Emploi de pneumatiques usagés dans les terrains de sport

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative aux risques liés à l'emploi de pneumatiques usagés dans les terrains de sport.

Mme Françoise Cartron, auteure de la proposition de loi .  - Le 18 septembre 2018, l'Anses publiait une note d'appui scientifique et technique sur les risques éventuels liés à l'emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques et d'usages similaires. Elle constituait un point d'étape important sur un sujet d'inquiétude. En tant que maire, j'ai été longtemps interpellée sur le type de blessures occasionnées sur les terrains synthétiques ainsi que leur fréquence. Il y a un an, une enquête publiée dans le mensuel So Foot mettait en avant la dangerosité potentielle des granules de caoutchouc utilisées.

J'ai interrogé, par une question écrite publiée au Journal officiel le 16 novembre 2017, Mme la ministre des sports, sur ce sujet ; un certain nombre de parlementaires de tous les bords politiques en ont fait de même. Une réponse gouvernementale à une question écrite de Mme Pascale Boistard de 2013 soulignait déjà les besoins de précision. A-t-on progressé depuis ? Hélas, non. J'ai été destinataire de nombreuses demandes ces derniers mois, de sportifs, de parents, d'élus.

Cette démarche législative se veut collective et constructive. La saisine de l'Anses par six ministères en février dernier a abouti à la note d'appui que je citais en préambule. Celle-ci établit que les expertises disponibles ne mettent pas en évidence de « risques préoccupants » pour la santé, en particulier de risque à long terme - cancer, leucémie ou lymphome. En revanche, il existerait des « risques potentiels pour l'environnement » mais, une nouvelle fois, « ces données sont insuffisantes pour caractériser [ces] risques éventuels. » En conclusion, l'Agence précise qu'elle a fourni un appui, et non une évaluation, pour « hiérarchiser les besoins de connaissances concernant les différentes situations d'exposition. »

D'où cette proposition de loi pour que le Sénat reçoive du Gouvernement un rapport dressant l'état d'avancement de chacune des préconisations établies en septembre dernier. Il y a une semaine, lors du débat auquel j'ai participé sur le plateau de Public Sénat, j'ai constaté qu'il y avait une unanimité : les élus, inquiets, ont besoin d'en savoir plus ; ils sont responsables de ce qu'ils installent. Les publics intéressés sont nombreux : familles, enfants, installateurs, élus, résidents. Les solutions préconisées sont hétérogènes : moratoire, principe de précaution, changement du revêtement. À nous de rassurer et d'apporter des réponses rationnelles, scientifiques, au débat.

Je veux saluer le travail du rapporteur Frédéric Marchand, qui a travaillé dans des délais très contraints. Ce que nous souhaitons, au final, c'est un cahier des charges prescriptif.

Faisons l'inventaire, après l'enquête de So Foot et le reportage d'Envoyé spécial. Ne nous égarons pas en abordant d'autres sujets, nous perdrions l'occasion de faire avancer la question des terrains de sport. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC ; M. Christophe Priou applaudit également.)

M. Frédéric Marchand, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Face aux inquiétudes des citoyens, les élus locaux sont en première ligne - j'ai une pensée pour eux, eux qui sont dans les travées du Congrès du maire. Souvent sollicités sur la question des terrains stabilisés, ils ne disposent pas toujours des outils pour y répondre. La sensibilité de la société sur les problématiques de santé est plus forte qu'avant. Sans céder aux postures alarmistes, il est indispensable de fonder nos décisions sur des connaissances solides et un diagnostic clair. C'est l'ambition de cette proposition de loi.

Six ministères avaient décidé le 21 février dernier de saisir l'Anses. Menée dans des délais contraints, l'étude de l'Anses a analysé les travaux internationaux sur les risques liés aux terrains synthétiques, notamment par l'Agence européenne des risques chimiques et l'Institut néerlandais pour la santé et l'environnement.

En matière de santé, l'Agence constate que la majorité de ces études concluent à « un risque négligeable pour la santé », en ne mettant pas en évidence d'augmentation du risque cancérogène associée à la fréquentation ou à la mise en place de terrains de sport synthétiques.

En matière d'environnement, l'Agence constate que les données disponibles évoquent « l'existence de risques potentiels pour l'environnement », liés au transfert de substances chimiques - notamment le zinc, les phtalates et les phénols - via les sols et les systèmes de drainage des eaux de pluie.

Dans un deuxième temps, l'Anses indique avoir relevé « des incertitudes et des limites méthodologiques » dans certaines publications, en particulier un manque de prise en compte de la variabilité de la composition des terrains synthétiques et un manque de données concernant les utilisations spécifiques des granulats de pneus dans les aires de jeux, les niveaux d'exposition aux terrains synthétiques à l'intérieur des bâtiments.

Dans un troisième temps, l'Agence propose des axes de recherches prioritaires afin de consolider les données et de compléter les évaluations de risques.

Lors de leur audition, les représentants de l'Anses nous ont confirmé que ces sujets de recherche ont été intégrés au programme de travail de l'agence pour 2019.

Dans sa note, l'Anses recommande également une évolution de la réglementation REACH afin d'abaisser la teneur de certaines substances préoccupantes dans les granulats de pneus.

La teneur maximale fixée en annexe du règlement REACH varie actuellement entre 1 000 et 100 milligrammes par kilogramme de mélange selon l'hydrocarbure aromatique polycyclique considéré, soit une teneur bien supérieure à celle prévue pour les articles de consommation en contact prolongé ou régulier avec la peau - 1 milligramme - ou pour les jouets - 0,5 milligramme.

Indépendamment des risques identifiés, il semble donc indispensable de faire évoluer la réglementation en tenant compte davantage des usages, dès lors que sur un terrain synthétique ou une aire de jeux, le contact direct du corps avec ces granulats peut également être régulier ou prolongé, en particulier pour les enfants.

La question sera examinée en 2019 au niveau européen à l'initiative des Pays-Bas. Sans méconnaître les enjeux socio-économiques de la filière, il importe de tendre vers les niveaux les plus protecteurs possible pour les utilisateurs de ces terrains.

Enfin, l'Anses recommande dans sa note l'élaboration d'éléments de méthode pour mener localement des évaluations d'impact environnemental avant la création de nouveaux terrains.

Il existe un grand décalage entre, d'une part, les inquiétudes relayées par les médias et certaines associations et, d'autre part, l'état des connaissances scientifiques. À ce stade, l'absence de risque majeur identifié pour la santé et l'absence de signalement épidémiologique notable n'incitent pas à renoncer à la création de nouvelles installations ou à interdire l'utilisation de terrains existants.

En revanche, selon les spécificités locales, la sensibilité de la population à ces questions et la volonté des élus, des solutions intermédiaires existent. La région Île-de-France, après avoir établi un moratoire sur le soutien financier à des projets de terrains synthétiques, prévoit de rétablir ce soutien en l'assortissant de critères exigeants, notamment en termes d'origine des granulats et de conception des terrains pour éviter la dispersion. Les collectivités pourraient s'inspirer de cet exemple en insérant des clauses dans les marchés conclus pour la réalisation de terrains de sport ou d'aires de jeux.

Pour finir, si notre assemblée est réticente à soutenir les demandes de rapport, celle-ci sera utile pour informer le public et aiguillonner les pouvoirs publics. Elle constitue, en quelque sorte, une clause de revoyure. Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi, comme l'a fait très largement la commission malgré l'abstention de certains de ses membres. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Merci à la Haute Assemblée pour cette proposition de loi, elle est pleinement en cohérence avec les priorités du Gouvernement que sont la protection de la santé humaine et celle de l'environnement.

Cette préoccupation est croissante parmi nos concitoyens. Les effets néfastes de certaines substances chimiques sur la santé de nos concitoyens et de nos écosystèmes sont de plus en plus établis. À nous d'évaluer précisément les impacts de ces substances et de prendre, avec responsabilité, les mesures qui s'imposent.

La loi EGalim a interdit l'incorporation de dioxyde de titane dans les produits alimentaires mais aussi l'usage des pesticides ayant le même mode d'action que les néonicotinoïdes ; elle sépare, enfin, les activités de conseil et de vente de pesticides. Ces mesures et de nombreuses autres montrent que le Gouvernement propose des solutions concrètes en faveur de l'environnement. Il prévoit aussi un accompagnement des acteurs pour changer les pratiques car c'est cela qui est le plus important, changer les pratiques en profondeur.

Une stratégie nationale a été élaborée sur les perturbateurs endocriniens. Sur ces questions, notre action doit être conçue à l'échelle européenne, où la France joue un rôle moteur. Même chose pour le renforcement de l'efficacité des agences européennes.

Cette proposition de loi s'inscrit dans cette démarche. Le Gouvernement a été sensible aux alertes sur les terrains synthétiques. Il a saisi l'Anses le 21 février 2018 pour qu'elle évalue les risques liés à l'utilisation de granulats de pneus recyclés. L'analyse d'appui scientifique et technique, restituée le 17 septembre 2018, a conclu que le risque sanitaire pour les utilisateurs des terrains était négligeable mais a évoqué des risques potentiels pour l'environnement. L'Anses observe cependant un manque de données et une grande variabilité de la composition des granulats. Les études en cours menées en Europe et plus encore par l'Agence américaine de l'environnement nous apporteront des informations.

Une restriction de l'utilisation des hydrocarbures aromatiques polycycliques a été proposée par les Pays-Bas dans le cadre du règlement REACH, la France la soutiendra.

Le Gouvernement suivra les recommandations de l'Anses en constituant un groupe de travail sur les risques environnementaux liés à l'utilisation de ces granulats. Ses conclusions seront connues en septembre 2019.

Vous le voyez, le Gouvernement prend ces problématiques très au sérieux. Notre mobilisation au niveau européen ne faiblit pas. Nous mènerons les investigations complémentaires demandées par l'Anses. Concernant la demande de rapport, faisant l'objet de cette proposition de loi, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Raymond Vall applaudit également.)

M. Christophe Priou .  - Clemenceau disait : quand on veut enterrer une décision, on crée une commission. Et le président Maurey d'ajouter : ou une mission d'information. Ce n'est pas le cas ici.

Jean-Marc Boyer et moi-même nous sommes souvent roulés par terre... puisque nous étions gardiens de but ! Si nous avons tous les deux encaissé beaucoup de buts, tu n'en as pas marqué, cher Jean-Marc, ce que j'ai fait sur un dégagement de 80 mètres avec un rebond qui n'aurait pas été possible sur un terrain synthétique.

Le terrain synthétique, à l'époque, a représenté une révolution : il pouvait supporter plus de trois à quatre matches par semaine et ne nécessitait pas d'entretien. C'était un investissement pour les communes mais il était bien subventionné. Évidemment, il a fallu changer les habitudes... Un jour, à Rezé, près de Nantes, un agent des espaces verts a tondu un terrain synthétique. (Sourires)

Maire, j'ai connu des problèmes liés à l'amiante. Ensuite, au Croisic, j'ai connu l'Erika qui a déversé du fioul n°2 sur les côtes. Les volontaires, que nous équipions de combinaisons, de masques et de gants, se sont inquiétés des conséquences du contact avec les HAP ; nous avons dû suspendre le nettoyage. Enfin, il a fallu apaiser les craintes sur la présence de traverses de chemins de fer contenant de la créosote dans un espace vert que nous avions réhabilité dans les années 2000.

La différence entre l'esprit et l'air du temps est ténue, entre le principe de précaution inscrit dans la Constitution depuis 2005 et le risque zéro également. À titre personnel, je voterai ce texte surtout s'il est enrichi par le débat parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Frédéric Marchand, rapporteur, applaudit également.)

M. Pascal Savoldelli .  - L'étude de l'Anses est rassurante mais pointe une contradiction : toutes les études consultées présentent des failles méthodologiques. Elle a, en outre, écarté des enquêtes plus alarmistes, celles des universités de Yale, de Géorgie et d'Amsterdam. Ce n'est pas étonnant, vu la multitude de prestataires et l'absence d'un cadre normatif clair.

Si certaines fédérations ont émis des guides de bonnes pratiques, ce n'est pas le cas de toutes, et surtout le traitement des pneus est parfois réalisé à la hussarde - avec de l'arsenic, du plomb et du chrome en quantités bien supérieures à celles conseillées. Ajoutons à cela que les granulats réagissent à toute mutation environnementale : l'humidité, entre autres - je vous renvoie à l'étude de l'université d'Amsterdam. Une étude australienne de 2015 documente les îlots de chaleur créés par l'itinérance des granulats. Il n'y a pas de situation environnementale identique d'un terrain à l'autre d'autant que les terrains diffèrent par leur taille et leur système d'aération. Celles et ceux qui sont déjà allés dans les Five en synthétique, très fréquentés par les jeunes, comprennent ces inquiétudes. Un chercheur de l'Université de Géorgie y a relevé, à l'aide d'un robot, les particules pouvant être inhalées. On conçoit que les 190 substances toxiques retrouvées, même en faible quantité, puissent avoir des conséquences.

Il y a donc des soupçons tangibles. Il faut, par conséquence, une étude de référence - alors qu'on s'est longtemps appuyé sur celle d'Aliapur qui était, comme par hasard, le plus grand pourvoyeur de granulats.

Pourquoi la France n'a-t-elle pas fait prévaloir le principe de précaution, à l'instar de la Fédération néerlandaise de foot ou de la ville de New York ?

Il faut aider l'industrie du pneu, mais surtout les collectivités territoriales à remplacer leurs terrains ou aires de jeu. Les alternatives existent - liège ou fibre de coco - mais elles coûtent cher. Le FC Lorient a fait remplacer son terrain synthétique, cela lui a coûté 1,2 million d'euros. L'argent, c'est d'ailleurs ce qui a souvent incité les collectivités à recourir au synthétique car si le coût d'installation est plus élevé que le terrain en gazon naturel, le coût de maintenance est plus faible et le taux d'occupation supérieur.

Merci à Mme Cartron pour ce débat, sa proposition de loi nous donne les moyens d'un suivi régulier des travaux de l'Anses. Nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mmes Nelly Tocqueville, Françoise Cartron applaudissent également.)

M. Jean-François Husson.  - Bravo, camarade !

Mme Nicole Bonnefoy .  - La méthode, une demande de rapport sous forme de proposition de loi, est quelque peu déroutante. Il est pour le moins curieux que le groupe appartenant à la majorité gouvernementale utilise sa niche parlementaire pour demander un rapport au Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains jusqu'aux bancs du groupe SOCR)

M. Jean-François Husson.  - C'est le nouveau monde !

Mme Nicole Bonnefoy.  - Le Gouvernement m'en a refusé un sur les effets cocktail des pesticides entre eux dans la loi EGalim. Les questions sanitaires sur lesquelles je travaille depuis des années méritent mieux que ces réponses à géométrie variable, selon que l'on soit marcheur ou pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Par provocation, j'ai déposé au nom du groupe socialiste un amendement demandant un rapport sur les effets cocktail des pesticides et un autre modifiant en conséquence l'intitulé de la proposition de loi. Je vous invite à les voter. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, Les Républicains et UC)

Mme Véronique Guillotin .  - Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (M. Jean-François Husson renchérit.) Sur le fond, nous attendons des réponses scientifiques. La note de l'Anses, commandée par six ministères, conclut à un risque peu préoccupant pour la santé et à un risque potentiel pour l'environnement ; elle recommande des études complémentaires.

Trois mille terrains de football sont concernés, des centaines de terrains indoor, les enfants en sont les premiers utilisateurs. On peut d'ailleurs s'étonner que les teneurs maximales en hydrocarbures aromatiques polycycliques ne soient pas déjà alignées sur celles des articles de consommation courante, comme les jouets pour enfants.

Le sujet intéresse aussi les élus locaux : 10 % des terrains sont synthétiques dont une partie en granulats. Certaines collectivités territoriales appliquent le principe de précaution, préférant des matériaux plus coûteux mais sûrs.

En réalité, cette proposition de loi touche plus largement à la question de la gestion des pneus usagés, obligatoire depuis 2002, en vertu du régime de responsabilité élargie des producteurs. Les pneumatiques font l'objet de règles pour leur utilisation sur les routes mais pas pour d'autres usages. Il faut donc s'interroger sur l'intégration dans cette filière d'un volet dédié à la protection de l'environnement, sur la fabrication de pneus recyclés à partir de pneus usagés, ce que nous ne savons pas faire pour l'instant. Ces questions pourraient trouver leur place dans le futur projet de loi Mobilités.

La réutilisation ne concernant que 16 % des pneus usagés, les industriels ont cherché d'autres voies de valorisation. C'est ainsi que 90 000 tonnes de pneus sont transformées en granulats. Dans une perspective sanitaire, il faudrait en réalité faire évoluer la qualification des déchets valorisés afin qu'ils soient soumis aux réglementations du produit de destination, non d'origine. La restriction suggérée par le gouvernement néerlandais est bienvenue.

Nous sommes favorables à de nouvelles études mais le véhicule de la proposition de loi n'est pas le bon. Le RDSE est hostile, comme d'autres, aux demandes de rapports ; il faut noter, d'ailleurs, que moins de 50 % des rapports du Gouvernement sont effectivement remis.

Le RDSE s'abstiendra en majorité sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC)

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Cette proposition de loi pose deux questions : environnementale - le risque à évaluer - et procédurale - le véhicule d'une proposition de loi est-il le bon ?

L'excellent rapport de Frédéric Marchand montre qu'il y a des précisions à apporter. La note de l'Anses n'est qu'une synthèse des études existantes, qui présentent en outre des failles de méthode.

Or les citoyens demandent de plus en plus l'application du principe de précaution sur les espaces publics que sont les terrains de sport et les aires de jeux.

L'enjeu est majeur pour les collectivités territoriales. S'il faut tout remplacer, qui paiera ? Les communes, bien sûr et la facture sera salée. En Wallonie, le remplacement a coûté 50 000 euros à l'une d'entre elles. À l'heure des réseaux sociaux, des fake news et des scandales sanitaires, on comprend vite l'ampleur que peut prendre ce sujet. Faut-il abandonner les granulats ou en modifier la composition ? Nous n'avons pas encore de réponses. Nous ne pouvons ni agir, ni rassurer.

La seconde question est celle de la méthode. Faut-il une proposition de loi pour demander un rapport alors que notre assemblée a développé une réticence épidermique aux demandes de rapport ? Le sujet est au programme de travail 2019 de l'Anses, une action européenne est en cours. Un débat aurait été plus approprié qu'un rapport. Espérons que celui-ci amènera l'Anses à faire de ce sujet une priorité.

La question est plus large : peintures, colorants, colles, agents liants... Nous sommes exposés à des matières dont nous savons peu de chose.

Cette proposition de loi ne fait pas avancer le dossier ; c'est pourquoi le groupe centriste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Jean-François Husson.  - Il fait bien !

M. Jean-Pierre Decool .  - Une proposition de loi pour demander un deuxième rapport après le premier rapport de l'Anses... Les inquiétudes liées à la fréquentation des terrains de sport et des aires de jeux synthétiques relayées par les médias, la société civile et des élus locaux ont conduit le Gouvernement à saisir l'Agence laquelle a conclu que les granulats de caoutchouc recyclés à partir de pneus usagés pourraient contaminer les sols et les nappes phréatiques mais le risque sanitaire pour les utilisateurs n'est pas avéré. Néanmoins, elle émet d'importantes réserves d'ordre méthodologique et recommande des études complémentaires.

Le second rapport qui fait l'objet de cette proposition de loi permettra, nous l'espérons, d'apporter une réponse claire aux nombreux élus locaux, sportifs, parents d'enfants exposés à ces substances potentiellement nocives pour l'homme et pour l'environnement. Les élus du groupe Les Indépendants sont conscients de l'importance du sujet, sans démagogie. Il n'est pas question de remplacer immédiatement des terrains, dont, hier, tous vantaient les mérites.

Si je soutiens cette demande de rapport, c'est pour protéger les élus de ce que l'on appelle pudiquement la faute non intentionnelle, rappelons-nous de la fameuse loi Fauchon ! Nous voterons cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Les terrains de sport synthétiques sont de plus en plus répandus. Leurs atouts sont indéniables, mais les inquiétudes se multiplient. L'étude de l'Anses met en évidence la nécessité d'aller plus loin, même si elle n'identifie pas de risques précis pour la santé pour l'instant.

Nicole Bonnefoy a bien raison dans sa description kafkaïenne.

Le gazon synthétique est ancien : un brevet avait été développé par un chercheur anglais en 1910, avec un tapis tissé de fourrures animales, utilisées jusque-là pour les décors de théâtre. Puis, dans les années 80, une version synthétique à poil court a été développée pour les terrains de football. Cette version utilisait du sable pour le remplissage. Je ne vous ferai pas l'outrage de vous montrer les effets d'un tel matériau sur les ischio-jambiers d'un pratiquant assidu, qui datent d'un temps que les moins de 40 ans ne pourront pas connaître...

L'accent a été mis sur le confort du joueur, avec pour résultat une baisse des traumatismes. La FIFA, l'UEFA, les fédérations patronales en soutiennent le développement ; la fédération française de football soutient l'installation de 300 terrains par an.

De nombreuses études ont été réalisées. Aucune ne conclut à un risque, que ce soit par inhalation, contact ou ingestion. Cela n'exonère pas d'appliquer les principes d'hygiène élémentaire à respecter sur tout type de terrain : prendre une douche ; se nettoyer les mains et le visage ; désinfecter les plaies ; se changer complètement après l'entraînement et laver l'équipement utilisé.

L'European chemicals agency (ECHA), saisie par la Commission européenne, aboutit à des conclusions claires : pas de preuve scientifique d'une augmentation du risque de cancer lié à l'impact des HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques), généralement mesurés dans les terrains de sport européens.

Pour les risques environnementaux, nul doute que des chercheurs grassement payés par les contribuables trouveront l'une de ces billes dans l'océan... menant à l'interdiction de ces matériaux, des pneus, des voitures et, pourquoi pas, de la vie sur terre !

Nous assistons à une inflation du nombre de rapports, qui finissent invariablement en classement vertical...

De grâce, madame la ministre, ne compliquez pas encore la vie des fédérations sportives, et le développement du football en particulier, au pays des champions du monde ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Nicole Duranton .  - Les sols et terrains concernés sont constitués de 90 % de granulats à base de pneus usagés et de 10 % de résine. Chaque année, ce sont 400 000 pneus usagés par an qui doivent, être traités ; 20 % sont réutilisés pour fabriquer de nouveaux pneus, 40 % sont utilisés comme combustible et 40 % transformés en granulats pour la confection de sols sportifs et terrains de jeux. Les normes ne portent pas sur la composition de ces granulats, mais uniquement sur leurs caractéristiques techniques.

C'est inquiétant, si l'on sait que de nombreuses substances dangereuses sont utilisées dans les pneus, parfois protégées par le secret industriel.

M. Jean-François Husson.  - Eh oui !

Mme Nicole Duranton.  - On y trouve des composés organiques volatiles qui peuvent être irritants. Certains fabricants proposent des granulats encapsulés - mais la capsule n'est-elle pas plus dangereuse ?

Face à ces risques, six ministères ont demandé à l'Anses une étude, qui insistait bien sur les absences de données. Puisqu'il s'agit de sujets réglementaires, il aurait été préférable que le Gouvernement demande directement ce rapport.

Le groupe Les Républicains s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. Christian Kern et Pierre Médevielle applaudissent également.)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe socialiste et républicain.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er janvier 2020, un rapport dressant un bilan des efforts de la recherche dans la prise en compte des effets cocktails des produits chimiques sur l'homme et son environnement. Ce rapport se base sur les travaux menés notamment par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et étudie les modalités d'une meilleure prise en compte, notamment dans l'évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques, des effets combinés potentiels des substances sur la santé.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Mes deux amendements enrichissent le texte. L'amendement n°1 est une demande de rapport sur les effets cocktail des pesticides.

M. Frédéric Marchand, rapporteur.  - Cet amendement élargit la proposition de loi au point de la dénaturer. La question des effets combinés mérite d'être approfondie, mais le Gouvernement s'est engagé formellement à soutenir la recherche dans ce domaine.

La commission donne donc un avis défavorable à l'amendement n°1. L'avis sera le même pour l'amendement n°2, en conséquence.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - La prise en compte des effets cocktail est un sujet majeur qui mobilise chercheurs et agences sanitaires de par le monde. C'est aussi un défi considérable.

Je me suis rendue à l'EFSA, l'agence européenne de sécurité des aliments, avec Nathalie Loiseau pour vérifier que l'Agence européenne disposait des moyens nécessaires.

En France, cette question constitue un enjeu majeur pour l'Anses, qui mène le projet Périclès financé par l'ANR sur le sujet. L'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont aussi mobilisés sur ces questions qui nécessitent en effet une collaboration large.

Ce texte semble vouloir apporter une réponse pragmatique aux inquiétudes - y associer une question aussi vaste que les effets cocktail brouillerait le message. Nous suggérons donc le retrait ; sinon, sagesse.

M. Christophe Priou.  - Nicole Bonnefoy a resitué le débat dans un contexte - ici, la pratique quelque peu jésuite du Gouvernement et du groupe LaREM. Nous sommes, ici, pour la biodiversité démocratique.

Or le Sénat a de la mémoire. Depuis le début de la nouvelle législation, une méthode est marquante dans la pratique du Gouvernement, celle du coucou - je pense à la proposition de loi Eau et assainissement, votée à l'unanimité par le Sénat mais rejetée par le Gouvernement... avant d'être reprise in extenso par l'Assemblée nationale.

Je soutiendrai les deux amendements de Mme Bonnefoy - il est indispensable d'ouvrir le sujet.

Mme Nelly Tocqueville.  - En défendant l'idée que la santé publique était une priorité de votre Gouvernement, vous avez soutenu parfaitement les deux amendements, madame la ministre. Merci !

L'amendement n°1 est adopté.

L'article unique, modifié, est adopté.

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe socialiste et républicain.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à la présentation d'un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre des préconisations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail concernant la prise en compte de l'impact des effets cocktails des produits chimiques sur l'homme et son environnement ainsi que des actions relatives aux éventuels risques liés à l'emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires

Mme Nicole Bonnefoy.  - Défendu.

L'amendement n°2 est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

Explication de vote

Mme Françoise Cartron, auteure de la proposition de loi .  - Certaines interventions remettaient en cause la pertinence du véhicule législatif... Mais il est apparu assez opportun pour qu'on y associe un autre sujet.

La première fois que j'ai saisi un ministre sur la question, il y a dix ans, c'était Mme Fourneyron, ministre des Sports, qui m'avait assurée que nous pouvions dormir tranquille, puisque les normes Afnor s'appliqueraient. J'ai interpellé de nombreux ministres, mais j'ai finalement pensé qu'un rapport pourrait rassurer nos concitoyens. Je me réjouis que cette proposition de loi ait pu être élargie.

La proposition de loi est adoptée.

Prochaine séance demain, jeudi 22 novembre 2018, à 11 heures.

La séance est levée à 23 h 35.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus