Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique », à la demande du groupe CRCE.

Mme Esther Benbassa, pour le groupe CRCE .  - Je précise que ce débat traite du cannabis thérapeutique. En France, entre 300 000 et un million de personnes pourraient être concernées.

L'usage médical du cannabis était déjà connu du droguier suméro-akkadien, en Égypte, ainsi que des médecines chinoise et indienne. Vingt des États membres de l'Union européenne autorisent le cannabis médical, douze hors Union et vingt-neuf États d'Amérique.

Mme Buzyn a reconnu, en mai 2018, le retard pris par la France en la matière, estimant que rien ne justifiait d'exclure une molécule potentiellement intéressante. Le 10 septembre 2018, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a créé un comité d'experts, le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST), qui a estimé que l'usage du cannabis se justifiait dans certaines situations : pour les douleurs sévères, en oncologie, en soins palliatifs, pour certaines formes d'épilepsie ou de sclérose en plaque. Le CSST souhaite un suivi des patients sous forme d'un registre national pour évaluer le bénéfice-risque ainsi que les effets indésirables. Il exclut la voie d'administration fumée et abordera ultérieurement les modalités d'administration. L'ANSM, quant à elle, rendra son avis le 26 juin.

Actuellement, les usagers du cannabis médical sont contraints à l'illégalité et peuvent se voir infliger une peine de prison pour avoir cultivé un simple plant destiné à alléger leurs souffrances. Le juge ne reconnaît qu'exceptionnellement l'état de nécessité.

En raison du taux élevé de THC (tétrahydrocannabinol), le cannabis coupé avec du tabac a un effet psychotrope non adapté pour les malades. L'effet thérapeutique repose en effet sur un équilibre entre les molécules de THC et de CBD (cannabidiol) et les produits à base de CBD autorisés, dont le taux de THC est inférieur à 0,2 %, ne suffisent pas à apaiser les douleurs. Beaucoup de malades pratiquent donc l'auto-culture, se fournissent sur le marché noir ou à l'étranger, ce qui exclut tout suivi médical.

L'ANSM avait délivré en 2014 une autorisation de mise sur le marché pour le Sativex, spray sublingual à base de cannabis mais le médicament est indisponible, faute d'accord sur le prix de vente.

Le cannabis thérapeutique est un enjeu majeur de santé publique.

Selon l'IFOP et Terra Nova, 82 % des sondés sont favorables à l'usage du cannabis sur prescription médicale ; 62 % pensent qu'il doit être accessible sous toutes ses formes, voire remboursé par la Sécurité sociale. Les patients souhaitent que la prescription ne soit pas limitée aux médecins spécialistes, comme c'est le cas au Royaume-Uni, ce qui réduirait l'accès au traitement dans les déserts médicaux. La plupart des États européens ont opté pour une prescription par les généralistes.

Pour que le médicament soit disponible dès sa légalisation, il conviendra d'élargir les indications thérapeutiques retenues par l'ANSM. Se posera aussi la question de l'approvisionnement. En attendant que soit disponible du cannabis issu de la production domestique, il faudra importer des produits, qui devront être issus de l'agriculture bio.

Le cannabis serait délivré en pharmacie, évidemment. Il est enfin indispensable d'autoriser différentes formes de préparations afin de répondre à la diversité des pathologies traitées.

Ne confondons pas cannabis médical et cannabis récréatif. Pas plus que l'utilisation des opiacés n'a transformé notre pays en fumerie d'opium, l'autorisation réglementée du cannabis médical n'entraînera pas une généralisation des volutes récréatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Laurence Rossignol et M. Joël Labbé applaudissent également.)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) L'usage thérapeutique du cannabis est autorisé en France depuis un décret de juin 2013. En septembre 2018, l'ANSM a installé un comité d'experts, le CSST, qui a estimé pertinent d'autoriser l'usage du cannabis dans certaines situations, tout en demandant un suivi des patients traités dans un registre national et en insistant sur l'importance de la recherche.

Le cannabis médical est un enjeu de santé publique, estime le groupe CRCE. La lutte contre les addictions l'est tout autant.

Quelle sorte de médicament est le cannabis ? À quels malades pourrait-il être prescrit ? Si le cannabis médical est connu depuis l'Antiquité, les académies de médecine et de pharmacie sont réservées sur sa légalisation en raison des effets secondaires, psychiques et physiques : altération de la mémoire et du champ visuel, troubles de l'équilibre, de la concentration, crises d'angoisse, dépression, schizophrénie, idées suicidaires...

Comme pour tout médicament, le rapport bénéfices-risques doit être évalué au cas par cas et indication par indication. Rappelons que les opioïdes sont responsables de dizaines de milliers de morts en Amérique du Nord. Ne laissons pas croire que le cannabis est un médicament. N'existerait-il pas d'autres moyens de soulager les douleurs ?

L'usage du cannabis thérapeutique ne doit pas laisser penser à une éventuelle innocuité de cette drogue et transformer ce débat autour du cannabis thérapeutique en un cheval de Troie vers une libéralisation de la consommation de cannabis.

Actuellement, le rapport bénéfice/risques est le suivant : tous les bénéfices sont pour les dealeurs et les trafiquants, et les risques pour les patients. (On se récrie sur les bancs du groupe CRCE.)

Si le cannabis thérapeutique venait à être libéralisé, comment les pouvoirs publics pourraient-ils encadrer sa production en évitant que des marchés parallèles en profitent ?

La voie d'administration est aussi une variable qui a son importance. Il faut exclure de le fumer. En effet, la fumée inhalée est plus dangereuse que celle du tabac. De plus, l'effet du cannabis est rapide et peu durable s'il est fumé. La vaporisation permet en outre de mieux maîtriser les doses.

Le cannabis doit donc être utilisé en dernier recours après l'échec des traitements classiques. Il est contre-indiqué chez les patients atteints de troubles psychiatriques et chez les femmes enceintes, et doit être assorti d'une interdiction de conduire. En outre, il est nécessaire de mettre en place un dépistage régulier des comportements addictifs. Enfin, il convient de sensibiliser la population aux risques encourus et de repérer les adolescents susceptibles d'être dépendants. Telles sont les précautions à prendre. Je le dis comme rapporteur du budget de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Chantal Deseyne.  - J'appelle à la plus grande prudence quant à la mise en oeuvre d'une législation sur le cannabis thérapeutique : il s'agit d'une drogue qui n'est pas à même de guérir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa.  - La morphine aussi !

Mme Laurence Cohen .  - Merci à Mme Benbassa pour ce débat.

Le cannabis déclenche des débats passionnés, parfois au gré de faits divers, nous éloignant le plus souvent d'une analyse sérieuse basée sur des données scientifiques objectives. Les progrès de la recherche conduisent à faire évoluer les mentalités et donc les législations dans le monde.

Mais le cannabis thérapeutique n'a rien à voir avec le cannabis récréatif.

Le 10 septembre 2018, l'ANSM a mis en place un CSST pour juger de la pertinence médicale du cannabis thérapeutique : le 13 décembre de la même année, ce comité a reconnu la pertinence médicale du cannabis thérapeutique et l'a validé pour les douleurs réfractaires aux autres thérapies, médicamenteuses ou non, les formes d'épilepsies sévères et pharmaco résistantes, les soins de support en oncologie, les situations palliatives et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Selon le comité, il est crucial de faire évoluer la recherche et la législation, en veillant au mode d'administration. Le 13 février 2018, le Parlement européen s'est aussi prononcé dans ce sens pour soutenir la recherche et établir des normes dans l'intérêt des patients.

Mme Buzyn a affirmé dès mai 2018 sur Public Sénat qu'il ne fallait pas fermer la porte à un produit qui pourrait aider nos concitoyens pour certaines maladies, et M. Philippe, Premier ministre, a trouvé « absurde de ne pas se poser la question de légalisation du cannabis thérapeutique ».

Une trentaine de pays, dont le Canada, les Pays-Bas, Israël, une partie des États-Unis et 21 pays de l'Union européenne, a autorisé le cannabis thérapeutique. Il est donc possible de tirer des conclusions sur l'utilisation du cannabis.

Il est donc très important que le gouvernement s'appuie non seulement sur les avis et recommandations à la fois du Comité scientifique et du Parlement européen, mais également sur les expériences menées à l'étranger pour agir rapidement, en déterminant notamment la filière de production et les modalités d'usage du cannabis thérapeutique : importation ou constitution d'une filière nationale publique.

Pour de nombreux patients, le seul recours est l'auto-culture ou l'utilisation des produits vendus sur le marché noir, ce qui n'est pas sans dangers.

