Modernisation de notre système de santé (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de notre système de santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes .  - Pour la dernière fois, nous allons débattre de ce projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui poursuivra son cheminement à l'Assemblée nationale.

Il y a deux mois, le Sénat adoptait ce texte. Si vous l'aviez indéniablement enrichi, il avait perdu en cohérence ; et plusieurs mesures clés avaient disparu. Les députés se sont appliqués à lui rendre son ambition d'origine : une santé plus accessible avec la baisse des restes à charge pour les patients et la réduction des inégalités territoriales. Le Pacte territoire-santé s'est traduit par la création de 800 maisons de santé, l'installation de 500 nouveaux médecins dans les zones sous-dotées. Je viens de lancer le Pacte II avec le numerus clausus relevé dans dix régions, 40 millions d'euros pour la télémédecine en ville et le renforcement des aides à l'installation des jeunes médecins.

Sans revenir sur le détail de ce texte, insistons sur ces grands axes. D'abord, une politique de prévention innovante et cohérente pour tous les Français : médecin traitant dès l'enfance, parcours éducatifs santé, étiquetage des aliments, généralisation du paquet neutre, dépistage des MST, ouverture des salles de consommation de drogue à moindre risque. (M. Gilbert Barbier en doute)

Ensuite, une politique de proximité autour du médecin traitant généraliste quand notre système de santé a été trop longtemps hospitalo-centré. Concrètement, nous engageons le virage ambulatoire.

Enfin, nous créons de nouveaux droits avec l'action de groupe en santé, le droit à l'oubli pour les anciens malades du cancer, l'exploitation des données anonymisées de la sécurité sociale par les chercheurs, le renforcement de la transparence des relations entre professionnels de santé et industrie...

En première lecture, les apports du Sénat ont été réels. Il a confirmé des mesures fortes, comme la contraception d'urgence pour les élèves du second degré, les dispositions relatives à la santé environnementale et au travail ou celles en faveur de l'accès à l'IVG. Là où les débats avaient été vifs à l'Assemblée nationale, vous n'avez pas cédé aux sirènes conservatrices toujours fortes quand on touche aux droits des femmes, notamment celui à disposer de leur corps. Le Sénat a en outre enrichi le texte de dispositions que l'Assemblée nationale a confirmées, telles le droit à l'oubli ou l'association des maires à l'expérimentation des salles de consommation à moindre risque.

Cependant, votre refus du tiers payant généralisé et du paquet neutre ont affaibli la cohérence du texte. L'Assemblée nationale les a rétablis. À mon sens, l'immobilisme et la résignation condamneraient notre protection sociale et éroderait la force de la promesse républicaine.

L'accord est, je le crains, hors de portée. Je veux pourtant saluer la contribution du Sénat à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Élisabeth Doineau, co-rapporteur de la commission des affaires sociales .  - En nouvelle lecture, 120 articles demeurent en navette. Le texte est extrêmement divers tout en renvoyant à des ordonnances sur des sujets importants. La commission des affaires sociales déplore que les députés aient élargi le champ d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, en particulier sur les missions de la HAS.

Nous pouvons difficilement accepter que l'Assemblée nationale ait rétabli son texte sur des points majeurs, que le Gouvernement ait déposé des amendements de dernière minute au Palais Bourbon et imposé la procédure accélérée.

Le Sénat s'était efforcé de préserver la qualité de la loi en supprimant les dispositions d'ordre réglementaire, sans portée normative ou trop détaillées et en écartant celles que le droit en vigueur satisfaisait, sur la santé à l'école. L'Assemblée nationale pour l'essentiel les a rétablies... (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Catherine Deroche, co-rapporteur de la commission des affaires sociales .  - L'Assemblée nationale a accepté de mieux associer les maires à la création de salles de consommation de drogue à moindre risque mais supprimé les conditions que nous avions posées - intégration à une structure hospitalière et supervision par une équipe pluridisciplinaire. Je regrette qu'un accord ne puisse intervenir sur ce sujet sensible.

Sur le tabac, le Sénat s'était montré moins restrictif sur le vapotage dans les lieux publics. L'Assemblée nationale l'a cependant suivi sur la majorité des articles ; mais le désaccord n'est sans doute pas si profond sur le paquet neutre puisqu'il a été rétabli à l'Assemblée nationale, après une suspension de 25 minutes, à une courte majorité de deux voix... Mieux aurait valu attendre une harmonisation européenne plutôt que de privilégier une solution à l'efficacité et à la sûreté juridique douteuses. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Alain Milon, co-rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Je centrerai mon propos sur l'organisation sanitaire. En matière de soins ambulatoire, l'Assemblée nationale a privilégié des structures nouvelles tandis que nous avons affirmé la nécessité d'un minimum de stabilité - les communautés professionnelles territoriales de santé remplacent inutilement les pôles de santé.

Nous avions complété le service public hospitalier, auquel nous sommes favorables, par le maintien de la possibilité donnée aux cliniques d'exercer des missions de service public à tarifs opposables ; l'Assemblée nationale a rétabli leur exclusion, ce qui est à nos yeux sans justification.

Pourquoi avoir supprimé la participation des élus dans les comités stratégiques des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) ? Cela rendra encore moins acceptable les restructurations proposées.

De même, au lieu d'un numéro unique, gratuit et national, alternatif au 15, l'Assemblée nationale a fait le choix de la complexité en matière de permanence des soins ambulatoires.

Elle a supprimé la précision que nous avions introduite sur l'articulation, dans la permanence des soins, entre la médecine libérale et les établissements de santé ; les ARS pourront donc continuer de supprimer la PDSA entre minuit et huit heures... L'Assemblée nationale est également revenue à son texte sur le dossier médical partagé, faisant fi de l'accord du patient. C'est profondément contraire au droit des malades.

Enfin, sans surprise, les députés ont rétabli le tiers payant généralisé avec une modification qui n'est pas anodine : le rapport sur la faisabilité du dispositif est repoussé d'un mois, signe que la réforme n'est pas aussi simple qu'on nous le dit...

Au total, même si l'Assemblée nationale a conservé certains de nos apports, le désaccord subsiste sur des points majeurs. C'est pourquoi la commission des affaires sociales a rejeté le texte et déposé une question préalable. (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Génisson.  - Ce n'est pas bien !

Mme Aline Archimbaud .  - Certaines des propositions des écologistes ont été reprises, entre autres l'introduction du concept d'exposome. En revanche, rien sur le bisphénol A ou les perturbateurs endocriniens alors que les maladies à cause environnementale prospèrent.

Des mesures très attendues ont disparu de ce texte, et particulièrement l'automaticité du bénéfice de la CMU-c pour les personnes allocataires du RSA socle. Je pense aussi à la remontée systématique des rapports sur l'amiante - on sait que celui-ci fera 100 000 morts d'ici 2050. Les ministères doivent s'engager résolument dans la prévention et l'information des travailleurs. Je regrette ainsi le coup de canif à la loi Évin sur la publicité pour l'alcool.

Mon groupe déplore le refus du tiers payant généralisé. Selon la Dres, entre 21 et 36 % des Français renoncent aux soins pour des raisons financières. Contrairement à ce qu'on entend, ce système ne met nullement en cause la médecine libérale. Idem sur le paquet neutre : les chiffres du tabagisme en France sont accablants, les jeunes sont très sensibles au marketing.

M. Gilbert Barbier .  - Le Gouvernement nous présente une loi qui étatise notre système de santé. Madame la ministre, vous mettez avec satisfaction en oeuvre les mesures que vous défendiez lorsque vous étiez députée... Ce texte est empreint d'idéologie, voire de sectarisme. J'observe cependant que vous avez renoncé sur l'ordre infirmier. Le rendez-vous que devait être cette loi est manqué ; manqué avec les médecins, manqué avec les acteurs privés, manqué avec une partie du monde associatif. Mais tel n'était pas votre objectif : vous passez en force, parfois même contre votre majorité.

Nous nous sommes voulus pragmatiques. Comment ne pas être consterné par l'attitude méprisante, suffisante des députés, y compris sur des sujets qui devraient être consensuels ? Le tiers payant sera votre trophée, symbole de votre victoire sur le monde libéral... Tout cela est idéologique, et procède d'une volonté d'étatiser, de contrôler. Vous allez briser le dialogue singulier et préparez une médecine à deux vitesses.

