SÉANCE

du jeudi 17 janvier 2019

49e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire : Mme Mireille Jouve.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - Je vous renouvelle mes meilleurs voeux et vous remercie pour ceux que vous m'avez adressés, nombreux et chaleureux, qui sont en cours de lecture.

L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, et sur les sites, comme à l'accoutumée. En ce temps de résolutions, observons les valeurs essentielles du Sénat et notamment le respect, des uns et des autres et du temps de parole !

Grand débat national (I)

M. Jean-Marc Gabouty .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) L'année 2018 a été marquée par l'irruption des gilets jaunes, mouvement social inédit et au départ spontané, qui témoigne d'un profond malaise de notre société. Légitimes ou généreuses, parfois provocatrices et souvent contradictoires ou irréalistes, toutes les demandes doivent être écoutées.

Mais elles ne justifient en aucun cas le déferlement de violences que subit notre pays depuis la mi-novembre. Nous comptons dix morts et plus de 2 500 blessés, chiffres qui devraient interroger les responsables des gilets jaunes et ceux qui les soutiennent. Je renouvelle mon soutien aux forces de l'ordre, aux professionnels de santé et aux services d'urgence. Les dégâts sont importants. L'image et, donc, l'attractivité de notre pays ont été flétries ; des activités, donc des emplois ont été détruits.

Au-delà des mesures décidées pour 10 milliards d'euros par le Gouvernement et votées en décembre par le Parlement, le grand débat national suscitera beaucoup d'espoirs, qu'il ne faudra pas décevoir.

Il faudra des mesures immédiates et concrètes. Dans quel domaine les prévoyez-vous ? Selon quel calendrier et comment associerez-vous le Parlement, et notamment, le Sénat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit aussi.)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Merci de votre question. Le grand débat national qui vient de s'ouvrir suscitera en effet de nombreux espoirs auxquels nous devons répondre, en trois temps.

Premier temps : le débat. Je remercie les parlementaires et les responsables de groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat qui s'y associeront d'être les témoins vigilants et porte-parole.

Deuxième temps : le Premier ministre a adressé un courrier aux présidents des deux assemblées pour créer un comité de suivi et pour que les groupes politiques s'approprient le débat.

Enfin, troisième temps : ce débat trouvera une issue législative et une traduction dans la démocratie représentative, parfois mise en cause, à travers des projets de loi dont certains sont déjà sur la table. La révision constitutionnelle a été reportée et d'autres textes verront le jour ou seront enrichis à la suite du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Violences policières lors des manifestations de gilets jaunes

Mme Esther Benbassa .  - Mutilés, éborgnés, défigurés, subissant quotidiennement la violence symbolique et sociale imposée par la politique gouvernementale, les gilets jaunes sont maintenant frappés dans leur chair. (Protestations à droite) Plus de 5 600 interpellations, plus de 1 000 condamnations, environ 3 000 blessés, dont 94 graves : les violences policières vont crescendo, avec l'usage d'armes de plus en plus dangereuses, les grenades de désenclavement, les flashballs, sans oublier le tabassage et le gazage systématique (Vives protestations à droite)

Dernier cas en date, Olivier, pompier volontaire, père de famille de 47 ans, manifestant pacifiquement avec son épouse, touché à la tête à Bordeaux par un tir de flashball est dans le coma alors que les policiers n'ont le droit que de tirer dans les membres inférieurs ou le torse. L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie de 200 cas de violences policières et 78 policiers font l'objet d'une enquête interne.

N'est-il pas temps de mettre fin à cette répression d'une brutalité intolérable ? (Vives protestations sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Interdisons l'usage de telles armes, à la demande du Défenseur des droits ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Rappelons le contexte : les manifestations non déclarées et non encadrées pendant lesquelles les policiers, auxquels l'on s'en prend de manière très violente et agressive, ont l'impression qu'on veut les tuer. La riposte des policiers est toujours extrêmement encadrée, proportionnée et relative à ce contexte. (Protestations sur les bancs du groupe CRCE)

Ce sont 81 enquêtes judiciaires qui ont été ouvertes pour d'éventuelles violences policières. Il y a donc un contrôle qui s'exerce.

Les policiers utilisent des grenades lacrymogènes, de désencerclement, et parfois, lorsqu'ils sont acculés, des lanceurs de balles de défense. S'ils ne se défendaient pas, ils seraient lynchés, comme nous l'avons beaucoup vu, ce qui n'est pas acceptable. Beaucoup ont tenté de le faire. (Protestations sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian proteste également.) C'est cela que vous devriez condamner (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE ; MM. Bernard Lalande et Marc Daunis applaudissent également.)

Grand débat national (II)

M. Patrick Kanner .  - Monsieur le Premier ministre, comme nous l'avons annoncé, les parlementaires socialistes, fervents défenseurs du dialogue et du débat politique avec les Français, prendront toute leur part dans le grand débat lancé par le président de la République.

Mais, s'agissant de la possibilité de rétablir l'ISF, aura-t-on même le droit d'en parler ? Qui doit-on croire, le président de la République de la lettre aux Français, qui exclut toute remise en cause de la ligne de sa politique économique et sociale, ou celui du débat en Normandie, qui ouvre le droit d'évoquer le sujet ? Au-delà de ce thème, c'est la question de la prise en compte de la parole des Français qui est posée.

Vos reculs ont été nombreux, comme sur la CSG sur les retraites. D'autres mesures pourront-elles être révisées, comme vos 80 km/h ? Infléchirez-vous votre politique économique et sociale ? Et comment allez-vous conclure ?

Répondrez-vous positivement à la demande des partenaires sociaux, que vous avez négligés jusqu'ici, d'organiser une vraie négociation à l'issue du grand débat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Le grand débat est organisé, pendant les deux mois qui viennent, pour que chaque Français, où qu'il vive, quels que soient son âge et sa situation professionnelle, puisse s'exprimer. Il est déraisonnable d'imaginer interdire à nos concitoyens de s'exprimer ou de limiter le champ de leur parole. Vous le savez, nous aussi.

Pour autant, le président de la République a souhaité cadrer le débat. Non qu'il y ait des sujets tabous, mais il faut préciser le cadre à l'intérieur duquel le Gouvernement pourra prendre en compte ce qui sera dit pendant le débat.

Imaginez, pour prendre un exemple extrême, que les Français remettent en cause la forme républicaine de nos institutions... (Marques d'ironies à droite) C'est peu probable, quoiqu'il faille toujours protéger nos institutions.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Surtout le Sénat !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Nous ne nous engagerons évidemment pas dans cette logique. La légitimité qui découle de l'élection du président de la République doit être respectée. Il a fixé 36 questions dans sa lettre aux Français.

Après le débat, il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de s'en saisir.

Certaines organisations syndicales souhaiteraient une grande conférence territoriale et sociale à l'issue du débat, pour permettre à l'ensemble des acteurs d'échanger et de transformer ses résultats en propositions. C'est une bonne idée. Les choses seront précisées au cours du débat, qui doit vivre, et nous répondrons, au fur et à mesure, à ce type de propositions.

Ceux qui souhaitent aborder ces sujets in fine doivent d'abord participer au débat pendant qu'il a lieu. S'il prospère, alors nous pourrons réfléchir à la proposition des syndicats, même s'il est un peu tôt. Je redis que nous tiendrons compte des éléments qui sont formulés à l'intérieur du cadre qui a été proposé par le président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Patrick Kanner.  - Les parlementaires socialistes y participeront, je vous le confirme. La démocratie participative peut être enrichie par la démocratie représentative, et réciproquement, mais ne peut pas s'y substituer. Nous défendrons le bicamérisme. (Vifs applaudissements sur tous les bancs) Le Sénat comme lanceur d'alerte doit être respecté. (Applaudissements nourris sur tous les bancs)

Migrations vers l'île de La Réunion

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Le 15 décembre, un navire de pêche était intercepté avec 70 Sri Lankais à son bord, dont des femmes et des enfants, au large de La Réunion. Un autre navire ensuite transportait sept passagers. Au total, cinq navires ont accosté sur les côtes réunionnaises en 2018 en provenance du Sri Lanka.

Dix ans après la fin de la guerre civile qui déchira l'ancien Ceylan, les migrants fuient les nouvelles persécutions contre les minorités tamoule et chrétienne. La diaspora sri-lankaise à La Réunion compte quelque 150 000 personnes. Sur les quelque 80 migrants arrivés sur nos côtes ces dix derniers mois, certains ont fait une demande d'asile, d'autres ont été reconduits.

Au-delà de l'alerte sur ce drame humain, cette nouvelle voie migratoire inquiète la population. Les autorités ont-elles les moyens adéquats pour endiguer, notamment en surveillant les côtes, ce flux aussi soudain qu'inattendu et comment accueillir ces populations sans l'amplifier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Depuis mars dernier, quatre navires ont fait un périple de 4 000 kilomètres avant d'accoster à La Réunion. Nous avons mis en place un dispositif d'accueil sanitaire et administratif. Certaines personnes ont même été éloignées ; d'autres ont vu leur demande d'asile acceptée. Nous avons renforcé la surveillance des côtes et défini avec les autorités sri-lankaises un accord pour empêcher les départs de navires.

Le 25 janvier, nous rencontrerons des responsables du Sri Lanka lors d'une réunion à la direction générale des étrangers en France.

Nous devons être à la fois protecteurs des personnes mais fermes pour éviter toute reconstitution d'une filière clandestine de traite d'êtres humains. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE)

Grand débat national (III)

M. Marc-Philippe Daubresse .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Dans son livre Révolution, Emmanuel Macron écrivait ceci : « Aujourd'hui, les Français ont l'impression que leur gouvernement ne gouverne plus l'Europe, les partis, les marchés, les sondages, la rue ; il existe une confusion sur le détenteur du pouvoir. Quand il n'y a pas de clarté du gouvernement, le peuple se cabre. Il faut savoir expliquer plutôt que de faire de la communication. (On rit sur les bancs du groupe Les Républicains.) Une nouvelle étape de la déconcentration de l'État est nécessaire. Je crois dans un nouveau partage démocratique, c'est le fondement de la République contractuelle dont nous avons besoin, République qui fait confiance aux territoires, à la société et aux acteurs, pour se transformer. Les collectivités locales et leurs élus doivent jouer un rôle accru, c'est une nouvelle étape de transfert des pouvoirs vers ces collectivités que nous devons décider. » Nous ne saurions mieux dire, Monsieur le Premier ministre ! (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques bancs du groupe CRCE ; M. Julien Bargeton applaudit également.)

Pourquoi le président de la République a-t-il fait exactement le contraire que ce que préconisait le candidat, en recentralisant ? Allez-vous déconcentrer et décentraliser, comme vous le demande le président du Sénat, garant de l'équilibre des pouvoirs ? Il ne faut pas que votre grand débat national se transforme en grande débâcle... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Vous avez de saines lectures... L'exercice de mardi dernier avec les maires a prouvé le rôle capital des maires. (Exclamations ironiques à droite ; M. Cédric Perrin applaudit.)

Vous avez été le maire de Lambersart, et moi celui d'une commune un peu plus au sud. Nous partageons la connaissance et l'amour des territoires et des collectivités.

Après cinq années de baisse des dotations, le Gouvernement a décidé de les stabiliser. (Protestations à droite)

Le président de la République, devant le congrès des maires en 2017, avait indiqué qu'il souhaitait une nouvelle étape de la décentralisation. (Murmures à droite) Il a prôné le droit à la différenciation, quoi de mieux que le droit à la différenciation pour permettre aux collectivités de se saisir des choses ? Nous étions nombreux à être convaincus qu'il fallait une pause sur les réformes territoriales, et le président de la République s'est déclaré ouvert au débat sur la loi NOTRe. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Des preuves d'amour, et non des déclarations : organisez une grande conférence territoriale et une grande conférence sociale après le grand débat national. Nous attendons une loi de décentralisation et le respect du Sénat, première assemblée désignée par la Constitution pour représenter les collectivités territoriales ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC, RDSE, Les Indépendants et SOCR)

Hausse des tarifs autoroutiers

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les Français regardent les sociétés d'autoroute avec suspicion, et pour cause ! Si la qualité du service est globalement élevée, les tarifs le sont aussi et cet oligopole pèche par un manque de transparence, depuis la privatisation très discutable de 2005. Les opérateurs prétendent ne pas gagner beaucoup d'argent et feraient presque pleurer alors qu'ils ne savent plus quoi inventer pour réclamer aux gouvernements successifs un allongement des concessions. L'État désargenté cède au mirage de travaux plus ou moins utiles réalisés par leurs filiales, contre quelques années de punition tarifaire supplémentaire pour les automobilistes.

Je préfère ne pas parler des turpitudes électoralistes d'une ministre du précédent quinquennat (Murmures sur divers bancs) qui conduisent à alourdir la facture des Français dès le 1er février, à l'heure où ils demandent plus de pouvoir d'achat ! Il est temps de clarifier la situation.

Les sociétés d'autoroute semblent vouloir faire un geste. Effort réel ou aumône presque insultante ? À quel niveau le Gouvernement est-il prêt à accepter leurs propositions et comment seront conduites les discussions ? Dans l'opacité ou en tenant compte de la situation financière réelle des sociétés d'autoroute ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Éliane Assassi.  - Il faut les renationaliser !

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Nous partageons globalement votre analyse. (Mme Éliane Assassi s'amuse.) Les règles qui régissent les tarifs des péages sont dans les contrats de concession. Cela ne date pas d'hier. Les premières concessions ont été créées par une loi de 1955.

En 2005, en effet, elles ont été privatisées en majorité, ce qui réduit à néant notre marge de négociation notamment en matière tarifaire. Une promesse démagogique de baisse des tarifs ayant été faite en 2015, nous la payons encore aujourd'hui. (On le confirme à droite ; Mme Sophie Taillé-Polian et plusieurs de ses collègues du groupe SOCR protestent vivement.)

Voix sur les bancs du groupe Les Républicains. - Où étiez-vous en 2015 ?

M. François de Rugy, ministre d'État.  - Élisabeth Borne négocie avec les sociétés d'autoroute pour obtenir néanmoins des améliorations tarifaires, via notamment des abonnements et des réductions pour les automobilistes qui utilisent les autoroutes tous les jours pour aller travailler.

Nous sommes totalement contre la prolongation de contrats que nous trouvons déjà trop avantageux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; Mme Éliane Assassi ironise.)

M. Vincent Delahaye.  - J'aurais aimé avoir une réponse sur ce qui paraissait raisonnable au Gouvernement. Nous disons stop à la rentabilité maximale et à la transparence minimale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et CRCE)

Trafic de drogue

M. Antoine Karam .  - Dimanche dernier, 19 kg de cocaïne ont été retrouvés dans les bagages d'une mère à l'aéroport de Cayenne. Tel est le quotidien des Guyanais ! (M. Antoine Karam brandit un journal de Guyane.)

En quelques années seulement, la Guyane est devenue un espace majeur de transit vers l'Europe. Entre 2014 et 2018, les saisies ont augmenté de 335 %, passant de 145 à 631 kg par an, 30 % du marché français proviendrait de la Guyane. Il y aurait 20 à 30 mules par avion, soit 3 000 personnes par an, dont seules 10 % sont interpellées. L'ennemi sans visage se cache derrière le destin tragique de ces mules. J'ai vu en plein vol une jeune femme mourir d'overdose sous les yeux de son fils.

Nos enfants sacrifient leur vie, faute de perspective et d'emploi dans la société. Je sais que les autorités sont mobilisées. Je vous le demande solennellement : le Gouvernement entend-il déployer un plan de lutte ambitieux contre le trafic de drogue en Guyane ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOCR)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Vous avez raison sur le constat : le département de la Guyane est devenu une porte d'entrée pour la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud et centrale, le trafic connaît une croissance exponentielle, des personnes risquent leur vie en incorporant la drogue pour l'acheminer.

Les ministres concernés se sont réunis et ont décidé de trois mesures : le renforcement des contrôles aux aéroports de Cayenne et d'Orly, accompagné par une hausse des effectifs ; l'augmentation des effectifs de la gendarmerie, de la police et des douanes chargés de la lutte contre le trafic de drogue en Guyane ; enfin, un plan global de lutte contre les trafics de stupéfiants qui renforce le partenariat avec les pays d'origine. Vous pouvez compter sur la mobilisation du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

Contrôle des demandeurs d'emploi

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le 30 décembre dernier, un décret pris en application de la prétendue « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », est venu renforcer le contrôle des chômeurs, avec l'idée que les Français les plus en difficulté, les plus fragiles, seraient responsables de leur exclusion. Ce décret entend responsabiliser « ceux qui déconnent » et « ceux qui n'ont pas le sens de l'effort », selon les termes choquants employés par le président de la République.

