Projet de programme de stabilité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le projet de programme de stabilité, à la demande de la commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Le 10 avril, le Conseil des ministres a adopté le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui doit être transmis à la Commission européenne avant le 30 avril.

L'importance de ce document, qui présente la trajectoire budgétaire du pays et s'accompagne d'un programme national de réforme (PNR), justifie que la commission des finances ait souhaité un débat en séance publique, que le Gouvernement n'avait pas inscrit à l'ordre du jour.

Ce programme de stabilité présente une double particularité : il offre l'occasion d'une mise à jour de la trajectoire au regard des mesures annoncées en décembre pour répondre aux préoccupations des gilets jaunes, mais il a été établi indépendamment des conclusions tirées du grand débat national qui auront un fort impact sur la trajectoire.

Comme le Haut Conseil des finances publiques, nous pensons que la trajectoire macroéconomique retenue pour 2019-2020 est réaliste, avec une demande extérieure ralentie mais une demande intérieure qui reste dynamique, auxquelles il faut ajouter un effet base 2018 défavorable. Pour 2021 et 2022, la trajectoire a été revue à la baisse - une première depuis le début du quinquennat. Il n'est plus question d'une phase de légère surchauffe à la fin du quinquennat et la croissance effective, à 1,4 %, resterait très proche de la croissance potentielle.

Le Gouvernement a bénéficié d'une élasticité des recettes supérieure à 1, fait très atypique. Raisonnablement, le Gouvernement prévoit le retour à une élasticité unitaire.

Concernant la remontée des taux d'intérêt, le scénario retenu, d'une remontée de 75 points de base par an, nous semble en revanche très conservateur. Certes, la prudence peut se justifier, mais la prévision de charge de la dette ne saurait constituer une « réserve de budgétisation » cachée.

La trajectoire budgétaire est significativement dégradée. Certes, l'exécution 2018 a été plus favorable qu'escompté, avec un effet de base positif de 0,1 point. Mais la dégradation de la perspective de croissance pèse pour 0,5 point de PIB, à laquelle s'ajoutent évidemment les mesures annoncées en décembre, qui coûteront 7,4 milliards d'euros en 2019 - soit 0,3 point de PIB - et 12,9 milliards en 2022 - soit 0,5 point de PIB.

La trajectoire de réduction du déficit public est donc remise en cause, à hauteur de 0,9 point de PIB en 2022. Certes, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB se réduirait davantage qu'escompté, mais elle resterait toutefois supérieure d'1,7 point à ce qu'elle était avant la crise. Le quinquennat Macron aura tout juste effacé les excès du quinquennat Hollande !

Bien sûr, il fallait répondre à la crise des gilets jaunes. Le Sénat a d'ailleurs voté le premier le gel de la trajectoire carbone. Mais il fallait le compenser par une plus grande maîtrise de la dépense publique. Nous venons d'en débattre en commission : ce nouveau report du redressement des comptes fragilise notre crédibilité.

On pouvait comprendre que la France choisisse, après la crise financière, un redressement progressif, mais à condition qu'elle fasse un effort significatif une fois l'économie revenue à son niveau potentiel.

Or, malgré un contexte favorable, le Gouvernement a préféré reporter l'effort en fin de quinquennat. Ce choix nourrira la divergence de notre trajectoire d'endettement avec celle de la zone euro, nous rendant plus vulnérables aux chocs et nous exposant à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés.

Ainsi, aussi peu ambitieuse soit-elle, cette trajectoire reste sujette à caution. Il est rare de concentrer les économies sur la dernière année d'un quinquennat : cela me semble irréaliste l'année précédant une élection présidentielle...

De plus, le Parlement n'est pas en mesure de juger de la crédibilité des engagements pris, compte tenu des incertitudes : les économies d'1,5 milliard d'euros pour financer en partie les réponses aux gilets jaunes ne sont pas précisées, alors qu'il faudra déjà compenser le retard de la « contemporanéisation » des aides au logement et des nouvelles règles d'indemnisation du chômage.

Sans compter que le contexte macroéconomique pourrait être encore dégradé. Vous trouverez dans le rapport deux scénarios alternatifs que j'ai retenus.

Enfin, ce programme de stabilité a été établi « indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national ». Ainsi, la baisse de l'impôt sur le revenu - 5 milliards d'euros - la réindexation partielle des pensions en 2020 - 1,4 milliard - le renoncement total ou partiel aux suppressions de 120 000 postes de fonctionnaires - 3 milliards d'euros - le plancher à 1 000 euros des pensions pour les carrières complètes dans le privé - 150 millions d'euros - ne sont pas pris en compte. Cela pourrait aller jusqu'à 0,4 point de PIB. Ce projet apparaît donc plus que jamais déconnecté des arbitrages budgétaires. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ?

Il ne serait pas acceptable de financer une nouvelle fois les annonces présidentielles par de l'endettement. J'espère que les finances publiques ne sont pas sacrifiées une fois de plus, mais j'en doute. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - Notre commission a voulu ce débat en séance, car la programmation des finances publiques engage notre crédibilité à l'égard de nos partenaires, et cela à la veille du renouvellement des institutions communautaires. Le Parlement ne peut en être tenu à l'écart.

Mais ce débat, pour nécessaire qu'il soit, nous laissera sur notre faim puisque « ce programme de stabilité a été établi indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du Grand débat national et constitue le point de référence technique » préalable aux décisions qui seront prises en matière de fiscalité ou de dépense publique - c'est singulier, mais les ministres attendaient les arbitrages présidentiels... Ceux-ci ont été annoncés jeudi dernier : engagement général de ne pas augmenter l'impôt, réduction de l'impôt sur le revenu, suppression des niches fiscales pour les entreprises, nécessité de travailler plus et réduction de la dépense publique - sans plus de précision !

Les arbitrages sur la fiscalité énergétique sont renvoyés à la convention citoyenne installée en juin.

Selon le Gouvernement, les baisses d'impôt sur le revenu concerneront 15 millions de foyers et coûteront 5 milliards d'euros, mais nous n'en connaissons pas les contreparties. Le président refuse de revenir sur la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), dont l'évaluation est renvoyée à 2020. Avec le rapporteur général, nous conduisons des travaux d'évaluation de cette réforme et de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui aboutiront avant l'examen de la prochaine loi de finances.

Le président de la République pense que « nous pouvons faire aussi bien en dépensant moins et donc supprimer nombre d'organismes inutiles » ; mais à part l'ENA, qui n'est pas supprimée pour des raisons de coût, il ne fait qu'en créer de nouveaux, comme la Convention citoyenne ou le Conseil de défense écologique !

En réalité, la trajectoire budgétaire est dégradée, certes en raison du ralentissement de l'économie mondiale, mais surtout du surcoût lié à la crise des gilets jaunes, qui pèse sur les comptes publics à hauteur d'une dizaine de milliards d'euros.

Le solde budgétaire, qui devait devenir excédentaire en 2022, serait déficitaire à 1,2 % du PIB ; la dette publique serait de 96,8 % et non de 89,2 % ; le taux de prélèvements obligatoires serait de 44 % du PIB en 2022, comme en 2019, avec un rebond en 2020 et 2021. Les baisses d'impôts se poursuivraient - suppression de la taxe foncière et taux de l'impôt sur les sociétés à 25 % - mais le taux de prélèvements obligatoires ne diminuerait pas... Étonnant, à moins que la trajectoire fiscale ne soit déjà obsolète. Surtout, il n'y a rien sur le financement de ces mesures.

La dépense publique est censée passer de 54 % du PIB en 2019 à 52,3 % du PIB en 2022, mais le président de la République n'a rien annoncé de concret. La réforme de l'audiovisuel public n'est pas encore faite, la révision des pensions semble remise en cause par la réindexation partielle en 2020 et la fin des sous-indexations en 2021.

Le déficit de l'État restera élevé sur tout le quinquennat. Le Gouvernement s'en remet aux collectivités territoriales pour redresser la barre. Cela appelle à la vigilance, notamment sur les promesses de baisse d'impôts non financées. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains)

M. René-Paul Savary, vice-président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales .  - Je m'exprime à la place de Jean-Marie Vanlerenberghe, retenu sur son territoire.

Il y a un an, la trajectoire des comptes publics pouvait sembler prometteuse : prévision de croissance de 1,9 % pour 2019, déficit de 2,3 % du PIB, excédent en 2022.

Mais un an en politique, comme en prévision économique, vaut un siècle ! La prévision de croissance est passée à 1,4 %. Le déficit public dépasse la barre de 3 % du PIB en 2019 avant de diminuer jusqu'à 2022.

La contribution des comptes sociaux restera positive, s'accroissant même en fin de période. Le solde des administrations de sécurité sociale (ASSO) augmenterait ainsi de 0,5 % du PIB en 2019, de 0,8 % en 2020 avant d'atteindre 1 % du PIB en 2021 et 1,2 % en 2022. Ces chiffres ressemblent à une bonne surprise, mais les documents dont dispose le Parlement ne précisent pas la contribution des différents types d'ASSO. Or la situation financière se dégrade, avec des prévisions de recettes moins favorables et l'effet des mesures de la loi du 24 décembre 2018.

Le fonds de solidarité vieillesse (FSV) devait revenir à l'équilibre, mais l'objectif ne sera pas atteint cette année. De plus, certaines prévisions surprennent. Ainsi, les dépenses des ASSO ne progresseraient que de 1,5 % en 2020, alors que les retraites seront réindexées et qu'aucune mesure structurelle n'est prise, pas plus que l'on n'évoque une diminution de l'Ondam. J'espère que ce débat nous permettra d'y voir plus clair, mais cela me semble très optimiste...

Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales vous pose trois questions précises.

Les mesures de la loi du 24 décembre 2018 seront-elles compensées par l'État à la sécurité sociale ?

La nouvelle trajectoire financière est-elle compatible avec l'extinction de la dette sociale prévue pour 2024, avec moins de 100 milliards d'euros à financer et quelque 25 milliards d'euros de l'Acoss restant à rembourser ? Les coupes dans les flux de TVA en direction de la sécurité sociale, que nous avions dénoncées à l'automne dernier, parce qu'elles sont prématurées, voire irréalistes, sont-elles toujours d'actualité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean-Claude Requier applaudit aussi.)

M. Didier Rambaud .  - (M. Roger Karoutchi applaudit ; marques de perplexité sur certains bancs des groupes Les Républicains et SOCR) Le 10 avril...

M. Roger Karoutchi.  - Mieux vaut applaudir avant qu'après ! (Sourires)

M. Didier Rambaud.  - ... le Gouvernement a présenté le programme de stabilité de la France. Deux ans après le changement de majorité et le début du travail du Gouvernement, il donne un état précis de la situation financière de la France. Le déficit a été réduit d'un point de PIB en deux ans, atteignant son niveau le plus bas depuis 2006. La dette publique est stabilisée à 98,4 % du PIB en intégrant la dette de SNCF Réseau qui représente 1,7 point de PIB.

La dépense publique a décru de 0,4 point à 54,4 %, tendance inédite depuis des décennies. Les baisses de prélèvements obligatoires ont atteint un niveau sans précédent : ainsi, 32 milliards d'euros de baisse d'impôts ont déjà été engagés par le Gouvernement et la majorité ; 16 milliards sont déjà intervenus depuis le début de la législature, 11 milliards au profit des ménages ; 5,2 milliards au profit des entreprises. La suppression totale de la taxe d'habitation et la baisse du taux d'impôt sur les sociétés représenteront 16 autres milliards.

Rappelons-nous les événements politiques et juridiques des deux dernières années : le Gouvernement a dû gérer la censure du Conseil constitutionnel sur la contribution de 3 % sur les dividendes distribués...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Ah oui ! Le Sénat l'avait dit !

M. Didier Rambaud.  - Il a fallu « sincériser » les sous-budgétisations régulièrement pratiquées par le gouvernement précédent et critiquées par la Cour des Comptes...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Certes !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Il y a lieu de le rappeler, en effet !

M. Didier Rambaud.  - La réduction du ratio des dépenses publiques, même moins prononcée que prévu en loi de programmation, est satisfaisante...

Tout cela doit être lu au regard de l'actualité, qui nous a rattrapés avec force, à l'automne dernier, lorsque les Français ont exprimé leur insatisfaction, réclamant une baisse de la pression fiscale...

M. Philippe Dallier.  - Eh oui !

M. Didier Rambaud.  - Le président de la République a annoncé une baisse de 5 milliards d'euros d'impôts sur le revenu pour les classes moyennes, soit 15 millions de foyers. Votée en loi de finances pour 2020, elle sera effective dès le 1er janvier.

Les Français souhaitent plus de services publics de proximité. Le président de la République a annoncé le gel des fermetures d'écoles et d'hôpitaux. Il a su répondre à la colère sourde, au sentiment d'abandon et de déclassement de nos territoires. Il a sans ambiguïté revu l'objectif de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires, alors que la majorité sénatoriale n'a d'autre plan d'économies que le démantèlement des services publics ou la suppression de postes de fonctionnaires, sans dire lesquels ! (M. le rapporteur général de la commission des finances proteste.)

Réduire les classes à 24 élèves jusqu'au CE1 est une priorité pour lutter contre les inégalités et une urgence pour que notre système éducatif soit à la hauteur.

La baisse de la pression fiscale et le renforcement des services publics doivent être financés. Il faudra supprimer les niches fiscales des entreprises...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Lesquelles ?

M. Didier Rambaud.  - ... qui ne sont pas incitatives pour l'emploi. Notre pays a besoin d'incitations à la prise de risques. Nous ne céderons pas à la facilité en créant des trappes à bas salaires.

Clarifier les compétences, supprimer enfin les doublons, faire correspondre l'élection à une compétence et les services publics aux réalités des territoires, tels sont les objectifs.

Le programme de stabilité est une photo utile de la situation de notre pays.

M. Philippe Dallier.  - La photo est floue ! (Sourires)

M. Jérôme Bascher.  - Oh oui !

M. Didier Rambaud.  - Le programme de stabilité confirme les bonnes orientations de la politique mise en oeuvre. Dans un pays où le ratio de dépense publique sur le PIB ne peut dériver, ces mesures devront s'accompagner de réformes profondes de l'appareil de l'État et de l'action publique...

M. Philippe Dallier.  - Il n'y en a pas !

M. Didier Rambaud.  - Notre groupe sera vigilant à ces choix, dans le respect des préoccupations exprimées par les Français dans le cadre du grand débat. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances.  - Très bonne intervention !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Changement de ton avec l'orateur suivant !

M. Éric Bocquet .  - Merci pour vos encouragements ! (Sourires) Nous nous opposons à la logique même du programme de stabilité et du semestre européen. Nous sommes très attachés au rôle des parlements nationaux et ce n'est pas à la Commission européenne de décerner un satisfecit au Gouvernement, mais cela revient aux représentants de la Nation.

Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe, dit « TSCG », est devenu caduc depuis que la Commission européenne refusa, en novembre dernier, de le transposer en droit européen pour cause de non-conformité.

En pleine campagne pour les élections européennes, je réaffirme que ce modèle de construction européenne est pour l'heure un échec économique.

La procédure illégitime du programme de stabilité n'en est pas moins instructive au regard de la grande révolte fiscale qui mobilise les citoyens ou de la stagnation des économies de nos principaux voisins, qui doit nous faire réfléchir et influer concrètement sur notre politique.

Selon nous, il est grand besoin de dépense publique et de justice fiscale. Pour autant, le programme de stabilité que vous nous présentez ne tire aucune leçon des mouvements sociaux et du ralentissement économique généralisé dans la zone euro. Il consiste juste à enclencher le cercle vicieux de la baisse des impôts des plus riches et des entreprises d'une part, de la diminution de la dépense publique de l'autre.

Nous voulons alerter sur l'injustice sociale d'un tel choix idéologique et sur son inefficacité économique.

Le cap fixé est de faire baisser la dépense publique de trois points à l'horizon 2022, ce qui n'est pas neutre pour les politiques publiques : pour réaliser les 80 milliards d'euros d'économies, ainsi estimés par la Cour des Comptes, il faudra mettre en place un nouveau plan d'austérité.

La poursuite des exonérations de cotisations sociales met en péril l'équilibre de la sécurité sociale et son financement par les revenus du travail. La montée en charge de la CSG fera reposer sur tous les citoyens ce qui devrait dépendre du revenu du travail.

Le programme de stabilité privilégie les coupes dans les services publics pour favoriser un recentrage sur les missions régaliennes, afin de détruire l'État social, et de construire l'État gendarme.

La transformation du CICE en baisse de cotisations sociales ne permettra ni de créer des emplois ni de relancer l'économie. Il ne fera qu'augmenter la dette et le déficit publics, au gré de nos créanciers, les marchés financiers. Les cadeaux faits aux grandes entreprises gagent l'avenir de la Nation dans son ensemble.

Vos impasses définissent, tout autant que vos coupes budgétaires, la nature de la politique que vous menez : la transformation de l'action publique que vous préconisez ne mentionne même pas l'intérêt général et ne procède que d'une logique comptable ; les partenaires sociaux ne sont pas consultés ; il n'y a rien sur le logement dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Ce programme nous inquiète, à l'image de la conférence de presse du président de la République, qui ne répond pas à la profonde crise sociale et politique que notre pays traverse. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Claude Requier .  - L'an dernier, le programme de stabilité et le PNR avaient fait l'objet d'une déclaration du Gouvernement au sens de l'article 50-1 de la Constitution. Cet examen nous permet, comme chaque année, de prendre du recul...

M. Philippe Dallier.  - Pas tous les ans !

M. Jean-Claude Requier.  - ... pour tracer les perspectives budgétaires, ce qui est particulièrement utile à quelques semaines des élections européennes. Les prévisions en matière économique sont aussi incertaines que les prévisions météorologiques, comme le rapporteur général aime à le dire.

Incertitudes liées au Brexit, à la situation de l'Italie, à la crise des gilets jaunes : l'économie française bénéficie de la force de ces faiblesses. Moins exposée que celle de nos voisins, elle est moins affectée par le ralentissement de l'économie mondiale. Pour autant, nous restons vulnérables à l'augmentation du prix des carburants qui a donné naissance à la crise des gilets jaunes.

Le Gouvernement a réduit le déficit qui est passé sous les 3 % du PIB en 2017 et 2018 et diminué notre niveau d'endettement. Cependant, l'endettement privé des entreprises et des ménages - à l'origine de la crise de 2008 aux États-Unis - est désormais, en France, supérieur à la totalité de l'endettement public. C'est une conséquence de la politique de taux bas de la BCE.

D'après Les Échos, en 2015, la dette des entreprises était de 125 % du PIB, soit 30 % de plus que la dette publique. Nous devons veiller à nous prémunir contre les risques encourus. Peut-être pourrez-vous nous éclairer à ce sujet, monsieur le ministre ?

La transformation du CICE en baisse de cotisations sociales et les mesures décidées en faveur des gilets jaunes auront des conséquences sur la trajectoire des finances publiques et s'ajoutent à l'incertitude de notre environnement économique.

Les Français veulent que leurs impôts baissent, mais ne souhaitent pas pour autant la disparition des services publics. En revanche, ils souhaitent que chaque euro dépensé par la puissance publique, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités, des hôpitaux, le soit avec un meilleur service et une meilleure qualité, et réparti équitablement sur le territoire. D'autres pays arrivent à concilier les deux. Pourquoi n'y parviendrions-nous pas ?

Ces débats sur les finances publiques, inondés de chiffres, sont trop souvent comptables. La priorité pour le Gouvernement doit désormais être la qualité de la dépense publique, et la satisfaction des Français et de leurs représentants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) La tâche est difficile : définir une trajectoire financière à quatre ans dans un monde incertain et imprévisible.

Les prévisions macro-économiques sont réalistes et claires. Mais les aléas sont nombreux. Qui pourrait prédire la stratégie commerciale américaine et les conséquences de ses à-coups douaniers et tarifaires sur l'économie européenne et française ? Quid de l'issue du Brexit ? Comment mesurer précisément l'impact des décisions du président de la République à l'issue du grand débat ? Quel sera l'effet des quelque 10 milliards d'euros de coût de la suppression totale de la taxe d'habitation sur la trajectoire des finances publiques ?

M. Philippe Dallier.  - Ah !

M. Bernard Delcros.  - Monsieur le ministre, ces aléas vous conduiront-ils à réviser le programme de stabilité ?

Notre pays doit garder le cap de l'emploi, de l'adaptation de notre pays aux enjeux du XXIe siècle, de la réduction du déficit public et du maintien des services publics dans les territoires, alors que la durée de la vie s'allonge, entraînant un risque accru de dépendance.

La baisse des prélèvements obligatoires ne doit pas être un objectif aveugle. Oui à la baisse de l'impôt sur le revenu pour les premières tranches et les classes moyennes, mais oui aussi à la juste taxation des GAFA - nous soutenons le projet de la commission des finances de création d'un impôt minimum mondial - et à l'encadrement de l'optimisation fiscale.

Pour susciter l'adhésion de nos concitoyens et enclencher une dynamique collective, la mise en oeuvre des réformes doit avoir pour boussole la recherche de l'équité. Justice sociale, fiscale, territoriale, tel est le cap. Le groupe UC est prêt à vous accompagner sur cette voie, attentif au respect de ces valeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Jérôme Bascher applaudit aussi.)

M. Joël Guerriau .  - Du fait du poids économique de la France, le programme de stabilité et la trajectoire de nos finances publiques sont particulièrement scrutés par la Commission européenne et nos voisins européens. Comme chaque année, nous susciterons de nouveaux espoirs, qui risquent d'être déçus, au prix de notre crédibilité. Nous avons inlassablement rejoué la même farce : nous nous targuons de notre rigueur future au printemps, et faisons preuve de désinvolture à l'automne.

La trajectoire définie par le Gouvernement nous remet sur de bons rails : réduction du déficit pour la troisième année consécutive sous la barre des 3 %, maîtrise de la dépense publique, baisse des prélèvements obligatoires et inversion de la courbe de la dette, avec, pour la première fois depuis des décennies, une diminution de son volume global sur le quinquennat...

Les prévisions de croissance confirment une tendance solide à 1,4 % pour 2019 et 2020, au-dessus de la moyenne de la zone euro.

Les réformes annoncées peuvent aller dans le bon sens, mais les efforts portés à la fin du quinquennat interrogent.

Il faut aussi compter avec les incertitudes et les mauvais augures d'une dégradation internationale qui vont bon train.

Tâchons donc de reprendre confiance en nous-mêmes pour inspirer confiance aux autres ! Le programme de stabilité n'est ni une cure d'austérité ni une sinécure. Il nous permet simplement de respecter nos engagements européens. Nous devons continuer d'assainir nos comptes publics, pour nous prémunir de temps moins cléments.

La crise des gilets jaunes nous rappelle que la stabilité ne se laisse pas programmer. Pour baisser les prélèvements obligatoires, il faudra encore réduire les dépenses publiques.

Dans la crise de confiance que nous traversons, nous devons démontrer que nous pouvons tenir nos engagements.

Sans aller jusqu'à l'austérité, nous aurons besoin de rigueur. « La plus grande des libertés naît de la plus grande rigueur » écrivait Paul Valéry. Ce programme de stabilité doit être la première étape d'une réflexion de fond sur la place et le rôle de l'État dans la société. (MM. Sébastien Meurant et Roger Karoutchi applaudissent.)

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Merci au président de la commission des finances et au rapporteur général d'avoir organisé ce débat que le Gouvernement avait jugé inutile.

Le Gouvernement est en séminaire pour plusieurs jours pour trouver les 9 à 10 milliards d'euros finançant en année pleine les mesures annoncées par le président de la République. Comment cela n'aurait-il aucun impact sur le programme de stabilité ?

Le président de la République a annoncé ne plus vouloir tenir l'objectif de suppression de 50 000 postes de fonctionnaires dans la fonction publique d'État. Quel est donc le nouvel objectif ? Nul ne le sait !

La réforme des retraites manque aussi de courage : après avoir perdu de longs mois, et sans doute la confiance des partenaires sociaux, on demandera aux Français de choisir entre une décote, pour un départ toujours possible à 62 ans, et travailler plus longtemps. Comment anticiper ses effets qui dépendront des choix des Français ? Il faudra une décote importante pour les inciter à travailler plus longtemps...Mais pour quel impact sur les finances publiques ? Nous ne le savons pas !

Nos collectivités territoriales ont été largement mises à contribution depuis 2014. Elles sont à nouveau sollicitées, depuis jeudi dernier, par le président de la République pour mettre en place des maisons de services au public « dans tous les cantons de France » et la réduction du nombre d'élèves par classe, qui implique nécessairement des investissements et des dépenses de fonctionnement.

Comme l'a dit le ministre Darmanin, les collectivités territoriales, elles, doivent toujours supprimer 70 000 postes de fonctionnaires, alors que l'État ne tiendra pas son objectif de 50 000 suppressions.

Résumons : 20 milliards d'euros de mesures nouvelles depuis décembre, des objectifs d'économies abandonnés, des réformes floues annoncées, sans calendrier, comment croire à ce programme de stabilité ?

En 2012, François Hollande le promettait pour 2015. (Sourires à droite) En 2017, vous promettiez l'équilibre en 2022. C'est terminé ! Certes, monsieur le ministre, vous n'avez pas assommé les Français de 30 milliards d'impôts nouveaux comme le fit le gouvernement de Jean-Marc Ayrault (M. Claude Raynal s'exclame.) mais vos choix - taxe carbone, hausse de la CSG et désindexation des retraites - ont exaspéré les Français. Le Gouvernement est contraint de faire machine arrière sous la pression de la rue sans avoir lancé les grandes réformes.

La situation de l'Allemagne se dégrade - certains s'en félicitent imprudemment ! - mais c'est parce qu'elle exporte beaucoup plus que la France.

Le Gouvernement est encore trop optimiste. Onze ans après la crise de 2008, alors que nos partenaires européens ont réduit leur dette, la France est à la traîne.

La petite phrase du président de la République selon qui « l'important n'est pas la comptabilité mais la transformation de l'État », qui relève d'une attitude « après moi le déluge », nous inquiète. Il ne reste plus qu'à prier pour que le trou d'air de la croissance soit bref, que les prix du pétrole n'augmentent pas trop, que la guerre commerciale lancée par les États-Unis s'arrête enfin, que le Brexit se dénoue sans dommages excessifs, que les taux d'intérêt restent relativement bas... En somme, le destin de la France dépend de plus en plus d'éléments extérieurs. Deux ans après l'avènement du « nouveau monde », c'est pour le moins inquiétant !

Si nous avions voté, ce que hélas nous ne ferons pas, le groupe Les Républicains se serait opposé à ce programme de stabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Claude Raynal .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Notons d'emblée un biais méthodologique : la perspective du Brexit ne donne lieu à aucune simulation macroéconomique ; or ce serait un point de PIB pour la France en cas de hard Brexit.

En outre, aucune des annonces qui viennent d'être formulées par le président de la République n'a été prise en compte dans ce programme de stabilité, alors qu'elles pèsent pour plusieurs milliards d'euros sur les scenarii projetés. Bref, ce document est déjà dépassé !

Le Haut Conseil des finances publiques a néanmoins qualifié le programme de stabilité de « crédible », mais je suis sceptique compte tenu des derniers développements.

Après le projet de loi Gilets jaunes, débattu dans des conditions pour le moins baroques, le Gouvernement réitère et remet au Parlement un document à l'évidence très approximatif.

La croissance est annoncée à 1,4 % du PIB grâce à la consommation des ménages, traditionnellement plus soutenue en France que chez nos partenaires. Cela ne signifie pas pour autant que l'appareil productif est relancé. Certes, la balance commerciale de la France est en amélioration mais elle demeure largement déficitaire. Elle reste sous la menace d'une remontée des prix du baril et d'une augmentation de la consommation des ménages. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous appelle à la plus grande prudence. La demande mondiale vis-à-vis de la France est en baisse d'un point pour s'établir à 2,7 %. Brexit, euroscepticisme jouent sur le commerce mondial. Ainsi, comme le note le document : « les perspectives d'investissement des entreprises françaises demeurent soumises à un aléa ». C'est beau ! (Sourires)

La quasi-intégralité du Sénat vous avait appelé dès décembre à prendre des mesures en faveur du pouvoir d'achat. Je ne peux donc que m'en réjouir. Mais c'est au détriment des finances publiques. Les annonces, d'environ 20 milliards d'euros, sont très imparfaitement financées. En politique comme ailleurs, les décisions ont des conséquences. Vous faites de la France le seul pays européen avec un déficit au-delà des 3 % de PIB. Encore bravo !

Venons-en à votre objectif initial de croissance de 0 % en volume de la dépense publique. En 2018, l'inflation élevée vous a aidé mais sur le quinquennat, nous passons de 0 % à 0,2 % et nous commençons par 0,4 % en 2019 !

Le Gouvernement n'a rien engagé de neuf depuis deux ans mais poursuit la démarche vertueuse enclenchée sous le quinquennat Hollande...

M. Philippe Dallier.  - On l'attendait !

M. Claude Raynal.  - ... et même Sarkozy ! (Sourires à droite) Mais vous faites largement moins bien. Vos politiques publiques ont accru les inégalités.

Le document du Haut Conseil des finances publiques note que la croissance de l'investissement des entreprises se poursuit dans le prolongement de l'évolution observée depuis 2015...

Les très riches sont les grands gagnants de votre politique fiscale.

Les deux dernières années du programme sont celles des plus gros efforts : prière d'y croire ! (Marques d'approbation à droite)

Le document évoque enfin la gouvernance budgétaire et la juge pleinement satisfaisante. Ce n'est pas mon cas, d'autant que le Parlement ne dispose le plus souvent que d'hypothèses mal assurées ou mal évaluées. On ne peut que regretter que le programme de stabilité n'intègre pas les annonces du président de la République après le grand débat.

Toutes les analyses macroéconomiques l'affirment : les inégalités qui se résorbaient sous le quinquennat précédent augmentent à nouveau, du fait notamment des allègements d'impôts sur les plus fortunés, dont la suppression de l'ISF, bien sûr. J'aurais aussi pu évoquer les tentatives d'élargissement de la niche Copé ou la suppression de l'exit tax... La solution est ailleurs : il faut une meilleure répartition de la charge fiscale, une redistribution plus pertinente et le maintien d'un haut niveau de service public, véritable avantage comparatif pour la France sur le plan international. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) J'ai retenu de mes années étudiantes que tenir compte des remarques du correcteur permettait de progresser pour le devoir suivant. J'ai donc relu les remarques du Conseil sur le précédent programme national de réforme de la France. Ledit conseil formulait trois recommandations à l'élève France : veiller à ce que le taux de croissance nominal des dépenses publiques primaires nettes ne dépasse pas 1,4 % en 2019...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - C'est raté !

Mme Christine Lavarde.  - ... utiliser les recettes exceptionnelles pour accélérer la réduction de l'endettement public, réduire les dépenses en 2018, préciser les objectifs et les mesures nécessaires, uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l'équité et la soutenabilité de ces régimes.

Pleinement engagée dans les travaux du Comité Action publique 2022, j'ai été très déçue. Les termes « Action publique 2022 » n'apparaissent nulle part dans la version 2019 du programme de stabilité contre dix mentions dans la version 2018.

Dans le programme national de réformes 2018, « AP 2022 » prévoyait de transformer l'État et de restaurer nos finances publiques. Dans la version 2019, le tableau de la page 124 estime que l'action de transformation est en marche, tant pour les administrations centrales que pour les services déconcentrés. À cette même page, on peut lire que : « Les transformations issues d'AP 2022 vont notamment se traduire par des baisses du nombre d'emplois publics, déjà mises en oeuvre par les lois de finances pour 2018 et 2019 ». Cette affirmation ne manquera pas d'étonner les analystes de la Commission européenne car elle apparait en décalage avec la réalité comme l'a révélé, données chiffrées à l'appui, l'iFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques). La baisse annoncée de 4 164 postes en équivalents temps plein coïncide avec une augmentation du plafond d'emplois cumulé de l'État et de ses opérateurs de 1 322 postes entre 2018 et 2019, alors que, dans le même temps, certains postes sortent de l'emploi public sans être supprimés pour autant, du fait de la transformation d'un opérateur en EPIC.

Lors de sa conférence de presse de jeudi, le président de la République a fait preuve de réalisme en se disant prêt à lever son objectif de réduction de 120 000 du nombre de fonctionnaires, promesse de campagne, si cet objectif n'était pas tenable au regard de la sortie du grand débat.

Les effets annoncés du programme Action publique 2022 ne sont pas là : entre les versions 2018 et 2019 du programme de stabilité, la baisse des dépenses publiques est moindre de 42 milliards. En douze mois, l'excédent de 0,3 point de PIB en 2022 a laissé la place à un déficit de 1,2 point. Avant même les dernières annonces du président de la République, la baisse de la dépense s'est donc dégradée de 1,5 point de PIB.

Comment allez-vous financer les moindres recettes et les nouvelles dépenses évoquées jeudi soir dont le coût s'approche des 10 milliards ?

Les efforts annoncés dans le programme de stabilité sur la maîtrise de la dépense publique sont très loin d'être suffisants : l'effort structurel n'est que de 0,1 point en 2019 et entre 0,2 et 0,3 point jusqu'en 2022, très loin de l'objectif fixé par Bruxelles de 0,5 point.

En juillet 2017, vous aviez pourtant posé le bon diagnostic : « Depuis 20, 30 ans, la France est droguée à la dépense publique. C'est une prison qui va peser sur les générations futures ». Ces générations ce sont celles de mes enfants et de mes petits-enfants ; je m'en sens donc responsable. Au cours des vingt dernières années, dans seize pays de l'Union européenne, la diminution des dépenses publiques a été supérieure à 3 points de PIB potentiel sur cinq ans. Un tel effort est donc réalisable. C'est la voie dans laquelle nous devons nous engager pour atteindre les objectifs de la stratégie « Europe 2020 » pour une croissance économique « intelligente, durable et inclusive ».

Soyez courageux et dites aux Français la vérité : ils devront travailler plus longtemps. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Hasard du calendrier, nous débattons quand le Gouvernement est en séminaire. Ce qui frappe, c'est l'importance des choix devant nous : il faut à la fois retisser le lien social, reconstruire la cohésion sociale et consolider notre crédibilité financière en Europe.

Le programme de stabilité qui nous est soumis contenait des prémices des annonces du président de la République. Ce programme prend acte de l'affaiblissement de la croissance, même si c'est moins qu'ailleurs en Europe.

Le retour à l'équilibre des comptes est retardé. Comme l'a dit Jean Pisani-Ferry dimanche, il devrait y avoir 30 milliards d'euros de dépenses publiques en plus et de moindres recettes. Le Gouvernement annonce 10 milliards d'euros d'économies et de recettes nouvelles. Il reste 20 milliards à trouver, soit 1 % du PIB.

Jusqu'à présent l'action du Gouvernement s'inscrivait dans une politique de l'offre. Le Sénat a voté des ajustements conjoncturels apportés à cette politique, mais attention à ne pas basculer dans une politique de la demande, soit une politique du pouvoir d'achat et du déficit. La dette, comme les erreurs, se paie toujours un jour.

Je ne crois pas que la réduction des déficits puisse s'accommoder d'une moindre réduction du nombre de fonctionnaires.

Enfin, la baisse des prélèvements obligatoires est souhaitable, à condition qu'elle ne s'accompagne pas d'augmentations d'impôts pour d'autres catégories. La réduction des niches pour les entreprises est une voie possible, mais attention à la stabilité fiscale. Une réforme fiscale d'ampleur me semble être nécessaire, notamment pour éviter l'hyper-concentration des impôts.

La réforme de l'État et l'âge de la retraite sont les deux points à régler à l'avenir, d'autant que les risques sont devant nous si les États-Unis modifient leurs taux d'intérêt. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Jérôme Bascher .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Si ce document n'émanait pas du Gouvernement, je dirais que le projet de programme de stabilité est un rapport à charge. Vous devez être bien malheureux, monsieur le ministre, car vous avez été ministre des affaires européennes. Or ce programme de stabilité contrevient deux fois à la loi.

D'abord, à la loi de programmation des finances publiques sur laquelle nous avions pourtant passé un temps certain dans cet hémicycle, mais aussi aux règles européennes, puisque vous ne prévoyez de réduire le déficit structurel que de 0,3 point en 2021 ou 2022 alors que Bruxelles demande 0,6 et que votre précédent programme inscrivait 0,4 point.

Pour réduire le déficit, il faut plus de croissance. Vous dites à la page 7 que la croissance internationale soutiendra celle de la France... mais comme la corde soutient le pendu !

La croissance potentielle s'améliorerait grâce à certaines lois ? La loi Macron a permis à plusieurs notaires de s'appauvrir et à des compagnies de bus d'être en déficit. La loi ELAN a fait chuter le bâtiment et quand le bâtiment ne va plus, rien ne va plus. La loi Pacte contient quelques éléments intéressants. Toutefois, elle est difficile à chiffrer et améliorerait la croissance à partir de...2025.

La trajectoire des finances publiques est deux fois mise à mal dans votre document. Elle est moins bonne que l'an dernier et également moins bonne que la norme européenne.

Parlons des ODAC : selon le président de la République, il y a plein d'organismes inutiles. Supprimons le Comité d'action publique 2022 qui ne sert strictement à rien, comme l'a dit ma collègue Christine Lavarde !

Quant aux administrations publiques locales, vous avez passé avec elles un contrat... Elles peuvent dépenser à leur guise, avec un pistolet sur la tempe... C'est une curieuse conception de la liberté.

Laissez tranquilles les collectivités locales ainsi que les administrations de la sécurité sociale, qui sont en excédent ! Prenez plutôt exemple sur elles !

Certes, la critique est aisée et l'art est difficile. Mais ce qui ne marche pas, à coup sûr, c'est le « en même temps » des politiques économiques de droite et de gauche.

Monsieur le ministre, revoyez votre copie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Je suis très heureux de vous présenter le programme de stabilité 2019-2022, quittant pour cela le séminaire gouvernemental. Mais c'est pour rejoindre une thébaïde : je ne perds pas au change ! (Sourires)

Le contexte économique international est préoccupant, avec le ralentissement de la croissance mondiale qui a été souligné par tous mes interlocuteurs, du président de la Réserve fédérale à la présidente du FMI en passant par le président de la BCE.

Deux facteurs de risque appellent notre vigilance. D'abord le risque politique constitué par l'augmentation des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, mais aussi les États-Unis et l'Europe. Je l'ai dit à mes homologues américains : entre partenaires, la sanction ne saurait être le seul mode de discussion et de relation, d'autant qu'elle conduit à l'affaiblissement de la croissance économique mondiale, et donc défavorable aux États-Unis comme à l'Europe.

Second sujet de préoccupation, l'augmentation de l'endettement public et privé : aux États-Unis, l'endettement global s'élève à 150 % du PIB. En Europe, il s'élève à 120 % dans la zone euro et 130 % en France.

Ajoutez à ces facteurs l'incertitude liée au Brexit, et vous aurez un environnement économique international moins favorable qu'il y a quelques mois.

J'ai proposé un nouveau contrat de croissance pour la zone euro, profitant de la politique monétaire accommodante de la BCE. Il repose sur la poursuite des réformes structurelles dans les pays qui doivent gagner en compétitivité. Je ne demande pas à l'Allemagne de dépenser plus sans poursuivre l'effort en France. Le président de la République l'a dit : nous allons poursuivre la transformation économique de notre pays. Notre sort dépend de notre courage, de notre détermination, de notre constance dans la poursuite de la transformation de notre économie. Ainsi, le président de la République proposera une réforme ambitieuse de l'indemnisation du chômage, un système de retraite par points qui égalisera les règles entre le public et le privé, une transformation de la fonction publique. Cela nous autorise à demander aux États qui peuvent le faire, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, d'investir davantage pour lutter contre le ralentissement de la croissance mondiale et de la zone euro.

La zone euro, ce n'est pas le chacun pour soi. Si la France respecte ses engagements de transformation économique, cela nous autorise à demander à nos partenaires d'investir davantage pour soutenir la croissance.

Enfin, il est temps d'achever la transformation de la zone euro. Elle n'est pas armée pour faire face à une nouvelle crise économique et financière. Les instruments mis en place après la crise de 2008 sont insuffisants. Une zone monétaire unique dont les économies nationales divergent risque fort de disparaître un jour. Accélérons la convergence, réalisons l'union bancaire dont tous les éléments techniques sont sur la table. Les banques américaines ont 47 % de parts de marché sur le marché unique, et tout cela parce que nous n'avons pas fait l'union bancaire ! Nous ne construisons pas l'Europe pour la laisser aux mains des investisseurs étrangers !

Achevons aussi l'union des marchés de capitaux, ayons un budget de la zone euro. Nous ne pouvons plus attendre ; c'est notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. Le statu quo est impossible, la décision nécessaire et le courage requis.

La France jouit d'un taux de croissance supérieur à la moyenne de la zone euro : 1,4 % pour 2019 contre 0,5 % pour l'Allemagne, et supérieur au taux moyen des dix dernières années à 0,9 %. Notre politique économique donne des résultats, et nous devrions tous nous en féliciter dans cet hémicycle, car nous nous portons mieux avec une France qui réussit qu'avec une France qui échoue.

Monsieur Bascher, je souhaite que nous respections nos engagements européens ; la France n'est grande que quand elle est crédible. Nous sommes sortis d'une procédure pour déficits publics excessifs où nous étions encalminés depuis dix ans.

Notre engagement de rester sous les 3 % de déficit public sera tenu. Cet engagement est protecteur des intérêts du contribuable français.

L'emploi, lui aussi, repart : nous avons créé en deux ans 500 000 emplois et amorcé la décrue du chômage. Depuis plus de dix ans, plus d'entreprises industrielles se sont créées que n'ont fermé. Certes, ce n'est pas suffisant, mais nous allons dans la bonne direction et nous devons accélérer les transformations nécessaires.

Notre modèle économique, cependant, conserve au moins deux fragilités. D'abord la dette, ce poison pour notre économie. L'endettement, disent certains, est moins grave parce que les taux d'intérêt sont très faibles. Le programme de stabilité intègre les conditions d'amélioration du financement de notre dette, soit 2,8 milliards d'euros de moindres dépenses. Cependant, je ne puis me résoudre à laisser la dette française croître : je continuerai à me battre contre la dette et dès que des marges de manoeuvres apparaîtront, elles seront consacrées à sa réduction.

La seconde faiblesse est structurelle : le volume de travail global en France est insuffisant. Je ne stigmatise personne ; mais nous avons plus de jours de congé que nos partenaires européens ; nous entrons plus tard dans le marché du travail et en sortons beaucoup plus tôt. Et nous sommes l'un des derniers pays à n'être pas sorti du chômage de masse.

Enfin, et je ne puis m'y résoudre, chaque citoyen européen a un revenu par habitant supérieur de 25 % à un citoyen français. Nous devons créer plus de richesses et accroître le volume global de travail dans notre pays. Travailler plus, mieux et surtout travailler tous : voilà la voie à suivre.

Le programme de stabilité maintient le déficit public sous les 3 %...

M. Philippe Dallier.  - Encore heureux !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Le déficit public réel en 2019 sera de 2,3 % car la décision sur le CICE est exceptionnelle, comme le reconnaît d'ailleurs la Commission européenne. Nous visons 2 % en 2020 et 1,2 % en 2022. Notre objectif de baisse de 3 points des dépenses publiques sur le quinquennat est maintenu avec déjà un point en moins en 2019.

Quasiment tous les sénateurs ont parlé des impôts. Les Français ont été victimes depuis 2009 d'un véritable matraquage fiscal. À partir de 2009, les ménages ont vu leurs impôts exploser. À partir de 2014, le CICE a allégé la facture pour les entreprises mais les impôts continuent à augmenter vertigineusement pour les ménages. Ces derniers veulent que les impôts continuent à baisser, puisque nous avons commencé à les diminuer avec la taxe d'habitation, avec la suppression des cotisations assurance-maladie et assurance-chômage. L'impôt sur le revenu baissera de 5 milliards d'euros, dès le 1er janvier 2020. Je souhaite que ces impôts baissent massivement pour les personnes qui travaillent, en particulier pour les classes moyennes, et surtout de la première tranche à 14 %. Plus de 15 millions de foyers fiscaux seront donc concernés. Cette baisse, le président de la République l'a clairement dit, sera financée par une baisse de la dépense publique.

Ce financement sera garanti par trois relais d'action : d'abord, nous viserons tous les opérateurs de l'État dont l'action n'est pas à la hauteur de ce qu'attendent les contribuables. Avec M. Darmanin, nous ferons la revue de tous ces opérateurs. Les chambres de commerce et d'industrie ont déjà été transformées en profondeur, avec une économie de 0,5 milliard d'euros de taxes affectées.

Deuxième voie : la suppression de niches fiscales des entreprises, tout en valorisant le travail et l'innovation.

Enfin, l'accélération des mesures structurelles comme la réforme de l'assurance-chômage et celle des retraites qui sera présentée à l'été.

Notre action est constante et cohérente : celle d'une transformation économique en profondeur de notre pays, appuyée sur une politique de l'offre. La France souffre d'un manque de richesses produites, de la faiblesse de notre compétitivité, d'un outil de production qui doit être plus innovant. L'élément structurant restera bien la politique de l'offre que nous avons choisie en 2017. Le travail doit payer, comme je l'ai dit à maintes reprises. Chaque Français doit avoir un intérêt objectif à travailler pour en vivre dignement.

Enfin, nous devons respecter nos engagements européens : c'est ce qui donne à la France sa crédibilité aux yeux de ses partenaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Prochaine séance demain, mardi 30 avril 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 h 55.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus