SÉANCE

du jeudi 16 janvier 2020

48e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Philippe Dallier, vice- président

Secrétaires : M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Créer un droit à l'erreur des collectivités locales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à créer un droit à l'erreur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale, présentée par M. Hervé Maurey, Mme Sylvie Vermeillet et plusieurs de leurs collègues.

Discussion générale

M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit également.) La loi du 12 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite Essoc, a consacré un droit à l'erreur pour les particuliers et les entreprises dans leurs relations avec l'administration. Nous nous en réjouissons.

Un amendement de Sylvie Vermeillet avait étendu ce droit aux collectivités territoriales et à leurs groupements, contre l'avis du Gouvernement, mais cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale au motif qu'elle « diluerait » le droit à l'erreur. C'est l'une des causes de l'échec de la CMP.

Attaché à la reconnaissance de ce droit, je l'ai repris, avec Sylvie Vermeillet, au bénéfice des communes et de leurs groupements dans une proposition de loi déposée le 1er février 2019 et cosignée par 85 sénateurs. Nous avons également tenté d'introduire ce droit dans la loi Engagement et proximité, en vain : le ministre m'avait alors laissé entendre qu'une meilleure rédaction serait introduite à l'Assemblée nationale ; hélas, il n'en fut rien.

Je suis très heureux que cette proposition de loi soit discutée aujourd'hui au Sénat. J'en remercie le groupe de l'Union centriste, ainsi que le rapporteur Philippe Bonnecarrère pour avoir amélioré la rédaction, avec sa rigueur et son intelligence habituelles...

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Très juste !

M. Hervé Maurey.  - Je remercie également la commission des lois, qui a adopté la proposition de loi à l'unanimité.

Comme les particuliers et les entreprises, les collectivités territoriales peuvent être usagères des administrations : elles versent des cotisations sociales pour leurs employés, reversent le prélèvement à la source, sont assujetties à la TVA pour leurs activités dans les secteurs des transports, des déchets et de l'eau.

Le risque, pour une collectivité, de commettre des erreurs s'est accru avec la multiplication des normes et la complexification des procédures. C'est particulièrement vrai pour les petites communes, privées d'un service juridique aguerri ; et une secrétaire de mairie à temps partiel, quelle que soit son implication, généralement exemplaire, ne peut pas connaître l'ensemble des subtilités administratives.

En outre, du fait des réorganisations successives des services de l'État et des réductions d'effectifs afférentes, les communes ne bénéficient pas du même appui juridique qu'auparavant. Or les erreurs commises peuvent leur être préjudiciables, financièrement comme en raison de l'engagement de la responsabilité des élus locaux. Cela constitue une source d'angoisse, comme l'ont montré les récents travaux du Sénat sur l'exercice de leurs mandats.

Le rescrit administratif créé par la loi du 27 décembre 2019 ne sera pas suffisant, car il est peu contraignant pour le préfet. Il faut donc offrir aux communes une seconde chance en cas d'erreur commise de bonne foi. Ce texte confirme la volonté de notre Haute Assemblée de répondre aux attentes de nos collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants)

Mme Sylvie Vermeillet, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants) Il est probable que cette proposition de loi, fruit d'un travail collectif récurrent, touche chaque sénateur au coeur. Je remercie nos collègues qui, sans faille, soutiennent les élus locaux et les collectivités territoriales. Je remercie également Hervé Maurey d'avoir transformé mon amendement initial en proposition de loi.

M. Loïc Hervé.  - Très bonne idée en effet !

Mme Sylvie Vermeillet.  - Merci aussi au groupe UC d'avoir permis l'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour, à la commission des lois et à son rapporteur, Philippe Bonnecarrère, d'avoir ciselé notre texte et précisé le champ d'application du droit à l'erreur.

Nul doute que les collectivités territoriales méritent le même droit à l'erreur que l'ensemble des bénéficiaires de la loi Essoc et qu'elles en ont besoin.

Pourquoi la fonction publique territoriale et ses deux millions d'agents n'auraient-ils pas les mêmes droits que les entreprises dans leurs relations avec l'Urssaf, d'autant qu'ils sont soumis aux mêmes contrôles, en vertu de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale ?

Dans le Nord, la commune de Beuzeville a dû payer 202 270 euros pour avoir appliqué par erreur une exemption de cotisations à l'ensemble du personnel d'aide à domicile.

La commune de Wormhout a été redressée pour 10 257 euros de cadeaux de l'amicale du personnel à ses agents partant en retraite. En 2018, en Bretagne, sur 71 collectivités territoriales contrôlées, il y eut 99 653 euros de redressement, dont 80 % concernaient les Urssaf. La France compte 36 347 collectivités : partout, des erreurs sont commises.

La TVA cause bien des tracas. Comment s'y retrouver dans toutes ses modalités - exonérations diverses, livraisons à soi-même, relations entre collectivités ? Pourquoi n'y aurait-il pas de droit à l'erreur ? Le tribunal d'Amiens a reconnu la bonne foi d'une commune qui n'avait pas versé de TVA pour la vente d'un terrain à un organisme HLM, réclamée par la DGFiP ! La loi Essoc prône de faire confiance et de faire simple.

La loi Engagement et proximité a étendu le rescrit administratif aux collectivités territoriales et vous avez créé le site simplifions@modernisation.gouv.fr. Inscrivons les collectivités dans le partenariat et la simplification, ainsi que dans la contribution aux solutions, car elles peuvent abondamment témoigner de la complexité de l'application de normes excessives.

Mieux vaut une coopération qu'une confrontation ! C'est l'ensemble du pays qui revendique nos synergies, et les collectivités territoriales peuvent utilement contribuer à corriger certains dispositifs. À quelques mois des élections municipales, envoyez le message que le droit à l'erreur est le droit au meilleur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Loïc Hervé.  - Excellent !

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois .  - Je ne suis pas certain de pouvoir immédiatement illustrer le droit au meilleur revendiqué par notre collègue... Ni plus ni moins et pas d'impunité : tel est l'esprit de cette proposition de loi qui rend les collectivités territoriales usagères de l'administration éligibles au droit à l'erreur, au même titre que les particuliers et les entreprises. Ce n'est ni une dérogation, ni une impunité, ni une faveur, mais le régime du droit commun !

Le droit à l'erreur, mesure emblématique de la loi Essoc de 2018, désormais inscrit dans le code des relations entre le public et l'administration (CRPA), est un droit à la régularisation des erreurs, hors mauvaise foi ou fraude. Lors du débat au Sénat sur la loi Essoc, un amendement de Sylvie Vermeillet l'étendant aux collectivités territoriales avait été adopté. Sa suppression par l'Assemblée nationale a été à l'origine de l'échec de la CMP.

La commission des lois a adopté à l'unanimité, la semaine dernière, cette proposition de loi.

L'intérêt principal de notre débat, serait, monsieur le ministre, de vous convaincre ; si nous y parvenons, nul doute que vous saurez ensuite convaincre l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement veut se réconcilier avec les collectivités territoriales (M. Pierre-Yves Collombat rit ostensiblement.), trouver la voie de la confiance réciproque et supprimer les irritants. Eh bien, voici un irritant que vous pouvez supprimer sans coûter un sou au budget de l'État !

Monsieur le ministre, nous avons confiance dans votre sens politique (M. Philippe Bas, président de la commission des lois, le confirme.) et dans vos compétences techniques. (M. Loïc Hervé renchérit.) En commission des lois, nous avons examiné vos réserves et vos critiques pour les intégrer à la proposition de loi. En 2018, vous souteniez que la loi Essoc visant à renforcer la confiance du public dans l'administration, il ne fallait pas « diluer cet objectif central » par l'extension du droit à l'erreur.

Très bien, nous avons donc retiré toute référence au CRPA et proposons un droit à l'erreur autonome au sein du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Nous avons interrogé les grandes associations d'élus. L'Assemblée des départements de France (ADF) nous a répondu que certains départements manquaient d'expertise juridique et souhaité que le droit à l'erreur concerne l'ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements. Nous avons modifié la rédaction initiale en conséquence.

Monsieur le ministre, nous avons tenté, non pas de nous immiscer prétentieusement dans votre cerveau (Sourires) mais d'anticiper vos objections techniques : il n'y a aura ni impunité ni irresponsabilité pour les collectivités territoriales. Nous avons scrupuleusement repris les exclusions prévues par le CRPA. Ce qui était bon en 2018 pourrait le rester en 2020.

Quelles situations seraient concrètement concernées par ce droit à l'erreur, vous interrogiez-vous ? Les collectivités territoriales peuvent commettre des erreurs, comme tout le monde. Elles sont de plus en plus soumises aux mêmes règles que les acteurs du droit commun. Elles paient ainsi la TVA, l'impôt sur les sociétés comme les cotisations sociales et sont soumises aux régulations multiples des fameuses autorités administratives indépendantes.

Quelle meilleure preuve de cette convergence que l'ouverture du rescrit administratif aux collectivités territoriales ? Pourquoi approuver ainsi le droit commun en décembre 2019 et le refuser en janvier 2020 ?

Il est exact que le CRPA ne s'applique pas aux droits spéciaux, notamment en matières fiscale et sociale. Dans ces domaines, les collectivités territoriales sont donc traitées comme les autres usagers. Pour respecter ce principe de subsidiarité ou de supplétivité, cher au Président de la République comme au Président du Sénat, la proposition de loi ne fait pas obstacle aux droits à l'erreur spéciaux.

L'écriture de cette proposition de loi est donc faite pour vous, monsieur le ministre. La mesure qu'elle propose ne coûte rien. Elle est fondée sur un principe de bon aloi, supprime des irritants et respecte l'ordre juridique. Nous espérons ainsi vous convaincre...

Monsieur le ministre, la solitude du pouvoir pouvant peser, acceptez donc les satisfactions qui vous sont proposées ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - Après les interventions des orateurs précédents, notamment la dernière minute du discours de M. Bonnecarrère, je mesure que ma tâche ne sera pas aisée...(Sourires)

Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la loi Essoc, que j'ai défendue devant vous. Elle a consacré le droit à l'erreur en l'inscrivant aux articles L. 123-1 et 123-2 du CRPA. Mme Vermeillet avait souhaité l'étendre aux collectivités territoriales. Nous y étions opposés et le sommes toujours, en raison de son caractère superfétatoire et des problèmes d'articulation qu'il entraîne.

Il nous paraît, en effet, difficile d'identifier les situations concernées par ce droit à l'erreur des collectivités. Il n'existe pas de vide juridique faisant naître un risque pour celles qui commettent une erreur de bonne foi. Dans le cadre du contrôle de légalité des actes, les préfectures assurent un conseil et un appui juridique gracieux auprès des collectivités territoriales qui en font la demande.

En matière fiscale, l'article L. 62 du livre des procédures fiscales et le décret du 11 octobre 2019 prévoient déjà un droit à l'erreur en cas de bonne foi. Quant aux situations évoquées par Mme Vermeillet s'agissant des Urssaf, elles trouvent leur issue dans l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale.

Je salue le travail du rapporteur et le remercie pour ses citations...(Sourires) Mais les restrictions apportées au texte par la commission des lois - l'intégration du dispositif dans le CGCT et la suppression des droits spéciaux du champ d'application notamment - ne suffisent pas à nous convaincre. Cette proposition de loi apparaît - pardonnez-moi d'employer à nouveau ce terme - superfétatoire.

La vie comme la politique sont parfois faites de symboles, mais le Gouvernement ne souhaite pas céder à la surenchère législative qui nuirait à la lisibilité du droit pour les collectivités territoriales comme pour nos concitoyens.

Cette proposition de loi s'articule difficilement avec le droit à l'erreur tel que défini par la loi Essoc. Ainsi, elle ne reprend pas le caractère isolé de l'erreur et la méconnaissance de la règle comme fondement de son application. Dès lors, le droit à l'erreur pourrait s'appliquer à des erreurs matérielles répétitives commises par les collectivités territoriales. Le texte proposé est donc plus permissif que le droit applicable aux particuliers et aux entreprises.

Le Gouvernement maintient en conséquence son avis défavorable.

Permettez-moi de vous citer à mon tour, monsieur le rapporteur : Portalis exigeait que la loi ne soit pas trop bavarde. Le Gouvernement y reste attaché -  pour une fois, ajouterait peut-être M. le président de la commission des lois...(Sourires)

M. Dany Wattebled .  - Le risque d'erreur pour les collectivités territoriales, de même que pour certains acteurs économiques, s'est accru ces dernières années, avec la complexité du droit de la fonction publique ou de la commande publique.

Les collectivités territoriales sont de plus en plus soumises au droit commun. Elles paient la TVA, les cotisations sociales, et participent au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Il serait légitime de leur ouvrir le droit à l'erreur consacré par la loi Essoc, au même titre que les autres administrés.

La commission des lois a conforté le dispositif proposé par la proposition de loi. Elle a créé un droit à l'erreur autonome pour l'ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Elle a prévu que le droit spécial ne s'applique que s'il assure une protection équivalente à celle du droit à l'erreur. L'absence de sanction resterait subordonnée à l'absence de fraude ou de manquement délibéré.

Le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC et sur le banc de la commission)

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. André Reichardt .  - En tant que cosignataire de la proposition de loi, je me félicite de son examen, après deux tentatives malheureuses. Ses détracteurs ne pourront arguer, comme lors de l'examen de la loi Essoc, que l'extension du droit à l'erreur assimilerait les collectivités territoriales à des usagers de l'administration de l'État.

Il s'agit d'un texte autonome à l'objet clair. L'article 62 reconnaît d'ores et déjà aux collectivités territoriales le statut d'usager en matière fiscale, comme le fait le décret du 11 octobre 2019 en matière de recouvrement des cotisations sociales.

Nos collectivités territoriales ne cessent de se voir attribuer de nouvelles charges sans compensation et les règlements sont de moins en moins aisés à appliquer.

Il faut redonner confiance à nos élus. C'était l'objet du nouveau rescrit administratif. Si vous voulez que la confiance soit vraiment restaurée, monsieur le ministre, il faut consacrer le droit à l'erreur. Le symbole est important, monsieur le ministre !

Nos collectivités territoriales sont contraintes par le désengagement de l'État et la suppression de l'appui juridique dont elles jouissaient par le passé.

Cette proposition de loi a été confortée par les précisions du rapporteur. J'espère que le Gouvernement entendra cette fois le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et UC)

M. Jérôme Durain .  - Nous commençons à être familiers du droit à l'erreur. C'est plus précisément un droit à la régularisation. Ce n'est ni un droit à la faveur à la négligence ou à l'incompétence.

Fin 2017, Thierry Mandon soulignait que ce droit à l'erreur a été monopolisé par Bercy. Cela a eu des avantages, avec des progrès en matière fiscale, mais aussi des inconvénients : une vision trop centrée sur les finances.

L'extension du droit à l'erreur aux collectivités territoriales repose sur les mêmes objectifs que la création du droit à l'erreur pour les usagers. Il s'agit de donner la priorité à l'accompagnement plutôt qu'à la sanction.

Le Gouvernement ne voulait pas rendre confus le message principal de la loi Essoc. Certes cette proposition de loi est spécifique. Le Gouvernement ne voyait pas quelles situations étaient concernées. Mme Vermeillet les a détaillées. Le Gouvernement estime que le contrôle de légalité et le rescrit règle toutes les situations. Je doute de l'efficacité du contrôle de légalité sur le terrain et le rescrit ne couvre pas tout le champ du droit à l'erreur.

Les grandes collectivités territoriales ont aussi besoin du droit à l'erreur. A-t-on limité le droit à l'erreur des particuliers sur des critères de ressources ou d'éducation ou refusé ce droit aux grandes entreprises ?

Le groupe socialiste soutient cette proposition de loi comme il avait voté l'amendement de Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et UC)

Mme Josiane Costes .  - Depuis 1982, les actes de décentralisation se succèdent : autonomie financière, nouvelles compétences, contractualisation. Ces actes semblent procéder d'une confiance pérenne dans les collectivités territoriales. Mais les actes doivent correspondre aux paroles.

Les collectivités territoriales peinent à assurer sereinement les tâches qui leur sont confiées. Or celles-ci s'alourdissent par un droit toujours plus complexe, tandis que pullulent les textes dits « de simplification ». Le Sénat avait quasi unanimement voté l'extension du droit à l'erreur aux collectivités territoriales et à leurs groupements dans la loi Essoc. Nous l'avons défendu également lors de l'examen de la loi Engagement et proximité.

Il devient de plus en plus difficile pour les collectivités territoriales d'agir sans commettre d'erreurs. Dans le Cantal, nombre de petites communes sont incapables de faire face aux évolutions du droit. Comment voulez-vous qu'un secrétaire de mairie, présent une fois par semaine et le plus souvent dépourvu d'une formation juridique appropriée, ne commette jamais la moindre erreur ? Or les conséquences sont parfois lourdes pour ces communes. Souvent des collectivités territoriales perdent le bénéfice de subventions dont elles ont grand besoin en raison d'erreurs minimes. Le groupe RDSE soutient cette proposition de loi, parce qu'elle remédie à cet état de fait.

Oui, reconnaître le droit à l'erreur serait bienvenu. On pourrait limiter le champ d'application du droit à l'erreur aux plus petites collectivités territoriales quand le droit à la différenciation sera effectif. Monsieur le ministre, entendez-nous, cette fois-ci ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

M. Arnaud de Belenet .  - Merci au groupe UC de nous permettre d'examiner l'existence d'un droit à l'erreur pour les collectivités territoriales et de discuter de la pertinence d'un acte symbolique d'inscription dans la loi.

La « bonne foi » fait partie de ces mots-caoutchouc qui suscitent bien des débats. Le droit à l'erreur dispose que la preuve d'absence de bonne foi doit être rapportée par l'administration, au même titre que les manoeuvres frauduleuses.

Le droit à l'erreur n'est pas une maigre avancée. Elle participe de la « subjectivisation » du droit administratif. Le bon sens semble exiger l'extension de ce droit à la régularisation à l'ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements, fussent-ils coupables de légèreté. Certes, le rapporteur a veillé à sécuriser juridiquement le texte. Certains d'entre nous restent toutefois sceptiques sur sa portée réelle et pratique.

En effet, les collectivités territoriales peuvent désormais saisir en amont le préfet pour obtenir une prise de position formelle. Ce conseil de légalité préventif leur est accessible. Elles peuvent aussi se prévaloir du droit à l'erreur général applicable en matière sociale et fiscale. Dans la pratique, les collectivités territoriales bénéficient donc, comme l'a souligné le ministre, d'un droit à l'erreur. Son officialisation ne clarifie pourtant pas la multiplication des normes qui désarme les collectivités dépourvues de compétences juridiques suffisantes. C'est une mesure palliative à l'inflation normative. Nous devons avant tout nous attaquer à des normes toujours plus nombreuses.

Le groupe LaREM ne s'oppose pas, toutefois, à ce que le Sénat pose un acte symbolique. (Marques de satisfaction sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Roger Karoutchi.  - Le Gouvernement va vous suivre. (Sourires)

M. Arnaud de Belenet.  - Il comprend néanmoins que le Gouvernement soit garant de la simplicité du droit.

M. Loïc Hervé. - C'est le « en même temps » ! (Sourires)

M. Arnaud de Belenet.  - Comme le rapporteur, je constate l'absence de bouleversement impliqué par cette proposition de loi, même si demeurent des interrogations sur ses effets de bord, notamment sur la charge de la preuve en cas de fraude, qui seront sans doute évoquées dans la suite de notre débat puis à l'Assemblée nationale...

MM. Philippe Bas, président de la commission et Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat .  - Cette proposition réintroduit dans la loi un amendement à la loi Essoc, loi à laquelle mon groupe s'était opposé, car il s'agit largement d'un texte d'affichage sans un sou supplémentaire. L'administration se voit ainsi confier officiellement une nouvelle mission : donner « confiance » aux citoyens en pratiquant la câlinothérapie. (Sourires)

Oui, désormais, l'administration n'administre plus, elle donne des conseils, elle rend service et donc donne « confiance »...en elle-même et accessoirement, dans le Gouvernement !

Au milieu d'un bric-à-brac de dispositions hétéroclites, la mesure phare était le « droit à l'erreur » pour les personnes de bonne foi ayant reconnu ladite erreur et régularisé leur situation, à leur initiative ou à celle de l'administration... Un droit qui « ne mange pas de pain », donc, comme l'on dit en Provence, mais que le Gouvernement a refusé d'étendre aux collectivités territoriales. Il est vrai qu'il les porte nettement moins dans son coeur que les entreprises, comme le ministre, jamais en reste d'arguties juridiques, vient de nous en administrer une nouvelle preuve.

Ce texte largement publicitaire se borne à entériner des pratiques existantes, ce qui aurait pu être avantageusement fait par circulaire... Comme cela ne fait néanmoins pas de mal, le groupe CRCE s'abstiendra.

MM. Philippe Bas, président de la commission et Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Soit.

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce texte, porté par l'Union centriste, répond aux préoccupations d'un nombre croissant de collectivités territoriales, en particulier des plus petites d'entre elles, mais pas seulement.

Car toutes sont soumises aux mêmes règles, qu'il s'agisse de procédures fiscales ou de marchés publics, et sont devenues des usagers à part entière de l'administration. Saluons l'initiative de Sylvie Vermeillet, à l'origine de ce texte car l'amendement que nous avions adopté à la loi Essoc, a hélas été abandonné dans la navette, comme l'a rappelé Hervé Maurey.

Le Gouvernement aurait refusé cette mesure, avançant évasivement un problème de praticabilité, qui ne résiste pas à un examen rigoureux des faits.

La position d'administration des collectivités territoriales n'est pas exclusive de celle d'usager. Le Gouvernement avait également craint que l'application du droit à l'erreur aux collectivités territoriales diluerait son principe. Pourquoi ? Comme les entreprises, les collectivités territoriales sont redevables de l'impôt sur les sociétés, assujetties à la TVA, participent au prélèvement à la source et ont donc affaire à la DGFiP et à l'Urssaf.

La suppression par la commission des lois de la référence au CRCA par la création d'un droit à l'erreur autonome dissipe toute équivoque. Je tiens à féliciter Philippe Bonnecarrère pour l'exercice de sa sagacité coutumière...

M. Philippe Bas, président de la commisison des lois.  - Oui.

M. Loïc Hervé.  - L'ouverture de ce nouveau droit à toutes les catégories de collectivités est opportune et conforme à ce qu'avait déjà adopté la Haute Assemblée lors de l'examen du projet de loi Essoc.

Ce texte a été pensé pour accompagner les collectivités territoriales dans leurs missions et dans les procédures qu'elles rencontrent au quotidien. Pour que cette ambition se concrétise, je vous invite à adopter sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 2 de la loi Essoc consacre un nouveau droit improprement appelé droit à l'erreur.

Lorsque le Sénat l'examinait, j'avais en charge ce sujet, en tant que rapporteur. J'avais trouvé la proposition de Sylvie Vermeillet fort opportune et le Sénat l'avait votée : comme tous les usagers, les collectivités territoriales ont en effet bien besoin du regard bienveillant de l'État et des organismes de sécurité sociale dans des procédures engagées dans des conditions parfois difficiles. L'Assemblée nationale l'avait refusé et en CMP, nous nous étions heurtés à une opposition farouche au motif que le texte concernait uniquement la simplification des démarches des usagers auprès de l'administration.

Au moins, avec cette proposition de loi, le périmètre du texte ne pourra plus nous être opposé.

Le Gouvernement ne perçoit pas quelles situations concrètes justifieraient une extension du droit. Cet argument reflète une méconnaissance de la vie réelle des collectivités territoriales ! Les services des préfectures n'ont plus les moyens de fournir un appui juridique ni d'assurer une mission de conseil.

Je voterai avec conviction cette mesure de bon sens, précisée opportunément par la commission des lois.

Monsieur le ministre, venez voir nos petites communes et vous comprendrez pourquoi cette proposition de loi est vraiment indispensable. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État .  - La qualité des arguments et la sympathique personnalité de ceux qui les présentent ne suffisent malheureusement pas à me convaincre. Comme M. de Belenet l'a souligné, le Gouvernement a la responsabilité de la régulation et de la lisibilité du droit.

Jamais le Gouvernement n'a considéré que les travaux du président Maurey, utilement complétés par la commission des lois, créeraient un droit à l'impunité.

Enfin, ma conviction personnelle est que, si nous devions un jour parvenir à une position commune pour une amélioration du droit existant, celle-ci devrait s'appliquer à toutes les collectivités : une distinction selon la taille ne me semble pas pertinente.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Maurey et Mme Vermeillet.

Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La preuve du caractère délibéré du manquement ou de la fraude incombe à l'autorité qui prononce la sanction.

M. Hervé Maurey.  - Je ne comprends pas la position du Gouvernement. Il y a un décalage entre ses - nouvelles - déclarations d'amour aux maires, qualifiés désormais de « piliers de la République », et son refus obstiné, dogmatique, de mesures simples.

Cet amendement explicite qu'il revient à l'administration de faire la preuve de la mauvaise foi ou de la manoeuvre frauduleuse qu'elle allègue, par parallélisme avec le dispositif de « droit à l'erreur » prévu en faveur des particuliers et des entreprises.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - J'espère que notre préoccupation pourra trouver une réponse dans le projet de loi 3D. Cet amendement me semble satisfait : la précision selon laquelle la mauvaise fois doit être prouvée par l'administration est établie. Néanmoins, elle ne nuit pas au texte. Sagesse.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - Le droit que vous introduisez ici est plus permissif que dans la loi Essoc : il n'est pas fait mention de la notion d'erreur « isolée ». Plutôt que le symbole, je choisis la lisibilité du droit.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article unique, modifié, est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Maurey et Mme Vermeillet.

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre IV du titre III du livre III de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complété par une section ainsi rédigée :

« Section ...

« Droit à régularisation en cas d'erreur dans le cadre d'une demande de subvention

« Art. L. 2334-....  -  Une collectivité ayant commis une erreur matérielle lors de la formalisation d'une demande de subvention prévue au présent chapitre ou ayant oublié d'y joindre une ou plusieurs pièces exigées ne peut se voir refuser l'octroi de la subvention sollicitée au seul motif de cette erreur ou de cet oubli. La collectivité demandeuse doit pouvoir être mise en mesure, dans un délai raisonnable, de corriger toute erreur matérielle ou de compléter sa demande avant la décision d'octroi ou de refus de la subvention. »

M. Hervé Maurey.  - Comme Mme Costes l'a indiqué, dans certains cas, une collectivité peut se voir refuser une subvention de l'État parce que son dossier n'est pas complet. Parfois, l'administration réclame les compléments, mais c'est aussi, parfois, le moyen de faire un premier tri... Cet amendement y remédie. (M. Loïc Hervé applaudit.)

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Nous avons supprimé la notion de « première fois » non pour être plus permissif mais parce qu'elle était imprécise : une erreur commise par une commune nouvelle est-elle considérée comme une première, ou doit-on consulter l'historique des communes antérieures ?

Monsieur Maurey, dans certains cas l'administration a l'obligation de demander les pièces manquantes : un délai de trois mois s'applique.

L'avis sera défavorable mais la question est pertinente : comment l'État peut-il faciliter la vie des collectivités ? Une circulaire, une invite, lors d'une réunion de préfets, à examiner les requêtes avec bienveillance est-elle envisageable ? Selon les territoires, les services préfectoraux admettent les régularisations ou non.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - Même avis. Cet amendement dépeint une situation assez éloignée de la réalité. Nous n'incitons pas nos services à profiter de la moindre erreur des collectivités pour refuser une subvention ! (On le conteste sur les travées du groupe UC.)

S'il était adopté, cet amendement ne créerait aucun droit à une subvention pour les dossiers régularisés, l'octroi de cette dernière relevant de la décision de l'administration.

L'article R 2334-23 du code général des collectivités territoriales est d'ores et déjà protecteur : si l'administration n'a pas signalé l'incomplétude du dossier sous trois mois, il est réputé complet. Il consacre également une forme de droit à l'erreur.

La présentation de cet amendement fait état d'une complexité croissante des dossiers à constituer, d'une non-assistance de l'administration alors que nous facilitons de plus en plus le déroulement des procédures. Les règles ont été rassemblées dans une circulaire unique en 2019. Il faut veiller à l'homogénéisation des règles d'élaboration des dossiers et d'attribution des subventions. En outre, des solutions dématérialisées existent pour simplifier les démarches.

Avis défavorable à cet amendement satisfait.

Mme Sylvie Vermeillet.  - L'article 4 de la loi Essoc dispose que l'absence d'une pièce à fournir par un usager ne peut conduire l'administration à suspendre l'instruction de son dossier.

Il s'agit d'accorder ni plus ni moins le même droit aux collectivités. Vous qualifiez ce texte de superfétatoire. Il est pourtant essentiel : le signal serait fort ; hélas, vous allez en sens contraire.

Les petites communes ont droit à l'erreur, ce droit que vous accordez aux entreprises du CAC 40 ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je voterai cet amendement. Si on cherchait une preuve que l'État ne veut rien savoir de ce que vivent les collectivités territoriales, nous l'aurions ici : il est bien évident qu'il y a des problèmes ici ou là.

M. le ministre nous oppose la loi...que l'administration ne respecte pas. Si on veut régler ces problèmes, c'est en faisant le siège du Gouvernement, afin qu'il admette qu'il y a de mauvaises relations entre une partie de la haute administration et les collectivités territoriales.

Nous pouvons voter ce texte... De toute façon, il ne sera pas respecté !

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - Il n'y a pas identité de nature entre l'instruction d'un dossier pour obtenir une prestation de droit et l'examen d'une demande de subvention.

L'amendement n°2 est adopté et devient un article additionnel.

Mme Dominique Vérien.  - Dire que ce texte est superfétatoire, c'est réduire les collectivités territoriales à des filiales de l'État ou à des sous-traitants. Elles ont droit au même droit à l'erreur que les autres usagers. (Applaudissements sur les travées des groupeUC et Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.