Urgence Covid-19 (Conclusions de la CMP - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.

Je salue l'accord auquel la commission mixte paritaire, sous la présidence de M. Philippe Bas, est parvenue sur ce texte.

En ce moment difficile pour la Nation, le Parlement joue pleinement son rôle : concilier le respect des principes démocratiques et la prise en compte de l'urgence sanitaire. L'un ne peut aller sans l'autre. Nous assumons nos responsabilités. Les sénateurs ont à coeur de respecter les règles sanitaires qui nous sont demandées à tous. Ce n'est qu'ensemble que nous avancerons dans la lutte contre cette pandémie. Tous les orateurs s'exprimeront donc depuis leur place, les micros seront désinfectés après chaque prise de parole. Chacun respectera les consignes de distanciation, notamment à l'entrée et la sortie de l'hémicycle.

Discussion générale

M. Philippe Bas, président de la commission mixte paritaire .  - La commission mixte paritaire a prolongé ses travaux, particulièrement riches et intenses, jusqu'à 14 h 30. Chacun de ses membres était imprégné de notre responsabilité collective de parvenir à un accord, sans compromettre nos convictions mais avec la conscience que l'intérêt général commandait l'union de la Représentation nationale aux côtés du Gouvernement ; sans hypothéquer l'exigence constitutionnelle du contrôle parlementaire mais en donnant au Gouvernement les moyens d'action nécessaires pour combattre le fléau qui nous accable.

Nous avons voulu faire en sorte que l'état d'urgence sanitaire se déploie en toute efficacité, mais sans déroger au droit commun au-delà des exigences du combat contre le Covid-19.

Le Sénat a un grand motif de satisfaction : nous n'avons pas à inscrire dans notre droit un régime dérogatoire permanent, susceptible d'être utilisé à l'avenir contre d'autres fléaux sanitaires. (Murmures sur les travées du groupe CRCE) Le régime de l'état d'urgence sanitaire reste temporaire ; au-delà d'un an, le Parlement devra se prononcer à nouveau.

Deuxième motif de satisfaction : des pouvoirs importants sont accordés au Gouvernement, mais pas les pleins pouvoirs. Il fallait donner au Gouvernement la possibilité de restreindre la liberté d'aller et de venir, la liberté de réunion, la liberté d'entreprendre.

La lutte contre le terrorisme demeurant dans tous les esprits, la loi de 1955, qui permet de déclarer l'état d'urgence pour des motifs de sécurité, énumère les catégories de mesures susceptibles d'être prises - périmètre de sécurité, assignation à résidence, fermeture de lieux de cultes salafistes, perquisitions... Le Sénat a voulu un dispositif limitatif analogue pour l'état d'urgence sanitaire.

L'Assemblée nationale n'ayant pas pleinement partagé cette position, il fallait trouver un compromis : donner au Gouvernement les marges de manoeuvre nécessaires pour être efficace mais éviter qu'il ne porte trop fortement atteinte à nos libertés. Nous avons donc, en CMP, exclu que le Gouvernement puisse prendre des mesures hors de la liste qui portent atteinte à la liberté d'aller et venir et à la liberté de réunion, mais accepté des mesures limitant la liberté d'entreprendre.

Quand la Nation s'organise en temps de guerre, elle déroge aux règles de la libre concurrence et des marchés publics pour produire armes et munitions. Dans la lutte contre le Covid-19, la situation est analogue : il faut produire des masques, des respirateurs artificiels, des tests, des médicaments, voire des vaccins. Nous avons néanmoins exigé que de telles mesures soient prises par décret du Premier ministre, et non par simple arrêté du ministre de la Santé, et déférées au Conseil d'État, qui se prononcera en urgence, selon la procédure du référé.

La CMP a aussi traité du report du second tour des élections municipales dans plus de 5 000 communes. Jour après jour, les initiatives des maires pour contenir la pandémie se multiplient ; ils sont en première ligne pour défendre la sécurité des populations. Faisons en sorte qu'ils soient confortés dans leur mission et n'aient pas de doute sur leur responsabilité.

Comment organiser le travail des communes quand le second tour n'a pas eu lieu ? Nous avons prévu des règles simples : les anciens maires et les anciennes équipes continueront à agir jusqu'à la mise en place des nouvelles équipes.

Il fallait aussi des dispositions pour assurer la continuité de la vie communale, étant donné que les maires n'ont pu être élus ce week-end, les conseils municipaux n'ayant pu se tenir.

Nous avons inscrit dans le marbre de la loi ce qui va se passer d'ici juin. Dans les 30 000 communes de France où le premier tour a été conclusif, l'élection est définitive ; seule l'entrée en fonction est différée. Il faudra que les maires soient élus, même en temps de confinement ; cela suppose d'autoriser, par voie d'ordonnance, le vote par correspondance ou électronique. Le Sénat y tenait, les députés nous ont suivis.

Nous avons souhaité repousser le décret de convocation du second tour au plus tard, pour tenir compte de l'évolution de la situation sanitaire. Nous avons donc décidé la publication le 23 mai d'un rapport du Comité scientifique ; sur la foi de celui-ci, le Conseil des ministres prendra une décision le 27 mai ; les candidatures seront à déposer en préfecture dans les cinq jours, pour des élections le 21 juin.

S'il s'avérait impossible de tenir le second tour avant le 30 juin, les résultats du premier tour ne pourraient demeurer gelés. Ce serait restreindre la liberté de vote des électeurs du premier tour ; il faudrait alors rejouer toute la partie. Les résultats seraient annulés et les mandats reconduits jusqu'à ce que les électeurs soient à nouveau convoqués pour deux tours.

Chacun saura ainsi à quoi s'en tenir. Les choses ne sont pas spéculatives mais écrites. Viendra ensuite, plus tard, le moment de l'évaluation des politiques mises en oeuvre contre le Covid-19.

Nous n'en sommes pas là mais nous exigeons que le contrôle de la mise en oeuvre de la loi que nous nous apprêtons à voter soit plein et entier, comme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Patrick Kanner applaudit aussi.)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Je salue la mobilisation exceptionnelle du Sénat pour que la continuité de nos institutions soit assurée et que le débat démocratique existe en ces temps difficiles. Ce débat nous a tous mobilisés alors même que des règles sanitaires très strictes ont été appliquées au sein même de votre assemblée. Nous nous y sommes collectivement pliés avec discipline de la même manière que nos concitoyens appliquent au quotidien les consignes sanitaires du Gouvernement. Il en allait, comme vous l'avez souligné, monsieur le président, de notre devoir d'exemplarité.

Je salue aussi la qualité du dialogue entre les deux assemblées et le Gouvernement, qui ont examiné en trois jours trois projets de loi, signe d'un consensus de toutes les parties prenantes sur l'urgence d'agir.

Il y a des divergences, nous avons su les surmonter. Merci, monsieur le président, d'avoir créé les conditions d'un débat démocratique nécessaire et d'avoir favorisé le consensus.

Le Parlement a, en quatre jours, adopté une loi d'urgence. Certains de nos concitoyens, confinés, inquiets pour leurs proches, parfois endeuillés, pourraient s'en étonner. Nous devons assumer ce débat que nous avons tous appelé de nos voeux : il éclaire l'opinion publique, alors que les Français sont en attente de réponses claires et fortes. Il faut aussi faire oeuvre de transparence sur les politiques sanitaires, sociales et économiques.

Enfin, nos débats ont facilité l'acceptation par nos concitoyens des mesures fortes que nous avons prises, en faisant remonter leurs inquiétudes, leurs interrogations de nos concitoyens, et en montrant ainsi tout l'intérêt de la démocratie représentative.

Merci à tous les sénateurs qui, même s'ils n'ont pu être présents dans l'hémicycle en raison des règles strictes que nous nous sommes fixées, chaque jour, font preuve d'un engagement exceptionnel dans leurs territoires.

Le titre II sur l'état d'urgence sanitaire donne les moyens au Gouvernement d'enrayer la propagation du virus, selon des dispositions inspirées par la loi du 3 avril 1955. Le contrôle parlementaire reste plein et entier : l'état d'urgence sanitaire devra être prorogé par la loi ; le recours à cet état d'urgence devra être éclairé par des données scientifiques qui seront rendues publiques ; l'Assemblée nationale et le Sénat pourront requérir toutes informations complémentaires dans cette période exceptionnelle.

Le titre III nous dote collectivement d'un arsenal pour répondre à la situation économique détériorée par la crise sanitaire avec environ quarante habilitations à légiférer par ordonnance. C'est un choix radical que le Gouvernement assume.

Il faut être humble : nous ne connaissons pas toutes les mesures qui seront à prendre en fonction de l'évolution de la situation. Mais d'ores et déjà nous prévoyons le soutien massif à la trésorerie des entreprises et des aides directes ou indirectes à ces dernières. Le droit du travail sera temporairement assoupli pour subvenir aux besoins essentiels de la Nation.

D'autres dispositions, qui pourront être complétées par ordonnance, adaptent les procédures du quotidien, telles que le fonctionnement des organes des collectivités territoriales, des syndics de copropriété, des procédures judiciaires, etc. C'est là aussi que le débat parlementaire prend tout son sens.

Enfin, je me félicite de l'accord sur le titre premier relatif au report du second tour des élections municipales et à l'installation des conseils municipaux élus au premier tour. Je félicite le président de la CMP pour l'accord trouvé entre les deux assemblés sur le dépôt des listes.

Ce texte devra sans doute être complété. Il faut faire preuve d'humilité.

Ce projet de loi nous donne d'importants moyens pour répondre aux problèmes posés par la propagation du Covid-19. Il ne résoudra pas tout et il sera sans doute complété par d'autres dispositions.

Je salue enfin celles et ceux qui soignent nos concitoyens, avec professionnalisme et dévouement comme ils l'ont toujours fait, assurent chaque jour encore la continuité de la vie économique, des services de l'État et des collectivités territoriales ; je tiens à saluer de même l'ensemble des élus locaux, ainsi que l'engagement sans faille des policiers, des gendarmes, des pompiers.

Je tiens enfin à rendre hommage à tous ceux qui, par leurs gestes les plus modestes, forment une chaîne admirable, déterminante. Soyez-en tous remerciés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. le président de la commission mixte paritaire applaudit également.)

M. le président.  - Je remercie René-Paul Savary, rapporteur de la commission mixte paritaire, qui a oeuvré, conjointement avec le président Philippe Bas, à cette conclusion positive. (Applaudissements sur les mêmes travées)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Nous sommes loin d'être au bout du chemin. Plus que jamais, affirmons notre solidarité totale à l'égard des soignants et de tous ceux qui se donnent tant de mal pour lutter contre ce fléau.

Nous devons marquer un état d'esprit d'union et d'unité. Monsieur le ministre, notre soutien n'est pas compté vis-à-vis des mesures exceptionnelles que vous pourrez prendre. La sécurité, la santé, voire la survie de tous dépendent des gestes, des initiatives, et du dévouement de chacun et de chacune d'entre nous.

La CMP s'est déroulée sereinement, sans polémiques inutiles. Nous soutenons beaucoup des mesures de ce texte, toutefois le groupe socialiste et républicain s'abstiendra, en raison de quelques aspects qui sont pour nous essentiels.

Merci, monsieur le président, d'avoir accepté que nous ne traitions des questions électorales qu'à la fin. Sur ce point, nous sommes parvenus à un accord. Les votes dans les 30 000 communes qui ont désigné leurs conseillers municipaux au premier tour ne seront pas remis en cause.

Pour les autres communes, il est clair que si le second tour devait être reporté au-delà du mois de juin, cela impliquerait aussi le premier tour.

Nous nous abstenons d'abord car les droits du Parlement posent problème. L'avant-projet du Gouvernement prévoyait que le Parlement pouvait intervenir de nouveau après douze jours. C'était très court. Le Conseil d'État a demandé un délai d'un mois. Or paradoxalement, ce délai a été inscrit dans la loi mais, par dérogation, il sera porté à deux mois, éventuellement prorogé d'un mois... Ce n'est pas clair !

Deuxième raison : les dérogations au droit du travail posent aussi problème. Certaines mesures ne sont pas acceptables par tous, même si un pas en avant a été franchi. Ainsi, pour la prise obligatoire de congés payés, il faudra finalement un accord de branche ou d'entreprise positif ; nous nous demandons cependant pourquoi ne pas faire de même pour les RTT et les jours de repos.

En troisième lieu, l'article 13 voté par le Sénat prévoyait un droit d'information du Parlement sur l'ensemble des actes du Gouvernement, qu'ils fussent pris à titre réglementaire ou en vertu de la loi. Or cet article ayant déménagé, ne s'appliquera plus qu'à l'urgence sanitaire.

Monsieur le président du Sénat, vous avez bien voulu nous proposer, lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, d'écrire au Premier ministre sur les mesures d'urgence économique.

M. le président. - C'est fait !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien ! Il conviendrait, si vous le souhaitez, de mettre en oeuvre la même démarche à propos de cet article 13...

Enfin, l'article 4, au 10° alinéa, évoque « toute autre mesure générale nécessaire ». Le Premier ministre avait glosé à l'Assemblée nationale, en évoquant la clause de compétence générale des collectivités territoriales. Cela pose problème. La démarche n'est pas claire sur le plan des libertés, auquel nous sommes très attachés.

Nous soutenons tout ce qui est positif, nous redisons notre solidarité mais notre groupe proclame en toutes circonstances son attachement aux libertés et aux droits du Parlement constitutifs de l'esprit républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

Mme Maryse Carrère .  - J'ai d'abord une pensée pour tous nos compatriotes touchés par le Covid-19, pour les familles endeuillées, les personnes malades, les entourages inquiets, ainsi qu'une pensée particulière pour les sénateurs et tous les collaborateurs du Sénat infectés par le virus.

Le Parlement débat depuis trois jours de l'urgence. C'est l'honneur de notre démocratie que de préserver les principes de notre État de droit en toutes circonstances. Clemenceau avait ainsi tenu à ce que le Parlement siégeât pendant la Grande guerre.

Mais devant l'urgence sanitaire, économique, sociale et sécuritaire absolues, tâchons de ne pas ressembler aux Byzantins qui dissertaient sur le sexe des anges alors que les Ottomans assiégeaient leur cité.

Les débats se sont donc étirés au moment où nos personnels soignants effectuent un travail exceptionnel, dans des conditions épouvantables, eux qui méritent bien plus qu'une série d'hommages, même justifiés.

Trois jours, c'est également beaucoup pour nos concitoyens, qui pour la plupart ont maintenant pris la pleine mesure de la gravité de la situation ; trois jours pour discuter de points de droit qui peuvent leur paraître secondaires au regard des urgences du moment.

Monsieur le ministre, nul ici ne doute de l'engagement collectif du Gouvernement. Nous savons que le ministre de la Santé mobilise tous les moyens pour que notre système de santé soit en capacité d'absorber le pic épidémique attendu dans quelques jours.

Les leçons à tirer seront pour plus tard. L'heure n'est pas à la politique partisane mais à l'unité nationale. Et vous pouvez compter évidemment sur le groupe RDSE dans ce moment.

Chacun détient une part de la responsabilité collective dans la lutte contre l'épidémie. Il y a bien sûr des inconscients qui, confondant confinement et vacances, ont rejoint leur résidence secondaire au risque d'étendre la contagion, mais je retiens surtout les initiatives remarquables de beaucoup de nos concitoyens : un supermarché qui réserve des créneaux aux personnes âgées ou au personnel des hôpitaux ; un maire qui demande à ses administrés de se mobiliser contre l'isolement des résidents d'un Ehpad ou pour égayer le confinement de leurs voisins, en s'assurant que tout va bien.

Nous souscrivons bien sûr à la création immédiate de l'état d'urgence sanitaire. Trop de nos compatriotes n'ont pas conscience de ce que nous vivons : la pédagogie doit céder à la coercition au nom de l'intérêt général ! Nous saluons le compromis trouvé à l'Assemblée nationale sur ce point ainsi que le renvoi aux accords collectifs de la modulation des congés payés, ainsi que toutes les précisions apportées par la CMP.

Les circonstances exceptionnelles ne pouvaient en aucun cas être un prétexte à une régression du droit du travail.

Nos deux assemblées ont longuement débattu du report du second tour. Notre groupe avait défendu un délai de dépôt des candidatures au plus près de la date du scrutin. Nous nous satisfaisons de l'équilibre trouvé en CMP.

Une saisine blanche du Conseil constitutionnel pourrait purger d'emblée le texte de toute inconstitutionnalité pour apporter une véritable sécurité juridique mais ces débats sont sûrement accessoires pour nos concitoyens, même s'ils sont indispensables au fonctionnement de nos institutions.

J'ai une pensée particulière pour tous les élus, jusque dans les plus petits villages, qui font front dans des circonstances particulières, en continuant à exercer leur mandat en toute dignité.

Une fois passé l'état de sidération dans lequel est plongé notre pays, et le monde, il sera temps d'analyser ce qui aurait pu être fait autrement, en tirer des leçons profondes sur notre système de santé, nos industries stratégiques, notre modèle économique ou notre résilience alimentaire. Le RDSE avait fait des propositions fortes à ce sujet.

Mais l'heure est à l'unité. Notre groupe soutiendra donc ce texte, à deux abstentions près.

M. Xavier Iacovelli .  - Ce projet de loi porte en son titre même le défi qui se pose à nous depuis trois jours.

Plusieurs écueils se présentaient : confondre réactivité et précipitation, vouloir légiférer à tout va, opposer l'urgence aux règles de droit élémentaires. Je suis fier que nos travaux en CMP nous aient permis de les éviter.

Je salue le travail de notre rapporteur, la qualité des débats et du texte qui en est issu. Les garanties juridiques sont là, qu'il s'agisse de la prorogation des mandats des conseils municipaux, de l'assouplissement des modalités de réunion des assemblées délibérantes ou de l'extension des prérogatives du Premier ministre pour la mise à disposition de certains médicaments, le contrôle des prix des produits de première nécessité ou encore la durée de deux mois retenue pour l'état d'urgence sanitaire.

Le Gouvernement aura ainsi les moyens de poursuivre son action face à l'urgence collective.

Les acquis de la CMP sont à saluer : responsabilité, permanence de l'État de droit et préservation des droits sociaux.

L'instauration d'un régime d'état d'urgence sanitaire distinct de l'état d'urgence est bienvenue, tout comme les mesures d'urgence économique, indispensables à la continuité de la vie économique et sociale.

Le périmètre des mesures de droit du travail a été utilement précisé. Je pense à la durée des congés payés limitée à six jours et sous condition d'un accord de branche ou d'entreprise.

Citons les mesures de soutien aux entreprises avec la suspension des principaux impôts, le report des charges sociales et la création d'un fonds de solidarité pour les TPE.

Les ordonnances protègeront les plus vulnérables dont les personnes en situation de pauvreté. Il en va de même de l'allongement de la trêve hivernale et de la suppression du jour de carence en cas d'arrêt maladie.

L'accord de la CMP sur l'échelonnement des opérations de scrutin des municipales est équilibré et pertinent. Le dépassement des désaccords initiaux entre nos deux assemblées est à saluer : les Français n'auraient pas compris une CMP non conclusive pour la seule raison d'un désaccord sur la date de dépôt des listes pour le second tour des municipales...

M. Philippe Bas, président de la commission mixte paritaire.  - Absolument.

M. Rachid Temal.  - Ce n'est pas si sûr...

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'était pas le seul problème !

M. Pascal Savoldelli.  - Franchement...

M. Xavier Iacovelli.  - Merci aux rapporteurs et aux membres de la CMP pour leur esprit de responsabilité.

Nous n'avons pas sacrifié l'essentiel à l'urgence mais avons travaillé à l'urgence de l'essentiel, comme nous y invite Edgar Morin. L'essentiel, c'est la permanence de l'État de droit, c'est le soutien indéfectible à tous ceux qui permettent à notre pays de traverser cette crise : les personnels soignants, les forces de police et de gendarmerie, l'armée, les commerçants alimentaires, les caissières, les agents de propreté urbaine, les fonctionnaires, en particulier territoriaux, qui assurent, à travers nos mairies, le lien avec les populations.

Le groupe LaREM votera bien évidemment ce texte.

M. Philippe Bas, président de la commission mixte paritaire.  - Ah, très bien.

Mme Éliane Assassi .  - La crise sanitaire s'étend désormais sur tout le territoire national. Nous sommes bien sûr aux côtés des malades, des familles touchées au coeur, du personnel hospitalier, du chef de service aux chargés du nettoyage en passant par les aides-soignants : tous sont debout avec des moyens si faibles ! Nous saluons tous les salariés et tous les fonctionnaires du pays qui continuent de travailler sans relâche, souvent sans protection, sous la menace de la remise en cause de leurs droits.

Le texte hélas a confirmé nos craintes : pourquoi accorder à l'état d'urgence sanitaire une telle dérogation démocratique bien plus grave que lorsqu'il s'agit d'un état d'urgence classique ? Nous avons proposé d'instaurer un comité national de suivi pluraliste, car toutes les opinions doivent être entendues.

La mise en place de l'état d'urgence sanitaire pour deux mois, avant prorogation éventuelle sans consultation du Parlement, contre douze jours prévus lors des états d'urgence précédents, n'est pas acceptable. Nous refusons de confier les pleins pouvoirs au Gouvernement. Ce n'est d'ailleurs pas conforme à l'esprit de la Constitution.

Dans cette lutte, la démocratie est la grande oubliée alors qu'elle devrait constamment être convoquée dans ces moments difficiles. En outre, l'Assemblée nationale a encore renforcé les prérogatives du Premier ministre.

Nos craintes sur le volet social sont aussi confirmées : le projet de loi prévoit des dérogations profondes au droit du travail sur le temps de travail, les congés payés ou le repos du dimanche, et ces dispositions pourraient devenir pérennes. Encore une fois, ce sont les salariés et non les actionnaires qui sont mis à contribution pour sauver la trésorerie des entreprises. Votre refus de rétablir l'ISF est à ce titre symbolique.

Le confinement est une évidence mais nous regrettons les sanctions disproportionnées votées par l'Assemblée. Alors que le Gouvernement italien stoppe les activités de production non essentielles, Muriel Pénicaud se félicite de pouvoir contraindre les salariés du BTP à reprendre le travail et Bruno Le Maire va dans le même sens en promettant une prime de 1 000 euros. Non : il faut stopper l'activité là où c'est possible !

Où sont les moyens d'urgence pour les hôpitaux et les personnels de santé ? Où sont les crédits pour les masques, les matériels indispensables, les tests ? Entendez-vous le désespoir de tous ces personnels ?

Quand réquisitionnerez-vous ou nationaliserez-vous les sociétés essentielles ? Quand annoncerez-vous un plan pour l'hôpital digne de ce nom ? Les priorités de la solidarité et de la santé devront être au coeur de la reconstruction à venir.

Or vous sollicitez les travailleurs les plus exposés alors que les forces de l'argent sont encore et toujours préservées.

Nous voterons contre ce texte, à l'exception de deux sénateurs rattachés à notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Claude Malhuret .  - Votre Gouvernement nous a saisis en urgence d'un texte exceptionnel pour faire face à la crise. Le Parlement a apporté sa contribution à la lutte contre le virus, comme tous les Français. Tous, chaque soir à 20 heures, expriment leur gratitude aux soignants et je m'associe à leur hommage. J'ai une pensée pour les malades et leurs familles. Nous surmonterons cette épidémie à une condition : rester unis et solidaires car, comme nous l'avons appris il y a quelques siècles, « toute demeure divisée contre elle-même périra ».

Personne n'aurait compris que notre CMP ne soit pas conclusive. Nous sommes donc parvenus à un texte commun donnant des moyens d'agir au Gouvernement tout en garantissant le respect du droit.

Ce projet de loi permet donc la réquisition du personnel et du matériel nécessaires à la lutte contre le virus. Il encadre l'ouverture des commerces et les déplacements de nos concitoyens.

Ces mesures sont radicales, mais c'est la condition de leur efficacité. Néanmoins, il faut veiller à leur contrôle. C'est pourquoi il reviendra au Parlement de décider la prolongation de l'état d'urgence sanitaire.

Les mesures contre le virus ont des effets redoutables sur l'économie. Les médecins savent qu'il y a des remèdes pires que le mal, d'où leur devise : Primum non nocere. C'est la raison des mesures exceptionnelles que nous prenons pour soutenir notre économie.

Cette épidémie nous impose deux impératifs contradictoires : agir vite et suspendre le temps.

Ne paralysons pas le pays : il faut continuer à produire, assurer les services publics, verser les allocations à nos concitoyens.

Cette épidémie est redoutable mais, comme disent les Anglais, une mer calme n'a jamais fait un bon marin. Cette crise peut être une opportunité de nous renforcer. Le groupe Les Indépendants soutient ce projet de loi. Le commencement est la moitié du tout, disait Aristote : nous avons commencé et nous nous tenons prêts à accompagner le Gouvernement dans la suite de ce combat.

Nous avons tous conscience des contraintes créées aujourd'hui. Chaque citoyen va devenir un Robinson Crusoé ; certains seuls, d'autres en compagnie d'un ou plusieurs Vendredi. Ce sera dur pour eux, car ils sont plus attachés à leurs libertés qu'ils ne sont doués de patience. Ils devront s'adapter à une situation contre-nature, contre leur nature. Et faire confiance à leur allié dans cette crise : le temps. Notre époque de fulgurance confond le rapide et le vivant. Haut débit, TGV, nous avons appris à multiplier les tâches, nous nous sommes habitués à travailler tout en dialoguant sur WhatsApp et en envoyant des mails, avec en fond sonore un concerto de Mozart. Mais la recherche de l'intense ruine la sensibilité et l'intimité.

Profitons de cet isolement forcé pour partir comme Marcel Proust à la recherche du temps perdu. « Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Nous pourrons nous coucher et nous lever à l'heure qui nous plaira, retrouver la maîtrise de nos journées, penser. Le Bouddha a dit : « La patience est la plus grande des prières ».

Vauvenargues quant à lui énonce : « La patience est l'art d'espérer ». L'espoir, c'est ce dont les Français ont besoin aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Hervé Marseille .  - Je salue le dévouement du personnel hospitalier. Je rends hommage au médecin décédé dans l'Oise. Nous ne ferons pas l'économie d'un bilan, ni d'un nouveau plan pour l'hôpital.

Le Président de la République a été clair : nous sommes en guerre. Le virus est une menace sournoise qui met au défi notre système de santé, l'un des plus performants au monde, qui met en péril toute notre économie, qui bouleverse notre quotidien.

Je salue les Français qui continuent à travailler quand leur métier est indispensable. Il faut s'assurer qu'ils ne mettent pas leur vie en danger. Le Président du Sénat a saisi le Premier ministre et le Président de la République, car ils doivent clarifier leur démarche. On demande à certains de se confiner et à d'autres d'aller travailler. Que seraient les hôpitaux sans restauration pour les plateaux-repas, ou pressing pour les draps ?

Nous saluons la suppression du jour de carence.

Il faut anticiper à présent la sortie de crise, en évitant, après le séisme sanitaire, un tsunami économique. La reprise se prépare dès maintenant - coordonnée aux niveaux européen et mondial.

Le Gouvernement doit dès maintenant et régulièrement informer le Parlement sur sa stratégie.

Tous nos concitoyens n'ont pas compris l'enjeu du confinement, certains n'entendent pas tenir compte des consignes. Le texte permet de sanctionner fermement les comportements irresponsables et récidivistes : nous nous en félicitons.

Nos institutions aussi ont été bouleversées dans leur fonctionnement démocratique. Nous avons dû adapter au jour le jour l'organisation du travail parlementaire ; il faudra réfléchir aux moyens de fonctionner en de telles circonstances, pour l'avenir, et aux moyens de contrôler l'action du Gouvernement.

Une solution a été trouvée sur les questions électorales ; c'est heureux, même si ce n'est pas le plus important. Le Parlement a pleinement exercé son rôle de législateur tout en soutenant sans équivoque l'exécutif.

Le groupe UC votera naturellement ce texte. Je salue le travail de notre rapporteur Philippe Bas dans ces jours difficiles, de René-Paul Savary et de l'ensemble du Sénat, ainsi que des fonctionnaires et des collaborateurs qui nous ont aidés à préserver la continuité démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - L'épidémie de Covid-19 est la plus grande crise de santé publique dans notre pays depuis un siècle.

Le Parlement a été saisi dans l'urgence des projets de loi dont nous discutons aujourd'hui. Le Sénat a travaillé en lien très étroit avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale, préparant en quatre jours une loi qui offrira aux autorités publiques et à la société tout entière des outils puissants et flexibles face au virus.

Afin d'être contenue, la menace nécessitait une réaction rapide et décisive. Cet impératif, le Sénat l'a fait sien, avec un large consensus de toutes les forces politiques, et la CMP l'a confirmé par un texte de compromis.

Le texte final crée l'état d'urgence sanitaire, qui donne au Gouvernement et à ses relais territoriaux la possibilité de prendre par décret des mesures exceptionnelles : restriction de la liberté d'aller et de venir, mise en quarantaine, fermeture provisoire de certains établissements, limitations des rassemblements sur la voie publique. C'est hautement dérogatoire au droit commun mais justifié au regard des circonstances. La loi comprendra aussi des garanties de proportionnalité et de contrôle par la justice et le Parlement, assurant l'équilibre entre les droits et libertés et les nécessités s'imposant à une société menacée.

Ces derniers jours, certains individus ont défié les obligations de confinement, mettant en danger leurs concitoyens. Cet état d'urgence donnera aux forces de l'ordre, y compris les polices municipales, les moyens de mieux sanctionner de tels comportements.

Enfin, le Sénat a garanti que ce dispositif ne perturbera pas l'équilibre des pouvoirs, votant un contrôle parlementaire attentif de l'ensemble des mesures gouvernementales et s'assurant que l'état d'urgence sanitaire demeure strictement temporaire et ne puisse devenir un nouveau régime d'exception durablement inscrit dans notre droit.

La nouvelle loi habilite le Gouvernement à prendre un grand nombre d'ordonnances. Vous connaissez nos réticences sur le sujet. Dans un monde idéal, nous disposerions du temps nécessaire à la discussion de chaque mesure ; mais ce n'était pas réaliste, quand des Français meurent chaque jour du virus. Il est raisonnable d'habiliter le Gouvernement à agir tout de suite. Les entreprises, les salariés, les indépendants, les administrés ont besoin d'aide dès maintenant.

Enfin, cette loi résout l'essentiel des difficultés concrètes auxquelles font face les collectivités au purgatoire entre les deux tours des élections municipales. Cet état, parfaitement anormal au regard de notre droit, risquait de désorganiser la capacité de nos élus à faire face à l'épidémie sur le terrain.

La loi offrira de la clarté sur le destin des conseils municipaux déjà élus, qui pourront entrer en fonction une fois que le Gouvernement, informé par le conseil scientifique, l'estimera possible.

Les autres collectivités pourront fonctionner politiquement, administrativement et financièrement jusqu'au deuxième tour, qui se tiendra d'ici juin, quand la situation le permettra.

Pour conclure, je salue une nouvelle fois ceux qui participent à la défense de la société française contre la maladie : les personnels soignants et de sécurité mais aussi les caissières, routiers, personnels techniques de l'énergie, des transports et bien d'autres. Cette loi est un moyen de leur dire : vous qui êtes au front, soyez assurés que nous sommes derrière vous.

L'heure n'est pas aux atermoiements mais à l'action : le Parlement a joué son rôle. À présent, c'est au Gouvernement de se montrer à la hauteur.

Le groupe Les Républicains votera ce texte et surveillera attentivement tant la mise en oeuvre de l'état d'urgence que le contenu des ordonnances à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Philippe Bas, président de la commission mixte paritaire .  - Malgré les conditions de travail en cette période exceptionnelle, où notre liberté de mouvement est limitée, nous avons su légiférer et assurer la continuité du travail parlementaire. Des discussions plus approfondies seraient possibles, à l'initiative et sous la houlette de M. le Président du Sénat. Ce dernier a déjà veillé à ce que nos travaux se poursuivent. Nous prouvons le mouvement en marchant...

Le contrôle parlementaire suppose des dispositions législatives, comme dans le passé lorsque nous avons approuvé la prolongation de l'état d'urgence face à la menace terroriste ; il serait souhaitable de mettre en place le même comité de suivi au sein de nos commissions, pour l'état d'urgence sanitaire. Rien ne nous l'interdit !

Le président Sueur a souligné que le Sénat n'avait pas obtenu gain de cause, notamment sur le recours massif aux ordonnances. Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager au nom du Gouvernement à nous informer du contenu de ces ordonnances avant qu'elles soient signées ? Et, dans le même esprit, informer mensuellement les assemblées des mesures qui ne relèvent pas de l'état d'urgence sanitaire, via les présidents des commissions concernées ?

Nous comptons sur votre bénévolence. Et M. le Président du Sénat pourra faire consacrer ces engagements par un courrier au Premier ministre. Bien sûr, les groupes politiques, dans chaque commission, participeront au travail.

M. Marc Fesneau, ministre .  - Nous associerons le Parlement au travail mené, mais les délais des ordonnances seront parfois peu compatibles avec l'exigence d'une association du Parlement à leur élaboration. Nous ferons au mieux. En revanche, oui, les présidents des commissions concernées seront informés mensuellement des mesures prises : cela, je puis m'y engager.

Le Premier ministre et le Président de la République sont très attentifs au contrôle parlementaire. De telles crises interrogent notre démocratie, et je me félicite du débat qui a eu lieu : nous devons faire face dans le cadre démocratique, même si les événements sont inédits.

J'entends les inquiétudes des groupes SOCR et CRCE, elles ne sont pas illégitimes. Mais il fallait aller vite, tout en respectant l'exigence démocratique. Nous avançons en marchant, comme vous l'avez dit. Dans la phase suivante, nous réfléchirons ensemble à la clarification de la mission de contrôle et d'évaluation.

La discussion générale est close.

M. le président.  - Je serai personnellement attentif à ce contrôle ; je le solenniserai dès demain dans une lettre au Premier ministre.

D'après l'alinéa 12 de notre article 42, aucun amendement du Sénat n'est recevable sur ce texte. Le Gouvernement n'ayant pas déposé d'amendement, j'invite ceux qui le souhaitent à présenter leurs explications de vote.

Explications de vote

M. Patrick Kanner .  - Les mesures prises ne sont pas anodines ; elles mettent en cause certains principes et des acquis de notre droit du travail. Une crise ne saurait être le prétexte pour affaiblir durablement les principes démocratiques fondamentaux.

Un état d'exception est par nature attentatoire aux libertés individuelles ; il faut garantir le contrôle du Gouvernement. Notre Constitution est un refuge, elle sait s'adapter dans les jours de tempête comme dans les jours de miel, pour reprendre la belle expression d'Albert Camus.

C'est pourquoi nous demandons au Président de la République de saisir le Conseil constitutionnel sur cet état d'urgence sanitaire, objet non identifié qui ne doit pas être un article 16 rampant à caractère sanitaire.

Cette crise doit être l'occasion de repenser notre modèle social et économique. Il est temps de mettre un terme à votre gestion d'apothicaire. Nous devons accomplir une refonte de la politique industrielle, notamment pour réimplanter des industries stratégiques sur notre territoire, je pense aux médicaments bien sûr. Il faudra renouer avec les corps intermédiaires, à l'issue de cette période autoritaire. C'est la condition de la reconstruction, qui exige la confiance retrouvée. N'ayons pas peur de la démocratie sociale.

Nous sommes favorables à l'état d'urgence sanitaire, mais nous regrettons que nos remarques n'aient pas été prises en compte. Nous allons, en responsabilité, nous abstenir sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Bruno Retailleau .  - J'ai parlé au téléphone à Jacques Oudin la veille de sa mort. Né en Mer de Chine, il a été l'élu de la petite île de Noirmoutier, et un grand parlementaire ; il a aimé sa petite patrie vendéenne et sa grande patrie la France. Sa voix portait beaucoup au Sénat. Mon groupe, et sans doute au-delà, porte une part de la peine de ses proches, de son épouse Anne-Marie.

Et puisque la vie continue, je précise que nous ne sommes pas d'accord sur toutes les dispositions de ce texte de compromis. Cependant, nous le voterons, pour ne pas entraver l'action du Gouvernement.

Notre état d'esprit est fait de bienveillance et de vigilance. Nous avons un devoir de solidarité vis-à-vis du Gouvernement, mais de vérité vis-à-vis des Français.

Le Président de la République a martelé l'anaphore : nous sommes en guerre. La guerre, disait Napoléon, est un art d'exécution. Je formulerai trois propositions à ce sujet : d'abord la clarté. Beaucoup de petites entreprises n'ont pas compris comment elles pourront maintenir leur activité. (Mme Pascale Gruny et M. Antoine Lefèvre renchérissent.)

Ensuite, une mise en oeuvre décentralisée. Le salut ne vient pas de Paris ; l'affaire des masques le prouve, l'embolie est due à la centralisation.

Enfin, l'anticipation. Nous avons eu un temps de retard pour les masques, le confinement, les tests. Alors de grâce, autorisez le protocole défini par le professeur Raoult à Marseille et l'utilisation de la chloroquine associée à une molécule antibiotique. Ce médicament est connu depuis cinquante ans, ses effets aussi. Nous n'avons rien à perdre et des vies humaines peuvent être sauvées. Bientôt il sera trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hervé Marseille et M. le président de la CMP applaudissent également.)

M. Pascal Savoldelli .  - Le Président de la République a dit que cette épreuve serait un test pour notre démocratie. Elle l'est dès aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas loin d'un article 16 déguisé. Parce qu'en substituant deux mois aux douze jours prévus pour la prorogation, vous supprimez l'information du Parlement par les autorités administratives sur les mesures prises.

Alors que notre démocratie est mise à l'épreuve, l'action doit prévaloir sur la communication. Le Parlement n'est pas suspendu (M. le président de la CMP le confirme) ; l'article 24 de la Constitution lui confie le rôle d'évaluer les politiques publiques. Les deux mois ne doivent pas nous empêcher de débattre ; le Parlement, dit l'article 28, se réunit de plein droit.

L'enjeu porte aussi sur le droit du travail. Les patrons comme les salariés sont confrontés au silence des assurances qui ne prennent pas en compte le risque sanitaire.

Rien dans le projet de loi de finances rectificative, sur la mobilisation de fonds de capitalisation pour les petites entreprises ; rien non plus sur l'encadrement des taux bancaires. Le Parlement doit jouer son rôle, aux côtés des patrons, des salariés, de la population française.

M. Pierre Ouzoulias .  - La Constitution de la Ve République en son article 16 comporte un régime d'exception. Plusieurs sénateurs ont dit qu'il était disproportionné par rapport à la situation actuelle ; il prévoit pourtant d'associer étroitement le Parlement et le Conseil constitutionnel. Mais vous avez préféré créer ex nihilo un autre régime d'exception, qui ne comprend pas les mêmes garanties !

Ce choix discutable doit être discuté. Le Parlement, le Conseil constitutionnel et les autorités administratives indépendantes doivent être étroitement associés.

Face à l'épidémie, la République doit s'unir mais pas sous la seule autorité de l'exécutif. Un effort collectif et citoyen est nécessaire. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste veillera avec détermination au respect des principes constitutifs de la République.

M. Pierre Laurent .  - Nous sommes entrés dans cet hémicycle avec la volonté d'organiser collectivement la lutte contre le Covid-19. Nous en sortons avec un goût amer.

Le projet de loi de finances rectificative débloque des sommes importantes pour l'économie, ce que nous saluons, mais ne prévoit rien pour notre système de santé et ne desserre pas l'encadrement des dépenses de santé imposé par l'Ondam. Rien pour interdire les licenciements pendant la période d'état d'urgence sanitaire ; mais des dérogations extrêmement importantes au droit du travail.

Les ordonnances permettront à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates de congé des salariés, sans délai de prévenance. Ce n'est pas de nature à rassembler le pays. Le monde salarié n'a pas à subir la double peine. Nous connaissons trop l'habitude de faire payer les petits. Nous ne sommes pas d'accord.

M. Vincent Capo-Canellas .  - Je salue la qualité des débats au Sénat : notre assemblée a été au rendez-vous.

Ce texte est issu d'un compromis. L'interrogation légitime demeure, sur le choix à opérer entre l'urgence et le souci de ne rien sacrifier de nos libertés publiques. Tous les points de vue se sont exprimés au Sénat et c'est tant mieux : la démocratie n'est pas entre parenthèses.

Il nous appartient à tous de faire vivre ce texte avec scrupule, avec le souci de la proportionnalité des mesures, et en restant très vigilants sur les ordonnances. Le Parlement doit être associé à toutes les étapes, notamment par l'intermédiaire des présidents de groupe.

La situation est extraordinaire. Nos concitoyens sont confinés, ils attendent que le Parlement exerce sa mission constitutionnelle. Le groupe de l'Union centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Chacun doit avoir pleine conscience de ses responsabilités. Le Parlement a fait son travail, même si nous demeurons insatisfaits quant aux moyens qui lui sont donnés pour contrôler l'action du Gouvernement. Nous resterons disponibles et mobilisés, malgré le confinement, pour poursuivre le contrôle, et pour donner l'avis des représentants des Français lorsque des informations nous seront communiquées par le Gouvernement.

Le Gouvernement doit entendre la volonté d'union nationale, mais aussi les tensions qui montent, parce que les inégalités sont criantes. Être confiné ne signifie pas la même chose selon les conditions de vie, le logement, les perspectives d'avenir. Les inégalités ne doivent pas être aggravées par la crise. Or les premiers éléments donnés par le PLFR ne sont pas à la hauteur ; certains sont même fort inquiétants. Par conséquent, réunis ou confinés, nous contrôlerons. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Le projet de loi est adopté.

M. le président.  - Il me paraît essentiel, tous les groupes l'ont du reste exprimé, que nos institutions continuent à fonctionner et que le Sénat et l'Assemblée nationale assurent pleinement leurs missions.

C'est indispensable au bon fonctionnement de notre démocratie parlementaire. Il est toujours plus facile de prendre des mesures dans les dictatures...

C'est pourquoi nous maintiendrons des séances de questions d'actualité au Gouvernement le mercredi à 15 heures, selon un format restreint et adapté, dont les modalités vous seront communiquées dès que je m'en serai entretenu avec les présidents de groupe.

Je vous remercie pour ces journées de débat. J'ai une pensée pour les parlementaires absents qui piaffent devant leurs écrans. C'est un double confinement pour eux.

Je remercie les membres des différentes commissions.

Les questions d'actualité au Gouvernement auront donc lieu mercredi, sous un format adapté, où les parlementaires pourront pleinement s'exprimer.

Prochaine séance mercredi 25 mars 2020, à 15 heures.

La séance est levée à 18 h 15.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication