Retrait britannique de l'Union européenne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le retrait britannique de l'Union européenne à la demande du groupe Les Républicains.

M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains .  - Dans les mois qui ont suivi son accession au poste de Premier ministre, Theresa May répétait que le « Brexit signifie le Brexit ». Alors que nous nous rapprochons de l'échéance du 29 mars, cette évidence n'est plus si évidente. Une seule certitude, le Brexit sera tout sauf une marche glorieuse vers la liberté et l'eldorado promis par certains ; il n'y aura que des perdants.

Le brouillard autour du retrait britannique s'épaissit, quand il avait semblé se dissiper avec la conclusion du projet d'accord de retrait en novembre dernier et la déclaration politique esquissant les grandes lignes des futures relations entre le Royaume-Uni et le continent.

Je salue l'action de Michel Barnier qui a su admirablement maintenir l'unité des 27. Son texte de projet d'accord n'est peut-être pas parfait, mais comment aurait-il pu l'être avec un gouvernement britannique prisonnier de ses contradictions ? Si certains l'ont jugé trop strict, il était le meilleur possible pour protéger les intérêts de l'Union européenne.

Comme l'on pouvait malheureusement s'y attendre depuis le 10 décembre et le report du meaningful vote, l'accord de retrait a fait l'objet d'un rejet massif, pris sous les feux croisés et les calculs politiques des hard Brexiters, des soft Brexiters et des Remainers.

Tous les scénarios restent ouverts, sauf peut-être celui d'élections générales anticipées car Theresa May, en dépit de son échec cuisant, a conservé hier soir la confiance de sa majorité.

Madame la ministre, au regard de la situation actuelle, certains États membres, lassés par ce feuilleton sans fin, pourraient-ils être tentés d'accéder à une demande de renégociation de l'accord de retrait ? Comment interpréter la déclaration d'Angela Merkel affirmant qu'il était encore temps de négocier ? Cette éventualité se limite-t-elle à la déclaration politique sur les relations futures ?

Theresa May a désormais trois jours, et non plus 21 jours, pour présenter sa feuille de route à la Chambre des communes qui pourra, au surplus, l'amender. Un report de l'échéance du 29 mars sera vraisemblablement nécessaire. Comment le concilier avec les élections européennes ?

Le dernier scénario, celui du no deal, auquel personne ne croyait, n'a jamais paru aussi plausible. Nos entreprises n'y sont pas préparées. Dans l'accord négocié, le Royaume-Uni devait assurer le paiement de sa contribution au budget de l'Union européenne pour 2019 et 2020 : respectivement 10 et 12 milliards d'euros. Quid en cas de no deal ?

En cas de sortie sèche, 45 ans d'acquis communautaires seraient effacés du jour au lendemain. Les conséquences seraient aussi innombrables qu'immédiates. Quel est l'état d'avancement des travaux de la Commission européenne sur ce sujet ? Qu'en sera-t-il des droits des ressortissants européens au Royaume-Uni ?

Quelle est la capacité des Européens et des Britanniques à retisser une relation solide, relation qui demeure essentielle pour relever les défis du XXIe siècle ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Avant-hier soir, la Chambre des communes s'est prononcée très largement contre le projet d'accord. C'est une très mauvaise nouvelle car cet accord, que M. Barnier avait négocié avec les Britanniques pendant deux ans, était le seul et le meilleur possible.

Ce texte assurait un retrait organisé du Royaume-Uni de l'Union européenne afin de limiter les conséquences sur les citoyens et les acteurs économiques. Les inquiétudes des parlementaires britanniques conservateurs portaient principalement sur le back stop, garantissant qu'aucune frontière dure ne serait rétablie entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord. Ce filet de sécurité avait pourtant vocation à n'être que temporaire, en attendant un accord ultérieur que l'Union européenne se disait prête à ouvrir dès que possible.

Il revient à Mme May, qui a remporté le vote sur la motion de censure hier, de préciser ses intentions. Elle le fera lundi prochain après d'intenses consultations parlementaires Si elle parvient à des avancées sur le fond, elle reprendra contact avec la partie européenne. Ce n'est pas à nous de dire aux Britanniques ce qu'il faut faire ; à nous, en revanche, de leur dire qu'ils doivent se dépêcher car le 29 mars, c'est demain.

Aucune option n'est exclue, y compris repousser la date du retrait. Toutefois, à quoi cela servirait-il si aucune avancée n'est faite ? Il serait, en outre, pour le moins baroque de procéder à l'élection de députés européens britanniques dans ces conditions... Notre porte reste grande ouverte mais à ce stade, c'est de la politique-fiction.

