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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Accord en CMP

Questions d'actualité

Réforme des retraites (I)

Mme Monique Lubin

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites

Réforme des retraites (II)

M. Claude Malhuret

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Cohésion nationale

M. Roger Karoutchi

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Crise entre les États-Unis et l'Iran (I)

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Dispositif 100 % Santé

M. Michel Amiel

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Commercialisation des huiles essentielles

M. Joël Labbé

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Crise entre les États-Unis et l'Iran (II)

M. Pierre Laurent

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Crise entre les États-Unis et l'Iran (III)

M. Pascal Allizard

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Situation de l'hôpital public

M. Jean-Luc Fichet

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Violences urbaines

Mme Esther Sittler

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Assassinat de Sarah Halimi

M. Jean-Marie Bockel

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Grèves

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports

Réforme des retraites à Saint-Pierre-et-Miquelon

M. Stéphane Artano

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites

Crise entre les États-Unis et l'Iran (IV)

M. Jean-Yves Leconte

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Réforme des retraites (III)

Mme Martine Berthet

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Violences faites aux femmes en situation de handicap

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution

Mme Michelle Gréaume

Mme Dominique Vérien

Mme Chantal Deseyne

M. Roland Courteau

Mme Françoise Laborde

M. Xavier Iacovelli

M. Loïc Hervé

Mme Nicole Duranton

Mme Pascale Gruny

M. Claude Malhuret

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées

La laïcité, garante de l'unité nationale

Mme Françoise Laborde, pour le groupe RDSE

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

M. Daniel Chasseing

Mme Dominique Vérien

M. Roger Karoutchi

Mme Hélène Conway-Mouret

M. Olivier Léonhardt

M. Arnaud de Belenet

Mme Éliane Assassi

Mme Sophie Joissains

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

M. Rachid Temal

Mme Brigitte Lherbier

Mme Viviane Artigalas

M. Jérôme Bascher

M. Olivier Paccaud

M. Max Brisson

Mme Josiane Costes, pour le groupe RDSE

Echec en CMP

La pédopsychiatrie en France

Mme Laurence Cohen, au nom du groupe CRCE

Mme Élisabeth Doineau

M. Jean-François Rapin

M. Jean-Louis Tourenne

Mme Véronique Guillotin

M. Xavier Iacovelli

Mme Michelle Gréaume

M. Daniel Chasseing

Mme Sylviane Noël

M. Michel Raison

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Annexes

Ordre du jour du jeudi 9 janvier 2020

Analyse des scrutins




SÉANCE

du mercredi 8 janvier 2020

44e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Accord en CMP

M. le président.  - La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire est parvenue à l'adoption d'un texte commun. (Applaudissements)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise sur Public Sénat. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Réforme des retraites (I)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Hier, nous avons eu ici un débat fort édifiant sur les retraites. Atermoiements, incohérences, imprécisions, la cacophonie était à son apogée.

Je résume le débat : l'âge pivot ne concerne que quelques cas d'espèces, le coût financier de la transition se fera à enveloppe constante. La mise en place des outils de simulations sera complexe ; il faudra attendre un rapport de l'IGAS pour évaluer les conséquences de la réforme sur les pensions de réversion. En outre, des garanties ont déjà été apportées à certaines professions qui conserveront leur propre régime. L'universalité n'est pas possible et seules certaines catégories de salariés subiront une réforme au rabais.

« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » : vous êtes loin du but. Quand allez-vous retirer ce projet de loi non abouti et anxiogène ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites .  - Vous avez effectivement posé plusieurs questions hier. L'âge pivot sert à maintenir le système à l'équilibre : ce n'est pas un tabou. Déjà, la réforme de 2014 prévoyait de ramener tout le monde à 43 ans de cotisations en 2035.

Plusieurs outils de simulation existent sur le site « retraites.gouv.fr ». Les outils individuels seront disponibles après le vote du texte. (Vives exclamations à gauche)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Il faut attendre que le fût du canon refroidisse !

Mme Monique Lubin.  - Tout est dit ! Quand les paramètres seront disponibles et la loi votée, vous saurez à quelle sauce vous serez mangés... Ce n'est pas sérieux. Nous ne pouvons livrer les Français à un projet si peu abouti. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur quelques travées des groupes CRCE et Les Républicains)

Réforme des retraites (II)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Ma formule sur la France en marche arrière et les Français en marche à pied, hier, visait ceux qui, tout en prétendant défendre le service public, paralysent le pays et se moquent de la détresse des Français, surtout les plus fragiles. Alors que nos voisins européens ont réformé dans le calme, les démagogues d'ultra - droite et d'extrême gauche proposent la retraite à 60 ans. Ils voient l'argent public comme des chakras ouverts... Tout le monde peut se servir. Mais les Français savent la réforme inévitable. Notre système coûte 14 % du PIB contre 10 % en moyenne en Europe.

Le sujet porte sur l'équilibre et donc sur la pérennité du système français de retraites. Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de refuser la dichotomie entre réforme systémique et paramétrique. Penser que la réforme va s'équilibrer toute seule, surtout avec l'augmentation de la facture à chaque rendez-vous avec les partenaires sociaux, c'est disputer un marathon avec des chaussures de ski. (Sourires)

Vendredi prochain sera, nous dit-on, l'épreuve de vérité. Allez-vous tenir un langage de vérité sur l'équilibre financier de nos retraites ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Avant de répondre, permettez-moi de souhaiter à tous les membres du Sénat une excellente année 2020.

Monsieur le président Malhuret, je serai tenté de vous répondre par un seul mot : oui. C'est un peu court, jeune homme !, me direz-vous. (Sourires)

Oui, la question de l'équilibre est légitime et c'est une exigence que nous devons poser. Avec ses 42 régimes, notre système actuel est fondé - et c'est heureux - sur la répartition, c'est-à-dire sur la solidarité entre générations, au sein d'un régime et parfois avec d'autres régimes.

C'est ce système qui nous donne le plus faible taux de pauvreté chez les retraités en Europe. Nous voulons évidemment préserver cela.

Mais la solidarité est le contraire de l'irresponsabilité. Il serait peu solidaire que les actifs actuels laissent leurs enfants payer leurs pensions et la dette. L'équilibre est, en soi, un objectif de solidarité et de responsabilité.

Dans toutes les grandes démocraties occidentales, on a retardé l'âge de départ à la retraite, parce que le ratio actifs/retraités se modifie, que l'espérance de vie augmente. C'est le cas en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie... Toucher au système de retraite suscite toujours de l'émotion, mais tous ces pays ont réussi à le faire, alors qu'en France, depuis très longtemps, chaque tentative se heurte à une émotion et une mobilisation considérables.

Ceux qui critiquent notre projet critiquaient les réformes antérieures qu'ils défendent aujourd'hui. Nous voulons un système universel, équitable et responsable. (Protestations et rires sur les travées de gauche et de droite)

C'est un élément de justice et d'efficacité, mais aussi une adaptation à la réalité, car de plus en plus les carrières professionnelles sont variées, diverses, parfois hachées. Un système universel par points et par répartition prendra bien mieux en compte cette diversité.

Le projet de loi sera présenté prochainement en conseil des ministres, puis examiné à l'Assemblée nationale fin février et au Sénat en avril : la discussion sera dense et riche ; je l'attends avec impatience. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

Cohésion nationale

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La République se doit d'être protectrice de tous les citoyens. Sarah Halimi a été massacrée, défenestrée par un meurtrier clairement antisémite. Il n'y aura pas de procès. Au-delà des règles, des codes, trouvez-vous cela juste ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Jean-Pierre Sueur, Patrick Kanner et Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Mme Halimi a été assassinée de façon atroce, il y a un peu plus de deux ans. Une récente décision de justice a ranimé les passions. Le 19 décembre, la cour d'appel de Paris a déclaré l'auteur des faits irresponsable pénalement « en raison d'un trouble psychique ayant aboli son discernement au moment du crime ». Mais elle a également reconnu « l'existence d'une circonstance aggravante liée à la motivation antisémite de l'acte ». Elle a enfin décidé de mesures coercitives contre le meurtrier sous la forme d'une hospitalisation sans consentement.

Vous savez parfaitement qu'en tant que chef du Gouvernement, il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur une décision de justice. Et vous savez, pour avoir exercé des responsabilités gouvernementales, que ce principe est essentiel.

L'émotion suscitée par cette décision est vive. La cour a eu recours à une procédure créée en 2008 permettant de juger en audience publique des faits commis par un individu dont l'irresponsabilité pénale a été reconnue.

Cette décision suscitera peut-être un débat au-delà de l'émotion. Si c'est le cas, le Gouvernement y prendra sa part. Cependant, il est important de respecter les grands principes républicains, en particulier la séparation des pouvoirs.

La circonstance aggravante de l'acte reconnue par la cour doit être rappelée à ceux qui tenteraient de laisser penser que le meurtre n'a pas été commis par antisémitisme.

Quant à mon sentiment personnel, je le garderai pour moi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jérôme Bignon applaudit également.)

M. Roger Karoutchi.  - Loin de moi l'idée de remettre en cause la neutralité du Gouvernement ou l'indépendance des magistrats. Cependant, dans notre pays quand on marche à Villejuif, à Metz, à Paris ou ailleurs, on peut croiser à tout moment un individu porteur d'un couteau et qui peut prétendre qu'il n'a pas toute sa conscience. Cela signifie-t-il que ces gens sont irresponsables pour toujours ?

Si demain la Turquie ou nos amis kurdes nous envoient des tueurs de Daech et dont les avocats nous diront que lorsqu'ils ont perpétré leurs crimes, ils étaient sous l'effet de drogues ou d'embrigadement, et qu'ils n'avaient donc pas leur pleine conscience, que ferons-nous ?

Le Gouvernement et la République se doivent de protéger tous les Français. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Crise entre les États-Unis et l'Iran (I)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Abattre le chef militaire d'un pays souverain, l'Iran, sur le territoire d'un autre pays souverain, l'Irak, n'est pas une mince affaire, tout comme le fait d'attiser les nationalismes dans ces régions, alors que les crises au Moyen-Orient sont toutes interconnectées, du Liban à la Syrie, de l'Irak au Yémen ou du détroit d'Ormuz à l'Afghanistan.

Quelle est votre analyse sur la situation ? Sur les frappes de cette nuit ? Quelle est la position de la France et de l'Europe ? Comment continuer à lutter contre Daech et éviter que les braises ne s'enflamment ? Merci pour votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Jean-Yves Le Drian, actuellement en Égypte pour continuer à oeuvrer à la stabilité régionale.

La France déplore les frappes de cette nuit contre les forces de la coalition qui, depuis 2014, lutte contre Daech et qui réunit plus de 70 pays et organisations internationales. Cette force a été constituée à la demande de l'Irak pour combattre Daech en Syrie et en Irak.

Notre priorité aujourd'hui est la désescalade. Nous sommes en contact avec une vingtaine de pays pour encourager ensemble à la retenue et à la responsabilité.

Vendredi se tiendra à Bruxelles un conseil extraordinaire des ministres des affaires étrangères : nous devons protéger nos ressortissants, poursuivre la lutte contre Daech et éviter une crise de prolifération nucléaire. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)

M. Philippe Bonnecarrère.  - La crise au Moyen-Orient nous interpelle. Il y va de notre souveraineté et de celle de l'Europe. Nous devons protéger les Français ici comme ailleurs.

Nous n'avons pas à être les supplétifs de la décision américaine, électorale et politique, de supprimer le général Soleimani, ni maintenant ni jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Dispositif 100 % Santé

M. Michel Amiel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Une once de solidarité dans ce monde de brutalité et d'égoïsme : les appareils auditifs, optiques et dentaires, dont le reste à charge peut aller de 200 euros à 500 euros, soit 56 % du coût des aides auditives, 25 % des soins dentaires et 22 % en optique, depuis le 1er janvier, grâce à la réforme 100 % Santé, appelée aussi « Reste à charge zéro » pourraient être intégralement remboursés.

La réforme poursuit son déploiement en 2020, avec l'engagement de la deuxième étape. Permettre l'accès à la santé pour tous est un objectif partagé sur ces travées. Quand aura lieu la montée en charge complète de cette réforme soutenue par les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Les deux tiers des malentendants ne sont toujours pas équipés et 17 % des Français renoncent à des soins dentaires pour des raisons financières. Cette situation n'était plus acceptable. Les soins dentaires, lunettes, appareils auditifs ne relèvent pas du superflu mais de l'essentiel pour la vie quotidienne. La réforme a été élaborée avec les professionnels et les complémentaires. Le 100 % Santé est entré en vigueur en optique au 1er janvier, pour les montures comme pour les verres de qualité.

Couronnes et bridges sont désormais pris en charge à 100 %. Les prothèses mobiles le seront au 1er janvier prochain.

Concernant l'audition, les prothèses coûtaient 850 euros par oreille aux patients en 2018, le reste à charge a baissé de 200 euros en 2019 et de 250 euros en 2020. L'année prochaine, ces prothèses seront totalement prises en charge.

Les dentistes, les opticiens et les prothésistes ont l'obligation d'informer les patients de l'offre 100 % santé. C'est une réforme majeure qui n'avait que trop tardé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Commercialisation des huiles essentielles

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Nous connaissons l'intérêt du ministre de l'agriculture pour les plantes médicinales et leurs usages traditionnels et innovants.

La loi d'avenir agricole a permis aux agriculteurs d'utiliser pour les plantes alimentaires les huiles essentielles comme substances naturelles à usage de biostimulant, via la réglementation sur les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).

Il serait absurde d'exiger une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour des produits vendus par ailleurs comme aliments. La santé par ou pour les plantes, plutôt que par les pesticides de synthèse, est une belle opportunité pour l'agro-écologie et l'économie des territoires ruraux. Pourtant, il semble qu'un projet d'arrêté de votre ministère menace d'exclure les huiles essentielles des PNPP pour les soumettre à de coûteuses AMM en tant que pesticides ! Ce serait un coup d'arrêt au développement de pratiques vertueuses. Des PME développent des produits innovants et chacun reconnaît la nécessité de réduire l'usage des pesticides. Nous garantissez-vous que les huiles essentielles resteront qualifiées de préparations naturelles peu préoccupantes ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées des groupes UC et SOCR)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je suis favorable, vous le savez, à ce que vous défendez. Cependant, le Gouvernement s'appuie sur la science et sur la transparence. L'Anses va rendre son rapport, après quoi le débat pourra avoir lieu. L'avis de l'Anses est attendu pour la fin mars. La consultation publique aura lieu dans la foulée, pour un résultat d'ici l'été.

M. Joël Labbé.  - Si l'écriture de l'arrêté n'était pas satisfaisante, je vous garantis que cela bougera dans les campagnes, et je ne serai pas le dernier ! Il y en a marre de voir que les huiles essentielles risquent d'être soumises aux mêmes autorisations que les pesticides ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur plusieurs travées des groupes SOCR et CRCE)

Crise entre les États-Unis et l'Iran (II)

M. Pierre Laurent .  - L'engrenage militaire tant redouté entre les États-Unis et l'Iran est désormais enclenché. L'irresponsabilité de Donald Trump est immense : après avoir torpillé l'accord sur le nucléaire iranien, il vient avec l'assassinat du général Soleimani d'attiser la guerre dans la région. La riposte iranienne est la conséquence programmée de cette logique de guerre voulue par le Président américain et le feu vert donné à l'offensive turque en Syrie et bientôt en Libye n'était qu'un sinistre prélude.

La logique américaine est manifestement celle d'une guerre sans fin au Moyen-Orient et elle a réussi le tour de force de ressouder les populations derrière le régime autoritaire des mollahs en Iran, alors que les mouvements démocratiques sont étouffés tant en Iran qu'en Irak ou au Liban.

La France ne peut pas rester sans fermement condamner l'initiative illégale de Trump. Exclut-elle tout engagement militaire supplémentaire qui emboiterait le pas aux Américains ? Le Président Macron a-t-il assuré le Président américain de son plein soutien ?

Le Gouvernement est-il prêt à saisir le Parlement par une déclaration avec un vote si la France devait engager des forces dans le cadre de l'OTAN ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Il s'agit d'une mauvaise réaction iranienne à une mauvaise décision américaine de sortir de l'accord de 2015 et d'imposer une logique de sanctions. Nous avons, dès 2017, alerté la communauté internationale sur le risque d'escalade des tensions régionales. L'Iran a violé plusieurs fois l'accord nucléaire. Cela mène à la crise actuelle. Il est inacceptable que l'Iran attaque la coalition qui lutte contre Daech. À ce titre, et à ce titre seulement, nous sommes solidaires. L'assassinat du général Soleimani n'est pas une action de la coalition : elle a été décidée sans que la France soit consultée. C'est un acte unilatéral des États-Unis, décidé sur la base de considérations nationales.

Nous appelons à la retenue et à la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

Crise entre les États-Unis et l'Iran (III)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs mois, la tension monte entre l'Iran et les États-Unis : discours défiant la communauté internationale, violation des traités internationaux, tweets vindicatifs et irresponsables. Nous constatons l'agonie de la diplomatie internationale face à la politique unilatérale américaine du coup de menton qui conduit à l'impasse, comme l'illustre la poursuite des programmes militaires par la Corée du Nord.

Malgré leur inquiétude due au contexte économique et social, les Français se préoccupent des questions internationales, qu'il s'agisse des incendies en Amazonie et en Australie ou de l'intensification du programme nucléaire iranien. L'escalade en Iran est des plus dangereuses. L'élimination du général Soleimani et la riposte iranienne dégradent une situation sur laquelle la France, qui autrefois influait sur le cours des événements, a peu de prise. Comment ramener la diplomatie française et européenne dans le jeu, pour parvenir à une désescalade ? Le président américain a tweeté, il y a quelques minutes, qu'il avait l'armée la plus puissante du monde. Comment assurer la sécurité de militaires français engagés contre Daech et dans la formation des militaires irakiens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Nous avons pris des mesures de vigilance renforcées en Iran et en Irak.

Hier se tenaient à Bruxelles des réunions avec l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France autour de Josep Borrell sur le sujet de l'Iran, de l'Irak et de la Libye. Aujourd'hui, un collège spécial de commissaires européens est réuni sur cette question et vendredi, un conseil extraordinaire des ministres des Affaires étrangères est convoqué pour peser au niveau européen, en faveur d'une désescalade. Le Joint comprehensive plan of action (JCPOA), l'initiative de Biarritz, le déplacement actuel de M. Le Drian en Égypte montrent que nous sommes à la manoeuvre. Quelque 20 pays européens partagent notre vision et nos priorités : désescalade à court terme, lutte contre Daech, lutte contre la prolifération nucléaire.

Situation de l'hôpital public

M. Jean-Luc Fichet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les personnels hospitaliers défendent l'accès aux soins et leurs conditions d'exercice depuis des mois. Dans le Finistère, des praticiens ont refusé une nouvelle assignation après avoir travaillé 62 heures dans la semaine. La formation des futurs médecins est vraiment dégradée.

« L'hôpital public se meurt » : 660 médecins vous ont ainsi alertée le 15 décembre dans une tribune publique ; il y a désormais plus de 1 000 signataires. Les annonces du Gouvernement, fin novembre, n'ont convaincu personne. Nous nous devons de préserver notre système de santé, l'un des meilleurs au monde.

Madame la ministre, avez-vous un vrai projet d'avenir pour l'hôpital public ? Revaloriserez-vous les salaires ? Augmenterez-vous les effectifs et le nombre de lits ? Il y a urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Nous poursuivons le même objectif de garantir l'accès aux soins à tous. Nous connaissons les attentes des soignants, des patients, des élus. Le manque de médecins et le désinvestissement ne datent pas d'hier : un numerus clausus trop restrictif dans les années 1990 et 2000 a mis à mal notre système de santé.

Dès mon arrivée, j'ai travaillé à faire évoluer la médecine de ville et à redonner envie aux soignants d'exercer grâce à une amélioration de la qualité de vie au travail : protocoles de soignants, primes de 100 euros nets par mois aux aides-soignants en gériatrie, plan de réinvestissement dans l'hôpital public présenté il y a deux mois par le Premier ministre, avec des budgets en hausse et une reprise partielle de la dette des hôpitaux qui contribuera à rouvrir des lits.

Cependant, c'est une politique globale qu'il faut. La loi de financement de la sécurité sociale nous en donne les moyens de manière concrète et rapide. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)

M. Jean-Luc Fichet.  - Je crains que ces mesures ne soient homéopathiques avec des résultats quasi-nuls. L'urgence est là. Pensez aux 1 000 médecins qui menacent de démissionner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Violences urbaines

Mme Esther Sittler .  - Dans la nuit du 31 décembre, des voitures ont brûlé dans de très nombreuses villes en France. À Strasbourg, leur nombre est estimé à 220 et les policiers et pompiers ont bien sûr été pris pour cible. À 2 heures du matin, les pompiers ont fait face à une situation d'une violence irréaliste, à la Cité nucléaire, l'une des plus importantes de Strasbourg. C'était un véritable guet-apens, conçu pour préluder à un lynchage, évité grâce à la dextérité du chauffeur du camion. Un pompier a failli être tué par un projectile lancé à la tête. Ces agressions, filmées, ont été préméditées. Il faut ouvrir les yeux.

Comment comptez-vous protéger nos pompiers et reconquérir les enclaves qui échappent à la République, minées par le communautarisme ? Pouvez-vous nous dire combien de véhicules ont brûlé en France dans la nuit de la Saint-Sylvestre ? La presse parle de 1 457 véhicules, en hausse de 13 % par rapport à l'an dernier. Ce n'est pas en cachant un problème qu'on le règle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - J'ai fait le choix, cette année comme l'an dernier, de ne pas commenter le nombre de voitures brûlées, comme mon prédécesseur Brice Hortefeux, afin d'éviter d'alimenter le concours imbécile de quelques abrutis dans les cités.

Strasbourg a été l'un des lieux où la violence a été la plus élevée. Le nombre de voitures brûlées reste l'objet d'un concours. Près de 290 hommes avaient été mobilisés à Strasbourg en plus de ceux qui sont habituellement engagés sur le terrain. Partout en France, plus de 15 000 gendarmes, policiers et pompiers supplémentaires étaient sur le terrain.

Le Président de la République a annoncé un plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires. J'ai souhaité des conventions locales de sécurité pour protéger les pompiers. Nous devons mener un combat mètre carré par mètre carré pour que la République soit partout chez elle. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur quelques travées du groupe RDSE)

Assassinat de Sarah Halimi

M. Jean-Marie Bockel .  - (Applaudissements nourris sur toutes les travées) La décision d'irresponsabilité pénale à l'encontre de l'auteur de l'assassinat infâme de Sarah Halimi a été commentée par Roger Karoutchi. Reste la question : que faire ?

Le grand rabbin de France Haïm Korsia craint que tout individu drogué soit doté d'un permis de tuer des Juifs. En raison de cette irresponsabilité, les familles des victimes sont privées d'un jugement ; cela est vrai pour toutes les religions. Sans remettre en cause l'indépendance de la justice, la loi ne pourrait-elle éviter que nous soyons privés d'un procès public et contradictoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur quelques travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe RDSE)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous avons tous été touchés par le meurtre de Mme Attal-Halimi. À l'issue de l'instruction, une audience sur la question de l'irresponsabilité pénale de l'accusé s'est tenue devant la cour d'appel de Paris. Le caractère antisémite du meurtre de Mme Halimi a été expressément retenu à l'audience. Toutes les parties, grâce à une procédure créée par une loi de 2008, ont pu débattre publiquement et de façon contradictoire.

Six experts psychiatres sur sept ont conclu que le discernement de l'accusé était aboli au moment des faits. La cour a suivi leur avis. Elle a ordonné que le suspect soit hospitalisé d'office avec interdiction pendant vingt ans d'entrer en contact avec les familles. Je sais que cela n'a pas été compris par les parties civiles. Le fait que la consommation prolongée de cannabis ait été retenue a pu choquer ; la situation juridique est complexe et inédite.

La Cour de cassation, saisie, aura l'occasion de se prononcer en droit. Je rappelle que la loi de 2008 a apporté une réponse aux victimes avec la tenue d'une audience publique et contradictoire. N'oublions pas le principe cardinal selon lequel, depuis Napoléon, on ne juge pas, dans un État de droit, les malades mentaux.

M. Jean-Marie Bockel.  - Préciser à nouveau le principe d'irresponsabilité pénale permettrait de ne pas priver les familles et la France tout entière d'un procès, dans de tels cas d'actes antisémites ou terroristes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, Les Indépendants et RDSE)

Grèves

M. Jean-Raymond Hugonet .  - La liberté d'aller et venir est une composante fondamentale de la liberté individuelle. Or voilà plus d'un mois que la SNCF et la RATP ne sont plus en mesure d'assurer normalement leurs missions de service public. Nous proposons avec Bruno Retailleau et de très nombreux collègues, dans une proposition de loi, un service minimum garanti dans le transport public, qui ne remet pas en cause le droit de grève et respecte les principes constitutionnels. Il éviterait aussi aux usagers de se voir proposer un avoir plutôt qu'un remboursement de leur titre de transport.

Notons que la SNCF est plus à l'aise avec le siphonnage des cartes bleues qu'avec le respect des horaires. (Sourires approbateurs sur les travées du groupe Les Républicains)

La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, a demandé à juste titre le remboursement intégral du pass Navigo pour les jours de grève. Le triptyque pagaille, racket et escroquerie est insupportable. Que comptez-vous faire pour y mettre fin ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - La loi Bertrand de 2007 impose un préavis de 48 heures avant toute grève, mais elle est de plus en plus contournée, avec les grèves de 59 minutes ou les préavis illimités validés par les juges. Le Gouvernement est prêt à en discuter avec les entreprises concernées par le service minimum.

Votre proposition de loi, déposée assez opportunément quelques jours avant le début du mouvement, est inopérante.

À droit constant, l'État est fondé à agir sur un service minimum dès lors que l'activité économique et sociale est durablement entravée. Le Gouvernement y est attentif. (M. Jérôme Bascher le conteste.)

Je salue les dizaines de milliers d'agents de la SNCF et de la RATP qui, en très grande majorité, tous les jours, assurent le transport des Français en toute sécurité, dans des conditions difficiles. (On applaudit sur les travées du groupe LaREM.)

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Ce sont des confettis de parole ! La réalité, c'est que les Français sont exaspérés. Si vous êtes fondés à agir, agissez, car nous n'en pouvons plus. (« Bravos ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Réforme des retraites à Saint-Pierre-et-Miquelon

M. Stéphane Artano .  - Saint-Pierre-et-Miquelon est doté d'un système des retraites spécifique. L'alignement avec le régime national est prévu pour 2033, avec le passage à 172 trimestres pour la génération 1973 et le calcul sur les 25 meilleures années dès 2022.

Malgré la volonté d'alignement progressif, des spécificités ont été maintenues.

Le 28 février 2017, le financement pérenne pour la retraite des périodes de chômage pour les salariés du BTP a été acté en raison du contexte climatique. Le 3 décembre, j'ai interrogé le Haut-Commissaire sur le maintien de ces conditions spécifiques, mais n'ai obtenu aucune réponse.

Quelles seront les conditions d'application du projet de réforme à Saint-Pierre-et-Miquelon tant pour les entreprises que pour les salariés ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites .  - Ce régime est en cours de convergence avec le régime général. Les modalités ont été définies récemment. Elles ont été précisées par une ordonnance du 23 juillet 2015 et un décret de 2017. La convergence sera achevée en 2025.

Comme le prévoyait le rapport Delevoye, une ordonnance viendra préciser les modalités d'adaptation de la réforme pour Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les salariés de la pêche, de l'agriculture et du BTP pourront voir leurs périodes de chômage indemnisées prises en compte, comme ce sera le cas pour nous désormais.

M. Stéphane Artano.  - Le renvoi à des ordonnances a été un vrai fiasco pour la formation professionnelle, entrée en vigueur pour la métropole en 2018 et 2021 pour Saint-Pierre-et-Miquelon. (MM. Jean-Pierre Corbisez et Éric Gold applaudissent.)

Crise entre les États-Unis et l'Iran (IV)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Madame la ministre, le 3 janvier, une opération décidée par le Président Trump tuait le général Qassem Soleimani. Elle alimente la spirale de la vengeance, créant de nouveaux risques et de nouveaux drames dans la région. Les conséquences sont graves. La diplomatie couronnée par l'accord de 2015 sur la prolifération nucléaire, auquel Laurent Fabius avait contribué, est décrédibilisée.

En Iran, les éléments les plus extrêmes sont renforcés. En Irak, la présence d'armées étrangères n'est plus souhaitée, en péril de la lutte contre Daech.

Les États-Unis ont-ils informé la France de la frappe du 3 janvier et de ses objectifs ? Comment être solidaire des États-Unis si ce n'est pas le cas ? Qu'en est-il des djihadistes français retenus en Irak ? La situation des familles est profondément modifiée.

Comment considérer les États-Unis comme des alliés dans ce contexte ? Quelles mesures pour garantir la sécurité de nos ressortissants qui vivent et voyagent dans la région ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Non, nous n'en avons pas été informés. C'est une décision américaine basée sur des éléments de sécurité nationale. Notre solidarité est celle d'alliés dans la lutte contre Daech, avec plus de 70 partenaires, États et organisations internationales.

Quand les emprises de la coalition contre Daech sont attaquées, nous sommes solidaires, en Syrie et en Irak. Nous avons ainsi mis fin à la campagne de Daech de reprise des territoires. La menace reste forte, et il faut maintenir la coalition en vie. La lutte contre le terrorisme est une priorité pour tous. Les échanges de Jean-Yves Le Drian avec le Premier ministre irakien montrent notre mobilisation, comme son déplacement en cours en Égypte.

La lutte contre la prolifération nucléaire est aussi notre priorité.

Dès vendredi dernier, nous avons mis en place un plan de vigilance pour nos ressortissants, civils ou militaires, en Iran et en Irak.

Je l'ai dit, la date clé est celle de vendredi 10 janvier, avec la réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères européens autour de Josep Borrell.

Réforme des retraites (III)

Mme Martine Berthet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse au Premier ministre. Je n'irai pas par quatre chemins : votre réforme est mauvaise car vous avez mis la charrue avant les boeufs en refusant de régler d'abord la question du déficit. Elle est mauvaise car elle appauvrit les retraités, avec un point volatile. Elle est mauvaise car elle finit par maintenir des régimes spéciaux, contrairement à ce qu'avait promis Emmanuel Macron à Rodez le 4 octobre 2019.

