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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains

M. Bernard Bonne, au nom de la commission des affaires sociales

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

M. Daniel Chasseing

M. Olivier Léonhardt

M. Abdallah Hassani

Mme Laurence Cohen

M. Jean-Pierre Moga

Mme Nadine Grelet-Certenais

M. René-Paul Savary

Mme Josiane Costes

Mme Brigitte Lherbier

Mme Patricia Schillinger

M. Dominique Watrin

M. Olivier Henno

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Philippe Mouiller

Mme Jocelyne Guidez

Mme Michelle Meunier

M. Édouard Courtial

Mme Monique Lubin

Mme Christine Bonfanti-Dossat

Mme Anne-Marie Bertrand

Mme Laure Darcos

Constitutionnalisation de l'IVG

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste

Mme Françoise Laborde

Mme Nicole Duranton

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Laurence Cohen

Mme Françoise Gatel

Mme Michelle Meunier

Mme Colette Mélot

Mme Patricia Morhet-Richaud

M. Bernard Jomier

M. Christophe Priou

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Politique de fret ferroviaire

M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

M. Éric Gold

Mme Élisabeth Lamure

M. Frédéric Marchand

Mme Cécile Cukierman

M. Bernard Delcros

M. Joël Bigot

M. Alain Fouché

M. Éric Gold

Mme Agnès Canayer

M. Frédéric Marchand

M. Guillaume Gontard

M. Jean-Paul Prince

Mme Nelly Tocqueville

M. Michel Raison

M. Bernard Delcros, en remplacement de Mme Michèle Vullien

M. Olivier Jacquin

M. Didier Mandelli

M. Michel Dagbert

M. Jean-Pierre Vial

M. Daniel Gremillet

Annexes

Ordre du jour du mercredi 4 avril 2018




SÉANCE

du mardi 3 avril 2018

72e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Annie Guillemot, M. Dominique de Legge.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à la demande du groupe Les Républicains et de la commission des affaires sociales.

Ce débat aura lieu sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.

Le groupe et la commission qui ont demandé le débat disposeront d'un temps de parole de dix minutes (y compris la réplique), puis le Gouvernement répondra pour une durée de dix minutes.

M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains .  - La société française vieillit : la France a plus de personnes de plus de 60 ans que de moins de 20 ans et la tendance s'accélère.

Or tous ne vieilliront pas dans de bonnes conditions : une personne de plus de 75 ans sur douze est en institution. Là-bas, 86 % sont dépendantes contre 13 % à domicile. Les enjeux financiers sont considérables. L'inquiétude de nos compatriotes est croissante et le système à bout de souffle : les départements manquent de ressources et la solidarité familiale atteint ses limites.

Le statu quo est insoutenable : notre modèle doit être repensé. Or le pacte fondateur de 1945 a été détricoté, les établissements fragilisés par la dernière baisse du tarif hospitalier. La tarification à l'activité (TAA) a été rendue responsable de tous les maux, mais le modèle a été dévoyé - car la TAA, outil médico-économique pertinent, est devenue un outil de régulation inadapté de l'Ondam. Le tissu sanitaire a été fragilisé.

Les mesures technocratiques ne résoudront pas les problèmes systémiques. Il faut réfléchir, ensemble, aux choix que nous allons faire. Il faut repenser les modes de gouvernance, le périmètre de protection sociale et son financement.

Les mesures prises dans la loi sur l'adaptation au vieillissement, comme je l'avais annoncé à l'époque, nous y revenons déjà, trois ans à peine après la promulgation. La commission des affaires sociales a conduit une mission courte pour répondre aux difficultés des Ehpad. Merci à Bruno Retailleau d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour. La mobilisation au sein des Ehpad a marqué l'opinion ; je rends hommage au personnel de ces établissements.

Les personnes dépendantes sont plus âgées qu'avant, leur autonomie plus limitée, et les effectifs des Ehpad n'augmentent pas assez.

Parmi les mesures que propose notre commission, j'en soulignerai deux. Il faut permettre au médecin coordinateur en Ehpad de prescrire en dehors de l'urgence. Le refus de substituer un unique médecin en établissement à une multitude de médecins extérieurs n'est pas tenable ; cela engendre des doublons dans les dépenses de soins.

Deuxième proposition : mettre fin au cloisonnement entre sanitaire et médico-social. Trop souvent, on habille le premier du second pour le mettre à la charge des départements. Pour Orson Welles : « La vieillesse est la seule maladie dont on ne peut espérer guérir ». Battons-nous, au moins pour qu'elle soit aussi dense et humaine que possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, et sur quelques bancs des groupes RDSE et LaREM)

M. Bernard Bonne, au nom de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Notre débat sur les Ehpad s'insère dans un mouvement général et sans précédent de mobilisation. Celle des acteurs de terrain d'abord, qui se sont par deux fois réunis les 30 janvier et 15 mars derniers pour dénoncer leurs conditions de travail et l'incapacité dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui de correctement remplir leur mission. Mobilisation parlementaire ensuite, puisque le Sénat et l'Assemblée nationale, très rapidement sensibilisés au sujet, s'en sont simultanément emparés.

Deux rapports parlementaires, celui de la commission des affaires sociales du Sénat le 7 mars dernier, puis celui de nos collègues députées Monique Iborra et Caroline Fiat le 14 mars dernier, ont été rendus.

Si leurs préconisations diffèrent, parfois fortement, leurs diagnostics et leurs constats se rejoignent pour dénoncer les effets collatéraux insuffisamment anticipés de la réforme tarifaire et la réponse urgente qu'appelle le secteur de la prise en charge du grand âge, qui pâtit depuis trop d'années de l'incapacité de nos pouvoirs publics, toutes tendances confondues, à définir une stratégie viable du financement de la dépendance.

La mobilisation sans précédent et simultanée des deux chambres du Parlement démontre l'écart dans lequel les représentants de la Nation sont maintenus - et à travers eux les usagers et les gestionnaires des Ehpad. Nos deux rapports témoignent de notre désir de vous offrir notre expérience et notre appui, Madame la Ministre, qui peuvent utilement se combiner à l'expertise des administrations que vous dirigez.

La politique du grand âge ne peut désormais plus se penser en dehors de grands choix de société que nous n'avons que trop longtemps reportés, et l'importance de ce débat interdit que les parties intéressées en soient poliment - mais insidieusement - écartées. Aussi je revendique, au nom de l'ensemble de mes collègues, le rôle et la place que le Sénat entend tenir dans les réflexions à venir.

Nos collègues députées constatent avec nous qu'il faut interrompre la réforme du forfait global à la dépendance et qu'il faut diminuer le reste à charge des résidents, à travers une redéfinition de l'aide sociale à l'hébergement. Je regrette cependant qu'elles n'aient pas fait davantage de propositions concrètes et réalistes. L'examen minutieux des réalités de terrain auxquelles elles se sont prêtées durant les cinq mois qu'a duré leur mission les a menées à préférer les injonctions dispendieuses et dirigistes - comme l'opposabilité d'un ratio encadrants/résidents ou l'imposition à tout établissement d'un niveau minimal d'habilitation à l'aide sociale - à des préconisations moins emphatiques mais directement opérationnelles.

Le Sénat a tenté, pour sa part, de tenir compte du périmètre financier constant qu'impose le contexte contraint de nos finances publiques. De plus, il paraît inconcevable de mener de front la nécessaire réforme systémique que nous appelons de nos voeux et des propositions parallèles dont le coût important les disqualifierait d'emblée.

Une proposition atténuerait les effets néfastes de la réforme tarifaire : le séquençage nécessaire des deux réformes de la contractualisation et de la tarification des établissements. Attendons le plein déploiement de la première, qui ouvrira aux établissements la possibilité d'user de nouveaux outils gestionnaires contenus dans le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), et qui leur permettra mécaniquement de mieux absorber les redéfinitions de dotations. Nous avons voulu responsabiliser financièrement les gestionnaires d'établissements, avant même qu'ils ne s'approprient les instruments accompagnant les nouvelles marges de manoeuvre qui leur étaient offertes !

Nos désaccords avec l'Assemblée nationale sont toutefois plus profonds sur la médicalisation des Ehpad. Nous partageons le même souhait d'établissements plus ouverts sur la cité ; mais nos collègues députées proposent d'étendre l'option tarifaire globale, qui permet aux Ehpad de financer, via leur dotation globale aux soins, davantage de prestations médicales et paramédicales, et donc de les pousser vers plus de médicalisation !

La confusion s'explique par l'insuffisante précision que nous apportons à la définition du soin que requiert le grand âge. Il est impératif de distinguer le soin strictement médical qui doit entourer la prise en charge de patients - et non de résidents - lourdement dépendants ou atteints de pathologies, du soin d'accompagnement que nécessitent des personnes âgées en perte d'autonomie, mais qui ne relève pas pour autant du besoin clinique.

C'est à l'amalgame de ces deux types d'intervention, du curatif et du préventif, que l'on doit la prépondérance actuelle d'Ehpad surmédicalisés qui ont laissé le lieu de soins prendre indûment le pas sur le lieu de vie.

Je préconise donc que le soin médical reste assuré par la sphère strictement sanitaire, et qu'il soit remédié au glissement abusif d'unités de soins de longue durée (USLD) en Ehpad, au seul motif que l'âge de ces publics les fait relever de la prise en charge de la dépendance. C'est une dangereuse vue de l'esprit. La prise en charge médicale et médico-sociale, indifférente à la linéarité du parcours de la personne, l'expose à des ruptures brutales que le seul écoulement du temps peine à justifier. C'est au bénéfice de cette linéarité que j'inscris la mesure précédemment évoquée par le président Milon d'attribution au médecin coordonnateur d'un pouvoir prescripteur.

Un dernier regret : un modèle de financement dont la dualité entre acteur national et acteurs départementaux, engendre des complexités qui obèrent sa pérennité. Mes collègues députées s'en tiennent à de timides remontrances et se refusent à poser les jalons d'une réforme ambitieuse du financement de la dépendance.

C'est un pas que nous avons osé franchir.

Il faut d'abord un tarificateur unique. Toute réflexion qui contournerait cet impératif simple ne ferait que reproduire les échecs actuels. C'est à l'État, et à lui seul, que doit revenir le financement de la dépendance. Il est en effet grand temps de mettre un terme aux compromis institutionnels qui, sous le couvert du respect de la libre administration des collectivités territoriales, ont chargé les départements d'une mission qui doit normalement relever de la solidarité nationale. Rouvrir le débat sur le fameux « cinquième risque », Madame la Ministre, doit ainsi se faire sur des bases parfaitement univoques : sans l'alourdissement du coût du travail et la création d'une cinquième cotisation sociale.

Ensuite, il faut que les établissements s'adaptent aux personnes accueillies et non plus l'inverse : l'idée - très technocratique - d'un financement par forfait, initialement voulue pour faciliter le pilotage budgétaire des structures, ne semble pas rejoindre l'intérêt personnel de la personne prise en charge. Pour que la personne résidente ait le choix véritable de sa prise en charge, et surtout pour que l'offre opère sa mue vers les fameuses « plateformes de services », je préconise que le financement de la dépendance repose sur la solvabilisation du résident.

Enfin, pour faire face aux défis financiers d'une telle réforme, il me paraît indispensable de mobiliser les éléments du patrimoine immobilier des résidents, qui ne sont pour l'heure pas pris en compte : outre la suppression des avantages fiscaux liés à la détention par une personne âgée résidente en Ehpad d'un bien immobilier non occupé, le Gouvernement pourrait développer des mécanismes incitatifs à la signature de viagers et surtout de baux locatifs préférentiels qui leur permettraient ainsi de diminuer leur reste à charge. Plusieurs de mes collègues ont évoqué la souscription obligatoire d'une assurance-dépendance dès l'entrée dans l'âge adulte... À titre personnel, je n'y suis pas opposé.

Madame la Ministre, je tiens à vous assurer à nouveau de la totale disponibilité des parlementaires qui, de toutes les sensibilités, sont prêts à vous accompagner dans la conduite des changements profonds que le vieillissement rend plus que jamais nécessaires et qui nous concernent tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, sur plusieurs bancs du groupe UC et sur plusieurs bancs du groupe LaREM)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Merci de me donner l'occasion de débattre des Ehpad, ce sujet me tient à coeur ; l'accompagnement de nos aînés est un sujet de société, qui doit être envisagé globalement. Quel modèle de prise en charge, pour aujourd'hui et pour demain ? Comment répondre aux attentes des personnes dépendantes et de leur famille ?

Depuis ma prise de fonctions, j'ai visité, en moyenne, au moins un Ehpad par semaine, partout j'ai été frappée par le professionnalisme et l'engagement des équipes. Leurs missions ont profondément changé, car les Ehpad, vous le savez, prennent en charge des personnes de plus en plus âgées et dépendantes. Notre modèle d'Ehpad doit se réinventer, s'ancrer au mieux dans les territoires, et tirer le meilleur parti des leviers de financement offerts par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale.

La convergence des tarifs dépendance, autour d'une moyenne départementale, cristallise les critiques. Mais la plupart - 85%, même - des Ehpad seront gagnants. J'ai demandé au médiateur un mécanisme compensant les pertes de recettes liées à la réforme, à travers un accord entre ARS et départements - j'ai rencontré le président de l'Assemblée des départements de France à ce sujet - car il ne faudrait pas qu'une hausse des crédits de l'État soit compensée par un désengagement des départements. Ce travail de court terme peut conduire à des ajustements sans remettre en cause la philosophie de la réforme.

Mais il faut aller plus loin : c'est le sens de la stratégie globale sur le vieillissement que je proposerai au président de la République. Je m'appuierai pour cela sur mes nombreuses rencontres avec les professionnels du secteur, mais aussi la stratégie nationale de santé, l'appui accordé par la loi de financement de la sécurité sociale à l'innovation et la télémédecine notamment.

Le modèle de prise en charge de demain, la prévention de la perte d'autonomie, à domicile et en établissement, les circuits de financement, la fin de vie : rien ne sera négligé. Mon fil rouge est la qualité. C'est une question de moyens, mais surtout de formation, de regard, d'organisation et de financement des Ehpad. Nous devons travailler à une société inclusive pour les personnes âgées. Le ratio d'un soignant pour un résident n'est pas tenable ; le recrutement à lui seul est impossible ; mais nous oeuvrons à améliorer la présence du personnel. Un véritable plan Métiers et compétences sera construit. Les professionnels ont besoin d'être davantage valorisés. Un groupe de travail rendra ses conclusions prochainement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains ; M. Philippe Mouiller applaudit également.)

M. Daniel Chasseing .  - Les difficultés des Ehpad ne datent pas d'hier. Oui à la valorisation des actions de prévention, à la suspension de la réforme tarifaire, qui complexifie le calcul des dotations soins et dépendance ; il faut requalifier le forfait soins en se basant uniquement sur le GMP de l'établissement qui reflète sincèrement le niveau de dépendance et les moyens à mobiliser, en intégrant l'hébergement temporaire. Oui, le médecin coordonnateur doit pouvoir prescrire, en informant le médecin traitant.

Le problème des Ehpad n'est pas médical mais réside dans le manque de personnel. Il faudrait augmenter les effectifs avec une ambition réaliste pour passer d'un coefficient de 0,4 en 2019 et 0,5 en 2020. Il faut aussi créer une section Alzheimer dans chaque Ehpad. Les Ehpad demandent des effectifs de personnel suffisants. Madame la Ministre ne faut-il pas aussi augmenter le nombre d'infirmiers ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Passer à 60 ETP pour 100 résidents représenterait 0,3 % du PIB, soit un surcoût de 7 milliards par an, un recrutement de 140 000 aides-soignants ! Et ce, alors que les dépenses de la France sont déjà plus élevées que celles de ses voisins.

Le taux d'encadrement varie très fortement selon les Ehpad et leur statut, de 55 à 70 %. Ces disparités ne se justifient pas. L'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP) appuiera les ARS et les gestionnaires d'établissements pour réduire ces disparités, car je le rappelle, la dépense pour la dépendance en France est parmi les plus élevées en Europe.

C'est aussi une question d'organisation. L'ARS aidera les établissements médico-sociaux.

M. Olivier Léonhardt .  - Le mouvement social dans les Ehpad a placé le sujet au coeur de l'actualité. Les « hussards blancs » - selon l'expression de Jérôme Guedj - ont mis sur la table la question des conditions de travail et de la dignité.

Ne faudrait-il pas passer un pacte avec la société pour garantir la prise en charge de nos aînés ? Il faudrait aussi aménager les villes, les transports, les logements, les loisirs.

Comment comptez-vous améliorer la prise en charge de nos aînés, en améliorant la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Le Gouvernement souhaite ouvrir le dossier de l'accompagnement de nos aînés et du vieillissement de la population. Il y aura plus de 5 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050.

Pour parvenir à une société inclusive, il faut élargir l'offre d'accueil disponible, tout en facilitant le plus longtemps possible le maintien à domicile. L'encadrement s'accroît régulièrement : + 11 % en six ans et ce mouvement continuera. Je rappelle que son taux varie fortement, de 38 % dans les Ehpad à 103 % dans les USLD, en passant par 63 % dans les Ehpad.

M. Abdallah Hassani .  - Le mouvement social dans les Ehpad, toutes catégories confondues, nous montre que les équipes sont épuisées par la maltraitance institutionnelle ; le Gouvernement en a pris la mesure, avec son plan d'action - reste la mise en place d'une organisation pérenne, avec le fameux « cinquième risque ». Cependant, la vieillesse n'est pas un risque, tant elle est inéluctable.

D'ici 2050, le nombre de personnes de plus de 65 ans aura doublé - et avec lui, probablement, celui des dépenses pour la dépendance.

N'opposons pas placement à domicile et placement en Ehpad. Où en est la réflexion sur un système global ? L'importance du reste à charge pour les familles crée des inégalités.

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La réforme de la tarification ne saurait conduire à augmenter le reste à charge. Nous voulons plutôt accroître le nombre de place en hébergement temporaire, pour soulager les familles, créer des plateformes de services à domicile, etc.

La réforme de la tarification améliorera la prise en charge : 85 % des Ehpad seront gagnants ; 20 000 équivalents temps plein (ETP) seront dégagés pour la partie soins dans les Ehpad ; l'État débloquera 430 millions supplémentaires pour les Ehpad dans les six ans à venir.

Mme Laurence Cohen .  - Tous les professionnels le disent : le système est à bout de souffle. La plupart des aides-soignants sont des femmes. Le métier est difficile. Comment ces salariées, victimes du temps de travail fractionné, pourraient-elles suivre des formations ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Ces métiers souffrent d'un manque d'attractivité évident. Le nombre d'engagements d'aides-soignants a été divisé par quatre. Nous avons lancé une concertation sur le référentiel indiciaire des aides-soignants.

Nous voulons faciliter les reconversions à mi-carrière, réfléchir au passage vers des postes d'encadrement, car les perspectives d'évolution peuvent sembler fermées. Nous prenons le sujet à bras-le-corps pour rendre à nouveau ces carrières attractives.

N'oublions pas non plus la difficulté pour des jeunes de 20 ans d'être très vite confrontés à des fins de vie de manière régulière.

Mme Laurence Cohen.  - Madame la Ministre, vos propos font écho aux nôtres, mais il faut des moyens financiers et humains. Avec le groupe CRCE et nos collègues députés, nous faisons la tournée des hôpitaux et des Ehpad. Nous constatons la grande souffrance des personnels. Les aides-soignantes sont confrontées à des patients atteints de troubles cognitifs ou d'Alzheimer. Elles n'y sont pas préparées. Il faut recruter des orthophonistes, des psychologues, des médecins. Créer des commissions, c'est bien, Madame la Ministre, mais cela ne suffit pas ! (Quelques applaudissements)

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Les dotations soins et dépendance ont baissé dans beaucoup d'Ehpad ruraux. L'obligation de conclure des CPOM, à la place des conventions tripartites, a pénalisé beaucoup d'établissements. De plus, le pathos moyen pondéré fixé à l'arrivée de la personne n'est pas revalorisé ensuite. Les Ehpad ont besoin de davantage de moyens, tant pour les patients que pour les personnels : comment comptez-vous accroître ces moyens, Madame la Ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Vous n'évoquez pas certains aspects de cette réforme, tels que la souplesse budgétaire accrue pour les Ehpad, dans l'affectation des ressources notamment, grâce à un cadre pluriannuel. Quelque 85 % des Ehpad seront gagnants. L'État fait un effort de 430 millions en six ans, soit 20 000 ETP, c'est beaucoup. J'ai nommé un médiateur pour veiller à ce qu'aucun établissement ne soit perdant. La réforme a suscité beaucoup de craintes car il n'y avait pas eu d'étude d'impact. Le médiateur fera des propositions pour corriger les effets négatifs.

Enfin, les ARS disposent d'une enveloppe de 50 millions supplémentaires pour aider les Ehpad les plus en difficulté.

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - Dans la Sarthe, les personnels sont exténués et ne peuvent plus assister les personnes dépendantes dans de bonnes conditions. Les résidents sont plus âgés et atteints de pathologies plus lourdes. La suppression des contrats aidés a rendu la situation plus difficile encore. Les Ehpad doivent demeurer des lieux de vie et de liberté. Face à cette maltraitance institutionnelle, vous avez lancé un chantier pour renforcer l'attractivité des métiers et améliorer les conditions de travail. Où en sommes-nous ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Certes, il n'y a plus de fléchage automatique des contrats aidés ; pour en bénéficier, ce qui est tout à fait possible, les Ehpad doivent offrir un plan de formation aux personnes. J'entends réfléchir à la fois à la gestion des compétences sur le long terme, à des évolutions de carrière. Pour cela je travaille avec la ministre du travail. L'État a débloqué 430 millions supplémentaires, permettant la création de 20 000 postes. Il faut surtout mettre fin à la politique de ping-pong entre l'État et les départements pour mettre en oeuvre une politique pour la dépendance cohérente.

M. René-Paul Savary .  - Je reviens d'une mission sur les retraites : en Suède et au Danemark, l'espérance de vie augmente et les personnes restent plus longtemps en bonne santé. Si on arrive à trouver des molécules adaptées contre des troubles neuro-végétatifs, on améliorera l'espérance de vie en bonne santé.

Comment articuler la réforme des retraites et celle de la dépendance ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je n'ouvrirai pas aujourd'hui le débat sur la réforme des retraites.

Une spécificité française est l'allongement de la durée de la vie, mais couplée à une mortalité précoce avant 65 ans supérieure aux autres pays européens, et une durée de vie en bonne santé plus faible que la moyenne européenne.

Avec le Premier ministre, j'ai présenté la semaine dernière un grand plan de prévention, incluant l'accès aux prothèses dentaires, auditives, aux lunettes, etc. Je prône les campagnes de promotion de la marche, des activités physiques, de diminution des addictions, afin de réduire les maladies neurodégénératives, les troubles cognitifs, la perte d'autonomie. Tout cela jouera sur la dépendance dans quinze à vingt ans.

M. René-Paul Savary.  - Il n'y a pas assez d'implication dans la recherche.

La prévention budgétaire n'est pas non plus assez prise en compte. Des efforts importants restent à faire.

Mme Josiane Costes .  - L'allongement de la durée de vie s'accompagne de la perte d'autonomie. Le problème du reste à charge, souvent trop élevé, n'est pas abordé. Or dans le Cantal, le revenu moyen est parmi les plus faibles de France.

La commission des affaires sociales a proposé d'autoriser les établissements à pratiquer des prix différenciés en fonction des ressources des résidents pour diminuer le reste à charge des plus modestes.

Cette mesure sera-t-elle rapidement mise en place afin que nous puissions sortir de cette situation qui n'est pas « digne d'un pays aussi riche que le nôtre », selon le Haut conseil à la famille et à l'enfance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Des aides départementales existent.

Le coût médian des Ehpad, selon une étude de 2016, est de 1 949 euros par mois pour l'hébergement et la dépendance GIR 5 et GIR 6.

Le reste à charge compte tenu de l'ASH peut être de 867 euros par mois auxquels s'ajoutent le gîte et le couvert pour 720 euros, soit 1 587 euros par mois, donc plus que les revenus courants d'un résident sur deux. Les conclusions du Haut conseil à la famille, à l'enfance et à l'âge serviront de base à une réflexion sur ce sujet.

Attention à ne pas augmenter le reste à charge de certains résidents en suivant votre proposition.

Mme Josiane Costes.  - Le problème du reste à charge est très grave. Certaines personnes restent à domicile isolées et dans de mauvaises conditions à cause du reste à charge.

Mme Brigitte Lherbier .  - Notre système de sécurité sociale a permis historiquement à nos anciens de mieux vieillir à une époque où l'espérance de vie ne dépassait pas 63 ans pour les hommes et 69 ans pour les femmes.

Nous sommes tous confrontés à la perte d'autonomie d'un proche. Arrive un moment où la famille ne peut plus assumer. Or le reste à charge, en établissement, est très élevé.

Une fois retirées le montant des aides de l'APA, de l'APL et de l'ASH, il reste au résident, donc, souvent, à sa famille, plus de 73 % des frais à régler.

En Belgique, proche de la ville frontalière dont je suis proche, l'hébergement est plus simple, moins aseptisé, moins frayeux, plus chaleureux, plus humain. Alors qu'ils défilent contre la baisse de leur pouvoir d'achat dû à la hausse de la CSG, Madame la Ministre, le Gouvernement ne laisse-t-il pas tomber les retraités ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La hausse de la CSG ne concerne pas les 40 % de retraités les plus modestes. Il ne faut pas se lasser de le répéter.

