Liberté, indépendance et pluralisme des médias (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, en examen conjoint avec la proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions, présentée par MM. David Assouline, Didier Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, à la demande du groupe socialiste et républicain.

Discussion générale

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication .  - Je veux d'abord nous féliciter collectivement du succès du passage à la TNT, rendu possible grâce au travail de Patrick Bloche à l'Assemblée nationale, de Mme Morin-Desailly ici, du CSA et de l'Agence nationale des fréquences.

La liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias sont des objectifs vers lesquels il nous faut tendre sans cesse et que le législateur doit protéger. Nous y sommes tous attachés. L'actualité récente témoigne de façon éclatante du service que les médias peuvent rendre à nos sociétés et de leur contribution au bon fonctionnement de notre démocratie.

Je ne doute pas que cette proposition de loi y contribue aussi. À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a modifié l'article 7 ; j'ai aussi fait introduire un article 9 bis qui interdit la vente d'une chaîne dans les cinq ans suivant l'autorisation du CSA, pour protéger le domaine public hertzien de la spéculation ; j'ai également souhaité renforcer la protection des sources. La commission de la culture du Sénat a travaillé à imprimer sa marque au texte.

La protection de la liberté éditoriale est étendue à tous les journalistes. La charte déontologique prévue à l'article premier aura d'autant plus de force qu'elle aura été élaborée conjointement par l'équipe dirigeante et les journalistes.

Les comités que j'appelle d'indépendance permettront de traiter dans la transparence toute menace à l'indépendance des médias. Votre commission, toute en en restreignant les modalités de saisine, en a précisé la mise en place et clarifié le rôle du CSA.

Le renforcement de la protection des sources des journalistes, engagement du candidat François Hollande, est un enjeu démocratique majeur. Avec l'amendement gouvernemental adopté à l'Assemblée nationale, un équilibre me semble avoir été trouvé.

L'enquête des Panama Papers atteste la pertinence de cette proposition de loi. Toute action pouvant porter atteinte au secret des sources sera soumise au contrôle priori et non plus posteriori du juge des libertés et de la démocratie. La protection est étendue à tous les collaborateurs des rédactions, à toute la chaîne de recherche d'information, et non aux seuls journalistes, comme dans la loi de 2010. De même il sera interdit de condamner un journaliste pour recel de violation du secret professionnel ou de l'instruction, ou encore d'atteinte à la vie privée. Garantir l'indépendance des médias, protéger les sources des journalistes sont les garanties d'une démocratie moderne, solide, capable d'affronter le monde d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture .  - On ne peut que souscrire aux objectifs de cette proposition de loi, alors que la liberté d'expression et d'information est menacée dans tant de régions du monde. En France, la situation semble satisfaisante : l'accès à l'information n'a jamais été aussi varié, la pluralité des supports aussi affirmée, les sources d'information aussi nombreuses, même si la presse écrite souffre. Révolution numérique, presse gratuite, réseaux sociaux, les usages évoluent rapidement.

Les Français s'informent de plus en plus sur les médias numériques, ce qui remet en cause le modèle économique des médias traditionnels ; mais c'est surtout un défi démocratique qui pose la question de la vérification des sources, de la qualité et de l'indépendance de l'information. Face à l'affaiblissement des grands médias traditionnels, le recours à de puissants investisseurs étrangers au secteur s'est imposé - songez à Vivendi ou au groupe Altice...

La question de l'indépendance des journalistes face aux annonceurs est posée. Rue89, Médiapart ont dénoncé des cas de censure ; plus récemment, un reportage de Canal plus sur le Crédit Mutuel a été déprogrammé. Le CSA a légitimement été saisi de l'affaire et a obtenu la création d'un comité de déontologie et d'une charte.

La régulation ex post a bien fonctionné. Est-il dès lors utile de légiférer ? Le CSA n'est pas demandeur... Deux propositions de loi ont été successivement déposées sur le bureau des assemblées, celle de M. Assouline ayant l'antériorité. J'en déplore les mauvaises conditions d'examen, l'absence d'étude d'impact, l'urgence déclarée.

Ces textes remplacent un système de régulation plutôt souple. Je me suis inscrite dans une démarche constructive et me suis efforcée de distinguer l'urgence de l'important. J'ai d'abord voulu réaffirmer les principes de transparence et de pluralisme, mais en veillant à leur traduction opérationnelle et à éviter toute immixtion injustifiée du législateur dans la vie des entreprises, déjà contraintes. La commission a souhaité adapter la charte aux spécificités de chaque entreprise, de limiter le rôle du CSA en matière de contrôle déontologique, de limiter la possibilité de saisine tout en l'ouvrant aux sociétés de journalistes. La déontologie est la condition de la crédibilité des médias, elle doit s'inscrire dans un dialogue interne aux entreprises ; c'est un droit mais aussi une responsabilité.

L'enjeu pour les médias traditionnels n'est pas l'adoption d'un texte mais de s'adapter à un paysage en recomposition avec l'entrée des grands acteurs de l'internet comme Google. Là est la menace pour le pluralisme de nos médias - et pour un juste partage de la valeur ajoutée.

Cette proposition de loi apparaît déphasée au regard de l'immense défi qui est devant nous. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis de la commission des lois .  - Le secret des sources en France est bien protégé par la loi de 2010, qui a repris la jurisprudence de la CEDH. Celle-ci n'a pas évolué depuis. Si la proposition de loi propose de modifier la loi, c'est pour répondre au point de vue de la CNCDH.

Qu'a fait la commission des lois ? Elle a vérifié la conformité du texte avec le droit européen et avec le droit français. Elle a remarqué des différences qu'elle s'est attachée à corriger. Et je considère qu'elle a fait progresser et non reculer l'état de droit. Car le principe d'égalité devant la loi s'applique à tous, y compris aux journalistes. Il faut garantir le secret des sources mais aussi le secret de l'instruction, de la vie privée, de la défense nationale, secrets qui comptent autant que le premier...

Qu'est-ce qu'un secret ? Quelque chose qui ne doit pas être divulgué. Qui doit bénéficier du secret des sources ? Les journalistes. Encore fallait-il définir ces derniers avec précision. La commission des lois l'a fait, conformément à la loi de 1881 et à une jurisprudence qui l'a interprétée de façon très libérale.

L'article premier ter, issu d'un amendement gouvernemental, a été écrit un peu vite par les services de la Chancellerie. La commission des lois a veillé à l'harmonisation des codes et à la correction juridique de la langue. Nous avons aussi rétabli le délit de recel du secret de l'instruction, essentiel dans un état de droit. La Cour de cassation a condamné un journaliste pour avoir diffusé - était-ce une avancée ? -  le portrait-robot d'un violeur en série... méditez cela, nous en reparlerons... (Applaudissements au centre et à droite)

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi n°416 .  - La commission de la culture a choisi de travailler sur la base du texte adopté par l'Assemblée nationale. La navette est engagée, ce qui n'est pas si courant sur pareil texte...

Pourquoi avons-nous mis ce texte en haut de notre agenda parlementaire ? Outre que l'actualité nous donne raison, l'indépendance de la presse est un impératif démocratique. Victor Hugo disait que l'indépendance de la presse était à mettre sur le même plan que le suffrage universel...

Je remercie le président de la République et M. Sapin d'avoir salué le travail des journalistes dans l'affaire des Panama Papers.

Certains arguent que la liberté et l'indépendance des médias n'est pas menacée, qu'il n'y a jamais eu autant de médias en France. Mais les supports appartiennent à une poignée de propriétaires. Le nombre de titres, le nombre de chaînes n'est pas un gage, en soi, de pluralisme. La diversité est illusoire. Nous avons certes besoin de grands groupes médiatiques dans la compétition internationale, sinon des groupes étrangers prendront leur place, mais la France présente des caractéristiques potentiellement problématiques.

On comptait autrefois plusieurs titres de presse quotidienne régionale dans chaque département, les lecteurs avaient le choix ; aujourd'hui le Crédit mutuel a racheté quasiment tous les titres du sud et de l'est de la France... De même dans l'audiovisuel avec Vivendi ou Bouygues... Le problème est que ces grands groupes vivent avant tout de la commande publique. Pourquoi s'intéressent-ils aux médias ? Pour influer sur la commande publique ? Le sujet est complexe. Je souhaite depuis des années proposer des seuils de concentration, mais il eut fallu réaliser des études d'impact, dont le Parlement français n'a pas les moyens. C'est pourquoi nous avons choisi une autre voie pour protéger l'indépendance des journalistes : secret des sources, droit d'opposition, comités d'indépendance, prérogatives du CSA...

Cette proposition de loi est utile parce que le paysage l'impose, parce que la loi doit garantir l'indépendance et le pluralisme des médias. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Sylvie Robert .  - Quelle urgence y-a-t-il à légiférer ? La menace est double, interne et externe. La presse, l'audiovisuel sont pris dans un mouvement de concentration inédit en dépit des lois de 1986. Le risque est que les intérêts des grands groupes n'influent sur le traitement de l'information ; quand il se manifeste, la confiance des citoyens est ébranlée... Les décisions récentes de ne pas diffuser une information ou de déprogrammer un reportage montrent l'urgence de légiférer pour séparer les pouvoirs des actionnaires et des journalistes, cloisonner ce qui relève de l'intérêt privé et de l'intérêt général.

Cette proposition de loi étend le droit d'opposition, jusque-là réservé à l'audiovisuel public, et renforce la protection des sources. La profession de journaliste en sera sécurisée. À l'instar des artistes, les journalistes ne sont pas à l'abri de toute autocensure ; or l'autocensure nuit au pluralisme, c'est un échec de la démocratie. Le pouvoir du journaliste n'est pas tant celui de poser une question que d'exiger une réponse, écrivait Kundera...

Pour Hannah Arendt, « la liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie. (...) Sans journalistes, nous ne saurions jamais où nous sommes » : la phrase résonne avec l'actualité...

Ni prophètes, ni juges, les journalistes doivent investiguer, informer, expliquer. L'accès à l'information est devenu un enjeu essentiel, d'autant que le rythme de circulation de celle-ci, le nombre de sources et de formats s'accroissent avec le numérique et les réseaux sociaux. L'enjeu de décryptage devient décisif, les journalistes deviennent les vigies de la démocratie. Il faut éduquer aux médias à une époque où ce qui est cru prévaut parfois sur ce qui est vrai...

Dans une société de défiance, la confiance envers le quatrième pouvoir ne se décrète pas, la gagner est un labeur quotidien que les journalistes seuls ne peuvent mener à bien.

Indépendance des rédactions et des organes de contrôle : tel est l'objet de cette proposition de loi. La grandeur du journaliste se mesure à son indépendance, a écrit Michel del Castillo. L'actualité lui donne raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Marie-Christine Blandin .  - L'urgence ne tient pas à l'actualité mais à la contradiction entre l'exigence du pluralisme de l'information et le modèle économique des médias, aggravé en France par les liens des éditeurs avec la commande publique et la précarisation de la profession.

Les journalistes attendent de pouvoir exercer librement leur métier. La commission de la culture a réduit l'ambition du texte, en réintroduisant « l'impératif prépondérant d'intérêt public, notion particulièrement floue, ou en supprimant la sanction de suppression des aides à la presse. Le risque est là, ce faisant, de conforter la méfiance à l'égard des médias. Il faut aussi rétablir l'article sur les lanceurs d'alerte, merci au Gouvernement d'avoir anticipé.

Les écologistes sont en revanche dubitatifs sur les chartes déontologiques « maison », alors qu'il existe des bases juridiques solides comme la charte de Munich. Nous craignons un dumping éthique...

Autre regret : la régulation de la concentration. En France, sept milliardaires contrôlent 95 % de la production journalistique ; on accroche un groupe de presse à sa boutonnière comme on porte une Rolex à son poignet... (Mouvements divers à droite) Seules des règles strictes permettraient d'écarter le risque de dépendance.