Le projet d'accord est le meilleur et le seul possible. Il ne peut être renégocié dans sa substance, le Conseil européen du 13 décembre l'a rappelé. Un Brexit sans accord, qui serait coûteux et, d'abord pour les Britanniques, serait toutefois préférable à un mauvais accord qui mettrait à mal le marché unique ou priverait l'Irlande du filet de sécurité. Nous devons donc nous y préparer.

C'est ce que fait la Commission depuis novembre 2018. Elle a publié deux communications sur ce sujet les 13 novembre et 19 décembre ainsi que seize propositions de textes législatifs. La France se prépare aussi avec le projet de loi que je vous ai présenté en novembre et que vous adopterez, je l'espère, définitivement tout à l'heure. Notre responsabilité est de tout faire pour préserver des conséquences douloureuses du Brexit les ressortissants français du Royaume-Uni et les Britanniques résidant en France, les entreprises françaises qui travaillent au Royaume-Uni et les entreprises britanniques installées en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et UC ; Mmes Fabienne Keller et Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent également.)

M. le président.  - Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.

Je vous rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente. Merci de respecter votre temps de parole.

Mme Colette Mélot .  - Le programme Erasmus, qui a fêté son trentième anniversaire, est l'un des plus grands succès de l'Union européenne, sinon son plus emblématique. Sans Erasmus, les étudiants britanniques seront pénalisés et les étudiants européens seront privés d'un passage dans les établissements britanniques très réputés.

Erasmus est ouvert à des pays hors Union européenne comme la Norvège, l'Islande et la Turquie. Le maintien dans ce réseau de la Grande-Bretagne sera une façon de renouer le lien entre les nouvelles générations du Royaume-Uni et de l'Union européenne, qui a été rompu sur la base de nombreux mensonges et manipulations politiques.

Nos étudiants pourront-ils continuer à bénéficier du programme Erasmus au Royaume-Uni dans des conditions similaires ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Nous devrons gérer les conséquences du retrait de la Grande-Bretagne de l'Union pour tous les étudiants. À court terme, les mobilités en cours se poursuivront dans les mêmes conditions : les étudiants français continueront de bénéficier des bourses versées par les universités françaises et la protection sociale française. À long terme, rien ne s'oppose à la conclusion d'un accord étendant au Royaume-Uni le programme Erasmus mais sans doute pas avant le Brexit. Les conditions de participation pour les États tiers sont un peu différentes de celle des États membres, la Commission préconisant à raison un équilibre financier.

Le Gouvernement britannique s'est engagé à offrir aux étudiants européens le même tarif qu'aux étudiants britanniques dès la rentrée 2019, mais pas au-delà de 2020.

Mme Colette Mélot.  - Je prends note de cette réponse. Il est évident que les universités seront soucieuses de nouer des accords mais nous devrons être vigilants sur les conditions.

M. Laurent Duplomb .  - Le rejet du projet d'accord nous fait craindre que le pire des scénarios se réalise : un Brexit dur. Il alourdirait la facture de 10 milliards d'euros, il mettrait à jour l'impréparation de l'administration française.

Les entreprises agroalimentaires françaises, qui commercent avec le Royaume-Uni depuis des décennies, sont inquiètes.

Une entreprise fromagère, la première pour le camembert et le bleu en Grande-Bretagne, se dit déjà impactée par la baisse de la livre sterling ; elle craint le rétablissement des barrières douanières et s'interroge sur le sort de ses employés français dans l'usine d'emballage qu'elle détient outre-manche. Une autre entreprise, qui importe 80 millions de litres de lait, serait désavantagée par des taxes à l'importation qui ne frapperaient pas ses concurrents.

Madame la ministre, que répondez-vous à ces entreprises à quelques jours du 29 mars ? Ce dossier, une fois de plus, démontre l'amateurisme du Gouvernement.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Je répondrai avec plus de courtoisie que la question m'a été posée... (M. André Gattolin applaudit.) Un mauvais accord qui porterait atteinte aux intérêts des Français et des entreprises françaises serait pire qu'une absence d'accord.

La Grande-Bretagne, que la sortie se fasse sans accord ou non, paiera la facture. C'est un engagement juridique qu'elle avait pris en tant que membre de l'Union européenne.

Impréparation ? Le Premier ministre a organisé la première réunion sur un Brexit sans accord dès avril. La France, avec l'Allemagne, s'est préparée à cette option. Tous les autres États membres sont à la traîne et cherchent à s'inspirer du projet de loi qui sera soumis à votre vote après ce débat.

En effet, toutes les entreprises ne sont pas prêtes, en particulier les PME peu habituées à traiter avec des pays tiers. Le risque de dévaluation de la livre ? Les entreprises y sont déjà exposées puisque la Grande-Bretagne n'est pas dans la zone euro.

Ce qui a été voté mardi n'est pas un Brexit sans accord. Reste beaucoup d'options. Un accord sur la relation future pourra intervenir par la suite. Quoi qu'il en soit, nous restons engagés pour défendre les intérêts de nos entreprises. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

M. Bernard Cazeau .  - La sortie effective du Royaume-Uni suscite beaucoup d'inquiétudes chez les 500 000 ressortissants britanniques résidant en France, plus de 10 000 en Dordogne, sans compter 230 000 touristes. Pour mon territoire, c'est près de 153 millions d'euros de retombées économiques.

La simplicité des démarches administratives est essentielle pour l'attractivité des départements de Nouvelle-Aquitaine et d'Occitanie et la viabilité de nos aéroports.

Le Gouvernement nous demandera de l'autoriser à prendre par ordonnances toutes mesures pour se préparer à un Brexit sans accord après ce débat. Quelles mesures concrètes seront prises pour garantir les droits fondamentaux des Britanniques sur notre territoire ?

M. André Gattolin.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Les Britanniques sont les bienvenus en France, hier comme aujourd'hui. Le site Brexit.gouv.fr répond à leurs questions. Les touristes britanniques sont 4 millions à venir en France chaque année. Il n'est pas question de rétablir un visa pour les courts séjours, à moins que les Britanniques ne le fassent pour nous mais il y a peu de risque.

Nous avons renforcé les effectifs pour assurer la fluidité des contrôles à l'entrée sur le territoire français. Nous souhaitons que les résidents britanniques actuels puissent bénéficier des mêmes droits qu'aujourd'hui. Ils auront un délai de grâce d'un an à partir du Brexit avant qu'on leur demande une carte de résident.

M. Bernard Cazeau.  - Merci, madame la ministre, de ces précisions. Je vais regarder avec attention les mesures que vous prendrez.

M. Éric Bocquet .  - Le rejet par le Parlement britannique nous rapproche d'un Brexit dur. De nombreux secteurs seront touchés, en particulier dans le département du Nord, les ports et la pêche.

Le trafic transmanche diminue à Dunkerque ; cette baisse s'accentuera sérieusement si nous ne réalisons pas les investissements nécessaires. Nous nous réjouissons de la constitution d'un parking de 200 places dédié à Dunkerque mais la France est loin derrière les investissements massifs du Royaume-Uni.

Les eaux britanniques sont très poissonneuses, les pêcheurs britanniques ont d'ailleurs soutenu le Brexit pour dire leur refus des quotas européens et de la concurrence des pêcheurs français. Pas moins de 75 % de la pêche de ma région se fait dans les eaux britanniques. Quelque 3 000 emplois pourraient disparaître.

Ports, pêche, ces deux dossiers seront-ils au coeur des discussions à venir ?

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Ces dossiers sont effectivement essentiels. En cas de Brexit sans accord, nous avons, puisque des contrôles seront rétablis, recruté près de 600 agents qui sont en cours de formation. Pour les infrastructures, environ 50 millions d'euros sont nécessaires pour répondre aux besoins, qui ont été identifiés par le coordonnateur national. Nous avons également examiné avec l'Union européenne dans quelle mesure les ports français pouvaient intégrer le corridor Mer du Nord-Méditerranée, auquel participent déjà Calais et Dunkerque. Cela devrait devenir le cas du Havre ; le Parlement européen a, de son côté, proposé d'élargir la liste à Caen, Roscoff et Saint-Malo, une position que nous soutenons évidemment. Il existe un reliquat de 67 millions d'euros sur le mécanisme européen d'interconnexion, il peut servir à financer les infrastructures à condition que les gestionnaires de ports candidatent.

Concernant la pêche, le projet d'accord prévoyait la conclusion d'un accord dès le premier semestre 2020. En cas d'absence d'accord, nous demanderons la négociation rapide d'un accord bilatéral de pêche avec le Royaume-Uni.

M. Jean-Marc Todeschini .  - Les inquiétudes sont nombreuses : sortir de l'Union européenne sans dégât est une illusion. Toutes les théories fumeuses se dissipent. Tout le monde est concerné par le risque d'une sortie sans accord : les entreprises, les expatriés, les consommateurs. Les populistes laissent les élus dans le chaos.

Avant le Brexit, nous défendions l'Union européenne comme garante de la paix. Nous continuerons, mais aussi concrètement contre les fausses promesses des populistes qui peuvent, nous le savons, gagner un référendum, à coups de fake news, de coups de menton et d'effets de manche.

Sommes-nous réellement prêts, madame la ministre, ou faudra-t-il une longue période de transition ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Le référendum de 2016 s'est déroulé après une campagne de désinformation. Mardi, au Parlement britannique, on l'a vu, la coalition opposée à un accord ne propose pas d'alternative.

Oui, l'Union européenne est menacée en son sein par des casseurs, issus de tous les pays, dont l'objectif unique est de la détruire, comme le confessait expressément Nigel Farage : « Mon premier objectif est de sortir de l'Union européenne, mon deuxième objectif de la détruire ».

Sans nous substituer à Mme May, dans le cadre des négociations avec son Parlement, nous ne pouvons que dire aux Britanniques de se dépêcher. On ne peut pas réinventer ce qui a été négocié après 17 mois de discussion avec l'Union européenne. Sortir de l'Union implique une relation en deçà de la relation étroite qui est celle d'un État membre ; hors de l'Union, ce sera forcément moins bien.

Oui, nous serons prêts en cas de Brexit sans accord.

M. Jean-Noël Guérini .  - Michel Barnier et Theresa May ont posé les bases d'un accord sèchement repoussé par le parlement britannique, révélant que la division issue du référendum de 2016 n'a fait que s'aggraver.

Tirons-en des leçons : cette situation est révélatrice de la fragilité de notre édifice européen. Est-il sérieux d'ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine dans cette situation ?

Soyons responsables et rappelons que l'Europe nous rapporte plus qu'elle nous coûte. La signature du traité d'Aix-la-Chapelle, sujet à des interprétations complotistes n'est-elle pas une réaffirmation bienvenue du couple franco-allemand ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Beaucoup de fausses informations ont circulé : la menace d'une invasion de millions de Turcs, une Europe insuffisamment libérale - un raisonnement qui résonne étrangement chez nous ! Reste que lorsqu'on a fait une omelette, il est difficile de séparer les oeufs... Les Britanniques, qui ont contribué à imbriquer davantage les économies européennes, en font l'expérience.

Je partage votre scepticisme sur l'élargissement. L'Union européenne a besoin de refondation pour faire face à des défis déjà immenses - n'y ajoutons pas un défi supplémentaire. Nous en reparlerons quand ces pays y seront prêts.

Oui, le traité d'Aix-la-Chapelle est une chance. Il prolongera le traité de l'Élysée entre la France et l'Allemagne et donnera au moteur franco-allemand, indispensable à l'Union européenne, une nouvelle énergie. (Mme Fabienne Keller applaudit.)

M. Jean Louis Masson .  - Je n'ai pas voté la ratification du traité de Lisbonne car c'est la moindre des choses de respecter, quand on est démocrate, le résultat d'un référendum.

Nous assistons à un affrontement entre l'Europe des Nations et l'Europe supranationale de la chienlit. Ceux qui se goinfrent de mots comme « démocratie » traitent ceux qui ne pensent pas comme eux de menteurs et de malhonnêtes alors que ce sont eux qui sont malhonnêtes en refusant d'appliquer le résultat d'un référendum. Ils ont tout fait pour torpiller l'accord avec la Grande-Bretagne, en imposant aux Britanniques une frontière à l'intérieur de son territoire national : je comprends qu'ils le refusent !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Insupportable !

M. Bruno Sido.  - Tout ce qui est excessif est insignifiant.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Rassurez-vous : j'utiliserai un autre ton pour répondre à cette interpellation.

Je respecte tellement le résultat du référendum sur le Brexit que cela fait 17 mois que je passe le tiers de mon temps à travailler à ses conséquences.

La solution sur l'Irlande, c'est le Royaume-Uni qui l'a demandée !

L'insularité, le retard à décider, nous le subissons, il faut le dire. Il n'existe que trois solutions : un retrait ordonné grâce à un accord, un retrait brutal sans accord ou une absence de retrait. Le Parlement britannique doit rapidement se décider. (Mme Fabienne Keller applaudit.)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Toutes les solutions n'ont pas été trouvées concernant l'approvisionnement de certains médicaments stratégiques fabriqués au Royaume-Uni. Certains remèdes contre le cancer de la prostate et le cancer du sein pourraient manquer à plus de 70 000 patients. Quelles procédures d'urgence sont envisagées ?

En cas de no deal, le Gouvernement envisage-t-il des dérogations aux règles d'urbanisme pour les infrastructures à la frontière ? Le sujet est important, en particulier pour les mesures de compensation environnementale.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Il sera plus compliqué pour le Royaume-Uni, devenu État tiers, d'assurer son approvisionnement en médicaments que pour l'Union européenne. L'important, c'est d'assurer la fluidité du trafic transmanche, d'où les investissements dans les infrastructures et le recrutement d'agents. L'agence européenne du médicament a fait son travail : de nombreuses autorisations de mise sur le marché ont été transférées à des États membres. La procédure n'est pas achevée pour huit médicaments, dont aucun n'est critique. Le ministère de la Santé demandera aux industriels de constituer des stocks si nécessaire.

Dans le projet de loi d'habilitation, nous demandons des dérogations, notamment en matière d'urbanisme pour construire temporairement des structures de contrôle.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Il y aura problème : les règles en matière de compensation environnementale s'inscrivent dans la durée, même si le bâti est temporaire !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - En tant qu'élue des Français du Royaume-Uni et d'Irlande depuis trente ans, épouse d'un Britannique depuis 35 ans, je pense aux 300 000 Britanniques résidant en France, qui vivent dans l'angoisse d'un Brexit sans accord, comme aux Français du Royaume-Uni, dont le nombre est équivalent.

Madame la ministre, vous nous avez rassurés, au sein du comité de suivi créé à l'initiative des présidents Bizet et Cambon, en indiquant que la France appliquerait le principe de réciprocité. Je souhaite un geste fort de la France envers les Britanniques, qui apportent tant à notre pays.

Parlementaire pragmatique et concrète, je sais que le principe de réciprocité ne réglera pas toutes les situations. Aussi ai-je proposé un comité de suivi franco-britannique constitué de parlementaires et de responsables de la société civile. Qu'en pensez-vous ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Je connais votre attachement à ces ressortissants ; nous le partageons. Ce projet de loi d'habilitation vise à les rassurer.

Commençons par laisser une chance à la ratification de l'accord de retrait car il apporte les meilleures garanties pour les ressortissants européens au Royaume-Uni. Le débat doit avoir lieu entre les négociateurs européens et les autorités britanniques : si nous comptons 300 000 ressortissants français au Royaume-Uni, les Polonais sont un million. Unis, nous sommes plus forts.

En cas d'échec, je recommande de prendre unilatéralement des mesures nationales, sans négocier avec les Britanniques. Si l'on laissait penser que l'on obtiendra la même chose en négociant individuellement avec les 27 États membres, quel intérêt y aurait-il à l'accord de retrait ? Tout le château de cartes s'effondrerait !

Si le Royaume-Uni sort sans accord de l'Union européenne, les questions non résolues seront traitées par des négociations bilatérales, dans un deuxième temps. Je serai alors heureuse d'élargir le dialogue à d'autres acteurs.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Le vote du 15 janvier prolonge l'incertitude sur le Brexit. La France et l'Union européenne se préparent afin d'atténuer les conséquences immédiates d'un Brexit sans accord le 29 mars 2019.

Pour les ressortissants français résidant au Royaume-Uni, l'accord garantissait certains droits jusqu'en 2020 - même si de nombreuses questions n'étaient pas résolues, par exemple sur l'enregistrement obligatoire des ressortissants européens ou l'extinction des compétences de la Cour de justice de l'Union européenne à leur égard.

En cas d'échec de la négociation, les droits ne sont garantis aux résidents britanniques dans l'Union européenne que sous réserve de réciprocité. Quelles avancées sont envisageables ? Sur quels scénarii travaillez-vous ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Le scénario de l'accord de retrait est connu. C'est un ensemble : il n'y a pas de protocole séparé sur les citoyens car cela aurait empêché de se mettre d'accord sur le reste.

Le Gouvernement britannique a publié en décembre un papier sur les droits des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni en cas d'absence d'accord : statut de résident permanent dans les mêmes conditions que celles prévues par l'accord, possibilité de quitter le Royaume-Uni pendant cinq ans puis de revenir, maintien des prestations sociales dans les mêmes conditions que les Britanniques, reconnaissance des qualifications professionnelles, etc.