On voit votre volonté à l'oeuvre à l'article 18, aussi à l'article 26 - alors qu'une appendicectomie coûte deux à trois fois plus cher à l'assurance maladie dans un CHU que dans une clinique privée... L'idéologie prime sur le bon sens, au point que les députés ont même supprimé des dispositions introduites par la minorité sénatoriale.

Les articles 37 et 46 ter concernant la recherche sur l'embryon et les dons d'organe sont inconstitutionnels ; ils auraient dû être intégrés dans une loi de bioéthique révisée.

À quoi bon poursuivre le débat ? Votons la question préalable. Je crains que les grands perdants de votre entêtement ne soient les patients les moins avertis !

Mme Laurence Cohen .  - La commission des affaires sociales a voté la question préalable, j'y vois la confirmation que nos institutions démocratiques sont à bout de souffle. Il est temps de passer à une VIe République qui respecte le Parlement et rende la parole au peuple.

Est-il opportun de poursuivre les GHT après les attentats du 13 novembre ? Faut-il entériner la fin de sectorisation en psychiatrie et la toute-puissance des agences régionales de santé ? Nous avons eu le bleu de la police, le blanc de la santé et le rouge des pompiers.

Depuis la loi de 2010, les réformes ne cessent de démanteler notre système de santé. Les fusions et les restructurations d'établissements détruisent encore plus le lien entre la médecine et les territoires.

Les mesures de bon sens que contient ce texte ne suffiront pas pour lutter contre les refus de soins.

Le tiers payant généralisé appelle de nouveaux financements. Nous défendons, nous, une protection sociale à 100 %. Comment prétendre que 400 millions d'euros d'économie supplémentaires n'auront pas de conséquence sur le personnel, qui subit déjà les efforts de l'austérité ?

Il faudrait supprimer les franchises médicales, les forfaits, les dépassements d'honoraires. Hélas, ce n'est pas à l'ordre du jour ! La prévention est ainsi le parent pauvre de ce texte.

Contre l'avis du Gouvernement, des parlementaires sont revenus sur la loi Évin, cédant aux sirènes des lobbys.

Nous attendions une loi-cadre. Notre frustration est grande devant ce rendez-vous manqué. Le groupe CRC ne pourra pas voter ce texte en l'état.

Mme Catherine Génisson .  - Cette discussion est virtuelle puisque notre commission des affaires sociales a adopté une question préalable. Il est regrettable que nous ne puissions confronter nos idées, de manière républicaine. L'opposition systématique de la majorité sénatoriale au tiers payant généralisé a empêché tout accord.

La France peut s'enorgueillir d'un des meilleurs systèmes de santé au monde. Pourtant, il ne corrige pas les inégalités sociales ou territoriales. L'espérance de vie d'un ouvrier reste inférieure de sept ans à celle d'un cadre.

La prévention est le pilier de ce texte. Je salue ainsi les mesures en faveur de la contraception d'urgence, l'IVG, contre les refus de soins.

Nous avons eu des débats passionnés sur la lutte contre le tabac. Le groupe socialiste le dit avec force : seule une harmonisation européenne donnera une pleine efficacité au paquet neutre. Le Gouvernement doit également se soucier du sort des buralistes. La prévention partagée, introduite par un amendement sénatorial, doit être soutenue.

Le deuxième pilier de ce texte place le médecin traitant au socle de notre système de soins. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi le président Milon a dénigré les communautés territoriales de santé.

La majorité des Français sont favorables au tiers payant généralisé. L'argent ne doit pas être un obstacle à l'accès aux soins. Toutefois, cette mesure ne saurait remplacer une modernisation de notre régime de sécurité sociale.

Le service public hospitalier est le gage de l'accessibilité et de la permanence des soins. Malheureusement, la majorité du Sénat a voulu revenir à des définitions de service public hospitalier de la loi de 2010.

La démocratie sanitaire est renforcée : actions de groupes, open data, droit à l'oubli pour les anciens malades du cancer. Nous avons eu un débat riche sur l'article 46 ter et son implication éthique. La majorité sénatoriale a préféré couper court à la discussion en nouvelle lecture.

Notre pays est au troisième rang mondial pour les brevets de robotique médicale. Nous pouvons être fiers de notre système de santé, de nos médecins, qui ont fait preuve une fois encore de leur efficacité lors des attentats de novembre.

Le groupe socialiste votera contre la question préalable.

Mme Corinne Imbert .  - Le groupe Les Républicains soutient sans faille la position des rapporteurs.

Mme Nicole Bricq.  - Dommage :

Mme Corinne Imbert.  - On ne peut que déplorer l'esprit de fermeture du Gouvernement. La seule mesure sénatoriale phare qui a échappé au couperet de la majorité gouvernementale est la promotion des régions viticoles portée par notre collègue César !

On ne modernise pas notre système de santé en adoptant à la va-vite des dispositions éthiques fortes ; je pense à la suppression des délais de réflexions pour une IVG ou encore au don d'organe. Moderniser, ce n'est pas créer des inégalités de traitement entre établissements. Les établissements privés qui remplissent des missions d'intérêt général ne pourront plus pratiquer de dépassements d'honoraires. Ce n'est pas énoncer dans la loi des dispositions qui existent déjà ! Le pacte territoire-santé II est déjà à l'oeuvre. Je regrette que nos propositions sur les territoires sous-dotés n'aient pas été retenues.

Le paquet neutre a été adopté à deux voix près à l'Assemblée nationale : cette surtransposition d'une directive encouragera la contrebande, au détriment des buralistes. L'Australie, souvent cité en exemple, est le seul pays à avoir adopté ce paquet neutre mais en fixant le prix du paquet à 14 euros. C'est plutôt d'une harmonisation fiscale que nous avons besoin et d'une politique globale de prévention dont les crédits baissent. Quelle contradiction entre les actes et les discours !

Le tiers payant généralisé prive la médecine de sa liberté. Les médecins appliquent déjà le tiers payant pour leurs patients les plus défavorisés. Le risque aussi est celui d'une surconsommation médicale, car le service apparaîtra comme gratuit.

Le groupe Les Républicains avait proposé de construire notre système de santé avec les médecins, et non contre eux. Ces propositions allaient dans le sens de l'intérêt des patients. Nous n'avons pas été entendus. Dès lors nous voterons la question préalable.

M. Gérard Roche .  - La CMP ne pouvait réussir sans volonté de parvenir à un consensus. Le Sénat, que certains qualifient de rétrograde, avait pourtant accepté les salles de shoot ! Comme pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale, la commission des affaires sociales a voté une question préalable.

Nous étions contre la généralisation du tiers payant, qui banalise l'exercice médical, et risque de désinciter les jeunes médecins à s'installer dans certains territoires. Nous aurions aimé discuter du recentrage des soins primaires autour des généralistes ou du paquet neutre. Pourquoi aller plus loin que la directive européenne ?

Une loi-cadre était attendue. La santé n'est ni de droite ni de gauche. L'échec de la CMP est une grande déception, porteuse d'amertume. Puisque certains ont fait la sourde oreille, nous choisissons aujourd'hui de rester muets. Nous voterons la question préalable.

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1 présentée par Mmes Deroche et Doineau et M. Milon au nom de la commission des affaires sociales

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat,

Considérant que la généralisation du tiers payant n'est pas nécessaire socialement dès lors qu'il est déjà pratiqué pour les populations les plus précaires et considérant qu'il remet en cause l'exercice libéral de la médecine ;

Considérant que la volonté d'imposer le paquet neutre, sans avoir préalablement expérimenté des avertissements sanitaires harmonisés au niveau européen, va au-delà des exigences européennes et expose la France à des risques de contentieux sur la propriété intellectuelle sans bénéfice évident pour la santé publique ;

Considérant que les conditions d'expérimentation des salles de consommation à moindre risque doivent faire une place prédominante au soin ;

Considérant que l'organisation des soins primaires doit s'appuyer sur l'existant, en particulier les pôles de santé, et ne pas placer les initiatives des professionnels sous la tutelle des agences régionales de santé ;

Considérant que l'obligation de négocier sur les installations en zones sous-denses et sur-denses lors du renouvellement de la convention médicale est un moyen nécessaire pour répondre à l'existence des déserts médicaux ;

Considérant que la permanence des soins doit être organisée sur l'ensemble du territoire de manière simple et accessible ;

Considérant que les missions de service public dans les établissements de santé sont un moyen de reconnaître l'implication des cliniques au service de tous les malades ;

Considérant que la suppression de la participation des élus au comité stratégique des groupements hospitaliers de territoire (GHT) rompt le lien nécessaire avec les territoires ;

Considérant que le consentement présumé au don d'organes n'est pas une solution pour remédier au manque de greffons dans notre pays ;

Considérant que le champ des habilitations données au Gouvernement pour légiférer par ordonnance est de nature à dessaisir le Parlement de questions essentielles pour la bonne organisation des soins ;

Considérant que le texte comporte un grand nombre de dispositions de faible valeur normative ou sans valeur ajoutée par rapport au droit actuel et qu'il est donc de nature à dégrader la qualité de la loi ;

Considérant enfin qu'après avoir engagé la procédure accélérée, le Gouvernement, en demandant à l'Assemblée nationale de statuer définitivement sur ce texte avant la fin de la présente semaine, prive celle-ci de toute possibilité pratique de prendre en compte les propositions que le Sénat pourrait formuler en nouvelle lecture ;

Le  Sénat s'oppose à l'ensemble du texte du projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 209, 2015-2016).

M. Alain Milon, co-rapporteur .  - Les désaccords avec l'Assemblée nationale concernent le paquet neutre, l'encadrement des salles de consommation de drogue à moindre risque, l'obligation de négocier dans les zones sous dense, le tiers payant généralisé, la participation des élus dans les CHT que certains refusent avec la même volonté qu'ils veulent supprimer le Sénat, le champ des habilitations à légiférer par ordonnances et j'en passe.

En première lecture, nous avons pris le temps de la discussion : vingt réunions de commission, deux semaines de débat en séance publique. Quand bien même nous ferions de nouvelles propositions, l'Assemblée n'aurait pas le temps matériel de les étudier, le Gouvernement n'ayant prévu que 48 heures entre l'adoption définitive de ce texte à l'Assemblée nationale et notre vote. Une seule réponse : le rejet. Et ne nous reprochez pas le scrutin public : toutes les majorités sénatoriales l'utilisent en de pareilles circonstances. Les citoyens, en particulier les médecins, sauront ainsi qui a voté quoi.

M. Yves Daudigny .  - Voter la question préalable donnera l'impression que nous repoussons l'ensemble du texte. Pourtant en première lecture, le Sénat a adopté conforme 60 articles, dont la facilitation de l'IVG ou le droit à l'oubli pour les anciens malades du cancer. Le bicamérisme est plus que jamais nécessaire quand certains députés jugent catastrophique notre système de santé auquel il vient d'être rendu hommage après les attentats.

Le désaccord en CMP est l'illustration d'une divergence de position, notamment sur le service public hospitalier ou le tiers payant généralisé. Pourtant la généralisation de celui-ci est inévitable, conforme à une évolution engagée depuis vingt ans. Les pharmaciens, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les sages-femmes fonctionnent en tiers payant, comme 77 % des gastro-entérologues, 92 % des radiologues et 98 % des laboratoires de biologie. Comment expliquer que les généralistes le refusent ? La réalité est d'ailleurs qu'un grand nombre d'entre eux le pratiquent déjà. Les patients ne seront pas déresponsabilisés. Bien des pays l'appliquent déjà. Loin d'être inflationniste, le tiers payant est un mode de paiement plus juste.

Le texte comporte en outre des garanties tant sur les délais que les paiements. Je ne souhaite pas que le Sénat donne une image caricaturale alors que 70 % des Français sont favorables au tiers payant généralisé.

Le groupe socialiste votera contre la question préalable.

Au lendemain du séisme électoral que nous venons de vivre, couper court au débat est source de malaise. Le débat respectueux est le seul moteur de la démocratie.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Le Gouvernement regrette cette question préalable. J'ai écouté vos arguments. Comme en première lecture, j'ai l'impression que les désaccords sont peu nombreux.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Mais majeurs !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Chacun en convient : l'hospitalo-centrisme qui a fait la force de notre système de santé fait désormais sa faiblesse ; le virage ambulatoire, dont chacun parle depuis des années sous une forme ou sous une autre doit s'engager. Les inégalités entre territoires ne sont plus supportables.

Alors que les échéances électorales sont passées, nous aurions pu, renonçant aux postures politiques, trouver le chemin d'un compromis.

Chacun souhaite adapter notre système aux attentes des Français, des professionnels, anticiper l'arrivée des nouvelles technologies. Nous poursuivrons le travail ensemble. Je regrette cette occasion manquée.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - « Nous voici au terme d'un long processus qui nous laisse un goût amer », disiez-vous, madame la ministre, en 2008 à propos de la loi HPST. Nous ne saurions dire mieux !

Tout à l'heure, nous avons voté le texte sur le vieillissement car le Gouvernement nous avait écoutés. Hélas ce n'est pas le cas sur ce texte-ci.

Alors que nous rendions obligatoire une négociation lors du renouvellement des conventions médicales, votre texte ne prévoit rien de nouveau pour lutter contre les déserts médicaux.

Nous sommes aussi hostiles au tiers payant généralisé, ou au paquet neutre, qui pénalisera les buralistes, sans compensation.

Je ne comprends pas votre opposition à la question préalable madame la ministre. On vous rend service : l'Assemblée nationale doit adopter définitivement le texte le 17 décembre. Comment aurait-elle fait si nous avions adopté des amendements ? Les députés auront le dernier mot et les patients en pâtiront.

M. Dominique Watrin.  - Nous aurions voulu porter la voix de ceux qui nous ont interpellés. Je regrette donc que nos amendements sur l'amiante, comme la création d'une plateforme d'information sur les risques, ne puissent pas même être discutés.

L'article 42 ter est dangereux en termes éthiques. Nous regrettons le manque de concertation sur la réforme de l'établissement du sang. Nous aurions aussi voulu interdire le bisphénol A dans les jouets. Nous plaidons pour un pôle public du médicament.

Le groupe CRC votera contre la question préalable, tout en réaffirmant son opposition à la poursuite de l'austérité.

M. Jean-Claude Requier.  - Comme M. Barbier, je regrette la procédure accélérée sur ce texte. En revanche, je ne voterai pas la question préalable. Je suis contre la politique de la chaise vide. À cause d'elle mon amendement supprimant le paquet neutre part en fumée ! (Sourires)

Mme Catherine Procaccia.  - Certains ont ressenti du mépris envers le travail du Sénat en découvrant le texte qui nous revenait de l'Assemblée nationale. Je regrette très profondément cette absence de dialogue que le Gouvernement organise à coups de procédure accélérée. Elle est destructrice pour notre médecine libérale.

Mme Élisabeth Doineau.  - On a senti lors de la CMP un refus très net du dialogue, pour ne pas dire de l'autisme. Quelque part, cela me frustre. Cependant, à quoi bon disserter quand l'accord est hors de portée.

Monsieur Daudigny, les Français que j'ai rencontrés durant la campagne des régionales sont très angoissés par l'idée de ne plus trouver de médecins près de chez eux. Or il n'y a rien dans ce texte sur les déserts médicaux.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Très juste !

Mme Élisabeth Doineau.  - Le rêve des uns ne doit pas devenir le cauchemar des autres ; ainsi du paquet neutre et des buralistes ; ainsi du tiers payant et des médecins. Ce projet de loi divise. Le groupe UDI-UC votera la question préalable.

À la demande de la commission des affaires sociales, la question préalable est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°116 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 188
Contre 155

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - En conséquence, le Sénat a rejeté le projet de loi.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Malgré le sort funeste que le Sénat a réservé à ce texte, je voulais vous remercier pour votre travail et vous souhaiter avec un peu d'avance d'excellentes fêtes de fin d'année. (Applaudissements)