Adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Discussion générale

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques .  - Ce projet de loi comporte des dispositions très diverses : Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), protection des consommateurs, lutte contre le blanchiment, transposition des directives services, médias et audiovisuels (SMA) et droit d'auteur. Illustrant l'importante activité normative de l'Union européenne, elles auront un impact considérable.

Quelques exemples : le projet de loi élargit le champ d'action des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ce qui représente une avancée importante pour les consommateurs.

Le projet de loi transpose également les directives SMA et droit d'auteur, présentées ici récemment par Roselyne Bachelot. Il assujettit les plateformes installées à l'étranger à des obligations de financement de la production audiovisuelle et cinématographique. Cela permettra à notre pays d'être exemplaire en matière d'application du droit communautaire, alors que se profile notre présidence du Conseil de l'Union européenne en 2022.

Ce projet de loi comporte des dispositions issues de vos travaux, par exemple pour résorber les déserts vétérinaires. Il est dommage que la commission mixte paritaire (CMP) n'ait pu aboutir, faute d'accord sur l'article 4 bis qui reprenait la proposition de loi de Sophie Primas sur la protection du consommateur dans le cyberespace. Je rappellerai pourquoi le Gouvernement n'est pas favorable à l'introduction de cette mesure dans le droit français, afin de ne pas desservir la négociation européenne en cours.

Les avancées de ce projet de loi complexe renforceront la protection du consommateur et c'est dans ce cadre que seront conduites les négociations de l'Union européenne sur la régulation du numérique, qui ne doivent pas éclipser l'ampleur du travail accompli sur ce texte.

M. André Gattolin.  - Très bien !

M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des finances .  - Le 22 octobre dernier, la CMP n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun en dépit de nos efforts et de nos concessions, notamment sur la gestion des crédits Feader. L'article 4 bis fut le point d'achoppement, les députés ayant estimé inopportune une initiative française en la matière. J'en reste très surpris. Quand on veut envoyer un message à l'Union européenne, il y a trois modes d'action : une proposition de résolution, comme Colette Mélot en eut l'initiative, un avis politique, comme André Gattolin en a inspiré plusieurs, ou, comme c'est le cas ici, un texte législatif.

Il est vrai qu'en matière numérique, le niveau européen est le niveau pertinent, mais l'Europe c'est le temps long...un accord risque de prendre du temps.

En CMP, nous avons eu un accord large sur la plupart des dispositions du texte mais un désaccord profond sur l'article 4 bis. J'espère que ce refus n'est pas une posture du Gouvernement. Il me semble qu'entre posture et incohérence vous avez franchi un pas... (Marques d'appréciation sur les travées du groupe Les Républicains)

Je signale en outre que la proposition de loi Primas avait été signée par la moitié des sénateurs et votée à l'unanimité par le Sénat. Ce dispositif clés en main que nous avons intégré au texte, consacre le principe de neutralité des terminaux, favorise l'interopérabilité des plateformes, renforce les contrôles et consacre un article du code de la consommation à la lutte contre les interfaces trompeuses qui manipulent nos choix, dont l'exemple le plus connu est celui des cases pré-cochées.

Le Gouvernement refuse cette initiative au motif que la Commission européenne doit présenter un texte début décembre. Mais, je le redis, l'Europe, c'est le temps long. Souvenez-vous du Règlement général pour la protection des données (RGPD) qui a mis sept ans à être publié ! Le Digital Services Act risque de prendre autant de temps...Voter ce texte ne présente donc aucun risque !

Pour la taxation des géants du numérique, vous nous aviez proposé d'agir tout autrement et les Allemands ont commencé à faire évoluer leur législation.

Nous restons donc assez « braqués » sur ce texte et je ne suis pas certain que vous réussirez à nous convaincre. Nous appréhendons la position du Gouvernement comme une posture politique que nous ne comprenons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Colette Mélot .  - Comme l'iceberg, la majeure partie de l'Union européenne n'est pas dans la lumière. Outre le Brexit, c'est surtout le cas du marché unique dont bénéficient chaque jour nos concitoyens, si présent qu'il finit par ne plus être remarqué.

En première lecture, le groupe Les Indépendants avait souligné l'intérêt des mesures de ce texte. Mais la CMP a échoué : la discorde s'est cristallisée sur l'article 4 bis.

L'Union européenne apporte beaucoup aux Européens pour la protection des consommateurs dans le cyberespace, qui est encore incomplète. « Ce que Paris conseille, l'Europe le médite ; ce que Paris commence, l'Europe le continue » écrivait Victor Hugo...

M. Jérôme Bascher.  - Ah !

M. Jean Bizet, rapporteur.  - Très bien !

Mme Colette Mélot.  - La France doit assumer sa place et son rôle de moteur dans l'Europe. La proposition de loi de Sophie Primas est de qualité et mon groupe l'a votée, comme les autres groupes.

La protection du consommateur en ligne doit être une priorité et l'Union européenne apporte beaucoup en la matière, mais pas tout. Nous espérons donc que cet article 4 bis soit maintenu pour protéger les Français. Quitte, le moment venu, à faire évoluer le dispositif au vu des règles européennes à venir.

Mon groupe votera ce texte et la protection du libre choix du consommateur dans le cyberespace. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jacques Fernique .  - Nous avons travaillé dans l'urgence un texte dense et très technique. La France présidera le Conseil européen au premier semestre 2022 : nous devons donc être à jour. La période post-Brexit nous impose aussi des adaptations nécessaires.

Mais cette méthode de liste à la Prévert étonne le jeune sénateur que je suis. Avec cette liste de courses gouvernementale sans cohérence, notre travail parlementaire perd en consistance.

Ce texte reflète aussi la fâcheuse tendance du Gouvernement à recourir aux ordonnances. La CMP a acté le désaccord avec l'Assemblée nationale.

Le GEST approuve les dispositions sur le secteur vétérinaire, sur le droit de la consommation à l'ère numérique, la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, la protection de la santé animale, notamment.

En revanche, nous avons un problème avec l'article 24 sur la gestion du Feader : nous doutons que l'ordonnance soit un moyen adapté pour revoir la répartition des compétences entre État et régions.

Nous regrettons la suppression de l'article 4 bis par l'Assemblée nationale : cet article proposait une maîtrise de l'action des fameux Gafam. L'argument relatif à la gêne des négociations futures n'est pas recevable, comme l'a montré le sujet de la taxation des Gafam.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

M. Jacques Fernique.  - Nous sommes donc réticents à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Bascher.  - Très bien !

M. André Gattolin .  - Nous y revoici. Jean Bizet a rappelé les différentes façons d'intervenir sur le droit européen.

À mon tour de me livrer à un peu de pédagogie européenne !

Les projets de loi « portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne », dits « Ddadue » ont pris la suite des « DDAC » - textes portant « diverses dispositions d'adaptation » de notre législation au droit communautaire. Cela a commencé au milieu des années quatre-vingt-dix, à l'image de la pratique italienne. C'est en effet le Parlement italien, que l'on critique souvent, qui a eu l'idée heureuse de transposer ainsi, de manière groupée, des dispositions éparses.

La France accusait auparavant des retards colossaux de transposition et était en conséquence régulièrement sanctionnée. Nous avons dû créer cet objet législatif pour éviter de telles sanctions récurrentes.

Par exemple, nous sommes en limite de transposition de la directive SMA et nous perdons chaque année des millions d'euros de contributions non perçues.

À la faveur du confinement, Netflix aura deux cents millions d'abonnés dans le monde à la fin de l'année, dont sept millions en France.

Je soutiens l'article 4 bis sur le fond et j'avais voté la proposition de loi Primas. Mais cette disposition n'a rien à faire dans un projet de loi Ddadue. Il faut raison garder. J'apprécie beaucoup le travail de Sophie Primas, mais ce texte est très franco-français dans sa conception. On évoque une loi allemande, mais elle n'est à ce stade qu'un projet destiné à faire pression sur l'état de l'art et pousse la Commission à avancer.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte, sans pour autant voter contre, car 95 % de celui-ci nous convient et il est temps de voter les transpositions d'urgence.

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ces dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne sont désormais des marronniers parlementaires. Celui-ci permet la transposition de dix-huit directives et quatorze règlements.

Par la voix de Josiane Costes, le RDSE avait souligné l'importance des dispositions sur le blanchiment, sur le Feader en matière d'octroi des aides, mais aussi sur la protection du consommateur. Cela est d'autant plus important dans cette période où nos petits commerces sont menacés.

L'interopérabilité est essentielle, comme nous l'avions souligné à l'occasion de l'examen de la proposition de loi sur les contenus haineux en ligne. Les arguments de l'Assemblée nationale sur le caractère de cavalier de l'article 4 bis ne me convainquent pas. Dans le projet de loi ASAP, ce sont 81 articles qui auraient été concernés...

Malgré ses interrogations, n'ayant pas de grands désaccords de fond avec l'Assemblée nationale, le groupe RDSE dans sa grande majorité votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et Les Républicains)

M. Jérémy Bacchi .  - L'examen des projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière est un exercice que nous n'apprécions guère : trop de sujets - pourtant essentiels - dans un même texte - droit de la consommation, règles financières, douanières, santé animale, droit de la concurrence, lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme...

Cependant, la mesure de lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans les chaînes agricoles et alimentaires est bienvenue.

Le Sénat a adopté une proposition de loi sur le sujet du libre choix dans le cyberespace. Mais il aurait fallu une transposition spécifique sur ce point.

La lutte contre les flux d'argent liquide est elle aussi à saluer, mais attention à ne pas créer une Union européenne des capitaux qui invisibiliserait les États membres. Ne leur liez pas les mains au nom de la concurrence ! C'est pourquoi nous n'approuvons pas la transposition de la directive sur la transparence des aides fiscales. Les crises nous montrent l'importance de la régulation.

Nous ne comprenons pas non plus la suppression de l'article 4 bis contre les abus des géants du numérique. Après avoir rejeté tout moratoire contre l'installation d'entrepôts d'Amazon, vous refusez à présent de porter le fer contre les géants du numérique, en servant des intérêts qui ne sont, de notre point de vue, pas conformes à l'intérêt général.

Le groupe CRCE votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Michel Canevet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Très attaché à l'Europe, le groupe UC apprécie les mesures que porte ce texte mais déplore un excès d'ordonnances.

Ce texte reste très attendu dans son volet de transposition de la directive SMA et sur les droits d'auteur, qu'il est important de traduire dans notre droit.

Les aspects vétérinaires du texte portés par la commission des affaires économiques du Sénat sont eux aussi bienvenus, comme les dispositions sur la gestion du Feader qui doit être aussi déconcentrée que possible, pourquoi pas au niveau des régions si celles-ci le souhaitent ?

Le texte aborde aussi la question du service universel, notamment pour le déploiement des réseaux. Selon le plan France Très haut débit que vous portez, nos concitoyens doivent avoir une connexion d'au moins 8 mégabits à la fin de l'année. Nous n'y serons pas : c'est encore 1,5 mégabit dans ma commune !

L'universalité consiste en ce que chacun puisse recourir à l'outil numérique. La question de la régulation des plateformes numériques est là aussi cruciale. Il faut avancer dans ce domaine, comme nous l'avons fait pour la taxe GAFA. Il faut savoir être précurseur comme nous le fûmes alors, car le marché précède souvent la régulation.

Dans le domaine numérique, les usages ne pourront évoluer que si nous y mettons une ambition forte, comme en intéressant les autres entreprises à utiliser le crédit impôt recherche pour déployer des dispositifs digitaux. Il faut une impulsion au plus haut niveau.

Comme mes collègues, je déplore que le Gouvernement ait manqué l'occasion de marquer une orientation claire.

Le groupe Union centriste votera néanmoins ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER regrette qu'un accord n'ait pas été trouvé mais nous ne sommes pas surpris : le Gouvernement et sa majorité ont du mal avec le fonctionnement de la démocratie parlementaire.

Le recours aux ordonnances privilégié par le Gouvernement ne renforcera pas les liens indispensables entre instances européennes et nationales ni la coordination de leurs travaux. Nous avions néanmoins accepté l'essentiel des habilitations, au vu de l'urgence.

Le texte sorti du Sénat était globalement positif, au-delà même des transpositions attendues, notamment contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Je pense aussi aux pratiques des entreprises de vente en ligne qui gênent la fluidité du marché, en créant des blocages injustifiés. Malheureusement, l'Assemblée nationale a rétabli l'habilitation de l'article 24, dont nous ne voulions pas, sur la répartition des compétences entre État et régions sur la gestion du Feader. Nous n'en voulions pas.

Le groupe SER était prêt à s'y résigner en échange du maintien de l'article 4 bis, adopté à l'unanimité du Sénat, reprenant une proposition de loi de Sophie Primas, sur l'encadrement des géants du numérique.

L'enjeu est décisif pour la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et le renforcement du contrôle des concentrations afin d'appréhender les acquisitions dites « prédatrices » des géants du numérique, mais aussi protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses, et le Gouvernement avait confirmé qu'il était en cours de réflexion - tout en rejetant l'article - au prétexte de distorsions possibles du marché. C'était pourtant l'occasion de mettre en oeuvre une régulation plus agile et efficace, comme semblent s'y engager l'Allemagne et les États-Unis.

On ne peut que regretter que l'Assemblée nationale ait suivi le Gouvernement dans le rejet de l'article 4.

Les États-Unis s'engagent dans une régulation plus ferme du numérique. Il est essentiel que la France ouvre la voie en Europe. Car oui, il faut agir au niveau européen. La Commission européenne fait preuve de volontarisme dans ce domaine, avec le futur Digital Services Act. Il fallait fixer un cap au niveau français afin de peser dans la négociation européenne et de donner du pouvoir aux consommateurs et aux entreprises impuissantes face aux géants du numérique.

Bref, ce texte est un nouveau rendez-vous manqué. Monsieur le ministre, n'ayez pas peur du Parlement ni des corps intermédiaires ! Sachez vous y appuyer.

Le groupe SER votera le texte de la commission rétablissant celui du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc de la commission)

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La CMP a failli être conclusive. Les députés, y compris certains de la majorité, y étaient prêts, n'imaginant pas que nos discussions achoppent sur un sujet aussi consensuel que la régulation des géants du numérique. Mais le Gouvernement a tranché : c'est non !

Non, le consommateur ne pourra pas changer de plateforme en ligne ni être protégé contre les interfaces trompeuses. Pourquoi ce non ? Il n'y a pas de débat sur la nécessité d'agir au niveau européen ; mais dans l'attente d'un texte européen, faut-il se faire hara-kiri, faut-il que les parlements nationaux renoncent à leurs prérogatives sous prétexte que la Commission européenne va proposer une première version ? Ce serait dangereux pour la démocratie. En outre, les négociations européennes, on le sait, prendront beaucoup de temps.

La bataille sera longue et intense : la presse a révélé fin octobre les intentions de Google qui utilisera tous les moyens pour torpiller le texte - sollicitation du gouvernement américain, exploitation des divisions européennes.

Or, du temps, nous n'en avons pas. Pour mettre fin à l'hégémonie, il faut un texte applicable dès maintenant.

