Pastoralisme

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution sur le pastoralisme présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; MM. Didier Guillaume, Michel Amiel et Mme Maryse Carrère applaudissent également.) Le pastoralisme est en danger. Il croule sous une avalanche de contraintes et la concurrence déloyale d'autres pays.

Comme si leur métier n'était pas assez exigeant, les éleveurs souffrent des actes de prédation et se sentent abandonnés.

Le Sénat entend leur détresse et veut leur envoyer un signal fort en ce début de session. Cette proposition de résolution, cosignée par plus de cent sénateurs de tous bords, s'inscrit dans la continuité des travaux du groupe d'étude sur la montagne, présidé par Cyril Pellevat, du groupe d'étude sur la chasse, présidé par Jean-Noël Cardoux et du groupe de travail sur le pastoralisme que je préside. Ces travaux ont vocation à se poursuivre : cette proposition de résolution constitue un coup d'envoi, et non un coup de sifflet final. Elle vise à revenir à l'essentiel : le pastoralisme est la vitrine de l'agriculture de demain.

Dans la nuit du 24 au 25 septembre, une vingtaine de brebis ont été tuées dans le massif du Dévoluy. Jean-Claude Michel, président de groupement pastoral, est à bout. Rendez-vous compte : 36 jours seulement sans attaque dans mon département des Hautes-Alpes, depuis le début de l'année !

Le pastoralisme est d'abord une question géographique : il concerne les territoires de montagne tout autant que le Cotentin normand, le delta camarguais, les marais poitevins et les prairies inondables de la Loire ; il s'invite même en zone périurbaine. Son rôle dans l'aménagement du territoire n'est plus à démontrer, sa contribution à l'activité touristique non plus - on sait son apport à la conservation des pistes de ski.

Le pastoralisme est une question économique. Il représente 14 000 fermes en France et près de 5 % du cheptel français. Dans les massifs montagneux, les surfaces utilisant des pâturages collectifs sont parfois supérieures à 50 %.

C'est aussi une question agricole - le pastoralisme promeut une agriculture de qualité, artisanale et environnementale, car le pastoralisme est une forme d'élevage respectueuse des territoires et soucieuse du bien-être animal.

Le pastoralisme est, enfin, partie intégrante du patrimoine français depuis des siècles. Les pratiques ancestrales sont modernes, en témoigne leur attrait auprès des jeunes agriculteurs.

Cette proposition de résolution ne se borne pas aux enjeux de prédation. Bien au contraire, nous appelons les pouvoirs publics à reconnaître à leur juste valeur toutes les externalités positives du pastoralisme. Nous invitons le Gouvernement à sanctuariser les moyens accordés à l'agriculture pastorale, notamment dans les négociations en cours sur la PAC car les éleveurs pastoraux ne sauraient être les grands oubliés du second pilier. Enfin, il est urgent de rénover la politique de gestion des grands prédateurs. La réintroduction d'ours ne devrait pas être décidée depuis un bureau parisien mais être précédée d'une étude d'impact et d'une concertation locale approfondie. S'agissant des loups, il convient de fiabiliser les données scientifiques, notamment sur l'hybridation, de réapprendre aux loups à se tenir à l'écart des troupeaux et des hommes par des méthodes complémentaires aux tirs de prélèvement ; le choix du Gouvernement de conditionner les indemnisations à la mise en place de mesures de protection doit être questionné tout comme doivent être mieux reconnus les troupeaux non protégeables.

Cette résolution témoigne du soutien que les agriculteurs pastoraux trouveront toujours chez les parlementaires représentant les territoires. (Applaudissements)

M. Alain Marc .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Le canis lupus est protégé par la convention de Berne de 1979, ratifiée par la France en 1990, ainsi que par la directive Habitat de 1992. D'où la réintroduction de l'espèce sur le continent européen, provoquant la hausse du nombre de bêtes tuées, de 2 500 en 2007 à 12 000 en 2017, et la baisse des exploitations ovines, de 95 000 en 2010 à 70 000 en 2016.

Le nombre de meutes de loups reste difficile à estimer mais semble avoir augmenté compte tenu de l'accroissement des attaques. Le comportement de l'animal envers les humains serait modifié par son hybridation avec des chiens, fait insuffisamment étudié.

Le pastoralisme participe de la richesse de nos territoires. On lui doit le classement au patrimoine mondial de l'Unesco du Larzac où, chaque printemps, des touristes d'Europe du Nord viennent photographier nos plantes rares et nos orchidées.

Les éleveurs demandent la révision de la convention de Berne. Et, à raison : le loup n'est plus une espèce menacée et la convention ne distingue pas les loups des hybrides qui, pour la plupart, sont à l'origine des attaques de troupeaux. Si rien n'est fait, nos paysages s'ensauvageront.

En France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Autriche, en Pologne, en Roumanie, la situation n'est pas satisfaisante. À Bruxelles, on considère que la cohabitation fonctionne correctement. D'après le commissaire européen à l'écologie, le portail électrique serait efficace, il resterait à convaincre les éleveurs... Un portail pour des centaines d'hectares ? Notre réponse l'a ébranlé...

M. Didier Guillaume.  - Il n'a jamais vu un territoire rural !

M. Alain Marc.  - En effet... La cohabitation heureuse avec le loup n'existe pas, c'est un mythe La réglementation européenne doit évoluer pour que le pastoralisme ne disparaisse pas au profit de l'élevage industriel hors sol qui, lui, n'a rien à craindre du loup.

Il y a également lieu de s'interroger sur la brigade loup. Comment douze personnes seulement, localisées dans le Sud-Est, peuvent-elles couvrir 25 départements ?

La plupart des membres du groupe Les Indépendants voteront cette résolution. (Applaudissements)

M. Cyril Pellevat .  - L'actualité nous rappelle la vulnérabilité du monde pastoral. Il y a quelques jours, la brigade loup a été dépêchée dans les Pyrénées-Atlantiques, en vallée d'Ossau, pour protéger les éleveurs.

La commission du développement durable m'a confié - et j'en remercie Hervé Maurey - la rédaction de propositions pour défendre le pastoralisme et je me réjouis qu'elles aient été reprises dans cette proposition de résolution. Je salue l'initiative de Patricia Morhet-Richaud qui m'a associé, ainsi que les présidents Maurey et Primas, à la rédaction de ce texte.

Le pastoralisme, qui contribue au maintien de la biodiversité, est exposé à des dangers mortels. Les éleveurs ne sont pas que les gardiens des montagnes et des plaines, ils sont les premiers écologistes ; ils participent à la protection des sols, de l'eau et des paysages.

L'attitude des pouvoirs publics à l'égard des prédateurs, au regard de leur relative passivité face à la disparition des oiseaux et des abeilles, semble totalement déséquilibrée. Et défavorable aux éleveurs : les attaques ont augmenté de 60 % depuis 2013 et les dépenses d'indemnisation sont passées de 4 à 26 millions d'euros entre 2006 et 2017. Cela signe la faillite de la cohabitation entre loups et éleveurs, telle qu'elle est pensée depuis vingt ans. Qui plus est, nous sommes en train de perdre la bataille de la communication, face à une pensée urbaine de la ruralité.

Je sais le ministre attentif à ces questions. Je vous invite, chers collègues, à voter cette résolution car les éleveurs ne peuvent pas attendre davantage. (Applaudissements)

Mme Noëlle Rauscent .  - L'économie pastorale, élément incontournable de l'agriculture française, appartient à notre patrimoine. Il est de notre devoir de nous mobiliser pour sauvegarder cette tradition ancestrale. Les gains qu'elles génèrent bénéficient à toute la société : aménagement des paysages, protection de la biodiversité, forte composante artisanale favorisant des denrées alimentaires de qualité et les circuits courts.

Depuis quelques années, la population de loups augmente de manière exponentielle. Une refonte du modèle de gestion du loup est nécessaire pour offrir aux éleveurs des perspectives d'avenir crédibles. C'est ce à quoi s'est attelé le Gouvernement avec le plan national d'action 2018-2023.

Nous devons tenir deux objectifs : le maintien de nos écosystèmes et la pérennisation de notre modèle pastoral. Tout en saluant le travail que M. Pellevat a mené en amont de cette proposition de résolution, je vois dans ce texte une opposition entre protection du loup et modèle pastoral. Le plan du Gouvernement, fruit d'une riche consultation... (On se récrie sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Bouchet.  - Ce qu'il ne faut pas entendre !

Mme Noëlle Rauscent.  - ... se fonde sur une meilleure connaissance de l'espèce et une nouvelle approche territoriale grâce à l'implication des préfets de départements et des élus locaux. Des mesures significatives sont mises en oeuvre pour protéger les troupeaux et indemniser les éleveurs - chiens de protection, gardiennage...

M. Alain Marc.  - Gardiennage de qui ? Des loups ou des brebis ?

Mme Noëlle Rauscent.  - Le plan prévoit encore une meilleure aide à l'emploi,... (On hue l'oratrice sur les bancs du groupe Les Républicains en imitant le hurlement du loup.)

M. le président.  - S'il vous plaît, un peu de calme !

Mme Noëlle Rauscent.  - ...un soutien aux filières de produits agricoles de qualité et de réelles mesures d'amélioration des conditions de vie des bergers.

Certains ont manifesté leurs craintes à l'égard de la tournure des négociations en cours à Bruxelles. Faisons confiance, chers collègues, au ministre de l'agriculture.

Une évaluation du plan Loup aura lieu à mi-parcours, qui conditionnera la mise en place de la deuxième phase du plan. (Même mouvement sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Arnaud de Belenet applaudit.)

M. Guillaume Gontard .  - Cette proposition de résolution représente une initiative bienvenue. Le pastoralisme respecte les animaux, préserve le territoire, il est indispensable à la montagne. Or il est en danger. Rudesse du métier, crise des vocations, raréfaction du foncier, concurrence déloyale par les accords de libre-échange, fragilité des subventions européennes... Le retour des grands prédateurs noircit ce tableau alarmant après des problèmes déjà nombreux.

Le plan Loup porte en germe une véritable politique pastorale mais les moyens manquent pour développer les brigades, recruter des aides-bergers, dresser des chiens de protection, mieux accompagner les éleveurs avant et après les attaques et mener les recherches nécessaires. On entend dire dans les rangs de la majorité sénatoriale, que le loup coûte trop cher mais, sur les 26 millions du plan national d'action pour le loup, entre la moitié et les trois quarts vont directement aux éleveurs. C'est peu d'ailleurs, comparé à l'indemnisation des dégâts causés par les sangliers, une espèce non protégée : 50 millions d'euros par an.

L'heure est grave, elle appelle à une mobilisation générale. Malgré nos réserves, nous voterons cette proposition de résolution que nous avons pu amender. À notre sens, le salut du pastoralisme ne passera pas par une extermination des loups, c'est un miroir aux alouettes. Pour les chasser, nous avons, sous l'Empire, mobilisé l'armée et brûlé des hectares de forêt avec le succès que l'on sait. En 2017, 37 prédateurs seulement ont été tués pour 1 240 tirs autorisés, me confiait le directeur de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Mieux vaut accompagner la cohabitation et développer de nouvelles techniques d'effarouchement tels que les tirs non létaux et le piégeage en prenant exemple sur le plan honnête et équilibré que le parc du Vercors a adopté à l'unanimité le 19 septembre dernier. Sortons de l'affrontement stérile sur le loup et l'ours pour défendre d'une seule voix le pastoralisme et la biodiversité. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Marc Daunis.  - Très bien !

M. Alain Duran .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le Sénat donne la parole aux territoires ruraux et de montagne en ouverture de sa session ordinaire, il est dans son rôle. Mon département de l'Ariège est un département pastoral. L'estive, qui est pratiquée par plus de 50 % des exploitations, a une mission d'entretien des espaces pastoraux - 25 % du département - qui appartiennent à 90 % à l'État ou aux communes.

Le pastoralisme, qui favorise la production de la fourche à la fourchette, garantit un paysage ouvert ; un troupeau de moins, c'est un sentier qui se ferme.

En Ariège, les bergers sont exaspérés devant la recrudescence des attaques de l'ours : en 2016, 96 attaques faisant 228 victimes ; en 2017, 166 attaques et 500 victimes ; fin août 2018, déjà 232 attaques et 372 victimes. Alors qu'une nouvelle réintroduction d'ours slovènes a été annoncée pour les semaines à venir sans aucune concertation préalable, nous demandons une étude d'impact approfondie et des mesures efficaces de protection contre les prédations par respect de l'article 113-8 du code rural. Chiens de protection et parcs de nuit ne suffisent plus, il faut envisager d'autres pistes. Le CNRS et l'INRA ont réfléchi au principe de réciprocité avec le loup -  il faut de même travailler à faire comprendre à l'ours qui attaque un troupeau qu'il court un risque par son comportement. Si nous n'en finissons pas avec une approche romantique de l'ours, le pastoralisme, qui rend de si précieux services, sera mis à mal.

Nous voulons une montagne vivante pour ceux qui y vivent, une montagne profitable à ceux qui y séjournent quelques jours par an et m'ont inondé de SMS avant que je ne monte à cette tribune... Il faut agir si nous voulons ne pas avoir, un jour, à réintroduire le berger dans nos montagnes ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Mme Maryse Carrère .  - Cette proposition de résolution est bienvenue ; elle met l'accent sur le rôle crucial du pastoralisme.

Monsieur le Ministre, je sais que vous connaissez bien les Hautes-Pyrénées. Vous avez entendu le cri d'alarme des jeunes agriculteurs lors de leur congrès en juin dernier. Comment comprendre la réintroduction de deux ours dans le Béarn ? C'est sacrifier toute une profession pour des raisons idéologiques. La montagne deviendra-t-elle un espace réservé aux prédateurs ? Ce n'est pas notre vision.

Comment imposer à des bergers déjà harassés de travail de monter à plus de 2 000 mètres tous les soirs pour surveiller leur troupeau ? Depuis la réintroduction de l'ours, aucune mesure d'accompagnement n'a fonctionné. Il y a une réelle incompatibilité entre la présence des grands prédateurs et celle des troupeaux. Cette proposition de résolution est un cri d'alarme.

Monsieur le Ministre, je sais que vous n'êtes pas responsable de cette réintroduction mais vous avez le devoir de prendre en compte la détresse des éleveurs et de les défendre. Le groupe RDSE votera dans sa grande majorité pour cette résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, Les Indépendants, UC, Les Républicains ; M. Marc Daunis applaudit également.)

Mme Denise Saint-Pé .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Cette proposition de résolution envoie un message clair. La cohabitation entre grands prédateurs et éleveurs inquiète. On a le sentiment que la concertation n'a été que de forme, que la décision était déjà prise.

Le métier est déjà difficile ; avalanche de contraintes, poids des mesures, concurrence, prédation... La liste est longue. Les récentes discussions sur la PAC l'ont mis en évidence. Nous devons nous acheminer vers une agriculture plus qualitative que quantitative. Les éleveurs pastoraux n'y ont-ils pas toute leur place ?

Je partage les constats et les objectifs de cette résolution mais il faut aller plus loin, notamment en développant l'attractivité du métier. Nous ne voulons pas des territoires sanctuarisés, mais des territoires vivants.

L'État devrait partager la localisation des grands prédateurs par GPS avec les éleveurs. Enfin, le quad leur permettrait de rejoindre plus vite les estives depuis la vallée.

J'appelle le Gouvernement à préserver le pastoralisme et à mettre en place des solutions pragmatiques et respectueuses des éleveurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et SOCR)

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution constitue un signal fort alors que la cohabitation entre prédateurs et troupeaux est de plus en plus difficile. Comme me le disait un berger, le loup a changé son métier.

Mon département des Alpes-Maritimes détient le triste record des attaques : 3 000 en 2016 contre 1 500 en 2007. Les brebis, 10 000 il y a des décennies, ne sont plus que 3 000. Nous ne voulons pas l'éradication du loup, Monsieur Gontard, mais une régulation plus forte de sa population.

M. Charles Revet.  - Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - On veut soumettre l'attribution des aides à l'acquisition par les éleveurs d'équipements de protection alors que des permis de construire pour des bergeries en dur sont refusés. Et les chiens patous sont massacrés par le loup, eux aussi !

Un moyen simple serait de multiplier les brigades, les collectivités locales pourraient en créer. Le quota annuel d'abattage de loups montre toutes ses limites : c'est une décision administrative qui s'avère souvent inadaptée aux besoins, Nicolas Hulot a dû l'élever en urgence en 2017. La méthode des tirs isolés de prélèvements se révèle également inefficace.

Le Gouvernement doit apporter des réponses concrètes aux difficultés que nous rencontrons dans les Alpes-Maritimes. Les dommages pastoraux ne sont pas répartis de manière uniforme : d'un côté, des attaques continuelles et concentrées sur des territoires comme le mien ; de l'autre, des attaques sporadiques dans des territoires plus vastes.

Les éleveurs veulent seulement exercer leur métier.

M. Charles Revet.  - Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Le Loup n'a pas le monopole de la biodiversité, d'abord préservée par les bergers et leurs troupeaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains jusqu'aux bancs du groupe SOCR)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) J'ai été berger pendant plus de vingt ans.

Le pastoralisme protège les paysages ouverts, il participe de l'aménagement du territoire, on a dit ses externalités positives. Les pelouses d'altitude sont un des écosystèmes français les plus performants pour le stockage du CO2. Et je ne parle pas de la prévention des avalanches ou de la valeur patrimoniale des paysages des Cévennes et des Causses, inscrits au patrimoine mondial.

Cette proposition de résolution aborde la difficile cohabitation entre ours, loups et troupeaux. Les bergers ne parlent pas seulement de rendement, ils parlent d'abord de leurs brebis qu'ils doivent enfermer pour les protéger, de leurs brebis qui avortent parce qu'elles ont la peur du prédateur au ventre. (Marques d'approbation à droite) Caricaturer le débat ne permettra pas d'apporter les bonnes réponses. Mon groupe votera pour cette résolution.

M. Jean-Yves Roux .  - Signataire de la proposition de résolution sur le pastoralisme, je m'associe aux alertes répétées sur le loup.

Le plan d'actions repose sur un équilibre qui n'existe pas : seule subsiste la détresse des bergers impuissants face à la destruction de leur travail et la mort de leurs animaux.

Dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, dans 90 communes sur 198, 378 attaques pour 1 208 victimes ont été à déplorer cette année, en hausse, respectivement, de 13 % et 28 %. Mais seuls les animaux mordus sont comptabilisés - les sauts dans le vide des moutons apeurés, les avortements des brebis stressées ne sont pas enregistrés.

Les loups franchissent les lisières des forêts et se rapprochent des habitations ; ils s'adaptent, évoluent, en fonction de nous, comme l'explique le chercheur Michel Meuret.

Le rôle des éleveurs n'est pas de tuer des loups, de se transformer en éleveurs professionnels de chiens d'Anatolie ou patous, ni de monter des dossiers d'indemnisation. Voulons-nous faire de nos montagnes des déserts, livrés aux désastres entraînés par le réchauffement climatique, faute d'activité pastorale ? Il faut aussi prendre en compte le désarroi des élus concernés, qui vivent dans la crainte permanente d'accidents.

Monsieur le Ministre, chacun doit trouver sa place. Il faut soutenir les bergers, embaucher des contrats aidés dédiés à la sécurité, adapter le code rural, notamment sur la responsabilité des maires face aux chiens de berger.

Quiconque s'est trouvé face à un loup sait que le tir de prélèvement négocié n'est pas réaliste. Je plaide pour que le loup puisse, dans un cadre très réglementé, lorsque la situation s'impose, être classé comme nuisible...

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Jean-Yves Roux.  - Nous avons besoin de solutions pragmatiques et humaines. (Applaudissements des bancs du groupe Les Républicains à ceux du groupe SOCR)

M. Loïc Hervé .  - Avant d'être à l'origine de la carte postale traditionnelle de la montagne, le pastoralisme est une activité économique, et représente une agriculture vertueuse, garante des équilibres depuis des siècles.

Je remercie les présidents Primas et Maurey, ainsi que nos collègues Morhet-Richaud, Cardoux et Pellevat de leur contribution. Il s'agit de préserver un maillon de la chaîne alimentaire et un atout touristique et écologique incontestable. Le pastoralisme est aussi un élément majeur de la protection des espaces naturels, grâce à l'entretien régulier des vastes étendues d'alpages par les troupeaux, au coeur de nos parcs.

Le 4 juillet, le Premier ministre a indiqué vouloir rémunérer les agriculteurs pour les services rendus à la nature. La proposition de résolution s'inscrit dans ce prolongement. Elle met aussi en débat le soutien au retour de certains prédateurs, dont le loup et l'ours.

Oui, il faut protéger ces espèces, mais pas au prix d'une disparition du pastoralisme. Entendez, Monsieur le Ministre, notre cri d'alarme.

La question doit être abordée au niveau européen ; au plan national, il faut apporter toutes les sécurités aux éleveurs par des solutions pérennes. Le groupe UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements des bancs des groupeUC et Les Républicains à ceux du groupe SOCR)

M. Michel Savin .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC) Les éleveurs de l'Isère sont confrontés à des attaques de loups qui se multiplient et les réponses qui leur sont apportées ne sont pas satisfaisantes. Parler de pastoralisme dans cet hémicycle parisien peut faire sourire - et je n'oublie pas le mépris, Monsieur le Ministre, (M. le ministre : « pas moi ! ») d'un de vos prédécesseurs lors d'une séance de questions d'actualité.

La défense du pastoralisme est un enjeu majeur. Il est en danger, avec plus de 12 000 attaques de loups par an, dont 40 % ont lieu en plein jour. Près de 500 loups adultes seraient présents en France ; les indemnisations ont dépassé les 20 millions d'euros annuels. La pression sur les randonneurs et les chiens de protection, elle aussi, augmente avec des drames humains à la clé.

Le loup est en train de gagner la bataille géographique en étendant son territoire ; la bataille économique, parce que de nombreux éleveurs en détresse renoncent à leur activité ; la bataille politique enfin car les pouvoirs publics ne proposent rien ou presque. On nous opposera, je le sais, la convention de Berne et la directive Habitats. Mais peut-on encore considérer le loup comme une espèce en voie de disparition ?

Le Gouvernement a présenté un plan ambitieux pour 2018-2023, mais, sur le terrain, les réponses ne sont pas à la hauteur. Revoyons à la hausse les prélèvements au niveau européen.

Le 25 janvier, le président de la République annonçait vouloir remettre l'éleveur au milieu de la montagne ; pour le moment, les loups restent au milieu de la bergerie... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOCR)

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je vous remercie de votre engagement et de la qualité des travaux de la mission d'information sur le loup dont vous étiez le rapporteur, Monsieur Pellevat. Un groupe de travail sur le pastoralisme travaillera ainsi, tout au long de la session, présidé par Mme Morhet-Richaud. Vos nombreuses auditions nous fournissent une matière précieuse.

Je n'ignore rien des difficultés des éleveurs ; 430 loups sont présents dans 74 zones de présence permanente, dont 57 contiennent des meutes. Leurs aires de vie s'étendent ; la prédation a fait 12 000 victimes, essentiellement ovines.

Le ministère de l'agriculture et le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ont alloué 23 millions d'euros d'indemnisations par an, auxquels s'ajoutent 3,5 millions du ministère de la transition écologique ; certes, ce n'est qu'une partie des dépenses pour assurer la cohabitation et l'élevage.

L'État et moi-même sommes aux côtés des éleveurs, dont j'ai pu mesurer l'angoisse et la fatigue. Le Plan national d'actions (PNA) finalisé en février a pris en compte tous les points de vue ; il « remet l'éleveur au centre de la montagne ». (Exclamations et commentaires ironiques sur divers bancs) Ce plan contient de réelles avancées, notamment une gestion adaptée à l'impact sur l'élevage. Sur le gardiennage, le Gouvernement négociera avec la Commission européenne la prise en charge à 100 % des coûts afférents, et non plus 80 %.

Un réseau de référents techniques, déjà opérationnel, sécurisera l'utilisation des chiens de protection par des formations collectives et de soutien individuel ; une brigade de bergers mobiles expérimentés interviendra dans les foyers d'attaques, dans un premier temps dans les parcs du Mercantour et de la Vanoise.

La conditionnalité de l'indemnisation des dommages suscite des incompréhensions ; résultant des lignes directrices européennes, elle vise à assurer la sécurité juridique et financière du dispositif. Mais son déploiement sera graduel ; par exemple, il ne concernera ni les nouvelles zones de présence du loup, ni la première attaque. Des dérogations seront prévues, sur les fronts de colonisation ainsi que pour les troupeaux considérés comme non protégeables.

M. Alain Marc.  - C'est trop techno ! (On approuve sur divers bancs.)

M. Stéphane Travert, ministre.  - Les barèmes seront revalorisés pour prendre en compte les conséquences indirectes, notamment les troubles de la lactation et le stress des animaux.

Reste à réguler la population de loups. La destruction de 10 % des animaux - 43 cette année - a été autorisée. Ce taux pourra être porté à 12 % si nécessaire.

M. Bruno Sido.  - Que c'est techno ! (Marques d'approbation sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Travert, ministre.  - Les modalités de tir seront assouplies : tirs de défense simples avec une arme à canon rayée ou tir d'effarouchement sans autorisation administrative.

M. Bruno Sido.  - Et le tir à l'arc ? (Sourires)

M. Stéphane Travert, ministre.  - Le suivi des populations, fondé sur des données solides et des méthodes de collecte rigoureuses, est assuré par l'Office national de la chasse : les données sont disponibles sur une base de données nationale ; avec également un suivi des dommages sur la base de données Géoloup.

Une fois le seuil de viabilité de la population lupine atteint - soit 500 loups - les modalités seront révisées. (Exclamations à droite)

Une étude prospective sur le pastoralisme à l'horizon 2035 a été lancée ; elle éclairera nos choix politiques futurs.

Trois fois par an, le suivi du plan Loup est assuré sous la direction du préfet coordinateur.

Ce plan permettra, je l'espère, une cohabitation plus apaisée. Le plan sera évalué à mi-parcours en vue d'éventuelles adaptations. Nous faisons confiance aux acteurs et aux élus locaux pour dépassionner le débat.

Comme votre président le souligne, le pastoralisme a modelé nos paysages. Il participe, chaque jour, à la conservation de la biodiversité sauvage et domestique.

Sans pastoralisme, pas de milieux ouverts, de prairies fleuries, de tourisme d'été ; pas de développement économique ni de produits de qualité qui font l'excellence de notre patrimoine gastronomique. (On renchérit sur les bancs du groupe Les Républicains.) Le prix du lait payé aux producteurs dans cette filière est le plus élevé. Appuyons-nous sur ces réussites.

Le ministère est pleinement mobilisé, notamment via les plans de filière. Je serai vigilant lors de la négociation de la PAC post-2020.

Je vous invite à poursuivre vos travaux (Marques d'ironie à droite)...

M. Bruno Sido.  - Merci !

M. Stéphane Travert, ministre.  - ... L'adoption de cette résolution me semble, en l'état de la réflexion, prématurée. (Huées sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs, des bancs du groupe SOCR à ceux du groupe UC )

La discussion générale est close.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°1 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 313
Contre    21

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements et hululements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs, de ceux du groupe SOCR à ceux du groupe UC)

La séance est suspendue à 16 heures.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.