, il faudra aller plus loin. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et du RDSE)

Mme Esther Benbassa .  - Peu de mots - mais des mots forts - suffiraient pour exprimer la déception des acteurs du secteur des demandeurs d'asile. Les événements de ces dernières semaines : l'expulsion des migrants de la Chapelle, puis de la halle Pajol, l'épisode du Bois Dormoy, montrent à quel point ce texte est en deçà de la réalité vécue, par les personnes dont nous sommes censés parler. Je les ai accompagnées à plusieurs reprises, après avoir constaté que le Sénat avait été plutôt occupé à détricoter ce projet de loi qui, malgré tout, incluait quelques avancées. Regardons les choses en face au lieu de faire de la politique politicienne comme ceux qui ont fait du problème migratoire un programme politique. Nous savons tous que des migrants économiques se faufilent parmi les demandeurs d'asile mais n'entretenons pas la confusion.

À Paris on refuse l'accès aux hôpitaux à des femmes enceintes. Beaucoup sont à la rue ; certains ne sont qu'en transit vers d'autres pays. Facilitons-leur au moins la tâche et, à Calais, cessons de faire la police pour la Grande-Bretagne.

Il y a urgence, savez-vous ? En cette période de canicule, l'urgence, pour ces personnes en extrême détresse, c'est un toit, de l'eau pour se laver, de quoi manger. Ne pourrions-nous prendre exemple sur ces jeunes, militants, associatifs, simples riverains, qui apportent ce qu'ils peuvent, aident comme ils peuvent, sans compter leur temps. Ceux-là honorent la France. Grâce à eux, nous pouvons nous dire que tout n'est pas perdu. Je vous appelle à voter un texte digne, à la hauteur de la réputation de la France.

Ce projet de loi vise à transposer le droit européen, non à rendre notre droit encore plus restrictif qu'il ne l'est en la matière. La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, Christine Lazerges, a exprimé son choc devant la situation humanitaire qui prévaut à Calais : un seul point d'eau pour 3 000 personnes, pas d'accès aux toilettes, abris de fortune.

Le groupe écologiste aurait aimé la définition d'un droit d'asile européen. Les conditions malheureusement ne sont pas remplies. Nous ne voterons pas le texte tel qu'il a été rédigé par la commission des lois du Sénat.