Dès le premier refus d'une offre, le demandeur d'emploi pourra être radié ; l'offre raisonnable est redéfinie, le salaire du précédant emploi n'entre plus en ligne de compte ; dès le premier manquement, l'allocation est « supprimée » et non plus « suspendue » ; enfin, un journal de bord numérique rend possible un contrôle en temps réel des chômeurs.

Les syndicats ont protesté contre ce caporalisme déshumanisé. Madame la ministre, on ne lutte pas contre le chômage en aggravant la précarité des exclus de l'emploi !

Les agents de Pôle emploi estiment que le climat de suspicion dénature leur travail, d'autant que vous avez supprimé 800 postes dans la dernière loi de finances.

N'est-il pas temps de modifier votre analyse de l'emploi, de privilégier enfin l'accompagnement, plutôt que la sanction, et de questionner non pas seulement l'employabilité des personnes, mais le nombre et la nature des emplois proposés par les entreprises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Quel est le sens du contrôle ? Il permet de s'assurer de l'équilibre entre les droits et les devoirs. Il est aussi l'occasion, et c'est un constat de terrain, de se remobiliser pour l'emploi. Sur les 300 000 contrôles aléatoires réalisés par Pôle emploi, 66 % des demandeurs cherchaient activement un emploi, mais 20 % étaient découragés après bien des démarches infructueuses - le contrôle a été l'occasion d'une remobilisation des personnes mais aussi des conseillers de Pôle emploi - et 14 % ne cherchaient pas d'emploi, alors qu'ils n'avaient pas de difficultés particulières de santé ou d'éloignement. Les contrôles précédents étaient injustes : une mère isolée refusant des horaires contradictoires avec ceux de la crèche de ses enfants pouvait être sanctionnée si elle refusait une offre raisonnable d'emploi, davantage qu'un cadre qui n'avait pas de difficultés pratiques d'organisation. Nous avons donc tenu compte de l'expérience de terrain pour bâtir un dispositif plus équitable qui fait intervenir des critères définis par le conseiller de Pôle emploi et le demandeur d'emploi pour apprécier les conditions dans lesquelles doit se dérouler la recherche d'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Nadine Grelet-Certenais.  - Avec cette logique technocratique, vous ajoutez de la culpabilité à la précarité ; c'est de très mauvais augure pour la réforme à venir sur l'assurance chômage. Vous parlez de droits et devoirs, mais qu'en est-il des fraudeurs fiscaux ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Politique fiscale

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs mois, le Gouvernement multiplie les atermoiements et les annonces et décisions contradictoires en matière fiscale - exit tax, CSG, charges sur les heures supplémentaires, impôts sur les successions, ISF, et j'en passe, à quoi le président de la République, devant des élus de Normandie, vient d'ajouter l'idée de revenir sur les 80 km/h... Monsieur le ministre de l'économie, quelle est donc la feuille de route du Gouvernement en matière de politique fiscale ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Notre feuille de route est claire : réduire les impôts pour les ménages et les entreprises. Vous connaissez ma position sur la taxe d'habitation : je souhaite la supprimer pour tous les contribuables, ce qui n'empêche pas d'en débattre. Je souhaite, de même, baisser la fiscalité du capital, parce que moins d'impôts sur le capital, c'est plus d'investissement, donc plus d'emplois. (Vives exclamations à gauche) C'est pourquoi, aussi, je suis contre le rétablissement de l'ISF et la suppression du prélèvement forfaitaire unique - vous êtes, comme moi, favorables à la ré-industrialisation de notre territoire, à l'investissement !

Mme Éliane Assassi.  - Cet argent ne va pas à l'emploi !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Cela ne sert qu'à spéculer !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Il faut baisser l'impôt sur la production, il n'a fait qu'augmenter depuis vingt ans, avec un résultat que nous déplorons tous, la désindustrialisation : c'est donc que nous n'étions pas sur la bonne voie ! Notre objectif, c'est donc de faire passer l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % d'ici 2022. Cela n'empêche pas de trouver de l'argent (Mme Éliane Assassi ironise.), notamment auprès de géants du numérique.

Mme Catherine Deroche.  - Hélas, certains de vos collègues du Gouvernement tiennent des propos différents.

Il est dommage que vous n'ayez pas écouté davantage les sénateurs, qui sont au plus près des territoires. Le tango permanent du Gouvernement sur les sujets fiscaux est anxiogène pour les Français. Comme le dit un économiste pourtant modéré, « La politique fiscale du Gouvernement, ce n'est plus une usine à gaz, c'est une vaste zone industrielle ! ». (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Retenue collinaire de Caussade

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) J'attire votre attention sur la création d'un lac collinaire à Caussade, dans le Lot-et-Garonne. Ce lac de moins d'un million de m3, fait espérer aux agriculteurs que de l'eau hivernale serait stockée pour irriguer les cultures en été et maintenir l'étiage du ruisseau en aval.

Mais la complexité des normes fait barrage aux porteurs du projet, ce qui a poussé des agriculteurs à commencer eux-mêmes l'ouvrage, ce que je déplore mais c'est une réalité. Attention à ne pas créer un nouveau Sivens avec des agriculteurs à la place des zadistes ! Il faut maintenir la paix sociale avec le monde agricole. Les agriculteurs sont à bout, il leur faut irriguer leurs cultures pour nourrir la population ; ils doivent faire face à des mutations très importantes.

Que comptez-vous faire sur le dossier de Caussade ? Le changement climatique est en marche. Les sécheresses seront de plus en plus importantes. Quand comptez-vous changer la loi sur l'eau pour répondre aux nouveaux enjeux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Oui, l'accès à l'eau est un enjeu clé des effets du dérèglement climatique, en particulier dans la grande région sud-ouest qui connaît chaque année des périodes de déficit en eau. Les acteurs locaux, les élus, les agriculteurs, les services de l'État réfléchissent très concrètement à la réforme de la politique de l'eau. Nous avons décidé, dans la deuxième phase des Assises de l'eau, de nous saisir de la question du stockage de l'eau.

Le projet de Caussade, cependant, n'a jamais apporté la preuve de sa compatibilité avec le schéma d'aménagement et de gestion des eaux et les directives européennes. J'ai donc demandé le retrait de l'arrêté préfectoral de juin 2018, pris contre l'avis du préfet de région - nous en avons tiré les conséquences sur la préfecture de département.

Les porteurs du projet ont commencé les travaux illégalement. J'ai demandé un constat en justice de l'illégalité des travaux, des astreintes financières sont possibles. Pour autant, nous devons trouver des solutions de stockage en eau, comme dans les Deux-Sèvres. Nous agirons à cet effet. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Liberté de la presse

M. Julien Bargeton .  - « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une, c'est attenter à l'autre. », disait Victor Hugo. En agressant les journalistes, en bloquant la diffusion des journaux, en appelant au viol d'une journaliste, c'est la République qu'on agresse.

Mais la France jamais ne banalisera le bâillon ! Dans le monde, des journalistes ont payé de leur vie cette liberté fondamentale, comme à Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. La meilleure façon d'honorer nos morts est de les défendre.

Comment le Gouvernement le fera-t-il ? Réprimera-t-il ceux qui menacent la liberté de la presse ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - La libre communication des pensées et des opinions est une des premières libertés de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; la presse est la vigie de notre démocratie.

Les journalistes doivent rendre des comptes, mais rien ne justifie les appels à la haine et à la violence. Il faut éduquer aux médias. Le Gouvernement a confié à Emmanuel Hoog une mission sur la déontologie. Nous devons aussi lutter contre les tentatives de manipulation de l'information, comme le prévoit la loi du 25 décembre. Il faut soutenir le modèle économique de la presse et prendre à bras-le-corps le problème de la distribution. Nous soutenons le redressement de Presstalis.

Il faut aussi défendre les parlementaires attaqués, les citoyens empêchés de circuler, les ministères envahis : c'est ce que nous faisons. La crise de la démocratie touche la presse et toutes les institutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

Avenir du Sénat et du CESE

Mme Muriel Jourda .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) « Je crois au bicamérisme, qui garantit une démocratie équilibrée. » Emmanuel Macron avait raison de le dire, lors de son discours au Congrès de juillet 2017. (On en convient et on applaudit sur les bancs du groupe LaREM.)

Pourtant, face à la crise sociale actuelle, qui n'est pas d'abord une crise institutionnelle, le président de la République introduit, dans sa lettre aux Français, la question de la transformation du Sénat. Monsieur le Premier ministre, quelles sont vos intentions envers le Sénat ? (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - (On se réjouit à droite que le Premier ministre réponde.) Vous citez le président de la République, mais j'ai également indiqué mon attachement au dialogue permanent entre deux assemblés qui tirent leur légitimité de deux modes différents de désignation, lors de mon premier discours au Sénat. Le bicamérisme est constitutif de l'équilibre démocratique. Il n'est, de ce fait, pas propre au génie français, puisqu'on le trouve dans bien d'autres démocraties. Je n'ai donc aucune difficulté à dire mon attachement au Sénat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Cela n'empêche pas une réflexion sur le fonctionnement du bicamérisme et sur la désignation de ceux qui siègent dans les assemblées. (On le conteste à droite.) Les gilets jaunes eux-mêmes s'interrogent sur la capacité du Sénat à représenter la population française.

M. Didier Mandelli.  - Et l'exécutif ?

M. David Assouline.  - Et l'Assemblée nationale ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Le président de la République a ouvert un chapitre sur la démocratie et la citoyenneté dans le cadre du grand débat.

M. Michel Savin.  - Non, il a parlé de notre assemblée !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Le président du Sénat a indiqué, lors d'une conférence de presse, que le président de la République s'était déclaré attaché au bicamérisme. Il n'y a donc pas de sujet d'inquiétude. C'est toujours vrai, mais il faut, par le débat, améliorer le fonctionnement du bicamérisme, de telle façon que nos concitoyens soient convaincus de toutes ses qualités. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. rôme Bignon applaudit également ; exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda.  - La réflexion a commencé dans les assemblées avant de se tenir sur les ronds-points. Le président de la République est garant des institutions (MRoger Karoutchi le confirme.), il doit résister à la tentation de les jeter en pâture aux mécontents ! (Applaudissements à droite et au centre)

Quand il répond aux Français, le président de la République s'inspire cependant des travaux du Sénat : sur le statut des élus, sur la loi NOTRe, sur les 80 km/h, sur un objectif chiffré en matière d'immigration, sur les casseurs...

M. le président.  - Concluez, la liste serait trop longue ! (Sourires)

Mme Muriel Jourda.  - Plutôt que de le réformer, il faudrait d'abord que l'exécutif change son regard sur le Sénat. (Applaudissements nourris sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Annonces fiscales

Mme Brigitte Micouleau .  - Depuis deux mois, de nombreux centres-villes sont l'objet de violences inacceptables en marge des manifestations des gilets jaunes. Des magasins sont dégradés, parfois pillés, les commerçants subissent un déclin de leur activité : le chiffre d'affaires affiche une diminution de 40 %, le chômage technique et les licenciements deviennent le quotidien de nos artisans et commerçants. Si rien n'est fait, les dépôts de bilan se multiplieront et les villes dépériront car sans commerces, pas de centres-villes.

Les collectivités territoriales leur viennent en aide. À Toulouse, un plan d'aide de plusieurs centaines de milliers d'euros est prévu, mais d'autres communes n'ont pas ces moyens. L'État doit prendre lui aussi ses responsabilités. Il faut exonérer les commerces touchés de charges sociales et de CFE pour décembre et janvier, reporter les révisions des valeurs locatives. Monsieur le ministre de l'économie, y êtes-vous prêt ? Entendez-vous le désespoir des artisans et des commerçants ? Il est urgent de leur venir en aide ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Je partage ce constat. Je l'ai dit il y a un mois : ces dégradations, ces pillages sont inacceptables, ils ont un impact catastrophique sur notre pays. Je le répète aujourd'hui. Toutes les activités sont touchées : les plus petits commerces, les grandes surfaces, l'hôtellerie-restauration, les secteurs du jouet, de l'alimentation, et de l'habillement, à une époque de fêtes alors que les ventes sont normalement élevées.

Avec Muriel Pénicaud, nous avons mis en place une cellule d'urgence pour alléger les charges des commerces les plus touchés. Nous avons demandé aux assureurs de répondre le plus rapidement possible, et nous faisons un bilan des violences et des manques à gagner économiques, pour connaître précisément l'impact des violences sur l'économie française. Ma porte et celle de Mme Pénicaud restent ouvertes pour travailler aux meilleures solutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

M. le président.  - Je salue la présence parmi nous de Mme Françoise Ramond, nouvelle sénatrice d'Eure-et-Loir. (Applaudissements sur tous les bancs)

La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 15.