Certains estiment qu'il est urgent d'attendre pour ne fâcher personne - alors que la démocratie vacille... Gardons-nous de ne brandir qu'un sabre de bois, qui ferait rire ceux pour qui la presse est une marchandise comme une autre. Le groupe écologiste réserve son vote à l'évolution du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

Mme Mireille Jouve .  - En ce moment même se tient en Turquie le procès de Can Dündar et Erdem Gül, journalistes du journal progressiste et laïc Cumhuriyet. Ils risquent la prison à perpétuité pour avoir publié une enquête sur la livraison d'armes par les services de renseignement turcs à des rebelles islamistes en Syrie au début de l'année 2014. Cette affaire, qui est devenue un symbole de la répression de la liberté de la presse par le régime Erdogan, nous rappelle l'importance de médias libres et indépendants.

En France, la défiance envers la presse s'accroît. Les journalistes sont suspects de connivence avec les puissances d'argent. Albert Camus appelait déjà à couper ces liens incestueux. De Libération au Parisien en passant par BFM-TV, nombreux sont les titres à être passés aux mains de grands groupes. Après que Canal + a été repris par Vivendi, des reportages ont été déprogrammés... Le législateur doit aider les journalistes à conserver leur indépendance.

Je regrette que nos deux commissions aient fait marche arrière sur le délit de recel de violation du secret de l'instruction, tombé en désuétude, ou la protection des lanceurs d'alerte. Ce sont de mauvais signaux. La commission de la culture a aussi supprimé l'intime conviction professionnelle, notion pourtant encadrée par les chartes déontologiques et précisée par la loi de 2009. Nous proposerons de rétablir le dispositif de retrait des aides publiques en cas de manquement aux obligations de transparence.

Les membres du RDSE voteront chacun selon leur conscience. Comme Albert Camus le disait, un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Pierre Laurent .  - Notre démocratie ne se porte pas bien. Son indépendance face aux puissances d'argent est en cause. Le message du premier éditorial de l'Humanité semble bien oublié... La concentration s'amplifie, la profession est en voie de précarisation rapide. Mais cette proposition de loi n'est que de rattrapage...

Autre question laissée de côté : la concentration financière, qui ne cesse de se renforcer, mettant à mal le pluralisme. Les lois anticoncentration sont dépassées, reconnaît M. Schrameck. Nos amendements, peut-être imparfaits, marquent un premier pas dans la bonne direction. Nous ne sommes pas certains que MM. Arnault, Bolloré, Drahi, Pinault, Pigasse et autres Crédit Mutuel et j'en passe soient les meilleurs garants du pluralisme de nos moyens d'information. On nous reprochera peut-être d'ouvrir la porte aux capitalistes anglo-saxons, mais la protection du CAC 40 n'est pas non plus la meilleure garantie...

Hubert Beuve-Méry opposait industrie de presse et presse d'industrie. C'est vers celle-ci que nous nous approchons à grands pas, vers une presse d'argent : voyez le film Merci patron !  Rappelez-vous les affaires des Guignols de l'info, du reportage sur le Crédit mutuel, les précautions du dirigeant de M6, Nicolas de Tavernost, qui ne supporte pas que l'on dise du mal de ses clients à l'antenne...

À l'inverse, des titres comme L'Humanité, Mediapart ou Politis se battent pour une information indépendante (On rit à droite)

M. François Bonhomme.  - Beau modèle de pluralisme !

M. Pierre Laurent.  - Le droit d'opposition ne doit pas être bafoué dans les faits en raison de la précarité des journalistes. Quant aux chartes déontologiques, elles ne sauraient être soumises aux pressions des dirigeants : nous préférons nous référer à la Charte de Munich.

Quant au CSA, son rôle est de veiller à l'indépendance des médias, non de les contrôler. Il n'est pas demandeur.

