Entraide judiciaire avec le Maroc (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du royaume du Maroc.

Discussion générale

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Votre assemblée examine aujourd'hui une convention signée le 6 février 2015 par le Maroc et la France. Durant un an, l'entraide judiciaire entre nos deux pays a été rompue pour des raisons que vous connaissez. Grâce à nos efforts et à ceux du président de la République et du roi Mohammed VI, nous avons repris et conclu ce protocole additionnel qui redonne vigueur à notre partenariat d'exception avec ce pays. Je veux saluer la contribution de la diplomatie parlementaire et du rapporteur, M. Christian Cambon, président du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat. (Applaudissements)

Les visites à haut niveau se sont succédé jusqu'à atteindre leur point d'orgue avec la réunion à Paris de 22 ministres.

Ce texte crée un nouveau mécanisme d'information immédiate et de recueil d'informations, pour une meilleure administration de la justice et la conduite diligente des procédures, indispensables en ces temps de menaces sécuritaires. Je ne méconnais pas les critiques adressées à cet accord. Il est pourtant conforme aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire, garantis par notre Constitution. L'accord n'institue ainsi aucun mécanisme de dessaisissement du juge français au profit du juge marocain, ou l'inverse. Le juge initialement saisi recueillera les informations pertinentes, par le biais des autorités centrales, auprès du juge de l'autre pays, et déterminera librement des suites à donner à la procédure. Contrairement à ce qui a été dit, la procédure ne sera pas interrompue. Ce texte est tout aussi conforme à nos engagements européens et internationaux. Il contribuera à une meilleure administration de la justice, à sa diligence. Le mécanisme d'échanges d'informations facilitera la recherche de preuves.

Enfin, le texte s'appliquera également aux binationaux. M. Fabius l'a dit clairement : si une procédure est engagée en France par un ressortissant marocain, franco-marocain ou d'une nationalité autre que française ou marocaine, contre un ressortissant marocain ou franco-marocain pour des faits commis au Maroc, l'autorité judiciaire française recueillera dès que possible auprès de l'autorité judiciaire marocaine ses observations ou informations ; le juge marocain pourra prendre les mesures qu'il jugera appropriées, et le juge français décider, soit de clore le dossier, soit de le renvoyer au juge marocain, soit de poursuivre la procédure en France. La réciproque est vraie.

Le Maroc est un long ami de la France ; un allié dans la lutte contre le terrorisme. Le Sénat, par un vote décisif aujourd'hui, tournera la page d'une brouille regrettable, surmontable et surmontée. Il donnera corps à notre amitié indéfectible ! (Applaudissements)

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Merci, monsieur le ministre, de vos propos aimables.

Ce texte veut mettre fin à l'interruption des échanges avec le Maroc entre le 26 février 2014 et le 31 janvier 2015 à la suite d'une série d'incidents malheureux sur lesquels il est inutile de revenir. Dissipons ces nuages en l'acceptant.

La première convention de coopération judiciaire remonte au 5 octobre 1957, elle a été modernisée le 18 avril 2008. Elle était, avant sa suspension, particulièrement fructueuse : depuis 1998, la France avait adressé au Maroc 952 demandes d'entraide, contre 77 adressées par le Maroc à la France. Le délai moyen d'exécution des demandes françaises était d'environ six mois. Signalons également la création d'un binôme de magistrats de liaison en 2002.

La suspension unilatérale de cette coopération a eu des effets malheureux : la Chancellerie n'a plus reçu de demandes du Maroc, le total de ses demandes françaises en attente est monté à 150. Avec pour conséquence, une moindre lutte contre la criminalité et le terrorisme sur notre territoire comme au Maroc. Nos forces françaises au Sahel ne pouvaient plus bénéficier des informations recueillies par les services de renseignement marocains, alors même que la menace terroriste grandissait et que le phénomène des combattants étrangers touchait chaque jour davantage aussi bien la France que le Maroc.

Fort heureusement, ces difficultés sont dépassées et nos échanges revêtiront une nouvelle dimension avec le dialogue 5 + 5 ou les négociations sur le climat, dans la perspective de la COP21, sachant que le Maroc est chargé de l'organisation de la COP22. Toutefois, la diplomatie parlementaire n'a jamais cessé d'être active pendant la suspension de la coopération judiciaire.

Si la rédaction du protocole laisse à désirer sur plusieurs points : son objectif est clair : faciliter les échanges d'information en amont et au cours des procédures d'entraide. L'Acat, Amnesty International, Human Rights Watch, la FIDH, la LDH et la CNCDH estiment que, par ses zones d'ombre, elle favorisera les atteintes aux principes fondamentaux. Je les ai entendues mais je ne partage pas leurs craintes. Dissipons-les.

D'abord, le titre du nouvel article 23 bis « Applications des conventions internationales » indique que l'ensemble des conventions signées par la France et le Maroc sont visées par le protocole additionnel. Ensuite, il est prévu une obligation d'information immédiate entre les parties dans le cas où les faits ont été commis sur le territoire de l'autre partie par un de ses ressortissants. Ainsi, la partie marocaine devra-t-elle être informée de l'engagement en France d'une procédure relative à des faits punissables commis au Maroc par un ressortissant marocain.

La CNCDH ainsi que le collectif d'associations que j'ai entendues ont regretté que cette obligation d'information ne soit pas davantage encadrée, craignant un risque de disparition des preuves ou de pression sur les témoins dans certaines affaires sensibles. Toutefois, si ce risque ne peut jamais être totalement écarté, j'insiste sur le fait que l'information dont il est question ici ne concerne que l'existence des procédures, et non leur contenu.

En cas de procédure engagée par un juge français contre un marocain pour des faits commis au Maroc, l'autorité judiciaire française devra recueillir les informations pertinentes de la marocaine ; celle-ci pourra prendre toutes les mesures appropriées, et le juge français décidera des suites à donner à la procédure.

Selon certaines associations, la compétence universelle du juge français serait mise en cause. Ce n'est nullement le cas, puisque n'est instauré aucun mécanisme de dessaisissement obligatoire. Le juge décidera seul des suites à donner à l'affaire. En l'absence de réponse ou en cas d'inertie de l'autre partie, il est précisé que le juge poursuit la procédure.

La procédure de dénonciation aux fins de poursuite, classique, permet au juge français de renvoyer l'affaire devant une juridiction étrangère, mais la Chancellerie s'assure tous les six mois que les poursuites sont effectives, et il est prévu que le juge à l'origine de la dénonciation en soit informé.

La sécurité de la France repose sur une collaboration sans faille avec le Maroc contre le djihadisme. Nous devons aussi encourager la modernisation du Maroc, alors que les printemps arabes ont généralement sombré. Certes, tout n'est pas parfait mais, comme nous le faisons pour la Grèce, nous devons être au côté du Maroc non pour le condamner mais pour l'accompagner vers plus de justice, de démocratie et de sécurité. (Applaudissements)

Mme Nathalie Goulet .  - On se rend compte de la valeur des choses lorsqu'on ne les a plus... Cette convention vient réparer une brouille diplomatique avec le Maroc qui a beaucoup nui à la sécurité de la Méditerranée. Alors que la Libye, la Syrie, le Sahel sont enfoncés dans le chaos, que faire sans les services marocains ? Les attentats de Paris nous ont rappelé combien nous avions besoin de leur coopération. La France et le Maroc entretiennent des relations étroites depuis des décennies.

La France semble être la principale bénéficiaire du régime d'entraide réciproque. Face au flux de stupéfiants et autres trafics, il est indispensable de renforcer notre collaboration.

Monsieur le rapporteur porte au Maroc une affection constructive. Quand plus rien ne fonctionne, il est bon que la diplomatie parlementaire serve de lien. Parfois, nous hésitons entre nos valeurs et nos intérêts. Cet accord les concilie, les inquiétudes des associations n'ont pas lieu d'être.

Monsieur le ministre, cette convention est aussi exemplaire... par sa ratification rapide ! Encouragez donc vos services à fouiller dans leurs tiroirs au cours de l'été... Une convention d'entraide contre le terrorisme avec la Turquie est en panne au Parlement depuis 2012, alors que l'enjeu pour notre sécurité est au moins aussi important.

Le groupe UDI-UC votera unanimement cette excellente convention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

Mme Bariza Khiari .  - La première version de cette convention d'entraide judiciaire date de 1957. Le nouvel article 23 bis vient mettre un terme à une année de fortes crispations entre la France et le Maroc. Rabat, partenaire stratégique, a apporté un soutien sans faille à notre intervention au Mali. Parfaitement légitime, l'indignation marocaine face aux faits que je ne rappellerai pas, a cependant été mesurée. Les conséquences ont cependant été d'autant plus importantes que la communauté française au Maroc est importante : aucune extradition en un an ! Et les procédures civiles ont été suspendues. Je ne m'appesantirai pas sur la nécessité de la coopération face aux menaces sécuritaires.

L'amitié franco-marocaine a retrouvé toute sa force, comme en témoignent les évènements organisés au Louvre et à l'Institut du monde arabe. Il faut souligner le rôle de la diplomatie parlementaire et je salue le rôle joué par Mme Guigou et M. Chatel, ainsi que par notre rapporteur, qui est aussi président du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat.

Sans repentance, nous regrettons notre maladresse qui a conduit à cette brouille. Quant aux associations de défense des Droits de l'homme, nul ne peut contester leur engagement, mais qu'elles tiennent compte des avancées observées au Maroc depuis quelques années : comités de réconciliation mettant fin aux années de plomb, nouveau code de la famille porteur d'un meilleur statut des femmes, révision constitutionnelle de 1991 qui a fait faire un bond en avant démocratique au pays et inscrit le principe de parité dans la loi fondamentale.

Des affaires de moeurs ont ému l'opinion marocaine. Tenons compte de sa vigilance. Cet accord s'inscrit dans le cadre des conventions internationales. Il ne contient aucun mécanisme de subsidiarité, et respecte la compétence universelle du juge français, nullement dessaisi. Le droit au recours effectif est assuré. Votons cette convention, d'aide et de respect mutuel, entre la France et le Maroc. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur certains bancs à droite)

Mme Christine Prunaud .  - Ce protocole additionnel vise à réconcilier la France et le Maroc après des mois de brouille diplomatique, après qu'une juge d'instruction française eut souhaité entendre le chef des services de renseignement marocains, de passage en France et visé par des plaintes pour torture. Geste maladroit, sans doute, mais qui prouve l'indépendance de la justice. Cette affaire est exemplaire de la confrontation entre nos valeurs et la réalité concrète des relations internationales. La suspension de l'entraide judiciaire entre nos deux pays a été très préjudiciable. Comment sortir de ce blocage ?

Amnesty international, la Cour européenne des Droits de l'homme, la CNCDH critiquent l'obligation d'information réciproque entre autorités judiciaires, contraire au principe du secret de l'instruction et la procédure de dessaisissement du juge français qui favorisera l'impunité ou sacrifiera à la raison d'État les victimes de violations des droits humains, sociaux et politiques. Nous ne pourrons voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier .  - Vous avez tous rappelé les liens d'amitié qui unissent la France au Maroc. Depuis les années 1990, le dialogue politique entre nos deux pays est constant, comme en témoignait le choix de la France par le roi Mohammed VI pour effectuer sa première visite d'État à l'étranger. La récente brouille ne pouvait donc durer longtemps.

Ce protocole renforcera notre coopération face au terrorisme, qui sévit aussi au Maghreb : quelque 1 500 personnes auraient quitté la France pour se rendre en Syrie et en Irak ; elles sont environ 2 000 à être parties du Maroc dans la même direction. Ce texte favorise l'échange d'informations et l'entraide judiciaire, notamment pour des faits commis sur le territoire de l'autre pays.

Certaines associations s'inquiètent de l'obligation d'information et de la remise en cause de la compétence universelle du juge. Mais le dispositif d'information et d'échange s'inscrit dans le cadre de nos conventions internationales, et le protocole n'institue aucun mécanisme de dessaisissement. En outre, ce texte doit être appréhendé au regard de la nouvelle Constitution marocaine de 2011, qui dispose que le royaume s'engage en faveur des droits de l'homme.

Poursuivons avec le Maroc une coopération fondée sur la confiance. Le RDSE votera très majoritairement cette convention, en espérant que le soleil continuera à briller sur nos relations comme sur la terre marocaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. André Trillard .  - La France et le Maroc, liés par une amitié privilégiée, entretiennent une coopération étroite en matière économique, diplomatique et sécuritaire. La brouille récente était fort dommageable, dans un contexte marqué par de forts déséquilibres régionaux. Le Maroc, comme la France, fait la dramatique expérience du terrorisme et du djihadisme. La création au Maroc d'un institut de formation des imams rappelle que la religion ne saurait se soustraire aux lois des États.

En 2013 a été créé le G4, qui renforce la coopération technique et opérationnelle entre les services de renseignement de France, du Maroc, d'Espagne et du Portugal.

Le premier objectif de ce protocole est de rendre plus efficace et plus rapide le traitement des affaires pénales impliquant des ressortissants de l'autre pays. Le texte ne crée aucun mécanisme de dessaisissement automatique et ne remet pas en cause la compétence universelle. Le mécanisme de renvoi n'est pas un transfert de compétence puisque l'autorité judiciaire du pays d'origine ne renonce pas à son droit de poursuite. Pensez-vous que nos magistrats renonceront à leur compétence ?

La diplomatie comme l'amitié reposent sur la confiance. Soyons solidaires des progrès accomplis par le Maroc depuis 1994. Encourageons des évolutions par notre vigilance, plus que par des exigences péremptoires.

Le groupe Les Républicains votera ce texte, en saluant le travail accompli par le rapporteur et le président du Sénat. Si les parlementaires ne sont pas des ambassadeurs, leur finesse d'approche peut être précieuse ! (Applaudissements)

M. René Danesi .  - L'amitié entre la France et le Maroc repose aussi sur notre coopération éducative et culturelle. L'Institut français au Maroc compte douze sites, et 31 000 élèves marocains fréquentent les écoles françaises ; 35 000 étudiants marocains étudient en France. L'Institut de formation des imams Mohammed VI, réserve cinquante places à des imams français ; ce faisant, le Maroc, lui aussi, favorise un islam tolérant. (Mme Bariza Khiari approuve)

On ne peut donc que regretter la brouille issue de l'initiative d'un juge qui, en voulant entendre le chef des services secrets marocains, alors qu'il était à Paris pour participer à une réunion sur la lutte contre le terrorisme, a prouvé son indépendance autant qu'il a manqué de discernement.

L'entente judiciaire entre nos deux pays profite surtout à la France, dont les demandes sont dix fois plus nombreuses.

Des esprits sourcilleux ont émis des critiques sur ces protocoles, sans doute par condescendance à l'égard du Maroc, qui a pourtant ratifié la convention internationale contre la torture. Ce protocole, pleinement conforme à nos engagements internationaux, exprime notre respect pour un pays ami, qu'il faut enfin traiter sur un pied d'égalité. (Applaudissements)

M. Jeanny Lorgeoux .  - La relation franco-marocaine est une relation d'État à État, bien sûr, mais surtout une relation humaine, fondée sur la fraternité. Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et dont le feuillage s'épanouit sur les deux rives de la Méditerranée...

