SÉANCE

du jeudi 13 octobre 2016

6e séance de la session ordinaire 2016-2017

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

Secrétaires : M. Philippe Adnot, M. Jackie Pierre.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Devoir de vigilance des sociétés mères (Deuxième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Discussion générale

M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances .  - Je suis honoré de débattre avec vous de cette proposition de loi ambitieuse, portée par la détermination de son auteur Dominique Potier, détermination que je partage.

Le drame du Rana Plaza a été un choc : il est ahurissant que l'entreprise donneuse d'ordre ne s'inquiète nullement des conditions de travail déplorables dans lesquelles le sous-traitant réalise les commandes.

Ce texte n'est pas pour autant une loi de circonstance, le débat est plus ancien. La proposition de loi initiale sur le devoir de vigilance avait été déposée fin 2013, mais soulevait des difficultés juridiques que cette seconde proposition de loi vise à résoudre.

Le développement économique ne peut plus se faire au détriment du progrès social, des droits de l'homme, de la santé publique et de la protection de l'environnement.

À l'échelle mondiale, l'ONU a adopté trois résolutions pour encourager les entreprises à adopter des démarches responsables. L'Union européenne s'est également engagée avec l'adoption de la directive européenne du 22 octobre 2014, qui sera bientôt transposée.

À l'échelle nationale, l'action est réelle. En 2011, le président de la République avait pris l'engagement de traduire dans la loi le principe de responsabilité des maisons-mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l'étranger.

L'article 5 de la loi du 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale promeut le devoir de vigilance des entreprises.

L'article 8 du projet de loi relatif à la transparence, la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique crée une obligation de prévention des faits de corruption pour les grandes sociétés.

Cette proposition de loi est donc en cohérence avec les engagements de la France et avec la politique menée par le Gouvernement. Nous réaffirmons notre volonté de rendre effectif un devoir de vigilance en France.

Nous ne nous contentons pas de dénoncer les excès de la mondialisation, nous nous mobilisons pour les combattre. Les entreprises devront élaborer un rapport de vigilance sur les risques d'atteinte aux droits fondamentaux. Placées sous le contrôle de chacun, les multinationales seront incitées à développer des pratiques vertueuses.

Les critiques formulées par la majorité sénatoriale en première lecture doivent être prises en considération. Certains dénoncent des risques juridiques, notamment constitutionnels, d'autres craignent qu'un tel texte porte atteinte à l'attractivité de notre pays et à la compétitivité de nos entreprises. Attention cependant à ne pas vider le texte de sa substance.

Le texte adopté par la commission des lois du Sénat se borne à transposer la directive du 22 octobre 2014, ce qui n'était pas le but des auteurs de la proposition de loi. Le Gouvernement soutient le rétablissement de la version initiale du texte, même si celle-ci appelle des ajustements rédactionnels pour la rendre juridiquement irréprochable et compatible avec nos engagements européens et internationaux. Ainsi, les sanctions en cas de non-respect de l'obligation de vigilance ne devront pas être disproportionnées. Les contours de l'engagement de la responsabilité devront être précisés.

L'instauration de ce devoir de vigilance, exigeante obligation de moyens, ne portera pas atteinte à notre compétitivité, au contraire. Rien ne sert d'agiter les craintes ! Le principe de responsabilité des entreprises donneuses d'ordre du fait de leur sous-traitant existe déjà dans notre droit.

La morale, le droit et l'économie ne sont pas opposés. Loin d'être un handicap, cette mesure impulsera une nouvelle dynamique à la responsabilisation des entreprises.

Ce texte, attendu par la société civile, les syndicats et les ONG, est exigeant, précis et applicable. La France adoptera ainsi une législation exemplaire et oeuvrera pour prévenir de nouvelles tragédies humaines et environnementales. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois .  - Cette proposition de loi revient en deuxième lecture à la demande du Gouvernement. Déficient juridiquement et inadapté économiquement, il traduit toujours la même approche punitive des entreprises.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Cela commence bien !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - La commission des lois ne peut que réitérer ses réserves. Les obligations imposées sont imprécises. Ce texte est source d'incertitude juridique. Le régime de l'amende civile est imprécis, la portée du régime de responsabilité incertaine. Le risque de contentieux est donc élevé, d'autant qu'il y a un risque d'instrumentalisation.

D'un point de vue économique, ce texte pénaliserait les entreprises françaises, aussi bien les plus grandes que leurs sous-traitants, des PME le plus souvent, dans la compétition internationale. Des entreprises françaises risquent de se retirer de certains marchés et certains sous-traitants pourraient refuser de travailler avec elles.

S'il est peu probable que l'adoption en France d'une telle législation suffise à améliorer la situation sociale et environnementale des pays en développement, elle perturberait profondément le tissu économique français.

La commission des lois estime que les obligations doivent peser sur toutes les entreprises européennes pour éviter les distorsions de concurrence. Toutefois une initiative commune apparaissait peu probable. C'est pourquoi votre commission avait rejeté ce texte en première lecture.

Saisie en deuxième lecture, puisque le Gouvernement souhaite faire aboutir la procédure législative, elle a préféré adopté un texte transposant la directive du 22 octobre 2014 modifiant celle de 2013 en ce qui concerne la publication d'informations financières et relatives à la diversité.

L'obligation de publication des informations sur les procédures de diligence raisonnables destinées à prévenir les risques rejoint, à l'évidence, l'obligation d'établir un plan de vigilance visée par cette proposition de loi.

Là où la directive retient une approche reposant sur la transparence et l'incitation, la proposition de loi est punitive et coercitive. Cette proposition de loi fait peser sur les entreprises françaises une obligation plus lourde et l'amende civile qu'elle prévoit est en contradiction avec l'absence de tout mécanisme de sanction de la directive. Incompatibilité aussi en matière de prévention et de détection des faits de corruption. Le Gouvernement n'a assuré aucune coordination avec l'article 8 du projet de loi Sapin 2, pas plus qu'avec la directive.

C'est pourquoi la commission des lois a préféré amender le texte pour créer un article L. 225-102-1-1 dans le code de commerce précisant le contenu du rapport. Celui-ci devra rendre compte des différents risques, des mesures de prévention de la corruption et des mesures de vigilance vis-à-vis des risques d'atteinte aux droits de l'homme ou à l'environnement. Ce rapport inclut l'entreprise et la chaîne de sous-traitants - les informations concernant les sous-traitants ne sont publiées que quand elles sont pertinentes.

La commission conserve ainsi l'objectif de vigilance des grandes entreprises à l'égard des différents risques, tout en l'inscrivant dans le cadre du droit des sociétés et en respectant les exigences de la directive.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur - La commission des lois a aussi clarifié le mécanisme d'injonction de faire sous astreinte en référé.

Nous avons supprimé l'amende civile, imprécise, ainsi que l'action de responsabilité en cas de manquement à l'obligation d'établir et de mettre en oeuvre un plan de vigilance. Enfin, nous avons prévu une application à Wallis et Futuna et différé l'entrée en vigueur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Évelyne Didier .  - La multiplication des crises environnementales et sociales impliquant des acteurs liés par leur activité économique impose de mieux encadrer et réguler des chaînes de valeur toujours plus complexes. Trop souvent les multinationales, non contentes d'échapper à l'impôt, mettent en place des filiales opaques et se cachent derrière des cascades de sous-traitants pour éviter d'assumer leur responsabilité civile et pénale quand une catastrophe survient.

Comment remonter la chaîne, responsabiliser les sociétés-mères qui s'abritent derrière leurs montages juridiques ? Je salue la ténacité des auteurs de la proposition de loi : monsieur le ministre, vous avez raison de citer Dominique Potier.

Je regrette la frilosité, pour ne pas dire la cécité, de la majorité du Sénat sur ces enjeux.

Il serait possible d'aller plus loin, comme le faisait la première proposition de loi dont le groupe GDR était signataire, avec un champ d'application plus large, un renversement de la charge de la preuve et la qualification de la loi de police.

Le groupe ne doit plus être envisagé sous l'angle du strict contrôle direct, mais de l'impact en termes de risques potentiels, dans l'esprit de la norme ISO 26000.

Ce texte jettera les bases d'une concurrence plus juste. Loin de fragiliser les entreprises, il permettra de valoriser les efforts des sociétés vertueuses et sanctionnera le dumping social et environnemental. C'est un pas de plus dans la lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale.

En première lecture, la commission des lois avait purement et simplement supprimé le texte. En deuxième lecture, elle reconnaît que la responsabilité des entreprises à l'égard des donneurs d'ordre existe, et que l'effondrement du Rana Plaza n'est pas un détail de l'histoire. Je salue cette conversion ; pour autant, nous savons combien les entreprises tentent d'échapper à leurs responsabilités. C'est pourquoi le groupe CRC votera contre ce texte qui, en l'état, ne peut nous satisfaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et socialiste et républicain)

M. Yvon Collin .  - Peut-être aurait-il été plus juste d'intituler ce texte proposition de loi contre les excès et les travers de la mondialisation.

Il s'agit de reconnaître la responsabilité des entreprises à l'égard de leur chaîne de sous-traitance à l'étranger. Cette notion est déjà reconnue par différents textes de l'ONU, de l'OCDE et de l'Organisation internationale du travail. En France, la jurisprudence « Erika » reconnaît la compétence des juridictions françaises à juger des faits survenus à l'étranger et sanctionne la négligence des sociétés-mères.

La proposition de loi avait été rejetée par la majorité sénatoriale en première lecture. Le contexte a évolué depuis, avec la mise à l'ordre du jour de la transposition de la directive, initialement prévue à l'article 62 du projet de loi Égalité et citoyenneté - article que vous supprimez pour faire de cette proposition de loi le véhicule de cette transposition. Dont acte, même si l'Assemblée nationale rétablira sans doute sa version.

Dans sa philosophie, le texte de la commission est plus libéral et moins coercitif que celui des députés. Il crée une procédure de vigilance raisonnée seulement si cela est pertinent et proportionné, et supprime l'amende civile.

Toutefois, relativisons la portée de ce texte : il crée une obligation de moyens, pas de résultat.

Le mieux, pour éviter un nouveau Rana Plaza, est de promouvoir les droits des travailleurs et un droit du travail digne de ce nom dans les pays où sont installés des sous-traitants.

Réfléchissons à deux fois avant d'adopter des lois d'émotion, qui sont souvent des textes d'affichage à la portée limitée.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Exactement !

M. Yvon Collin.  - Une majorité des membres de notre groupe s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Cette proposition de loi traite de l'humain et attire l'attention sur des pratiques indignes des droits de l'homme. Le législateur a le devoir de faire en sorte que l'irréparable ne se reproduise pas. Ce texte est attendu par les ONG, par les consommateurs qui veulent être sûrs que leur tee-shirt n'est pas le fruit de l'esclavage.

Nous étions en désaccord avec la version initiale du texte qui aurait pénalisé les entreprises françaises et fragilisé notre attractivité, qui aurait flatté notre orgueil national mais n'aurait rien changé au quotidien des travailleurs exploités dans le monde.

Plus qu'un durcissement unilatéral de notre législation, mieux vaut adopter un cadre contraignant à l'échelle européenne et internationale.

La commission des lois propose de transposer la directive d'octobre 2014. Pourquoi d'ailleurs le Gouvernement a-t-il attendu la loi Égalité et citoyenneté pour le faire ?

Les entreprises devraient décrire dans le rapport au conseil d'administration les mesures de diligence pour prévenir les risques identifiés en matière sociale, sanitaire, d'atteinte aux droits de l'homme ou à l'environnement. Si le rapport est incomplet, tout citoyen pourra demander à l'entreprise de le compléter, sous astreinte. À l'heure où l'image de marque est un élément majeur de compétitivité, cette mesure est suffisamment dissuasive.

Le texte vise les entreprises de plus de 500 salariés, avec un chiffre d'affaires de 40 millions : il est plus ambitieux que le texte initial qui ne concernait que les entreprises de plus de 5 000 salariés.

C'est une démarche incitative, réaliste, reposant sur la transparence. La France sera le premier des États fondateurs à transposer cette directive. Elle montrera donc l'exemple, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de loi.

Ce texte s'inscrit ainsi dans une démarche réaliste et vertueuse, humaniste et efficace, grâce à la promotion de la notion de « performance globale », économique, sociale et environnementale, nouveau cadre de la concurrence internationale.

Les entreprises ne sont pas que des acteurs économiques, elles incarnent les valeurs et principes de nos sociétés ; cela peut aussi être un enjeu commercial et la responsabilité peut être un levier de croissance pour une entreprise. (Mme Evelyne Didier approuve) Toutefois, soyons lucides, la situation changera si tous les pays font évoluer leur législation. Seule une prise de conscience internationale apportera des solutions à la situation des travailleurs exploités.

Le groupe UDI-UC votera dans sa majorité le texte de la commission.

M. Joël Labbé .  - Il faut que les enjeux humanistes et économiques convergent ! Pour cela, il faut en finir avec la frilosité.

M. Philippe Bas, président de la commission - Mettez un pull !

M. Joël Labbé.  - M. le président Bas cherche à me déstabiliser... (Sourires)

Merci au Gouvernement de nous soumettre à nouveau le texte initial en deuxième lecture. Je salue d'ailleurs le changement d'attitude de la commission des lois, qui a eu cette fois une approche plus constructive, même si son texte ne saurait nous satisfaire.

Beaucoup des produits vendus sur nos étals, y compris dans nos magasins de luxe, sont souvent produits dans des pays où la main d'oeuvre est exploitée, au mépris des règles internationales et des droits humains. Nike, sponsor de l'équipe de France de football, vend ses maillots, fièrement arborés par les supporteurs, environ 85 euros pièce. Il les achète 6 euros en Asie tandis que l'ouvrier touche 65 centimes ! Les marques sont dans une logique de business, privilégient le marketing et recherchent les coûts de production les plus bas. D'ailleurs, les multinationales quittent la Chine, devenue trop chère, pour le Vietnam, où le salaire moyen d'un ouvrier est inférieur de 33 % au salaire vital, comme l'a montré l'association Éthique sur l'étiquette. Au Cambodge, ce chiffre est de 45 % ; en Inde et en Indonésie, de 50 %. Le business a de beaux jours devant lui, au détriment des droits humains.

Le texte de la commission des lois est en retrait par rapport à celui de l'Assemblée nationale, qui ne crée pourtant qu'une obligation de moyens, celle d'établir un plan de vigilance, défini par les entreprises elles-mêmes.

D'ailleurs, la France n'est pas seule : la Suisse a lancé une initiative similaire, l'Allemagne et le Royaume-Uni expérimentent des mécanismes de responsabilisation. Le sujet progresse, à l'ONU notamment. Un plan de vigilance obligerait par exemple les opérateurs à se soucier du devenir des téléphones mobiles usagés, comme le préconise le récent rapport du Sénat sur le sujet.

Nous déposerons deux amendements pour rétablir les seuils initiaux et le mécanisme de responsabilité en cas de non-respect des obligations. Si le texte reste vidé de sa substance, nous ne pourrions le voter. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et socialiste et républicain)

M. Didier Marie .  - Je remercie le Gouvernement qui a inscrit ce texte à l'ordre du jour.

Tous les jours de nombreux pays connaissent des accidents, des drames humains et environnementaux qui n'ont pas toujours la visibilité du Rana Plaza. Certains défraient néanmoins la chronique : travail forcé pour la construction de stades au Qatar, sous-traitants ougandais d'un cimentier français qui feraient exploiter des mines par des enfants ; financement des talibans par des entreprises européennes extrayant le talc en Afghanistan... Nos smartphones, nos produits ménagers, nos vêtements sont le produit de conditions de travail inhumaines. Au Bangladesh, c'est un jour sur deux qu'une ouvrière du textile meurt au travail. Comme ces évènements surviennent loin de chez nous, ils ne suscitent guère d'émoi...

Il est temps de lancer une nouvelle ère de protection des droits humains, de responsabiliser les entreprises qui recherchent les coûts les plus bas.

Cette proposition de loi transcrit les principes directeurs des Nations unies adoptés en 2011 invitant les entreprises à appliquer, dans leur sphère d'influence, des valeurs fondamentales. Après la loi Nouvelles régulations économiques en 2001, le Grenelle II, la loi sur la biodiversité, la loi Sapin 2, ce texte parachève notre législation.

Les associations et les ONG attendent ce texte avec impatience. Les consommateurs sont de plus en plus attentifs aux conditions de production. Les trois quarts des Français soutiennent cette proposition ; ils ont été 200 000 à signer une pétition, de nombreuses entreprises ont montré leur intérêt et l'Assemblée nationale a voté à la quasi-unanimité. (Mme Evelyne Didier le confirme)

La commission des lois, après avoir rejeté le texte en première lecture, l'a dénaturé en seconde lecture. Vous vous contentez d'esquisser une transposition de la directive sur le reporting extra-financier, alors que notre proposition de loi couvre à 360 degrés le champ de la responsabilité des entreprises, englobant les droits humains, la lutte contre la corruption, la protection de l'environnement.

Il est temps de passer des intentions aux actes ! Le texte de la commission est insuffisant, qui ne prévoit aucune sanction et multiplie les dérogations au principe de vigilance.

Pourtant, le moins-disant généralisé pénalise notre économie : c'est une incitation permanente aux délocalisations et à l'abaissement de nos standards sociaux. Les craintes du rapporteur sont excessives. Nous ne sommes pas les seuls à agir dans ce sens. La notion de responsabilité du fait d'autrui existe déjà en droit de la concurrence, en droit comptable, en droit bancaire ou en droit du travail. Elle n'est pas punitive. Elle n'est pas inconstitutionnelle : l'obligation de vigilance existe ailleurs, et l'obligation est de moyens et non de résultat. Quant à l'amende de 10 millions d'euros, le Conseil constitutionnel a estimé la proportionnalité acceptable ; en tout état de cause, c'est un plafond, le juge appréciera.

Cessez de diaboliser ce texte : c'est une avancée ambitieuse et raisonnée, qui reprend le flambeau de la lutte contre les formes modernes d'esclavage.

Quand réunirez-vous la CMP, monsieur le ministre ? Fidèles aux valeurs humanistes de la France, nous assumons notre responsabilité pour éclairer le chemin vers un nouvel âge de la mondialisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste, républicain et citoyen et RDSE)

Mme Évelyne Didier.  - Excellent !

Mme Élisabeth Lamure .  - Il est toujours malaisé d'analyser froidement des initiatives qui ont l'apparence de la supériorité morale.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Très bien.

Mme Élisabeth Lamure.  - À première vue, il s'agit d'un texte inoffensif, voire salutaire. Qui n'a pas été choqué par le naufrage de l'Erika ou le scandale du Rana Plaza ?

Pour autant, ce texte est imprécis juridiquement et met à mal la stabilité juridique des entreprises dans un climat concurrentiel. Les entreprises ne pourront prouver qu'elles respectent leurs engagements. Le risque de contentieux est élevé.

Entre 146 et 243 entreprises sont concernées, chiffres auxquels il faut ajouter leurs filiales : cela paraît peu mais concerne 4 millions de salariés, 33 % de la valeur ajoutée produite en France, 50 % du chiffre d'affaire à l'export. L'impact potentiel est considérable.

L'échelle pertinente pour une telle législation est l'échelle européenne, car la responsabilité sociale dépasse les frontières. Pourquoi la France a-t-elle tant tardé à transposer la directive du 22 octobre 2014 ?

Beaucoup d'entreprises françaises sont très engagées : 47 % d'entre elles ont un management RSE, ce qui fait de la France un leader.

Je regrette l'état d'esprit de ce texte, qui soupçonne au lieu de faire confiance. Or le président de la République le disait au salon Planète PME, les entrepreneurs prennent des risques pour que le pays soit plus fort, crée plus d'emplois et de richesses. Il disait souhaiter une relation de confiance. Or la confiance se construit sur des actes. Je voterai le texte de la commission des lois. (Applaudissements à droite)

M. Jérôme Durain .  - J'ai lu avec intérêt le rapport de M. Frassa, surpris par son changement d'attitude après son approche nihiliste en première lecture. Il a en effet changé son fusil d'épaule : il ne s'agit plus d'empêcher une nouvelle législation de naître, mais de faire en sorte qu'elle ne change rien. Point de bâton pour les entreprises, le laissez-faire règne. Quel est l'objectif d'une telle réécriture ?

Certains semblent pressés d'en finir avec ce débat qui pourrait être source de « perturbations dans les relations économiques et contractuelles ». Le Rana Plaza est-il une épine dans le pied pour vous ? On en oublierait que cette proposition de loi a vocation à sauver des vies, à préserver l'environnement !

Des initiatives similaires ont été prises dans de nombreuses démocraties : un referendum en Suisse, un Anti-slavery Act - titre éloquent - au Royaume-Uni, l'exclusion du Bangladesh d'un dispositif de suppression des taxes par les États-Unis.

Notre attitude n'est pas du gauchisme de salon ; c'est la prise de conscience que la mondialisation sans frein n'a aucun sens, sinon instaure le règne de l'oligarchie, comme disait Thomas Guénolé. Sans règle, c'est la jungle. Il faut, face à elle, parfois user du bâton.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Où est votre bâton ?

M. Jérôme Durain.  - Je note que le décret Montebourg, tant décrié, inspire aujourd'hui le Gouvernement britannique à durcir le contrôle des investissements étrangers.

La loi Potier permettra d'éviter un nouveau Rana Plaza.

Je suis fier de la position de mon groupe de restaurer la version de l'Assemblée nationale. (On approuve sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Les citoyens, les entreprises veulent du concret. Les députés de tous groupes sont prêts au progrès. Notre consommation ici ne doit pas reposer sur l'exploitation d'hommes et de femmes là-bas. J'entends déjà les rafales d'arguments que prépare le prochain orateur (Sourires à gauche), mais je préfère pour ma part envisager un commerce international où les salariés de Dassault et les ouvriers au Bangladesh jouiraient d'une égale dignité au travail ! (Vifs applaudissements à gauche)

M. Martial Bourquin.  - Excellent !

M. Serge Dassault .  - Venez donc voir dans la société Dassault comment sont traités les salariés : la moitié des bénéfices sont consacrés à la participation ! Cette proposition de loi est extrêmement dangereuse pour toutes les entreprises, pour les grands groupes comme pour les PME mais aussi globalement pour la France, son économie et son attractivité.

La France n'est pas responsable de tous les problèmes du monde entier ; elle cherche à vendre ses produits. Ce n'est pas son travail de savoir comment se comportent ses sous-traitants ! (Marques d'indignation à gauche)

Une entreprise choisit ses sous-traitants pour ses prix, pas pour son respect des normes qu'elle ne connaît pas. L'amende que la proposition de loi prévoit n'existe nulle part ailleurs dans le monde. Elle pourrait mener des PME à la faillite.

M. Alain Néri.  - Qui vend les Rafales ? Nous !

M. Serge Dassault.  - Les entreprises n'ont aucune information sur les normes applicables dans les différents pays. Elles ne sont pas responsables des problèmes humanitaires !

M. Yannick Vaugrenard.  - Incroyable !

M. Serge Dassault.  - Cette initiative franco-française entraînera une distorsion de concurrence, une inflation des coûts et des risques juridiques.

Quels effets pourraient avoir un tel texte sur la compétitivité de la France, qui sera seule à appliquer de telles règles ? Une perte de compétitivité. Que fait Bruno Le Roux ? Pourquoi entraver les entreprises par des normes stupides ? Elles partiront toutes et il ne restera que des chômeurs !

M. Yannick Vaugrenard.  - C'est vous qui devez partir !

M. Serge Dassault.  - Arrêtez de mettre des bâtons dans les roues des entreprises ! (Indignation à gauche, applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Jean-Marc Gabouty .  - Quelle est la vraie portée de cette loi ? L'effectivité des mesures de vigilance sur des chaînes d'approvisionnement en cascade est douteuse.

Cette proposition de loi est plus incitative et pédagogique qu'opérationnelle. Il n'est pas utile d'anticiper une directive européenne qui a pour seul effet de créer des obligations supplémentaires alors que notre économie a besoin de simplification.

On demande plus d'éthique aux entreprises qu'aux États ; on pourrait remettre en cause des accords commerciaux ou fiscaux que l'État a signés avec des pays comme le Qatar, l'Arabie saoudite, ou le Koweit, sans se demander quelle était la situation des droits de l'homme. Qu'il balaie devant sa porte !

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste.

Rédiger ainsi cet article :

Après l'article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 225-102-4. - I. - Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance.

« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d'atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires

M. Joël Labbé.  - Cet amendement rétablit le texte initial.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Ne refaisons pas le débat. Avis défavorable.

M. Michel Sapin, ministre.  - Ce texte aurait besoin de précisions juridiques, mais vu l'attitude peu coopérative de la majorité sénatoriale, il vaut mieux revenir au texte de l'Assemblée nationale pour améliorer vraiment la rédaction au Palais Bourbon.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Je ne peux pas vous laisser dire que nous n'aurions pas été coopératifs. Nous voulions nous opposer à ce texte et avons voulu le rendre viable en seconde lecture. Il est plein de bons sentiments, mais ce n'est pas les bons sentiments qui font les bonnes lois.

Ce texte est inapplicable. Il instaure une obligation de moyens très vague... Ce sera au juge de décider le niveau d'exigence. Le Conseil constitutionnel y verra certainement un cas d'incompétence négative. Ce texte est donc inefficace, c'est un discours compassionnel mis en forme législative. Il ne sert donc à rien.

Je salue donc les efforts de notre rapporteur pour le sauver. (Applaudissements à droite)

Mme Évelyne Didier.  - Nous n'avons pas déposé d'amendements en seconde lecture, considérant que cela ne servirait à rien, et nous comptons que l'Assemblée nationale rétablira son texte.

J'ai trouvé très intéressant le débat, et en particulier l'intervention de M. Dassault. Elle montre que l'attitude en deuxième lecture de la majorité n'est là que pour masquer l'attitude archaïque de la première. Il n'y a eu aucune conversion de sa part.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par M. Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.

I.  -  Alinéa 1

Remplacer la référence :

L. 225-102-1

par la référence :

L. 225-102-3

et la référence :

L. 225-102-1-1

par la référence :

L. 225-102-4

II.  -  Alinéas 2 à 12

Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 225-102-4. I. -  Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance.

« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d'atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Les mesures du plan visent également à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société et des sociétés qu'elle contrôle.

« Le plan de vigilance est rendu public et inclus dans le rapport mentionné à l'article L. 225-102.

« Un décret en Conseil d'État précise les modalités de présentation et d'application du plan de vigilance, ainsi que les conditions du suivi de sa mise en oeuvre effective, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale.

« II -  Toute personne justifiant d'un intérêt à agir peut demander à la juridiction compétente d'enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, d'établir le plan de vigilance, d'en assurer la communication au public et de rendre compte de sa mise en oeuvre conformément au I.

« Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. »

M. Didier Marie.  - Cet amendement rétablit le plan de vigilance qui est au coeur de la proposition de loi. Prévenir les atteintes aux droits de l'homme, aux libertés fondamentales, les risques humanitaires ou la corruption... Nous savons bien ce que sont ces risques, leur définition juridique est claire.

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 2

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Art. L. 225-102-1-1.  -  Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé et qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, avec leurs filiales directes et indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l'étranger, réalisent...

II.  -  Alinéa 3

Supprimer les deuxième, troisième et quatrième occurrences du mot :

risques

III.  -  Alinéa 10, seconde phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas tenues de rendre compte des informations prévues au présent article dès lors que ces informations sont publiées de façon consolidée par la société qui les contrôle au sens de l'article L. 233-3.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Amendement de clarification rédactionnelle.

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par M. Gabouty.

Alinéa 2 

Après le mot :

qui

insérer les mots :

, au vu de leurs états financiers consolidés

M. Jean-Marc Gabouty.  - Cet amendement précise la notion de comptes consolidés afin de mieux couvrir le périmètre financier de la société mère. Quant à la notion de chiffre d'affaires net, elle n'a aucun sens.

M. le président.  - Amendement n°11 rectifié, présenté par M. Gabouty.

Alinéa 2

I.  -  Supprimer les mots :

total de

II.  -  Après le mot :

bilan

insérer le mot :

consolidé

III.  -  Supprimer le mot :

net

IV.  -  Après le mot :

affaire

insérer le mot :

consolidé

M. Jean-Marc Gabouty.  - Amendement de repli.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par MM. Collin et Requier.

Alinéa 2

Remplacer le mot :

affaire

par le mot :

affaires

M. Yvon Collin.  - Cet amendement corrige une faute d'orthographe. Victor Hugo l'a dit : « La forme, c'est le fond qui remonte à la surface. »

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.

Après l'alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article s'applique également aux établissements de crédit, aux entreprises d'assurance et de réassurance, aux institutions de prévoyance et à leurs unions et aux mutuelles et à leurs unions mentionnés aux 1° à 4° du III de l'article L. 820-1 lorsqu'ils dépassent, à la clôture de deux exercices consécutifs, les seuils prévus au premier alinéa du présent article.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Cet amendement complète le périmètre des « entités d'intérêt public » soumises à l'obligation de publier des informations sur les principaux risques sociaux et environnementaux et sur les mesures de vigilance prises afin de les prévenir.

Avis défavorable à l'amendement n°2 rectifié. Les mentions prévues par les amendements nos10 et 11 rectifié ne sont pas utiles : des seuils sont déjà prévus. Elles pourraient aussi être source de confusion à cause du périmètre des comptes consolidés. Mon amendement n°12 clarifie ce dispositif. Avis très favorable à l'amendement n°7 qui corrige une faute d'orthographe - ce que la division des lois aurait fait d'elle-même. Je déduis de son dépôt que le RDSE soutient notre rédaction de ce texte.

M. Michel Sapin, ministre.  - Avis favorable à l'amendement n°2 rectifié, avis défavorable aux autres amendements, sauf à l'amendement n°7 de correction orthographique.

M. Henri Cabanel.  - Estonie, Lituanie, Royaume-Uni, Portugal, Grèce : ces pays et d'autres ont demandé à la Commission européenne un texte sur la responsabilité des entreprises à l'étranger. La réécriture du texte par la commission des lois le vide de sa substance.

La responsabilité sociale et environnementale est née chez les grandes entreprises elles-mêmes. Le Conseil d'État y voit une vraie avancée. Est-il nécessaire de rappeler les scandales Nike et Reebok dans les années 90 ou Nestlé en Côte d'Ivoire ?

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°12 n'est pas adopté.

L'amendement n°10 n'a plus d'objet.

L'amendement n°11 rectifié est retiré.

L'amendement no7 est adopté, ainsi que l'amendement n°13

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le juge peut prononcer une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros. Cette amende n'est pas une charge déductible du résultat fiscal. »

M. Didier Marie.  - Cet amendement rétablit l'amende civile prononcée par le juge contre une entreprise ayant manqué à ses obligations de vigilance.

Cela n'est pas disproportionné. Le texte fixe un plafond de 10 millions d'euros : cela pèsera sur les très grands groupes qui sont concernés. C'est de prévention qu'il s'agit. La seule incitation ne suffit pas. Nous souhaitons un dispositif complet. Les craintes de la commission des lois me semblent infondées. Il y aura des ajustements.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Le Gouvernement ne pourra pas nier que l'instauration d'une telle amende civile pose des problèmes constitutionnels. Au-delà : comment peut-on vouloir faire de la prévention avec des amendes ? Notre divergence de vues est radicale. Je préfère la prévention aux sanctions.

Mme Évelyne Didier.  - Et si les entreprises ne respectent pas leurs obligations ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Vous préférez une approche coercitive. Dites-le ! Ne déguisez pas cela derrière la prévention.

Mme Évelyne Didier.  - Le plan de vigilance, c'est de la prévention !

M. Michel Sapin, ministre.  - Avis favorable ou rétablissement du texte. Je ne nie pas qu'il pose des problèmes constitutionnels mais cela pourra être corrigé à l'Assemblée nationale.

M. Didier Marie.  - Je ne peux pas laisser passer les propos caricaturaux du rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - C'est le texte qui est caricatural !

M. Didier Marie.  - 80 % des entreprises du CAC 40 sont déjà engagées dans des mesures proches de celles que nous voulons établir. Avec ce texte, on peut imaginer que presque toutes s'y mettront. Mais on peut prévoir qu'une ou deux ne seront pas responsables et il faudra bien les sanctionner.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLE 2 (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l'article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 225-102-5 -  Le non-respect des obligations définies à l'article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du code civil.

« L'action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l'article L. 225-102-4 du présent code.

« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n'est pas une charge déductible du résultat fiscal.

« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci, selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

« La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte. »

M. Didier Marie.  - Cet amendement rétablit l'article 2, dont la portée juridique est remise en cause par la commission des lois. Le juge devra établir une faute, un préjudice et un lien entre les deux. Les entreprises ne seront pas menacées par un contentieux si elles établissent un plan avec des mesures raisonnables. Les craintes de la commission des lois sont excessives.

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l'article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 225-102-5.  -  Le non-respect des obligations définies à l'article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1240 et 1241 du code civil.

« L'action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l'article L. 225-102-4 du présent code.

« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n'est pas une charge déductible du résultat fiscal.

« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci, selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

« La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte. »

M. Joël Labbé.  - C'est le même.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - L'article 2 a une portée juridique incertaine. Selon les personnes entendues, soit c'est un rappel du droit existant, soit c'est l'introduction d'une nouvelle responsabilité à l'égard des agissements de ses sous-traitants, auquel cas cela pose des problèmes de constitutionnalité, car il ne s'agit en rien d'une simple obligation de moyens.

M. Michel Sapin, ministre.  - Avis favorable.

M. Martial Bourquin.  - Notre rapporteur nous donne des leçons de droit, mais il confond filiales et sous-traitants ! La majorité des groupes du CAC 40 considèrent que l'éthique est un élément de compétitivité. La France ne restera pas isolée. Notre but, c'est d'entrainer les autres pays. Chaque jour, des milliers d'enfants meurent. Ne l'oublions pas. Il y a, à travers le monde, des comportements inacceptables, cautionnés par une volonté de cécité ici, au pays des droits de l'homme. Se cacher derrière le droit n'est pas très élégant.

L'amendement n°5 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°9 rectifié.

L'article 2 demeure supprimé.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.

Rédiger ainsi cet article :

Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.

L'amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l'euro.

M. Didier Marie.  - Amendement de coordination.

L'amendement n°6, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Marie et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Didier Marie.  - Amendement de coordination.

L'amendement n°1, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.

Après la référence :

L. 225-102

insérer les mots :

du même code

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Amendement rédactionnel.

L'amendement n°14, repoussé par le Gouvernement, est adopté.

L'article 4 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Sueur .  - Ce texte est très important. Il témoigne de notre volonté que les sociétés mères soient responsables de leurs filiales, dans un monde où les accidents et l'exploitation sont fréquents.

Cette fois, le rapporteur préfère édulcorer le texte plutôt que d'en supprimer tous les articles un à un comme en première lecture. Je lui donne acte de ce changement de méthode.

La France montrera-t-elle le chemin ? Telle est la question alors que des initiatives similaires se font jour partout. Monsieur le ministre, Victor Schoelcher était assis dans le fauteuil juste derrière vous. On lui disait que l'abolition de l'esclavage en France seulement pénaliserait les entreprises françaises. Nous avons entendu aujourd'hui le même argument. Victor Schoelcher a tenu bon, nous aussi, car nous voulons montrer le chemin.

M. Jean-Marc Gabouty .  - La culpabilisation utilisée par M. Sueur est déloyale. Au lieu de faire de grandes déclarations et de se faire plaisir en établissant des règles dont l'application ne sera pas contrôlée, on devrait s'intéresser à la possibilité d'introduire ces notions éthiques dans les critères d'attribution des marchés publics. Je sais bien que c'est du domaine réglementaire mais ce serait efficace. Le texte du Sénat est plus modeste que la proposition de loi mais plus proche des réalités. Vous voulez de l'idéal, notre approche est concrète.

Mme Évelyne Didier .  - Je souhaite saluer les syndicalistes qui ont rencontré les salariés syndiqués, de Rana Plaza : je mets beaucoup d'espoir dans leur action. J'ai également travaillé avec les ONG et les associations de consommateurs. Il ne s'agit pas de se faire plaisir, de se donner bonne conscience ! Dire cela c'est faire fi de nos convictions. Merci à M. Dassault d'avoir clarifié les choses. (Applaudissements à gauche)

M. Joël Labbé .  - N'est-ce pas une forme d'esclavage de faire travailler pour trois fois rien, parfois des enfants, pour notre confort - enfin, le confort de ceux qui peuvent encore se le permettre ? Vous parlez de bonne conscience ? C'est une insulte à ceux qui se battent. Amnesty international, Les amis de la terre, Sherpa... la société civile organisée représente une part importante de l'opinion publique.

Nous voterons contre cette rédaction qui a vidé le texte de sa substance. (Applaudissements à gauche)

M. Didier Marie .  - Merci à nouveau au Gouvernement d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour, faute de quoi il n'aurait sans doute pas pu aboutir. J'espère que le texte sera adopté rapidement pour qu'un décret puisse être pris avant la fin de la législature.

Le discours de M. Dassault clarifie la position politique de la majorité sénatoriale, pour qui la compétitivité prime sur l'éthique... Pour nous, elles sont compatibles. Mieux encore, les consommateurs exigent la transparence et le respect des droits de l'homme. Nul n'accepterait d'acheter un T-shirt tâché du sang des travailleurs exploités. De plus, en renforçant l'éthique, on limite l'incitation à délocaliser et à abaisser nos standards.

M. Gérard Longuet .  - Je soutiens le texte de la commission des lois. Lors de la création de l'OMC, les pays en voie d'industrialisation s'étaient élevés contre l'imposition de normes sociales ou environnementales car ils y voyaient une forme de concurrence déloyale de la part des pays déjà industrialisés. Vous parlez de Victor Schoelcher ; souvenez-vous qu'à la même époque, il y eut l'enquête de Villermé.

Le décalage économique suppose des phases de démarrage qui imposent des sacrifices. Le juge de paix, dans tous les cas, sera l'attitude des consommateurs. C'est un facteur plus déterminant qu'une loi. Nous avons la responsabilité de l'industrie française et devons faire vivre les salariés.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Je regrette que nous sombrions dans le jeu politique. Le Sénat affirme une volonté forte en transposant la directive européenne de 2014. C'est l'essentiel.

M. Yannick Vaugrenard .  - M. Longuet nous dit en substance : c'est ainsi, et cela ne changera jamais. Le développement économique serait cruel et la question sociale secondaire. C'est faire peu de cas des milliers de femmes et d'enfants qui meurent, exploités au travail.

Lors de l'abolition de l'esclavage, les termes du débat étaient déjà les mêmes. Résolument la gauche est au côté de Victor Schoelcher ou de Victor Hugo ! « L'homme n'est pas fait pour traîner des chaînes mais ouvrir des ailes. » Ouvrons-lui les ailes aujourd'hui ; pas demain ou après-demain.

M. Martial Bourquin .  - Pour une entreprise, il est plus simple de recourir à des sous-traitants qui exploitent leurs salariés dans le tiers-monde, que de moderniser ses usines. Une prise de conscience a eu lieu et certaines entreprises constatent les limites de cette logique et réinvestissent en France.

Ce débat n'est pas un jeu de posture ! Des vies sont en jeu comme l'a montré le Rana Plazza. Nous sommes fiers de défendre le texte de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - De grâce, pas de caricature ! Les partisans du texte de la commission des lois ne sont pas insensibles, ni partisans de l'esclavage.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les arguments sont les mêmes !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Ce texte est un coup d'épée dans l'eau, inefficace. Croyez-vous qu'un plan de vigilance - sans substance d'ailleurs - changera quelque chose ?

Mme Évelyne Didier.  - Donc, il faut en faire moins ?

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nous ne préconisons pas de ne rien faire ; nous sommes saisis d'un texte inopérant et contraire à la Constitution. Vous êtes d'ailleurs les premiers à appeler au respect de l'État de droit en d'autres occasions ! Ce ne sont pas des arguties juridiques ! Le rôle du législateur est de légiférer, non de mettre en forme un programme politique.

M. le président.  - Il est temps de conclure.

M. Philippe Bas, président de la commission. Je puis aussi bien m'asseoir et redemander immédiatement la parole. Vous devrez la donner au président de commission que je suis.

M. le président.  - Ne créons pas de problème à plaisir.

Le texte de la proposition de loi, ainsi modifiée, est adopté.

La séance est suspendue à 12 h 45.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.