L'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières (Suite)

M. Sébastien Meurant .  - Je m'étonne qu'un débat aussi important soit traité en catimini, entre deux ponts !

Rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration », j'ai souhaité me procurer un document, signalé par la commission des affaires européennes, arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés lors de l'évaluation de 2016 de l'application par la France de l'acquis de Schengen dans le domaine de la gestion des frontières extérieures - bel exemple de jargon technocratique... La commission des affaires européennes m'a signifié que j'avais le droit de le lire mais pas de le reproduire ou de l'emporter. C'est inouï ! Si l'on veut réconcilier les Français avec l'Europe, ne faudrait-il pas associer la représentation nationale aux débats fondamentaux ?

Informations qui ne circulent pas, effectifs insuffisants à Roissy, contrôles défaillants des membres d'équipage à Orly... Les graves défauts constatés par le Conseil européen dans le dispositif français à Calais sont-ils le fruit de l'imagination des technocrates bruxellois ? Ces manquements sont-ils réels et si oui, qu'avez-vous fait pour y remédier ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Vous aurez très prochainement l'occasion de débattre de la politique migratoire de notre pays !

L'évaluation par la Commission européenne de l'application de Schengen par la France est un document provisoire à ce stade. Je m'engage à revenir devant vous lorsque nous aurons reçu l'évaluation définitive.

M. Jean-Yves Leconte .  - L'absence de résilience des pays européens face à la crise migratoire interroge, quand on regarde les efforts que font la Jordanie, le Liban ou la Turquie. Elle conduit les Européens à envisager les relations avec leurs voisins du Sud à travers le prisme exclusif de la politique migratoire. Cette obsession court-termiste nous conduit à préférer avoir à nos portes des régimes autoritaires plutôt que démocratiques !

Quelle est la position de la France sur la proposition de la Commission européenne de conditionner l'attribution de visas à l'acceptation des laissez-passer consulaires ?

Accepteriez-vous un contrôle des parlements nationaux et du Parlement européen sur les moyens octroyés par l'Union européenne aux pays d'origine pour réguler les migrations ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - L'Union européenne a accueilli 1,5 million de demandeurs d'asile en 2015. Assez d'autoflagellation !

M. Jean-Yves Leconte.  - La Jordanie fait plus !

Mme Esther Benbassa.  - Et la Turquie !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Oui, mais de nombreux demandeurs d'asile ont préféré l'Allemagne ou la Suède à la France, étant donné son niveau de chômage. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE.) Les personnes qui fuient une zone de guerre préfèrent en outre souvent rester à proximité de leur pays, dans l'espoir d'un retour prochain.

Nous souhaitons que les laissez-passer consulaires soient mieux et plus souvent délivrés par les pays dont sont originaires les migrants économiques illégaux que nous voulons raccompagner. C'est l'objet d'un dialogue bilatéral, qui comprend la question de la délivrance des visas.

Le Parlement européen contrôle l'aide au développement versée par l'Union européenne. Si vous avez des questions spécifiques, j'y répondrai par écrit.

M. Jean-Yves Leconte.  - Il ne s'agit pas que d'aide publique au développement, mais aussi de financements dans le cadre de la politique de régulation des flux migratoires. Il faut travailler sur le long terme.

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Pour une fois, je serai d'accord avec M. Leconte... (Sourires) J'ai l'impression que tous ces débats ne servent à rien. J'ai voté non à Maastricht, puis je suis devenu un gentil garçon européen - mais c'est à se demander si l'on est sur la même planète ! Soit les débats sont ultra-techniques, soit ils n'abordent pas les vrais problèmes. On est loin du plan Marshall pour l'Afrique promis par le président de la République ! Quand l'Afrique connaîtra son explosion démographique, où voulez-vous qu'aillent ses jeunes ? Or le Parlement européen, la Commission n'avancent pas d'un iota, le budget européen est ridicule, il n'y a aucun investissement sérieux en Afrique pour tarir la source de l'immigration. Je suis pour le contrôle des frontières, la révision de Schengen et de Dublin, pour plus de fermeté, mais aussi pour un vrai plan Marshall pour l'Afrique. Que fait la France ?

M. Dominique de Legge.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Monsieur Karoutchi, je suis d'accord avec vous ! (On s'amuse) L'Union européenne et ses États membres sont le plus gros donateur à l'Afrique avec 19 milliards d'euros d'aide au développement par an. S'y ajoutent 3 milliards d'euros pour la politique migratoire via le Fonds fiduciaire d'urgence que nous cherchons à abonder. La France a pris l'engagement de porter son aide publique au développement à 0,55 % du PIB et à la concentrer sur l'Afrique, en particulier les pays du Sahel... Et je ne parle pas de notre action militaire, nationale et européenne, qui contribue à réduire les migrations en stabilisant les pays du Sahel et en luttant contre le djihadisme.

M. Roger Karoutchi.  - J'entends, mais le droit d'asile à tout va n'a plus de sens. Quelque 102 000 demandeurs d'asile : ce ne sont pas uniquement des gens qui fuient les persécutions ! Il faut plus de fermeté, mais j'ai conscience que si la donne ne change pas chez nos voisins, nous serons perpétuellement sous pression.

M. Cyril Pellevat .  - Plusieurs pays ont rétabli les contrôles aux frontières, dans le respect de Schengen - dont la France, à la suite des attentats de novembre 2015. L'Union européenne fait face à une crise migratoire sévère qui nourrit les populismes. Les États membres ont accordé un statut protecteur à 538 000 personnes, le système des hotspots a échoué. L'Union européenne a rencontré ses limites. Quels sont les impacts de cette crise ? Les migrants économiques se mêlent aux réfugiés... Hormis les contrôles aux frontières, la seule solution réside dans une meilleure coopération avec les pays d'origine ou de transit. Comment l'Union européenne entend-elle renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - En 2017, 100 000 demandes d'asile ont été enregistrées en France, un chiffre en hausse alors qu'il baissait dans les autres États membres. La première nationalité des demandeurs d'asile est... l'Albanie, dont les ressortissants n'ont pas besoin de visa pour entrer sur le territoire de l'Union. Preuve que notre vision est parfois biaisée par le discours politique ou médiatique ! Nous sommes mobilisés, au niveau bilatéral, pour lutter contre les réseaux de criminalité organisée qui entretiennent ce trafic d'êtres humains.

Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures passe par un renforcement de Frontex et des moyens des États membres, par une harmonisation du régime européen de l'asile, un rapprochement des critères et des procédures.

L'échec des hotspots, c'est l'échec de la responsabilité dans le pays de première entrée. Nous devons améliorer la solidarité et travailler au développement et à la stabilisation des pays d'origine et de transit.

M. Roger Karoutchi .  - L'Europe a-t-elle encore un poids au niveau international ? A-t-elle pu se doter d'une politique étrangère et de défense influente ? Le président Trump vient de se retirer de l'accord sur le nucléaire iranien sous les applaudissements de l'Arabie saoudite, de l'Égypte ou encore du Maroc. Devant les députés, le ministre des affaires étrangères l'a regretté, tout en reconnaissant les faiblesses de l'accord...

J'étais avec le président Dallier en Israël la semaine dernière. L'Union européenne y est perçue comme ayant dévissé sur le plan international. N'est-elle pas un lion d'argile, qui peut encore rugir mais ne fait plus peur à personne ?

Mme Françoise Gatel.  - Très bien.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Notre pouvoir d'attraction reste entier : plusieurs pays sont candidats à l'Union européenne, et nous venons de passer une heure à évoquer les millions de personnes qui veulent y entrer.

Nous avons regretté le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien, mais observez que les défenseurs de l'accord restent infiniment plus nombreux que ceux qui approuvent la décision des États-Unis. Qu'il faille élargir l'accord à la balistique, au rôle de l'Iran au Moyen-Orient, nous en discutons ; le président américain a d'ailleurs laissé la porte ouverte à un futur accord. Ce sera le rôle de l'Europe de faire revenir chacun à la table des négociations. Il serait paradoxal que l'Iran soit puni d'avoir respecté l'accord quand la Corée du Nord est récompensée d'avoir développé son armement nucléaire au mépris de tous les traités internationaux !

Cela fait soixante ans que l'on parle d'Europe de la défense. Depuis six mois, nous agissons, avec une coopération structurée, l'ébauche d'un front européen de défense et un projet français d'initiative européenne d'intervention qui permettra de travailler avec le partenaire britannique sur les opérations extérieures.

M. Roger Karoutchi.  - Si vous-même saluez l'action de M. Trump en Corée du Nord, je ne sais plus que dire ! Je suis un gaulliste frénétique : la politique de la France ne se fait pas à la corbeille, contrairement à ce que semblent penser ceux qui regrettent les conséquences du retrait américain sur les entreprises françaises installées en Iran ! La France, ce ne sont pas les entreprises françaises ; la France, c'est la paix, les droits de l'homme, la liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Je salue la qualité de ce débat, en ce jour de l'Europe.

M. Karoutchi a raison ; le temps européen est trop long. C'est le temps des alliances, des accords, des décisions à 27. Le temps géopolitique est déconnecté du temps économique. Roger Karoutchi a regretté que l'Union européenne ne soit pas suffisamment considérée comme une puissance. C'était le sujet de notre mission d'information. L'Europe doit affirmer sa puissance, dans un moment délicat de départ des Britanniques, et prendre ses responsabilités sur les sujets régaliens que sont la défense, la sécurité intérieure et l'immigration. L'Union européenne doit apporter sa plus-value. Elle le fait, mais trop lentement.

Sur le terrorisme, les liens entre bases de données doivent être renforcés. Il n'est pas admissible que 85 % des données de Frontex proviennent de cinq pays seulement. Chaque État doit se doter d'un PNR national.

La défense européenne doit reposer sur une vision et une revue stratégiques partagées. Le couple franco-allemand reprend des couleurs, c'est positif. Notre commission préconise la mise en place d'un Conseil européen de sécurité et d'une structure permanente de planification, de commandement et de conduite des missions militaires.

J'ai entendu que Frontex pourrait agir à la demande d'un État membre en cas de défaillance. J'espère que la décision ne prendra pas trop de temps...

Nous avons manqué de solidarité et de générosité envers l'Italie. Le résultat électoral du Mouvement 5 étoiles en est en partie la conséquence.

Concernant la politique de retour, qui ne fonctionne pas, je prône l'autorité. Tout pays tiers qui n'accepterait pas de jouer le jeu ne devrait plus être bénéficiaire de l'aide au développement. L'Europe est généreuse, mais il faut respecter les règles. Quelque 55 milliards d'euros d'aide au développement sont distribués, via les Nations unies, sans que la traçabilité des fonds soit très claire. Il est temps que la France fasse entendre sa voix.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean Bizet, président de la commission.  - Quotas, plafonds, ces mots ne devraient plus être tabous.

Si on peut se réjouir de l'adoption du cadre financier pluriannuel, je regrette que ce soit au détriment de la PAC et des fonds de cohésion. La PAC reste stratégique : elle est peut-être ancienne, mais n'a jamais été aussi moderne ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)

La séance est suspendue quelques instants.