Les travailleurs indépendants devront cotiser plus ; nous serions le seul pays d'Europe à supprimer les régimes complémentaires. Elle est mauvaise car vous sortez les plus hauts revenus du système par répartition qui renforçait notre ciment national. N'y a-t-il pas un fossé entre ce que promettait Emmanuel Macron et ce qui émerge en réalité de votre projet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Votre avis est respectable, mais je le redis : aux termes de notre projet, il n'y aura plus de régimes spéciaux. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR) Depuis le 1er janvier 2020, il n'y a plus d'embauches au statut au sein de la SNCF - malgré ceux qui disaient que nous n'oserions pas le faire...

La question de l'équilibre n'est en rien négligeable dans un système de retraite. Nous voulons faire en sorte que le régime universel se substitue aux régimes spéciaux. En dépit de ce que vous dites, ceux qui bénéficient de ces régimes spéciaux l'ont bien compris, qui protestent dans la rue. On ne peut pas dire d'un côté qu'il ne se passe rien, de l'autre qu'il se passe tout ! (Sourires et marques d'approbation sur les travées du groupe LaREM)

Vous avez le droit de dire que c'est une mauvaise réforme. J'espère que vous lutterez de façon résolue contre le minimum contributif de 1 000 euros pour les agriculteurs retraités.

J'espère que vous expliquerez à ceux qui ont des carrières hachées et doivent attendre 67 ans pour une retraite à taux plein qu'ils pourront partir à 64 ans avec cette réforme. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Le débat sera passionnant, mais en attendant, cessons avec les affirmations de posture (protestations sur les travées du groupe SOCR ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM) alors que le projet que nous présenterons au Parlement est parfaitement conforme aux engagements du Président de la République : universalité, équité, âge légal à 62 ans et encouragement à travailler plus longtemps, selon des modalités que nous allons définir.

Mme Martine Berthet.  - Votre réforme coûtera plusieurs dizaines de milliers d'euros et réduira le niveau de vie des retraités. Ce n'est pas une posture que de le dire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 16 h 20.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 30.

Violences faites aux femmes en situation de handicap

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution .  - Cette proposition de résolution, cosignée par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et moi, est l'aboutissement des travaux de la délégation aux droits des femmes sur un fléau longtemps resté un impensé des politiques publiques : la violence faite aux femmes en situation de handicap.

Nous l'avons déposée le 25 janvier 2019, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, jour de la présentation par le Gouvernement des conclusions du Grenelle contre les violences conjugales.

Cette proposition de résolution est largement partagée puisqu'elle rassemble 158 cosignataires de tous les groupes. Cela témoigne de l'indéniable progrès de la prise de conscience de la gravité d'un phénomène longtemps tabou. Pendant trop longtemps, les violences faites aux femmes en situation de handicap ont été banalisées et qualifiées de « maltraitance », terme plus acceptable socialement.

Les victimes sont invisibles, oubliées des politiques publiques, estime l'association France handicap. « Nos soeurs oubliées » ou « Forgotten sisters » est d'ailleurs le titre du rapport de Michelle Bachelet pour l'ONU Femmes en 2012.

Grâce au combat des associations, la parole de femmes commence à être entendue. En 2006, l'ONU a adopté la convention relative aux droits des personnes handicapées, qui reconnait explicitement que les femmes handicapées courent un risque plus élevé d'abus. Le Conseil de l'Europe a également souligné leurs besoins spécifiques.

Le handicap accroît le risque de subir des violences, mais peut aussi être le résultat de la violence sexiste. Il était donc temps que soient pris en compte les besoins particuliers de ces victimes. Elles ne connaissent aucun répit. Les violences peuvent être le fait de l'entourage institutionnel et familial ; 60 % des violences ont lieu au domicile, les victimes ne sont à l'abri nulle part.

L'incapacité à dire non peut être perçue comme un signe de consentement, et les femmes autistes sont particulièrement exposées aux violences sexuelles - on songe à l'exemple de Marie Rabatel. Le risque de subir des violences sexuelles est six fois supérieur pour les femmes en situation de handicap mental : c'est intolérable.

Il est positif qu'un groupe de travail dédié se soit constitué lors du Grenelle. Il ne faut pas cependant limiter le sujet aux violences conjugales : le Grenelle n'est qu'une étape du processus et les annonces du 25 novembre n'épuisent pas le sujet.

Il faut déployer des moyens humains et financiers sur l'ensemble du territoire pour prévenir, informer, former, soigner, accompagner. Les violences ne connaissent pas de frontières.

Le regard doit aussi changer sur le handicap : les femmes en situation de handicap veulent être considérées comme des citoyennes à part entière dont la parole ne doit pas être mise en doute. Les professionnels qui les reçoivent doivent être formés - je doute qu'une simple formation en ligne y suffise.

Pour lutter efficacement contre ce fléau, il nous faut aussi des chiffres fiables. (Applaudissements)

Mme Michelle Gréaume .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Christine Prunaud et salue l'initiative de la délégation.

Ces femmes sont les victimes toutes désignées pour différents types de violence. C'est ce que montrent les chiffres de l'Observatoire national de la délinquance ou les appels aux numéros d'écoute mis en place par les associations : quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences et 35 % des violences signalées sont commises par le conjoint. Or beaucoup de victimes n'appellent pas, notamment en cas de handicap mental.

La proposition de résolution formule quatorze propositions, dont l'individualisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui permettra de sortir de la dépendance économique vis-à-vis d'un conjoint violent.

Notre groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens, hélas rejetée en octobre 2018, suscitant l'incompréhension des associations. C'est d'autant plus important que 49 % des femmes handicapées sont inactives et 13 % au chômage.

La formation des professionnels de justice et de santé est un impératif, tout comme l'éducation dès le plus jeune âge et la promotion de l'égalité entre femmes et hommes. Plusieurs initiatives en ce sens ont été menées dans les Côtes d'Armor. L'association Athéol propose ainsi un hébergement et un accompagnement spécifique pour les femmes handicapées. Notre groupe regrette par ailleurs le report de l'obligation d'accessibilité des bâtiments publics, voté ici même en 2015.

Le Gouvernement annonce une politique d'inclusion, mais sans budget dédié à l'hébergement adapté, à la formation des professionnels ou aux subventions aux associations. Faute d'effectifs, celles-ci ne peuvent traiter tous les appels reçus.

Les associations féministes espéraient que le Grenelle se traduirait par un véritable plan Marshall, doté de 500 millions, voire 1 milliard d'euros, bien loin des 79 millions d'euros alloués.

Nous voterons sans réserve ce texte qui traduit l'engagement du Sénat en faveur des droits des femmes. (Mme Michèle Vullien et M. Marc Laménie applaudissent.)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le sujet m'est apparu grave et sous-estimé lors de nos travaux. Les données sont insuffisantes et anciennes. Le chiffre de 80 % de femmes en situation de handicap victimes de violences provient d'un rapport du Parlement européen de 2007.

Il nous faut mieux connaître le phénomène. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) mènera une grande enquête sur les personnes en situation de handicap entre 2021 et 2023 : c'est bien, mais tardif.

Dans les établissements spécialisés, des jeunes femmes en situation de handicap se voient prescrire la pilule contraceptive, sans consentement ni suivi médical. Serait-ce pour se prémunir des conséquences d'un viol ? N'oublions pas non plus les stérilisations imposées par le passé dans les institutions françaises, déjà dénoncées par une commission d'enquête du Sénat en 2003. Elles sont aujourd'hui heureusement interdites sur les handicapés mentaux sous tutelle ou curatelle. Aucune femme handicapée ne devrait être ainsi traitée. Ce sont les femmes et non les violences sexuelles qui doivent être protégées.

Tout aussi sous-estimée, la culture de la soumission des familles vis-à-vis des établissements spécialisés. Les familles peuvent être dissuadées de révéler les violences par crainte d'une exclusion de l'établissement ou d'un signalement à l'aide sociale à l'enfance. Hors l'Association des paralysés de France (APF), aucune association gestionnaire d'établissements n'a accepté d'être auditionnée.

Nous avions proposé que le fichier des auteurs d'infractions sexuelles soit obligatoirement consulté pour l'embauche de tout professionnel ou bénévole ayant à travailler dans ces institutions.

Le manque de signalement est évident, alors que le secret professionnel ne s'applique pas lorsque la victime est handicapée. J'espère que le débat sur l'obligation de signaler, qui fait l'objet d'une mission d'information du Sénat, aboutira.

Je vous invite à voter cette proposition de résolution que j'ai cosignée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution met en lumière un sujet grave mais encore tabou. Elle prolonge les travaux de la délégation aux droits des femmes.

Les violences dont sont victimes les femmes handicapées sont multiples. Elles peuvent être commises par des proches ou des professionnels, au domicile ou au sein d'une institution. Pourtant, rares sont les campagnes de sensibilisation ou de prévention.

Les femmes en situation de handicap sont d'autant plus vulnérables qu'elles sont souvent en situation de dépendance économique. C'est un facteur aggravant.

Victimes de préjugés liés à la fois à leur sexe et à leur handicap, ces femmes peinent à poursuivre des études et à trouver un emploi. Ainsi, le nombre de personnes sourdes ne sachant ni lire ni écrire est alarmant. Nous recommandons d'améliorer l'accès aux études des jeunes filles en situation de handicap, enjeu de leur autonomisation.

La surdiscrimination dont sont victimes les femmes en situation de handicap a des conséquences sur leur capacité à échapper à leurs agresseurs. Un rapport de 2016 du Défenseur des droits analyse en détail cette situation et son constat est édifiant. Un rapport de 2018 du Défenseur des droits et de l'OIT montre que les femmes en situation de handicap sont plus discriminées dans l'emploi : elles sont 54 % à avoir subi une discrimination ces dernières années contre 34 % pour l'ensemble de la population active. Elles sont victimes d'une double exclusion car femmes et handicapées. Les femmes en situation de handicap sont considérées comme moins aptes à surmonter leur handicap que les hommes. Aussi, elles occupent souvent des emplois de niveau inférieur ou à temps partiel. Seul 1 % sont cadre, contre 10% chez les hommes. Nous proposons de mieux prendre en compte le critère d'égalité femme-homme dans la politique en faveur de l'emploi des personnes handicapées.

Enfin, lorsque leur seule ressource est l'AAH, la dépendance vis-à-vis du conjoint est intolérable car le calcul de l'AAH intègre les revenus de ce dernier. Il faut réfléchir aux contours de cette prestation dans un contexte de violence au sein du couple.

Pour mieux lutter contre les violences, le renforcement de l'autonomie professionnelle est clé. Je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. Roland Courteau .  - J'interviens cet après-midi avec une émotion particulière. Ce texte est l'aboutissement d'un travail de plusieurs mois, suivi d'un rapport d'information adopté à l'unanimité par notre délégation aux droits des femmes. Le nombre de cosignataires illustre l'implication de toute notre Assemblée.

Il est de notre devoir de protéger ces femmes contre les prédateurs. C'est le fil rouge de mon parcours d'élu, comme législateur et sur le terrain.

Malgré des avancées, les violences contre les femmes handicapées sont mal connues. Les victimes sont oubliées et invisibles ; il faudrait ajouter inaudibles, car leur parole est toujours mise en doute en raison de leur handicap - comme si leur identité se réduisait à cela.

Les deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes contiennent des mesures intéressantes ; espérons qu'ils aboutiront à des résultats concrets, notamment en matière de formation des professionnels et des agents du service public. Des clips de sensibilisation adaptés ont été sous-titrés et traduits en langue des signes. C'est une bonne pratique. Saluons également la convention entre le 3919, destiné aux femmes victimes de violences, et le 3977, contre la maltraitance, afin d'orienter les femmes en situation de handicap vers des structures spécialisées.

La feuille de route issue du comité interministériel du handicap intitulée « Gardons le cap, changeons le quotidien » prend en compte les violences faites aux femmes. Cette démarche devra être amplifiée à l'avenir. Les femmes en situation de handicap doivent cesser d'être invisibles.

Pour révéler les violences qu'elles subissent, les femmes en situation de handicap doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés, leur parole encouragée et crédibilisée. Tous les professionnels et bénévoles en contact avec elles doivent être formés à repérer les violences. Cela suppose de savoir tenir compte du psycho-trauma.

Nous comptons sur le Gouvernement pour que le sixième plan interministériel amplifie les efforts entamés il y a quelques années.

Enfin, je regrette que la stratégie nationale pour l'autisme ne mentionne pas explicitement la lutte contre ces violences.

La formation en ligne des professionnels du médico-social manque d'ambition. Compte tenu de la complexité du sujet, elle ne saurait se substituer à un réel apprentissage. J'exprime aussi des doutes sur les centres de ressources visant à accompagner les femmes en situation de handicap à la sexualité et à la parentalité. Notre rapport souligne la nécessité d'une éducation à la sexualité pour les jeunes filles en situation de handicap, dans une perspective de prévention des violences. Or les centres de ressources sont insuffisants.

La dimension du handicap doit systématiquement être prise en compte dans les politiques publiques visant à lutter contre les violences faites aux femmes. Cela suppose une approche transversale. Nous voterons sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Françoise Laborde .  - (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.) Je suis heureuse de défendre cette proposition de résolution qui fait suite à un rapport de la délégation aux droits des femmes.

Les personnes auditionnées nous ont rappelé l'importance de traiter les femmes en situation de handicap non comme des objets de soins, mais comme des sujets de droit. L'accès au droit est la clé de la réussite dans la lutte contre les violences. Or d'énormes progrès dans la prise en charge par la police et la justice restent à faire. La démarche de se rendre dans un commissariat est éprouvante pour une victime de violences ; pour une femme en situation de handicap, elle peut être insurmontable, notamment en raison du manque de formation des professionnels et de l'inadaptation des procédures.

Une formation particulière est nécessaire. Or elle fait trop souvent défaut aux professionnels de police et de justice. Manque d'empathie, attitude condescendante, inadaptation des questions... Cela ne s'apprend pas en ligne. Les femmes en situation de handicap sont trop souvent infantilisées, présumées incapables.

Nous plaidons pour le développement d'outils et de procédures adaptées aux personnes autistes et malentendantes notamment. Ainsi, le nombre de permanences juridiques équipées d'un accueil en langue des signes reste très limité - les victimes sont de fait exclues.

Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir mener une démarche judiciaire. Aussi, il faut une adaptation au handicap. Construire des rampes d'accès ou des ascenseurs adaptés ne suffit pas.

Le Parlement européen, en mars 2017 et novembre 2018, a dénoncé l'inadaptation des infrastructures médicales au handicap, notamment en gynécologie. La prise en charge gynécologique et obstétricale des femmes en situation de handicap est très insuffisante : 85 % d'entre elles n'ont jamais passé de mammographie. Le suivi régulier est indispensable, fortiori en cas de contraception. Les équipements de dépistage du cancer du sein doivent être adaptés.

Brigitte Bricout, présidente de l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, a déclaré : « Ce n'est pas notre handicap qui nous définit, mais d'être femme. Les femmes sont des citoyens comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyennes est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile mais à l'intérieur. » Il est de notre devoir de garantir cette citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement. Je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements)

M. Xavier Iacovelli .  - Je salue cette initiative transpartisane. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences de leur conjoint ou ex-conjoint ; 12 % de Françaises ont été victimes de viols et 43 % subi des gestes sexuels sans consentement. Selon l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de violences. C'est un cercle vicieux : le handicap accroît le risque de violences et les violences accroissent le handicap.

Une meilleure connaissance du phénomène est nécessaire, tout comme un travail avec les acteurs associatifs. Commençons par faciliter les démarches administratives et judiciaires des victimes. La prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap a fait l'objet d'un groupe de travail dédié dans le cadre du Grenelle. Certaines propositions seront mises en oeuvre en 2020, comme la formation des professionnels de santé intervenant dans les établissements et services médico-sociaux. Il convient de mieux faire connaître les dispositifs existants. Ainsi le numéro d'écoute téléphonique 3919 sera accessible aux personnes sourdes et malentendantes.

Nous sommes favorables à une société plus inclusive qui intègre chaque personne, qui lutte contre les inégalités de destin. L'égalité entre femmes et hommes est la grande cause du quinquennat, a fortiori quand il s'agit des femmes les plus vulnérables. Nous soutenons cette proposition de résolution. L'adopter à l'unanimité serait un geste fort. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le nombre de femmes décédées sous les coups de leur conjoint en 2019 atteint 149. Ouvert le 3 septembre, le Grenelle des violences conjugales a porté une attention particulière à la question des féminicides.

Notre délégation aux droits des femmes a voulu mettre l'accent sur le fléau des violences faites aux femmes en situation de handicap, souvent oublié des politiques publiques.

Mme Ribes, vice-présidente de l'association France handicap, a déclaré lors de la table ronde du 6 décembre 2018 que les femmes handicapées étaient invisibles et oubliées des politiques publiques.

Premiers interlocuteurs des victimes, les forces de police n'adoptent pas la bonne attitude. Elles doivent les accueillir avec plus de bienveillance. Les personnes en situation de handicap, notamment sourdes et malentendantes, sont exclues des dispositifs d'aide aux victimes. Idem pour les autistes. La formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire sont à renforcer. La prise de conscience est indispensable.

Je vous invite à adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SOCR)

Mme Nicole Duranton .  - Négligées, humiliées, frappées, violées, parfois tuées : 80 % des femmes handicapées subissent des violences. Nous ne pouvons plus tolérer l'intolérable.

Je salue l'excellente initiative des auteurs de la proposition de résolution. Les femmes en situation de handicap sont les premières victimes d'abus, compte tenu de leur vulnérabilité. Le consentement est l'angle mort des politiques d'accompagnement du handicap. Il n'est pourtant jamais acquis par défaut !

Nous devons obtenir de meilleures statistiques pour quantifier et qualifier les faits.

Quelque 31 % des femmes en situation de handicap sont ou ont été victimes de violences physiques ou sexuelles ; 3,9 % sont victimes de violences dans le couple, contre 1,87 % des femmes en moyenne. Selon Maudy Piot, présidente de l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences. Les agresseurs sont les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 10 %, les parents à 9 %, les aidants extérieurs à 18 %.

Elles sont aussi victimes d'agressions sexuelles dans les institutions spécialisées qui les accueillent. Cependant, les abus de faiblesse ont lieu à 60 % au domicile.

Beaucoup de femmes n'appellent pas les numéros d'urgence. Les violences perdurent souvent malgré l'action des associations. Il faut alors porter plainte.

Mais la dépendance financière, quand le proche maltraitant gère l'AAH, matérielle ou affective peut être forte, tout comme la peur des représailles. Il faut donc sécuriser un parcours de plainte autonome et accessible. Mais le parcours de la combattante ne s'arrête pas au dépôt de plainte. Les commissariats, les gendarmeries sont parfois inadaptés, le personnel insuffisamment formé. Pédagogie et formation sont indispensables pour prendre conscience de la réalité de ces violences et mieux accompagner les victimes.

Je voterai bien entendu cette proposition de résolution que j'ai cosignée. Nous sommes les porte-parole de ces femmes. Il faut absolument que la peur change de camp. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et UC)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les violences faites aux femmes en situation de handicap sont un angle mort des politiques publiques.

Le rapport de la délégation a pointé le manque criant de données sur le sujet. Quelque 80 % des femmes en situation de handicap sont victimes de violences de toute sorte. Elles sont quatre fois plus susceptibles de subir des violences sexuelles que l'ensemble de la population féminine. Elles sont en outre plus souvent dépendantes économiquement et émotionnellement vis-à-vis de leur agresseur. Beaucoup n'osent pas porter plainte par peur des représailles, d'autres sont dans l'incapacité d'appeler les numéros d'urgence. Celles qui franchissent le pas sont confrontées à d'autres violences psychologiques : c'est le cas de cette femme autiste qu'on ne croit pas parce qu'elle a du mal à s'exprimer et ne manifeste pas ses émotions, ou de cette femme malentendante à qui les policiers demandent de mimer le viol dont elle a été victime, qu'elle ne peut raconter. Il est primordial de mieux former les professionnels de police et de justice à la spécificité de ces violences.

Il convient d'améliorer l'information des femmes handicapées sur leurs droits, avec des outils de communication dans des formats accessibles.

Il est urgent également de briser l'omerta dans certains établissements spécialisés. Dans l'Aisne, une professionnelle de santé m'a dit qu'elle soupçonnait un père d'inceste sur ses deux filles placées ; tout le monde savait, personne ne parlait.

Les violences aux femmes en situation de handicap sont invisibles, mal connues et trop peu prises en compte. Nous voterons ce texte qui invite à un changement de regard de la société. Aidons ces femmes à sortir du silence, faisons entendre leur voix et agissons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur plusieurs travées au centre) Longtemps les violences ont été taboues, surtout celles commises sur les enfants et les femmes. L'année 2019 a marqué la fin du silence, avec une mobilisation sans précédent de la société civile dont le point d'orgue a été la marche organisée par le collectif Nous Toutes en novembre dernier. La prise de conscience est là : c'est une première étape. Les noms de celles qui ont péri, placardés dans nos rues, impriment une trace indélébile dans notre quotidien. Le Grenelle des violences conjugales a débouché sur trente mesures de prévention et de protection que nous soutenons.

Les violences au sein de la famille sont désormais audibles. La délégation aux droits des femmes dont je salue le travail sans relâche a produit un rapport d'information, avec des chiffres glaçants. Une discussion s'ouvre ; elle doit déboucher sur des réponses adaptées. Les femmes en situation de handicap sont confrontées à des violences dans la famille et les institutions. Il faut des données fiables et actualisées.

Les mesures du Grenelle sont des avancées. Tous les maillons du dispositif de prise en charge doivent être formés et sensibilisés. L'accès à la police, à la justice, à l'hébergement d'urgence doit être amélioré.

Le Grenelle prévoit l'ouverture 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 d'un numéro d'urgence : 39 19. C'est essentiel.

Les difficultés d'accès se retrouvent dans les soins, le dépistage et le diagnostic, en particulier pour le cancer du sein.

La délégation aux droits des femmes a soulevé un autre point : l'autonomie économique des femmes en situation de handicap.

M. Roland Courteau.  - C'est essentiel !

M. Claude Malhuret.  - L'accès à l'éducation est un pilier de notre République ; l'accès à l'emploi fonde l'égalité des chances. Il faut une meilleure intégration des personnes autistes dans le milieu du travail.

L'État doit prendre des mesures de lutte, mais aussi de prévention contre les violences faites aux femmes en situation de handicap dans les politiques publiques ; mais c'est aussi à nous, citoyens, de changer notre regard.

Le groupe votera cette proposition de résolution, étape essentielle dans le travail qui reste à accomplir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées .  - Je tiens à saluer votre initiative transpartisane et consensuelle. Être femme en situation de handicap expose plus que tout aux violences physiques et sexuelles. Pour la première fois, un gouvernement a deux secrétariats d'État, sur le handicap et sur l'égalité femme-homme, rattachés tous deux au Premier ministre. C'est dire la volonté du Président de la République et du Premier ministre sur ces sujets prioritaires.

Selon l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq sont victimes de violences. Dans une étude de mars 2016, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales montre que les femmes de moins de 25 ans en situation de handicap sont celles qui courent le plus de risque de violences conjugales.

Maudy Piot, fondatrice hélas disparue de l'association Femmes pour le dire, femmes pour agir, m'alertait sur l'augmentation forte des appels reçus au numéro d'écoute créé en 2015 : 86 % des appelants sont des victimes ; 38 % ont entre 45 ans et 65 ans, 16 % entre 26 ans et 45 ans. Les moins de 25 ans n'appellent pas ou peu. Les femmes atteintes de déficience intellectuelle non plus.

L'Assemblée francophone des femmes autistes indique que 90 % des femmes souffrant de troubles autistiques sont victimes de violences. Une femme faisait part de la crainte de son conjoint qu'elle « ponde un handicapé ». Elle l'a quitté, avec son fils de cinq ans, après des années de maltraitance.

Malgré de tels témoignages, la société est longtemps restée indifférente. Elle ne doit pas détourner le regard ; les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap doivent être pris en compte dans tous les aspects de l'action publique. Les engagements du Comité interministériel du handicap de 2018 ont été repris en décembre 2019. La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, le Conseil national consultatif des personnes handicapées et un certain nombre d'associations se sont engagés dans la rédaction de fiches-réflexe pour aider les femmes en situation de handicap à repérer les violences. Le travail est achevé, nous nous consacrons à présent aux déclinaisons opérationnelles. Le 114 est en accès total pour les femmes sourdes et malentendantes.

Il faut aussi faire de la prévention, notamment en éduquant les enfants contre ces violences. Une adolescente fait part de ses souffrances au collège où on la traitait de légume. « Ils essayaient de me rouler des pelles sans me demander mon avis »...

Dans toutes nos actions, je le répète, il faut penser aux femmes en situation de handicap. Le 3919 sera prochainement en accessibilité pour les femmes sourdes et malentendantes.

Le Gouvernement mettra aussi en oeuvre des centres de ressources dans chaque région, pour accompagner la vie intime, sexuelle et parentale des femmes en situation de handicap. Ils constitueront un réseau de proximité et seront des points d'entrée unique pour accéder aux différents acteurs concernés. Dans cette organisation, les femmes pourront échanger avec leurs paires, faire remonter des retours d'expérience.

Les aidants familiaux et professionnels du secteur médico-social seront sensibilisés. Ces centres de ressources, qui s'inspirent d'une expérience réussie en Nouvelle-Aquitaine, seront généralisés.

Nous allons plus largement capitaliser sur les initiatives qui fonctionnent. Depuis mai 2018, le projet HandiGynéco permet de faire intervenir des sages-femmes pour un suivi gynécologique spécifique en Île-de-France, ce qui contribuera à libérer la parole.

Les items de la mesure de satisfaction diffusés dans les établissements médicaux-sociaux intégreront la vie affective et sexuelle. Le parcours de santé sera fluidifié, la prévention renforcée. Il conviendra de faciliter le libre choix ; la charte Jacob est un excellent outil de formation.

La formation en ligne certifiante ne se substituera pas aux formations existantes, monsieur Courteau, elle sera complémentaire. L'accessibilité, la formation des policiers à la réception des plaintes seront renforcées. Les enquêtes sur les violences seront étoffées pour prendre en compte toutes les dimensions. L'emprise économique est un frein pour celles qui pensent à quitter leur domicile. Les solutions de logement d'urgence, en cas de maltraitance, doivent être adaptées au handicap.

Chaque action en faveur du handicap s'intéresse à l'égalité femmes-hommes, et la réciproque est vraie. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour, aux côtés de la Chambre haute, faire avancer la cause des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière. (Applaudissements)

À la demande du groupe UC, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°63 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 341
Contre    0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur toutes les travées)

La séance est suspendue quelques instants.

La laïcité, garante de l'unité nationale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La laïcité, garante de l'unité nationale », à la demande groupe RDSE.

Mme Françoise Laborde, pour le groupe RDSE .  - (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains) Il y a cinq ans, la République était frappée au coeur et mon ami Charb, avec la rédaction de Charlie Hebdo, perdait la vie.

Après les militaires tombés à Montauban et les enfants de l'école juive de Toulouse en 2012, d'autres attaques ont tué au Bataclan, à l'Hypercacher, à Nice, à Saint-Etienne du Rouvray, à Trèbes, à la préfecture de police de Paris et, la semaine dernière, à Villejuif.

Ces coups de boutoir ont ébranlé la République mais n'ont pas fait vaciller ses fondements humanistes. Ils visaient l'arbre de la liberté, ses ramures que sont la liberté de pensée, d'expression, la liberté de critiquer, de faire la fête, de croire ou non, la liberté de conscience. Je ne veux retenir de ces jours sombres que les 4 millions de Français descendus dans la rue le 15 janvier 2015 pour rendre hommage à tous ceux qui défendent et protègent nos valeurs républicaines et aux forces de l'ordre qui ont traqué ces assassins mus par l'obscurantisme.

Je me souviens de la solidarité internationale, des chefs d'État accourus du monde entier, de la statue de la place de la République, taguée et éclairée d'une lumière bigarrée, sous l'éclat des bougies allumées en hommage aux victimes, et des slogans qu'on pouvait y lire : « Je suis Charlie », « Même pas peur », « L'encre doit couler, pas le sang », « Tu n'auras pas ma haine ».

Je me souviens de la cérémonie à l'Hôtel de ville où Charb m'avait remis le prix de la laïcité. Comme une prémonition, il disait : « Je préfère mourir debout que de vivre à genoux. » (La voix de l'oratrice s'étrangle.)

Nous savons désormais que la liberté a un prix, celui du sang. Contribuer à l'émancipation individuelle en garantissant à chacun le droit de croire ou ne pas croire, tel est le but de la laïcité à la française. La loi de 1905 contribue à préserver l'unité du pays, dans la paix et la concorde civiles.

La France, qui a fondé son modèle républicain sur les Lumières, peut s'enorgueillir d'une laïcité qui renforce les principes républicains de fraternité et de liberté.

Le groupe RDSE ne laissera pas se développer une vision communautariste de la société, ni se propager une radicalisation.

Comment croire que notre modèle républicain serait supposément défaillant en raison de la laïcité ? C'est un contresens.

Pourquoi certains s'enferment-ils dans le carcan du communautarisme rejetant les valeurs de la République et mettant notre société en danger ? Le Sénat veut lutter contre cela : preuve en est les commissions d'enquête sur la radicalisation ou sur le retour de la menace terroriste ou encore celle présidée actuellement par Nathalie Delattre sur la radicalisation terroriste.

À ceux qui pointent du doigt la laïcité ou cherchent à l'utiliser pour diviser nos concitoyens, il faut répondre que cette laïcité est garante du ciment national. La laïcité est garante du respect et de la pratique des cultes. En tant que présidente de l'association Égalité Europe, j'ai signé l'appel à se rassembler au nom de la laïcité, le 11 janvier, dans toutes les villes de France. Nous pourrons alors réaffirmer : « Nous sommes Charlie », « Nous sommes la République ». Nous continuerons à faire vivre la laïcité en dépit des aboiements de la meute.

Notre pays a besoin d'apaisement et de sérénité ; la laïcité y contribue. Je compte sur votre Gouvernement, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe SOCR ; M. Roger Karoutchi applaudit également.)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Au coeur de notre pacte républicain, il est une valeur fondamentale avec laquelle le Gouvernement ne transigera pas, c'est la laïcité. Il s'agit d'un principe essentiel qui s'applique à l'État, pas aux individus qui composent la société. Le terrorisme n'est donc pas un échec de la laïcité. (Mme Françoise Laborde opine.)

La laïcité est un équilibre entre les libertés individuelles et la neutralité de l'État. C'est un modèle d'organisation qui garantit de la séparation stricte des cultes et de l'État. C'est aussi la liberté de croire ou ne pas croire sans être inquiété, celle de vivre sa foi ou son absence de foi sans menaces ou représailles. C'est aussi le respect par la République de chaque religion pourvu que celle-ci respecte les principes républicains. Nous ferons tout pour garantir ce fondement qui figure à l'article premier de notre Constitution.

En matière de laïcité, un seul programme doit s'appliquer : celui de la loi de 1905, loi d'équilibre, réfléchie, qui place avant toute chose la liberté de conscience mais aussi la séparation des cultes et de l'État. Bien sûr, elle peut évoluer et a évolué déjà. Le bloc de constitutionnalité et nos lois garantissent les principes d'égalité, de liberté et de fraternité. Ils découlent de notre histoire et des choix de nos concitoyens. Ils façonnent le cadre protecteur dans lequel nous évoluons. Chaque religion doit s'y inscrire. C'est un préalable essentiel.

La laïcité à la carte n'existe pas. La République est un tout que chacun doit accepter comme tel. Aussi devons-nous nous montrer très fermes face à ceux qui veulent s'affranchir de nos valeurs et briser ce cadre.

Opposer le principe de laïcité aux ennemis de la République ne suffit pas, toutefois. Nous devons défendre la laïcité avec vigueur en nous gardant de tomber dans l'angélisme. En novembre, devant les préfets, j'ai demandé qu'elle soit défendue sur chaque mètre carré de notre territoire. Le communautarisme et l'islamisme ne sont pas compatibles avec la République.

L'islamophobie n'est qu'un faux prétexte qu'on oppose au soutien à la laïcité.

En 2018, le Gouvernement a identifié quinze quartiers particulièrement exposés à l'islamisme et au communautarisme. En deux ans, nous avons fermé 138 débits de boissons, 13 lieux de culte, 4 écoles et 11 établissements culturels qui s'étaient transformés en officines de haine. Cette méthode a porté ses fruits. Nous la généralisons.

Il faut aussi frapper au porte-monnaie, c'est également ce que nous faisons.

Le volet répressif ne suffit pas. Il faut aussi reconstruire la présence républicaine, avec une politique ambitieuse pour l'éducation, la ville, l'égalité homme-femme. Enfin, j'ai demandé aux préfets d'assumer un discours républicain intransigeant.

Ce débat est l'occasion de réaffirmer notre laïcité. Je le ferai avec la loi de 1905 chevillée au corps. Nous devons le faire de manière inlassable, partout et à tout moment. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE)

M. Daniel Chasseing .  - L'article premier de notre Constitution rappelle que la France est une République indivisible et laïque. Il est le socle majeur de nos libertés depuis plus d'un siècle.

Je remercie le groupe RDSE d'avoir demandé la tenue de ce débat. La laïcité permet le libre exercice des cultes et fonde la paix civile. Nul ne saurait s'en affranchir. Les nombreuses attaques que subit la loi commune sont inacceptables. La République ne doit laisser aucun communautarisme la contester. Elle est totalement indépendante des religions et de tout système qui priverait les citoyens des possibilités d'exercer leur liberté de conscience.

Mais la laïcité implique aussi des devoirs. Aucune liberté n'est garantie si on n'en défend pas le principe et si l'on ne veille pas à son respect absolu. Il nous appartient à tous de faire respecter la laïcité chaque jour, du ministre à l'instituteur ou du préfet au maire.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Daniel Chasseing.  - Il faudrait rappeler les principes de la laïcité à tous les agents de l'État. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Vous avez raison d'évoquer les attaques contre la laïcité. La liberté n'est pas seulement un corpus de droits. C'est aussi un ensemble de devoirs. Le combat contre l'islamisme doit être conduit pour et avec les musulmans, pas contre eux.

M. Rachid Temal.  - Mais sont-ils bien des citoyens ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - La laïcité ne doit pas empêcher de manifester sa religion. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme rappelle l'importance de l'équilibre entre la pratique d'une religion et la mise en danger de la société et de ses lois. Il convient de préserver cet équilibre.

Mme Dominique Vérien .  - Nous avons récemment débattu du port du voile lors des sorties scolaires. Demander aux femmes de retirer le voile, c'est considérer qu'il n'y a pas de contrainte, que son port relève d'un choix éclairé. Or il est lié à une pression sociale et culturelle.

Quand on porte un voile chez soi, on peut le faire par confort. La laïcité consiste à permettre à chacun de pratiquer sa religion dans la sphère privée. Mais comment faire pour que la liberté de croire ou de ne pas croire, de le montrer ou ne pas le montrer, s'applique sur tout le territoire ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Sur ce sujet, je crois d'abord que la loi doit être appliquée. Mais il faut prendre le sujet sous le bon angle. Quand 33 % des femmes musulmanes portent le voile, ce n'est pas le bon pour combattre l'islamisme et le communautarisme.

En revanche, il est effectivement nécessaire de combattre tout ce qui entrave l'exercice des libertés. Le bon angle est, me semble-t-il, celui de l'égalité. Nous pouvons le faire dans le cadre scolaire, les enseignants étant à même de déceler les difficultés rencontrées par certaines jeunes filles, parfois dès le plus jeune âge.

Le port du voile est la plupart du temps choisi. Le Conseil français du culte musulman a rappelé qu'une femme qui ne porterait pas le voile n'est en aucun cas une mauvaise musulmane.

Mme Dominique Vérien.  - Dans certaines zones, le simple fait d'être une femme est dangereux. Un signe distinctif ne doit pas être porté pour se protéger ! Remplissez votre mission de protection des citoyens ! Je remercie Mme Laborde qui a abordé le sujet avec émotion.

M. Roger Karoutchi .  - « Ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas », disait le poète au temps de la résistance. Nous n'en sommes plus là... À vouloir défendre absolument la liberté, il est devenu difficile de lutter pour la laïcité.

Vous n'avez pas suffisamment d'armes, malgré la loi de 1905 ou la faculté de fermer certains centres de haine.

La force et la puissance de la République, c'est de s'imposer partout et pas seulement dans certains quartiers. N'auriez-vous pas besoin de nouveaux textes de loi pour cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Nous avons reculé dans certains combats à cause d'une certaine forme d'angélisme, qui a notamment conditionné ma vision politique par crainte d'être taxé d'islamophobe.

Ma stratégie n'est pas celle d'une grande loi, mais de l'application ferme de la réglementation existante par les préfets. Ainsi, trente lieux de culte ont pu être fermés.

J'ai demandé aux préfets de faire également remonter les entraves rencontrées et qui ne peuvent être sanctionnées. Nous pourrons alors faire évoluer la législation. L'article 31 de la loi de 1905 est parfait s'agissant du prosélytisme par des voies vestimentaires et alimentaires, mais il n'est pas appliqué depuis de longues années. L'urgence, c'est d'agir, dès ce soir, dès demain, dès la semaine prochaine.

M. Roger Karoutchi.  - Je suis sensible à votre réponse, mais si la loi doit être au-dessus de la foi dans le domaine public, certains savent très bien la contourner et s'organiser pour donner des coups de boutoir à la laïcité.

Le Parlement, en cas de besoin, doit participer à la défense de la République.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'organisation des cultes était prévue par la loi du 18 germinal an X, qui ratifiait le Concordat de l'année précédente. Selon Lucien Bonaparte, en effet, les cultes étaient utiles et devaient être encadrés et organisés par l'État.

La loi du 9 décembre 1905 a supprimé le Concordat et dispose que la République ne reconnaît aucun culte. Selon Victor Hugo, il convenait que l'église soit chez elle et l'État chez lui.

Pourtant, le 22 novembre, le préfet du Rhône demandait au président des universités de Lyon d'inciter les étudiants et les professeurs à participer aux assises territoriales de l'Islam de France. C'est anormal et témoigne de cet esprit concordataire dont le Gouvernement me semble imprégné. Comment allez-vous vous assurer du respect de la loi de 1905 ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Vous vous trompez de débat et de combat. Vous pensez que le combat doit être mené contre un préfet, mais il doit être mené pour défendre les valeurs de la République. Or elles reculent. Oui, nous avons organisé dans chaque département des Assises territoriales de l'Islam. C'est un sujet important que l'organisation des religions. Il ne faut pas s'en désintéresser, ni fermer les yeux. L'absence de représentants du culte musulman dans les territoires nuit au dialogue avec l'État. Nous n'avons pas vocation à organiser le culte musulman mais ce serait une faute de s'en désintéresser.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Je ne mets pas en cause le préfet, mais je regrette cette initiative de la part de l'État. Il y a des interlocuteurs : il faut engager un dialogue avec eux.

M. Olivier Léonhardt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Il est difficile sur ce sujet de rassembler tous les Français. La République française s'est constituée contre l'oppression et la violence de la noblesse et du clergé. Je reconnais l'héritage des religions, ne vous méprenez pas. Je ne stigmatise personne. Mais chaque revendication religieuse se confronte aux valeurs républicaines.

Or notre République est violemment attaquée par l'obscurantisme et le communautarisme de ceux qui n'ont jamais assez de droits et très peu de devoirs. Or le premier devoir des citoyens n'est pas militaire ni fiscal ni réglementaire, mais d'accepter que son identité individuelle ne prime pas sur son identité collective, celle de la République. La laïcité protège les citoyens contre une norme religieuse ou philosophique imposée hors de la démocratie. Il n'existe pas de laïcité extrémiste. Si la République ne tremble pas, la laïcité restera émancipatrice pour notre pays et pour le monde.

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je vous rejoins, monsieur le sénateur. La laïcité est garante de l'unité nationale, mais il faut la faire vivre. Or certains estiment qu'une loi religieuse est supérieure à celle de la République. Sur certaines parties du territoire, nous avons accepté l'effacement de la juste laïcité. Or nous devons utiliser les armes dont nous disposons.

Nous devons au pays une reconquête républicaine ; il en va de notre responsabilité.

M. Arnaud de Belenet .  - Merci à nos collègues du groupe RDSE pour ce débat, complexe dans ses termes. Il n'existe pas de définition de la laïcité. C'est le refus de l'assujettissement du politique au religieux, sans être synonyme d'une totale étanchéité.

La liberté de croire n'est pas la liberté de manifester ses convictions. Alors que la lisibilité du religieux augmente dans l'espace public, il faut séparer la question de la laïcité de celle des atteintes à l'ordre public.

La proposition de loi sur le port du voile lors des sorties scolaires a montré l'ampleur des défis qui se posent aux élus locaux. Comment assurer la neutralité du service public et des agents publics au sein de la fonction publique territoriale ? Faut-il envisager la formation des cadres locaux à ces concepts ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Vous posez une limite à l'expression du choix religieux, cela est pourtant autorisé, y compris sur le domaine public.

La question de la formation des fonctionnaires est essentielle. Un MOOC « Laïcité, paroles de territoires » existe, 2 000 formateurs sont assermentés dans toutes les régions : ainsi 40 000 personnes ont été formées. Les formations civiles et civiques se développent également.

Nous sommes dans un vrai paradoxe : la loi de 1905 interdit à l'État et aux collectivités locales de financer le culte, mais des pays étrangers peuvent le faire. Cela doit nous interroger.

Mme Éliane Assassi .  - « La France n'est pas schismatique, elle est révolutionnaire » disait Jaurès le 15 avril 1905 lors de l'examen de la loi de séparation. La loi de 1905 est la plus grande réforme depuis la Révolution, disait-il. C'est un pilier de la République, un bien commun précieux.

Mais pourquoi n'a-t-elle pas la même valeur juridique sur tout le territoire ? Je pense aux départements d'Alsace et de Moselle et à certains territoires d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel a récemment validé ces régimes, mais n'est-il pas temps de revoir cette approche de la laïcité à géométrie variable ? Ainsi, la Guyane est minée par le chômage : ne conviendrait-il pas mieux d'y consacrer les deniers publics au lieu de payer des prêtres, agents de la fonction publique ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Aucun culte n'est l'adversaire du ministre de l'Intérieur, même si certaines dérives doivent être combattues. Il existe en effet un engagement financier de l'État, héritage de l'histoire. Il revient au législateur de modifier éventuellement les régimes issus de l'histoire concordataire. Ce n'est pas la volonté du Gouvernement et je trouve une certaine incohérence à vouloir d'un côté défendre la loi de 1905 et en même temps la remettre en cause. En outre, la place du culte musulman n'avait à l'époque rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui.

Mme Sophie Joissains .  - Le sujet est délicat. Il s'agit d'amener la concorde, non la division. La loi sur les signes religieux à l'école montre que les règles peuvent être adaptées sans porter atteinte à la loi de 1905.

Les élus locaux et les services publics sont confrontés à des abus et à des provocations communautaristes dont les causes sont bien connues. Il faut les combattre et éviter tout angélisme. Le Président de la République s'y est engagé, lors de ses voeux pour 2020.

Quelles seront les réponses du Gouvernement pour les élus locaux et les services publics afin qu'ils puissent faire respecter les valeurs de la France : liberté, égalité et fraternité, et j'ajoute laïcité ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je partage votre analyse sur le communautarisme : il faut que la reconquête républicaine se fasse dans l'équilibre, entre répression et présence accrue de services publics.

Je n'ai pas de dogme et aucune loi n'est un dogme en soi. On peut considérer qu'une loi qui a 115 ans peut évoluer dès lors que ses principes ne sont pas remis en cause. Par exemple, l'article 20 prévoit des peines de police ; or elles n'existent plus depuis 1990. En revanche, je défendrai bec et ongles les articles premier et deux, fondateurs.

Je suis contre les dogmes ; je m'en suis libéré dans mon parcours personnel. (Sourires)

Je propose un plan d'action dans ma circulaire du 27 novembre. Il faut mobiliser les préfets et les maires et utiliser efficacement tous les pouvoirs de police, et ils sont nombreux, pour mener la reconquête quartier par quartier.

Mme Sophie Joissains.  - Il serait dangereux dans les circonstances actuelles de modifier la loi de 1905. Il faut répondre aux questions que se posent les élus locaux et certains responsables de services publics.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Je veux l'État laïc, exclusivement laïc » disait Victor Hugo. La République laïque est menacée de diverses façons, y compris à l'école et lors des sorties scolaires.

Des pans entiers du territoire tombent progressivement sous la coupe des islamistes : les femmes n'osent plus sortir sans voile, certains animateurs sportifs radicalisent des jeunes fragiles, des femmes refusent de se faire examiner par des hommes dans les hôpitaux.

Le Président de la République devrait se montrer plus ferme pour sauvegarder les valeurs de notre République.

Le concept évasif de laïcité ouverte ne suffit pas à protéger les Français de tenter d'imposer la religion dans la vie quotidienne de chacun. Quand le Gouvernement défendra-t-il clairement le principe de laïcité ? Quand le Président de la République s'exprimera-t-il ? Il faut faire triompher ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Il me semble que le Président de la République a rappelé une bonne dizaine de fois les principes fondateurs de la laïcité.

Vous voulez donner le sentiment que le Gouvernement ne fait rien : c'est faux et injuste. Nous agissons en commençant par nommer les choses. Vous avez évoqué les clubs sportifs. Le 8 novembre 2018, quelques jours après mon arrivée au ministère de l'Intérieur, nous avons publié une circulaire pour mieux travailler avec les maires contre la radicalisation. Depuis 129 contrôles ont été effectués dans 35 départements ; 5 clubs ont été fermés, sans compter les nombreuses saisines des procureurs sur les anomalies que nous constatons.

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous avons reçu en héritage la laïcité. Il nous revient de la faire vivre au quotidien.