Il nous reste à inventer un modèle plus souple. D'un côté, les aidants sont épuisés, de l'autre l'Ehpad peut être coûteux et situé loin des familles, qui sont parfois en proie à un sentiment de culpabilité. Il nous faut inventer un autre modèle, plus souple, plus agile.

C'est sur ces modèles progressifs, alternatifs, que nous souhaitons avancer dans les mois qui viennent.

Mme Patricia Schillinger .  - Pas moins de 160 millions d'euros supplémentaires ont été dégagés dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale en faveur des Ehpad, dont 72 millions d'euros pour recruter du personnel supplémentaire cette année.

Le taux d'encadrement est de 0,6 ETP pour un résident. Il faut qu'il augmente. Or plus d'un tiers des Ehpad déclarent avoir des difficultés à recruter. Comment promouvoir ces métiers difficiles, aux horaires contraignants ? Il faut aussi former les bénévoles qui font un travail formidable.

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous n'avons pas l'intention de contraindre. Certains Ehpad sont très bien structurés et d'autres doivent être aidés. J'ai demandé aux ARS de faire un bilan au cas par cas en dégageant à cette fin une enveloppe de 50 millions d'euros. Si l'on y ajoute les 28 millions d'euros de l'Ondam, ce sont 78 millions d'euros qui sont consacrés en 2018 à l'accompagnement des Ehpad.

Le taux d'encadrement est de près d'un pour un pour les personnes atteintes d'Alzheimer dans les unités spéciales.

M. Dominique Watrin .  - Les Ehpad publics ne survivent que grâce à l'abnégation et au dévouement du personnel. Or ce personnel leur est retiré pour être transféré aux établissements privés plus lucratifs. Il a fallu des mois de dénégations avant que vous admettiez que ce constat était loin d'être marginal. Stoppez cette réforme désastreuse ! Écoutez les appels au secours !

Il y a dix ans le plan Villepin prônait six soignants pour dix résidents. Des dizaines de milliards d'euros doivent être trouvés si nous voulons faire face dignement au vieillissement de la population. Ils doivent être trouvés dans les entreprises, en luttant contre la fraude et en taxant tous les revenus, y compris les grandes fortunes, au même niveau que les salaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Pas moins de 34 milliards d'euros sont dédiés à la prise en charge des personnes dépendantes soit l'un des budgets les plus élevés en Europe, rapportés au PIB. Au lieu d'ajouter toujours davantage d'argent, nous devons trouver un modèle plus évolutif, plus agile, entre le maintien à domicile et l'Ehpad.

La réforme passant d'une dotation globale à un financement adapté au niveau de dépendance des personnes est vertueuse. J'en ai hérité. Nous avons mis en place un comité de suivi avec l'ensemble des fédérations et un médiateur pour accompagner tous les Ehpad dans un climat apaisé.

M. Olivier Henno .  - Le personnel des Ehpad est parfois à bout de souffle, épuisé, les résidents sont des résistants, pour reprendre votre beau lapsus, Madame la Ministre, les proches sont inquiets... On est passé des maisons de retraite aux Ehpad, c'est un glissement plus que sémantique. La question de l'innovation, de nouvelles solutions hors les murs, se pose.

Dans le Nord, nous rassemblons ainsi des personnes isolées dans des appartements de trois ou quatre chambres avec une gouvernante. Comment l'État compte-t-il stimuler ces innovations et accompagner ces évolutions ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Les expérimentations traceront la feuille de route de demain. Aujourd'hui, les financements de l'innovation ne sont pas très clairs. Les Ehpad pourraient servir de centres de ressources à domicile avec une plateforme à l'appui. Certaines personnes seront mieux accompagnées dans des résidences autonomie ou des résidences médicalisées. J'ai demandé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) d'y réfléchir. La Conférence des financeurs est mobilisée. Nous devons expérimenter. Or aucune source de financement n'est dédiée aux expérimentations innovantes. L'article 51 de la loi de sécurité sociale ne porte pas sur les innovations de structures. Notre système est trop rigide, entre le maintien à domicile et l'Ehpad.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - L'aide sociale départementale à l'hébergement (ASH) vise à prendre en charge une partie ou la totalité du coût de l'hébergement d'une personne résidant dans un établissement ayant signé une convention d'aide sociale.

Pas moins de 58 % des établissements privés à but lucratif n'ont pas signé d'accord pour accueillir des bénéficiaires de l'aide sociale alors que les places manquent pour les personnes âgées modestes.

Les Ehpad privés à but lucratif ne devraient-ils pas réserver une quote-part aux bénéficiaires de l'aide départementale sociale ? Certains établissements, cotés en Bourse, assurent de très juteux placements pour les investisseurs. (Mme Nadine Grelet-Certenais applaudit.)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Il est nécessaire de garantir l'accessibilité aux personnes modestes tout en laissant une marge financière aux établissements. Vous l'avez dit, la loi n'est pas contraignante.

Beaucoup de personnes âgées ne veulent pas du recours sur succession, donc nous devons prendre le temps de la concertation avec les départements sur ce sujet.

M. Philippe Mouiller .  - Oui, il faut plus de souplesse. Des mises en commun de services et d'équipements entre établissements, déjà rendues possibles par la loi du 30 juin 1975, et relancées par celle du 2 janvier 2002, pourraient engendrer des économies. Pourquoi ne pas inciter à la mutualisation des fonctions supports ?

Parfois les établissements d'une même commune ont des statuts différents : privé, fonction publique, territoriale ou hospitalière. Dès lors, comment faciliter les passerelles et la mutualisation ?

Par ailleurs, le handicap mental n'est souvent pas pris en compte dans l'encadrement et les personnes âgées handicapées mentales doivent être accueillies dans des structures spécialisées et non dans des Ehpad classiques. Qu'en pensez-vous, Madame la Ministre ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La mutualisation est une excellente question. La loi permet déjà des coopérations. Il nous faut en améliorer l'efficience pour dégager du personnel. Le travail est forcément de dentelle, car la situation des établissements diffère d'un territoire à l'autre. Le Gouvernement encouragera l'assouplissement et les mutualisations.

L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pourrait favoriser les liens entre les différents secteurs.

Mme Jocelyne Guidez .  - Les Ehpad accueillent des personnes de plus en plus âgées. En 2015, 38 % des résidents avaient plus de 70 ans. Stephen Hawking disait que « l'intelligence est la capacité de s'adapter au changement ». Il appartient à la puissance publique de s'y adapter. Des avancées ont été réalisées pour accompagner la personne âgée et améliorer sa qualité de vie.

Robots, tablettes, toutes ces technologies sont de belles réussites. Nous devons les encourager. Comment le Gouvernement compte-t-il soutenir les start-up actives dans ce domaine et l'utilisation de ces nouveaux équipements dans les établissements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Cette filière de la cyberéconomie est en devenir : elle représentait 92 milliards d'euros en 2013, 130 milliards d'euros lui seront consacrés en 2020.

Pourtant des réticences à utiliser les nouvelles technologies existent. Nous devons établir une stratégie d'évaluation et une autre d'achat. Outre la télémédecine qui fera l'objet d'aides spécifiques, dans le programme national de santé publique, figure un plan de recherche sur la prévention de la perte d'autonomie. Les nouvelles technologies y trouveront leur place.

Pour les déployer, il faudra aussi favoriser les mutualisations et les centrales d'achat dans les Ehpad.

Mme Michelle Meunier .  - La maltraitance financière est un fléau encore mal identifié. Il y a des non-dits, des réticences, sans compter que les victimes n'ont pas forcément conscience d'être abusées. Escroqueries, vols, abus de procuration, détournement d'aide sociale : toutes ces malversations reposent sur l'abus de l'état de faiblesse physique ou psychologique de la personne âgée.

Un rapport vous a été remis en février dernier qui mentionne ce sujet. Le HCFEA a décidé de l'inscrire à son programme d'action en 2018. Comment le Gouvernement compte-t-il agir pour enrayer ce fléau ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Ce sujet nécessite un renforcement de certaines dispositions : la maltraitance financière en établissement se caractérise notamment par des pratiques commerciales abusives. Des dispositions renforcées en matière de dons et de legs, des actions de formation spécifique, telles peuvent être les pistes à explorer. Le portail national d'information pour l'autonomie des personnes âgées est à disposition des proches. Dans la prochaine feuille de route, je veillerai à prendre des mesures dédiées à cette maltraitance financière. Comptez sur ma vigilance.

M. Édouard Courtial .  - Il nous faut respecter la dignité de nos aînés et anticiper le vieillissement de la population. Le conseil départemental de l'Oise que j'ai présidé s'y est attaché. Le plan de tarification des Ehpad, entré en vigueur l'an dernier, ne prend pas en compte la différence entre les établissements publics et privés. Il aboutit à une rupture d'égalité. En janvier dernier, vous annonciez que la réforme serait poursuivie et que le retour à la tarification antérieure était une absolue nécessité. Ce retour garantirait plus de souplesse. On mesure, dit-on, le degré de sophistication d'une société à sa manière de prendre soin de ses aînés. Soyons à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Il n'y a pas eu, en effet, suffisamment d'études d'impact au cas par cas. J'ai mis en place un comité de suivi sur la tarification qui est une réforme dont, je le répète, je n'ai fait qu'hériter. L'État a pris ses responsabilités sur les soins ; il convient de mieux signaler la dépendance.

Je ne souhaite pas revenir complètement sur cette réforme mais en neutraliser les effets néfastes. Vous pouvez compter sur ma vigilance : les propositions du médiateur que j'ai évoquées seront mises en oeuvre.

Mme Monique Lubin .  - Le nombre de personnes très âgées dépendantes va croître considérablement d'ici 2050. Il faut réfléchir à de nouvelles formes d'accueil, caractérisées par la bienveillance et des conditions financières satisfaisantes. C'est ce que font les collectivités territoriales, avec des initiatives comme les résidences autonomie ; mais elles ne pallieront pas les besoins d'accompagnement notamment en fin de vie. L'accompagnement à domicile est une autre piste mais très coûteuse pour les personnes en GIR 1 et en GIR 2. Il faudra créer de nouvelles places en Ehpad d'ici à 2050 pour ce type de personnes.

Alors que les comptes publics s'améliorent, ferez-vous le choix d'une programmation prévisionnelle de ces places dans les années qui viennent, avec des tarifs raisonnables et des incitations aux collectivités locales ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Le maintien à domicile est aussi parfois une difficulté. La réflexion doit prendre en compte toutes les modalités d'accompagnement des personnes âgées en fonction de leur envie : maintien à domicile ou séjour en résidence. La feuille de route proposera un panel de solutions adaptées chacune à un moment de vie.

Quant au nombre de places créées en Ehpad, j'ai demandé un rapport au Haut conseil de l'assurance-maladie (HCAM). Nous avons d'ores et déjà prévu 4 500 places supplémentaires en Ehpad, auxquelles s'ajoutent 1 500 places temporaires.

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Trois employées d'une maison de retraite de Fumel, dans le Lot-et-Garonne, ont été condamnées la semaine dernière à quatre mois de prison avec sursis pour violences volontaires sur personnes vulnérables.

Cette maltraitance est parfois volontaire, parfois le résultat de la pression sur le personnel et du manque de moyens. L'absence de moyens humains et financiers est mal vécue à tous les niveaux. La colère est profonde et la situation particulièrement critique dans mon département. Nous avons mis en place des cellules d'écoute et d'autres systèmes d'aide.

Il est primordial de répondre à la situation budgétaire implosive des Ehpad. Le travail du personnel aidant est essentiel. Qu'allez-vous faire pour revaloriser cette profession et mieux la rémunérer ? (Mme Florence Lassarade applaudit.)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Prenez garde au glissement sémantique entre « maltraitance institutionnelle » et maltraitance. Quand on est condamné à quatre mois de prison, c'est que les actes de maltraitance qui ont été commis sont très répréhensibles et dépassent les seules difficultés budgétaires des Ehpad.

Nous avons mis en place une commission « bientraitance » avec Sophie Cluzel pour une meilleure formation du personnel : gestion des compétences, ouverture des perspectives professionnelles, formation à l'accompagnement en fin de vie sont autant de pistes.

Il convient d'offrir des perspectives, d'améliorer l'acceptation de la fin de vie. Ce sont des métiers difficiles à exercer, en raison de la douleur due au manque d'accompagnement. Cela pose aussi la question des soins palliatifs et de notre capacité à les mettre en oeuvre.

Mme Anne-Marie Bertrand .  - En 2050, une personne sur trois aura plus de 60 ans. L'allongement de la durée de vie et l'augmentation des pathologies nous obligent à prendre la mesure de la situation. Les bas salaires du personnel entraînent une crise des vocations. Personne n'a envie d'être accompagné à la fin de sa vie par un personnel épuisé et découragé.

Dans les Alpes Maritimes, le point GIR est de 7,68 euros alors qu'il est de 8,23 euros dans la Creuse. Les inégalités sont criantes. Quelles mesures prendrez-vous pour une plus grande équité de traitement dans l'accompagnement de nos aînés ? (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La politique du vieillissement est décentralisée. Le rapport de la Cour des comptes montre une différence d'un point à deux points et demi selon les départements sur le critère GIR. Certains d'entre eux sont en grande difficulté du fait de leur démographie. Nous devons réfléchir collectivement pour mieux les aider. Il convient de revaloriser les carrières : les emplois en Ehpad sont non délocalisables. Il faudrait faire évoluer le regard de la société sur les métiers du soin, du care pour mieux les valoriser.

Mme Laure Darcos .  - La réforme tarifaire des Ehpad visait à davantage de transparence. Elle a mis en lumière le mal-être du personnel. Dans mon département, l'Essonne, un établissement verra son budget baisser dans une telle proportion que 5 ETP devront être supprimés. Il faut accompagner la réforme tarifaire. D'autant que les établissements privés bénéficieront d'aides supplémentaires. Pour accompagner la réforme tarifaire, le conseil départemental de l'Essonne a accordé 1 million d'euros aux Ehpad.

Comment corrigerez-vous cette situation d'iniquité, sans que les départements aient à mettre la main à la caisse ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - L'État a prévu 28 millions d'euros pour accompagner les Ehpad auxquels j'ai ajouté une enveloppe de 50 millions d'euros via le FIR. Il faudra aussi prévoir 10 millions d'euros pour le personnel et 72 millions d'euros dédiés au financement de la partie soins. Cela fait au total 160 millions d'euros consacrés au financement des Ehpad.

Bien entendu, cela ne clôt pas le débat. Peut-être faudrait-il un financeur unique ? J'aurai une discussion avec M. Bussereau pour trouver un meilleur accompagnement à destination des départements.

Constitutionnalisation de l'IVG

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste .  - 2017 a été une année marquante pour les droits des femmes. La libération de leur parole a été une grande avancée dans la lutte contre une société patriarcale millénaire, imbriquée aux forces conservatrices et néo-libérales. Il faut une traduction socio-politique d'envergure à ce soulèvement.

Première violence faite aux femmes, celle qui consiste à leur interdire de disposer librement de leur corps. Le groupe CRCE a déposé le 3 mai dernier une proposition de loi inscrivant le droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Le présent débat vise à évaluer les positions, débusquer les réticences, et convaincre le plus grand nombre.

Jusqu'en 1942, l'avortement était un crime contre l'État, punissable de mort. En 1971 était publié le manifeste dit des « 343 salopes » ouvrant la voie à l'historique loi Veil de 1975. Cette loi de libération a oeuvré pour l'émancipation des femmes, pour l'égalité, le progrès de la société toute entière. Ce fut une grande conquête démocratique et laïque. Soyons à la hauteur.

Il y a eu 212 000 IVG en France en 2016 ; une femme sur trois y aura recours dans sa vie. Cet acquis a connu plusieurs avancées : remboursement en 1982, allongement des délais en 2001, fin du délai de réflexion et prise en charge à 100 % des examens associés en 2016, création du délit d'entrave numérique en 2017.

Pourtant les freins demeurent. Délai pour un premier rendez-vous, fermeture de 130 centres en dix ans lors de restructurations hospitalières, réseau insuffisamment structuré, pénurie de praticiens, manque de moyens pour les associations, planning familial en tête...

Les politiques austéritaires s'appuient sur des arguments moraux, religieux et idéologiques. En Espagne, en Pologne, aux États-Unis avec Donald Trump, ce droit est sans cesse remis en cause. La moitié des avortements réalisés dans le monde le sont illégalement, dans des conditions sanitaires effroyables, provoquant la mort de milliers de femmes - dont un tiers en Afrique.

Pour garantir ce droit fondamental, il faut l'ériger au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, au même titre que l'abolition de la peine de mort, et ainsi le placer sous la protection de la République.

Le droit à l'IVG est inscrit dans l'article L. 2212-1 du code de la santé publique ; nous proposons son inscription à l'article 34 de la Constitution, mais sommes prêts à discuter du meilleur emplacement. Pourquoi pas une charte ad hoc des droits des femmes intégrée dans le bloc de constitutionnalité ?

La formulation ne devra en aucun cas limiter ou conditionner le droit à l'avortement et devra prévoir les moyens de l'exercer, notamment en termes d'information et de financement. À défaut d'examen rapide de notre proposition de loi, nous pourrions profiter de la révision constitutionnelle qui se profile.

Quoi qu'il en soit, le pays des droits de l'homme se doit d'être exemplaire en matière de droits des femmes. Finissons-en avec le patriarcat, renforçons la digue contre les conservateurs et passéistes toujours prêts à délégitimer ce droit acquis de haute lutte. Simone de Beauvoir disait : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique, ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. » La vigilance et la mobilisation restent indispensables, voire décisives. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; MM. Bernard Jomier et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme Françoise Laborde .  - Merci au groupe CRCE d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. Difficile, en tant que femme, citoyenne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et membre du Haut Conseil à l'égalité de m'opposer à l'idée généreuse d'une inscription du droit à l'IVG dans la Constitution.

Néanmoins, les termes de notre débat dépassent les convictions personnelles. Y a-t-il ou non nécessité juridique et politique d'inscrire ce droit dans le marbre constitutionnel ?

Notre arsenal législatif est solide, complet et parait suffisant. Il est vrai que la législation ne dispense pas d'un engagement constant des pouvoirs publics - et des élus - pour en garantir l'exercice.

En 2017, le Sénat a voulu renforcer la pénalisation du délit d'entrave à l'IVG, punissant désormais de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende le fait d'empêcher l'information sur l'IVG et sa pratique, à travers des blocages ou des pressions morales, psychologiques et physiques sur les femmes et les professionnels des établissements.

Dès lors, qu'apporterait une inscription dans la Constitution ? Notre groupe lui préfère l'inscription du principe de l'égalité entre les femmes et les hommes, dont découle le droit de chacun à disposer de son corps et donc le droit à l'IVG. La Constitution organise nos grands principes républicains et n'a pas vocation à devenir un catalogue bavard de droits et de libertés, quel que soit leur bien-fondé. Il revient au législateur, appuyé par le juge, d'oeuvrer au progrès des droits et libertés.

Inscrivons plutôt le principe d'égalité devant la loi sans distinction de sexe à l'article premier, comme le propose la délégation aux droits des femmes ; le reste en découlera. Et concentrons notre combat sur l'effectivité de l'accès à l'IVG sur le terrain, partout en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et UC)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je rends hommage à Simone Veil qui déclarait : « l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issues. Mais comment le tolérer sans que la société ne paraisse l'encourager ? Cela restera toujours un drame. »

Les mots du député Henry Berger, rapporteur du projet de loi sur l'IVG en 1974, sont toujours d'actualité : le sujet suscite les passions, déchaine les controverses.

Fallait-il relancer le débat ? Inscrire l'IVG dans la Constitution ? L'esprit de la loi, l'intention de Simone Veil étaient de répondre à une situation grave, non de proclamer de manière symbolique un droit fondamental.

L'avortement, c'est la possibilité de faire un choix - un choix déchirant. Simone Veil qualifiait l'avortement d'échec ; elle voulait le contrôler, le dissuader, et demandait à ce que l'on fasse confiance aux jeunes générations pour conserver à la vie sa valeur suprême. Il nous appartient de préserver cet héritage. Ce serait une déviance que de faire de l'IVG un droit fondamental. « Mon corps, mon choix » : oui mais c'est aussi le corps d'un autre. Étrange société qui trouve des preuves de vie sur Mars et non dans l'embryon humain...

L'avortement ne doit pas être banalisé, encore moins encouragé. La réponse aux grossesses non désirées, c'est la prévention, l'information et l'accès à la contraception. Or la vogue des contraceptions dites naturelles, la banalisation de l'IVG et la méconnaissance de ses conséquences conduisent certaines à se faire avorter de manière répétée : un médecin me parlait d'une jeune fille de 15 ans qui venait pour un quatrième avortement, sans véritablement prendre conscience de ses actes...

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne figurent pas nécessairement dans la Constitution : c'est le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État qui leur reconnaissent une valeur constitutionnelle. Il n'y a pas de sens à ajouter le droit à l'IVG à l'article 34, qui définit le domaine de la loi. Si les piliers du bloc de constitutionnalité sont aussi actuels, c'est qu'ils énoncent des principes généraux et clairs.

Vous le comprendrez, je suis opposée à cette proposition. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe UC)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La loi de 1975 a contribué à la libération des femmes. Avant son adoption, subir, pratiquer, ou aider une interruption de grossesse était pénalement sanctionné. On allait à l'étranger, ou on avortait clandestinement - près de mille par jour, dans des conditions souvent déplorables.

La loi Veil ne suspendait la pénalisation de l'avortement que pour cinq ans. Il a fallu attendre 1979 pour que sa légalisation devienne définitive. Est venu ensuite le remboursement, en 1983 ; puis la suppression de l'autorisation parentale et l'allongement du délai à douze semaines en 2001. Le délit d'entrave, qui existe depuis 1993, a été renforcé en 2017.

Mais tous les pays d'Europe n'en sont pas au même point. En Pologne, l'IVG, légale pendant quarante ans, a de nouveau été interdite en 1997, hors viol, inceste ou raisons médicales. Chypre ne l'autorise qu'en cas de viol ou de risque majeur pour la santé. En Irlande, la libéralisation de l'avortement va faire l'objet d'un référendum le 25 mai.

En 2013, le gouvernement espagnol avait dû retirer sous la pression un projet de loi très restrictif mais imposé le consentement parental pour les mineures. Au Portugal et en Slovaquie, les femmes supportent le coût de l'IVG. À Malte, l'avortement est totalement interdit.

C'est donc dans un contexte de recul européen que ce débat intervient. L'inscription dans la Constitution n'offre pas une garantie absolue contre une éventuelle remise en cause. Au-delà du symbole mettons plutôt l'accent sur l'accès concret à ce droit, menacé par la pénurie de praticiens, les restructurations hospitalières, le manque de moyens pour les associations...

C'est dans les outre-mer que le taux d'avortement est le plus élevé - près du double de la métropole, 25,2 pour mille contre 13,9 pour mille ; Mayotte est en tête en ce qui concerne les mineures. Ces chiffres témoignent d'un manque d'information sur la contraception. C'est pourquoi les campagnes d'information, notamment en direction des mineurs, sont indispensables. Informer sur l'avortement, ce n'est pas l'encourager. C'est répondre à une situation de fait, des histoires parfois dramatiques qui transcendent les convictions. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et RDSE ; Mme Sophie Joissains applaudit également.)

Mme Laurence Cohen .  - L'objet de notre proposition de loi était de consolider un droit fondamental chèrement acquis par la lutte féministe et progressiste. L'IVG, symbole d'émancipation des femmes, ne se pratique jamais le coeur léger. C'est une décision difficile, mûrement réfléchie, que prennent 200 000 femmes chaque année en France. Mais donner naissance à un enfant est aussi une décision dont il faut pouvoir assumer les conséquences.

Le droit à l'IVG a été inscrit dans le code de la santé et sa prise en charge améliorée. Il y a néanmoins des raisons objectives d'être inquiet. D'abord, une vague conservatrice globale, matérialisée par les commandos anti-IVG qui se renforcent, exercent leur propagande sous des dehors officiels, à travers des sites de désinformation. Nous avons dû, l'an dernier, créer un délit d'entrave numérique à l'accès à l'IVG.

M. Roland Courteau.  - Tout à fait.

Mme Laurence Cohen.  - Quatre pays européens interdisent l'IVG hors circonstances exceptionnelles : la Pologne, l'Irlande, Andorre et Malte, tandis que Chypre vient d'assouplir sa législation.

En Pologne, des millions de femmes ont manifesté pour défendre leur droit, comme en Espagne, contre le projet de M. Rajoy en 2013. En Irlande, un référendum se tient en mai pour mettre fin à l'hypocrisie qui contraint des milliers d'Irlandaises à avorter au Royaume-Uni pour éviter quatorze années de prison.... Aux États-Unis, l'élection de Donald Trump a signé la fin de l'aide aux associations. Enfin, l'interdit demeure dans de nombreux pays d'Afrique et d'Amérique latine, preuve qu'en 2018, le droit de disposer de son corps n'est pas garanti. Pourtant, selon la Conférence mondiale sur les femmes des Nations unies, les droits fondamentaux des femmes incluent la maîtrise de leur sexualité et la liberté de décision en matière de procréation...

En France même, le droit à l'IVG n'est pas si accessible : en dix ans, 130 centres d'IVG ont fermé, victimes de restrictions budgétaires. Les praticiens manquent. Vous déplorez les déserts médicaux, les inégalités territoriales, mais comment s'en étonner quand on vote des Ondam aussi contraints ? Le Haut Conseil à l'égalité préconise d'ailleurs un moratoire sur les fermetures.

Notre groupe est le seul à s'opposer à ces décisions budgétaires, qui entament aussi les moyens des associations comme le planning familial. N'oublions pas que chaque année, 5 000 Françaises avortent à l'étranger, ayant dépassé le délai de douze semaines, en assumant tous les frais financiers...

Bref, le droit à l'IVG est loin d'être garanti en France. D'où notre proposition. Le président Macron n'a-t-il pas fait de l'égalité femme-homme une grande cause du quinquennat ? La constitutionnalisation de l'IVG serait un signal fort dans le monde entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)

Mme Françoise Gatel .  - Sans doute la remise en cause de l'IVG dans certains pays de l'Union européenne explique-t-elle ce débat. La situation est préoccupante en Pologne ou en Italie, où 70 % des gynécologues font valoir leur clause de conscience.

Un référendum au résultat incertain aura lieu bientôt en Irlande. Le panorama rapide montre l'actualité de ce sujet. C'est d'ailleurs la troisième fois que le Sénat en débat depuis 2016.

Les professionnels de santé et responsables associatifs alertent sur le manque de moyens et la persistance des obstacles.

Toutefois, la constitutionnalisation de l'IVG ne paraît pas être la bonne solution. Un gouvernement déterminé pourra toujours revenir dessus, en maniant l'article 11 ! Cette protection est donc illusoire. Un tel ajout en revanche ouvrirait la boîte de Pandore : comment refuser dès lors l'inscription d'autres droits tout aussi essentiels ? Surtout, cette inscription dans la Constitution ne lèverait en rien les obstacles pratiques auxquels se heurtent les Françaises désireuses d'avorter et pourrait même affaiblir l'efficacité de l'information sur la contraception et la sexualité. (Mmes Éliane Assassi et Laurence Cohen en doutent.)

Concentrons plutôt l'effort sur l'application de la loi. Alors que la demande est stable, pas moins de 130 établissements ont fermé en dix ans...

Mme Laurence Cohen.  - À cause de qui ?

Mme Françoise Gatel.  - Résultat, 5 % des établissements pratiquent 23 % des IVG (Mme Françoise Laborde renchérit.). Les inégalités territoriales se creusent, les recours allant du simple au double selon les régions.

Alors qu'une femme sur trois a recours à l'IVG au cours de sa vie, il est essentiel qu'elle puisse être réalisée dans de bonnes conditions.

Il est aussi essentiel de mettre l'accent sur l'information à la sexualité, la prévention, la contraception. Souvenons-nous des propos de Simone Veil : l'avortement doit être l'exception car il n'est jamais sans souffrance. Le référencement des sites officiels sur Internet doit être renforcé : le site IVG.net, destiné à induire en erreur les femmes, arrive toujours en deuxième position, juste après celui du Gouvernement !

Une proposition purement symbolique n'apporterait pas d'amélioration au quotidien. Espérons plutôt que ce débat sera l'occasion pour le Gouvernement de réaffirmer son engagement à renforcer l'information sur la sexualité, la prévention, la contraception et l'IVG.

Mme Laurence Cohen.  - Ce n'est pas contradictoire...

Mme Françoise Gatel.  - Pour les centristes, l'IVG doit rester l'ultime recours. Pour ces raisons, le groupe UC ne saurait être favorable à cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Michelle Meunier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Merci à Mmes Cohen et Assassi pour leur fidélité à nos combats.

L'histoire de l'IVG est celle d'une longue marche des femmes pour conquérir leurs droits, d'un parcours difficile : manifeste des 343 en 1971, Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception en 1973, loi Veil de 1975, confortée définitivement en 1979.

En 1982, la nouvelle majorité vote le remboursement, intégral depuis 2013, et allonge le délai. En 1992, fin de la pénalisation ; en 1993, création du délit d'entrave, renforcé en 2017. En 2000, gratuité de l'IVG médicamenteuse d'urgence pour les mineures ; en 2014, suppression de la mention de « situation de détresse ».

Ces petits pas ont contribué à faire de l'IVG la liberté fondamentale que l'on connaît dans notre pays. L'inscrire dans la Constitution la consacrerait, en interdisant tout recul. L'entrée de Simone Veil au Panthéon est un symbole de reconnaissance de l'avancée sociétale qu'elle a permise. L'IVG est plus qu'un acquis social, c'est un marqueur fort de notre société. Il n'y a pas de meilleur indicateur sur le développement d'une société que la place dévolue aux femmes, disait Simone de Beauvoir.

Pour les jeunes générations, ce droit fondamental participe de l'identité de notre pays, alors qu'il est fragile chez certains de nos voisins. Ainsi l'IVG est-il menacé de disparition en Pologne, sous les coups de boutoir des forces traditionalistes.

Lui donner une valeur constitutionnelle, c'est affirmer notre attachement à ce droit, c'est éclairer le chemin de nos soeurs de lutte, c'est se prémunir contre tout recul. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Colette Mélot .  - L'IVG a été reconnue au terme d'un combat de longue haleine. Rappelons-nous le discours historique de Simone Veil, le 26 novembre1974, devant une Assemblée nationale qui ne comptait que neuf femmes, dénonçant une situation intolérable et injuste.

La loi de 1975 n'était que provisoire. Il fallut attendre 1979 pour que l'avortement soit définitivement légalisé. Rappelons-nous l'engagement des femmes, qui ont obtenu par leur mobilisation que la loi Veil soit réellement appliquée.

Rappelons-nous le courage, la conviction qu'il faudra, en 1982, pour obtenir le remboursement, qui n'était qu'un premier pas. Ont suivi le délit d'entrave en 1993, la loi de 2001, l'IVG pour les mineurs sans autorisation parentale, etc.

L'IVG est un droit, à disposer de son corps, de son avenir, un droit à affirmer librement son choix. L'avortement doit rester l'exception, nulle n'y recourt de gaieté de coeur.

Chez nos voisins, c'est encore souvent un chemin de croix. En Allemagne, donner des informations sur l'IVG est un délit. En Pologne, on envisage de durcir le recours à l'IVG.

Faut-il pour autant inscrire ce droit dans la Constitution ? Est-ce un droit inaliénable ? Le groupe Les Indépendants est favorable à l'imprescriptibilité du droit à l'IVG. Pourtant, la constitutionnalisation est-elle la solution optimale ? Une formulation imprécise ou maladroite pourrait conditionner ou limiter les droits des femmes... Faut-il seulement inscrire le droit à l'IVG ou aussi sa gratuité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur certains bancs du groupe Les Républicains ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ce débat fait suite au dépôt par le groupe CRCE d'une proposition de loi constitutionnelle en mai 2017.

L'IVG est un droit depuis la loi de 1975 : l'article L. 2212-1 du code de la santé publique reconnaît que les femmes sont libres de disposer de leur corps. En 2017, nous délibérions sur le délit d'entrave numérique. L'IVG est un droit chez nous mais les disparités sont grandes de par le monde : référendum en Irlande sur son autorisation, manifestations très violentes en Argentine contre sa légalisation, etc. La remise en cause de l'IVG est un argument électoral pour certains partis, on l'a vu en Espagne.

Faut-il pour autant inscrire l'IVG dans la Constitution ? Pour la garantir, il existe d'autres moyens. L'IVG n'est pas sans conséquence pour la femme et sa santé tant physique que psychique. Il ne faut pas la banaliser ou la sanctuariser.

L'IVG ne doit pas être considérée comme une méthode contraceptive comme une autre. Les écarts entre régions perdurent, du simple au double : dix IVG pour mille femmes en Pays-de-Loire, vingt en PACA et vingt-cinq outre-mer.

Si le taux d'IVG reste stable depuis quinze ans, il n'a pas pour autant diminué : 212 000 IVG en France en 2016. Je suis réticente à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Mettons l'accent sur la prévention et l'information sur la sexualité. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La Constitution est le sommet de notre architecture juridique. Elle énonce les principes, les valeurs et les règles qui font de la République française une démocratie sociale.

Depuis 1958, elle a évolué et contient désormais 89 articles, auxquels s'ajoutent la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de 1946 et la Charte de l'environnement de 2004. Les droits des femmes sont un sujet largement plus signifiant que bien des scories qui alourdissent le texte.

Sans être un fourre-tout, notre Constitution doit intégrer les grandes évolutions des droits qui traduisent les grandes évolutions de l'identité républicaine de notre peuple.

Au-delà de la proclamation de l'égalité entre hommes et femmes, les progrès des droits des femmes sont une avancée heureuse des dernières décennies. L'article premier proclame l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux responsabilités professionnelles et sociales. C'est bien peu, alors que ces valeurs sont constitutives de notre identité républicaine.

C'est bien peu au moment où les droits des femmes sont menacés, en Europe même. Le chef de l'État souhaite marquer son quinquennat par un engagement européen fort.

Il y a là matière à lancer en Europe un grand combat progressiste. L'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution serait un signe fort. Ce droit est bien de niveau constitutionnel. Il peut et doit y être inscrit au même titre que la fin de la peine de mort. C'est un sophisme que de l'écarter au motif qu'il peut être remis en cause. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Christophe Priou .  - Je veux rendre hommage à Simone Veil et Lucien Neuwirth. L'action de la première a été déterminante, comme celle du second, longtemps parlementaire. Lucien Neuwirth sut convaincre le général de Gaulle. J'ai eu le bonheur de parler des heures avec lui, il y a quelques années. Le Premier ministre Pompidou lui avait prédit qu'avec sa proposition de loi, il ne serait ni ministre, ni réélu. Cela s'est avéré faux. Il a été reconduit dans ses fonctions de député, puis a été sénateur.

M. Jean-Pierre Grand.  - Il a même été questeur.

M. Christophe Priou.  - Le Général lui aurait dit, avec son franc-parler unique : « Vas-y Lucien avec ta pilule, mais comme les Français la préfèrent à la natalité, elle ne sera pas remboursée » - et, effectivement, elle n'a d'abord pas été remboursée par la sécurité sociale. Après sa loi sur la pilule - adoptée grâce au soutien des élus communistes... -, Lucien Neuwirth fut un soutien de Simone Veil. Personne ne remettra le droit à l'IVG en cause. Le président de la République y veillera. Ce droit a au contraire été plusieurs fois élargi au fil des ans, jusqu'en 2016. Le droit des femmes à disposer de leur corps est absolu. C'est la condition de l'égalité hommes-femmes.

Le droit à l'IVG doit-il figurer dans une Constitution ? Je ne le crois pas. La devise « Liberté, égalité, fraternité » proclame déjà nos droits. Montesquieu disait qu'il ne fallait toucher aux lois que d'une main tremblante. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - J'interviens devant vous en tant que ministre, femme, médecin. L'IVG est un droit de la femme, un droit humain inscrit dans notre patrimoine juridique.

Notre combat doit se poursuivre pour une IVG pertinente, sûre et de qualité, accessible à toutes les femmes, quels que soient leur condition et leur territoire.

La loi Veil a sauvé et sauve encore nombre de femmes de complications gravissimes, voire mortelles. Nous devons tout faire pour préserver cet acquis et veiller à sa bonne application.

Plusieurs mesures ont été adoptées au fil du temps. Loin de se reposer sur ces acquis, le Gouvernement doit prolonger cette action pour faciliter une mise en oeuvre réelle de la loi Veil.

Il n'est pas nécessaire d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution. La loi fondamentale doit être la plus générale possible. Évitons l'inflation législative, en particulier dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel est déjà le garant de l'IVG, en l'ayant reconnue comme une composante de la liberté des femmes, énoncée par l'article 2 de la Déclaration des droits, donc à ce titre érigée en liberté fondamentale.

Cependant, l'IVG est toujours contestée en paroles et en actes - et c'est pourquoi nous devons la défendre partout. Je continuerai à défendre le droit à l'IVG avec fermeté tant à l'échelon national qu'international.

Je porterai mon engagement à l'étranger. Je regrette la frilosité de certains en Europe. Le Conseil de l'Europe a rappelé que le choix de l'IVG doit revenir à la femme, qui doit être la seule à décider de son corps. À Malte, en Irlande, en Pologne, l'IVG n'est pourtant pas autorisée ou fait l'objet de politiques restrictives. En Italie, quatre médecins sur cinq refuseraient de la pratiquer.

Des vagues d'attaques se font jour en France qui recourent à la ruse de la désinformation et des campagnes dans les réseaux sociaux. Je veillerai à protéger l'accès à l'IVG partout dans notre pays, en diversifiant les lieux de prise en charge, l'offre et en luttant contre la désinformation sur Internet afin que chaque femme puisse prendre une décision éclairée et responsable. L'entrave n'est en effet plus seulement physique. Certains dans cet hémicycle ont voté contre la loi de 2017 sur l'entrave numérique, au nom de la liberté d'expression.

Mme Françoise Laborde.  - Ils ne s'en souviennent pas !

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Or le délit d'entrave condamne ceux qui pratiquent la désinformation, pas ceux qui l'expriment. Nous avons fait de réels progrès avec la mise en place d'un numéro vert et l'ouverture d'un site sur Internet.

En Outre-mer, je rendrai effectif l'accès à l'IVG pour toutes.

J'ai une pensée particulière pour les jeunes femmes, notamment les plus éloignées du soin. L'anonymat et la confidentialité sont une protection indispensable pour les mineures, vulnérables aux pressions de leur entourage.

Considérer l'accès à l'IVG comme distinct de la santé sexuelle est une erreur.

J'engage une démarche globale pour une vie sexuelle sans danger. Ma feuille de route en la matière mettra l'accent sur la prévention et l'éducation à la sexualité. Les femmes, et les couples, doivent pouvoir choisir quand ils veulent un enfant.

Nous travaillons en partenariat avec le planning familial, qui oeuvre depuis les années soixante.

En outre-mer, nous renforçons l'information et l'accès aux soins. Une convention entre le ministère des outre-mer et le planning familial a été signée en ce sens. Le droit à compensation pérenne, de 120 millions d'euros, a été prévu dès 2018. Le centre hospitalier de Mayotte a signé avec le département de Mayotte pour une meilleure protection maternelle et infantile.

Nous connaissons tous les mots de Simone Veil. Leur modernité résonne. Maintenons sa lumière pour des actions concrètes qui facilitent l'accès à ce droit fondamental ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE, Les Indépendants, LaREM)

La séance, suspendue à 17 h 50, reprend à 17 h 55.

Politique de fret ferroviaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur « la politique de fret ferroviaire en France à la suite de la présentation du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures du 1er février 2018 ».

M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains .  - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le groupe Les Républicains a souhaité ce débat dans le prolongement de celui de la semaine dernière sur les transports ferroviaires de voyageurs. Il s'agit de redire notre attachement au système ferroviaire français et la nécessité de conforter le fret ferroviaire dans notre pays.

M. Charles Revet.  - Il y a du travail à faire.

M. Gérard Cornu.  - La SNCF a toujours eu à faire face à d'autres modes de transport de marchandise, qu'il soit routier, aérien ou fluvial.

L'ouverture à la concurrence effective depuis 2003 pour le trafic national et 2006 pour le trafic international constitue une contrainte nouvelle. La concurrence intra-modale avec les autres entreprises ferroviaires, dont les parts de marché atteignent 44,5 % en 2016, est une réalité pour Fret SNCF.

Les rapports de MM. Haenel et Gerbaud en 2003 et de M. Grignon en 2010 disent par leur titre l'impasse dans laquelle se trouve le fret. La SNCF a multiplié les plans de réforme du fret ces dernières années, sans résultats probants.

La baisse du fret est liée à la désindustrialisation de la France, à une moindre attractivité des ports français par rapport aux concurrents européens - le Havre fait exception -, à un mauvais entretien du réseau, pas du tout orienté vers le fret. Le transport de voyageurs a été privilégié. (M. Alain Fouché approuve.) La concurrence de la route est indéniable, jugée plus simple et plus fiable : les transporteurs respectent en général les délais. Enfin, l'État n'a pas été cohérent : il affirme son soutien au fret ferroviaire mais ne traduit pas ce soutien en actes. Les négociations sur le cadre social commun prévues par la loi de 2014 ont alourdi les contraintes pour les opérateurs privés. À cela s'ajoute l'abandon de l'écotaxe. Le transport routier demeurera encore longtemps le moyen de fret privilégié en raison de sa flexibilité.

Or le fret ferroviaire est un mode propre, qui participe à l'aménagement du territoire. Le développement de l'infrastructure doit répondre aux attentes des clients. En privilégiant les trains lourds et larges sur des sillons de bonne qualité, le fret ferroviaire pourrait être attractif. L'organisation logistique en saut de puce n'est pas efficace. Il faut se concentrer sur les grands corridors.

Le noeud lyonnais est un exemple significatif. Depuis de nombreuses années, les solutions restent inefficaces alors que ce noeud ralentit le réseau national tout entier. On gagnerait à en rehausser le niveau de fiabilité et à diminuer sa congestion. D'autant que d'autres projets vont s'y greffer comme le Lyon-Turin. Le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) a prévu comme mesure transitoire la modernisation du tronçon Dijon-Chambéry-Modane, pour un coût de 700 millions d'euros. Il est indispensable de disposer d'une infrastructure à deux voies entre Lyon-Saint-Exupéry et Chambéry ou plus exactement Saint-André-le-Gaz et Chambéry. (M. Loïc Hervé ironise.)

Il faut donner la priorité à l'accès entre les grands ports et le réseau ferroviaire. Il convient aussi de changer les habitudes des donneurs d'ordre et des chargeurs.

Nous ne pouvons plus accepter avec passivité la perspective du doublement du trafic poids lourds dans les dix ans à venir. À ne pas intervenir, il risque d'être trop tard. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et quelques bancs du groupe UC ; M. Alain Fouché applaudit.)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - La ministre déléguée aux transports est retenue à l'Assemblée nationale pour examiner le texte sur le transport ferroviaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Elle n'est pas coincée dans les grèves ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Le fret ferroviaire est un secteur important de notre politique des territoires. Il connaît de réelles difficultés.

M. Charles Revet.  - C'est le moins qu'on puisse dire.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - « Voyons comment on peut remettre le ferroviaire au coeur de la mobilité durable sur deux axes prioritaires : le confort au voyageur et le fret ferroviaire » : telle était la feuille de route de Nicolas Hulot.

La part modale du fret ferroviaire n'a cessé de baisser : de 16 % en 2000 à 10 % en 2016, après un étiage à moins de 9 % en 2010. En Autriche, cette part est de 40 % ; en Allemagne, de 20 %.

La faible densité industrielle en France, la moins grande compétitivité des ports français par rapport à leurs voisins européens et la crise de 2008, telles sont les causes qui expliquent la dégradation du fret ferroviaire.

Depuis une dizaine d'années, le fret ferroviaire souffre de la concurrence féroce du mode routier, devenu bien moins onéreux avec la baisse du prix du gasoil et l'arrivée d'opérateurs en provenance des pays de l'Est plus compétitifs.

Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures prévoit plusieurs millions d'euros en faveur du fret ferroviaire. Vos collègues sont engagés dans ce combat, comme MM. Cornu, Maurey et Dagbert. Leurs travaux nous ont inspirés.

La loi sur le nouveau pacte ferroviaire est un autre aspect de notre action, signe de la priorité donnée par le Gouvernement au fret ferroviaire.

La relance (M. François Bonhomme en doute.) du fret ferroviaire d'abord passe par l'amélioration de la qualité des sillons et de la visibilité de la tarification. D'où la Conférence sillons fret organisée le 6 février dernier par la ministre. SNCF Réseau a annoncé la mise en oeuvre d'un réseau fret de haute qualité de services qui représente 80 % de ce réseau. Une mission a été confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable sur la compétitivité de ces outils.

Notre objectif est également l'irrigation ferroviaire des territoires, avec les petites lignes de fret. L'État a investi 40 millions d'euros par an dans la rénovation des petites lignes capillaires. Le Gouvernement proposera d'aller plus loin que les recommandations du COI sur les lignes capillaires fret. Il a obtenu de la Commission européenne un dispositif d'aides publiques sur la rénovation des lignes.

Le développement du secteur combiné est une priorité du Gouvernement qui le soutient par des aides à l'exploitation entre 25 et 30 millions d'euros. Il souhaite le pérenniser.

Troisième priorité, améliorer la performance de l'intermodalité. L'État est mobilisé sur le développement du ferroutage vers l'Italie et l'Espagne. Il souhaite aussi développer la compétitivité de nos grands ports au Havre, à Dunkerque et à Fos. La stratégie portuaire a été clarifiée. Le Premier ministre a ouvert une réflexion sur un plus grand rapprochement des ports et de nos métropoles.

Quatrième priorité, accompagner les innovations technologiques. Un programme pérenne de réduction du bruit prévoit de remplacer les semelles de freins en fonte par des semelles en matériau composite. C'est important pour le fret dont le transport se fait souvent de nuit.

Enfin, le Gouvernement a souhaité lutter contre la concurrence déloyale en révisant la directive sur les travailleurs détachés. Avec détermination, il s'est engagé dans des négociations sur le paquet mobilités au niveau européen, pour favoriser l'émergence d'une concurrence saine, équilibrée. Il lutte ainsi contre le dumping social et favorise le report modal vers le transport ferroviaire.

Améliorer la performance du fret ferroviaire : voilà le défi à relever pour améliorer son développement. Ce mode de transport est plus vertueux en termes environnemental. La ministre rassemblera tous les acteurs, courant avril, pour poursuivre la discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, M. Alain Fouché applaudit également ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Éric Gold .  - Dans les semaines à venir, la SNCF présentera un plan spécifique pour la relance du fret ferroviaire. Compte tenu de la part modale faible de ce fret, de la dette importante de la SNCF dans ce secteur, de nos obligations en matière de développement durable, ce plan de relance est bienvenu.

Cependant, les voies ont pâti d'un manque cruel d'investissement depuis des années. Les travaux s'effectuent souvent la nuit ; or c'est la nuit que le fret ferroviaire circule.

Des poids lourds arrivent par centaines à la frontière française chaque jour et déchargent leurs marchandises dans de petits véhicules conduits par une main-d'oeuvre à bas coût.

Le fret ferroviaire a-t-il vraiment un avenir ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - La désindustrialisation de la France et la démassification des flux expliquent l'impasse dans laquelle se trouve le fret ferroviaire. Il y a aussi eu un manque d'investissements.

Le Gouvernement se concentrera sur les atouts du fret ferroviaire : grande capacité de marchandises, système de transports combinés, lutte contre la concurrence déloyale.

Le défi posé par les véhicules utilitaires légers retient toute l'attention du Gouvernement.

Mme Élisabeth Lamure .  - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) En 2016, le Premier ministre a ouvert une mission parlementaire sur les enjeux portuaires. J'étais chargée de l'axe Rhône-Saône, véritable boulevard pour le fret ; or pas moins de 82 % du fret acheminé dans les ports est transporté par la route, alors qu'un train transporte l'équivalent d'une centaine de camions. De Fos partent 20 trains de fret par jour ; de Hambourg, 150... Le noeud ferroviaire lyonnais est pourtant un point central.

Madame la Ministre, que comptez-vous faire ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Le port de Marseille assure 55 % des exportations maritimes de la région lyonnaise, le transport combiné est soutenu.

En 2016, vous souhaitiez la nomination d'un délégué interministériel sur l'axe Rhône-Saône. Le Gouvernement a confié au délégué Jean-Christophe Baudouin une réflexion sur cet axe.

Le lancement d'une nouvelle navette ferroviaire reliera trois fois par jour le port de Marseille au terminal suisse de Chavornay.

Mme Élisabeth Lamure.  - Le problème français est celui de la lenteur. Quand un industriel veut s'installer dans une zone portuaire en France, cela lui prend 18 mois, contre 45 jours à Hambourg. Le monde n'attend pas la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Marchand .  - Le secteur du fret a perdu un tiers de son trafic en quinze ans. La libéralisation du secteur du fret n'a pas été une réussite avec un tiers seulement d'acteurs privés. L'amélioration de l'état du réseau, la stabilité du sillon n'ont pas été suffisants jusque-là. Le fret est le moyen le plus pertinent pour les longues distances, il évite le bruit, la congestion ; c'est un enjeu environnemental. L'organisation logistique pourrait être un facteur d'attractivité pour notre pays.

Pourriez-vous nous donner des pistes pour redonner vie au fret ferroviaire ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - En effet, la situation du fret n'est pas satisfaisante. Il est vrai que les plans de relance n'ont pas rempli tous leurs objectifs, dans un contexte particulièrement compliqué. Ils ont cependant servi à stopper la dégringolade.

En l'absence d'une tarification kilométrique pour les poids lourds à un niveau suffisant pour couvrir les coûts externes dans les zones les plus polluées et congestionnées, le rapport Spinetta préconise de maintenir les péages fret à un niveau inférieur au coût marginal, ajusté à la sous-tarification des autres modes, comme le permet d'ailleurs la directive européenne n°2012-34. Le rapport préconise aussi une filiale dédiée au capillaire fret et une recapitalisation de la dette de la SNCF après restructuration de l'activité et retour à l'équilibre opérationnel. Ces recommandations, actuellement examinées par le Gouvernement, seront débattues dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire.

Mme Cécile Cukierman .  - Depuis de trop nombreuses années, le fret ferroviaire est le parent pauvre du rail. Les voies sont vétustes et mal entretenues, d'où l'abandon d'un grand nombre de lignes et la fermeture de triages.

L'État et l'entreprise historique ont organisé la casse de l'outil industriel par la fin du wagon isolé et l'ouverture à la concurrence : l'activité de Fret SNCF s'est réduite à 150 000 wagons en 2014 contre 700 000 en 2005. Les effectifs ont fondu, de 15 000 agents en 2008 à 7 400 en 2015.

Les lignes capillaires risquent d'être abandonnées ou confiées aux régions.

Le retour à l'équilibre réclamé est impossible. Les investissements dans le fret doivent être, dit-on dans le rapport Duron dont nous attendions beaucoup, à nouveau expertisés... C'est dire qu'ils ne sont pas prioritaires.

Allez-vous renoncer à la filialisation de Fret SNCF ? Quels engagements financiers allez-vous prendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - L'activité wagon isolé se maintient en France - 180 000 à 250 000 par an - et répond aux besoins des chargeurs. Elle fut l'objet d'une étude publiée en septembre 2016 qui l'a confortée.

Cette offre est d'abord assurée par une organisation structurante notamment gérée en réseau, et une offre locale sur mesure construite par les autres entreprises ferroviaires. Il s'agit maintenant d'optimiser la capacité des trains et d'améliorer la commercialisation de ces offres.

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'utilisation de seuil est passée de 75 % de parts de marché dans les années soixante à moins de 10 % aujourd'hui. Or 80 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues au transport routier, dans les Pyrénées, 6 millions de poids lourds transitent vers l'Espagne par le Perthuis et le col de Biriatou.

Il n'est pas responsable de continuer ainsi. Le réseau ferré existe, il n'est pas à construire !

Mme Cécile Cukierman.  - Très bien !

M. Marc Daunis.  - Eh oui !

M. Charles Revet.  - Absolument !

M. Bernard Delcros.  - Allez-vous insérer cette politique dans celle de l'investissement et de l'aménagement du territoire ? Plus spécifiquement, allez-vous maintenir la ligne de fret Clermont-Ferrand-Neussargues-Béziers électrifiée, inscrite dans le schéma européen du fret, essentielle pour le site Arcelor Mittal de Saint-Chély-d'Apcher ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - De 50 à 70 millions d'euros d'investissements seront nécessaires pour la partie nord de la ligne, située en Auvergne Rhône Alpes et pour la desserte du site Arcelor à Saint-Chély-d'Apcher, si important pour l'emploi en Lozère. Pour éviter une rupture de circulation dès 2019, 3,5 millions d'euros de travaux d'urgence sont nécessaires ; SNCF Réseau est en discussion avec les deux régions concernées (Occitanie et Auvergne Rhône-Alpes) pour ce financement.

L'appel à manifestation d'intérêt sur les autoroutes ferroviaires sera lancé dans les prochains jours.

M. Joël Bigot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le rapport Duron acte le désastreux bilan du report modal qui a abouti à une victoire écrasante du routier sur le rail. Le primat est donné à l'amélioration de la desserte des principaux ports français et à l'établissement de grands corridors européens. Les recommandations du rapport Spinetta ont inquiété les opérateurs de fret, qui réclament une politique d'ensemble du fret ferroviaire. La logistique est affaire d'État.

Cependant, le fret ferroviaire connaît un frémissement, le routier manque de main-d'oeuvre. Il faut créer un système favorable au fret. Pourriez-vous nous préciser comment favoriser, au-delà des incitations existantes, le report modal vers le fret ferroviaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Pour pérenniser le financement des infrastructures, le Gouvernement ne refera pas l'écotaxe, mais mettra en place, dans le cadre du droit européen, une juste contribution du transport routier à travers une taxe d'utilisation.

L'objectif de FRET21, piloté par l'Ademe, est de réunir 1 000 entreprises signataires d'ici 2020, ce qui économisera 400 000 tonnes.

Après les Assises de la mobilité, nous pourrons évoquer d'autres leviers comme des péages urbains et le verdissement de flottes de véhicules utilitaires légers.

M. Alain Fouché .  - On a financé le tout TGV au détriment du fret. À l'heure où le Gouvernement envisage de redessiner la carte ferroviaire, la question de l'aménagement du territoire est plus que jamais sur toutes les lèvres. Le comité interministériel de décembre 2003 réuni par Jean-Pierre Raffarin avait validé le financement de cinq grands axes ferroviaires pour le fret. En 2016, le Gouvernement s'était engagé à ce que l'aménagement soit l'un des deux axes stratégiques de la relance de ce secteur. Je veux croire en cette priorité !

Le rapport de janvier 2002 propose le renforcement d'investissements de mise en gabarit de l'autoroute ferroviaire atlantique et de la rocade ferroviaire du nord du bassin parisien, ainsi que la « domestication », c'est-à-dire la double exploitation de certaines lignes, à la fois pour les voyageurs et pour le fret. Madame la Ministre, en période de restriction budgétaire, où faut-il placer en priorité les investissements bénéfiques aux deux composantes ? (M. Yves Bouloux applaudit.)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Cette « domestication » risque de porter atteinte à la qualité de service pour les voyageurs. Une approche au cas par cas s'impose. Dans certains cas, la « domestication » est une bonne solution. Dans d'autres, il est préférable d'investir dans la désaturation. Ainsi de l'axe Nîmes-Montpellier-Perpignan : sur le second tronçon, l'approche n'est pas la même que pour le premier.

M. Éric Gold .  - Le transport routier atteint une part modale, sans cesse croissante, de 88 % en 2016. Celle du fret ferroviaire ne cesse de se réduire. Pour le COI, la quatrième priorité est de « se doter d'infrastructures et de services de fret performants au service de l'économie française et de transporter les marchandises sur le mode le plus pertinent ».

Pour cela, il convient de réaffecter une partie plus importante de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (la TICPE) à la politique des mobilités ; de réformer les niches fiscales dont bénéficient les poids lourds et d'instaurer une redevance temporaire. Les recettes de cette dernière, que le Gouvernement envisage, et estime à quelques centaines de millions d'euros, seront-elles affectées au fret ferroviaire ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Pour le fret ferroviaire, l'enjeu majeur est l'optimisation des infrastructures, à laquelle seront consacrés 36 milliards d'euros sur dix ans. Sur les voies navigables, l'État mobilise environ 120 millions d'euros par an. L'État participe depuis 2014 à hauteur de 10 millions par an à la régénération des lignes capillaires fret. Enfin, la programmation des mobilités définira une trajectoire spécifique pour le fret.

Mme Agnès Canayer .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le faible développement du fret est incompréhensible, sur le deuxième réseau ferroviaire d'Europe après celui de l'Allemagne. Or c'est un outil indispensable pour le développement de nos ports. Or 86 % des conteneurs qui partent du Havre, dont le trafic a augmenté de 15 % en 2017, passent par la route, 9 % par la Seine, 5 % par le train. La modernisation de la ligne Serqueux-Gisors ne suffira pas. L'électrification de la ligne entre Amiens et Châlons-en-Champagne, qui permettrait de pénétrer l'est de l'Europe, n'est encore qu'au stade de projet.

C'est aussi un enjeu de performance écologique. Comment améliorer la massification du fret, pour redonner de la compétitivité à nos grands ports maritimes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Pour élargir le bassin d'activités des trois ports de l'axe Seine au-delà de leur hinterland naturel, l'Île-de-France, le Gouvernement soutient plusieurs projets. Tout d'abord une étude préalable à une enquête d'intérêt public est en cours pour la mise au gabarit de la Seine entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine. Ce projet coûtera 240 millions d'euros.

La desserte du Havre et du canal Seine Nord Europe est un enjeu crucial : ce dernier sera prochainement ouvert sur le plus grand réseau fluvial d'Europe.

La modernisation de la ligne Serqueux-Gisors sera effective en 2020. Elle permettra une montée en charge progressive du trafic fret à partir et à destination du port du Havre : nous mettons l'accent sur cette région de France.

M. Frédéric Marchand .  - Le fret emprunte beaucoup de lignes à faible trafic. Leur gestion doit répondre aux enjeux d'exploitation. Or ni SNCF Réseau ni le rapport Spinetta ne les prennent assez en compte. D'où la recommandation de filialisation. Les onze opérateurs ferroviaires de fret (OFP), de petite taille, représentent 10 % des tonnages en 2016 ; ils sont une solution d'avenir.

Quelles sont vos intentions sur ces lignes capillaires de fret ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Les lignes capillaires de fret représentent 10 % du réseau ferré, soit 3 000 kilomètres de lignes, et sont empruntées par près de 20 % des trains de fret ; elles sont essentielles pour le transport du dernier kilomètre ; mais elles sont très détériorées. Via l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), l'État a financé 100 millions d'euros d'investissement. Il soutient aussi les modes de gestion innovants : désormais les collectivités territoriales peuvent bénéficier d'un transfert de propriété de ces catégories de lignes. Ces questions seront bien sûr traitées dans le cadre du projet de loi de programmation des mobilités qui vous sera présenté prochainement.

M. Guillaume Gontard .  - La réponse de Mme Borne sur la ligne Lyon-Turin la semaine dernière était sujette à interprétation, alors que le rapport Duron a adopté une position de bon sens à ce sujet, reprenant les conclusions du Conseil général des ponts et chaussées et de l'Inspection générale des finances, constantes depuis 1998. En dépit de la modernisation du réseau, le trafic a baissé de 120 trains de fret par jour à 20 seulement. Pourtant, le réseau a été modernisé pour un milliard d'euros. Je vous propose de renforcer l'intermodalité, de reporter les marchandises de la route vers le rail.

M. Jean-Pierre Vial.  - Très bien !

M. Guillaume Gontard.  - Cela renforcerait la sécurité sur les routes, contribuerait à la baisse des gaz à effet de serre. Cela créerait au moins 400 emplois pour la manutention et le chargement des trains d'intermodalité.

Pourquoi attendre un pharamineux tunnel alors que c'est possible dès maintenant et que 20 milliards d'euros ont été investis dans les travaux ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe CRCE, ainsi que sur plusieurs autres bancs)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - La France et l'Italie lors du sommet du 27 septembre 2017 ont reconnu l'importance stratégique de la section transfrontalière de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Les travaux de reconnaissance de la section internationale de la ligne nouvelle sont réalisés à plus de 75 %. La modernisation de la ligne existante ne suffit pas. Quelque 23 kilomètres de tunnel ont déjà été percés. Ce projet de 10 milliards d'euros, tout à fait spécifique, exceptionnel, est financé à 35 % par l'Italie et à 40 % par l'Union européenne...

M. Jean-Pierre Vial.  - Très bien !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - La part de la France sera de 2,5 milliards d'euros. Les coûts seront couverts par la majoration de l'Eurovignette des autoroutes alpines et la mobilisation des dividendes de la société Autoroute et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) et de la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF). La part résiduelle des annuités, de l'ordre de 50 millions d'euros, a vocation à être couverte par une dotation pérenne de l'Afitf.

M. Jean-Paul Prince .  - Depuis de nombreuses années, le fret ferroviaire ne cesse de baisser au profit de la route, qui émet pourtant plus de gaz à effet de serre. Le transport routier est moins cher grâce aux avantages dont il bénéficie. Les poids lourds traversent gratuitement la France sans contribuer au financement des infrastructures. À l'inverse, l'Allemagne a instauré un péage pour le transport routier.

En France, les objectifs ambitieux du Grenelle n'ont pas été tenus. L'écotaxe qui devait rendre le fret ferroviaire plus attractif a été abandonnée...

Mme Borne a évoqué l'idée d'une nouvelle taxe pour les poids lourds en transit. Qu'en est-il ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Le développement du fret ferroviaire impose de rendre ce mode moins cher par rapport à la route, qui concentre encore 90 % des transports intérieurs terrestres et des transports de marchandises. La directive Eurovignette propose des outils de financement intermodal, comme la possibilité de majorer les péages autoroutiers pour financer des infrastructures.

C'est la bonne solution, mais le cadre est actuellement trop restrictif. Le Gouvernement soutient un assouplissement dans le cadre de la révision de cette directive que nous avons lancée au printemps dernier. Le levier pourrait en effet être très utile pour accélérer la transition modale.

Mme Nelly Tocqueville .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La Cour des comptes en septembre dernier qualifiait de préoccupante la situation de l'opérateur de fret ferroviaire en France et suggérait en conséquence des « voies d'amélioration ».

La chute du trafic rend impérieuse la nécessité de soutenir le fret ferroviaire. De plus, un train de fret équivaut à 50 camions. L'enjeu est économique autant qu'environnemental.

Environ 90 % des marchandises passent encore par la route. Seuls 5 % des conteneurs partant du Havre sont acheminés par le rail. La modernisation de la ligne Serqueux-Gisors est indispensable pour l'ensemble Haropa, GIE qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris.

Quels moyens financiers pour développer le fret ferroviaire afin de faire face à l'urgence climatique et défendre notre économie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - La modernisation de cette ligne vise à créer un axe de substitution à la Vallée de la Seine via Rouen et Mantes-la-Jolie, engorgée. Ce projet stratégique, qui bénéficie d'un financement européen important, de 71 millions d'euros, est indispensable pour renforcer la compétitivité des ports normands.

Après la déclaration d'utilité publique prononcée en novembre 2016, les premiers travaux pour électrifier la ligne au sud de Serqueux ont été engagés, afin d'aboutir à sa mise en service mi-2020.

M. Michel Raison .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Clin d'oeil du calendrier, nous discutons aujourd'hui du fret ferroviaire. Constats du président Maurey, de Gérard Cornu, de Michel Dagbert, COI, rapport Spinetta : il y a consensus sur le diagnostic. Le fret déraille ! (Sourires) Pire, c'est un naufrage !

Pourtant, le discours de l'État a toujours été clair et les différents gouvernements ont lancé de nombreux plans de relance, en vain. Outre l'abandon de l'écotaxe, le pire a été le renoncement au cadre social harmonisé entre Fret SNCF et ses concurrents routiers et européens.

La ministre a annoncé une « rupture ». Que compte faire le Gouvernement pour soutenir le fret ferroviaire et combiner le rail et la route ? Quid du corridor ferroviaire entre Nantes et Budapest qui passerait par la Haute-Saône ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Un axe fret Est-Ouest existe déjà passant au nord de Vesoul, depuis Nantes vers l'Allemagne, via l'Île-de-France et Metz-Nancy, Strasbourg et au-delà, vers l'Allemagne. Les corridors européens sont longs à mettre en place. Ils nécessitent une négociation de longue haleine avec la Commission européenne, cette redéfinition précise n'interviendra qu'en 2023. Une éventuelle extension vers Budapest s'inscrirait dans ce cadre mais correspondrait à une modification profonde. Or il ne convient pas de multiplier les corridors. Le développement du fret ferroviaire nécessite en effet de concentrer les actions de l'État sur les axes essentiels, prioritaires, transfrontaliers. La ligne entre Auray et Vesoul n'est plus exploitée. Pour autant le réseau semble déjà dense ! Les collectivités territoriales peuvent toutefois se saisir de cette question.

Les gouvernements précédents y compris ceux que vous souteniez n'ont pas fait avancer ce dossier. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bernard Delcros, en remplacement de Mme Michèle Vullien .  - La semaine dernière lors de l'examen de la proposition de loi Maurey, un collègue a rappelé à juste titre que les poids lourds ne payaient pas le coût réel en ne contribuant pas à l'entretien du réseau. Cela pose à nouveau la question, épineuse, de l'écotaxe. N'est-elle pas, demande Mme Vullien, la solution la plus pertinente ? Les régions sont favorables à une taxe sur l'usage des voiries. Cela permettrait de fournir de nouvelles ressources vers le trafic voyageurs. L'État ne doit-il pas rouvrir le dossier pour flécher la ressource vers le fret ferroviaire ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Vous le savez, notre réseau se dégrade. Nous devons accroître la sécurité des déplacements. D'où la priorité absolue que nous accordons à l'entretien et la régénération de nos réseaux. (Murmures et conversations sur certains bancs à droite)

Je vois que cette question passionne à droite. Je serais ravie d'entendre vos solutions. (On fait silence sur les mêmes bancs.) Je rappelle que nous sommes dans une impasse financière de 10 milliards d'euros. Le Gouvernement ne veut pas rétablir une écotaxe nationale mais réfléchit à de nouvelles pistes. Il présentera ses propositions dans le projet de loi sur les mobilités que nous avons évoqué.

M. Olivier Jacquin .  - Depuis des décennies, on affirme, dans un grand consensus politique, que le fret ferroviaire est génial, mais il ne cesse de décliner !

Le cadencement des grandes lignes et des moyennes lignes doit être une priorité. La ligne Luxembourg-Perpignan est un succès relatif, pour reprendre le terme de la Cour des comptes, grâce aux investissements luxembourgeois, mais réclame de nouveaux investissements car le sillon rhodanien est saturé. Que compte faire le Gouvernement ? L'annonce d'un nouvel axe vers l'Espagne est une bonne chose.

De même, comment le Gouvernement entend-il valoriser le fret ferroviaire face aux transports routiers, en prenant en compte le coût complet de ceux-ci ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Les autoroutes ferroviaires sont en concurrence directe avec les grands axes routiers internationaux. Elles transportent l'équivalent de 800 000 poids lourds et économisent 75 000 tonnes de CO2 par an. Une ligne supplémentaire entre Calais et l'Italie est annoncée par l'opérateur à brève échéance. Le Gouvernement collabore avec l'opérateur, ainsi qu'avec les gouvernements espagnol et italien, pour créer de nouveaux services et maintenir ceux existants.

Le Gouvernement travaille aussi à capitaliser sur les investissements passés de changement de gabarit, à favoriser les trains longs, et les itinéraires de secours dans les Alpes, ou sur l'axe Paris-Hendaye. Les autoroutes ferroviaires restent une priorité du Gouvernement.

M. Olivier Jacquin.  - Merci mais vous n'avez pas répondu sur la question du coût complet du rail et de la route ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Faute de temps !

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures met en avant le projet Centre Europe Atlantique, qui permet de relier l'Atlantique et l'axe Saône-Rhône en contournant Paris et la grande ceinture. Pour cela, il faut moderniser la ligne entre Nevers et Chagny. Le port de Nantes-Saint-Nazaire est un enjeu essentiel avec 30 millions de tonnes de trafic en 2017, soit une augmentation de 17,2 % par rapport à 2016. Seulement un million de tonnes de ce trafic passe par le rail, soit 3 %, mais un quart du trafic fret de la région Pays de la Loire. Et 87 % des marchandises sont transportées par la route.

La France ne possède pas une offre de fret ferroviaire compétitive, faute d'avoir cru en celui-ci. À quelle échéance peut-on espérer voir cet axe aboutir ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Le COI a en effet confirmé le caractère prioritaire de la régénération du fret ferroviaire. Les collectivités territoriales devront en prendre à leur charge le coût, entre 270 millions et 370 millions d'euros. L'électrification de la ligne Nevers-Chagny ne pourra s'envisager que dans un second temps.

À Nantes-Saint-Nazaire, l'accent est mis sur l'augmentation des capacités d'accueil sur le faisceau électrifié à Montoir.

Le Gouvernement a aussi demandé à l'Union européenne le rattachement de l'axe Saint-Nazaire-Tours au corridor atlantique. La Commission européenne l'a accepté.

M. Michel Dagbert .  - N'appartenant pas à la nouvelle majorité, au monde nouveau, je parlerai du monde ancien, celui des territoires et des élus locaux, qui ne sont ni des dinosaures ni des mammouths, même si parmi eux se glissent quelques éléphants.

Il y a vingt ans, les élus du Nord et du Pas-de-Calais ont mis en place des installations spécifiques pour le développement du transport de marchandises conteneurisées. Opérationnelle depuis 2003, d'un coût total de 305 millions d'euros, la plateforme trimodale de Dourges, portée par la société publique locale d'aménagement Delta 3, combine un terminal de transport combiné rail-route-eau, des bâtiments logistiques de dernière génération et un centre de services.

Situé au coeur d'un marché potentiel de 100 millions de consommateurs, c'est un site d'excellence, un bel exemple de projet porté par des élus locaux et les acteurs économiques.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Michel Dagbert.  - Le fret a un réel potentiel de développement. Quelles initiatives pour optimiser le réseau et conforter des outils tels que Dourges ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Les métaphores animalières me surprennent, je ne me serais pas permis de les utiliser !

La plateforme multimodale de Dourges a bénéficié dès 2000 du concours financier de l'État et des collectivités territoriales. Elle figure parmi les huit sites répertoriés par les services de l'État pour favoriser le ferroutage vers l'Espagne. Les acteurs seront invités à participer à l'appel à manifestation d'intérêt qui sera bientôt lancé par la France et l'Espagne pour cette autoroute ferroviaire que nous appelons de nos voeux. Les éléphants feront des petits qui amélioreront le fret ferroviaire en France !

M. Jean-Pierre Vial .  - L'abandon du fret ferroviaire est un scandale. Le système est à bout de souffle, le trafic de marchandises en crise, disait Mme Borne : il a chuté de 40 % depuis les années 2000.

Les accords franco-italiens ont sanctuarisé le Lyon-Turin, au coeur de la stratégie européenne définie à Essen en 1993. Les Italiens ont rencontré les mêmes difficultés de coût des ouvrages - 10 milliards d'euros au total - et finalement privilégié les seuls ouvrages strictement nécessaires à l'exploitation du tunnel de base, pour 2 milliards d'euros, le reste étant reporté après 2050. Engageons la même réflexion !

La plateforme de l'autoroute ferroviaire alpine d'Aiton est saturée ; l'implantation d'une plateforme de grande capacité à l'est de Lyon s'impose. Une décision a été prise en 2009, or les opérateurs attendent toujours... Il en va de la crédibilité du Lyon-Turin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Le COI considère qu'il faut donner la priorité à la modernisation de la ligne existante Dijon-Modane, pour 700 millions d'euros.

Le tunnel ferroviaire historique du Mont-Cenis, qui date du XIXe siècle, supporte un trafic de 3 millions de tonnes par an via la ligne Dijon-Modane. Modernisé, il pourrait acheminer 10 millions de tonnes par an en 2030, puis 15 millions de tonnes après l'ouverture du nouveau tunnel.

Les accords franco-italiens ne comportent pas d'engagements sur le calendrier de réalisation des accès nationaux au nouveau tunnel de base. Lors du sommet franco-italien du 27 septembre 2017, les deux pays ont acté l'importance stratégique du Lyon-Turin, dont les travaux sont réalisés à plus de 75 %. À l'horizon 2030, il rentabilisera le trafic fret grâce à une infrastructure fiable et performante.

M. Jean-Pierre Vial.  - Vous nous parlez de Dijon. La rénovation de cette ligne est prévue depuis 2000 ! Quel rapport avec le Lyon-Turin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Daniel Gremillet .  - Le fret ferroviaire en France représente à peine 10 % du tonnage de marchandises contre 23 % en Allemagne et plus de 40 % en Suède ou en Autriche. Notre réseau capillaire, en toile d'araignée, doit être remis en état. Quelque 600 millions d'euros d'investissements sont nécessaires dans le Grand Est. Dans les Vosges, l'ensemble des lignes sont de catégorie UIC 7 à 9.

À quoi sert de demander à une entreprise d'investir dans un terminal fret si sur le réseau les trains circulent au rythme des calèches ? Le fret, c'est le flux tendu, en temps et en heure. Que comptez-vous faire pour que nos territoires aient les mêmes chances que chez nos voisins ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Le fret ferroviaire est une priorité du Gouvernement mais, vous le savez, nous héritons d'une situation. (Murmures) Nous nous attachons à trouver des solutions. Je ne doute pas que vous participerez aux débats sur le nouveau pacte ferroviaire et sur la loi d'orientation des mobilités. Nous avons besoin de toutes les énergies.

Le sillon lorrain, importante autoroute ferroviaire entre Luxembourg et Perpignan, fonctionne bien et est très utile pour le transport combiné. Nous avons augmenté la fréquence de quatre à six trains par jour et l'avons prolongé jusqu'à Calais. Nous voulons multiplier ce type d'initiative, comme nous l'avons redit le 20 mars lors du sommet franco-luxembourgeois.

M. Daniel Gremillet.  - Je ne suis pas rassuré de vous entendre parler d'autoroute ferroviaire. Pour qu'il y ait du trafic sur ces autoroutes, il faut un réseau capillaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Prochaine séance demain, mercredi 4 avril 2018, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 45.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mercredi 4 avril 2018

Séance publique

De 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : Mme Marie-Noëlle Lienemann, vice-présidente

Secrétaires : MM. Victorin Lurel et Michel Raison

Ordre du jour réservé au groupe SOCR

1. Proposition de loi visant à proroger l'expérimentation de la tarification sociale de l'eau prévue à l'article 28 de la loi n°2013-312 du 15 avril 2013 (n°290, 2017-2018).

Rapport de Mme Françoise Cartron, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (n°377, 2017-2018).

Texte de la commission (n°378, 2017-2018).

2Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (n°231, 2017-2018).

Rapport de M. Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois (n°379, 2017-2018).

Texte de la commission (n°380, 2017-2018).