Dématérialisation du Journal officiel (Conclusions des CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions des commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer des textes sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi et de la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française.

Discussion générale commune

M. Alain Anziani, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP est arrivée à un accord sur l'opportunité de dématérialiser le Journal officiel. Il sera ainsi disponible gratuitement sur tout le territoire, jour et nuit, 24 heures sur 24, avec 400 000 euros d'économies, mais là n'est pas l'essentiel.

L'Assemblée nationale a accepté le droit à solliciter un extrait papier pour les territoires où le haut débit fait défaut en s'attachant à prévenir d'éventuels abus.

Conformément aux articles 74 et 77 de la Constitution, les assemblées délibérantes des collectivités d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie ont été consultées. À Saint-Barthélemy, c'est le conseil exécutif qui a donné son avis. À Wallis-et-Futuna, c'est la commission permanente de l'assemblée territoriale. Mais ce n'est pas un obstacle si vous en êtes informés. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification .  - Merci au Sénat, à la commission des lois et à son président.

Le Sénat a tenu à aménager un dispositif pour que ceux de nos concitoyens qui n'utilisent pas internet puissent accéder au Journal officiel. J'y ai été sensible car je partage son objectif. Avec l'Assemblée nationale, vous êtes arrivés à un texte qui donne satisfaction à tous. Il fallait arriver au terme du processus de dématérialisation du Journal officiel lancé en 2004 pour une mise en oeuvre début 2016. Grâce à vous, ce sera possible. (Applaudissements)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Le groupe RDSE est d'autant plus enclin à voter cette proposition de loi que le texte de la commission mixte paritaire retient son amendement, repris par la commission des lois et par le Sénat : lorsqu'un citoyen le demandera, l'administration enverra un exemplaire papier du Journal officiel. L'existence de territoires très oubliés de la République numérique le justifie. Que cette disposition de bon sens ait reçu un accueil tiède du Gouvernement m'étonne. La seule objection fondée était d'éviter les maniaques désoeuvrés. Les autres laissaient rêveurs.

Un mot sur la procédure d'examen en commission. Le transfert du pouvoir législatif de la séance plénière à une commission transforme le Parlement en un théâtre qui valide les décisions prises dans les coulisses. Idem pour la réduction des temps de parole en séance publique dont on vient de voir le résultat avec les explications de vote sur le budget. Que cette modification du règlement fût approuvée par les groupes, soit, mais que je sache, le droit de parole appartient au sénateur, non aux partis.

Même cet essai réussi n'est pas rassurant. La dématérialisation du Journal officiel est-elle une question technique ou une question politique essentielle ? L'accès égal à la loi de tous les citoyens, n'est-ce pas important ? L'évidence d'une inégalité des Français devant le numérique est loin d'être partagée. Ne confondons pas vitesse et précipitation : le détail est essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et au centre ; MM. Jean-Pierre Sueur, André Gattolin et Marc Laménie applaudissent également)

Mme Jacky Deromedi .  - Les nostalgiques verseront quelques larmes : il est plus reposant de lire du papier imprimé qu'un écran. tempora, o mores, diront les latinistes. Mais ceux qui liront les débats dans quelques années s'étonneront sans doute qu'il ait fallu une commission mixte paritaire.

La réforme profitera à tous. « Nul n'est censé ignorer la loi » ; la maxime est belle, mais difficile à appliquer, face à des milliers de textes, et lorsque la loi est bavarde. Comme la commission des lois s'y attèle, il faut faire des lois courtes et claires.

Cette loi s'appliquera aux outremers, dont les Terres australes et antarctiques françaises, chères à mon coeur de vice-présidente du groupe d'études Arctique, antarctique et terres australes.

La création du code des relations entre le public et les administrations par l'ordonnance du 23 octobre 2015 est à saluer. La possibilité pour les citoyens de demander une copie papier à l'administration est une bonne chose : une partie de la population est réfractaire ou incapable d'accès à internet. La CMP s'est heureusement référée au régime de 1978, repris dans le nouveau code. C'est dans l'enthousiasme que notre groupe appuiera ce progrès. (Applaudissements sur les bancs à droite et au centre)

M. Christian Favier .  - Épisode mineur que cette réforme, dans la vie de l'impression légale et administrative. La montée en puissance d'internet justifie que l'on se passe d'impression. Pourtant, celle-ci a fait l'objet de lourds investissements, pour les tirages noir et blanc et couleur, qui justifient qu'ils soient utilisés à plein, ce qui est loin d'être le cas.

Mon collègue Thierry Foucaud a, longtemps, eu l'honneur d'être le rapporteur de la commission des finances pour le budget annexe des Journaux officiels, avant que cette tâche ne soit confiée ensuite à mon collègue et ami Bernard Vera, ancien Sénateur de l'Essonne.

La Direction de l'information légale et administrative (Dila), malgré la fusion entre l'ancienne Direction de la documentation française et la Direction des Journaux officiels dont elle est issue, n'est pas assez développée : les réductions de personnel n'ont pas cessé, les effectifs de la Société anonyme de composition et d'impression du Journal officiel (Sacijo) ayant fondu de moitié. La réduction de quelques centaines de milliers d'euros du coût n'empêche pas le débat sur l'existence d'un pôle d'impression public.

La qualité de la formation et l'expérience des salariés de la Sacijo, héritière de la Société Wittersheim qui, jusqu'en 1880, effectuait le travail d'impression pour le compte de l'État, justifie que l'on examine avec plus de sérieux les projets de centralisation de différents travaux d'impression des administrations publiques, comme ceux du Sénat, d'ailleurs, qui fait pourtant appel à une société privée. Il est grand temps que la recherche d'économies passe par les économies d'échelle dans ce domaine.

Nous nous abstiendrons ; le devenir stratégique de la Dila nous y pousse.

M. André Gattolin .  - La CMP a adopté unanimement ces propositions de loi de Vincent Eblé. Je l'en remercie car la France aura progressé ainsi dans le classement de l'e-gouvernement réalisé par le département des affaires économiques et sociales de l'ONU.

Nous étions sixième en 2012, nous sommes désormais quatrième, derrière la Corée du Sud, l'Australie et Singapour - donc premier pays membre de l'Union européenne. Cela contredit tant de pessimistes sur « l'impossible réforme » en France !

En revanche, nous manquons souvent de pédagogie. Grâce à un excellent amendement du groupe RDSE, la possibilité a été reconnue à tout administré de demander la communication sur papier d'un extrait du Journal officiel le concernant, après un vif débat.

On s'est inquiété que ce droit soit détourné par de « dangereux écologistes » prêts à faire pleuvoir les demandes d'impression pour retarder des procédures... C'est bien mal nous connaître ! Bien souvent, ce qui passe pour un recours abusif est le résultat d'une concertation défaillante en amont sur les projets. Dans ce domaine, le classement de notre pays a de fortes chances d'être moins flatteur que celui que je viens d'évoquer, par rapport à certains de nos voisins européens en particulier.

La pusillanimité des membres de la CMP a limité ce recours en le soumettant au régime de la loi du 17 juillet 1978 sur les demandes abusives.

Si notre classement est bon, en matière d'e-administration, il l'est moins en effet pour la clarté de l'information délivrée. Qui trouve réponse à sa question avec les moteurs de recherche existants ? Il n'existe pas à ma connaissance d'étude sérieuse évaluant le ranking des sites institutionnels dans l'ordonnancement des références proposées par le moteur de recherche en position ultra-dominante dans notre pays.

Attention, donc, à ne pas tout dématérialiser ! Je pense, en particulier, à la propagande électorale, à la carte d'électeur et au vote électronique. Les machines à voter, d'après une étude de l'Observatoire du vote réalisée après les élections municipales de 2014, sont beaucoup moins fiables, et ce, sur une longue période, lors du dépouillement, que les urnes habituelles.

Le groupe écologiste votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RDSE)

M. Alain Anziani .  - Merci à M. Eblé de ces textes qui mettent fin à une longue histoire née à la Révolution française avec le Bulletin des lois puis le Journal officiel. Nous ne verrons plus ces piles de papier gris, dont l'arrivée était jadis guettée avec impatience par certains, encombrer nos bureaux ou, plus rarement, nos salons.

Depuis une ordonnance de 2004, nous avions déjà avancé avec la dématérialisation systématique des annexes - celle du budget par exemple.

Pour avoir beaucoup travaillé sur le vote électronique, je suis M. Gattolin : trop de bugs ! Ce n'est pas une voie pour la France. La protection des données personnelles sera assurée, nous avons pris toutes les garanties.

À M. Collombat, la nouvelle procédure d'examen en commission sera rare, puisqu'elle suppose l'accord de tous. Elle est néanmoins bonne : la preuve, la discussion a eu lieu, notre amendement a été repris et la réforme sera applicable dès le 1er janvier prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Le Sénat statuant après l'Assemblée nationale, aucun amendement sauf émanant du Gouvernement n'est recevable.

Intervention sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Sueur .  - Je veux saluer la gravité de cet instant ; nous allons prendre une décision historique.

Fils de journaliste, je pourrais déplorer la fin du temps du papier, des typographes, ces grands lettrés, qui ont beaucoup apporté à la France et l'avènement du temps du plastique, que prédisait Léo Ferré, et qui est arrivé avec les ordinateurs.

Non, je ne céderais pas à la nostalgie ! Victor Hugo dans un chapitre de Notre-Dame de Paris, proclame que « ceci tuera cela ; le livre tuera l'édifice », en regrettant la disparition du discours de pierre des cathédrales. L'histoire ne lui a pas donné raison en toutes les matières : la télévision n'a pas tué la radio ; le cinéma, le théâtre. La force, la beauté et la vigueur de l'écrit continueront de vivre avec éclat. Ceci ne tuera pas cela ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs autres bancs)

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Le scrutin public est de droit sur la proposition de loi organique.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°103 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 324
Contre 0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)