Sur ce texte homéopathique, notre vote dépendra de l'issue de la discussion. La voix des grands actionnaires souffle dans les nuques... Aussi ne nous satisferons-nous pas d'un simple texte d'affichage vidé de son sens. Nous resterons actifs et vigilants quant au respect de l'indépendance et au pluralisme des médias. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe écologiste)

M. Jean-Pierre Leleux .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Pour paraphraser Jacques Brel, je dirai que la quête vers l'indépendance, « inaccessible étoile », est non seulement légitime, mais tout à fait louable et quand bien même ce serait un « impossible rêve », nous devons nous efforcer de l'atteindre...

M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Leleux.  - On peut cependant regretter l'engagement, une nouvelle fois, de la procédure accélérée. Pour Patrick Bloche, rapporteur à l'Assemblée nationale, il y a urgence, vu la concentration des médias et l'affaire Canal +, qui a valu à ce texte le surnom de proposition de loi « anti-Bolloré ».

La reprise de l'émission en question par France Télévisions montre cependant que la régulation s'opère parfois naturellement au sein du secteur... La défiance dont témoigne le texte initial à l'égard des rédactions et directions des publications a de quoi heurter. Tous nos interlocuteurs en auditions l'ont perçu ainsi. Ils sont, en revanche, dans l'attente d'autres mesures, qui les aideraient à faire face à la crise économique que traverse le secteur depuis le développement du numérique et qui, elles, justifieraient l'urgence !

Le texte de l'Assemblée nationale imposait aux entreprises de nombreuses contraintes nouvelles. Il a été heureusement modifié à l'initiative de la rapporteure, dont je tiens à saluer la rigueur, la qualité du travail et l'écoute constantes. Nous avons maintenu l'extension du droit d'opposition aux journalistes de presse écrite en veillant à sa constitutionnalité, tout en supprimant la notion trop imprécise « d'intime conviction professionnelle ». Je suivrai la rapporteure, pour maintenir cette suppression.

Nous évitons ainsi un risque juridique, des complications pour le juge, mais aussi une représentation vexatoire des liens de travail dans les sociétés de presse. L'article en cause érigeait les journalistes un contre-pouvoir éditorial, pouvant désavouer leur hiérarchie, alors même qu'ils disposent d'un statut protecteur et que la responsabilité civile et pénale du directeur de la publication est engagée.

Pour garantir la liberté de conscience des journalistes, les chartes déontologiques sont une bien meilleure voie que ce qui était initialement envisagé. Nous avons de même sagement refusé d'étendre à l'excès les pouvoirs du CSA, tout en lui confiant une mission de veille.

La commission a fait preuve de la même sagesse sur les obligations d'information des sociétés en matière de transparence du capital : nous avons relevé le pourcentage déclenchant ces obligations à un niveau plus adapté à la conjoncture actuelle. Les sanctions financières prévues en cas de manquement nous ont paru disproportionnées.

Enfin, il faut trouver un équilibre entre secret des sources et intérêts majeurs de la société - en l'espèce le secret de l'instruction.

Nous avons maintenu les dispositions en faveur de la publication des annonces légales, ainsi que l'incitation fiscale à investir dans les entreprises de presse votée en 2015, qui ont peu à voir avec l'indépendance et la transparence des médias mais qui présentent un réel intérêt pour nos entreprises.

La presse fait face à de multiples défis. Le principal est d'assurer la survie de ces entreprises face au développement des géants internationaux.

La concentration n'est pas forcément une menace pour l'indépendance des journalistes : c'est une nécessité économique.

Le groupe Les Républicains votera ce texte si les apports de la commission sont conservés. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Quel beau titre que celui de cette proposition de loi ! Comment expliquer l'opposition très large des éditeurs de presse et des syndicats de journalistes ? On n'est certes jamais assez vigilant à l'égard de l'indépendance de la presse. Dans la France de « l'esprit des Lumières », celle-ci est solidement ancrée dans nos consciences.

Quelques incidents ont été mis en avant, mais les débats qui ont suivi montrent combien la société française est vigilante.

Proposer ce texte en procédure accélérée est donc peu opportun. L'économie des médias est plus en danger que leur indépendance. Ici aussi, monsieur Laurent, il faut distinguer entre liberté formelle et réelle...

Face à l'irruption du numérique et des nouveaux acteurs internationaux, l'entreprise de presse n'a besoin ni d'instabilité, ni de complexité. Vouloir rendre le CSA juge et partie témoigne d'une réflexion inaboutie.

Dans des délais aussi courts, la commission a voulu faire simple et efficace. La définition du journaliste professionnel reste curieusement double : code du travail d'un côté, loi de 2010 de l'autre...

J'approuve les amendements présentés par notre rapporteur et retenus par la commission. Ainsi, celle-ci a souhaité donner plus de souplesse aux entreprises de presse et ne pas dépouiller les dirigeants de leurs responsabilités. La notion de lanceurs d'alerte, bien que partagée sur la plupart des bancs, va susciter ici un débat ; mieux vaut éviter de la tronçonner et renvoyer à un texte adéquat, généraliste.

Quant à la protection des sources, la commission de la culture entend qu'elle soit garantie sans bouleverser les équilibres trouvés par la jurisprudence européenne.

Nous avons fermement insisté sur le maintien de l'article 11 ter. Le pluralisme de la presse hebdomadaire serait atteint si l'accès aux annonces légales - en particulier pour les ventes commerciales - ne leur était pas rouvert. (Applaudissements au centre et à droite)

M. David Assouline .  - (Exclamations à droite) Évitons la confusion ! Madame la rapporteure n'a pas jugé inutile de légiférer sur le sujet, la régulation ne s'opérant pas « naturellement » comme le croit M. Leleux, qui relaie fidèlement les propos des éditeurs et patrons de presse...

Nous posons des règles. Dans les groupes privés, le rapport de force tourne au bénéfice des propriétaires...

Rôle du CSA, composition et missions des comités d'indépendance, chartes... Le débat a été large. En effet, les chartes ne doivent pas être déconnectées des principes généraux de la profession, encore faut-il trouver la bonne accroche. Nous avons d'ailleurs prévu une clause « de revoyure », pour ainsi dire : c'est nécessaire, puisque personne ne saurait détenir la vérité et qu'il faudra bien examiner de près l'effet des mesures prises.

On ne ferait qu'embêter des entreprises en difficulté, dit M. Leleux... Franchement, les entreprises de presse devraient plutôt remercier l'État pour son soutien, toutes les entreprises de presse, indépendamment de la composition de leur capital même.

Pour dissuader les reventes spéculatives de fréquence, nous soutenons in fine, après avoir proposé un taux supérieur, unanimement, la proposition de Mme Morin-Desailly de les taxer de 20 %. Je proposerai aussi de donner au CSA les moyens d'exercer sa mission sans s'exposer à la censure infligée par le Conseil d'État dans le cas de la revente de la fréquence de la chaîne Numéro 23, en imposant une période probatoire de deux ans et demi, pour vérifier si les engagements pris au départ sont tenus.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Faut-il voir dans le tir croisé des députés et sénateurs socialistes une réplique d'urgence aux menaces planant sur la liberté d'information ? La vigilance s'impose certes. Mais les Français ont la chance d'accéder à une foule d'informations, grâce à la pluralité des supports. L'important est de veiller à ce que l'information ait été vérifiée par un journaliste indépendant, et à protéger la liberté d'information contre les intérêts privés. Ce texte n'a-t-il pas pour principal objet d'accroître les pouvoirs du CSA ? Au lendemain de l'émission Cash Investigation, je ne perçois pas de connivence entre presse et monde de l'argent...

M. David Assouline.  - Nous parlons de l'audiovisuel public ! Pas de BFM !

Mme Patricia Morhet-Richaud.  - Je me félicite du travail accompli par la commission.

Je défends enfin l'obligation des annonces légales dans la presse papier, très importante pour de nombreux titres locaux, qui représentent beaucoup d'emplois et d'activités dans nos territoires. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Nicole Duranton .  - Je veux saluer la rigueur et le travail de Mme Morin-Desailly. (Applaudissements au centre et à droite) Cette proposition de loi de circonstance et démagogique (Marques de désapprobation sur les bancs du groupe socialiste et républicain) a été heureusement amendée pour alléger les contraintes imposées aux établissements - ou entreprises - de presse. De même, M. Portelli proposera de mieux concilier le secret des sources avec les principes de notre État de droit.

Confier de nouveaux pouvoirs exorbitants au CSA, dont le président est nommé discrétionnairement par le président de la République, est curieux... La commission de la culture y a heureusement mis bon ordre. Le CSA n'était d'ailleurs pas demandeur, comme en atteste le compte rendu de l'audition par la commission de M. Schrameck du 23 mars dernier...

L'indépendance et le pluralisme des médias seraient-ils menacés, au point de justifier la procédure accélérée ? Certes, la révolution numérique a bouleversé les usages et remis en cause le modèle de la presse traditionnelle. Mais ce texte est bien loin de répondre à ces enjeux.

La majorité sénatoriale a cependant, une fois de plus, travaillé dans un esprit constructif. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Audrey Azoulay, ministre.  - N'opposons pas viabilité économique et indépendance de la presse. En effet, restaurer la confiance du public est un moyen d'assurer la pérennité des titres. Vous avez cependant soulevé un vrai débat sur le partage de la valeur ajoutée, le Gouvernement y participe pleinement à Bruxelles. Les géants du numérique monétisent l'information au détriment de ceux qui la produisent, ce qui fragilise toute la presse tout en entretenant l'illusion d'une information toujours plus forte, à profusion. En renforçant les capacités d'investigation de la presse, nous la protégeons de la prolifération illusoire de l'information.

Le secret médical, le secret de l'instruction, le secret professionnel des avocats, etc., sont évidemment des impératifs démocratiques, et c'est pourquoi il y a des bornes au secret des sources. Le Gouvernement a aussi entendu concilier celui-ci avec la sécurité nationale.

Les journalistes ne sont protégés des poursuites pour recel que si celui-ci répond à un impératif d'intérêt public.

Cette notion d'impératif prépondérant d'intérêt public est certes floue, mais c'est celle qu'emploie la CEDH, et nous avons suivi les recommandations du Conseil d'État à cet égard.

Les dispositions ici inscrites sur les lanceurs d'alerte s'inscrivent dans un mouvement que poursuivra la loi Sapin. (M. David Assouline applaudit)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure .  - Le premier principe qui a animé ici la commission est celui de clarté et d'intelligibilité de la loi.

Elle a bien retenu le droit d'opposition des journalistes, mais n'a pas voulu introduire dans la loi de 1881 la notion confuse d'intime conviction professionnelle, qui s'exposerait à la censure du Conseil constitutionnel.

Second principe : l'efficacité. La généralisation des chartes déontologiques est une avancée significative, réclamée de longue date par le SNJ. Mais le réalisme interdit d'imposer une charte unique...

Mme la présidente. - Je rappelle que le temps de parole sur les articles et amendements est limité à deux minutes et demie.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Merci à mes collègues d'avoir fait inscrire ce texte à l'ordre du jour.

Cet article premier énonce des principes fondamentaux ensuite illustrés. Ainsi, le texte définit le champ de ceux qui sont protégés par le secret des sources. De même, les exceptions sont écrites noir sur blanc.

Bien des débats n'avaient pas été conclusifs. Dans le temps qui m'est imparti, je tiens à signaler qu'il est grand...temps (Sourires) d'adopter enfin une loi sur le sujet. Je me réjouis donc d'avoir entendu dire que le Gouvernement ferait en sorte que la discussion aille rapidement à son terme : c'est un engagement du président de la République.

Mme la présidente.  - Amendement n°34 rectifié, présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Barbier, Collombat et Guérini, Mme Laborde et M. Vall.

Alinéa 2, seconde phrase

Après les mots :

contraire à

insérer les mots :

son intime conviction professionnelle formée dans le respect de

Mme Mireille Jouve.  - Cet amendement rétablit la notion d'intime conviction professionnelle que le journaliste peut opposer à sa direction. Dans l'audiovisuel public, cette notion n'a jamais donné lieu à aucun contentieux en trente ans...En outre, cette intime conviction devra être fondée sur les principes inscrits dans la charte.

Mme la présidente.  - Amendement n°37, présenté par M. Assouline et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 2, seconde phrase

Après les mots :

contraire à

insérer les mots :

sa conviction formée dans le respect de

M. David Assouline.  - Mme Morin-Desailly a voulu maintenir le droit d'opposition, preuve de l'utilité de cette loi. Les patrons de presse étaient contre. Le débat est sémantique. La notion d'intime conviction professionnelle, c'est moi-même qui l'ai introduite, par amendement, dans la loi Sarkozy sur l'audiovisuel public... (Exclamations amusées à droite) Eh oui ! Elle fait désormais partie de la loi de la République. Pas de risque d'inconstitutionnalité donc.

Il est vrai, cependant, que dans la loi de 1881, les mots doivent être précis. Je propose donc une autre formulation.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - J'ai dit pourquoi je ne souhaitais pas que cette notion soit réintroduite. La commission a cependant donné un avis favorable à ces amendements...

Inscrire le droit d'opposition dans le marbre de la loi de 1881 est très important et me paraissait suffisant. C'est pourquoi je demeure, à titre personnel, défavorable...

M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture.  - Oui, vous aviez donné, en tant que rapporteure, un avis défavorable, la commission en a décidé autrement au moment de voter et vous maintenez, à titre personnel, votre avis initial.

Mme la présidente. - Nous avions bien compris !

Mme Audrey Azoulay, ministre.  - La notion d'intime conviction professionnelle, issue d'un texte conventionnel, a été introduite dans la loi, mais l'Assemblée nationale a ici ajouté qu'elle devait être adossée à la charte. Je comprends donc vos réserves, mais l'amendement de M. Assouline me paraît offrir un bon compromis.

Mme Mireille Jouve.  - Soit.

L'amendement n°34 rectifié est retiré.

Mme Marie-Christine Blandin.  - Le droit d'opposition ou de retrait de leur signature bénéficiera aussi, précisons-le, aux photojournalistes dont les photos sont recadrées, trafiquées, où certains personnages sont retranchés ou ajoutés.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Mieux vaut maintenir la rédaction de la commission, qui comporte déjà une grande avancée pour les journalistes. La présidente-rapporteure de la commission a marqué que ces amendements, ou du moins celui qui subsiste, introduisent en quelque sorte une clause morale. Le compromis proposé par M. Assouline reste flou.

La notion d'une intime conviction professionnelle ouvre la voie à de nombreux contentieux - d'autant que la relation hiérarchique entre le directeur de la publication et le journaliste n'est pas clarifiée.

Mme Françoise Laborde.  - Je voterai l'amendement de David Assouline, après le retrait de celui de Mireille Jouve. Nous allons de nouveau diverger, avec Mme la présidente, à partir de l'article 2...

M. Patrick Abate.  - Je ne comprends pas bien : nous sommes d'accord pour protéger les journalistes, et même si la notion est un peu floue, il y a la jurisprudence, alors que la charte de déontologie peut évoluer. Mieux vaut accepter l'amendement de M. Assouline.

M. David Assouline.  - La version de la commission a enlevé l'intime conviction professionnelle sans enlever le droit d'opposition : Monsieur Leleux, vous allez contre Mme Morin-Desailly.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Pas du tout !

M. David Assouline.  - Si, vous parlez de contentieux. Le seul changement, c'est l'intime conviction professionnelle. J'ai voulu préciser le texte, pour aller dans le sens de la rapporteure, d'autant que la notion « d'intime » conviction, a pu paraître un peu bizarre, j'en conviens. Dès lors que le droit d'opposition est maintenu, mon amendement s'impose, nous améliorerons le texte dans la navette.

M. Claude Kern.  - C'est au sein de la commission de la culture que nous avons supprimé l'intime conviction professionnelle, avec une forte majorité : pas seulement Mme Morin-Desailly !

L'amendement n°37 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Nous avons sept amendements en discussion commune : Monsieur Assouline, nous ne disposons pas du temps nécessaire à les examiner tous, acceptez-vous de vous en tenir là ?

M. David Assouline.  - Oui, d'accord.