Certaines dispositions, sur la possibilité de faire venir des membres de sa famille notamment, sont toutefois moins favorables : le regroupement familial sera possible jusqu'au 29 mars 2022 si le lien familial existait au 29 mars 2019.

Je me rendrai en février au Royaume-Uni pour rencontrer la communauté française et demander aux autorités britanniques la confirmation de ces garanties.

M. Olivier Cadic .  - Je vis au Royaume-Uni et je reste convaincu, à J-71, que le bon sens prévaudra : si le Brexit ne veut rien dire, il ne doit pas avoir lieu !

Mais un Brexit sans accord reste possible. Les trois millions d'Européens au Royaume-Uni et les deux millions de Britanniques en Europe ressentent l'appel du gouffre. Désespérance, xénophobie ambiante, drames humains, familles risquant de voler en éclats : le Brexit a déjà un coût humain déplorable.

Les garanties proposées aux Britanniques résidant en France font honneur à notre pays. Gina Miller, présidente de l'association Best for Britain, nous dit que les parlementaires britanniques discuteraient de l'hypothèse d'un accord à la norvégienne. Est-ce encore envisageable ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Il est difficile de prédire l'avenir dans un contexte politique britannique de division et de confusion. Theresa May a obtenu la confiance de sa majorité et s'est engagée à présenter lundi un nouveau projet.

Différents types d'accord existent selon les États tiers : modèles norvégien, turc, suisse, ukrainien, canadien...

Attendons de voir si les Britanniques reviennent vers nous avec une proposition appuyée par une majorité. Si le Royaume-Uni change sa position, nous rouvrirons la discussion. Nous veillerons, quoi qu'il en soit, au maintien de nos lignes directrices : intégrité du marché unique, indivisibilité des quatre libertés, équilibre des droits et obligations.

M. Yves Bouloux .  - Hier, le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans citait C.S. Lewis devant le Parlement européen : « Nous ne pouvons pas revenir en arrière et changer le début, mais nous pouvons changer la fin ».

Aucun scénario ne changera le fait que le Royaume-Uni ne pourra, après le 29 mars, être considéré comme un pays tiers ordinaire, même en l'absence d'accord. Le Royaume-Uni est la sixième puissance économique mondiale, le troisième pays européen en termes de population, le premier excédent commercial de la France dans l'Union.

La France et le Royaume-Uni ont ouvert une nouvelle ère de défense depuis les accords de Lancaster House en 2010. Avec le Brexit, la France a une responsabilité particulière dans ce domaine au sein de l'Union européenne et dans le monde.

Hors du cadre européen, quelles relations le Gouvernement projette-t-il d'entretenir avec le Royaume-Uni à moyen et long termes ?

Le statut de l'anglais comme langue de l'Union va aussi évoluer. Allez-vous mettre en place une stratégie de promotion du français dans le cadre de l'Union européenne et de ses institutions, et au-delà ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - En l'absence d'accord, il faudra bien sûr négocier un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni. Le président de la République a réaffirmé, à Sandhurst, l'intensité de nos liens bilatéraux, notamment dans le domaine de la défense. Nous sommes les deux pays européens capables de projeter des forces militaires sur tous les fronts. Nous l'avons fait en Syrie. Nous maintiendrons également nos liens en matière de recherche et d'enseignement supérieur.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Je reviens d'une mission en Irlande. Le vote du Parlement britannique nous place dans une situation inédite et redoutée mais le Brexit est aussi l'occasion pour nous de développer de nouveaux partenariats avec l'Irlande, par exemple en ouvrant de nouvelles routes maritimes.

La résolution du Sénat de novembre dernier sur les corridors maritimes, sur le rapport de MM. Marie, Allizard et Rapin, soulignait que la Commission européenne n'avait pas anticipé les conséquences du Brexit sur le fret maritime. Or 80 % des flux de marchandises à destination de la République d'Irlande transitent par le Royaume-Uni !

Tout incite à ouvrir de nouvelles routes maritimes et éviter que la République d'Irlande ne soit victime du chaos annoncé en matière douanière. Nous pourrions ainsi envisager, lors de l'aménagement de nos ports, des couloirs dédiés aux camions en direction ou en provenance d'Irlande.

Vous avez déjà ouvert un dialogue avec le gouvernement irlandais en octobre. Quelle en sera la suite ? Allons-nous soutenir leur demande d'aide financière ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Le sujet est bien identifié et fait l'objet d'un dialogue régulier avec l'Irlande, qui s'inquiète d'une éventuelle frontière physique avec l'Ulster. Notons que les conséquences ne sont pas toutes négatives, et que des entreprises installées au Royaume-Uni ont fait le choix de s'installer en Irlande...

S'agissant des corridors maritimes, la Commission européenne, mal inspirée, imaginait d'abord ne rien changer et ne s'intéressait qu'aux ports belges et néerlandais. Or l'essentiel du trafic passe par le Royaume-Uni via Douvres et Calais !

Nous avons protesté véhémentement : Calais, Dunkerque et Le Havre sont réintégrés au corridor, d'autres ports français suivront.

Enfin, il est tout à fait envisageable que les camions irlandais arrivant du Royaume-Uni bénéficient de facilités à l'arrivée dans nos ports, avec une file réservée.

M. Ronan Le Gleut .  - Le Brexit pose aussi une question de sécurité. Les capacités militaires britanniques représentent entre 25 et 30 % des capacités européennes. Peut-on vraiment s'en passer ?

La coopération entre Bruxelles et Londres sur les questions de sécurité et de défense doit être aussi étroite que possible.

Le livre blanc britannique publié en juillet 2018 propose que le Royaume-Uni participe à des réunions informelles ad hoc du Comité politique et de sécurité (COPS) et du Conseil des affaires étrangères, soit des organes décisionnels européens : les 27 ont refusé fermement.

Après le Brexit, cette position sera-t-elle maintenue ? Quid de l'Europe de la défense ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Les Britanniques sont effectivement un partenaire important en matière de défense et de sécurité. Pouvons-nous nous passer d'eux ? Je retourne la question : peuvent-ils se passer de nous ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Nos forces sont engagées ensemble dans les pays baltes, mais sous commandement de l'OTAN et au Sahel, mais dans le cadre de coopérations bilatérales. Les Britanniques se prennent aujourd'hui d'une affection nouvelle pour cette Europe de la défense qui commence enfin à voir le jour - dont ils se désintéressaient jusqu'ici - et proposent de participer à des réunions informelles selon le principe : « have your cake and eat it ». C'est impossible. La préservation de l'autonomie de décision de l'Union européenne est un principe intangible.

Rien n'empêche toutefois de travailler avec les Britanniques dans le cadre de l'OTAN et au plan bilatéral, notamment sur l'évaluation de la menace et l'instauration d'une culture stratégique commune.

M. Ronan Le Gleut.  - « L'Europe forme un tout stratégique » disait Charles de Gaulle le 17 juillet 1961. « Ou bien l'Europe défendra elle-même son territoire, ou bien il n'y aura pas pour l'Europe de défense qui tienne. L'OTAN, ce n'est pas la défense de l'Europe par l'Europe, c'est la défense de l'Europe par les Américains. Il faut d'abord une Europe qui ait sa défense.» (M. Sébastien Meurant applaudit.)

Mme Fabienne Keller .  - Nous sommes en pleine incertitude, sous le choc de l'ampleur du résultat du vote de mardi. Il semble difficile que Mme May renégocie avec les 27 et peu probable qu'elle renonce à mettre en oeuvre le Brexit.

La menace du no deal se précise donc. Vous nous préparez depuis des mois à cette hypothèse aux conséquences potentiellement graves, pour le Royaume-Uni comme pour l'Union européenne et la France.

Grâce aux efforts de Michel Barnier, les 27 sont restés unis, mais il faudra veiller à conserver une relation de qualité et un dialogue avec les Britanniques en évitant tout punishment.

Comment préserver à la fois cette relation et la cohésion des États membres ? Comment éviter une rupture trop brutale ? Un délai supplémentaire est-il envisageable ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Les relations avec un État tiers seront toujours moins fructueuses qu'entre États membres de l'Union.

Comment préserver notre relation avec le Royaume-Uni sans mettre à mal la cohésion des 27 ? C'est tout le travail d'orfèvre qu'a mené Michel Barnier, qui a conduit à l'accord de retrait.

Je vois dans la réaction du parlement britannique l'effet de souffle du référendum de 2016. Les Communes ont peu parlé des conditions de retrait, mais surtout de la question irlandaise - alors que l'accord reprend la position britannique...

Difficile de trouver un chemin entre hard Brexiters - pour lesquels le retour des droits de douane sur le cognac n'est pas bien grave puisque l'on trouve du brandy canadien  - et les autres...

Le meilleur équilibre est dans l'accord de retrait, qui ne peut être renégocié. Le report de la date de retrait, actuellement au 29 mars, est possible techniquement et juridiquement à condition que le Gouvernement britannique le demande - ce qu'il n'a jamais fait jusqu'à présent - et que l'unanimité des États membres l'accepte. Or cela suppose une voie de sortie, un calendrier et un objectif... Un report, mais pour combien de temps, et surtout, pour quoi faire ? (Mme Fabienne Keller applaudit.)

M. Sébastien Meurant .  - « L'Angleterre toujours sera soeur de la France», disait Victor Hugo. Bientôt, les ponts seront coupés, et l'on se dirige vers un no deal historique. La France est en première ligne pour amortir le choc frontalier. La sortie sans accord aura des conséquences sur la sécurité autour des ports et du tunnel ; le préfet des Hauts-de-France craint pour l'ordre public, alors que nos forces de sécurité sont épuisées, comme le rappelle le rapport de François Grosdidier.

Se pose aussi la question des flux migratoires entre le Royaume-Uni et la France. Nos effectifs douaniers seront-ils prêts à temps ? Le Gouvernement prévoit-il des moyens suffisants pour lutter contre les désordres et les filières mafieuses qui chercheront à profiter des embouteillages et des difficultés à venir ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - La sécurité de nos infrastructures est essentielle ; nous sommes le point d'entrée principal dans l'Union européenne des Britanniques. Une réunion s'est tenue ce matin autour du Premier ministre avec les trois préfets de région concernés.

Gérald Darmanin l'a dit lors du projet de loi de finances : 700 douaniers supplémentaires seront recrutés, dont 500 dès à présent. Le système d'information des douanes sera modernisé. Nous faisons de ce défi une opportunité pour avancer !

Des aires de stationnement sont prévues pour séparer les camions en provenance et à destination du Royaume-Uni, qui seront un point de fixation pour le trafic de migrants. En matière de lutte contre les réseaux, la coopération bilatérale avec les Britanniques fonctionne à plein et a vocation à se développer. Au sein de l'Union européenne, nos efforts de mise en réseau sont multipliés, jusque dans les sanctions contre les trafiquants. Nous ne laisserons se créer aucun abcès de fixation.

M. Sébastien Meurant.  - Merci. Le Calaisis connait déjà les difficultés liées aux flux migratoires...

Le Royaume-Uni est le seul pays avec lequel nous connaissons un excédent commercial. Maintenons-le ! En outre, des dizaines de milliers de malades prennent des médicaments qui proviennent du Royaume-Uni. Assurons-leur un bon approvisionnement.

M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains .  - Le scénario tant redouté arrive : nous rentrons en terre inconnue, même si nous pouvions nous y attendre. Même si la France et l'Union européenne avaient pris les précautions indispensables, nous espérions tous ne pas avoir à les utiliser.

Plusieurs secteurs économiques seront touchés de plein fouet, avec des défis logistiques dus aux formalités douanières et des tarifs douaniers qui risquent d'être élevés, notamment dans le secteur automobile. Les règles de l'OMC s'appliqueront.

Une fermeture des eaux britanniques provoquerait une perte de 50 % des recettes de la pêche européenne.

Certes, nous devons maintenir des liens étroits, notamment dans les domaines de la recherche, de la sécurité et de la défense.

Comment trouver une solution acceptable pour tous sur la frontière irlandaise ? On dit souvent que l'Union européenne est un facilitateur de paix. En 1998, elle a été, avec les États-Unis, le parrain de l'accord du Vendredi Saint qui a mis fin à la guerre civile.

Un point positif : l'unité sans faille de l'Union européenne des 27. Nul n'est parvenu à ébranler sa solidarité, grâce au talent et à la patience du négociateur en chef, Michel Barnier, et à la clarté des principes de base de la négociation.

Le vote de mardi est un revers pour tout le monde. Désormais, aux Britanniques d'inventer un plan B. Pendant deux ans, ils n'ont pas beaucoup réfléchi, et rien écrit ; il leur reste trois jours pour le faire. Un report du calendrier est possible mais pas pour n'importe quoi.

La Commission européenne et les 27 devront continuer à travailler à la refondation de l'Union européenne d'ici le Conseil de mai. Notre groupe de suivi, qui n'a jamais dissocié cet enjeu de celui du Brexit, poursuivra ses travaux avec une ambition intacte et un sentiment renouvelé d'urgence. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM et RDSE)