Véhicules autonomes : enjeux économiques et cadres légaux

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Véhicules autonomes : enjeux économiques et cadres légaux » à la demande du groupe UC.

M. Pierre Médevielle, pour le groupe Union Centriste .  - L'automobile, dans l'imaginaire collectif, est le symbole de la liberté : aller où l'on veut, quand l'on veut et où bon nous semble. Mais voici que ce synonyme d'aventure et d'indépendance est en train de devenir une contrainte pour les urbains, alors qu'elle reste indispensable aux ruraux. Plus étonnant, la voiture semble vouloir à son tour s'émanciper, puisqu'elle s'émancipe du conducteur. Le véhicule autonome est vu comme un moyen radical de réduire la mortalité routière, en particulier aux États-Unis.

La France, malgré un retard à l'allumage, a une carte à jouer. De nombreuses initiatives sont prometteuses. Dans mon département de Haute-Garonne, pionnier dans le métro sans chauffeur depuis 1993, l'université Paul-Sabatier à Toulouse expérimentera d'ici la fin de l'année, dans le cadre du projet « autOCampus », des véhicules autonomes et connectés, sur lequel travaillent une trentaine de chercheurs et des industriels tels que Continental ou Renault avec son Software Labs. Madame la Ministre, vous avez d'ailleurs eu l'occasion d'expérimenter la navette autonome, développée par la start-up EasyMile sur l'ancien aérodrome de Francazal.

Les constructeurs Renault et PSA, tout juste sortis d'une crise difficile, tentent de reprendre pied sur ce marché. La concurrence est rude, elle dispose d'énormes moyens et va très vite. Au niveau des équipementiers, Valeo semble tout à fait au niveau mais à l'ère du numérique, les retournements peuvent se produire à vitesse éclair.

Si les perspectives sont de long terme, les véhicules autonomes pourraient circuler sur une partie restreinte du réseau, les autoroutes, dans deux à trois ans à peine. Cela représente un espoir réel pour l'environnement. Le parc urbain est saturé, l'air irrespirable. Tous les responsables politiques l'ont bien compris, nous sommes au bout d'un système. Les véhicules thermiques sont devenus indésirables dans les grandes villes telles que Paris, Marseille et Lyon.

Le véhicule ou la navette autonome représente peut-être la révolution de demain : les navettes autonomes compléteraient les transports existants comme le tram ou le métro en irriguant les plus petites rues. Sur les autoroutes, cela impliquerait une voie dédiée.

Alors que la conduite sans chauffeur se développe en Chine, aux États-Unis et au Japon, les Français étaient 57 % à redouter de lâcher le volant en 2016 ; 75 % craignaient même de perdre le plaisir de conduire. Si l'évolution des mentalités constitue un préalable, nous avons de nombreux défis - sécuritaire, économique, financier, éthique et réglementaire - à relever avant que le véhicule autonome ne devienne une réalité. Le véhicule autonome nécessite une harmonisation technique entre véhicules ainsi qu'entre véhicules et infrastructures. Comment financera-t-on l'adaptation du réseau routier à la conduite connectée ?

Les États-Unis ont pris une avance considérable en autorisant la circulation de 100 000 véhicules autonomes en septembre dernier. Les entreprises européennes ont besoin d'un cadre pour être sécurisées. La convention de Vienne de 1968, qui stipule que « tout véhicule en mouvement doit avoir un conducteur », a été amendée en mars 2016 pour autoriser la conduite automatisée mais seulement à condition qu'elle soit sous contrôle du conducteur et que celui-ci puisse la désactiver. Le véhicule autonome reste interdit. L'expérimentation est plus lourde en France qu'en Allemagne où les industriels ont fait pression sur leurs autorités. La responsabilité des robots et la protection des données individuelles soulèvent également des difficultés. Qui sera responsable en cas d'accident ? Si un ordinateur gère entièrement la conduite, cela suppose aussi une cybersécurité ultra-performante pour éviter la prise de contrôle par un tiers malveillant.

Pour conclure, les membres de l'Union européenne doivent harmoniser leurs positions dans les enceintes internationales afin que nos industriels puissent participer activement à cette révolution mondiale de la voiture autonome et défendre notre conception des données personnelles. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC  et Les Indépendants)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Les véhicules autonomes, enjeu de société, transformeront notre manière de nous déplacer, notre rapport à la mobilité et bouleverseront nos filières économiques. C'est le bon moment pour en débattre : l'autonomie est pour les dix prochaines années ; il y a aura des avancées majeures durant ce quinquennat. Les navettes autonomes sont déjà une réalité sur des parcours délimités ; sur voies réservées, des tests sont en cours. Il faut donc adapter notre cadre à cette réalité, c'est l'objet du projet de loi d'orientation des mobilités.

Premier enjeu : la sécurité routière. Les facteurs humains - prise d'alcool, somnolence, vitesse excessive - sont les principales causes des accidents. La délégation de conduite les réduira considérablement.

Deuxième enjeu : la qualité des services de mobilité, à travers un confort accru et surtout la mobilité partagée, avec des compléments de desserte en période creuse ou en zone périurbaine et rurale.

Troisième enjeu : l'impact environnemental. Le véhicule autonome doit impérativement être propre ; de plus, il fluidifiera et dynamisera le trafic et réduira fortement le coût d'usage.

Quatrième enjeu, l'économie. Le véhicule autonome bouleversera le secteur de la construction automobile, soit 500 000 emplois, et celui du transport de marchandises et de personnes, soit 700 000 emplois.

Enfin, l'acceptabilité des systèmes de conduite n'est pas acquise. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils répondre à ces enjeux ? Notre action doit être ambitieuse, progressive et déterminée. Mon ambition est de définir un cadre compétitif et progressif, adapté au rythme de déploiement envisagé par la filière, marqué par des évaluations et des validations des systèmes d'information régulières.

Quelle forme prendra le permis de conduire de demain ? Comment seront mis à jour les algorithmes ? Comment le véhicule autonome communiquera-t-il avec son environnement ? Nous ne connaissons pas encore la réponse à ces questions.

Avec MM. Gérard Collomb, Bruno Le Maire et Mounir Mahjoubi, nous avons nommé Mme Anne-Marie Idrac, haute responsable de la stratégie nationale pour le développement du véhicule autonome, dont les travaux seront finalisés dans les prochaines semaines. Le Conseil national de l'industrie réfléchit à l'évolution des emplois et des compétences dans la filière automobile.

Enfin, les travaux européens et internationaux sont essentiels. L'échelle pertinente est celle de l'Union européenne qui doit être à l'avant-garde de l'innovation de rupture, comme l'a souhaité le président de la République. La Commission européenne proposera une feuille de route en mai prochain. Financement, cohérence réglementaire, interopérabilité, l'Europe a un rôle déterminant à jouer dans tous ces domaines. Nous travaillons déjà avec l'Allemagne et le Luxembourg pour créer des sites test aux frontières.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement a de grandes ambitions pour le véhicule autonome. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC)

Mme Michelle Gréaume .  - Le véhicule autonome représente une révolution. S'il améliore la sécurité routière et la qualité de l'air, quelle sera la place de l'humain ? Comment résister aux plates-formes numériques, en concurrence féroce avec les constructeurs automobiles ? Les véhicules autonomes en autopartage menacent la filière automobile et fragilisent de nombreux emplois en France et en Europe, que ce soit au niveau des réseaux de distribution, des réparateurs, des auto-écoles, voire des assurances. Des inquiétudes pèsent également sur la protection des données personnelles. Celles-ci doivent être un bien public - le CRCE a toujours soutenu l'open data. Le Parlement doit être mieux informé des travaux des différents groupes de travail sur les thèmes touchant aux véhicules autonomes. L'article 8 de la convention de Vienne précise bien que tout véhicule doit avoir un conducteur. Qui sera responsable d'un éventuel accident ? Comment le Gouvernement entend répondre à nos préoccupations ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le cadre d'action est en cours d'élaboration sous la conduite de Mme Idrac. Il répondra à toutes vos interrogations. Notre rôle est d'anticiper cette révolution ; nous assisterons à des transferts d'emplois, avec des emplois plus qualifiés à l'interface avec le numérique. D'où la réflexion confiée au Conseil national de l'industrie. Je salue la réflexion engagée dans le cadre de la « Nouvelle France industrielle » par les transporteurs.

Mme Michèle Vullien .  - Vous connaissez mon attachement aux transports publics et à l'intermodalité. Le véhicule autonome améliorera la desserte en ville et à la campagne, il n'en faudra pas moins lutter contre l'autosolisme en ville car il reste une voiture.

La montée en puissance du véhicule autonome, qui sera nécessairement électrique, n'est-elle pas antinomique avec l'objectif de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'optique est d'offrir de nouveaux services de mobilité à tous les territoires en privilégiant navettes et autopartage à partir d'un scénario reposant sur la neutralité carbone d'ici 2050. Verdissement de la flotte, véhicules peu émetteurs, développement de l'écoconduite... La réduction de la consommation d'électricité dans les autres secteurs devrait compenser les nouveaux besoins pour le véhicule autonome. La part du nucléaire a vocation à diminuer, il s'agit de ne plus mobiliser des énergies carbonées.

Mme Michèle Vullien.  - Je n'imaginais pas un instant un retour au charbon... (Sourires)

M. Joël Bigot .  - Ce débat arrive à point nommé. Valéo ou Scania, bien présents dans le Maine-et-Loire, sont concernés par cette révolution et très actifs dans le transport autonome. Cependant, la 5G, technologie clé pour le développement à grande échelle du véhicule autonome, est loin d'être une réalité. Des infrastructures routières dédiées sont également nécessaires pour un fonctionnement sécurisé de ces véhicules. Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour un développement équilibré et sécurisé de cette nouvelle technologie ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il est effectivement essentiel que le véhicule autonome bénéficie à tous les territoires, zones rurales et périurbaines y compris. Le milieu rural fera partie des priorités. La première exigence est que le véhicule autonome détecte s'il est dans son domaine d'emploi. Les cas d'usage devront être optimisés avec la signalisation, la connectivité et la cartographie numérique. L'accord sur la couverture numérique entre Gouvernement et opérateurs est crucial : il faut sortir des zones blanches.

M. Alain Fouché .  - Il faudra 21 ans pour renouveler les 39 millions de véhicules circulant en France. Le véhicule autonome réduira les accidents et la pollution. Son déploiement sera facile sur les autoroutes, mais pas sur le réseau secondaire où se situent la plupart des accidents et où la couverture téléphonique est limitée. Je n'aimerais pas que le véhicule autonome circule seulement en ville et sur les autoroutes, tandis que les habitants de la campagne seraient immobiles parce qu'ils auraient perdu tous leurs points sur leur permis de conduire à cause de la vitesse limitée à 80 km/h.... La ruralité ne doit pas être la grande oubliée. Quelles garanties contre le piratage des données personnelles et les menaces terroristes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Notre stratégie prend en compte ces préoccupations. Des accords ont été passés avec les opérateurs pour la couverture numérique de l'ensemble du territoire. La tendance naturelle est certes de réaliser des tests dans des grands centres urbains. Pour autant, le véhicule autonome rendra de nouveaux services de mobilité dans les territoires. Vous pourrez le constater à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités.

M. Joël Labbé .  - Le véhicule autonome est une révolution, merci à Pierre Médevielle de nous pousser à ce débat. Les premiers véhicules autonomes circuleront en Europe au début des années 2020, pour une généralisation à l'orée de 2030. Nous avons donc moins de dix ans pour nous y préparer. Les chauffeurs et transporteurs seront les premiers métiers à disparaître. On ne construit pas de la même façon un véhicule qui fonctionne 80 à 90 % du temps ou 5 à 7 % du temps comme aujourd'hui : les constructeurs verront leur métier profondément transformé. Il faudra profiter de cette révolution pour faire chuter le nombre de voitures individuelles, améliorer les transports publics, réduire la place de la voiture dans l'espace public. Il ne s'agit pas de concurrencer les réseaux de transport existants mais de les compléter. L'humain ne doit pas se trouver noyé dans un océan d'intelligence artificielle.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'ensemble des enjeux sera abordé dans le cadre de la stratégie nationale. Les nouvelles technologies vont bouleverser non seulement les filières mais notre appréhension de la mobilité, et posent des questions importantes en termes de sécurité routière. La stratégie nationale doit intégrer le véhicule autonome dans un système global de mobilité, qui se préoccupe aussi de la ruralité et régule la place de l'automobile en ville. Il nous faut accompagner l'évolution des compétences - c'est le rôle du Conseil national de l'industrie -, gérer les enjeux de cybersécurité.

C'est une approche globale, dans sa dimension européenne, que nous aurons à porter dans les prochains mois. Le pire serait de nier la réalité du bouleversement à venir ; il faut au contraire prendre de l'avance pour accompagner les changements.

Mme Pascale Gruny .  - Le régime de responsabilité des robots n'existe pas en droit : seul le conducteur est responsable. Or de nouvelles causes d'accident seront introduites par le véhicule autonome ; par exemple, si des feux rouges émettent des signaux radio incohérents avec la signalisation visuelle. Comment déterminer les responsabilités respectives du fabricant du logiciel, du constructeur, du propriétaire ? Comment s'assurer contre le piratage des véhicules à distance ? Le vide juridique est total.

Le Parlement européen a proposé le 16 février 2017 un statut juridique sui generis du robot, tenu de réparer tout dommage à un tiers.

Faut-il retenir la responsabilité de la personne qui a formé le robot ? Mais les nouveaux systèmes d'intelligence artificielle élaborent désormais eux-mêmes des simulations leur permettant d'apprendre dans la phase initiale...

Comment anticiper la dimension juridique et faire évoluer cette nouvelle économie en protégeant les victimes ?

M. Charles Revet.  - Très bonne question !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La loi Badinter de 1985 prévoit que les victimes d'accidents de la circulation sont indemnisées par l'assureur en responsabilité civile du véhicule. C'est transposable au véhicule autonome.

La responsabilité pénale est plus complexe. La future loi d'orientation proposera un cadre pour les expérimentations ; au-delà, il faudra prendre en compte les différents cas d'usage et travailler avec les parties prenantes dans le respect de la stratégie 2018-2020 de la Commission. C'est tout l'intérêt des expérimentations.

Le développement d'enregistreurs d'évènements à bord spécifiques aux véhicules autonomes permettra aussi d'éclairer les responsabilités dans la décision ayant conduit à un accident.

M. Frédéric Marchand .  - Un grand quotidien du soir consacre aujourd'hui une pleine page à une expérience menée à Pittsburgh. Certes, entre Pittsburgh et la France, il y a un océan... En France, il faut cinq autorisations différentes pour faire rouler un véhicule ; la procédure dure en moyenne quatre mois.

Valeo, qui voulait faire rouler son véhicule autonome sur la place de l'Étoile, renforçant par là même son statut de leader, a dû solliciter jusqu'à l'Élysée.

Certes, notre pays s'est doté d'un cadre ouvert à tous les cas d'usage, responsabilisant et exigeant. Quelque vingt-sept expérimentations ont été autorisées entre 2015 et avril 2017, avec vingt-deux retours d'expérience, soit 100 000 kilomètres.

Passons aux tests à grande échelle en conditions réelles : prenons exemple sur le projet suédois Drive Me, qui fait tester cent véhicules autonomes par des particuliers sans ingénieur à bord. La France est-elle prête à s'inscrire dans cette dynamique ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La tendance est à l'élargissement des environnements de conduite et des cas d'usage, dont la quasi-totalité sont couverts par la quarantaine d'expérimentations en cours.

Il faut passer à l'échelle supérieure, en suivant plusieurs axes, dont le premier est la mutualisation, pour mieux capitaliser sur les acquis. Nous lançons pour cela un programme national d'expérimentation, avec des outils de validation, soutenu par le programme d'investissements d'avenir. Autre axe, les tests avec des conducteurs inattentifs, ou dans les nouveaux cadres d'usage, notamment en milieu périurbain et rural. Enfin, les questions d'interopérabilité transfrontalière sont cruciales.

Toutes nos filières sont mobilisées, avec le Gouvernement, pour lancer des travaux à grande échelle.

M. Guillaume Gontard .  - Il y a dix ans, le véhicule autonome relevait de la science-fiction ; dans dix ans, il sera une réalité. Dans un cadre multimodal intelligent, il est porteur de grandes promesses, mais aussi d'interrogations. Seule certitude, la disparition prévisible du métier de chauffeur, soit un million d'emplois. Selon les études, 50 à 80 % des emplois existants auront disparu en 2050. Cela implique de réfléchir à la reconversion et l'accompagnement, de repenser la répartition du temps de travail et la protection sociale, d'envisager le revenu universel. Et l'explosion de la productivité offre une source de financement toute trouvée, bien identifiée par Elon Musk ou Bill Gates.

Anticipons pour transformer l'innovation en amélioration de la qualité de vie. Soyons inventifs socialement. Quelles sont vos idées dans ce domaine ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous avons en France des acteurs suffisamment puissants pour ne pas craindre cette révolution. La France a développé les LGV, le métro automatique, tout en créant de nouveaux emplois dans l'industrie ferroviaire ou le système de signalisation. L'écosystème de l'intelligence artificielle est très puissant en France. C'est une occasion de monter en compétence : le véhicule autonome créera de nouveaux emplois, c'est le sens de notre action sur la formation professionnelle et l'apprentissage.

Un Français sur quatre a refusé un emploi ou une formation faute de solution pour s'y rendre. Le développement de solutions de mobilité sera facteur d'accès à l'emploi.

Mme Nadia Sollogoub .  - Le développement du véhicule autonome pose la question du devenir du permis de conduire. Il existe cinq niveaux d'automatisation des véhicules.

Le permis est un sésame incontournable, or nombre de demandeurs d'emplois en sont privés, faute de financement ou de date d'examen. Selon l'UFC-Que choisir, le prix moyen était de 1 800 euros et les délais d'attente de plusieurs semaines. Les jeunes et les salariés en insertion sont particulièrement concernés.

Dans les métropoles, les transports urbains sont une solution mais comment faire pour vivre et travailler à la campagne sans permis de conduire ?

Paradoxalement, le véhicule autonome pourrait représenter une solution d'accès à l'emploi, à condition que des permis spécifiques et allégés soient prévus pour les véhicules autonomes intermédiaires. Peut-on également envisager des véhicules totalement autonomes accessibles à tous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'humain qui conduit doit avoir reçu une formation validée par un examen et être apte à conduire physiquement et mentalement.

Ces conditions restent d'actualité avec les fonctions d'assistance, car le conducteur doit pouvoir reprendre la main en cas de problème. La réflexion est menée au niveau européen, car il s'agit d'une compétence de l'Union. Au niveau national, le plan d'action stratégique y consacre un volet et le ministre de l'intérieur met en place un groupe de travail pour repenser le cadre du permis de conduire. Je partage votre ambition de faire du véhicule autonome une réponse pour les trop nombreuses personnes privées de solution de mobilité.

M. Olivier Jacquin .  - Les évolutions induites par l'automatisation en matière ferroviaire, avec la ligne 14 du métro parisien, ou aérienne, avec les drones, sont un angle mort de la réflexion. Alors que la durée de vie de nos infrastructures est très longue, les ruptures technologiques sont de plus en plus brutales. Quelle place pour la puissance publique, quelle capacité collective de planification et de prospective ? Comment un État stratège et svelte peut-il s'inscrire efficacement dans le temps long ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La France a été précurseur en matière de métro autonome, à Lille puis avec la ligne 14 en 1998, qui reste une magnifique vitrine pour notre industrie. C'est la technologie de demain pour les grandes métropoles.

Notre réflexion prend bien en compte tous les modes de transport, y compris aérien. Sur les drones, nous avons été précurseurs : l'administration a su, de manière agile, mettre tous les acteurs autour de la table pour élaborer un cadre législatif et réglementaire favorable à l'innovation. Nous travaillons de la même manière dans le domaine maritime, où se développent les navires autonomes.

M. Ronan Dantec .  - Tout ce qui est interdit au volant -  manger, regarder la télévision, téléphoner  - va devenir possible avec le véhicule autonome. On peut alors penser que nous aurons bientôt des embouteillages, puisque l'usager sera bien à l'aise dans son habitacle sécurisé : il aura le temps de regarder sa série préférée... Certes, des véhicules électriques ne causeront pas de pollution atmosphérique...

Mais la question de la complémentarité des mobilités est-elle au coeur des réflexions ? Comment clarifier cet enjeu lorsque le véhicule autonome apparaîtra massivement sur nos routes ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La réflexion globale, dans la foulée des assises nationales de la mobilité, aboutira à une stratégie globale pour une mobilité plus propre, partagée, connectée, autonome.

Véhicules propres, cas d'usage favorisent les nouveaux services de mobilité, utilisation du mode le plus adapté dans chaque environnement, tels sont nos axes de réflexion.

Quelle que soit sa pertinence, l'encombrement du véhicule autonome restera supérieur à celui des transports en commun, du mass transit, qui restent irremplaçables. J'aime à rappeler que le RER A, qui transporte 1,2 million de voyageurs par jour, représente une autoroute à deux fois trois voies. Le véhicule autonome reste un outil complémentaire d'une politique globale de mobilité.

M. René Danesi .  - Notre rapport du 23 novembre 2017 au nom de la commission des affaires européennes, intitulé « La conduite sans chauffeur : le futur immédiat », souligne l'enjeu stratégique international du véhicule autonome. La concurrence s'accroît entre les constructeurs traditionnels, Tesla, Google, les équipementiers - jusqu'au géant chinois des télécommunications Huawei.

Dans une compétition mondiale pour la collecte de données, dans un relatif vide juridique quant à la protection des données personnelles, il est indispensable d'assurer une cybersécurité inviolable. Une opération cyberterroriste pourrait transformer les véhicules autonomes en robots tueurs.

Comment comptez-vous appréhender ces dangers ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ces enjeux sont cruciaux. Le règlement de protection des données personnelles de l'Union européenne et le projet de loi sur le même thème apportent des réponses. Les véhicules sont de plus en plus connectés. La loi d'orientation des mobilités définira un socle minimum d'information pour les propriétaires de véhicules sur le fonctionnement des algorithmes de délégation de conduite.

Le risque lié au cyberterrorisme est réel. La multiplication des applications digitales accroît les risques d'attaque : il faut accompagner l'innovation numérique. Les réponses en matière d'analyse de risques et de lutte contre le piratage devront faire l'objet d'une structure d'échange dédiée au niveau national.

M. Frédéric Marchand, en remplacement de M. Didier Rambaud .  - Si je salue la décision du Gouvernement de s'emparer du sujet en confiant une mission à Anne-Marie Idrac, le rapport de la commission des affaires européennes pose la question de la place de l'industrie française. Malgré le volontarisme des acteurs, les entreprises françaises peuvent-elles rester dans la partie ? Le risque d'être distancé est réel, la réglementation française étant inadaptée - d'où un risque de distorsion de concurrence.

Les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni n'ont pas signé la Convention de Vienne de 1968 sur la circulation routière qui, dans son article 8, impose que tout véhicule en mouvement doit avoir un conducteur. Ils sont donc libres d'adapter leur législation. Ainsi les États-Unis ont autorisé la circulation expérimentale de 100 000 véhicules autonomes. La Chine et le Royaume-Uni ont de leur côté signé un accord de coopération sur la conduite intelligente.

Comment le Gouvernement entend-il faire sauter ces verrous préjudiciables dans la course technologique ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La tradition française est de respecter le multilatéralisme et donc la Convention de Vienne ; mais nous avons défendu en 2016 un article à la CEE-ONU assouplissant la contrainte du conducteur ; en 2017, nous avons prôné l'adaptation aux cas d'usage, avec des exigences proportionnées aux risques.

Ces évolutions vont prendre du temps - or il y a urgence ; c'est pourquoi l'Europe doit prendre le leadership international dans ce domaine. Comptez sur notre détermination : la loi d'orientation des mobilités ouvrira au maximum les possibilités d'expérimentation.

M. Jean-François Longeot .  - Le véhicule autonome est très attendu, notamment pour réduire l'accidentalité, sachant que 90 % des accidents mortels sont imputables à l'erreur humaine. Mais il génère aussi un nouveau type d'accident, comme en juillet dernier où un véhicule Tesla en pilotage automatique, ébloui par une forte luminosité, a percuté la remorque d'un camion, tuant le conducteur...

Cela suppose de faire évoluer les équipements routiers, avec de nouveaux marquages au sol ou des signaux radio via les panneaux de signalisation. L'État envisage de financer le changement des panneaux de signalisation à la suite du passage à 80 kilomètres/heure. Va-t-on devoir adapter les équipements routiers ? Comment ne pas trop peser sur les finances locales ? (Marques d'approbation sur les bancs du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Un arbitrage sera à rendre entre l'équipement lourd de certaines infrastructures pour accélérer le développement du véhicule autonome et élargir les cas d'usage, et un équipement léger qui suppose une plus forte autonomie des véhicules.

Les expérimentations en cours permettront de cerner les cas où le véhicule devra se débrouiller seul. Feux rouges communicants, alertes de la chaussée font partie des équipements d'infrastructure envisagés, pour une route intelligente. Les enjeux, qui concernent tous les véhicules connectés, ont été clairement identifiés. Le Conseil d'orientation des infrastructures rendra demain un rapport sur le sujet, qui sera traduit dans la loi de programmation des infrastructures.

Mme Françoise Cartron .  - Ce matin, la commission du développement durable a organisé une table ronde sur la mobilité. J'ai interrogé un intervenant sur les équipements à mettre en place pour accueillir les véhicules connectés ; il a évoqué des « corridors connectés », qui concernent plus les grandes voies de circulation que les routes départementales.

Notre réseau départemental pourrait-il être adapté ? Et que coûterait cette adaptation ? Il existe des véhicules très haut de gamme, hautement connectés, ayant moins besoin de l'accompagnement des infrastructures ; seront-ils réservés à une élite ? Au-delà des inégalités territoriales, va-t-on assister à une fracture sociale entre ceux qui peuvent accéder à ce type de véhicule et les autres ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La multiplicité des cas d'usage nécessite des réponses adaptées. On peut imaginer de grands corridors européens pour le transport autonome de marchandises, par exemple.

À l'échelon local, il sera possible de mettre en place des navettes autonomes, notamment en zone rurale, sans investissements trop coûteux - à l'image de l'expérimentation menée au Japon pour acheminer les personnes âgées de la maison de retraite au centre-bourg.

Nous tenons à ce que le véhicule autonome participe à la réduction des inégalités. C'est tout le sens de la loi d'orientation pour les mobilités.

M. Patrick Chaize .  - Un accord historique entre le Gouvernement, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et les opérateurs mobiles pour généraliser la couverture mobile de qualité vient d'être signé. C'est indispensable au développement des véhicules autonomes.

Notre pays doit se doter au plus vite d'un cadre réglementaire et définir la gouvernance du déploiement. Un plan des infrastructures connectées doit être établi. Que prévoyez-vous, et à quelle échéance ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ces enjeux sont au coeur de nos réflexions. Le projet Scoop de déploiement de systèmes de transports intelligents coopératifs, basé sur l'échange d'informations entre véhicules et infrastructures, impliquant constructeurs, opérateurs, universités et organismes de sécurité, déploiera 3 000 véhicules sur 2 000 kilomètres de routes, sur l'A4 en Île-de-France, en Isère, sur la rocade de Bordeaux et en Bretagne. Cette expérimentation, la plus importante à l'échelle européenne, permettra aux acteurs de se positionner au mieux dans la compétition internationale.

M. Patrick Chaize.  - Les licences des réseaux de télécommunication ont été prolongées. Il est urgent de mettre en cohérence les réseaux numériques et les besoins.

M. Roland Courteau .  - Nous avons besoin d'une feuille de route face à cette rupture technologique, culturelle et juridique. Or il semble que des constructeurs aient du mal à obtenir des fonds pour mener leurs projets de recherche.

Les constructeurs français ne doivent pas devenir de simples fournisseurs de carrosserie : l'exemple de l'accord entre Google et Fiat est préoccupant.

Le véhicule autonome ne va-t-il pas déresponsabiliser l'usager ? Comment les assureurs vont-ils réagir ? Le code de la route prévoit que le conducteur puisse exécuter toutes les manoeuvres qui lui incombent ; allez-vous l'adapter ?

Qu'en est-il des emplois ? Certains seront créés, d'autres détruits. Comment nous y préparer ?

Pour assurer notre place à l'échelle européenne, nous devons multiplier les expérimentations en accélérant les procédures. Le premier pays capable d'édicter des règles de circulation des véhicules autonomes et d'homologuer ces derniers avantagera beaucoup son industrie. Où en sommes-nous ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous allons nous doter d'un cadre législatif et réglementaire ambitieux, pour être à la pointe. Quelque 200 millions d'euros ont été alloués à la filière pour les expérimentations, notamment à travers les programmes d'investissements d'avenir.

L'Union européenne va devoir s'impliquer. Les états profitent d'autant mieux des aides européennes qu'ils se sont mis en ordre de marche.

En termes de partage de la valeur, le véhicule autonome rebat les cartes. Nos acteurs sont très bien positionnés au plan international. Le véhicule autonome ne se réduit pas au logiciel : interactions entre le véhicule et la route, entre les véhicules, sécurité sont des enjeux majeurs, très bien maîtrisés par nos constructeurs et nos opérateurs. La puissance publique jouera pleinement son rôle pour soutenir la filière.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Après une large concertation, le Gouvernement prépare un projet de loi renouvelant le cadre législatif des transports. La conduite autonome et sécurisée favorise une nouvelle mobilité, à la frontière entre l'individuel et le collectif ; l'autosolisme est appelé à se résorber.

L'enjeu industriel est énorme, quand on sait que l'industrie automobile française emploie 440 000 salariés. Quelles mesures législatives le Gouvernement envisage-t-il pour faire de la France un leader mondial ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La réflexion sur le développement du véhicule autonome s'inscrit dans une stratégie globale de mobilité. Outre le confort, le véhicule autonome apportera des services de mobilité dans les territoires en souffrance. Voies dédiées, zones à circulation restreinte : il s'agira de favoriser les véhicules propres et partagés.

L'enjeu sera alors de lever les freins en permettant des expérimentations avec des conducteurs inattentifs et en testant les navettes autonomes dans des conditions moins contraintes.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Ancien conseiller régional, sénateur de l'Essonne, je rappelle que la région Île-de-France offre de grandes possibilités d'expérimentation et de mise en service des véhicules autonomes.

Mme Fabienne Keller .  - Des expérimentations voient le jour à Paris, Lyon, Rouen, Strasbourg. Merci, Madame la Ministre, d'avoir engagé la réflexion.

Mais les territoires ruraux semblent encore une fois laissés de côté. Pourtant, il est plus facile de circuler dans ces zones peu denses. Les rabattements vers les gares dans des zones à habitat diffus, par exemple, pourraient être testés. Qu'envisagez-vous pour que les territoires ruraux ne soient pas exclus des expérimentations ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le déploiement du véhicule autonome en zone rurale est une priorité de l'État. L'appel à manifestations d'intérêts French Mobility que j'avais annoncé au congrès des maires et opéré par l'Ademe, en témoigne.

L'enjeu, ce sont bien toutes ces solutions de mobilité. L'autopartage doit se développer dans tous les territoires. Les cas d'usage sont différents selon les zones. La priorité va là où il n'y a pas d'alternative à la voiture en solo. Il y a beaucoup d'initiatives dans ces territoires. Il faut les faire remonter pour les accompagner.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - Il y a quelques années, le véhicule autonome était un concept éloigné du quotidien ; c'est désormais une réalité.

L'enjeu est crucial pour la France qui ne doit pas manquer le rendez-vous.

La France regorge de talents et de savoir-faire. L'État doit structurer et coordonner l'ensemble de la filière pour définir une stratégie globale.

Si l'on considère l'échelon international, force est de constater que nous sommes à la peine. Chaque État membre décide des expérimentations sur son sol.

En France, les autorisations à obtenir sont nombreuses : ministères des transports, de l'intérieur, autorité de police, gestionnaire de la voirie et autorité organisatrice des transports. Elles freinent le développement de l'autonomie.

Un effort de simplification est-il prévu pour favoriser des tests à grande échelle en coordination réelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Notre ambition est bien de passer de la phase expérimentation à la phase de mise en service. Nous nous doterons d'une stratégie positionnant au mieux notre pays, en mettant en place un cadre législatif et réglementaire, en développant l'usage partagé et en renforçant les autorités organisatrices de la mobilité.

Nous comptons doter la France du cadre le plus dynamique et le plus compétitif.

Le débat est clos.

La séance est suspendue à 17 h 35.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.