La loi de 1905 n'a pas fait que séparer les Églises de l'État, elle a affirmé la liberté de conscience. C'était une révolution, qui structura notre identité. Celle d'un peuple à l'esprit critique et refusant l'ordre établit. C'est ainsi que naquit l'école publique, gratuite, obligatoire et laïque, qui permet à notre jeunesse de développer sa liberté de conscience et sa capacité à s'émanciper.

L'État n'a pas à craindre une jeunesse éduquée. Jaurès le disait : l'État doit préserver la jeunesse. Je suis inquiet de voir que des citoyens ne font plus appel à leur esprit critique et se confortent dans des vérités proclamées. J'ai aussi un sentiment de honte et de rage de voir les extrémistes et identitaires relever la tête et défier la République.

Quels moyens concrets l'État va-t-il engager dans l'école de la République pour que chaque enfant puisse développer sa liberté de conscience et sa capacité d'émancipation ? Comment préserver notre culture de la fraternité ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je partage cette inquiétude et cette colère. L'école est un moment clé de la vie : la liberté de conscience doit être garantie. Quand le Gouvernement dédouble les classes dans les quartiers les plus difficiles, il ne se trompe pas, face aux acteurs du communautarisme. Nous oeuvrons pour l'émancipation.

Faisons attention à ne pas considérer l'école comme seule responsable de tout. Il y a cinq ans, lors de l'attentat de Charlie Hebdo, certains pointaient l'école. Mais il y a aussi les bailleurs sociaux, les associations, les collectivités territoriales.

Les assignations à résidence dont souffrent trop de nos concitoyens doivent être levées. Il faut lutter contre les ghettos qui se sont constitués ces cinquante dernières années.

M. Rachid Temal.  - Le dédoublement des classes n'est pas la seule réponse à apporter. Depuis trop longtemps, il y a un recul de la République. Pour les Français, la République doit être une réalité au quotidien.

Mme Brigitte Lherbier .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Adjointe à la sécurité de Tourcoing, j'ai constaté que certains jeunes n'avaient pas respecté la minute de silence en l'honneur des victimes de l'attentat de Charlie Hebdo et le président du tribunal de grande instance remarquait lui aussi que certains jugeaient la mort des journalistes justifiée car, selon eux, ils avaient blasphémé.

Des lycées ont monté une pièce de théâtre sur la notion de blasphème avec leur langage de jeunes. Ils ont été accompagnés par des magistrats. Ils sont venus ici même présenter leur travail.

La notion de laïcité doit être sans cesse expliquée.

Universitaire, j'ai travaillé avec le doyen de la faculté de droit, Bernard Bossu, qui a mis en place un diplôme universitaire dédié à l'approfondissement de la réflexion juridique dans un contexte religieux. Le directeur régional des services pénitentiaires y était très favorable, car il estimait que les personnes pénétrant en prison devaient être formées et ne pas véhiculer des idées contraires à la République. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je condamne comme vous ceux qui sifflent la Marseillaise. Mais chez certains jeunes, la provocation est un art supérieur à celui du combat militant, politique ou religieux. Ne laissons pas penser non plus qu'en 2015 des quartiers entiers ont contesté l'émotion nationale.

Il faut effectivement éclairer les consciences, expliciter la laïcité sans tabou. Certains considèrent le droit religieux comme supérieur à la loi de la République. J'étais hier avec des responsables de Charlie Hebdo. Ils critiquent souvent le Gouvernement et la religion, mais ils doivent pouvoir le faire. Oui, il faut des formations sur ces sujets.

En France, 300 imams viennent chaque année de l'étranger et professent en langue étrangère - je ne parle pas de la langue sacrée du Coran. C'est une anomalie. Il faut des imams formés pour professer en français. (M. Rachid Temal approuve.)

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'intégrisme, pourrait-on dire dans un esprit voltairien, est aussi vieux que la religion, mais on fait parfois sortir la laïcité de son propos. Or elle est une stricte neutralité, garante de la liberté de conscience. Elle n'est donc pas le bon outil pour lutter contre extrémisme et terrorisme.

On constate que ceux qui se plaisent dans une laïcité agressive sont souvent les groupes politiques ou religieux qui ont le plus intérêt à ce qu'elle soit mise à mal. Il est plus que jamais nécessaire de nous doter des bons outils contre les dérives sectaires dans l'espace public et pour le respect de l'ordre public.

Est-ce aux parents d'assurer des tâches d'encadrement qui devraient être dévolues au personnel de l'éducation nationale ? Plutôt que d'ouvrir la boîte de Pandore d'une réforme de la loi de 1905, assurons-nous que les principes de laïcité sont connus de tous les agents. Ne devrions-nous pas les former ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je partage votre vision de la laïcité. Son utilisation contre une religion est une erreur. Elle n'est pas un outil de lutte contre le communautarisme. D'autres moyens existent.

Je n'ai pas de dogme sur la loi de 1905. Je pense qu'elle peut être renforcée. Mais dans la lutte contre le communautarisme, nous pouvons utiliser tous les outils qui existent. Par exemple, le contrôle fiscal est difficile lorsqu'il s'agit d'une association loi 1901 : peut-être faut-il revoir la question.

Les questions des financements étrangers, de la formation, de l'ordre public doivent être posées.

M. Jérôme Bascher .  - La laïcité française n'est pas sans foi ni loi. J'ai quatre questions précises.

Le Sénat a tranché sur le port du voile lors des sorties scolaires. Les personnes recrutées pour l'encadrement du temps périscolaire pourraient accompagner les sorties à la place des mamans ou papas portant des signes religieux ostensibles. Mais vos services contrôlent-ils le fait que ces personnels respectent la loi sur la laïcité ? Certaines mairies, certaines collectivités territoriales sont complices et laissent faire. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio approuve.)

Deuxième question : allez-vous étendre les principes de laïcité à l'université ?

Troisième question, que faire du refus d'observer les signes de courtoisie les plus élémentaires, comme serrer la main à une femme ? Faut-il le préciser dans le code du travail ?

Enfin, êtes-vous prêt à étendre les principes de la laïcité du service public aux entreprises où cela pose problème, comme la RATP ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Le personnel périscolaire doit respecter les principes de la laïcité et il est sous la responsabilité du maire. L'enseignant doit signaler tout comportement suspect.

Les gens qui vont à l'université sont des adultes libres de leur choix.

Les entreprises sont en partie privées des outils de la fonction publique. Le débat juridique est ouvert, d'autant que les procédures de licenciement pour ce motif sont le plus souvent cassées. Nous pouvons y travailler.

Je ne pense pas que le fait de ne pas serrer la main puisse être répréhensible. On m'a fait des procès d'intention. Mais un signe peut être révélateur de radicalisation comme ne pas l'être ; je l'ai dit devant les sénateurs de la commission des lois. Il ne faut pas d'automaticité qui remettrait en cause les principes de la loi de 1905.

M. Jérôme Bascher.  - Monsieur le ministre, sur ce dernier point, je vous rejoins : vous portez la barbe, et l'on peut difficilement vous soupçonner de radicalisation. (Sourires) On a tendance à flatter certaines minorités pour des raisons électorales ou syndicales.

M. Olivier Paccaud .  - « Depuis l'aurore de notre histoire, nos malheurs furent toujours en proportion de nos divisions. Mais jamais la fortune n'a trahi une France rassemblée ». Ces mots sont du général de Gaulle.

Le vivre ensemble ne se décrète pas mais se construit patiemment, sur un socle de valeurs partagées. Les différences ne doivent pas devenir distance. Quand les jeunes filles ne peuvent plus porter de jupe ou faire du sport, que certaines femmes doivent se voiler par obligation, aucun recul n'est acceptable. L'égalité homme femme est un point cardinal.

La laïcité n'est pas l'athéisme ni l'anticléricalisme, mais une reconnaissance des limites entre sphère publique et privée, politique et religieuse.

Depuis 2013, il existe une charte de la laïcité affichée dans les écoles. Ne pourrait-on l'afficher également dans les mairies ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Le général de Gaulle que vous citez et dont l'engagement républicain ne saurait être mis en cause, faisait célébrer des messes à l'Élysée, et la loi de 1905 était respectée. Vous le voyez, les contextes peuvent évoluer.

Dans chaque commissariat est affichée la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cela relève du ministère de l'Intérieur. Votre proposition n'en relève pas : c'est au législateur de le prévoir.

M. Olivier Paccaud.  - Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu... ce qui est à Dieu. Chacun doit rester à sa place. Faisons respecter la laïcité, il en va de la cohésion de la société.

M. Max Brisson .  - Merci à Mme Laborde et au groupe RDSE d'avoir initié ce débat.

L'éducation nationale est un des creusets de la laïcité. Dans notre pays, l'enseignement religieux a disparu en 1881 mais le fait religieux est enseigné en histoire. Or certains professeurs ne peuvent plus enseigner certaines questions en histoire ou en SVT du fait de la religion de certains élèves. Comment dès lors transmettre le socle commun de connaissances, de compétences et de culture ?

Le Président de la République a souhaité que 2020 ouvre une décennie d'unité de la Nation. Comment le faire dans l'éducation nationale ? Comment aider les professeurs à dispenser partout les mêmes enseignements ? (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SOCR)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je ne contesterai pas ce constat, et je pense que M. Blanquer ne le ferait pas non plus. Quelquefois, les enseignants n'arrivent pas à gérer des situations. C'est pourquoi des équipes du ministère de l'Éducation nationale, dédiées à la laïcité ont été formées dans les rectorats pour une reconquête par les professeurs de leurs classes.

Je remercie l'ensemble des intervenants de ce débat. J'ai conscience des inquiétudes sur divers sujets, notamment sur la loi de 1905. Mais celle-ci pose un cadre juridique d'exercice des cultes : cette dimension peut évoluer. Je ne parle pas seulement de l'islam. Les télévangélistes ont pris une très grande place politique dans le monde : aux États-Unis, ils ont davantage d'audience que Barack Obama et le président Trump réunis - et je ne parle pas d'un ministre de l'Intérieur. (Sourires) Grâce à la loi de 1905, nous pouvons accompagner l'organisation des cultes.

M. Max Brisson.  - Le non-enseignement de certaines questions du programme scolaire est l'atteinte la plus grave à la laïcité. La formation des professeurs pourrait répondre à ce défi. Je remercie Mme Laborde et le groupe RDSE de l'organisation de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme la présidente.  - À la demande du ministre, je lui cède la parole pour quelques secondes encore.

M. Christophe Castaner, ministre.  - Le grand combat à mener, c'est aussi celui de la déscolarisation. Jean-Michel Blanquer y travaille. La proposition de loi Gatel abordait le sujet des lieux de formation. Le sujet de l'émancipation par le savoir est absolument indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

Mme Josiane Costes, pour le groupe RDSE .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) En demandant l'inscription à l'ordre du jour de ce débat, le RDSE a voulu que le Sénat, dans son pluralisme, s'exprime un sujet fondamental pour l'unité de notre pays, en ces temps où les débats identitaires attisent les divisions.

Le principe de laïcité est l'héritier direct du combat pour la liberté de conscience qui a progressivement rétabli la paix et la concorde après des siècles de guerres de religion.

Constitutionnalisée en 1946, réaffirmée en 1958, la laïcité puise sa portée juridique dans la loi du 9 décembre 1905, même si le terme n'y est pas mentionné. Pour les uns, elle cantonne la religion à l'espace privé ; pour d'autres, elle oblige l'État à un égal respect envers les croyants comme les non-croyants. Pour nous, c'est avant tout une loi de de protection de tous les citoyens. Elle vise à séparer l'État du religieux.

Son article 1er proclame la liberté de conscience et son corollaire, le libre exercice des cultes. Aucune distinction ne saurait être effectuée en faveur ou en défaveur de quelque religion que ce soit.

L'article 2 précise que la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Il en découle une stricte obligation de neutralité des personnes publiques dans la sphère publique, mais aussi le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de ses croyances pour s'affranchir de la règle commune. La laïcité subordonne toutes les croyances à la loi de la République. Elle garantit l'unité nationale en refusant que la foi soit un attribut de citoyenneté.

C'est pourquoi le principe de neutralité impose une obligation de non-ostentation religieuse dans les services publics, à commencer par l'Éducation nationale. Jules Ferry voyait dans l'école de la République un moyen d'élever les individus hors de leur condition d'origine.

La loi de la République doit toujours primer sur la loi religieuse, qui n'est qu'une sujétion personnelle et particulière. Pourtant, certains fondamentalistes voient dans la laïcité un facteur d'asservissement, voire de discrimination. Ne tombons pas dans le piège, et restons fermes sur ce principe intangible, clé de la concorde civile. Nos compatriotes le savent, qui estiment à 80 % que la laïcité est en danger.

Notre pays est sur une ligne de crête. Plutôt que d'entretenir des débats sur la loi de 1905, ne faudrait-il pas s'intéresser à la loi de 1901 ou aux écoles hors contrat, parfois détournées au service d'un prosélytisme incompatible avec nos valeurs ?

Notre République n'est pas un patchwork de communautés ; elle est une, indivisible, garante du vivre-ensemble. Notre République doit permettre à la France de faire nation. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'à celles du groupe Les Républicains)

Echec en CMP

Mme la présidente.  -  J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

La séance est suspendue à 19 h 35.

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

La pédopsychiatrie en France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « La pédopsychiatrie en France » à la demande du groupe CRCE.

Mme Laurence Cohen, au nom du groupe CRCE .  - Ce n'est pas la première fois que le Sénat se préoccupe de la pédopsychiatrie : un rapport d'information a été publié en avril 2017 sur le sujet, à l'initiative de Michel Amiel. Trois ans après, le diagnostic reste dramatique. Les choses n'ont guère évolué, ou alors dans le mauvais sens. Les professionnels de la santé mentale sont d'ailleurs très mobilisés contre le Gouvernement. Leur domaine déborde le cadre de la santé stricto sensu : les pédopsychiatres travaillent avec différents acteurs dans le domaine social, médico-social, en lien avec l'éducation nationale et la justice, avec pour objectif commun la protection de l'enfance.

Le docteur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie à Necker, alerte : « Que va devenir un pays qui ne se donne plus les moyens de soulager la souffrance mentale de ses enfants et adolescents ? » Le docteur David Cohen, de la Pitié Salpêtrière, parle de « tiers-monde de la République ».

Les difficultés sociales, la violence économique et symbolique de notre société, les violences intrafamiliales sont facteurs de troubles psychiques, au-delà des simples causes neurobiologiques. Comment ne pas y voir le résultat d'années de restrictions budgétaires ?

Le rapport Moro-Brison de 2016 estime qu'un million de jeunes ont besoin d'un neuropsychiatre ; en psychiatrie hospitalière, 25 % des patients sont des mineurs. Quand un enfant va mal, il doit être vu par un spécialiste de l'enfance. Or le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux en dix ans, et le délai d'attente pour un premier rendez-vous dépasse parfois les dix-huit mois. Certains départements n'ont plus aucun pédopsychiatre, et des enfants en grande souffrance sont envoyés dans des services pour adultes. La prise en charge précoce, gage de possible guérison, est parfois impossible faute de professionnels. Or la moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif commencent avant 15 ans.

Naguère, la France était pionnière, créant le secteur pour sortir de la politique asilaire. Aujourd'hui, on intègre les services psychiatriques dans des GHT généraux, niant leur spécificité, quand on ne les supprime pas, laissant les patients dans une errance médicale, parfois sans soins.

Le centre médico-psychologique (CMP) de Chilly-Mazarin a été transféré dans une zone industrielle difficile d'accès, mettant à mal tout un précieux travail de proximité.

Autre exemple : la fondation Vallée, à Gentilly, établissement exemplaire, entièrement consacré à la pédopsychiatrie, connaît elle aussi des difficultés : baisse des dotations, impossibilité de rénover des locaux devenus trop exigus, poids du réglementaire et des protocoles au détriment du dialogue, de l'écoute, de l'humain. En Aquitaine, comme ailleurs, les soignants dénoncent une certaine psychiatrie d'État qui dicte aux professionnels la façon de soigner, sous peine de couper les financements, imposant une standardisation des soins à rebours des besoins des patients.

Quelle pédopsychiatrie voulons-nous ? L'approche uniquement médicamenteuse, prônée par les laboratoires pharmaceutiques, ou une approche centrée sur le psychisme, faisant appel aux sciences humaines ? Aux États-Unis, la première prévaut, avec des enfants de moins de 3 ans sous Ritaline... Le docteur Deloche, membre d'un collectif de pédopsychiatres, appelle à « défendre une solidarité créatrice luttant contre la fabrique d'enfants malades étiquetés « handicap » pour laquelle seule l'approche neuro-scientiste serait effective, jetant la psychanalyse aux orties ».

Certes, Mme Buzyn a nommé un délégué ministériel à la santé mentale et transféré quelques millions d'euros, mais la réponse n'est pas à la hauteur ; au contraire, avec l'introduction d'une part de T2A dans les hôpitaux psychiatriques, alors qu'on y renonce dans les hôpitaux généralistes !

Quelques propositions en conclusion : augmenter le nombre d'heures de psychiatrie dans la formation initiale des infirmiers, maintenir des postes de professeurs d'université en pédopsychiatrie, améliorer la reconnaissance des psychologues via leur statut et leur salaire, augmenter le nombre d'orthophonistes, éviter les sorties sèches de jeunes majeurs. Quel bilan des forfaits précoces pour la prise en charge des troubles du neuro-développement et de l'autisme ? Les premiers retours concernant les plateformes d'orientation et de coordination confirment nos inquiétudes...

En ce début d'année, je souhaite que chaque enfant qui en a besoin soit pris en charge, sur tout le territoire, dans des structures de proximité et en milieu hospitalier.

Tony Lainé, dans son livre Éloge de la démocratie, écrit qu'en psychiatrie, la loi est moins qu'ailleurs à l'abri des caricatures. « Il faut si peu de choses dans les systèmes clos pour la faire glisser vers des attitudes autoritaires qui ne protègent plus que le pouvoir du chef »... (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Élisabeth Doineau .  - Peu de sujets ont fait l'objet d'autant de rapports publics que la psychiatrie, pour un constat partagé : elle est sinistrée, la pédopsychiatrie encore davantage.

Les problèmes de santé mentale dans la jeunesse sont en passe de devenir l'un des principaux enjeux de santé publique du XXIe siècle. L'IGAS relève un effet ciseau, avec un doublement de la demande de soins psychiatriques en vingt ans alors que la démographie des professionnels est défavorable.

Merci au groupe CRCE d'inscrire ce débat à notre ordre du jour.

La pédopsychiatrie est à la croisée de politiques publiques en grande difficulté : organisation du système de soins, protection de l'enfance, suivi des mineurs non accompagnés mais aussi justice et éducation nationale. Le chantier est immense, comme en attestent les 52 propositions du rapport de Michel Amiel.

Le Gouvernement a tenté de répondre aux enjeux, élaborant une feuille de route, nommant un délégué interministériel, fléchant 80 millions d'euros en 2019 pour le secteur, créant dix nouveaux postes de chefs de clinique en 2018 puis autant en 2019. Un appel à projets, doté de 20 millions d'euros, a distingué 35 projets pour améliorer l'offre en pédopsychiatrie dans les territoires en grande difficulté.

Je salue cet engagement tout en regrettant l'absence de politique coordonnée avec tous les départements et acteurs de la protection de l'enfance. Faute de professionnels qui ont le temps, des projets territoriaux ne se mettent pas en place. J'ai regretté les conditions d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Un amendement de Mme Deroche à l'article 25 proposait une prise en compte des soins pédopsychiatres dans la pondération tarifaire ; cela aurait enfin permis une reconnaissance au niveau législatif.

Les services départementaux d'aide sociale à l'enfance ne sont pas équipés pour accompagner les mineurs souffrant de troubles psychiatriques. Alors qu'un tiers des mineurs confiés à l'ASE nécessite un soutien clinique, le temps d'attente pour une consultation peut atteindre un an. Les mineurs non accompagnés, malmenés par un parcours migratoire difficile, ont besoin d'une prise en charge - or ils ne sont pas éligibles à la protection universelle maladie (PUMA) mais seulement à l'AME, qui ne couvre pas les soins en centre médico-psychologique.

Il faut agir en amont, car une prise en charge précoce est essentielle. Cela suppose de renforcer le repérage à l'école en formant les enseignants et encadrants, de sensibiliser les parents, les médecins traitants et les services de PMI aux outils disponibles. Il faut agir sur la formation des nouveaux professionnels mais aussi accompagner les parents vulnérables. Le rapport « Pour sauver la PMI, agissons maintenant » mettait l'accent sur la prise en charge de la dépression post-partum par les techniciens d'intervention sociale et familiale (TISF).

En aval, il faut proposer un parcours de santé mentale qui privilégie l'ambulatoire. C'est l'objectif du plan « Ma Santé 2022 » qui organise le lien avec les soins de premier recours. A-t-on des éléments sur l'extension de la formation des infirmiers de pratique avancée à la psychiatrie ?

La détection précoce des pathologies suppose une politique ambitieuse de prévention et de coordination, de lutte contre la stigmatisation mais aussi de recherche en neurosciences. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et RDSE)

M. Jean-François Rapin .  - La psychiatrie française est en crise. Cette discipline primordiale est le parent pauvre de la médecine. La pédopsychiatrie n'y échappe pas, or la spécificité des troubles des mineurs est réelle. Selon l'OMS, plus de la moitié des pathologies psychiatriques de l'adulte apparaissent avant 16 ans. Or selon le Conseil national de l'ordre des médecins, le nombre de pédopsychiatres a baissé de moitié entre 2007 et 2016.

Les difficultés d'accès sont importantes, avec de fortes inégalités territoriales. La situation de certaines familles doit nous interpeller.

L'entourage du mineur, le personnel de la petite enfance, de l'Éducation nationale, la médecine scolaire, la médecine générale, les acteurs de la chaîne de soins doivent être mieux informés et mieux formés.

Le repérage et le diagnostic précoces sont essentiels, tout comme la prise en charge. Je pense aux enfants diagnostiqués autistes - en rappelant que le premier médecin à avoir décrit les symptômes de l'autisme, Leo Kanner, était pédopsychiatre.

M. Patrick Kanner.  - C'est mon oncle !

M. Jean-François Rapin.  - Il faut éviter la stigmatisation associée à l'autisme.

Parlons également du cannabis, dont la consommation suivie peut provoquer des troubles cognitifs, voire l'altération de capacités cérébrales. Les adolescents méconnaissent les risques - décrochage scolaire, forte anxiété, humeur dépressive... Cela exige une prise en charge spécifique, d'autant plus que le consommateur est jeune.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a posé les bases d'un nouveau financement de la psychiatrie. Espérons que la pédopsychiatrie verra aussi son financement rehaussé. Au-delà, il faut une réflexion plus large sur la formation, la prévention, le repérage, le diagnostic, la prise en charge, l'inclusion scolaire et sociale.

Il est urgent de réformer la pédopsychiatrie et de développer la recherche.

En tant que médecin, j'insiste particulièrement sur l'abandon très dommageable de la médecine scolaire, dont le rôle préventif est essentiel. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SOCR)

M. Jean-Louis Tourenne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'hôpital est malade et le Gouvernement n'a posé que des cautères qui ne règlent rien. Le secteur psychiatrique est plus atteint encore - et cela ne date pas d'hier.

La psychiatrie infanto-juvénile n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était. La pédopsychiatrie publique ne peut plus apporter aux enfants, protégés ou non, les soins dont ils ont besoin, faute de structures et de moyens humains.

Le dépistage, pourtant déterminant dans le pronostic, est de plus en plus tardif : 13 à 15 % des enfants confiés à l'ASE ont un dossier à la MDPH, sept fois plus que la population générale ; 1,6 % des mineurs placés sont sous antidépresseurs, 7,2 % sous neuroleptiques !

La médecine scolaire ne sait plus repérer les premiers troubles du comportement dès l'école maternelle.

Il faudrait un dépistage précoce de la dépression périnatale, source de risques pour l'enfant. Or l'âge moyen d'accueil des enfants dans la pouponnière spécialisée d'Angers est de 21 mois ; ils sont alors déjà cassés, avec des troubles fixés, plus compliqués à guérir. Muriel Salmona, psychiatre, rappelle que le délai minimum d'admission en CMP est de six mois, mais très souvent entre douze et dix-huit mois. Les enfants confiés à l'ASE présentent une surreprésentation des troubles.

Une mère désemparée dit essayer d'obtenir un rendez-vous en CMP. Elle est sur liste d'attente, alors que la situation devient urgente. « Mon fils pense souvent à la mort, je ne sais plus comment faire ».

Même embolie dans les centres médico-psychopédagogiques (CMPP) : résultat, une prise en charge trop tardive et une guérison aléatoire.

Les centres de planification familiale repèrent des signes d'addiction, de maltraitance mais ils n'ont pas les moyens d'agir. M. Amiel note dans son rapport de 2017 les pertes de chances liées au caractère tardif de la prise en charge.

L'offre de soins en France a été divisée par deux en dix ans, elle est la plus faible d'Europe ; quatorze départements sont sans pédopsychiatre. On est passé de 310 à 510 enfants par CMPP.

Dans un contexte de précarité, de désinsertion, les difficultés de comportement s'aggravent et sont subies par les professionnels avec angoisse.

Les conditions de travail se dégradent ; Il devient difficile de recruter quand le pédopsychiatre est écartelé entre les diktats de l'administration, la détresse des familles, le délitement des dispositifs de soins. En outre, les grilles de salaires sont peu attractives.

Le Président de la République a déclaré vouloir donner de nouvelles perspectives à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie ; mais ce n'est pour l'instant qu'une déclaration.

La pédopsychiatrie est une nécessité nationale car les conséquences d'une mauvaise prise en charge sont lourdes pour la société : développement d'une violence gratuite, coût pour la société de troubles psychiatriques non décelés, phénomènes de radicalisation chez des personnes déstructurées, reproduction de génération en génération des marginalisations et du déterminisme social, dont la France est vice-championne du monde. Il y va de la sérénité et du développement harmonieux de nos enfants, donc de l'avenir de notre Nation.

Mobilisons toutes les forces pour dépister, accompagner, guérir, pour attirer de nouveau des professionnels essentiels à notre cohésion sociale, pour créer des lits, afin que les enfants ne soient plus quatre par chambre.

Certes le malaise n'est pas nouveau mais vous êtes aujourd'hui en responsabilité et il vous appartient, monsieur le ministre, d'apporter un remède. L'absence de moyens est patente, or vous avez fait les poches de la sécurité sociale. Les économies de retraites ne seront réelles qu'à partir de 2037. D'ici là, la baisse de cotisations sur les hauts salaires coûtera 4 à 5 milliards d'euros par an, la réduction des cotisations patronales dans la fonction publique devra être compensée - mais comment ? Qui apportera les fonds nécessaires ?

Vous n'avez pas un sou pour financer vos bonnes intentions. C'est là tout le problème. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

Mme Véronique Guillotin .  - Le sujet est vaste, les publics et les types de prise en charge, divers. Si l'état d'urgence a été décrété dans plusieurs secteurs de la santé, la pédopsychiatrie est très concernée.

Prévus par le plan « Ma Santé 2022 », des plans territoriaux de pédopsychiatrie devront être mis en oeuvre dès l'été. Ils organiseront la coordination territoriale. Dans la région Grand-Est, un dispositif pluriprofessionnel innovant, associant notamment télémédecine et plateformes dédiées a été mis en oeuvre.

Le repérage précoce est particulièrement pertinent en pédopsychiatrie, tant pour les enfants que leur famille. Mais nous avons besoin de professionnels spécialisés, or ils sont trop nombreux à partir à la retraite. Le manque de personnel entraîne une surmédication inquiétante.

On peut s'interroger sur la pertinence de faire basculer dès 16 ans les jeunes dans la psychiatrie adulte.

Le Gouvernement est enclin à faire bouger les lignes, tant mieux, mais la marche est haute, car les pénuries se multiplient.

La jeunesse de France souffre et de plus en plus d'enfants subissent des décompensations liées à des troubles antérieurs, un mal-être, ou une consommation de stupéfiants. Le nombre de tentatives de suicide augmente.

À l'hôpital, la prise en charge est effectuée par un professionnel non formé, dans un service non spécialisé, par exemple en pédiatrie. Pour une prise en charge en ambulatoire, les délais d'attente augmentent. Le manque de places à l'hôpital se répercute sur les institutions et centre d'accueil, où les enfants doivent être maintenus, ce qui crée des situations dangereuses.

Quarante années de promotion de psychiatres hors les murs, en dépit d'aspects positifs, ont entraîné la fermeture de nombreuses structures.

Chaque jeune doit bénéficier d'une prise en charge adaptée. La télémédecine peut apporter des réponses ; 10 millions d'euros financeront des projets innovants, notamment en télémédecine.

L'administration doit accueillir plus favorablement les initiatives. Le Gouvernement a annoncé qu'il les soutiendrait au plus près du terrain. Espérons que toutes les parties prenantes joueront le jeu. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et UC)

M. Xavier Iacovelli .  - L'enfant et l'adolescent sont des êtres en devenir. L'un de leurs premiers droits est d'être en bonne santé. Or si leur santé physique s'est considérablement améliorée depuis le début des années 2000, le bilan est plus contrasté pour les troubles mentaux. Le délai de prise en charge est bien trop long.

Ainsi, d'après Maurice Corcos, pédopsychiatre à l'institut mutualiste Montsouris, les délais de prise en charge en pédopsychiatrie peuvent aller de six mois à un an.

Comment comprendre que des jeunes ne puissent être pris en charge immédiatement aux urgences après une tentative de suicide ? Notre collègue Amiel a montré pourtant que les besoins étaient considérables : entre 1991 et 2003, le nombre de mineurs de 15 ans vus au moins une fois dans une année par les services de pédopsychiatrie a augmenté de 80 %.

Quand le nombre de postes non pourvus atteint 30 %, il est en outre particulièrement difficile pour les étudiants de se former. En dix ans, le nombre de pédopsychiatres a diminué de moitié.

Quelque 40 millions d'euros sont promis par le Gouvernement pour sauver la psychiatrie. Les mesures ont été annoncées fin juin, notamment pour former plus de professionnels et créer 20 postes de chef de clinique en pédopsychiatrie. Dans le cadre de votre stratégie nationale, 20 millions sont alloués à la pédopsychiatrie. Nous nous réjouissons mais les dégâts du passé obligent à davantage.

Le Conseil national de la protection de l'enfance propose un véritable parcours de soins spécialisé. Il faut garantir une offre de soins solide sur l'ensemble du territoire. Monsieur le ministre, vous présenterez bientôt des conclusions de la commission « 1000 premiers jours » présidée par Boris Cyrulnik. J'espère que cela débouchera sur un meilleur repérage et une prise en charge de l'enfant renforcée.

Les départements doivent protéger les enfants mais l'État doit mieux former les professionnels. Les enfants sont l'avenir de notre pays et les graines de l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme Michelle Gréaume .  - La pédopsychiatrie française va mal. Une réponse forte et urgente doit être apportée. Délais trop longs, manque de professionnels, familles laissées dans la difficulté... Il faut faire les diagnostics précoces, notamment des troubles autistiques.

La prévention reste un objectif évoqué mais dépourvu de moyens. Prenons l'exemple de la prévention prénatale. Quelque 12,5 % des femmes enceintes ont déclaré une détresse psychologique anténatale. Or seulement 42 % ont eu une consultation avec un spécialiste. Le dépistage et l'accompagnement apparaissent essentiels.

Dans mon département, des services de PMI ont été fermés, malgré les besoins. Les familles, souvent sans ressources, vont chez le médecin généraliste, qui les oriente notamment vers les CMP et les CMPP. Et les 300 000 mineurs de l'ASE présentent des troubles particuliers.

Or alors que les demandes explosent, les moyens de prise en charge diminuent, ce qui augmente les délais d'attente. Le fonctionnement des structures est de plus en plus menacé par la pénurie de professionnels : pédopsychiatres, orthophonistes, psychomotriciens, autant de métiers de plus en plus en tension. En 2016, on comptait 4 professionnels pour 100 000 habitants de 0 à 20 ans ; 14 départements étaient sans pédopsychiatre, l'âge moyen des praticiens était de 62 ans. Il faut modifier la grille de salaires des professionnels ! Dans le Nord, en 2018, 40 postes de médecine générale étaient vacants sur 80.

La situation de l'enseignement et de la recherche est très problématique. Comment intéresser les étudiants en médecine à une discipline qu'ils n'étudieront que peu ? Comment faire évoluer les traitements quand les crédits de la recherche sont en berne ? Il faut arrêter les restrictions budgétaires et passer du constat aux actes.

J'espère que le Gouvernement prendra enfin la mesure de l'urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Daniel Chasseing .  - Je remercie le groupe CRCE d'appeler l'attention sur la pédopsychiatrie en France. Elle souffre d'un numerus clausus trop bas mais aussi de la crise des vocations, comme le montre le grand nombre de postes vacants. Ce sont les territoires ruraux qui en pâtissent le plus. C'est un problème de santé publique majeur.

Le Gouvernement souhaite renforcer la psychiatrie dès 2020. Nous nous en réjouissons. Quelque 1 million de jeunes a des problèmes de santé mentale. Plus la prise en charge est précoce, plus la chance de guérir sans séquelles est élevée.

Les départements n'ont plus les moyens d'assurer leur mission ; il est impossible pour un généraliste d'obtenir une consultation ou un avis téléphonique en urgence. Or les pathologies sont durables si elles ne sont pas prises en charge. En outre, des problèmes infantiles peuvent ressurgir lors des ruptures de l'adolescence. Le harcèlement scolaire, amplifié par les réseaux sociaux, concerne 700 000 jeunes chaque année. Il faut les accompagner, sans quoi des troubles peuvent s'installer. « Je suis responsable de ce qui arrive à autrui », écrivait Emmanuel Levinas.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoit un examen systématique des enfants pris en charge par les centres départementaux de l'enfance : cela va dans le bon sens. La continuité des soins est une priorité ; or trop souvent elle n'est pas assurée, faute de moyens. Dans les maisons d'enfants à caractère social (MECS), un enfant violent peut déstabiliser et user toute une équipe !

La télémédecine pourrait jouer un rôle important. Des équipes mobiles de pédopsychiatres pourraient apporter des renforts ponctuels aux professionnels des maisons d'enfants. Elles pourraient aussi aller à domicile, lors de crises ou pour assurer la continuité des soins dans la phase de stabilisation. Ce serait une alternative à l'hospitalisation.

Monsieur le ministre, avez-vous la volonté de développer ces équipes mobiles, notamment en milieu rural ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Sylviane Noël .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Postes vacants, sous-effectifs permanents, crédits en berne... La pédopsychiatrie est en crise, or la demande de soins explose : 700 000 enfants ont été pris en charge dans des centres spécialisés en 2018. Leur activité a augmenté de 60 % entre 1996 et 2006 et de 16 % entre 2006 et 2017. Le nombre de patients a augmenté de 14 %. Or le fonctionnement de ces structures est de plus en plus menacé par des pénuries de personnel. Ainsi, 16 % des postes de pédopsychiatres sont vacants. Les pédopsychiatres sont accablés de travail, isolés, non rémunérés à la hauteur de leur engagement. Quatre praticiens pour 100 000 enfants et jeunes !

La France est le pays européen le plus pauvre en praticiens. La Haute-Savoie ne déroge pas à la règle. Le coût élevé de la vie, la concurrence des salaires deux ou trois fois supérieurs en Suisse aggravent la situation.

Il faut attendre deux, trois mois avant un accueil ou un transfert. J'ai une pensée pour un jeune Haut-Savoyard mort récemment en montagne lors d'une crise de schizophrénie. Il n'avait pas été pris en charge malgré les appels à l'aide.

Face à la hausse continue de l'activité de service, des professionnels finissent par se décourager, brisant la chaîne de soins. Les moyens ne sont pas à la hauteur en Haute-Savoie. La dotation de fonctionnement des établissements publics est inférieure à la moyenne.

Que va faire le Gouvernement pour y remédier, en tenant compte des spécificités frontalières ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du groupe RDSE)

M. Michel Raison .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Mon intervention est inspirée par ma mission d'administrateur de l'association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté et par mes contacts avec les services.

Je me suis penché sur le rapport Milon-Amiel de 2017. La grande majorité de ses 52 propositions, de l'avis des personnels, sont pertinentes pour sauver la discipline.

Nous manquons de pédopsychiatres un peu partout. Dans certaines facultés de médecine, il n'y a plus de professeurs de cette spécialité. Les pédopsychiatres ne représentent que 0,73 % de l'ensemble des professionnels de médecine. L'offre de soins est insuffisante, par manque de moyens.

Or le repérage et la détection précoces sont indispensables, sans verser dans le sur-psychiatrisme. Alors qu'une prise en charge suffisamment précoce peut faire disparaître les troubles, il y a des pertes de chance. Trop de jeunes adultes arrivent finalement en soins sans consentement, ce qui est la conséquence des échecs antérieurs. Le parcours de soins est plus souvent le fruit du hasard que de la cohérence.

En Bourgogne-Franche-Comté, l'urgence dure depuis trente ans ; Les services n'ont plus les moyens de leurs missions ; les listes d'attente s'allongent.

La recherche en psychiatrie est délaissée ; les associations de médecins psychiatres ont vu leurs moyens réduits dans le projet de loi de finances.

Le Gouvernement aime les lois : précisément, nous en demandons une sur le financement de la pédopsychiatrie et la formation des psychiatres et pédopsychiatres. Monsieur le ministre, c'est le moment de laisser votre nom dans l'histoire !

Faites confiance au Sénat, étudiez ses propositions pour répondre au cri d'alarme lancé par les personnels soignants. Ceux-ci sont à bout de souffle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Je remercie le groupe CRCE d'avoir pris l'initiative de ce débat. Nous partageons une grande partie des constats. « La santé est un bien qu'il faut conquérir et conserver. Le bien-être n'est ni le confort, ni le contraire de l'effort. Bien-être, c'est être bien. C'est un droit et un devoir, envers soi et envers les autres ». Tels sont les propos de Marie-Rose Moro et Jean-Louis Brison, deux experts missionnés fin 2016 par le Gouvernement pour travailler sur la santé des jeunes.

Le rapport de 2017 du Sénat a souligné la forte fragilité de la pédopsychiatrie en France marquée par une forte augmentation de la demande et la saturation des dispositifs de soins, dans un contexte de démographie médicale préoccupante. Certains départements sont ainsi dépourvus d'offres d'hospitalisation en pédopsychiatrie.

Le Gouvernement a engagé un travail d'analyse pour améliorer le parcours de soins en santé mentale. Je pense notamment aux missions conduites par l'IGAS sur les CMP, les CMPP et les centres d'action médico-sociale précoce.

En tant que secrétaire d'État spécifiquement chargé de l'enfance, je me suis attelé à répondre aux attentes et aux besoins. Or, depuis un an, pas un déplacement, pas un rendez-vous avec des associations ou des professionnels ne s'est conclu sans une interpellation sur la situation de la pédopsychiatrie.

Certaines études ont montré que 32 % des enfants qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance ont des troubles psychiatriques contre 2,6 % dans la population générale.

Quelque 26 % des enfants en pédopsychiatrie ont un père souffrant d'addiction ; pour 16 %, c'est la mère.

Un délégué ministériel, le professeur Franck Bellivier, a été nommé au printemps 2019 sur cette question spécifique. Il se rend dans toutes les régions et territoires et il apportera des réponses concrètes et opérationnelles.

Ce ne sont pas quelques millions, madame Cohen, mais des moyens exceptionnels qui ont été alloués fin 2019 : 20 millions d'euros pour un appel à projets du renforcement des ressources de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Nous avions demandé aux ARS de faire remonter des projets concrets. Quelque 35 projets ont été retenus ; ils renforceront l'offre dans les territoires en grande difficulté par la création de lits d'hospitalisation, de places de crise et de place d'hospitalisation. Les CMP seront renforcés et les équipes mobiles développées.

Des projets ont été retenus dans les Alpes de Haute-Provence, en Corrèze, en Creuse, dans les Côtes d'Armor, dans l'Indre. Non, les départements ruraux ne sont pas oubliés.

La pédopsychiatrie et la périnatalité font partie des thématiques retenues dans le fonds pour les pratiques organisationnelles en psychiatrie, fonds doté de 10 millions d'euros. Quelque 19 des 42 projets retenus visent le repérage et la prise en charge précoce. Cette offre supplémentaire se concrétisera cette année.

La feuille de route Santé mentale et psychiatrie vise à renforcer l'attractivité de la pédopsychiatrie en ville et à l'hôpital, notamment avec la création de 20 postes de chefs de clinique en deux ans. À terme, chaque faculté devra compter au moins un poste de PU-PH sur la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.

Les professionnels qui accompagnent l'enfant au quotidien, notamment les infirmiers, ne seront pas oubliés. Madame Doineau, les textes sur les infirmiers en pratique avancée, mention psychiatrie et santé mentale, ont été publiés en août 2019 ; les élèves spécialisés ont débuté leur formation à la dernière rentrée universitaire.

Toutes les actions menées s'articulent au sein de la feuille de route globale du ministère et du secrétariat d'État à la protection de l'enfance. J'ai présenté ma stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance le 14 octobre 2019 qui inclut un volet important en matière de prévention et protection. Au titre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous expérimentons un parcours de soins coordonné en Loire-Atlantique, Pyrénées-Atlantiques et Haute-Vienne. Nous souhaitons généraliser le dispositif au plus tôt.

Avec Mmes Buzyn et Cluzel, nous renforcerons la réponse à la situation des enfants souffrant de handicap. Ce ne sont pas 15 % mais plus de 25 % des enfants pris en charge par l'ASE qui ont un dossier à la MDPH.

Dans un pays marqué par un fonctionnement en silo, nous allons croiser les approches avec des équipes mixtes et une offre nouvelle, volet obligatoire de la contractualisation avec les départements.

Quelque 15 millions d'euros ont été fléchés vers des dispositifs au service de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. C'est une première.

Concernant la prévention, vous avez pointé avec raison le repérage précoce. Le sujet des 1 000 premiers jours de la vie de l'enfant est emblématique de notre approche préventive. Comme l'a démontré le Prix Nobel d'économie James Heckman, le retour sur investissement de la prévention augmente de façon exponentielle quand on intervient tôt.

Une commission d'experts présidée par Boris Cyrulnik travaille depuis septembre pour nous éclairer sur les fondamentaux scientifiques sur lesquels nous devons nous appuyer et pour en dégager des recommandations de politiques publiques.

Madame Cohen, vous avez rappelé l'importance du langage et des orthophonistes. Nous avons engagé avec ces derniers un partenariat de dépistage en petite section de maternelle sur trois bassins de vie.

Le repérage précoce est aussi au coeur de la stratégie nationale pour l'autisme au sein des troubles du neuro-développement 2018-2022 que porte Sophie Cluzel et avec laquelle je travaille étroitement.

Vous avez pointé, monsieur Rapin, la question des troubles du spectre de l'autisme. Le développement de plateformes d'orientation et de diagnostic autisme est l'un des chantiers majeurs de cette stratégie. Quelque 3 millions d'euros de crédits complémentaires seront alloués aux ARS en 2020 à cette fin.

Je n'entrerai pas dans le débat sur autisme et psychanalyse. Il semble qu'il ne soit pas possible de conclure à la pertinence des interventions psychanalytiques en matière d'autisme.

Mme Laurence Cohen.  - Pas seulement en matière d'autisme !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Au 31 décembre 2019, 29 plateformes étaient ouvertes. Elles seront 47 fin 2020. D'après la déléguée interministérielle Claire Compagnon, nous sommes bien au-delà du cadencement prévu. Je ne dispose pas encore de tous les chiffres, mais en Isère, la plateforme ouverte mi-septembre a pris en charge 70 cas.

Nous mettons en oeuvre à titre exceptionnel en Île-de-France, Grand-Est et Pays-de-la-Loire, le dispositif « Écoutez-moi » pour douze consultations gratuites pour des jeunes en souffrance psychique avec des professionnels libéraux et intégralement remboursées par l'assurance maladie. Pleinement opérationnelle depuis mi-2019, cette expérimentation a déjà concerné 300 jeunes.

À la demande du Président de la République, un appel à projet national doté de 4 millions d'euros a été lancé sur le psychotraumatisme en 2018. La lutte contre les violences faites aux enfants est une priorité absolue et a fait l'objet d'un nouveau plan de mobilisation que j'ai dévoilé le 20 novembre dernier lors de la célébration des 30 ans de la Convention internationale des droits de l'enfant : c'est pour cela que j'ai annoncé la mise en place de cinq nouveaux dispositifs de prise en charge du psychotraumatisme visant à renforcer le maillage du territoire national.

Les projets territoriaux de santé mentale seront tous effectifs d'ici juillet 2020. Des parcours gradués seront élaborés et mis en oeuvre avec les acteurs du médico-social et du social. Nous devons travailler main dans la main avec les collectivités territoriales.

Certes, nous ne sommes pas responsables de 40 ans d'abandon mais, monsieur Tourenne, nous sommes en responsabilité. Nos décisions prises depuis deux ans ne peuvent pas produire d'effets immédiats tant les difficultés sont profondes mais ma détermination et celle d'Agnès Buzyn sont totales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Prochaine séance, demain jeudi 9 janvier 2020, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 heures.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 9 janvier 2020

Séance publique

À 10 h 30

Présidence : Mme Hélène Conway-Mouret, -vice-présidente

Secrétaires : Mme Agnès Canayer et M. Victorin Lurel

- Débat sur les conclusions du rapport d'information : « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective)

Analyse des scrutins

Scrutin n°63 sur l'ensemble de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 341

Suffrages exprimés : 341

Pour : 341

Contre : 0

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 143

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe SOCR (71)

Pour : 71

Groupe UC (51)

Pour : 51

Groupe LaREM (24)

Pour : 24

Groupe RDSE (23)

Pour : 23

Groupe CRCE (16)

Pour : 16

Groupe Les Indépendants (13)

Pour : 13

Sénateurs non inscrits (6)

N'ont pas pris part au vote : 6 - M. Philippe Adnot, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier