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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



CMP (Nominations)

Débat sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France

Mme Corinne Féret, présidente de la mission d'information

Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la mission d'information

Mme Éliane Assassi

M. Michel Amiel

M. François Zocchetto

Mme Esther Benbassa

Mme Corinne Féret

M. André Reichardt

Mme Nathalie Goulet

M. Jacques Bigot

Mme Chantal Deseyne

Mme Colette Giudicelli

M. David Rachline

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Déclaration du Gouvernement sur les opérations extérieures de la France

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

M. Bernard Vera

M. Jean-Noël Guérini

M. Joël Guerriau

Mme Leila Aïchi

M. Jeanny Lorgeoux

M. Robert del Picchia

M. David Rachline

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes

Engagement de la procédure accélérée

Mises au point au sujet d'un vote

Débat préalable à la réunion du Conseil de l'Europe des 20 et 21 octobre 2016

Orateurs inscrits

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes

M. Jean-Claude Requier

M. Yves Pozzo di Borgo

M. André Gattolin

M. Simon Sutour

M. Pascal Allizard

M. David Rachline

M. Michel Billout

M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Harlem Désir, secrétaire d'État

Débat interactif

Mme Pascale Gruny

Mme Patricia Schillinger

M. Michel Billout

M. Henri Tandonnet

M. Gérard Bailly

M. Roland Courteau

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

CMP (Candidatures)

Débat sur l'eau et les milieux aquatiques

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Henri Tandonnet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Rémy Pointereau, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Henri Tandonnet

M. Hervé Poher

M. Jean-Yves Roux

Mme Évelyne Didier

M. Jean-Claude Requier

M. Daniel Gremillet

Mme Annick Billon

M. Claude Bérit-Débat

M. François Bonhomme

M. Jean-Jacques Lozach

Mme Patricia Morhet-Richaud

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville

CMP (Nominations)

Ordre du jour du jeudi 20 octobre 2016




SÉANCE

du mercredi 19 octobre 2016

9e séance de la session ordinaire 2016-2017

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Secrétaires : M. François Fortassin, M. Jean-Pierre Leleux.

La séance est ouverte à 14 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d'une commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'égalité et la citoyenneté.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mardi 18 octobre après-midi prennent effet.

Débat sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la mission d'information sur l'organisation, la place et le l'organisation, la place et le financement de l'islam en France.

Mme Corinne Féret, présidente de la mission d'information .  - C'est avec honneur que j'ai accepté de présider pendant six mois cette mission d'information. Je profite de ce débat pour remercier tous ses membres, qui ont rendu possible un travail de qualité, sérieux et étayé. Collégialité, vigilance, rigueur, transparence en sont les maîtres mots. Nous avons auditionné durant 80 heures, 115 personnalités, entendu de nombreux experts, mais nous regrettons de n'avoir pu vous recevoir, monsieur le ministre, pour des raisons d'agenda.

Les membres de la mission d'information se sont déplacés en France bien sûr, mais aussi à Londres, Rabat, Alger. Nous avons inscrit nos travaux dans le strict cadre de la loi de 1905. Celle-ci a certes été élaborée dans un contexte tout différent, où l'islam était une religion marginale, alors qu'elle est aujourd'hui la deuxième. La loi de 1905 est-elle toujours adaptée à la présence des musulmans en France ? Nous répondons clairement oui : la laïcité est ce qui garantit l'exercice de tous les cultes. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) nous l'affirmait : « la loi de 1905 appartient à l'ADN des musulmans de France ».

Nous avons voulu aborder tous les sujets : formation des imams, financement, enseignement privé musulman...

Nous traçons des pistes vers un islam de France. L'islam a toute sa place dans la République. Dans un esprit d'ouverture, nous avons voulu faire progresser la connaissance et formuler des propositions réalistes et pragmatiques.

Adopté le 5 juillet à l'unanimité, notre rapport témoigne que les choses avancent, et dans la bonne direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean Desessard applaudit également)

Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la mission d'information .  - Quelle aventure fut cette mission d'information ! Aventure pour obtenir sa création ; ensuite, pour aborder l'islam comme un sujet normal dans un contexte qui ne l'est pas.

Je veux d'abord remercier le président Zocchetto d'avoir accepté ce sujet et remercier nos collègues qui ont rendu possible cette unanimité... ainsi que Bariza Khiari pour la lumineuse audition qu'elle nous a offerte.

Travailler à quatre mains avec un co-rapporteur n'était pas de trop ! Lorsque nous avions conclu les travaux de la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, les divergences étaient manifestes.

Les membres Les Républicains et UDI-UC avaient légitimement publié une lettre divergente pour pointer l'absence de développements sur la formation des imams ou le financement des lieux de culte. Le rapport de la présente mission comble opportunément nos lacunes. Sur la filière halal par exemple : tout le monde en parle mais très peu connaissent le sujet ; nous y avons consacré des dizaines d'heures d'auditions, pour conclure qu'une taxe n'est pas souhaitable, mais une redevance pour service rendu confiée au CFCM. Il faut aider le conseil à la mettre en place puisqu'il manque de moyens ; M. Macron a proposé la participation des services de l'État : où en est-on, monsieur le ministre, en particulier sur le calibrage de cette redevance ? Nous avons en outre bien étudié l'islam des consulats : 315 imams fonctionnaires d'États étrangers sont présents sur notre territoire, relevant de ministères religieux qui entretiennent des différends. Il faudra mettre un terme à cela. C'est un sujet majeur. Merci encore à tous nos collègues pour leur implication dans ces travaux indispensables ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Éliane Assassi .  - Le 16 février 2015, notre groupe avait manifesté son refus de participer aux travaux de cette mission, craignant qu'ils jettent un nouveau discrédit sur la population musulmane de notre pays. L'intitulé original de la mission contribuait à ce risque. Celui-ci a changé, mais notre jugement demeure : l'initiative est inopportune, source d'amalgames et de stigmatisations. Je regrette seulement que le rapport ne fasse aucune place à une explication de notre position.

Les attentats commis sur notre territoire, nous continuons à le croire, sont des actes politiques, justifiés par une conception déformée de l'islam. La majorité des musulmans ont été horrifiés ! Dans une période troublée, notre rôle est de rassembler les Français, de panser les plaies et d'empêcher que de tels actes soient commis de nouveau. Ce n'est pas le cas d'une taxe halal !

J'ai depuis toujours combattu le prosélytisme et promu la laïcité. Mais qu'entendre par ce terme ? Renvoyer à d'hypothétiques attaches judéo-chrétiennes n'a pas de sens. Je vois pour ma part trois composantes dans la laïcité : la liberté de conscience, la liberté des droits et la souveraineté du peuple. La laïcité est un principe émancipateur, lié à la souveraineté populaire : c'est moins l'interdiction d'une attitude religieuse qu'un principe démocratique fondant le Gouvernement du peuple par le peuple.

Malheureusement, les médias ont certaines idéologies -  de M. Zemmour à de Villiers, en passant par Mme Morano et M. Wauquiez  - et la volonté de rébellion de jeunes radicalisés est confondu avec la religion qu'est l'islam. Le débat sur la région doit exister ; les prières de rue ne sont certes pas ma tasse de thé, pas plus que les longues prières des « veilleuses » il y a deux ans... La mission d'information a mêlé vraies et fausses questions, financement de mosquées par l'Arabie Saoudite et alimentation halal.

La religion ne tient pas une place aussi importante qu'on le dit chez ceux que l'on désigne comme musulmans. Cette confusion, entretenue sous le mandat de M. Sarkozy, n'a malheureusement pas été endiguée par le président Hollande.

Rien de nouveau dans ce rapport. Je m'étonne, surtout, de ne pas y lire un seul mot sur le refus de certains jeunes d'accepter les discriminations, ni sur la surpopulation carcérale et les relations nouées lors de contacts qui auraient pu être évités... Il est aisé d'entretenir par une telle vision biaisée l'idée d'un choc des civilisations.

Nous ne regrettons pas de n'avoir pas participé à ces travaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Esther Benbassa applaudit également)

M. Michel Amiel .  - La question est : l'islam est-il compatible avec la laïcité dans la République française ? Accepte-t-il la séparation du spirituel et du temporel, annoncée par le « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », prélude au désenchantement du monde conceptualisé par Marcel Gauchet ?

La confrontation entre « un islam des Lumières » et une lecture radicale du Coran existe depuis les premiers siècles de cette religion : voyez Averroès, qualifié d'hérétique au XIIe siècle par les conservateurs du Coran - dont le wahhabisme a pris la suite, qui prétend revenir à un « islam pur ».

Dans une république laïque, l'islam, non plus que n'importe quelle autre religion, ne saurait prétendre à jouer un rôle politique. Certes, il y a la piste concordataire, réalité en Alsace-Moselle, mais qu'on ne saurait ni supprimer, ni étendre.

D'abord, comment organiser un dialogue avec une religion dépourvue de clergé, comme d'organisation centralisée ? Le CFCM n'est pas perçu comme représentatif par tous les musulmans.

Ensuite, la formation des imams. Le CFCM travaille à une charte. Elle doit selon moi s'accompagner de l'engagement de respecter les lois de la République. La loi de 1905 punit d'emprisonnement toute incitation publique à résister à l'application des lois. Elle impose la neutralité de la République, non celle des citoyens.

Une difficulté, en matière de formation, est de savoir si l'on parle d'une formation républicaine, ou théologique. Autre difficulté : si la langue sacrée de la religion musulmane est l'arabe, rien n'interdit les prêches en français, et les imams doivent s'adapter à la culture et donc la langue du pays.

Troisième sujet : le financement du culte. Que les financements viennent des fidèles en France ou de l'étranger, la Fondation pour les oeuvres de l'islam de France, fondée en 2005 par Dominique de Villepin, me semble le meilleur véhicule. Quant à la taxe halal, une redevance sur l'abattage serait plus appropriée, elle aurait le mérite de la clarté.

Comme dirait Spinoza, « je me suis abstenu (...) de prendre en pitié ou en haine les actions humaines, je n'ai voulu que les comprendre ». L'ambassadeur du royaume d'Arabie Saoudite en France nous disait que le musulman devait respecter les lois du pays dans lequel il vit. Encore faut-il mettre les actes en conformité avec les paroles... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du groupe RDSE, au centre et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. François Zocchetto .  - Notre groupe a fait usage de son droit de tirage après les attentats et, à lire ce rapport, nous ne saurions le regretter.

Comment faire de l'islam organisé un rempart contre l'islam dévoyé ? La radicalisation se fait certes en dehors des mosquées, mais au nom de l'islam. L'organisation de celui-ci est donc un enjeu fondamental. Monsieur le ministre, vous l'avez bien perçu, puisque vous avez fait des propositions qui reprenaient les nôtres - je m'en réjouis.

Je veux malgré tout rendre hommage au CFCM qui mérite d'être aidé et soutenu. Sa représentativité gagnerait à être renforcée. Votre assistance technique, monsieur le ministre, serait utile.

Nous avons besoin d'un islam de France, d'un islam de dialogue, à côté de l'islam des consulats. Je ne crois pas que nos problèmes soient seulement dus à l'échec de politiques intérieures. Et les musulmans eux-mêmes doivent interroger la façon dont ils peuvent vivre dans notre République laïque.

Maintenir une frontière entre pratique religieuse et fanatisme est un défi redoutable qu'il nous appartient de relever, car entre les bourreaux et les victimes, il y a le peuple français, qui comprend de nombreux musulmans. Tous veulent vivre leur foi en paix dans le respect des valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et à droite)

Mme Esther Benbassa .  - Ce rapport est d'abord pour moi, historienne des religions, un document anthropologique intéressant. Il s'apparente aux démarches ayant pris au siècle des Lumières les Juifs pour objet.

« Islam en France », « Islam de France », qu'est-ce que cela change ? Les deux vont de pair ! Je souhaite d'ailleurs la cristallisation d'un islam européen. Le terme communauté souffre d'une semblable confusion.

Les rapports de la France avec l'islam remontent à la colonisation de l'Algérie en 1830, puis aux années soixante avec l'arrivée de cette religion en métropole avec l'immigration.

Le nombre de citoyens français musulmans est estimé à cinq millions ; si 46 % d'entre eux ont un système de valeurs en adéquation avec la République, 28 % n'adhèrent pas aux valeurs républicaines, selon l'institut Montaigne. Ses enquêtes révèlent la fragmentation de cette communauté, et les tensions entre ressortissants maghrébins et turcs, par exemple. Dans ce contexte, le CFCM est une instance de dialogue nécessairement fragile.

Les sujets soulevés par le rapporteur sont réels ; on ne s'émeut toutefois de ces problèmes qu'après des attentats, c'est dommage.

L'État seul ne peut rien. Si rien ne se passe à l'intérieur des groupes musulmans, il ne faut pas espérer de grands changements. Le judaïsme, au XIXe siècle, a évolué parallèlement avec les mouvements réformateurs non juifs. C'est ainsi qu'ils ont convergé dans la néoorthodoxie ou la réforme.

La formation des imams, fort bien, mais pas tant pour leur enseigner les valeurs de la République que celles du livre, autrement dit la théologie. Créons dès lors des centres d'études de la théologie musulmane - à Strasbourg par exemple, terre concordataire : nous formerions les théologiens qui manquent aujourd'hui.

On ne saurait traiter les problèmes de demain avec les solutions d'aujourd'hui. Innovons. Ce sera long, mais pas impossible. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Corinne Féret .  - Permettez-moi de revenir sur la formation des imams. L'absence de clergé hiérarchisé est une première difficulté. La présence d'imams déracinés, maîtrisant mal le français, ne comporte pas en soi de risque de radicalité ; mais leur manque de connaissances complique la relation avec les fidèles, en particulier les jeunes, et avec les autorités. Avoir des cadres religieux formés en France est préférable.

Les choses avancent, sur la définition des parcours de formation des imams par le CFCM notamment. Quant à la formation profane, les universités proposent désormais 17 diplômes dédiés, ils seront rendus obligatoires pour les aumôniers pénitentiaires de toutes confessions. Une mission est en cours pour des cursus d'islamologie à l'université, dès la prochaine rentrée : c'est une bonne chose.

Je veux tordre le cou à un mythe : le financement des mosquées est assumé majoritairement par les fidèles de France ; marginalement par des États étrangers. Il n'est donc pas un problème majeur aujourd'hui.

La mission d'information préconise plutôt une redevance pour service rendu qu'une taxe halal, que Bercy juge impossible à mettre en place. Le CFCM a commencé à y travailler.

La mission préconise également de faire transiter tous les financements étrangers par une fondation unique telle que la FOIF créée en 2005, hélas mort-née. Nous faisons désormais le même pari que vous, monsieur le ministre.

Les établissements d'enseignement privé ne peuvent contractualiser avec l'État qu'au bout de cinq ans d'existence : ils sont donc aujourd'hui majoritairement hors contrat. Dans le projet de loi Égalité et citoyenneté, un régime d'autorisation préalable a donc été soumis à notre examen. Hélas la droite sénatoriale a préféré une déclaration préalable assortie d'un contrôle uniquement posteriori.

Mme Françoise Laborde.  - Exact !

Mme Corinne Féret.  - Depuis deux ans, vous mettez tout en oeuvre, monsieur le ministre, pour apaiser les relations des musulmans avec les pouvoirs publics, quelles que soient les polémiques que certains essaient de lancer. Nous avons besoin de votre détermination sans faille pour concrétiser cette belle ambition qu'est l'islam de France. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et du RDSE)

M. André Reichardt .  - Co-rapporteur de la mission d'information, je veux d'abord remercier nos collègues de la mission, et particulièrement Corinne Féret et Nathalie Goulet.

L'unanimité moins une abstention sur un tel document n'est pas banale. Organisation, financement du culte, formation des imams, filière halal : notre constat est sans appel, la situation n'est pas satisfaisante.

J'aurais aimé, monsieur le ministre, que vous citiez publiquement notre travail avant d'en reprendre pour partie le contenu... Mais l'essentiel est que nous nous rejoignions sur l'urgence de faire émerger un islam de France. Notre feuille de route forme un tout cohérent, dont chaque élément est fondamental.

Monsieur le ministre, la FOIF dont vous avez souhaité la mise en place, vous le savez, n'empêchera pas des associations sous le régime de la loi de 1901 de recevoir des financements étrangers. Il faudrait donc les soumette à une obligation de certification des comptes dès le premier euro. (Applaudissements à droite)

Même si sa représentation et son mode d'élection peuvent être améliorés, le Conseil français du culte musulman présidé par Anouar Kbibech est une instance fondamentale, le principal interlocuteur des pouvoirs publics. Mais ses moyens sont inexistants et son expertise technique par conséquent limitée.

Quel calendrier avez-vous retenu pour la mise en place de nos mesures, monsieur le ministre ? Les inquiétudes de nos concitoyens ont été renforcées par l'assassinat du père Hamel, l'attentat de Nice mais aussi l'étude de l'institut Montaigne, qui révèle que 28 % des musulmans sondés placent la charia au-dessus des lois ! C'est grave et cela requiert une action urgente, monsieur le ministre, d'intégration, voire de déradicalisation. À défaut, nous donnerons raison à ceux qui assimilent islam et islamisme... Je n'ose imaginer les conséquences que cela aurait dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Nathalie Goulet .  - Je m'exprime à présent au nom de mon groupe. Nous avons voulu mieux comprendre le phénomène ; le rapport ne préconise donc rien, il dresse un état des lieux.

Un quart des personnes auditionnées nous ont dit que l'islam était incompatible avec la République. Pour la moitié d'entre elles, il est compatible avec la République. Pour le dernier quart, toute intervention des pouvoirs publics ne ferait que retarder de dix ans l'auto-organisation des musulmans de France, par un réflexe postcolonial... Chacun a donc pu s'exprimer, on le voit. Et Mme Assassi, en relisant son intervention, verra que c'est elle qui se livre à des amalgames. (Mme Eliane Assassi se gausse)

Sur la construction des lieux de culte, nous disposons de deux bases légales : la loi de 1901 et la loi de 1905, le statut d'association cultuelle et celui d'association culturelle. Le second masque souvent le premier. Nous tenons donc beaucoup à notre amendement à la loi Égalité et citoyenneté, sur la consolidation des comptes des associations loi 1901 qui se comporteraient comme des associations cultuelles. Cela mettrait de l'ordre dans un secteur qui en manque singulièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

M. Jacques Bigot .  - Mme Assassi a dit pourquoi son groupe ne voulait pas prendre part au vote, puis M. Zocchetto a expliqué ses réserves initiales ; nous les avons partagées, au groupe socialiste, mais participer, c'est justement pouvoir s'expliquer, débattre - et je tiens à en féliciter la présidente de la mission d'information, qui a veillé aux équilibres, ainsi que les rapporteurs, qui ont conduit leurs auditions de manière parfois très généreuse : le dialogue a eu lieu, l'analyse menée, avec prudence, pour parvenir à un diagnostic partagé, assorti de préconisations.

Monsieur le Ministre, la difficulté est immense, car l'histoire des relations entre le politique et le religieux dans notre pays est longue et complexe : depuis la Révolution française, il n'y a plus en France de religion d'État ; je le sais d'autant mieux que je suis élu d'un territoire concordataire. Ce concordat fut la première loi établissant la laïcité dans notre pays, bien avant la loi de 1905 qui l'a consolidée sur l'ensemble du territoire de la République, sauf en Alsace-Moselle, et ce n'est en rien une législation allemande, je tiens à le préciser, contrairement à ce que l'on entend dire parfois, mais bien une loi française.

La question se pose donc de l'organisation de l'islam « en » France, sans doute davantage que de l'islam « de » France ? Celui-ci serait-il en effet si différent d'autres formes d'islam ? Je n'en suis pas certain.

Mme Bariza Khiari.  - En effet.

M. Jacques Bigot.  - La question, est plutôt de savoir comment les musulmans peuvent respecter la laïcité tout en voyant garantie la liberté de culte, dans un souci d'équilibre. Les catholiques ont le pape, les protestants, au terme d'un assez long processus historique, leur fédération, dont les représentants sont responsables des seules questions d'organisation, les juifs leur grand rabbin.

Or les musulmans n'ont pas de clergé et les musulmans de France y sont venus essentiellement par l'immigration, même si un grand nombre d'entre eux sont Français. Se pose la question de la formation des imams, financée parfois indirectement, au-delà du Maroc, de l'Algérie et de la Turquie, par des États étrangers qui veulent diffuser une culture bien éloignée de la laïcité - je ne me prononce pas sur leurs conceptions religieuses, étant catholique. Tout de même, songeons au temps qu'il a fallu à la laïcité pour s'acclimater chez nous.

Vient ensuite, le financement des lieux de culte : le rapport comporte des propositions à cet égard.

Comment, enfin, parvenir à faire vivre la laïcité dans une France ouverte au sein de la mondialisation ? On l'a vu encore récemment avec la question de la visite du président russe, venu inaugurer une église orthodoxe à Paris, financée par des fonds étrangers.

La France devra encore se battre pour la laïcité. Après le concordat, après la loi de 1905, le temps n'est-il pas venu que l'État - et j'en parle là en mon nom personnel - se soucie véritablement de l'organisation de la religion en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Gérard Longuet applaudit également)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Estimée à 7,5 % de notre population, la communauté musulmane française est la première d'Europe et l'islam, la deuxième religion française : il est tout à fait légitime que le Sénat se saisisse du sujet.

La mission d'information a mis en évidence la place des pays d'origine dans l'organisation du culte musulman en France, qu'il s'agisse des rapports avec les mosquées, les associations cultuelles eu culturelles qui les gèrent, ou de la désignation et la rémunération des imams.

Le rapport montre qu'il n'existe pas un islam de France mais une diversité d'islams diffusés par des États étrangers. Cette multiplicité contribue à la complexité de la compréhension de l'islam en France et alimente une certaine suspicion quant aux financements étrangers Imagine-t-on la France financer les cultes chrétiens dans des pays musulmans ? Il faut y mettre de l'ordre.

La plupart des imams exerçant en France sont étrangers, trois cents sont directement financés par des États étrangers ; ils connaissent alors mal le français et nos institutions.

Je regrette que la mission d'information n'ait pas repris ma proposition d'une formation universitaire obligatoire pour les imams exerçant en France, sur la langue française et les valeurs de la République - dont l'égalité entre les sexes et la laïcité.

Les aumôniers, depuis le décret du 6 février 1991, sont des contractuels de l'administration ; cependant, rien n'est prévu pour leur formation : puisqu'il s'agit d'agents publics, l'État doit s'en charger, le rapport propose un régime de formation et de protection sociale, unifié.

Il convient de recruter des aumônières. L'État pourrait aussi prévoir une formation des aumôniers commune aux trois religions monothéistes. Elle comprendrait un tronc commun plus une spécialité par religion. Ce cursus serait élaboré de manière conjointe par l'État et les institutions représentatives des principaux cultes.

L'enseignement privé, enfin, est en progrès constant. Des cas de « double jeu » sont dénoncés, comme au lycée Averroès de Lille...

Mme la présidente. - Veuillez conclure !

Mme Chantal Deseyne.  - L'influence des Frères musulmans au sein de cet établissement a été évoquée. Les contrôles sont-ils suffisants ? En tant que parlementaire, je m'en inquiète. Ne faut-il pas contrôler plus souvent les contenus et les valeurs, pour tous les établissements confessionnels ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Colette Giudicelli .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) En quelques années, le paysage confessionnel de notre pays a changé, l'islam y est devenu plus visible. Notre mission d'information a travaillé dans le strict respect de la loi de 1905, nous en avons débattu. Je regrette le manque de données fiables et stables sur le nombre de musulmans, de pratiquants et même d'imams dans notre pays ; l'étude « trajectoires et origines », il y a quelques années, l'estimait à deux millions et demi, mais elle ne prenait en compte ni les moins de 18 ans, ni les plus de 50 ans ; les services du ministère de l'intérieur l'évaluent aujourd'hui à quatre millions, l'UOIF entre cinq et six millions. Les pratiquants seraient 41 % selon un sondage de l'Ifop.

Ce flou laisse de la place aux extrémistes, brandissant des estimations fantaisistes, de l'ordre de onze millions, ou des concepts aussi dangereux ou fantasmatiques que le « grand Remplacement » ou « l'invasion arabo-musulmane », ce qui est regrettable.

Le manque de données de référence rend plus difficile la conduite des politiques publiques. Faut-il des statistiques ethniques, en réformant la loi Informatique et libertés de 1978 ? La question est ouverte. Quoiqu'il en soit, une enquête quadriannuelle comme celle de l'Insee ne suffit plus.

Quelles instances de dialogue entre l'État et l'islam ? Les sujets de dialogue sont nombreux - financement des lieux de culte, la lutte contre la radicalisation, des imams, l'abattage rituel... - deux instances coexistent, est-ce à l'État d'en décider ? Le rapporteur pense que c'est aux communautés de s'organiser, donc en aidant le CFCM à se réformer en profondeur pour que la majorité silencieuse le rejoigne.

C'est ce que je crois aussi : il y a urgence, aujourd'hui, à donner des réponses pragmatiques et tournées vers l'avenir, dans un respect qui doit être réciproque et en se fondant sur les principes immuables de notre République. (Applaudissements à droite et au centre)

M. David Rachline .  - Sous les avanies du monde politico-médiatique, le FN dénonce depuis longtemps ce que ce rapport découvre enfin, en particulier les difficultés d'insertion des musulmans en France. Comment ne pas convenir de cette préoccupation majeure, démonstration flagrante de l'échec total de la politique d'intégration qui en ne voulant pas entendre parler d'assimilation a créé des millions de Français déracinés ? De même nous nous rejoignons sur le constat de l'ignorance, par les imams de la culture, de l'histoire, voire de la langue de notre pays.

Cependant, ce rapport adopte un ton bien mièvre face à l'ampleur du défi, qui ne sera pas relevé avec des mesures à l'eau de rose. Égalité entre les hommes et les femmes, laïcité, liberté de conscience et de culte : voilà ce dont, au coeur de notre civilisation occidentale, l'islam radical ne veut pas.

Nous devons faire respecter la laïcité. Nous préconisons à cette fin la constitutionnalisation de la non-reconnaissance du communautarisme, l'interdiction de toutes dispositions discriminatoires dans tous les établissements financés par de l'argent public, la fin du financement public des associations ne respectant pas les valeurs de laïcité et bien sûr le financement des cultes par les fidèles et l'interdiction des financements étrangers.

Nous voulons combattre l'islam radical, donc fermer les mosquées radicales et expulser les imams radicaux, redonner à notre société des repères, l'attractivité de ses valeurs.

Enfin, nous devons contrôler les flux migratoires - à 80 % musulmans - pour faire face à l'explosion démographique des 10 000 musulmans en 1905 devenus aujourd'hui peu ou prou 11 millions sur notre sol.

Faute de quoi, débattre de l'islam en France ne résoudra rien !

M. Yannick Vaugrenard.  - Discours bâclé !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Merci pour ce débat, votre mission a fait un travail remarquable, de grande qualité, très utile au moment où le Gouvernement travaille sur ce sujet majeur.

J'ai été impressionné par notre convergence, en responsabilité - je vais tenter de vous répondre précisément. Nous devons, ensemble, jeter les fondations de l'islam de France, un sujet qui va nous mobiliser longtemps...

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Sur les principes, d'abord. Il n'y a qu'une seule communauté : la communauté nationale. Et qu'une seule loi : celle de la République.

Voix sur les bancs du groupe socialiste et républicain.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Qu'est-ce au juste que la laïcité ? Ce n'est nullement l'hostilité à l'encontre du fait religieux. C'est la possibilité de croire ou de ne pas croire, et la garantie, par la loi de la République, de la liberté de culte, de tous les cultes, sans que l'intolérance de quiconque puisse remettre en cause cette tolérance.

Oui, la République garantit la liberté religieuse, ceux qui en bénéficient ne peuvent s'en prendre à la République. Elle garantit l'égalité de traitement entre les religions ; enfin, la laïcité n'est pas hostile aux religions, nul ne peut la convoquer pour l'utiliser, telle une arme, contre telle ou telle religion. Elle ne peut donc être dirigée contre les musulmans de France, il faut le répéter sans relâche.

Interdire complètement les signes religieux dans l'espace public ? Ce n'est plus la laïcité mais une déclaration de guerre aux religions. Les textes sont précis, c'est mon devoir républicain d'y veiller.

Quand la loi de 2010 est détournée par des individus prétendant régler les amendes dues par les auteurs d'infraction à ladite loi, il est de mon devoir de déposer un amendement au projet de loi Égalité et citoyenneté, adopté au Sénat avec une belle unanimité, ou presque, pour les en empêcher. Mais lorsque certains veulent s'approprier la laïcité la détournant, il est de mon devoir d'en rappeler les principes.

Comment donner de la force aux relations entre les musulmans de France et la République ?

Les instances d'abord : l'État peut-il, doit-il, s'en occuper ? Oui, dans les limites de la loi de 1905. Nous devons nous intéresser aux relations de l'islam avec la République car des musulmans sont en France, une infime minorité pense que le dévoiement de cette religion appelle à se lever contre la République, mais l'immense majorité d'entre eux adhère aux fondements mêmes de la République. C'est un devoir pour la République, j'y insiste, d'instituer un dialogue respectueux avec les musulmans.

Nous devons le faire aussi parce que les musulmans sont eux-mêmes les victimes, souvent les premières victimes du dévoiement des extrémistes. Le Premier ministre l'a très bien dit devant l'Assemblée nationale en janvier 2015 : il ne faut pas que les fidèles d'une religion aient peur et que les fidèles d'une autre religion aient honte. Cependant, nous ne devons pas agir à la place des musulmans de France, notre position doit être équilibrée.

Il nous faut donner de la force aux institutions républicaines au premier chef le CFCM. Nous avons, pour ce faire - en principe nous ne devons pas faire à la place - institué l'instance de dialogue, pour élargir le dialogue, avec pour résultat de renforcer le CFCM.

Cette instance de dialogue élargit aussi les thèmes du dialogue : ainsi les diplômes universitaires de formation des aumôniers et imams - sont-ils passés de 6 à 14 et à 20 l'an prochain, obligatoires pour les aumôniers, madame Deseyne -, l'abattage rituel, fait aussi partie des sujets qui sont approfondis.

Nous avions renforcé cette instance avant la publication de cet excellent rapport, il conforte notre démarche et nous en avons tenu compte. Aussi avons-nous préconisé la création d'une fondation qui ne traiterait pas des questions cultuelles mais seulement culturelles et sociales, créant un pont entre les musulmans de France et la République plutôt que de ne s'occuper que des premiers. Ce choix a fait débat, je l'assume, et c'est pourquoi j'ai choisi à sa tête un grand Républicain, pour bien marquer la prévalence de la République sur tout autre question.

Cette association s'intéresse à des sujets divers, de nature culturelle et contribue à la formation profane des imams. Elle sera créée avant la fin de l'année, Jean-Pierre Chevènement est en train de rassembler largement tous les acteurs concernés.

Deuxième objectif : une association cultuelle pour assurer la transparence du financement des mosquées et des imams en France ; seuls des représentants du culte y ont leur place, pas l'État...

Il n'est pas possible, pour des services cultuels, d'instituer une taxe sur l'abattage ou une redevance sur le halal ; en revanche, il est possible de définir, avec les représentants de la filière halal, une redevance qui vienne alimenter une telle association.

Sur le financement des mosquées, ensuite, nous ne pouvons interdire complètement le financement par des États étrangers, puisque d'autres religions en bénéficient. C'est le cas de la cathédrale orthodoxe de Paris qui a été évoquée. Nous devons trouver une solution équilibrée.

Sur la formation des imams, enfin, outre les nombreux diplômes, les deux instituts théologiques - celui de Château-Chinon géré par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) et celui de la Grande mosquée de Paris, doivent être renforcés, afin que des théologiens de très haut niveau y enseignent. Nous avons également missionné trois universitaires afin de préparer de nouveaux diplômes d'islamologie qui pourraient nourrir la formation profane des imams.

Les imams détachés, quant à eux, resteront indispensables dans la période transitoire, avant que nous disposions d'un ensemble cohérent et complet en France de formation des imams.

Comme Républicains, nous ne pouvons pas considérer que le terrorisme puisse servir de prétexte à l'exclusion des musulmans de France, à semer l'effroi à leur propos.

Je n'ai pas d'hésitation à l'égard de l'islamisme radical, monsieur Rachline, je ferme sans état d'âme les mosquées qui répandent leur doctrine de haine : nous accélérons même les fermetures de telles mosquées, toujours et j'y veille personnellement dans le respect de nos procédures de droit ; de même, nous expulsons les prêcheurs de haine - 80 l'ont été - et je rends publiques toutes les expulsions, monsieur Rachline, contrairement à ce que vous dites.

Vous n'avez, du reste, voté aucune des lois qui nous donnent des moyens de lutter contre les terroristes et ceux qui répandent leur propagande : ni celle du 13 novembre 2014 permettant le blocage des sites extrémistes, ni le blocage des adresses de messagerie, ni la loi Renseignement. Vous vous êtes opposés au PNR -  après que Mme Le Pen ait insisté pour se faire désigner rapporteur pour avis, dans le dessein de bloquer cette mesure ô combien nécessaire pour contrôler les passagers aériens.

Vous êtes donc, sur tous ces sujets, sur lesquels ma détermination est totale, tout à fait illégitime à critiquer le Gouvernement ! (Applaudissements à gauche ; M. Marc Laménie, Mme Colette Giudicelli et M. François-Noël Buffet applaudissent aussi)

M. David Rachline.  - On attend les résultats !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Je dénoncerai toujours votre manipulation : chercher à priver méthodiquement le Gouvernement des outils contre le terrorisme, pour stigmatiser systématiquement les musulmans de France ! Par amour de la République, je dénoncerai toujours cette manipulation, car je suis fier de nos valeurs, qui sont ici largement partagées. (Applaudissements prolongés à gauche ; M. Marc Laménie, Mme Colette Giudicelli et M. François-Noël Buffet applaudissent aussi)

présidence de M. Gérard Larcher

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 15.

Déclaration du Gouvernement sur les opérations extérieures de la France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les opérations extérieures de la France, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Dans un monde instable, la France assume ses responsabilités en engageant ses forces militaires. Répétons d'abord notre gratitude pour nos soldats. Dans la bande sahélo-saharienne, au Levant, en Centrafrique, des soldats français sont tombés, d'autres sont encore sur leur lit de souffrances.

À trois reprises, le Parlement a accepté de prolonger les Opex sur le fondement de l'article 35 de la Constitution. En avril 2013, pour la force Serval au Mali, après les attentats de janvier 2015, en Irak, puis en Syrie.

La France fait face à la guerre, contre les djihadistes. L'obscurantisme, la barbarie ont déclaré la guerre à la civilisation - au sens le plus large du terme. La France n'est pas la seule visée, mais elle l'est parce qu'elle incarne l'universel. Notre ennemi s'est organisé au Levant sous la forme d'un proto-État, il ne connait pas de frontières encore moins dans le cyberspace.

Depuis le 11 septembre 2001, notre monde a changé de visage. Face au péril qui menace la démocratie, l'inaction n'est pas une option. La France marque des points. Au Mali, nous avons évité le basculement dans le chaos et la création d'un bastion djihadiste. Je veux d'ailleurs rendre hommage aux autorités maliennes - pays avec lequel nous partageons tant.

Mais tous ces groupes qui se financent par le trafic peuvent encore être dangereux. La France restera donc présente. Nous ne pouvons pas laisser seuls nos frères africains - nous le redirons au prochain sommet de Bamako.

Avec l'opération Barkhane, quatre mille soldats patrouillent avec leurs camarades africains. Au Tchad, au Mali, au Cameroun, au Nigéria, les agissements de Boko Haram restent très menaçants. En Centrafrique, une guerre civile aurait pu faire exploser le pays. Si Sangaris a bientôt fini son devoir, nous resterons sur place, notamment en poursuivant la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe de Guinée.

Sans la France, nous aurions aujourd'hui un califat au coeur de l'Afrique - les chefs d'État africains eux-mêmes le disent. La France n'abandonnera jamais l'Afrique, ce continent d'avenir avec qui nous devons relever les défis communs, et en particulier le développement économique.

La France est le deuxième partenaire en Irak et en Syrie avec neuf cents frappes. La bataille de Mossoul est un enjeu stratégique et symbolique. Il faudra réfléchir à son administration après sa libération du joug de Daech. La bataille sera longue et certainement très meurtrière car il y a deux millions d'habitants à libérer.

Les Irakiens sont prêts, ils ont montré leur détermination pour la reconquête de nombreuses villes contrôlées par Daech. La France doit prendre toute sa part à une coalition de plus de soixante pays. Nous pouvons faire confiance à nos soldats de l'opération Chammal, ces visages de la liberté qui méritent notre hommage.

Batterie d'artillerie de cinquante hommes près de Mossoul, groupe aéronaval en Méditerranée orientale : nos forces appuient l'armée irakienne, et je veux rendre hommage à cet instant à l'action de Jean-Yves Le Drian, dont la compétence est unanimement reconnue. Mossoul n'est qu'une première étape. Il faudra ensuite reconquérir Raqqa, cette pseudo-capitale de Daech.

En Libye, l'État islamique a été délogé de Syrte, mais la France doit agir en soutien et en observation. Tout reste à reconstruire : nous n'avons pas su anticiper la chute de Kadhafi. Il faudra poursuivre le dialogue avec le Premier ministre Fayez el-Sarraj, pour stabiliser le pays.

N'oublions pas les 7 000 femmes et hommes de l'opération Sentinelle : il y a un continuum géographique de la menace et donc de la protection sur notre sol de nos concitoyens par la police, la justice et l'armée. Jamais nous ne transigerons avec la sécurité des Français, ici et à l'étranger.

Jamais nous ne priverons nos armées de moyens nécessaires. En 2016, le surcoût des Opex dépassera le milliard d'euros ; il sera financé par le mécanisme prévu dans la loi de programmation militaire. Les menaces vont persister ; nous poursuivons donc la croissance du budget de la défense avec comme objectif 2 % du PIB. Cela doit aussi être compris par nos alliés européens. Aucun membre de l'Union européenne ne peut se sentir à l'abri et donc s'exonérer de ses responsabilités. Nous devons donner une consistance à une Europe de la défense qui doit être capable de projection, avec les ressources qui la permettent. Les débats du Conseil des affaires étrangères montrent que les choses avancent.

Nous allons gagner cette guerre contre Daech ; mais nous n'en auront pas pour autant fini avec le terrorisme. Les guerres continuent de déstabiliser les États, de menacer les minorités chrétiennes et yézidis. La Syrie est le précipité de toutes les fractures qui déchirent le Proche-Orient : la rivalité multiséculaire entre chiites et sunnites ; la résurgence de l'aspiration nationale kurde ; les luttes d'influence entre puissances régionales sunnites ; le jeu russe qui tire profit de l'absence américaine pour rehausser sa puissance et soutenir à bout de bras un régime condamné.

La France a un rôle à jouer, militairement et politiquement. Partout, ce sont des réponses politiques qui régleront les problèmes. La France parle à tout le monde au Levant. C'est peut-être elle qui connaît le mieux la région, grâce aux partenariats stratégiques conclus de longue date avec de grands pays sunnites - Turquie, Arabie Saoudite, Égypte ; elle doit renouer avec l'Iran, grande puissance de la région ; elle parle avec tous les acteurs pour sauver Alep. Des représentants de cette ville sont actuellement à Paris. Elle parle avec la Russie, cette grande nation avec qui elle partage une longue histoire, des affinités et des intérêts communs et avec qui elle sera toujours prête à travailler si elle veut agir pour la paix.

Il faudra aussi engager le dialogue avec la nouvelle administration américaine. En avril 2013, les États-Unis n'ont pas suivi la France qui lui proposait de frapper la Syrie.

M. Gaëtan Gorce.  - Sans l'accord de l'ONU.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre.  - Nous avons cru, avec la fin des blocs que la guerre était derrière nous. La réalité est tout autre. La France assume ses responsabilités ; elle continuera de le faire chaque fois que ses intérêts, que l'équilibre du monde est en jeu.

Nos armées ont besoin de sentir la nation rassemblée derrière elles. Soyons toujours unis. C'est cette union qui fera que la France, pays des libertés, vaincra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ainsi que sur quelques bancs à droite)

M. Bernard Vera .  - Ce débat sur les Opex est important. Le groupe CRC a toujours considéré que le contrôle du Parlement était indispensable. L'article 4 de la loi de programmation militaire qui systématise de tels débats est une bonne chose - même si le calendrier a rendu difficile la consultation du bilan prévu...

Comme l'a montré le rapport d'information de l'Assemblée nationale de décembre dernier, l'engagement des forces françaises a tellement augmenté qu'il dépasse les possibilités théoriques, avec six théâtres d'opération, dont deux où la France est contributeur majeur. Ce sur-déploiement a des conséquences importantes, à commencer par un surcoût de 620 millions d'euros en 2016.

Les opérations encore prolongées impliqueraient l'épuisement des troupes et l'usure du matériel. La question qui se pose est celle-ci : quelle est la sortie de ces Opex ? On peut se réjouir que Sangaris prenne fin avec l'élection d'un président de la République au Centrafrique, et malgré le regain de violence. Les trop nombreuses accusations sur le comportement d'une minorité de soldats et sur la stratégie nous interrogent. Quelles suites à donner contre les plaintes pour viol et violences sur des civils ? Voici là la première conséquence négative de ce surengagement : la France manque d'un matériel adapté.

Chacune de nos Opex devrait avoir pour finalité une solution politique. Le démantèlement de Daech est bien sûr nécessaire, mais il faut prévoir l'établissement d'un État démocratique. Nous le voyons sur le terrain, nous sommes passés des batailles rangées aux combats urbains. Pensez-vous qu'une relance avec le Gouvernement syrien soit possible ? Comment clarifier les relations entre opposition et islamisme radical ?

Je crains le gel d'un front entre les alliés de Bachar El Assad et les autres. La rencontre de Lausanne devrait être l'occasion de renouer le dialogue. Que dire du silence de la France sur l'opération Bouclier de l'Euphrate dans le Nord de la Syrie, alors qu'il semble de plus en plus clair que l'objectif de la Turquie n'est pas de détruire Daech mais d'empêcher la jonction des forces kurdes ?

La politique d'Opex de la France, marquée par un sur-déploiement génère une augmentation des risques. Elle constitue une impasse pour atteindre une paix durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Noël Guérini .  - Comment aborder ce débat avec sérénité ? Comment faire taire le vacarme de la bataille de Mossoul ? C'est impossible. Ce serait faire peu de cas du sacrifice de nos soldats qui risquent leur vie contre des barbares à l'idéologie mortifère. Ce serait oublier que nos concitoyens savent que leur demande de sécurité s'applique autant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

Avoir des cibles, c'est bien, mais avoir les moyens de les atteindre, c'est mieux. Nos troupes s'agacent parfois contre le refus de l'état-major de leur attribuer les moyens nécessaires. Certes, le coût de ces opérations ne représente que 0,25 % du budget de l'État, mais il dépasse de 3 % le budget de la défense. Ne peut-on pas faire mieux ? Sécuriser ces crédits ? Les Opex ne peuvent pas constituer une variable d'ajustement.

Au Sahel, en Centrafrique, au Levant, les forces françaises mobilisent 10 000 hommes. En Irak et en Syrie, ce sont 4 000 sorties aériennes, 600 frappes.

Cela place nos troupes sous une pression difficilement tenable à long terme, d'autant plus que Sentinelle mobilise aussi des moyens et des hommes. Attention à la sur sollicitation des armées - c'est le sens du rapport de nos collègues sur les Opex. Depuis les années 90, la part du PIB consacrée à la défense est passée de 2,86 % à 1,43 %. Or la paix a un prix. Le budget de la défense doit dépasser les 32 milliards d'euros. Ces opérations restent la prérogative du Gouvernement et de la responsabilité du président de la République ; mais sans doute pourrions-nous mettre en place un contrôle parlementaire plus effectif, comme dans d'autres pays, en saisissant le Parlement immédiatement et non trois mois après l'engagement des forces. La présence des armées françaises depuis dix ans sur vingt-cinq théâtres d'opérations depuis l'effondrement d'un monde bipolaire, le rôle de la France dans le monde, tout cela est analysé doctement dans les colloques - et moins doctement sur les plateaux de télévision -, et le Parlement n'en parlerait pas ?

Monsieur le ministre, 2017 est l'anniversaire du traité de Rome, ne l'oublions pas. Il faudra poser les bases d'une défense européenne. Comme le rappelle le rapport d'information de notre assemblée, l'Union européenne n'a aucune compétence en matière d'opérations extérieures, c'est inadapté. Elles sont un recours - même si elles ne doivent jamais être une fin en soi, en respectant le droit international. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Bariza Khiari et M. Jean-Pierre Cantegrit applaudissent également)

M. Joël Guerriau .  - Adressons un message de sympathie à nos soldats. C'est en leur nom que le Parlement doit se saisir des opérations extérieures. Leur périmètre est large, leur définition n'est pas la même selon les pays ; il est difficile de les saisir par le droit.

Les circonstances tragiques éloignent souvent toute remise en question et laissent au président de la République tout pouvoir, à la différence du président des États-Unis ou du Premier ministre britannique, qui ont besoin de l'autorisation, respectivement du Congrès et de la Chambre des communes. Dans un monde où la guerre n'est plus déclarée, la question du consentement du Parlement se pose d'autant plus.

Le débat de ce jour permet de dresser le bilan des Opex. Leurs objectifs ont toujours été atteints, quel qu'en ait été le prix. Aucune n'a été engagée hors du droit international. Assumer ponctuellement la défense de pays aux moyens limités, c'est certes tenir notre rang, mais c'est aussi des économies pour ces pays qui peuvent tout consacrer à leur développement économique.

La France n'a pas hésité à proposer d'intervenir lorsque la ligne rouge des armes chimiques a été franchie. Nous avons vingt avions de chasse en opération. Depuis le 28 août, douze avions Rafale sont engagés au Levant. Durant vingt-et-un mois, les Mirage 2000 ont un bilan impressionnant : mille cinq cents objectifs atteints et des ennemis qui, désormais, se terrent.

L'engagement de l'armée de l'air n'est-il pas à flux tendu ? Le livre blanc parlait de douze et non de vingt avions. Saluons l'importante convention en 2015 de la trajectoire de la loi de programmation militaire. Mais cela suffira-t-il ? Les moyens sont limités et les besoins ne cessent de coûter - ceux de Sentinelle compris.

Le sens de nos interventions en Irak et en Syrie a pour objectif de détruire Daech ; or le recul de Daech nourrit les projets terroristes sur notre sol, selon le procureur de Paris.

La défense est donc un continuum des Opex à la sécurité intérieure. Après le Brexit, nous serons la seule puissance militaire de l'Union européenne. Demandons une reconnaissance de ce rôle de pivot, qui pourrait prendre la forme d'un rabais sur la contribution, qui aiderait la France à atteindre l'objectif de 2 % du PIB. Merci pour ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC ; MM. Daniel Reiner et Jacques Gautier applaudissent également)

Mme Leila Aïchi .  - Le 25 mars dernier, nous débattions des opérations intérieures ; aujourd'hui, c'est l'international. Mon groupe salue l'engagement de nos soldats ici et là-bas, en particulier à Mossoul.

Ils sont la première richesse de nos armées contre la menace barbare, qui fait fi des frontières. Ils sont de plus en plus mobilisés : Sahel, Levant, Océan indien. En juillet 2016, un peu plus de six mille hommes. S'il y a des désengagements, comme Sangaris, il y a aussi de nouvelles crises.

Deux questions s'imposent à nous : la pertinence des Opex, d'abord. Pourquoi sommes-nous si engagés et souvent en première ligne ? Sans préjudice des mérites de Jean-Yves Le Drian et de l'état-major, il est impossible de ne pas s'interroger. Empêcher la victoire du terrorisme au Mali, apporter la paix en Centrafrique, tout le monde y adhère. Chammal, avec une absence de vision politique, n'a pas fait l'objet d'un tel consensus. Il faut combattre Daech, bien sûr, mais avec l'inaction de la communauté internationale, nous sommes face à un régime syrien en bonne position.

Arc-boutés sur une vision restrictive de l'Orient, notre voix est devenue inaudible ; notre manque de vision a conduit à l'impasse, un pays dévasté, des millions de victimes et de personnes jetées sur les routes. Sur le terrain, une intervention militaire est un premier levier, mais n'agit en rien sur les causes profondes d'un conflit. C'est en substance le propos du général de Villiers. En bref, gagner la guerre, ce n'est pas gagner la paix.

Ce qui pose une deuxième question : celle des moyens. Avez-vous ceux d'être les gendarmes du monde ? La multiplication des Opex nous place dans une situation délicate. Selon le rapport d'information, nous avons dépassé nos capacités opérationnelles. Les Opex coûtent plus d'un milliard d'euros par an au budget de l'État depuis 2011 !

On ne peut continuer ainsi, ni éluder la question d'une défense européenne. La crise que traverse l'Union est l'occasion de relancer le chantier. La clause de solidarité du traité de Lisbonne ne suffit pas et la défense européenne ne saurait être une clause de style. Il est temps de se doter d'une doctrine et d'une réponse capacitaire commune, pour redonner à l'Europe sa stature, pour refonder une Europe humaniste, de coeur, une Europe de valeurs, entendue dans le concert souvent bruyant des nations. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Michelle Demessine applaudit aussi)

M. Jeanny Lorgeoux .  - Saluons nos soldats en mission, dévoués, parfois jusqu'au sacrifice suprême.

Il est loin le temps où les Opex étaient le bras armé du colonialisme, ou l'épée protectrice de despotismes exotiques : ce sont désormais les étendards de la paix. Alors que la bande sahélo-saharienne menaçait de s'embraser, la France a stoppé net l'odyssée barbare des djihadistes en route pour Bamako, et, au nom des Nations unies et avec ses partenaires africains, aidé les États à reconquérir leur souveraineté. Car oui, l'intervention militaire est le prélude à la restauration de la paix. Au Mali, alors que l'État se désintégrait, notre armée a ouvert la voie au redémarrage politique et institutionnel. Elle a interrompu la descente aux enfers de la jeunesse et la propagation de la terreur. Depuis juillet 2014, quand Barkhane succède à Serval, 3 000 soldats ont mené 800 opérations spéciales, annihilé les sanctuaires d'Aqmi et Boko Haram. Avec ceux du G5 Sahel et de la Minusma, nos soldats, malgré la porosité des frontières, ont mis hors d'état de nuire 200 sectateurs de l'horreur intégriste.

L'opération Barkhane constitue un levier majeur de l'éradication du terrorisme dans la région.

En République centrafricaine aussi, l'opération Sangaris a mis fin au cycle infernal des guerres civiles, permis la tenue sans incident d'une élection présidentielle et, grâce à la sécurisation des principales artères, contribué au raffermissement du cadre étatique.

Le retrait de nos troupes est désormais engagé, preuve que l'intervention était non une opération néocolonialiste mais une oeuvre de concorde. L'archevêque de Bangui vient d'ailleurs d'être nommé cardinal, lui dont l'entente avec l'imam et le patriarche ont tant contribué à éteindre le feu... Sur les rives de l'Oubangui, le bouclier de nos 900 soldats a fait oeuvre de paix, aujourd'hui relayé par quelque 12 000 casques bleus.

Au passage, l'ONU serait bien inspirée de modifier la doctrine d'emploi de ses troupes, qui doivent pouvoir réagir en cas d'attaque, de projeter, dialoguer avec la population, se familiariser avec le terrain au lieu de rester cantonnées dans leurs casernes - bref, pardon du néologisme, se « sangariser ».

Après la terre, la mer. La mer qui nous sépare et nous réunit, la mer qui nourrit et qui développe... Au large de la corne de l'Afrique, notre marine, avec d'autres, a défait les pirates et rétabli la liberté de naviguer. Dans le golfe de Guinée, elle combat la pêche illicite, le trafic de drogue, le détournement de pétrole, et les forces africaines peuvent s'appuyer sur notre expertise.

En Orient, volte-face et renversements d'alliance obscurcissent la lecture des événements. Nos alliés américains n'ont-ils pas reculé devant l'obstacle, laissant la France aux avant-postes ? La Russie, après avoir habilement déployé un rideau de fumée diplomatique - j'entends encore les propos de son excellence Orlov - ne s'est-elle pas lancée dans un soutien de fer et de feu à M. Bachar-el-Assad ? La Turquie, déstabilisée au-dedans, ne fait-elle pas cause commune aujourd'hui avec la Russie pour mieux lutter contre les Kurdes, à l'intérieur et à l'extérieur, et assurer ses approvisionnements énergétiques ? Et que dire de l'Iran, tout à son leadership chiite, de l'Irak, en quête de cohérence gouvernementale, de liberté religieuse et d'intégrité territoriale ? De la Syrie, en proie au chaos ?

Dans cet écheveau embrouillé, la France, parce qu'elle défend des valeurs universelles, est droite dans ses bottes. Sans faiblesse et sans haine, elle ne ménage pas sa peine. Au Mali, en Libye, en Syrie, nos diplomates n'ont de cesse de parler à tous sans relâche. Erbil, Alep, Mossoul sont loin, mais c'est l'honneur de la France que d'avoir refusé de rester muette face à l'ignoble bombardement de Damas au gaz sarin. Notre pays est un partenaire loyal de la coalition, et s'attache à détruire la matrice du terrorisme, sans tapis de bombes mais en ciblant ses frappes.

Par la justesse et la célérité des décisions prises par le président de la République, par votre engagement, messieurs les ministres, par la loyauté et l'abnégation de notre armée, la France a tenu son rang. Je voudrais associer à cet hommage l'ensemble des parlementaires qui ont voté les budgets nécessaires à son rayonnement. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE et sur quelques bancs à droite et au centre)

M. Robert del Picchia .  - Au nom de mon groupe, je regrette que ce débat ne soit pas organisé sur le fondement de l'article 4 de la loi de programmation militaire, jamais mis en oeuvre. Pourquoi, de plus, l'urgence de l'inscription de ce débat à l'ordre du jour ? Pour relégitimer le Gouvernement alors que les Opex bénéficient généralement d'un large soutien ?

Elles témoignent de l'engagement de nos armées et de l'excellence de notre outil militaire, qui permet à notre pays de maintenir son rang dans le concert des nations.

Les récentes Opex conduites par la France ont été couronnées de succès, organisées dans le respect du droit international et des populations civiles. Il faut le saluer, et rendre hommage au courage de nos soldats, dont la valeur, le professionnalisme et l'expérience assurent la réussite de nos opérations.

Il importe toutefois de réduire l'exposition de nos forces. Cela passe par des coalitions, par la recherche préalable de solutions pacifiques, et par de nouveaux moyens opérationnels. La situation du budget de notre défense est délicate. La France est depuis l'année passée en état d'urgence à l'intérieur et en guerre à l'extérieur, mobilisant 10 000 à 15 000 de nos soldats simultanément. Nos hommes sont éprouvés de même que nos matériels. Sentinelle accapare 10 000 autres militaires depuis janvier 2015, ce qui pèse sur l'entraînement et le budget de nos armées. Le dispositif doit évoluer dans sa doctrine, et être diminué quantitativement...

Les ressources affectées à nos troupes doivent évoluer en proportion des efforts demandés, d'autant plus que depuis la fin de la guerre froide, jamais le monde n'a été plongé dans une telle incertitude : 32 milliards d'euros, cela ne suffit plus. Le rapport de Legge y reviendra bientôt.

L'actualisation de la loi de programmation militaire a amorcé une prise de conscience, mais nous restons loin du compte, le seuil de 2 % du PIB n'est qu'un minimum...

La France ne doit plus assumer seule le prix du sang. La vague d'attentats a déclenché une dynamique de solidarité bienvenue de la part des Européens, mais il serait bon que cela se traduise concrètement, par des contributions en hommes ou en matériel ou par un soutien financier.

C'est l'avenir qu'il faut préparer dès maintenant, en donnant à nos armées les moyens d'assumer les lourdes tâches que nous leur confions. (Applaudissements)

M. David Rachline .  - Je veux moi aussi saluer l'engagement sans faille de nos militaires, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Selon le site de l'état-major, nos troupes sont engagées sur six théâtres. J'insisterai cependant sur les opérations Chammal et Barkhane. Au passage, monsieur le ministre, le Parlement n'a autorisé l'engagement que de troupes aériennes et non terrestres, il doit être à nouveau consulté.

L'opération Barkhane est l'occasion de réparer les erreurs passées... La chute du régime libyen, commanditée par Nicolas Sarkozy et Alain Juppé a déstabilisé le pays. La guerre est le prolongement de la politique par d'autres moyens, disait Clausewitz, or quels sont nos objectifs politiques sur la plupart de ces théâtres ? Nous libérons Mossoul, et après ? Est-ce seulement pour plaire à l'oncle Sam ?

Nous combattons Daech qui nous fait la guerre, direz-vous. Certes, mais les attentats ont été en partie fomentés depuis notre sol dans des quartiers qui échappent à la loi de la République ! Il est donc temps de prendre des mesures internes vigoureuses : contrôler nos frontières, faire appliquer la loi de la République, en particulier contre les prêcheurs de haine, soutenir nos forces de sécurité intérieure.

Malgré le ralentissement de la baisse des effectifs et équipements de nos armées, nous restons loin du compte. Voilà longtemps que nous demandons la constitutionnalisation du chiffre de 2 % du budget consacré à la défense. Encore faudrait-il avoir recouvré notre souveraineté budgétaire...

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères .  - Je veux à mon tour rendre hommage à nos soldats, aux morts, aux blessés, à tous ceux qui accomplissent leur mission avec professionnalisme et courage.

Notre commission était à l'initiative de l'article 4 de la loi de programmation militaire, qui impose un débat annuel sur les Opex devant le Parlement. Car une fois l'autorisation donnée de prolonger une Opex, après quatre mois, les assemblées n'étaient plus consultées... Enfin, ce débat a lieu. Mais où est, monsieur le ministre, le bilan écrit que nous étions en droit d'attendre ? Heureusement, notre commission des affaires étrangères a livré son propre rapport.

Premier enseignement : la nécessité d'une approche globale et non seulement militaire des conflits. Nos Opex récentes ont été des succès militaires, respectueux de la légalité internationale et conformes à notre tradition interventionniste. Mais il est difficile de passer le relais à des forces régionales ou multinationales, ce qu'on appelle une bridging operation. Il faut obtenir des Nations unies qu'elles adaptent le mandat des casques bleus pour faire face à des actes de guerre.

Dans quelques jours prendra fin l'opération Sangaris, ce dont on peut se féliciter. Espérons cependant que nous n'aurons pas à revenir dans quelques années : le rôle des troupes de l'ONU et des formateurs de l'Union européenne sera déterminant, et il faudra oeuvrer à la reconstruction politique et économique du pays, « gagner la paix après avoir gagné la guerre », comme disait le général de Villiers. Faute de quoi, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Autant que possible, il faut privilégier la prévention, en Tunisie par exemple.

Notre rapport propose une approche complète : plus de politique, plus de développement, plus d'économie, la nomination d'un haut représentant par théâtre, plus d'aides directes et moins de prêts...

Deuxième enseignement : le manque de solidarité en Europe. Nous avons besoin que nos alliés européens nous aident à assurer des missions de sécurité qui profitent au continent entier. Nous attendons donc des annonces fortes lors du Conseil européen de décembre : formation des armées locales, équipements des troupes, aide au développement...

Troisième constat, la suractivité des armées et sa conséquence, l'usure du personnel et des équipements. La fin de la déflation des effectifs ne se fera sentir qu'à la fin 2018. Le programme Scorpion doit être accéléré pour remplacer les équipements qui doivent l'être, car il s'agit de la vie de nos soldats. Pour porter notre effort budgétaire à 2 % du PIB en 2025, il faudra faire des efforts importants, dès 2017.

Dernier constat : la nécessité de renforcer le contrôle parlementaire. Il ne s'agit pas de bouleverser le dispositif de l'article 35 modifié en 2008, qui a trouvé un juste équilibre, mais enfin, après quatre mois, le Parlement n'est plus associé : c'est doter les Opex d'une clause d'éternité ! Espérons que le présent débat deviendra régulier.

Alors que nous sommes engagés dans la bataille de Mossoul, il faut bien voir que la solution ne pourra être que politique : consensus national introuvable, conflit sunnite-chiite, concurrence des puissances régionales, quelles solutions faudra-t-il retenir et comment y parviendra-t-on ? Au-delà des armes, c'est notre diplomatie qui doit parler. (Applaudissements au centre et à droite)

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire .  - Plusieurs d'entre vous se sont interrogés sur les raisons du présent débat. Le Gouvernement s'attache à rendre compte régulièrement au Parlement de l'engagement de nos forces armées, alors que la menace est vive et les déploiements très importants. Ce débat d'ensemble, très bienvenu, résulte de l'article 4 de la loi de programmation militaire. Il est de nature à renforcer le lien entre la nation et ses armées.

S'agissant de l'intervention en Syrie, le Gouvernement a exclu d'emblée l'envoi de troupes au sol, refus réitéré lors du vote de prolongation du 25 novembre 2015. La même distinction n'a pas été faite à propos de l'intervention en Irak, où le Premier ministre a explicitement indiqué que les modalités de notre intervention pourraient évoluer. Depuis des mois, des éléments terrestres de formation et de soutien sont déployés en Irak. La présence d'une unité d'artillerie à Mossoul n'en est que le prolongement, il n'y a donc pas lieu de solliciter un nouveau vote du Parlement.

La France intervient-elle trop ? Nos Opex procèdent de nos intérêts et de la responsabilité d'un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Au total, 30 000 de nos militaires sont déployés. Levant, Sahel, Libye... Ces théâtres sont liés depuis le début des années 2000. Nous contribuons aussi à la police des mers, via les opérations Atalante et Sophia. Toutes contribuent à tarir les sources du terrorisme.

Au sein de la FINUL au Liban, la France est restée avec 700 hommes un contributeur important. C'est un signal envoyé à ceux qui voudraient déstabiliser ce pays ami. Nous sommes également engagés en République centrafricaine où la situation sécuritaire est suffisamment sous contrôle pour que la transition ait été engagée. Le succès de la mission n'était pourtant pas assuré, mais le pays a pu se choisir un président dans des conditions de transparence avérées. Trois de nos soldats ont malheureusement perdu la vie sur place, plusieurs ont été blessés. Avec des effectifs réduits, jamais plus de 2 500 hommes, nous avons atteint l'objectif fixé, et nous continuerons à soutenir la Minusca par déploiement de drones dans un premier temps.

Voilà qui montre que nous savons clôturer une opération.

Monsieur Vera, la France pratique une politique de tolérance zéro en matière de violences sexuelles. Trois enquêtes sont en cours, mais aucun soldat n'a pour l'heure été mis en examen.

Risque-t-on la surchauffe ? Le Livre blanc prévoit un niveau d'engagement proche de l'actuel ; la projection fait partie des fonctions stratégiques à assurer. Peu de pays dans le monde en sont capables. Mais il est vrai que son coût est élevé : 1,1 milliard d'euros, en 2015, de même en 2016. Le bouclage financier n'en sera pas moins assuré.

Nous avons pris les mesures pour renforcer la force opérationnelle terrestre pour relever le défi d'une double menace intérieure et extérieure. Les décisions arrêtées en Conseil de défense en 2015 sont en cours de mise en oeuvre.

D'aucuns suggèrent de porter le budget de la défense à 2 % du PIB ; je me réjouis que le renforcement de notre défense fasse désormais consensus. L'article 6 de la loi de programmation militaire prévoit une telle cible tendancielle, cohérente avec les engagements pris à Newport en 2014. Le budget de la défense est en 2016 de 39,7 milliards d'euros pensions comprises, soit 1,8 % du PIB ; 3,8 milliards d'euros supplémentaires y seront alloués d'ici 2019. En 2017, 600 millions d'euros s'ajouteront par rapport au projet de loi de finances initiale pour 2016. Aux recettes exceptionnelles multipliées par la majorité précédente, nous préférons des crédits budgétaires bien réels.

La Russie, monsieur Lorgeoux, mobilise ses avions de chasse et son artillerie en Syrie. Face à la violation des principes de maintien de la paix et aux intimidations, nous devons rester fermes. Depuis l'annexion de la Crimée, elle ne cesse d'éprouver les réactions occidentales. Mais nous restons ouverts au dialogue, dès lors qu'elle fait le choix de la responsabilité. Jean-Yves Le Drian s'est d'ailleurs rendu à Moscou en décembre 2015 pour évoquer la lutte contre Daech. Hélas, on le voit tous les jours à Alep, les forces russes se concentrent sur de tout autres objectifs que Daech... Nous devons maintenir le dialogue pour servir nos objectifs communs, tout en étant fermes sur nos valeurs.

Pourquoi intervenons-nous au Levant ? Pour vaincre Daech, ce qui suppose d'abord de le défaire militairement, de détruire ses infrastructures et de reprendre les territoires qu'il a occupés en 2013 et 2014. Il faut aussi renforcer les forces de sécurité irakiennes et kurdes pour contrer le terrorisme plus durablement. Enfin, il faut soutenir la réconciliation civile en Irak, pour éviter la résurgence de forces extrémistes.

Quelle politique de défense européenne ? Après les attentats, la France a évoqué l'article 42.7 du Traité, les Européens nous ont soutenus.

Au-delà, nous voulons une Europe autonome, renforçant ses actions, hors de ses frontières, prenant ses responsabilités, pour lutter encore plus efficacement contre le terrorisme : nous devons pour cela mener la stratégie globale définie en 2015, avec des outils adaptés -  à l'échelle européenne. Les ministres français et allemand de la défense ont fait une proposition de relance, à la demande du président de la République et de la chancelière, pour établir une défense européenne globale, réaliste et crédible : chaque mot a son importance.

Le Brexit aura une incidence, mais nous devrons continuer à travailler avec les Britanniques, seule autre puissance nucléaire européenne, dans le respect du traité de Lancaster House.

Notre engagement dans les Opex est à la hauteur des enjeux et des menaces que nous connaissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs autres bancs à gauche et au centre)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Merci pour ce débat approfondi, à hauteur de la situation : nous avons un devoir de transparence, à l'égard de nos soldats déployés en opérations comme de nos concitoyens.

Vous m'interrogez sur la Syrie, où la situation est des plus graves - au-delà même d'Alep -. Les propositions russes d'une trêve de quelques heures ne devront tromper personne : l'objectif est bien de détruire méthodiquement la deuxième ville de Syrie. Jean-Marc Ayrault a rappelé hier ici même nos efforts, dans toutes les enceintes, et en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies, pour mettre fin de manière durable et soutenable à ces bombardements. Monsieur Véra, vous évoquez avec raison la proposition française de construction d'un mécanisme robuste de vérification de la cessation des hostilités, mais elle est hélas bien loin.

Le dialogue avec la Russie est constant, nous disons aux Russes ce que nous pensons de leurs agissements sur le théâtre syrien. Ce soir même, le président de la République, la chancelière Merkel et le président Poutine évoqueront la Syrie à Berlin : nous espérons que les Russes reverront leur position et oeuvreront avec nous à une solution, politique durable. Nous y travaillons en tout cas.

Oui, Madame Aïchi, la réponse politique est bien notre priorité, et nous en discutons avec l'ensemble de nos partenaires régionaux, qui souffrent également de ce conflit. L'outil militaire ne saurait suffire, mais nous devons lutter contre l'organisation qui a planifié les attentats en France : ce n'est qu'une première étape.

La Turquie, très exposée au conflit syrien, accueillant sur son sol plus de trois millions de réfugiés et confrontée à une grande instabilité à sa frontière méridionale, a le droit de se défendre contre le terrorisme, mais de manière proportionnée et dans le cadre de la légalité internationale. Jean-Marc Ayrault conduira des consultations la semaine prochaine avec ce pays.

Nous devons tout faire pour installer une gouvernance inclusive dans les zones libérées par Daech, où chaque communauté puisse trouver sa place, et susceptible de délivrer les services de base dont la population a besoin. Et je n'oublie pas l'aspect humanitaire. La France se mobilise, aujourd'hui, pour épargner le plus possible de souffrances aux populations civiles de Mossoul.

Le flux de combattants étrangers français revenant des théâtres d'opérations syro-irakiens est maintenant maîtrisable, c'est le fruit de nos efforts.

L'Europe de la défense passe par des outils transnationaux, la France et l'Allemagne ont fait des propositions que nous espérons concrétiser au prochain Conseil européen de décembre.

Le Parlement est saisi de chaque nouvelle Opex, vous adoptez le budget et le contrat pluriannuel : vous êtes les garants de l'adhésion de la Nation aux choix militaires de notre pays : je souhaite que le dialogue se poursuive ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La séance est suspendue de 18 h 25 à 18 h 35.

Engagement de la procédure accélérée

Mme la présidente.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Monténégro, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 19 octobre 2016.

Mises au point au sujet d'un vote

M. Pascal Allizard.  - Je souhaite modifier le vote de Daniel Chasseing au scrutin public n°31 enregistré pour alors qu'il souhaitait voter contre.

Mme la présidente.  - Acte vous en est donné.

M. Jacques Cornano.  - Quant au scrutin n°37 sur l'ensemble du texte, mon vote n'était pas favorable mais défavorable.

Mme la présidente.  - Acte vous en est donné.

Débat préalable à la réunion du Conseil de l'Europe des 20 et 21 octobre 2016

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.

Orateurs inscrits

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Brexit, agenda post-Bratislava, réponses à la crise migratoire, politique commerciale, relations avec la Russie, sont au menu, lourd, du Conseil européen de ce vendredi. Ce sera le premier de Theresa May qui précisera le calendrier du Brexit : elle a annoncé, devant son parti, la mise en oeuvre de l'article 50 avant la fin mars, c'est dire sa détermination. Nous avons d'ores et déjà posé des principes, esquissés par le président de la République au lendemain du référendum et repris par les 27.

Lors de pré-négociations avant le déclenchement de l'article 50, nous avons établi un lien sans équivoque entre les quatre libertés de circulation : celles des biens, des capitaux, des services et des personnes.

L'accès du Royaume-Uni au marché intérieur européen sera conditionné à la liberté de circulation des citoyens européens au Royaume-Uni.

L'accès au marché intérieur comme à certaines politiques communes sera lié au respect d'un certain nombre d'obligations et à une contribution financière.

Chacun se prépare à cette négociation où il ne s'agit pas de punir, mais de défendre les intérêts de l'Union européenne, sa cohésion : on ne peut pas avoir les avantages d'être à l'intérieur sans les obligations.

Ce conseil européen débattra aussi de l'avenir de l'Union européenne, au-delà du Brexit, pour examiner la mise en oeuvre de la feuille de route de Bratislava, après les premières avancées de ces dernières semaines sur les réponses de la crise migratoire, et sur le prolongement du plan Juncker.

Malgré la baisse du nombre de migrants arrivant par la Méditerranée orientale, sous le double effet de la fermeture de la route des Balkans et de l'accord avec la Turquie, la Méditerranée centrale reste marquée par une hausse des arrivées en provenance de Lybie, des naufrages dramatiques et un trafic meurtrier d'êtres humains : l'Italie se trouve de ce fait en difficulté. Elle accueille 160 000 migrants, les centres d'accueil grecs sont saturés.

Il faut une réponse solidaire. Le déploiement de corps de garde-frontières et de garde-côtes marque un progrès notable pour la protection des frontières extérieures de l'espace Schengen.

Frontex n'avait pas le mandat pour exercer efficacement ses missions : il nous a fallu moins d'un an mais nous devrons aller plus loin pour réviser le code des frontières Schengen et pour créer un système européen d'autorisation de voyage, ainsi que pour obtenir des informations sur les voyageurs sans visa avant leur arrivée en Europe. Nous souhaitons aboutir, avec le soutien des institutions européennes et en particulier du Parlement européen, d'ici à la fin de l'année.

La lutte contre les passeurs et les trafics a été renforcée, les naufragés sont secourus mais nous devons agir aussi sur les causes : c'est l'objet des pactes migratoires, nous devons les concentrer sur des pays prioritaires en mobilisant l'ensemble des politiques européennes, vers un plan Juncker pour la coopération, mobilisant 3,5 milliards d'euros en Afrique et dans les pays voisins de l'Europe.

Le soutien au développement est un levier essentiel pour lutter contre les migrations.

M. Charles Revet.  - C'est une certitude !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - L'accord avec la Turquie a permis de diminuer le flux des migrants, mais quelque 60 000 migrants restent bloqués en Grèce, dont 14 500 dans les îles : il faut aider à leur relocalisation en Europe.

La France, qui a accueilli 1 756 Syriens, Irakiens et Erythréens est au premier plan européen. La libéralisation des visas avec la Turquie dépend du respect intégral de 72 critères dont la révision d'une loi sur le terrorisme.

Le Conseil européen débattra de la politique commerciale, levier majeur de l'Union européenne, première puissance commerciale au monde, même après le Brexit. La France est favorable à l'ouverture sur le fondement de la réciprocité et du respect de nos normes sociales, environnementales et culturelles. C'est le sens d'une politique robuste, qui ne joue pas contre nos travailleurs, nos agriculteurs...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Par exemple, la reconnaissance de nos indications géographiques dans le traité en négociation avec le Canada, le Ceta, explique que la France le soutienne comme tous les pays européens, sauf la Belgique. Des discussions sont en cours avec la Belgique à ce sujet. Sur le TTIP avec les États-Unis, les conditions de négociation claires ne sont pas réunies, il faut prendre du recul.

Le Conseil européen doit également se saisir des politiques commerciales déloyales, nous y veillerons.

Ce Conseil européen abordera d'autres questions importantes, en particulier notre relation stratégique avec la Russie, au lendemain du sommet au format Normandie qui a lieu en ce moment même à Berlin, dans le contexte dramatique du bombardement d'Alep et après le veto russe à une résolution proposée par la France en faveur d'une trêve. L'Europe doit être ferme et unie, afin que des négociations sur l'avenir de la Syrie soient conduites après une trêve durable.

Les échéances sont nombreuses, nous devons être l'un des moteurs de la relance européenne ! C'est notre responsabilité, mais aussi notre intérêt, car la France a besoin d'une Europe forte dont la voix porte sur la scène internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme la présidente.  - La Conférence des présidents a décidé d'attribuer 8 minutes par groupe et 5 minutes au groupe des sénateurs non inscrits. Les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes disposent de 8 minutes. Ensuite, le Gouvernement ou la commission des affaires européennes répondront à une série de questions pendant une heure maximum.

M. Jean-Claude Requier .  - La crise migratoire sera, encore une fois, à l'agenda du Conseil européen. Le nouvel outil dont l'Union européenne s'est dotée pour protéger ses frontières extérieures, avec la nouvelle agence, devrait sauver Schengen et donner un autre visage de Frontex. Cela prouve que l'Europe peut trouver les moyens d'agir quand elle doit aller vite. Cependant, il faut clarifier les règles et les outils juridiques en Méditerranée centrale. La convention de Montego Bay date de 1982, le monde a changé depuis...

Quant à la relocalisation de 160 000 migrants, elle a durement éprouvé la solidarité européenne ; où en est-on en France, monsieur le ministre ?

La Turquie est un partenaire incontournable, comment assurer que les financements prévus, soient effectivement débloqués ? Quid, ensuite, de la lutte contre les passeurs ?

La crise migratoire ne sera pas réglée tant que règnera le chaos au Proche-Orient, ce qui exige que nous dialoguions avec les Russes. Au Levant, notre objectif commun est de lutter contre Daech : c'est une raison de ne pas suivre Angela Merkel pour durcir les sanctions contre les Russes, décision contestée chez les chrétiens démocrates même.

Sur les négociations commerciales, nos concitoyens veulent de la transparence et de l'équité. La première a progressé, nous avons accès à des documents en anglais.

Quant à l'équité, le Ceta inquiète les éleveurs, en particulier bovins. Le Tafta, lui, menace les indications géographiques qui doivent constituer une ligne rouge.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier.  - Mais n'oublions pas l'adage : l'union fait la force. Nous avons besoin, cependant de l'Europe pour faire face aux ensembles qui émergent aux quatre coins du monde ! (Applaudissements)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - L'Europe semble fragilisée, c'est vrai. Tous les pays fondateurs paraissent avoir abandonné leur volonté de se rapprocher davantage ; sans compter le Royaume Uni, qui n'a rejoint la Communauté européenne qu'en 1975, mais s'en détache à présent.

Cependant, il faut garder espoir. Gardons en mémoire ces mots de Robert Schuman : « l'Europe, avant d'être une alliance militaire ou une entité économique, doit être une communauté culturelle dans le sens le plus élevé de ce terme ». Et Valéry Giscard d'Estaing, que nous avons reçu la semaine dernière, avec Enrico Letta et Jean-Louis Bourlanges, dans le cadre du groupe de suivi du Brexit, constitué par nos commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, d'ajouter : « On dit que l'Europe est en crise. Qui le dit ? Ce sont ceux qui ont refusé de défendre la monnaie commune et aussi le milieu financier anglo-saxon qui ne supporte pas la concurrence de l'euro ». Pour ce qui nous concerne, nous pouvons être fiers de ce que l'on a construit.

Sur le Brexit, il faut aller plus loin, pour ne pas fragiliser l'édifice européen et montrer qu'il y a moins d'avantages à être en dehors, que dans l'Union européenne. Les États membres ne peuvent se désunir de la négociation avec les Britanniques, la commission a obtenu délégation avant que le Conseil européen ne soit saisi : une fois que celui-ci a la main, il la garde. Est-ce bien la conception française, monsieur le ministre ? Le président de la République a semblé dire que la commission négocierait...

La sortie du Royaume-Uni nous inquiète aussi pour ses conséquences sur l'Irlande, pacifiée par l'appartenance à l'Union européenne. (M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, approuve) Le Gouvernement britannique en place n'a pas été désigné pour négocier le statut de l'Irlande du Nord dans l'Union européenne.

Au Levant, traiter les effets de la crise sans en examiner les causes, nous rappelait Nathalie Goulet, hier, c'est se dédouaner : cela nous donne à réfléchir sur notre rôle à l'extérieur, comme à l'intérieur de nos frontières...

Le Sénat a été précurseur pour la recherche d'une solution en Ukraine. C'est une condition pour lever les sanctions contre la Russie et reprendre des relations normales avec les Russes.

La France a tout son rôle à jouer, cela suppose un engagement fort du président de la République - je me demande à cet égard si l'épisode de la non-inauguration de l'église orthodoxe était bien nécessaire, peut-être nous le direz-vous monsieur le ministre ! (Applaudissements au centre et à droite, ainsi qu'au banc de la commission)

M. André Gattolin .  - Je me réjouis de l'inscription à l'ordre du jour du Conseil européen de la révision des instruments de la négociation commerciale - cela concerne en tout premier lieu la Chine, enjeu majeur pour notre pays trop peu débattu.

Le 11 décembre prochain, quinze ans après l'admission de la Chine à l'OMC, des mesures anti-dumping pourraient devenir indispensables car la Chine réclame bruyamment d'obtenir le statut d'économie de marché, alors qu'il s'agit d'un capitalisme d'État. Cette demande pourrait s'expliquer par le ralentissement économique qu'elle connait. Si nous l'acceptons, nous perdrons la possibilité d'appliquer le calcul de mesures anti-dumping dit du « pays analogue » qui est bien plus favorable au pays qui s'estime être lésé que les règles de l'OMC qui ont cours entre pays relevant du statut d'économie de marché. Mais si nous refusons, nous pourrions souffrir de mesures de rétorsion. Le Centre d'études prospectives et d'informations internationales estime que la production industrielle européenne baisserait entre 1,8 et 23 milliards d'euros par rapport à la production totale en 2015. Les secteurs les plus touchés seraient la sidérurgie, les céramiques ou les énergies renouvelables.

Alors que nous savons depuis quinze ans que ce moment viendrait, la position de l'Union européenne ne semble toujours pas arrêtée. Dans une résolution du 12 mai dernier, le Parlement européen s'est opposé à la reconnaissance du statut d'économie de marché. La Commission semblerait chercher à réviser le règlement anti-dumping pour supprimer la liste des économies étatisées, au profit d'un traitement au cas par cas avec possibilité de maintenir des droits élevés quand l'État intervient.

Le Parlement européen a protesté, estimant ne pas avoir été consulté. La position de la Commission ne serait-elle pas un tour de passe-passe ?

Une autre réforme, engagée depuis trois ans, contribuerait à rendre plus robustes nos défenses commerciales : celle du règlement sur les instruments de défense commerciale. Elle est bloquée par un certain nombre de pays réfractaires tandis que la France défend ce dossier, tout comme l'Italie, l'Allemagne, le Parlement européen et quelques autres. Il faut tout faire pour aboutir sans délai.

Le rêve européen d'un monde de paix et de prospérité est en panne. Nous le vendons avec l'idée d'une Europe qui protège, peu à même de convaincre nos concitoyens quand l'Union est incapable de nous protéger de l'agressivité commerciale de la Chine et quand tous les secteurs qui protègent relèvent de l'unanimité.

Je ne suis pas le seul à être déçu par le sommet de Bratislava. Certains considèrent qu'une refondation de l'Europe est impossible dans une année électorale pour la France et l'Allemagne. Mais sans débat, ce sont les anti-européens qui gagneront ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. Simon Sutour .  - Le Conseil européen de demain et après-demain est d'une importance particulière de par ses thèmes : flux migratoire, Ceta et relations avec la Russie - sur lesquels le Sénat a voté une résolution qui dit sa position. Notre souhait est de continuer à travailler. Le Brexit devrait aussi occuper les 28 chefs d'État et de Gouvernement, puisque nous connaissons désormais le calendrier de retrait.

L'Europe n'agit malheureusement qu'au coup par coup. Il faut aujourd'hui, comme hier, la refonder. Schengen a favorisé l'intégration des économies européennes. Avec le corps européen des garde-côtes et garde-frontières, Frontex a enfin les moyens de sa mission. La bonne volonté des États membres n'avait pas suffi en 2015.

L'Europe ne doit pas être une forteresse repliée sur un mini-Schengen. L'Europe qui protège, c'est celle de l'accueil, celle des droits humains, qui protège par une politique extérieure favorable à la paix à ses frontières.

Au 30 septembre 2016, plus de six cent trente mille nouveaux migrants sont arrivés.

L'accord avec la Turquie apparaît bien fragile. Le pays est dans une situation inquiétante du point de vue des droits fondamentaux.

Le sommet de Bratislava a décidé de la fin de la répartition des relocalisés sur le volontariat ; qu'en est-il ?

Sur le plan des négociations commerciales, de nombreux socialistes, notamment ici, défendent le juste-échange contre le libre-échange à tout crin qui n'a fait qu'accentuer les sentiments anti-européens.

Souhaitons que les choses évoluent favorablement sur le Ceta. Il faut plus de transparence sur les négociations commerciales ; sur cette question, nous pouvons tous donner un satisfecit au Gouvernement, notamment à M. Fekl.

Cet après-midi, les parlementaires britanniques que nous avons rencontrés semblaient en savoir moins que nous. Il semble toutefois que Mme May se montre intransigeante. La longue période de négociations qui s'annonce ne doit pas empêcher l'Europe de progresser vers un avenir meilleur. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, ainsi que sur quelques bancs à droite et au centre)

présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente

M. Pascal Allizard .  - L'Europe est cernée par un arc de crises ; 2015 fut l'année de la crise migratoire, avec un million de migrants entrés et 1 000 morts en Méditerranée.

Bien que l'État islamique soit en recul, le flux de migrants ne se tarit pas. Les solutions sont avant tout politiques. Les passeurs, ces criminels qui font des migrants des marchandises, sont-ils assez poursuivis ?

L'accord avec la Turquie a mis en lumière l'impréparation de Bruxelles face à une crise, qui l'a conduit à recourir à un pays tiers de moins en moins fiable. Que se passera-t-il si elle décide de remettre la pression ? Le Brexit et le référendum hongrois montrent que de nombreux pays n'ont pas la même vision que nous.

Face à la Russie, l'Union européenne a pris ses responsabilités. La situation n'évolue guère, malgré les efforts du Sénat. Lors de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, la délégation ukrainienne a prétendu mener des réformes. Qu'en est-il ? À Moscou, Vladimir Poutine renforce sa popularité auprès de sa population par son attitude solitaire et fière. Jusqu'à ce que sa puissance ne s'effondre.

Les dirigeants russes ont-ils toujours la retenue de leurs prédécesseurs quant à l'arme nucléaire ? Les exercices à Kaliningrad ou le passage de bombardiers russes près des côtes françaises sont inquiétants.

Un élargissement trop rapide à l'Est et un partenariat oriental mal géré pourraient avoir été le résultat d'un aveuglement d'une Europe technocratique sur les frustrations post-soviétiques.

En Géorgie, les élections législatives montrent la position constante du pays en faveur de l'Union européenne et de l'OTAN.

Que penser de la rupture par la Pologne du contrat d'armement d'Airbus ? Si la vigilance à l'égard de la Russie doit être ferme, les principales menaces sont le Brexit et le terrorisme. Il faut une coopération renforcée. (Applaudissements à droite)

M. David Rachline .  - Face à une pression migratoire toujours plus forte, il est plus que temps que l'Union européenne entende l'aspiration des peuples à reprendre en main leur destin, dont témoignent les élections, comme en France, où le Front national arrive en première position aux élections européennes : partout, le « modèle européen » est repoussé ! Schengen est une chimère sur laquelle il faut revenir. La déstabilisation de certains pays créant le terrorisme, vous y avez participé, droite et gauche confondues. Nous regrettons les nouveaux garde-côtes européens, toujours plus intrusifs, reproduisant les mêmes échecs. Nos forces de sécurité devraient plutôt être autorisées à aller dans les eaux des pays de départ, y arrêter les passeurs. Loin du mirage de l'Eldorado, il faut donner aux migrants une vision réaliste de nos sociétés, en particulier le chômage massif, qui doit nous amener à favoriser les Français - je vous rappelle que 5 millions de Français vivent sous le seuil de la pauvreté - qui ne disposent pas des moyens alloués aux migrants.

Le Ceta, petit frère du Tafta, est la même catastrophe et le Gouvernement le soutient. C'est pourtant la même chose ! (M. François Marc proteste). Pourquoi laisser le secteur agricole en faillite, comme la mer ou la forêt ? Comment imaginer que des tribunaux privés seraient au-dessus des lois.

M. Daniel Raoul.  - N'importe quoi !

M. David Rachline.  - Vous faites tout cela dans le dos des Français, comme d'habitude.

Votre atlantisme aveugle conduit la France à mener une politique contraire à ses intérêts, contre la Russie, nation avec laquelle elle a des liens depuis des siècles. Il est temps que cessent ces politiques contre le peuple !

M. Michel Billout .  - Le groupe CRC a proposé une résolution sur le Ceta, qui pourrait être signé dans huit jours. L'audition de M. Fekl fut une bonne chose, mais il est regrettable que notre proposition de résolution n'ait pas été adoptée, pas plus que son homologue à l'Assemblée nationale, pourtant reprenant les termes d'une lettre signée par cent députés.

Nous ne sommes en rien défavorables par principe aux accords commerciaux internationaux. Notre position est partagée par 62 % des Français, qui veulent cesser les négociations, et par de nombreux manifestants allemands ou belges. Cet accord a été négocié en secret, sans étude d'impact, alors que ses conséquences seraient très graves. Son application provisoire serait effective dès la signature pour les secteurs relevant de la compétence communautaire. La déclaration interprétative n'a aucun caractère contraignant.

Le recours à une commission arbitrale continue à inquiéter. Il faut certes se réjouir de la révision du règlement des contentieux, à laquelle la France a beaucoup contribué. (M. Jean Bizet approuve) Mais le texte ne précise ni l'appel, ni des mesures anti-contournement. Onze spécialistes canadiens, l'association allemande des juges considèrent que ce dispositif altère l'édifice juridique de l'Union européenne : une multinationale pourra poursuivre des États.

Il n'y a pas dans le Ceta de référence au principe de précaution, pas plus que dans la déclaration interprétative.

Le Canada ne reconnaîtrait que certaines indications géographiques, à peine le quart : plusieurs de nos filières agricoles sont menacées, en particulier nos éleveurs. Le Ceta pourrait ouvrir la voie d'une exploitation du gaz de schiste et des sables bitumeux, pense la fondation Nicolas Hulot.

Cet accord n'est donc pas acceptable en l'état, comme le pensent les parlements de la Wallonie et de Bruxelles. L'ultimatum lancé par la commission à un État souverain n'est vraiment pas bienvenu, à une époque où l'Union européenne souffre d'une crise de légitimité.

Le Ceta serait la meilleure garantie contre un accord avec les États-Unis ? Avec une telle opacité, c'est évidemment plus que douteux !

M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères .  - L'Europe traverse une crise sans précédent. Je ne reviendrai pas sur l'annulation désolante de la visite du président russe... La diplomatie française devrait au contraire se concentrer sur la reprise des négociations. Pour négocier, il faut se parler - c'est la base de la diplomatie.

Nous sommes en désaccord profond lorsque, soutenant Assad, la Russie écrase 300 000 civils sous un déluge de bombes. Mais la solution en Syrie sera politique.

Le format « de Normandie » n'a pas permis une pleine application des accords de Minsk, ni le règlement du conflit ukrainien, d'où la reconduction des sanctions l'été dernier. Il faut certes noter des avancées mais le processus est fragile. Le volet politique et institutionnel n'enregistre aucun progrès. L'Europe doit retrouver les voies du dialogue avec la Russie.

L'Union européenne n'est plus dans la tourmente dans laquelle elle se trouvait face à l'arrivée massive de migrants en 2015. Mais les flux n'ont pas disparu : les filières de passeurs se reconstituent. Sur ce dossier migratoire, il y a une forte attente des opinions après une année 2015 durant laquelle l'Union européenne a donné l'impression d'avoir perdu le contrôle de la situation migratoire.

Le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne est une bonne chose. L'inauguration de la nouvelle agence européenne de garde-frontières, dotée de moyens renforcés et d'une plus grande capacité d'action, est une première avancée. Il faudra aussi passer des accords avec des pays tiers. Où en est-on ?

La politique commerciale est devenue l'un des talons d'Achille de l'Union européenne. La France a demandé l'arrêt des négociations avec les États-Unis ; elle est favorable au Ceta et à son application provisoire. C'est contesté partout en Europe. Or le retour d'un discours protectionniste n'est pas une bonne nouvelle alors qu'un emploi sur sept dépend des exportations.

Le blocage sur le TTIP semble difficilement dépassable. C'est très différent pour le Ceta. L'Union européenne ne doit pas pour autant pécher par excès de naïveté. Ses citoyens veulent une Union qui défende ses intérêts y compris dans les négociations commerciales, comme font l'Inde et la Chine. L'Union européenne accordera-t-elle à la Chine le statut d'économie de marché ? Une riposte juridique doit être envisagée contre les amendes prononcées par la justice américaine au nom de l'extraterritorialité de ses lois.  (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - D'une ampleur inédite, la crise migratoire a révélé les faiblesses de l'Europe, qui a été prise au dépourvu. La création d'une nouvelle agence remplaçant Frontex est une bonne nouvelle, avec son démarrage le 6 octobre en Bulgarie.

Il y a urgence à agir pour montrer que l'Union européenne reprend la question en main. L'Union européenne est désunie : le groupe de Visegrad exprime des frustrations. Le Conseil européen doit faire prévaloir la solidarité, autant que la subsidiarité. L'Union européenne doit enfin se comporter en puissance. L'Union pour la Méditerranée pourrait être un cadre intéressant.

La transparence des négociations commerciales est indispensable. L'Europe a intérêt à conclure des accords commerciaux, à condition qu'elle défende ses intérêts. L'extraterritorialité des lois américaines est inacceptable ; le Sénat s'est honoré à fournir à M. Fekl une expertise dont il s'est saisi sur cette question.

C'est en se comportant en puissance - comme sur les indications géographiques - que l'Europe se fera respecter. Mais il faudrait des études d'impact sur les différents secteurs.

Je suis préoccupé par le retour à un climat de guerre froide avec la Russie. Si cette dernière a sa part de responsabilité, gardons-nous d'instaurer des relations fondées sur les sanctions. C'est l'intérêt de la France et de l'Union européenne de rétablir des relations de confiance avec ce grand pays avec lequel nous avons des intérêts en commun. La résolution du Sénat pourrait inspirer le Gouvernement. (Applaudissements)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - les questions sont nombreuses, dans ce très bon débat. La solidarité, oui, est en jeu dans les mécanismes de relocalisations : leur nombre est de 5 553, 1 366 depuis l'Italie, la France a relocalisé 40 % du total depuis la Grèce, 25 % depuis l'Italie. La France a pris sa part. La solidarité n'est pas flexible, car c'est un principe fondateur de l'Union européenne, tous les États membres doivent prendre leur part dans la relocalisation de même que tous les États ont, peu ou prou, bénéficié de la solidarité financière dans leur territoire.

M. Pozzo di Borgo s'interroge sur le rôle des différentes institutions dans les négociations sur le Brexit. La procédure de l'article 50 est claire : une fois la décision de retrait annoncée, le Conseil définira les orientations de négociation sur la base d'une recommandation de la Commission européenne ; celle-ci négociera, le Conseil européen sera représenté dans l'équipe de négociation - Michel Barnier est pressenti pour diriger l'ensemble.

La France, monsieur Gattolin, a demandé avec six autres pays la réforme de nos instruments de défense commerciale, pour faire face à la crise de l'acier liée à la surproduction chinoise. L'enjeu, c'est le mode de calcul des droits antidumping. Le Conseil fixera des orientations, et ses conclusions seront claires : l'Union européenne doit être armée.

Avec la Russie, le dialogue est difficile mais nécessaire ; il se poursuivra ce soir même à Dublin. L'urgence, en Syrie, est l'arrêt des bombardements à Alep ; la France a très fortement regretté le blocage russe aux Nations unies, et cette position sera rappelée par le Conseil européen. Enfin l'Ukraine, la mise en oeuvre de l'accord de Minsk avance trop lentement ; la réunion au format Normandie, ce soir, est la première depuis un an, nous en espérons des avancées.

Le Ceta, loin d'être un cheval de Troie du TTIP, est un modèle de ce que nous pouvons obtenir d?un accord commercial bilatéral. Nous avons obtenu aussi bien la protection des indications géographiques et la réciprocité de l'accès aux marchés publics qu'un mécanisme de règlement des différends qui reste sous le contrôle des autorités publiques. La déclaration interprétative démontre que rien dans l'accord ne peut remettre en cause nos normes sociales, environnementales, donc la COP 21, et que le mécanisme d'arbitrage ne pourra conduire à la condamnation d'un pays dont la législation aurait évolué dans ces domaines.

L'Union a toutes les raisons de vouloir élargir ses échanges commerciaux, et nous voulons nous appuyer sur ces résultats dans les négociations à venir.

Le Parlement est consulté, notamment par le biais du comité stratégique mis en place par Matthias Fekl.

L'Europe doit s'affirmer comme une puissance, pour faire face aux crises auxquelles elle est confrontée et répondre aux préoccupations des citoyens européens.

Débat interactif

Mme Pascale Gruny .  - Le 24 juin dernier, le Royaume-Uni a choisi de quitter l'Union européenne. La frontière franco-britannique redevenant une frontière extérieure de l'Union, il est impératif de renégocier les accords du Touquet : pourquoi la France se chargerait-elle d'appliquer la politique migratoire d'un pays tiers ?

Ayons le courage de la vérité : tant que les migrants penseront trouver du travail sans en avoir le droit en Grande-Bretagne, ils se presseront sur nos côtes. C'était déjà le cas à Sangatte.

Votre manque de fermeté crée un appel d'air, alors qu'il faut reconduire les illégaux. Un certain Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, avait affirmé en décembre 2013 vouloir renégocier certains aspects des accords du Touquet. Qu'attendez-vous ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Les accords du Touquet ont été signés, avec raison, par un précédent Gouvernement, car faute d'accord, les incidents seraient bien plus nombreux dans le tunnel sous la Manche, qui a facilité le franchissement de la frontière. Des migrants s'y engageraient, avant d'être renvoyés... Cependant, ces accords n'ont pas fonctionné convenablement et c'est pourquoi Manuel Valls et Bernard Cazeneuve se sont employés à les renégocier lors du sommet d'Amiens, obtenant un renforcement de la coopération britannique, le financement d'équipements, une plus grande présence policière britannique... À présent, les Britanniques doivent accueillir les mineurs isolés, et les réfugiés doivent être accueillis en France dignement. Nous démantelons la « jungle », en conséquence. Prétendre que l'on combattrait plus efficacement l'immigration illégale en dénonçant les accords du Touquet n'est pas responsable.

Mme Patricia Schillinger .  - La jeunesse qui a subi la crise avec violence est gagnée par l'euroscepticisme, voire l'europhobie, alors qu'elle est notre avenir et notre priorité. La France s'est battue pour la garantie Jeunes, qui a bénéficié à 14 millions de jeunes Européens depuis 2013, et dont la Cour des comptes a salué l'application au niveau national : le taux de sortie vers l'emploi est évalué à 50 %, les besoins à 21 milliards d'euros. Or la Commission européenne ne propose que 2 milliards sur la période 2017-2020. À l'approche de la révision du cadre financier pluriannuel, la France donnera-t-elle de la voix ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Il faut des moyens supplémentaires à ce programme. La France avait obtenu 6 milliards d'euros pour 2014-2015, le président de la République a demandé un prolongement, la Commission européenne a prévu 2 milliards d'euros supplémentaires. En France, le programme est un succès pour le retour à l'emploi. L'enjeu est de taille, alors que le taux de chômage des jeunes avoisine le double de la moyenne nationale dans de nombreux pays. Nous demanderons qu'il reste une priorité.

M. Michel Billout .  - La société Eutelsat, organisation intergouvernementale créée en 1977, privatisée en 2001 - avec toutefois un capital public à 59 % -, vient de décider, sous pression du président Erdogan, d'arrêter la diffusion d'une chaîne de télévision kurde qui ne faisait pourtant l'objet d'aucune poursuite judiciaire, au moment même où son gouvernement fermait une vingtaine de télévisions et de radio. Est-ce compatible avec les valeurs européennes, au premier rang desquelles la liberté d'expression et des médias ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Eutelsat n'est pas une agence européenne, même si son histoire est liée à la construction européenne, ce qui lui impose, je le pense comme vous, de respecter les valeurs européennes. La décision que vous mentionnez est préoccupante. Sauf à se livrer à la propagande terroriste, à l'appel à la haine ou à la violence, une chaîne n'a aucune raison de se voir empêcher de diffuser ; il faut une discussion franche avec les responsables de cette société et les responsables turcs.

M. Henri Tandonnet .  - Quel soutien la France et l'Europe comptent-elles apporter à la Jordanie, qui accueille plus de 1,5 million de réfugiés syriens malgré l'interruption de son approvisionnement énergétique et des ressources en eau notoirement insuffisante ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La Commission européenne a annoncé un « compact », un partenariat spécial avec la Jordanie comportant des aides financières - à la scolarisation des enfants réfugiés notamment  - et un volet économique, avec l'ouverture du marché européen aux entreprises jordaniennes implantées dans les camps. Nous veillerons naturellement à ce qu'il ne porte pas atteinte aux intérêts européens.

La Jordanie mérite notre soutien. En proportion de sa population, elle accueille plus de réfugiés que la Turquie, et son économie est plus fragile.

M. Gérard Bailly .  - Le 27 octobre, le Ceta doit être signé, le Gouvernement s'en réjouit. Le Premier ministre a salué son « judicieux équilibre » et M. Fekl parle d'un bon accord pour l'agriculture française, les Canadiens ayant reconnu 42 de nos appellations protégées. Je m'inquiète cependant, comme président du groupe d'études sur l'élevage : le contingent de viande bovine à droits de douane nuls consenti aux Canadiens serait augmenté de 50 000 tonnes, en plus de l'ancien contingent de 15 000 tonnes. Au total, 65 000 tonnes sur les 400 000 du segment de la viande d'aloyau, le plus rémunérateur.

Le Brexit aggravera les choses, puisqu'il faudra absorber cet excédent à vingt-huit au lieu de vingt-sept...

Alors que les éleveurs français traversent l'une des plus graves crises de leur histoire, que le marché français est saturé, comment pourront-ils faire face à cette concurrence déloyale, venant d'un pays où les bovins sont élevés avec des OGM et des antibiotiques ? Passez-vous les éleveurs par pertes et profits ? Ou bien pouvez-vous exclure la viande bovine du Ceta ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement sera très attentif à ce que l'élevage français - et européen - ne soit pas affecté par le Ceta. C'est la première fois qu'un accord commercial mentionne autant d'indications géographiques.

Des fédérations s'inquiètent du Brexit, mais il en sera tenu compte, les contingents du Ceta seront adaptés en conséquence. Soyez assuré que l'élevage français n'a rien à craindre du Ceta, qui lui offrira au contraire de nouveaux débouchés.

M. Roland Courteau .  - Alors que la France a annoncé vouloir mettre un terme à la négociation sur le Tafta, Angela Merkel a déclaré le 5 octobre vouloir la poursuivre aussi longtemps que possible. Nous avons été choqués, mais guère surpris, car l'industrie allemande est à la manoeuvre... De fait, la Commission européenne continue. Cela va-t-il durer ? Quelle sera la position française au prochain Conseil européen sur ce point ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Les appréciations sur le Tafta diffèrent selon les États membres. La France a considéré que le compte n'y était pas, les Américains n'ayant guère tenu compte de nos exigences, sur les marchés publics comme sur les indications géographiques ou l'arbitrage. Nous avons donc demandé à reprendre les discussions sur d'autres bases. D'autres États membres souhaitent continuer.

Nous sommes en revanche tombés d'accord pour refuser un « petit accord », conclu en urgence avant la fin de l'année.

En tout état de cause, il ne peut y avoir d'accord sans la France, sans ratification par le Parlement français : vous en serez donc saisi.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Je salue la qualité de nos débats. S'il est vrai que le Ceta est globalement très équilibré, le nouveau contingent de viande bovine pourrait effectivement déstabiliser la filière, d'autant qu'il englobe les morceaux nobles. Il faudra revoir la segmentation du marché. En revanche, des assurances nous ont été données sur le fait que la quote-part britannique sera déduite des 65 000 tonnes. Avec le président Larcher, j'irai voir le président Juncker le 14 novembre pour évoquer la réforme de la PAC. Nous aurions intérêt à jouer la carte de l'aide alimentaire, que concernent 80 % des subventions américaines.

Certains de nos collègues, malheureusement, ne saisissent pas bien l'utilité ni la portée des accords commerciaux. Ceux-ci servent d'exutoires aux gens qui accusent la mondialisation de tous les maux, et donnent l'occasion à certains commentateurs, les Hulot et les Bové, de donner libre cours à leur malhonnêteté intellectuelle. Afin de couper court à ces manipulations, je milite pour une approche ex ante, les parlements étant chargés de fixer à l'avance les lignes rouges. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La séance, suspendue à 20 h 55, reprend à 22 h 25.

CMP (Candidatures)

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Cette liste a été publiée conformément à l'article 12, alinéa 4, du Règlement et sera ratifiée si aucune opposition n'est faite dans le délai d'une heure.

Débat sur l'eau et les milieux aquatiques

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions des rapports d'information : « Eau : urgence déclarée » et sur le bilan de l'application de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective .  - La délégation a reçu un choc lorsqu'elle a entendu les conclusions de ses deux rapporteurs. L'eau n'est pas considérée comme un problème majeur en France, qui n'est pas un pays désertique. Pourtant, les déséquilibres climatiques et l'épuisement de la ressource vont provoquer des problèmes, qui deviennent des urgences. Je n'imagine pas un nouveau texte sur l'eau dans les mois qui viennent ; mais il faudra y revenir. Je regrette que le débat se tienne si tard dans la soirée.

M. Henri Tandonnet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Merci au président Karoutchi d'avoir accepté un tel sujet d'étude. Notre rapport est un signal d'alarme : le dérèglement climatique a des conséquences extrêmes. La crise climatique est une crise aquatique. La France n'est pas épargnée ; l'Aquitaine n'est plus le pays des eaux et on anticipe une hausse de la température de 2 à 5 degrés d'ici 2100.

L'agriculture et la production d'énergie en souffriront au premier chef, l'industrie et la consommation des ménages ou les loisirs également. Avec la diminution de la ressource, les conflits d'usage se multiplieront. Nous ferons face à des périodes de fort stress hydrique et à des inondations plus fréquentes. Il faut ainsi anticiper pour ne pas subir.

La politique de l'eau est aujourd'hui marquée par une vision écologiste, le souci du bon état de l'eau et de son bon écoulement.

Il est temps de prendre en compte l'aspect quantitatif. Il faut d'abord une gestion économe de l'eau. L'indépendance alimentaire est liée à la disponibilité d'eau pour l'élevage et l'irrigation. Ménages et agriculture ne doivent pas être opposés : sans eau, pas de nourriture. La France est virtuellement importatrice d'eau, l'eau qui est nécessaire pour la fabrication des produits que nous importons -  surtout de pays fragiles : en 2007, nous étions ainsi importateurs de 8,4 milliards de mètres cubes... Il est donc plus qu'urgent de se rendre compte que la gestion de l'existant ne suffit pas. Il faut stocker, encourager la recherche. L'eau sera alors non pas le problème, mais la solution. (Applaudissements)

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Notre pays se trouve lui-aussi confronté au risque de pénurie d'eau. Le dérèglement climatique n'est plus douteux, notre pays devrait connaître des périodes plus chaudes de 5 degrés d'ici la fin du siècle. Ce n'est pas les régions méditerranéennes qui souffriront le plus, mais par exemple le bassin Adour-Garonne, qui souffre de la fonte des glaciers pyrénéens et de sa faible capacité de retenue ; le bassin Seine-Normandie est dit-on particulièrement vulnérable. Il y a urgence à mettre en place une politique de sensibilisation de la population.

La ressource en eau ne se crée pas, elle se gère. Les fuites sur les réseaux peuvent dépasser 40 % en milieu rural, tandis que l'utilisation des canons à neige ou l'arrosage des golfs dans les zones où la ressource est comptée peuvent être problématiques. Avec Suez ou Veolia, nous avons la chance d'avoir des entreprises de réputation mondiale, qui investissent massivement en recherche et développement. Car la réalimentation des nappes phréatiques ou la réutilisation des eaux usées peuvent être des solutions. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

L'eau est l'une des premières politiques publiques vraiment décentralisées. L'organisation autour des agences de bassin est pertinente mais elle pèche en quelque sorte par excès de démocratie locale ; dans les comités de bassin, on discute beaucoup mais on décide peu ; les techniciens en prennent d'autant plus de pouvoir, à la place des élus ! Une réflexion sur la gouvernance doit être menée. (Applaudissements)

M. Rémy Pointereau, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - La commission m'a chargé de faire un bilan d'application de la loi sur l'eau (LEMA) de 2006 et de confronter la loi et le réel. Vous connaissez mon attachement à la simplification des normes ; mon travail d'aujourd'hui est dans le droit fil de celui que je mène au sein de la délégation aux collectivités territoriales.

Ce débat est un signal fort. Les deux rapports se complètent sur les difficultés de la gestion de la ressource et la nécessité de préparer l'avenir. La loi de 2006 avait deux objectifs : moderniser un cadre juridique fondé sur les lois de 1964 et 1992 et atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre du 23 octobre 2000 relative au bon état écologique de l'eau à l'horizon 2015.

Dans ses 102 articles, la LEMA a reconnu un droit à l'eau pour tous, réformé le régime d'autorisation des installations et modifié celui du débit affecté. Lors des débats en séance publique, nous avions relevé l'importance de ses dispositions pour les élus locaux, dont les responsabilités - eau potable, assainissement - sont lourdes. Cette importance reste d'actualité, les soixante auditions que j'ai menées le montrent.

Dix ans après sa promulgation, le bilan d'application de la loi est mitigé. Se mêlent l'attachement aux grands principes et à l'équilibre du texte, qui ont accompagné les efforts des industriels, des agriculteurs et des élus, et le regret d'une mise en oeuvre trop complexe, d'une application trop souvent idéologique par des services qui l'interprètent parfois de manière aberrante. Par exemple, l'effacement des seuils est systématiquement utilisé, mettant les propriétaires de moulins dans des situations intenables, avec l'obligation de financer des passes à poissons à 300 000 euros... (MM. Jean-Noël Cardoux et Charles Revet renchérissent) La commission proposa ainsi de simplifier les procédures, d'alléger les normes, de planifier la gouvernance.

En matière de gestion qualitative de l'eau, il faut s'interdire de surtransposer. Le principe « l'eau paie l'eau » doit être intangible. Nous proposons de garantir le financement des agences et de concentrer leurs missions sur la biodiversité aquatique ; et, comme l'AMF, nous nous opposons à toute ponction sur leur budget - encore 175 millions en 2017.

M. Charles Revet.  - Tout à fait d'accord !

M. Rémy Pointereau, rapporteur.  - Sur la gestion quantitative, les collectivités territoriales doivent être aidées pour lutter contre les fuites d'eau dans les réseaux d'eau potable, qui représentent un milliard de mètres cubes, soit un tiers du prélèvement destiné à l'irrigation - irrigation de plus en plus contestée alors que c'est un gage de diversification des cultures et de sécurité pour les agriculteurs. Il faut d'urgence sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective. Deux seulement sont aujourd'hui titulaires de l'autorisation unique pluriannuelle.

Le rapport préconise également de rationaliser les procédures de nettoyage des rivières et des fossés. Les contraintes normatives sont telles que les propriétaires préfèrent s'abstenir de faire ce nettoyage de peur des agents de l'ONEMA. Il faut faire plus de pédagogie que de répression. Les agents de l'Office doivent-ils être armés ?

M. Jean-Noël Cardoux.  - Non !

M. Rémy Pointereau.  - Il faut aussi raccourcir les délais d'instruction des dossiers de création de réserve et les sécuriser. En termes de gouvernance, il faut un meilleur équilibre au sein des agences de bassin, avec une répartition un tiers de consommateurs et d'associations, un tiers de collectivités territoriales, un tiers d'organismes représentant les utilisateurs professionnels. La compétence « gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations » (Gemapi) doit être prise en main par des acteurs plus puissants que les intercommunalités.

Je déposerai avant la fin de l'année une proposition de loi et une proposition de résolution qui reprendront les 28 propositions du rapport et permettront d'agir avec discernement et pragmatisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Henri Tandonnet .  - Le dérèglement climatique s'accentue. Il faut donc économiser l'eau au niveau de la consommation des ménages et éviter les gaspillages sur les réseaux ; en agriculture, promouvoir une irrigation de précision. Il faut constituer des réserves, mais aussi consolider la recherche en s'appuyant sur les entreprises françaises - par exemple pour la réutilisation des eaux usées. Autres pistes, l'agro-écologie, la reconstitution des nappes, la création de réserves en période d'abondance...

En désaccord avec Rémy Pointereau, je pense qu'il faut donner aux comités de bassin plus de pouvoir. Il faut rassembler les acteurs autour de projets territoriaux partagés.

Nos entreprises de réputation mondiale se regroupent dans des pôles de compétitivité ; or le Gouvernement est en passe de réduire le nombre des pôles à vocation mondiale, en les régionalisant ; ils perdront en influence. Merci, madame la ministre, de porter cette inquiétude auprès du Gouvernement. (Applaudissements au centre)

M. Hervé Poher .  - Ces deux rapports se complètent parfaitement ; ils permettent d'observer la loi, l'esprit de la loi, l'interprétation de la loi et l'application de la loi...

Vieux militant de l'eau, j'ai pratiqué, enduré, subi les contraintes de la loi... De cette expérience j'ai tiré une première évidence : on ne peut pas vouloir une chose et son contraire, exiger une implication plus forte des collectivités territoriales et demander la centralisation de la Gemapi.

Généralisons les contrats de ressources : ces quelques centimes par mètre cube d'eau potable reversés aux collectivités territoriales qui protègent les champs captants sont payés par tous les utilisateurs.

Deuxième évidence : les agences de l'eau sont les partenaires indispensables des maîtres d'ouvrage. Or les effets du changement climatique sont ressentis chaque jour et certaines régions souffrent de handicaps spécifiques : il n'est pas de bonne politique de ponctionner les agences de l'eau, au prétexte de leur bonne trésorerie ! (On approuve à droite) Jouer les alchimistes en transformant la taxe sur l'eau en impôt indirect est subtil mais moralement indéfendable.

M. François Bonhomme.  - Il n'y a plus qu'à le faire !

M. Hervé Poher.  - La loi doit nous obliger à faire - j'ai moi-même beaucoup râler... Mais il faut bien admettre certains... débordements : l'eau fait rarement partie des urgences. Un tout-à-l'égout c'est cher, c'est bon pour la nature, mais ce n'est pas payant politiquement car cela ne se voit pas (M. Roland Courteau renchérit) Il faut donc transformer l'obligation en prise de conscience, celle-ci en devoir, celui-ci en réussite.

Soyons pragmatiques, pédagogues : les citoyens ne comprendront jamais qu'on fasse des économies sur tout... sauf sur les passes à poisson. (M. François Bonhomme approuve) Parce que l'eau est malade, nous devons collectivement rédiger l'ordonnance. Nous lui devons bien cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Yves Roux .  - Dix ans après la loi sur l'eau, un an après l'accord de Paris, ce débat arrive à point. Pour le président du comité scientifique de la COP22, il faut encourager les États à s'engager dans l'économie verte, l'économie bleue, qui offrent des opportunités en termes de croissance et d'emplois. La crise climatique est une crise aquatique -  40 % de la population mondiale n'a pas accès à l'eau potable. Je me félicite que l'acte II de la loi Montagne intègre parmi ses objectifs, dès l'article premier, l'usage partagé de la ressource en eau.

En 2006, notre pays s'engageait au bon état écologique des deux tiers de ses masses d'eau de surface à l'horizon 2015 : nous n'y sommes pas. Faut-il casser le thermomètre car la fièvre est trop haute ? Non. Économiser la ressource nécessite une gestion plus fine, plus réactive. Un fléchage des subventions des agences de l'eau et une TVA réduite pourraient aider à cibler les efforts sur l'entretien des réseaux. L'Institut national de la consommation relève qu'un quart de l'eau potable serait perdu à cause des fuites.

Élu de montagne, deux chantiers me semblent prioritaires, l'entretien et le dragage des cours d'eau et une réflexion sur les débits réservés dans les territoires qui connaissent des variations fortes des niveaux d'étiage. Une sensibilisation dès l'école d'un usage plus raisonné de l'eau serait également souhaitable. (M. Roland Courteau renchérit)

Le Sénat dispose d'un outil majeur : une expérimentation sur trois ans, avec des objectifs chiffrés et un appel à projets. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Évelyne Didier .  - Le premier rapport fait le bilan de l'application de la loi de 2006 et le second fait des propositions. Ce constat d'urgence que nous partageons dépasse les frontières. L'objectif n°6 du développement durable de l'ONU est de garantir l'accès à l'eau et à l'assainissement de tous et d'assurer une gestion durable de la ressource. La COP22 abordera plus précisément ces sujets.

Le chemin à parcourir est encore long ; 633 millions de personnes sont privées d'eau potable dans le monde, au moins 1,8 milliard utilisent une source polluée. Plus de 1,7 milliard de personnes vivent dans des bassins où l'utilisation de l'eau est supérieure à la quantité disponible, au détriment des écosystèmes. Chaque jour, 1 000 enfants meurent de maladies que de bonnes conditions d'hygiène suffiraient à prévenir.

Le dérèglement climatique crée des nouvelles tensions. Nous nous rejoignons sur le réalisme et la solidarité dont nous devons faire preuve.

Sur la gestion qualitative de l'eau, nous dénonçons comme d'autres les ponctions sur le fonds de roulement des agences de l'eau. J'écouterai avec attention ce que vous en direz l'année prochaine, mes chers collègues, avec un nouveau gouvernement...

Il faut prendre en compte la proximité. La ressource en eau ne se crée pas, elle se gère. Mais les fuites sont préoccupantes. Connaître les réseaux et les rénover coûte trop cher aux collectivités territoriales, qui doivent être aidées. Il faut que l'eau redevienne un service public.

Il y a des manques dans les propositions. Quid des pollutions diffuses ? La moitié des masses d'eau serait dégradée par de telles pollutions d'origine agricole... Il faut en venir à la prévention. L'application de la directive Nitrate est un progrès mais le Sénat n'a pas voulu interdire les variétés tolérantes aux herbicides, alors que leur usage conduit mécaniquement à des teneurs plus élevées des molécules chimiques dans les eaux.

Nous devons doper une économie circulaire, avec l'économie de l'eau en son coeur.

Je regrette que les plus démunis n'aient pas été évoqués dans les rapports - il y a en France des gens qui n'ont pas accès à l'eau potable. (M. Roland Courteau le confirme)

Merci pour ce rapport utile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Claude Requier .  - Le droit à l'eau potable est reconnu par l'ONU comme une condition du droit à la vie et de l'exercice des droits de l'homme. Mais 700 millions de personnes en sont privés... Il est impérieux de considérer la question de l'eau dans le cadre du changement climatique ; la France connaîtra davantage d'inondations et davantage de périodes de sécheresse. Les données scientifiques sont incontestables et ne laissent pas de place à l'inertie. Il faut agir. Merci aux auteurs de ces rapports de faire oeuvre de pédagogie.

La consommation d'eau en France est inférieure à la moyenne européenne. Mais il faut intégrer l'eau virtuelle, avec laquelle nous serions importateurs d'eau à hauteur de 8,4 milliards de mètres cubes. Pour gérer la ressource, il faut penser au stockage, à la désalinisation de l'eau de mer, aux grands ouvrages. La technologie peut aider à faire face.

Le secteur agricole représente 50 % de la consommation totale. Le potentiel d'amélioration est conséquent. Des solutions existent - nouvelles pratiques agricoles, irrigation de précision, fermes connectées, permaculture ou fermes verticales - que l'État doit aider les acteurs à mettre en place.

Les fuites sur les réseaux gaspillent 25 % de l'eau prélevée, voire 50 % dans certaines zones rurales ; l'Ardèche, le Morbihan, le Lot, le Tarn et Garonne sont les plus concernés par un niveau élevé des prix. Or le prix de l'eau va augmenter du fait des évolutions réglementaires pour atteindre les objectifs de la directive-cadre européenne. Il est urgent de garantir la couverture des coûts du service de l'eau - à 80 % des coûts fixes -, de dégager de nouvelles sources de financement pour que la hausse ne pèse pas trop sur les consommateurs.

La gouvernance est aussi à repenser. Le système est opaque, la multiplication des acteurs néfaste. Les collectivités territoriales doivent être accompagnées. La ponction de 175 millions d'euros sur les agences de l'eau est un très mauvais signal.

M. Charles Revet.  - Il faut le répéter.

M. Jean-Claude Requier.  - Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation ? Nous attendons des réponses précises - cela coule de source ! (Applaudissements)

M. Daniel Gremillet .  - Je salue ces travaux de qualité, qui ouvrent le débat et tracent des perspectives.

Il faut consolider les agences de l'eau, au lieu de les ponctionner arbitrairement ; elles jouent un rôle stratégique, cette ponction est inacceptable et une rupture du contrat de confiance. Ce n'est pas acceptable quand on connaît les besoins des collectivités territoriales pour entretenir les réseaux. Dans le bassin Rhin-Meuse, sur 300 millions de mètres cubes prélevés, 70 millions sont gaspillés : c'est du gâchis.

L'eau doit payer l'eau, la loi Biodiversité a porté un coup à cet excellent principe : la contribution des agences de l'eau à l'agence de la biodiversité ne devrait pas servir à autre chose qu'à la biodiversité aquatique. La France a la chance d'avoir un grande richesse hydrologique, il faut une politique de réserve et de meilleure répartition avec des retenues de substitution.

Il faut, enfin, capitaliser sur la recherche et l'innovation. L'époque est formidable, les processus industriels se rénovent ; on sait récupérer 70 % d'eau d'un litre de lait, mais la réglementation nous interdit de la réutiliser à des fins alimentaires : quel gâchis ! Même chose pour l'eau économisée dans les process industriels.

Il faut enfin recentrer la politique de l'eau sur les territoires. La commune reste le mode d'organisation dominant pour l'eau et l'assainissement collectif. Faisons confiance à la proximité.

Le patrimoine énergétique hydraulique n'est pas suffisamment exploité, alors qu'il est un levier de notre indépendance énergétique.

Il est urgent de replacer notre confiance dans les mains des acteurs de terrain : l'eau est une urgence déclarée pour qu'elle soit une chance pour la France ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Annick Billon .  - Ce rapport m'a donné l'occasion de conduire en Vendée une réflexion avec les acteurs de l'eau, des plus intéressantes. Il en ressort que s'il faut conserver les objectifs de la directive-cadre de l'an 2000, les acteurs de terrain doivent garder le choix des paramètres et, pour lutter contre les pollutions diffuses, associer l'ensemble des parties concernées, en particulier les propriétaires et exploitants agricoles et non-agricoles.

Le fonds de garantie « boues » de la loi sur l'eau doit être adapté, la protection des captages, renforcée, pour réduire les intrants et laisser aux agences de l'eau leurs moyens financiers, plutôt que de les ponctionner. J'anticipe le débat sur le budget 2017 pour dénoncer le prélèvement qui sera encore opéré sur le fonds de roulement des agences de l'eau.

La continuité écologique exige la participation de tous les services de l'État dès la phase de concertation, sans politique de la chaise vide - ainsi les compétences de tous les acteurs seront reconnues et valorisées.

Un avenir serein et plus efficace passe notamment par des relations fondées sur la confiance et le renforcement du rôle des syndicats de rivière en lien avec les commissions locales de l'eau. (M. Maxime Tandonnet, rapporteur et M. Jean-Claude Requier applaudissent)

M. Claude Bérit-Débat .  - Notre sujet est vital parce qu'il engage l'avenir de la planète et celui de toute l'humanité : aujourd'hui, l'approvisionnement en eau demeure un défi, alors que l'agriculture est soumise à des contraintes toujours plus fortes. Le fait que notre débat intervienne après une sécheresse inédite ne doit rien au hasard et l'évidence scientifique s'impose : ces épisodes vont se multiplier. L'agriculture tout entière est touchée. En Dordogne, le déficit pluviométrique s'établit à 85 % en juillet, 70 % en août ; en conséquence, plusieurs arrêtés de restriction ont été publiés.

Tout cela est préoccupant. Nous devons anticiper les évolutions climatiques, les dix ans de la LEMA nous en fournissent l'occasion. Elle a ouvert des voies intéressantes, qui restent perfectibles.

Les agriculteurs et les élus locaux plaident en faveur d'évolutions que nous leur avions promises, il y a dix ans. D'abord sur la gestion quantitative, par la réforme des organismes uniques de gestion collective aux territoires parfois incohérents et au statut juridique fragile.

La réalisation de réserves de substitution et les retenues collinaires garantissant l'alimentation des animaux, les cultures et un étiage suffisant pour le maintien de la biodiversité sont un véritable casse-tête dans la pratique.

Le pragmatisme et le bon sens devraient l'emporter : les choses ont trop peu évolué depuis la levée du moratoire de 2013 : des réformes doivent être conduites, des procédures au financement. Même chose pour le nettoyage des cours d'eau, où beaucoup reste à faire pour simplifier, au service de l'agriculteur.

Les installations hydrauliques sont en danger, les propriétaires n'ayant pas toujours les moyens de s'adapter aux objectifs de la loi sur la transition énergétique : il faut trouver des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les bancs du groupe RDSE)

M. François Bonhomme .  - L'eau est une ressource unique et stratégique, merci pour ces rapports éclairants et stimulants. La surtransposition française des directives européennes va bien au-delà de la loi-cadre : voyez les effets collatéraux des Grenelle I et II, quelque 15 000 cours d'eau ont été classés, dans un délai trop court - cinq ans ; ce n'est guère raisonnable. Même remarque pour les moulins, source de charges exagérées pour les propriétaires, particuliers ou petites exploitations, afin d'assurer la continuité écologique.

Ensuite, la centralisation excessive au sein même des services déconcentrés de l'État est source de problèmes : quel maire n'a pas subi la situation ubuesque d'entendre un employé de l'Onema lui expliquer que le petit fossé dans sa commune était en fait une rivière avec les obligations y afférentes ? C'est le symptôme d'un État qui, partout, réduit l'accompagnement, mais renforce les contrôles.

Le Sénat a heureusement repoussé l'exercice de la nouvelle compétence obligatoire « Gemapi » des intercommunalités à 2018.

Enfin, du côté du financement, les agences de l'eau sont ponctionnées alors que l'on devrait s'en tenir à la règle d'or, selon laquelle « l'eau paye l'eau ». La redevance est devenue un impôt, au détriment des collectivités territoriales qui voient les moyens diminuer drastiquement. Il est piquant de constater que l'État n'hésite pas à appliquer une méthode qu'il critiquait lorsqu'elle était mise en oeuvre par les collectivités locales il y a vingt ans.

Tout le monde s'accorde à ne pas opposer l'environnement et le monde agricole ; mais avec la nouvelle version de l'arrêté du 12 septembre 2006 et l'interdiction des phytosanitaires jusqu'à 500 mètres des cours d'eau, la réglementation pourrait exclure l'agriculture de millions d'hectares...

Et que dire du projet de retenue de Sivens, emblématique, ancré dans le territoire, accepté et attendu depuis des dizaines d'années, mais désormais entravé par des occupants illégaux, ayant usé et abusé de toutes les voies de recours qui défient l'État : quel gâchis ! Quel précédent fâcheux !

La politique de l'eau est donc loin d'être un long fleuve tranquille : nous attendons plus de l'État, qu'il facilite et ne bloque pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Jacques Lozach .  - Je n'opposerai pas les usages, pas plus que je ne mésestime les conflits de terrain. Face aux incompréhensions suscitées par la continuité écologique, le Gouvernement a clairement choisi la pédagogie et le dialogue, la patience est indispensable.

La loi sur la biodiversité a élargi la participation dans les instances de gouvernance, ce qui répond aux critiques de la Cour des comptes dans son rapport de 2015 et devrait permettre une meilleure gestion ; la Gemapi, mieux répartie, sera ainsi mieux partagée localement. Les intercommunalités devront se saisir de ce nouvel outil. C'est aussi un progrès dans l'intérêt des usagers eux-mêmes.

Nos objectifs ambitieux ne seront atteints que par la mobilisation de tous, car notre avenir n'est pas construit pour quelques-uns ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je me réjouis de ce débat, tant la ressource en eau est vitale, stratégique. Longtemps nous l'avons crue abondante, inépuisable ; or dans mon département des Hautes-Alpes, pourtant qualifié de château d'eau de la Provence, avec le barrage de Serre-Ponçon, mis en service dans les années soixante, et ses 1 300 millions de mètres cubes, nous savions qu'elle devait être économisée pour l'irrigation et la production énergétique.

Or il se trouve en difficulté, parce que la surrèglementation a remplacé le bon sens paysan, provoquant de nombreux problèmes. Le rapport Pointereau est très éclairant. L'état des lieux est préoccupant, les réformes à conduire, importantes. Sur les classements des cours d'eau d'abord. Si la liste 1, établie sur la base des réservoirs biologiques du Sdage devrait peu évoluer, il n'en est pas de même pour la liste 2, qui concerne les cours d'eau ou tronçons de cours d'eau nécessitant des actions de restauration de la continuité écologique. Les travaux de restauration de la continuité biologique et sédimentaire doivent être réalisés sur les ouvrages y faisant obstacle.

Dans le département des Hautes-Alpes, situé dans le bassin Rhône-Méditerranée, ce classement a été très pénalisant et le mode de calcul bien éloigné de la réalité. Toutes ces décisions apparaissent trop souvent comme arbitraires. La spécificité du territoire et notamment son caractère montagnard n'ont pas été pris en compte. L'entretien et le nettoyage des cours d'eau est tellement complexe que les collectivités préfèrent parfois ajourner un projet dont la mise en oeuvre relève de l'exploit. Pourtant, les phénomènes récurrents d'érosion et d'inondation nous conduisent à redoubler de vigilance.

Il faut mieux prendre en compte tous les usages, y compris la pêche. La taxe demandée aux communes sur les fontaines est, elle, jugée excessive car il ne s'agit pas de capter l'eau mais simplement de la détourner.

Là comme ailleurs, il faut chercher des solutions au cas par cas, au plus près du terrain, en faisant confiance aux élus locaux. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville .  - Merci pour la clarté et la précision de ces rapports, de ce débat. Il faut promouvoir la pédagogie pour faire comprendre que l'eau doit être gérée.

Priorité nationale et mondiale portée par ce Gouvernement et par Ségolène Royal, présidente de la COP21, qui a introduit cette question dans les débats internationaux.

Le 2 décembre 2015, une journée entière a été consacrée à cette problématique, avec la signature du Pacte de Paris sur l'eau et l'adaptation au changement climatique dans les bassins des fleuves, des lacs et des aquifères par plus de 150 organisations. La France a des atouts à faire valoir en ce domaine, une expérience solide, des savoir-faire, en particulier en matière de gouvernance et de concertation avec tous les usagers. L'Iran, par exemple, s'est montré très intéressé, lors du dernier voyage de Ségolène Royal dans ce pays fin août dernier. Les entreprises françaises sont performantes, il faut les conforter.

La COP22 définira un nouvel agenda. Les travaux scientifiques démontrent une baisse du débit des cours d'eau et des réserves, l'année sèche pourrait devenir l'ordinaire en 2070. Nos besoins en eau augmenteraient de 40 %, nous serions en déficit presque partout.

Alors il faut s'organiser par bassins hydrographiques : c'est le but des plans de comités de bassins adoptés l'an passé, pour la gestion en eau et la prévention des inondations.

L'avenir se construit maintenant.

Depuis le début des années 2000, le ministère de l'environnement agit pour la gouvernance, pour la formation, la mobilisation pour la gestion de l'eau. N'opposons pas agglomérations, intercommunalités et communes. Nous devons tous gagner en gestion ; la loi NOTRe a confié la compétence aux EPCI, pour éviter la dispersion.

M. François Bonhomme.  - Et les charges ?

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - La cohérence de la gestion contribuera à limiter les fuites d'eau.

Enfin, le Gouvernement ne méconnaît pas les questions sur la Gemapi et accepte de donner du temps au temps, en différant sa mise en oeuvre. Le prélèvement sur les agences de l'eau, pour la période 2014-2017, et pas au-delà, participe de l'effort de solidarité demandé à tous les acteurs publics : il n'y a pas de raison qu'il soit prolongé.

Toute adaptation a un coût.

M. Rémy Pointereau.  - Eh oui !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - Il faut donc en préparer le financement : c'est le nerf de la guerre. Le Gouvernement est ambitieux...

M. François Bonhomme.  - Sur le dos des autres !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - ...pour les plans d'actions : 100 millions à 400 millions d'euros y seront consacrés sur 2015-2017. Nous n'avons pu atteindre nos objectifs de qualité écologique, du fait des difficultés des continuités écologiques et des prélèvements de l'agriculture. Il faut une vision globale et des adaptations locales.

La loi Biodiversité a renforcé notre politique de l'eau, en définissant les cours d'eau et en renforçant les agences de l'eau. « L'eau paie l'eau », dîtes-vous ? Oui, mais la formule s'élargit à la biodiversité, à la nature : l'eau, la nature, la mer paieront pour l'eau, la nature, la mer.

M. Rémy Pointereau.  - Avec moins de moyens !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - Mais une gouvernance mieux organisée autour des agences de l'eau. Les procédures ont été simplifiées (M. François Bonhomme semble surpris), la cartographie, les cours d'eau ont été dressés, les obligations clarifiées. La plupart des autorisations ont été délivrées cette année, démontrant que le Gouvernement est à l'écoute des élus locaux. (M. François Bonhomme en doute)

Madame Didier, La loi Biodiversité interdit les néonicotinoïdes à compter de 2018.

Quant aux agents de l'Onema, monsieur Pointereau, ils ont pour mission de favoriser le dialogue et la pédagogie...

M. Rémy Pointereau.  - Le révolver à la ceinture !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - Le temps est à la prise de conscience, vos rapports y participent, j'espère que notre débat sera utile à nos concitoyens, à la performance économique et écologique de notre pays : le Gouvernement est pleinement mobilisé, au bon échelon, en faisant pleinement confiance en l'intelligence des territoires et en s'appuyant sur les élus locaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

La liste des candidats établie par la commission des lois a été publiée conformément à l'article 12 du Règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire, titulaires : MM. Philippe Bas, Christophe-André Frassa, Mmes Jacky Deromedi, Anne-Catherine Loisier, MM. Didier Marie, Jérôme Durain et Mme Cécile Cukierman ; suppléants : MM. Jacques Bigot, Henri Cabanel, Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Mmes Marie Mercier, Catherine Troendlé et M. Alain Vasselle.

Prochaine séance, aujourd'hui, jeudi 20 octobre 2016, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit dix.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus

Ordre du jour du jeudi 20 octobre 2016

Séance publique

À 14 h 30

Présidence : M. Claude Bérit-Débat, vice-président Mme Isabelle Debré, vice-présidente

Secrétaires : M. Claude Haut Mme Colette Mélot

Débat sur les conclusions du rapport d'information de la commission des affaires économiques sur la situation de la filière équine (n° 692, 2015-2016).