Posons aussi la question du remboursement par la sécurité sociale.

L'expérimentation que nous appelons de nos voeux devrait avoir lieu d'ici la fin de l'année. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Le 7 décembre 2018, une réunion du groupe CBD (Cannabidiol) au Sénat a eu lieu à l'initiative de l'association InterChanvre et de l'Union des Transformateurs du Chanvre (UTC). Deux enjeux majeurs ont été pointés du doigt : d'un côté l'intérêt économique certain, et de l'autre la sécurité alimentaire dans le cadre des compléments alimentaires, avec la volonté d'éviter toute promotion du cannabis illégal.

L'intérêt économique est certain : la France est le premier producteur de chanvre en Europe, et les débouchés sont divers, dans l'alimentaire ou les cosmétiques. Les techniques de culture et d'extraction nécessitent des financements et une clarification de la réglementation, notamment concernant les méthodes visant à se débarrasser du THC. En effet, alors que la Mildeca explique que le CBD n'est pas interdit en tant que molécule, il l'est de fait régulièrement. D'où l'importance de le produire de manière synthétique, afin qu'il puisse ne présenter aucune trace de THC et donc ne plus être soumis à cette interdiction.

Les variations de réglementations d'un pays à l'autre expliquent en outre les difficultés d'importations et d'exportations.

Pour tous ces enjeux, médicaux, sociaux, économiques, il apparaît indispensable de légaliser le cannabis thérapeutique en France et d'en finir avec une certaine hypocrisie, voire de la frilosité. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Laurence Rossignol .  - Deux amies proches ont été atteintes, l'une et l'autre, par un cancer du sein et ont dû supporter des chimiothérapies très lourdes. « Sans le cannabis, je n'aurais pas pu tenir », m'ont-elles dit.

Ces deux mères de familles d'une cinquantaine d'années ont dû devenir des délinquantes et transformer leurs enfants en délinquants puisqu'elles leur ont demandé d'en acheter pour apaiser leurs douleurs, car ce n'est pas à l'épicerie du coin que l'on trouve du cannabis... Voilà à quoi aboutit la loi actuelle ! « Que peux-tu faire pour nous ? » me demandaient-elles encore lorsque j'étais ministre. Le sujet n'est pas simple, devais-je me contenter de leur répondre...

Le Gouvernement est ouvert sur le sujet, mais la question mérite que nous nous interrogions sur notre rapport à la douleur. Qu'est-ce que la douleur dans notre culture et notre civilisation ? Elle a d'abord été considérée comme un signal d'alarme utile de l'organisme contre une agression.

Le stoïcisme a valorisé la résistance à la douleur. C'est aussi une affaire de fatalité, de morale, voire une injonction faite aux femmes : « Tu enfanteras dans la douleur ».

Résultat : la France accuse un retard certain dans le traitement de la douleur, même si plusieurs plans contre la douleur ont vu le jour. En 2007, 62 % des patients atteints de cancer en France déclaraient des souffrances quotidiennes, contre 24 % en Suisse ! Cet écart en dit long sur le retard que nous avons pris dans le traitement de la douleur pour des raisons morales, de tradition médicale et par peur de la drogue.

Mais toutes les substances médicamenteuses sont des drogues ! Qui penserait priver les patients atteints de graves maladies ou en fin de vie de morphine ou d'opiacés ? Qui parmi nous n'a pas soulagé un mal de dos causé par la fréquentation des meetings et des stades par des opiacés ?

En outre, la France n'a pas de leçons à donner : nous sommes les deuxièmes consommateurs européens de benzodiazépines qui sont plus addictifs que le cannabis !

Bien sûr, il y a des risques pour la santé, mais comme pour tout médicament ! L'argument du risque sanitaire touche là ses limites.

La question du cannabis est aussi un enjeu de santé publique. La France est un des pays dont la législation est la plus dure sur le cannabis, qu'il soit récréatif ou thérapeutique. Comparée à de nombreux autres États, elle est même assez crispée. Mais nous avons une politique pénale très sévère et un des taux de consommation les plus élevés. Il faudrait, ne serait-ce que pour la bonne évaluation des politiques publiques, lever ce tabou.

Le Gouvernement doit accélérer sa démarche sur le cannabis thérapeutique, car les produits que les gens se procurent par eux-mêmes sont toxiques car non contrôlés. Lorsque les scientifiques analysent les produits saisis, ils y trouvent une infinité de produits, à commencer par des pneus et du cirage... Légaliser le cannabis permettrait de contrôler les circuits et de garantir ses effets sanitaires - pour ceux qui en ont besoin, exclusivement.

Pour faciliter l'accès au cannabis thérapeutique, nous serons avec vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Joël Labbé .  - Je remercie ma collègue et amie Esther Benbassa pour ce débat. Je travaille intensément sur les plantes médicinales, suite à la mission sénatoriale sur le sujet et dont j'ai été le rapporteur. Le cannabis est bien sûr une plante médicinale par excellence, dont l'intérêt médical est de plus en plus reconnu, en dépit de ses usages récréatifs.

La mission d'information sur l'herboristerie a renforcé mes convictions sur le potentiel de la médecine par les plantes. J'ai découvert à cette occasion le principe du totum. Une plante n'est pas réductible à quelques principes actifs isolés. Ainsi, le cannabis n'est pas réductible au THC et au CBD, deux de ses principes actifs, qui sont autorisées en France dans des médicaments. Cette plante contient des dizaines de molécules qui agissent en synergie, et en font l'intérêt thérapeutique. II est donc très intéressant que des patients en souffrances puissent y accéder. J'ai aussi été convaincu par le travail du député de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, qui a organisé en décembre à l'Assemblée nationale un édifiant colloque sur la question.

La légalisation d'une telle plante suppose un contrôle, notamment sur les circuits de distribution et un suivi des patients. Si cette plante présente potentiellement des risques, ils sont à mettre en balance avec ceux des antidouleurs dérivés de l'opium, comme la morphine. Le comité éthique et cancer n'a pas trouvé de motifs d'opposition à l'usage du cannabis thérapeutique.

Autre avantage du cannabis thérapeutique : il peut être cultivé localement. La France est leader sur la filière du chanvre. Il y a là un enjeu majeur pour les territoires. Le rapport de la mission sénatoriale recommande de lever les obstacles règlementaires au développement d'une filière française de chanvre.

La France doit donc légaliser l'usage du cannabis thérapeutique et les annonces de Mme Buzyn sont très encourageantes.

La question se pose autrement pour le chanvre bien-être, c'est-à-dire sans THC, qui induit l'effet psychotrope du cannabis, mais contenant du CBD, autre principe actif du cannabis, qui présenterait des intérêts en termes de bien-être. Il ne faudrait pas que le cannabis thérapeutique conduise à un monopole pharmaceutique sur le CBD, molécule classée par l'OMS comme non addictogène et non dangereuse. Un recours a d'ailleurs été déposé contre la France sur l'interdiction du CBD issu du chanvre. Notre législation doit donc évoluer. Le CBD pourrait avoir un intérêt en matière alimentaire ou cosmétique - une mission d'information devrait voir le jour en septembre à l'Assemblée nationale sur ce sujet.

De nombreuses autres plantes non stupéfiantes ont un véritable intérêt et sont attendues par les consommateurs, mais ne trouvent pas leur place, faute d'une réglementation adaptée. II est temps que la France, pays historiquement producteur et consommateur de plantes médicinales, leur donne enfin la place qu'elle mérite dans son système de soin. Je déposerai trois amendements sur ces aspects sur le projet de loi Santé pour une meilleure reconnaissance de la plante dans le système de soins. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et RDSE)

Mme Jocelyne Guidez .  - Nous ne sommes pas ici pour parler de la légalisation du cannabis, drogue source d'addiction et de drames humains - et la plus consommée en France, notamment par les jeunes.

Le cannabis peut-il avoir un intérêt thérapeutique ? Voilà la question dont nous débattons. Les traitements à base de cannabis pourraient représenter une solution de rechange aux opioïdes, causes de nombreux décès. Une étude de l'université de Bekerley valide cette hypothèse de substitution : 90 % des patients estiment que le cannabis permet de diminuer leur consommation d'opioïdes et qu'il était plus efficace pour traiter leur maladie - ce qui diminuerait le coût pour la sécurité sociale.

Aujourd'hui, 21 pays de l'Union européenne sur 28 autorisent le cannabis à usage thérapeutique. En février 2019, les députés européens ont adopté une résolution demandant à établir une distinction claire entre le cannabis médical et ses autres usages.

En France, si son usage est presque prohibé, les choses bougent. Le Premier ministre a jugé absurde qu'on ne se pose pas la question, et l'ANSM a estimé qu'autoriser son usage pour certains patients serait pertinent. Elle recommande ainsi une expérimentation nationale, ce que nous trouvons intéressant. Nous devons penser aux malades contraints à l'illégalité en recourant au cannabis pour soulager leurs souffrances. Il est inacceptable de laisser le marché noir et les mafieux profiter de la détresse de ces malades.

La production du cannabis pourrait favoriser des territoires agricoles en perte de vitesse. La France est déjà le troisième producteur mondial de chanvre.

Évitons les vaines polémiques. S'il y a parfois de mauvaises réponses, il n'y a jamais de mauvaises questions. Celle du cannabis mérite d'être posée. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et RDSE)

M. Daniel Chasseing .  - Le cannabis est un enjeu majeur de santé publique. Le cannabis récréatif est la substance illicite la plus consommée en France : 42 % des adultes de 18 à 65 ans en ont fumé, dont 22 % au cours des 12 derniers mois. C'est la même proportion pour les adolescents, tandis que 13 % des collégiens en fument régulièrement.

Le cannabis n'est pas une drogue douce. Selon l'Observatoire des drogues, il agit longtemps, à faibles doses, et compte sept fois plus de goudron et de monoxyde de carbone que le tabac. Associé à l'alcool, le cannabis multiplie par quatorze les risques d'accident de la route. Le cannabis fumé offre une toxicité cancérigène et vasculaire bien supérieure au tabac, mais aussi des risques psychologiques importants, favorisant la schizophrénie. Il nuit au développement psychologique et relationnel des jeunes et est dangereux aussi pour le foetus.

Le cannabis récréatif est un problème de santé publique grave. Il séjourne une semaine dans le cerveau après consommation d'un joint.

Le cannabis thérapeutique peut soulager des patients atteints de maladies lourdes. Il est utilisé dans certains États américains et en Israël. Une expérimentation est prévue en France. Le Sativex et deux autres médicaments à base de cannabis sont déjà utilisés dans plusieurs pays européens.

L'étude issue de l'expérimentation permettra de tirer des conclusions à partir du suivi des patients. Les prescriptions devraient être encadrées par des ordonnances sécurisées et délivrées par les seules pharmacies. Des contre-indications seront mentionnées. La culture du produit sera réalisée en France.

Oui à l'expérimentation du cannabis thérapeutique. Non à l'usage du cannabis récréatif. (M. Joël Guerriau applaudit.)

M. Michel Forissier .  - L'usage thérapeutique du cannabis refait débat depuis l'annonce du comité d'experts de l'AFSM du 13 décembre 2018 qui préconise l'utilisation clinique du cannabis thérapeutique pour certains patients. Il reste plusieurs mois de travail des professionnels de santé avant une prise de décision politique.

La question du cannabis médical donne lieu à des débats passionnels, partout dans le monde. Le sujet est sérieux puisqu'il s'agit de donner un cadre légal à l'utilisation médicale d'une drogue pour lutter contre la douleur.

Le 2 avril 2015, nous avions examiné une proposition de loi de Mme Benbassa utilisant l'usage contrôlé du cannabis, qui fut rejetée. Aujourd'hui, il s'agit d'autre chose.

Dans un cadre exclusivement clinique, le recours au cannabis reste controversé en raison des effets indésirables induits par l'usage de cette substance. Un travail d'expertise doit être mené qui débouchera sur une expérimentation puis à une décision. Une nouvelle réunion d'experts aura lieu le 26 juin.

L'avenir du cannabis thérapeutique reste donc incertain en France, même dans le milieu médical. Posologie, lieu de délivrance, mode de consommation, modalités de suivi restent en discussion.

Pour le moment, une trentaine de pays autorise le cannabis thérapeutique. Le législateur, garant de l'intérêt général, ne doit pas mettre à mal les repères de notre société.

Soyons clairs : il n'y a pas de consommation de drogue sans effet nocif sur la santé et le psychisme. Il faut donc que les experts se prononcent pour éclairer les décideurs politiques. Les études sont encore lacunaires mais je compte sur les scientifiques pour aller de l'avant. Ce qui importe, c'est le bénéfice pour les patients et l'équilibre des effets positifs par rapport aux risques.

M. Olivier Cadic .  - Ce débat est utile et opportun. Élu des Français de l'étranger, je veux évoquer ce sujet dans une perspective plus large. Nous parlons de l'usage thérapeutique du cannabis avec moult précautions au moment où nos voisins luxembourgeois s'apprêtent à légaliser la culture, le commerce et la consommation du cannabis. L'achat de 30 grammes sera permis aux résidents majeurs, ce qui exclut les frontaliers et donc le tourisme de la drogue. La consommation devra se faire en privé. Une dépénalisation de la consommation est même envisagée pour les mineurs.

En octobre 2018, le Canada autorisait la vente et la consommation de cette drogue douce à des fins récréatives, emboitant le pas à l'Uruguay et à la moitié des États américains. Ces pays ont compris que poursuivre une politique de répression était courir après une chimère, comme chez nous. La consommation de cannabis est au plus haut chez nous depuis 25 ans : plus d'un jeune sur quatre déclare avoir fumé du cannabis.

À laisser fleurir le marché noir, on favorise la circulation d'un produit de mauvaise qualité et dangereux et nous remplissons les poches des narcotrafiquants, qui s'incarnent parfois jusque dans des États, à l'image de ce qui se passe au Venezuela. Je salue le président Cambon qui a invité ce matin M. Lorent Saleh, prix Sakharov de 2017, à s'exprimer devant la commission des affaires étrangères : emprisonné et torturé pendant plus de quatre ans au Venezuela, il a témoigné des atteintes quotidiennes aux droits de l'homme dans son pays. Ce régime criminel organise et exécute le trafic de drogue à grande échelle à l'aide des officiers de son armée. Je rends hommage à Juan Guaido, président par intérim du Venezuela qui lutte pour libérer son pays d'un régime qui les opprime.

Nous avons sous les yeux un régime qui vit du trafic de stupéfiants et dont les proches viennent parfois se mettre à l'abri dans nos pays avec le produit de leurs crimes et de l'autre nous poursuivons celui qui fume du cannabis pour soulager ses douleurs : cherchez l'erreur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Toutes les drogues sont nocives et socialement dangereuses. Le cannabis est une drogue comme les autres. Ce n'est pas un cas particulier parmi les drogues, davantage comparable à l'alcool qu'à la cocaïne et à l'héroïne.

Fort heureusement, le législateur n'a jamais retenu cette approche. Les faits lui ont donné raison puisque les travaux scientifiques ont donné tort au discours sur la faible nocivité du cannabis et que le phénomène croissant des polytoxicomanies démultiplie les dangers liés à la consommation d'une seule drogue. Il n'existe pas de drogue douce.

Le débat sur les effets thérapeutiques du cannabis est légitime car il faut se préoccuper de la santé des patients, notamment lorsque les thérapies classiques ne viennent plus à bout des douleurs. Beaucoup d'entre eux s'en procurent aujourd'hui dans l'illégalité, sans aucun suivi médical ni garantie sur la qualité des produits.

Mais ouvrir une réflexion sur le cannabis thérapeutique, c'est aussi prendre le risque d'ouvrir la porte à la légalisation du cannabis récréatif. En vingt ans, la consommation de cette substance a doublé en France. Le geste se banalise, notamment chez les adolescents, qui sont devenus les champions d'Europe de la consommation de cannabis.

Nous manquons d'études pour savoir si le cannabis soulage véritablement la douleur. Elles reposent surtout sur des déclarations subjectives.

Un rapport de l'Agence sur les drogues de l'Union européenne notait « des lacunes importantes dans les données scientifiques ».

La possibilité d'une consommation excessive existe pour toute drogue qui affecte le fonctionnement du cerveau, et le cannabis ne fait pas exception à la règle. Comme pour le tabac, beaucoup de ses consommateurs ont eux aussi du mal à arrêter. Le cannabis a des effets dévastateurs sur la mémoire, augmente les risques cardiaques et provoque des catastrophes sur la route.

Il faut aussi s'interroger sur la meilleure façon de sortir du cannabis : les centres thérapeutiques communautaires peuvent constituer une réponse adaptée aux toxicomanes. J'ai visité le centre de San Patrignano en Italie, modèle à suivre dans l'accompagnement des toxicomanes. La pratique de travaux collectifs les aide à se réinsérer. L'entraide et l'encadrement sont indispensables pour garantir l'abstinence. Malheureusement, nous n'avons en France que dix structures de ce genre.

Les études scientifiques ne sont pas assez solides pour garantir l'efficacité du cannabis thérapeutique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Merci pour ce débat qui va me permettre de faire le point sur l'usage thérapeutique du cannabis, qu'il faut distinguer de sa consommation récréative, avec ses effets sur la santé et l'insertion sociale.

Ce débat porte sur le cannabis thérapeutique. Pourtant potentiellement nocif, le cannabis est aussi doté de propriétés thérapeutiques.

Une modification de la réglementation sur le cannabis est intervenue en juin 2013 : elle prévoit que des médicaments contenant du cannabis puissent être utilisés mais uniquement s'ils possèdent une autorisation de mise sur le marché délivrée en France ou par l'Union européenne. Ces spécialités pharmaceutiques à base de cannabinoïdes ont notamment passé une procédure rigoureuse incluant une appréciation du rapport bénéfices/risques.

Je voudrais revenir sur les enjeux majeurs de santé publique du cannabis utilisé comme une drogue. Les niveaux d'usage de cannabis en France placent notre pays en tête des pays européens pour ce qui concerne la consommation régulière, surtout chez les jeunes.

Les chiffres doivent nous faire réfléchir : 1,4 million de personnes consomment régulièrement du cannabis et 700 000 en consomment tous les jours, ce qui inclut des enfants dès 11 ans.

Parmi les usagers actuels de cannabis, 20 % sont identifiés comme à risque élevé d'abus ou de dépendance. Aujourd'hui, 80 % des consultations jeunes consommateurs concernent des usages répétés et problématiques de cannabis. Cette observation appelle une réponse sanitaire adaptée à chaque public.

Dans l'Union européenne, 21 pays sur 28 autorisent l'usage du cannabis thérapeutique. La République tchèque et l'Italie l'ont autorisé en 2013. La Hongrie lui a emboîté le pas en 2015, puis ce fut le tour de l'Allemagne, de l'Irlande et de la Slovénie en 2017. Les législations sont très variées en fonction des pays. Ces exemples nous guideront pour établir les modalités de l'usage thérapeutique du cannabis en France.

L'usage thérapeutique du cannabis est une des priorités de la ministre de la Santé. Des travaux ont été engagés. La ministre a saisi l'ANSM pour disposer d'un état des lieux, notamment des spécialités pharmaceutiques contenant des extraits de la plante de cannabis, ainsi qu'un bilan des connaissances relatives aux effets et aux risques thérapeutiques liés à l'usage de la plante elle-même.

Un comité a été constitué et il a exclu d'emblée la voie d'administration fumée. À deux jours de la journée mondiale contre le tabac, je salue d'ailleurs les résultats positifs de la lutte anti-tabagisme dans notre pays, puisqu'en deux ans, le nombre de fumeurs a diminué d'1,6 million de personnes dans notre pays.

En décembre 2018, ce comité scientifique a estimé pertinent d'autoriser l'usage du cannabis thérapeutique dans certains cas de maladies, comme les douleurs réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d'épilepsie sévères et pharmacorésistantes, les situations palliatives, les soins de supports en oncologie et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Les travaux du CSST se poursuivront jusqu'en juin 2019 pour définir les modalités de l'expérimentation et les modalités de mise en oeuvre, à savoir les prescripteurs autorisés, le circuit de distribution et de délivrance, les modalités d'administration, les formes pharmaceutiques, les dosages et concentration en principes actifs dispensés qui pourraient être mis en oeuvre pour une expérimentation du cannabis thérapeutique. Il appartiendra ensuite au Gouvernement de se prononcer sur la base de cet avis sur les indications et les modalités d'usage thérapeutique du cannabis ainsi que de déterminer le circuit de distribution.

Nous continuerons à maintenir nos interdits et à renforcer nos politiques de prévention des addictions, comme le prévoit le plan national de santé publique, notamment en milieu scolaire, avec des campagnes de sensibilisation des ambassadeurs de la santé, et grâce à la création d'un service sanitaire qui forme des praticiens spécialisés dans la prévention. Des consultations sont aussi prévues à l'adresse des jeunes consommateurs.

Nous sommes favorables à une expérimentation concernant l'usage thérapeutique du cannabis, à condition qu'elle soit préparée et encadrée.

La prévention de la consommation de drogues est un axe prioritaire de la politique du ministère de la Santé. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et RDSE)

Prochaine séance, lundi 3 juin 2019, à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 30.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus