Protection des savoir-faire et des informations commerciales (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites.

Discussion générale

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Vous débattez aujourd'hui de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales. Ce texte important, qui transpose un dispositif équilibré de protection du secret des affaires, est le fruit d'un travail ancien et approfondi : la directive européenne a été adoptée en 2016 après avoir fait l'objet d'une large consultation publique et d'une solide étude d'impact ainsi que d'un examen au Parlement européen qui a fait évoluer le texte.

En France, les nombreux rapports et initiatives qui ont porté sur la préservation du secret des affaires ces quinze dernières années ont mis en évidence l'importance du sujet pour l'attractivité économique de notre pays et la préservation de nos intérêts. Le Conseil d'État, dans son avis du 31 mars 2011, avait mis en garde contre la création d'une infraction réprimant pénalement l'atteinte au secret des affaires ; dans son avis du 15 mars 2018, il a incité le législateur à utiliser les marges de manoeuvre qu'offre la directive pour renforcer la protection du secret, devant les juridictions judiciaires ou administratives.

Contrairement à ce qui a pu être dit à l'Assemblée nationale, ni l'opacité ni le secret ne préside à l'adoption de la directive et de cette proposition de loi ; au contraire, c'est la transparence ainsi que l'analyse économique et juridique. Cette réforme est attendue depuis de longues années par les entreprises. La protection du secret des affaires est essentielle pour encourager l'innovation et, donc, les emplois de demain. Il s'agit de lutter contre l'espionnage industriel, de renforcer la compétitivité de nos entreprises au sein du marché intérieur et l'attractivité de notre système juridique auprès des investisseurs étrangers.

Notre législation ne compte actuellement aucune définition du secret des affaires alors même que la notion est utilisée aux côtés d'autres telles que celle de « secret industriel et commercial ». Leur protection repose sur le droit commun de la responsabilité civile, d'origine principalement jurisprudentielle. Cette proposition de loi apportera la sécurité juridique réclamée par les acteurs économiques : elle définit le secret des affaires, harmonise les dispositions de différents codes ainsi que les pratiques au sein des juridictions pour répondre au risque d'obtention illégitime d'un secret des affaires au cours d'une instance. Il y a d'ailleurs convergence de vues entre vos deux assemblées pour élargir les mesures de protection à l'ensemble des instances civiles, commerciales ou administratives. Le Conseil d'État l'a souligné dans son avis du 15 mars dernier, « cette solution va dans le sens de la simplification du droit et d'une protection plus effective du secret des affaires ». Le texte de l'Assemblée nationale maintient un équilibre satisfaisant entre protection du secret des affaires et respect des principes fondamentaux de la procédure civile, à commencer par celui du contradictoire.

Le droit au secret des affaires ne saurait cependant être absolu dans une société démocratique. Certains secrets peuvent être divulgués dans un but d'intérêt général par des journalistes et des lanceurs d'alerte, ils peuvent être révélés pour l'exercice des droits des salariés au sein de l'entreprise. Les juridictions, gardiennes des libertés individuelles, feront la balance des intérêts en présence en veillant à ce qu'aucun lanceur d'alerte au sens de l'article 6 de la loi Sapin 2 ne soit condamné.

Nos débats seront essentiels pour apaiser les craintes légitimes que suscite l'encadrement normatif de la protection du secret des affaires. Celle-ci, je le redis, n'est pas nouvelle en France ; elle sera, avec ce texte, mieux définie, sans qu'aucune restriction ne soit apportée aux droits fondamentaux. Je remercie votre rapporteur, Christophe-André Frassa, pour le travail qu'il a mené dans la continuité de celui de Raphaël Gauvain à l'Assemblée nationale.

Si nous partageons un même objectif d'équilibre, d'intelligibilité et de lisibilité de droit, nos avis divergent sur quelques points. Vous avez supprimé l'amende civile pour recours abusif, introduite par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Pour autant, le risque de procédure-bâillon ne peut totalement être ignoré. Les sanctions prévues par le droit commun sont-elles suffisamment dissuasives ? Les sanctions prévues sont-elles disproportionnées au sens du principe constitutionnel de proportionnalité des peines ? Le Gouvernement soutiendra l'amendement déposé par le groupe LaREM pour rétablir cette mesure. (Marques d'amusement sur les bancs du groupe Les Républicains, CRCE et SOCR)

M. Michel Savin.  - Quelle surprise !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Votre surprise n'a d'égal que mon assurance...

Je proposerai de supprimer le délit de « détournement d'une information économique protégée » que vous avez créé afin de sanctionner toute atteinte à un secret des affaires dans le but d'en retirer un avantage économique. Au-delà des difficultés juridiques soulevées par le Conseil d'État, l'opportunité de surtransposer la directive semble faible : notre droit permet déjà de qualifier pénalement des faits d'atteinte à un secret des affaires de vol, d'abus de confiance, d'extraction de données dans un système informatisé de données.

Je ne doute pas de la qualité des échanges que nous aurons afin d'introduire dans notre droit un dispositif complet, efficace et équilibré. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et UC)