Fin janvier a été signé ce protocole, qui met fin à une brouille, surgie d'un malentendu qui a conduit à laisser en suspens deux cent trente dossiers. Plus discutées encore sont les conséquences en matière sécuritaire, alors que le terrorisme bat son plein.

Le Maroc, lui aussi, a fait l'expérience tragique du terrorisme : dix-sept victimes lors d'un attentat sur la place Jamaâ El Fna à Marrakech, quarante et une victimes en 2003, à Casablanca ! Le Maroc, comme la France, voit des jeunes partir s'engager dans des cohortes fanatiques en Syrie et en Irak, détruisant le message de paix du Coran.

Cette situation rend crucial l'échange de renseignements entre nos services.

Ce protocole, selon certains, porterait atteinte aux victimes de crimes commis au Maroc. Ce n'est nullement le cas, puisqu'aucun dessaisissement obligatoire n'est prévu. Il donnerait primauté au juge marocain sur le juge français ?

Nullement, puisqu'il prévoit avant tout un échange d'information. Il serait contraire à l'engagement pris par la France de poursuivre les auteurs de violation des droits de l'homme ? Pas davantage.

Notre coopération judiciaire, qui date de 1957, a fait ses preuves, n'en déplaise aux adeptes du byzantinisme textuel.

Le texte met un point final à une mésentente comme il s'en produit dans toutes les familles. La page est tournée, allons de l'avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Éric Doligé .  - Ce protocole nous est imposé pour mettre fin à la brouille issue de la convocation du chef du contre-espionnage marocain par un juge français. Était-ce une maladresse ?

Je ne le crois pas. Quand des Français sont arrêtés à tort au Maroc, nul ne s'en émeut. On prétend également ce texte indispensable à la lutte anti-terroriste. Pour ma part, je voterai contre, sans hésitation. Le CDH, Amnesty international, des ONG spécialisées dans la défense des droits de l'homme et la lutte contre la torture, le syndicat de la magistrature, le CNCDH ne peuvent se tromper tous...

J'ai rencontré des Français brisés par de longs mois passés dans des geôles marocaines. J'ai connaissance de plus de cent cas, et je pourrais vous en dire plus, de manière confidentielle. Pendant deux jours, le prisonnier est d'abord mis en cellule individuelle, dépourvue de fenêtre, pieds et mains enchainés, un bandeau sur les yeux et la bouche bâillonnée, face à un mur. Il subit quatre fois par jour, la torture : violences, pénétration avec un bâton et divers objets, suspension au plafond...

Les jours suivants, on cherche à lui extorquer des aveux forcés, ou des avantages financiers, car tout s'achète grâce à la technique de la « baignoire » et à l'électrocution des parties choisies. Ces supplices ont lieu à la prison Témara, siège de la DGST marocaine.

Les responsables ? C'est d'abord le directeur de la sécurité intérieure marocaine, à l'origine de cette brouille. Le protocole va permettre à ses services de continuer à pratiquer des actes odieux. Vous tentez de nous faire croire qu'il facilitera l'application des conventions internationales - qui prohibent la torture, que je sache !

Le ministre de l'intérieur a annoncé que M. Hamouchi serait élevé à la dignité d'officier de la Légion d'honneur. J'espère que cela interpelle ceux d'entre nous qui portent cette haute distinction.

Niez-vous les tortures que j'ai décrites, monsieur le ministre, et trouvez-vous normal qu'une personne poursuivie en France pour tortures devienne officier de la Légion d'honneur ?

Mme Leila Aïchi .  - Reprendre et approfondir notre entraide judiciaire avec le Maroc, le groupe écologiste le souhaite aussi. En revanche, nous sommes en majorité, au groupe écologiste, en désaccord avec ce protocole qui met à mal la compétence universelle du juge français et sur lequel la CNCDH, ainsi que le comité des droits de l'homme de l'ONU, ont émis un avis très critique. Ce texte amènera le juge à prendre en compte des considérations diplomatiques. Ses formulations vagues laissent la porte ouverte aux dérives. Ainsi, le périmètre des informations à transmettre n'est pas défini. Quid du secret de l'instruction ? On peut craindre des pressions politiques...

En cas de procédure ouverte en France pour des faits commis au Maroc par un Marocain, le juge français pourrait s'estimer lié, car le renvoi ou la clôture sont le principe, quand la possibilité de poursuivre la procédure n'est que de la poudre aux yeux.

Le code de procédure pénale, en outre, ne prévoit aucune procédure de renvoi à un juge étranger, car nos juges sont indépendants de l'État et fortiori d'un État étranger. Il s'agit donc bien d'un mécanisme sui generis. S'il s'agissait d'un mécanisme classique de dénonciation aux fins de poursuite, pourquoi ne pas avoir employé ce terme ?

Ce texte met à mal la compétence personnelle active et passive du juge français ainsi que le principe d'égalité, car il instaure une différence de traitement entre les citoyens marocains ou français, et les binationaux.

Malgré les progrès accomplis, l'indépendance de la justice marocaine reste mal assurée et il est à craindre que les procédures visant les personnages officiels ne soient pas menées diligemment.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Le Maroc est un pôle de stabilité dans un monde arabe déchiré. Ce pays a mené des réformes courageuses. Nous devons le soutenir.

Les sujets qui nous occupent méritent une réflexion précise, à la hauteur des enjeux. Je veux donc répondre à plusieurs points que vous avez soulevés.

L'autorité judiciaire, tout d'abord, constitutionnellement indépendante et garante des libertés individuelles, reste maîtresse des informations qu'elle transmet. L'accord s'appliquera aux binationaux. De même, le juge restera maître de la procédure. Cet accord est conforme au principe d'indépendance de la justice. Il ne prévoit aucun dessaisissement. Cet accord est aussi conforme au principe d'égalité ; il s'inscrit dans le droit fil du principe de territorialité des poursuites.

Un mot sur le Maroc : ce pays est engagé dans un processus de réformes, dont la révision constitutionnelle de 2011 qui précise les pouvoir du Parlement et du souverain. Le pays connaît des alternances démocratiques.

Le Maroc a aussi signé le protocole des Nations Unies contre les tortures. C'est un partenaire crucial pour la France, il fait face aux mêmes défis, comme le terrorisme.

La Méditerranée n'est pas qu'une frontière. Elle doit aussi être un espace de solidarité et de coopération. Cet accord y contribuera.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Je m'abstiendrai. Je suis favorable au développement de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc. Mais j'ai été le premier signataire d'une proposition de loi sur la compétence territoriale du juge français sur les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale (CPI).

Cette proposition de loi, votée à l'unanimité par le Sénat le 26 février 2013, pose le principe d'une compétence pleine et entière du juge français, pour poursuivre et juger les auteurs de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, conformément à la convention de Rome et au traité du 18 juillet 1998. Le présent protocole est contraire à ce principe. Je regrette en outre que cette proposition de loi n'ait pas été ensuite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Quand le sera-t-elle ?

M. Jean-Yves Leconte .  - Il est nécessaire de tourner la page d'une année 2014 catastrophique pour nos relations bilatérales avec le Maroc. Cet accord est un signe de confiance réciproque. Il est à craindre toutefois que d'autres pays ne réclament un tel accord, ce qui aboutirait à réduire les pouvoirs de notre justice.

Je ne voterai pas ce texte très imprécis et dont les interprétations divergent. Ainsi à l'alinéa 3, la nationalité des défendeurs n'est pas précisée. De même, un Français ne peut être traité différemment d'un binational.

Je m'abstiendrai tout en me félicitant de la reprise de la collaboration avec le Maroc.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

À la demande de la commission des affaires étrangères, l'article unique du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°227 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 309
Contre    29

Le Sénat a adopté le projet de loi.