Sur la haine en ligne, monsieur le ministre, vous avez déclaré que le processus européen étant long, il était indispensable d'agir dans l'intervalle. Vous rallieriez-vous à notre méthode ? Si tel est le cas, retirez votre amendement de suppression ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains ; le ministre rit aussi.)

D'un côté, il faut avancer sans attendre l'Europe, de l'autre, il ne faut pas avancer... Comment voulez-vous que les Français vous suivent si vous dites tout et son contraire ? Pourtant, vous dites que vous êtes d'accord sur le fond.

Comment pouvez-vous assumer une telle position alors que l'Allemagne avance au niveau national ? À l'occasion de son Ddadue, elle instaurera une régulation des géants du numérique, c'est-à-dire exactement ce que nous voulons. Ce n'est pas encore voté, certes, mais déjà proposé - alors que le Gouvernement français s'y refuse. L'Allemagne va plus loin que ce que souhaiterait le Sénat : nous étions dans l'optique du consensus, retirant des articles en CMP.

L'initiative présentée en Allemagne le 9 septembre fait consensus, avez-vous reconnu.

Sur la fiscalité, les fausses informations, la haine en ligne, il y a une prise de conscience et vous avez accepté d'agir au niveau national. Pourquoi pas sur la régulation ?

Nous proposerons simplement que la France soit précurseur afin de pouvoir présenter au monde un premier retour d'expérience. C'est votre dernière chance de faire mentir ceux qui fustigent le renoncement des élites françaises en matière numérique. Les Français nous regardent. Ils ne comprendraient pas.

Monsieur le ministre, vous auriez pu éviter les propos vexatoires que vous avez tenus devant les députés - qualifiant le texte sur les dark patterns de Mme Primas « d'écrit avec les pieds ». (Le ministre proteste.) Oui, vous l'avez dit. Ce n'était pas très correct.

Notre proposition était honnête, dans le sens de la société. Vous ne nous avez pas écoutés car vous avez préféré la politique au concret. C'est un cadeau aux géants du numérique.

Nous étions parvenus à un texte globalement consensuel, dans de nombreux domaines, insérant certaines dispositions de notre propre fait - ainsi sur les déserts vétérinaires : nous n'avons pas attendu l'Europe !

Monsieur le ministre, dans un élan de générosité, après avoir reconnu votre aveu et vos propos à l'égard de madame Primas...

Mme Sophie Primas.  - Et de ses pieds !

M. Laurent Duplomb.  - ... faites oeuvre de charité pour les Français, retirez vos amendements ! Vous vous honorerez. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, de même que les articles 3 et 4.

ARTICLE 4 BIS

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Laurent Duplomb de ses propos, ainsi que mes collègues de leur soutien à la proposition de loi de la commission des affaires économiques, soumise au Conseil d'État et votée par deux fois.

Oui, l'Europe est la bonne échelle, comme pour la taxe GAFA et la lutte contre la haine en ligne.

Nous partageons le même avis sur les dispositifs de régulation proposés et attendons le Digital Services Act et le Digital Market Act, repoussés de quelques jours. Mais le travail ne fait que commencer - ce ne sont que des documents d'orientation - et il faudra attendre des mois et des années pour aboutir à une régulation.

Nous avons déjà perdu dix mois depuis le vote du Sénat ; ne prenons pas davantage de temps, même si je comprends que la France veut aboutir au premier semestre 2022 lors de sa présidence de l'Union européenne.

Thierry Breton ne semble pas gêné par nos propositions : il ne m'a même pas rappelée... (Sourires)

M. Laurent Duplomb .  - L'article 4 bis porte sur l'interopérabilité, la neutralité des opérateurs, les dark patterns et les acquisitions prédatrices. Dans nos négociations de CMP, nous n'avons conservé, par esprit de compromis, que l'interopérabilité et les dark patterns.

Sur mon téléphone, Google me demande d'accepter une clause, sinon je ne peux pas aller plus loin. Sans acceptation, on arrive sur une interface trompeuse. En tant que Français, agriculteur de base, pas très intelligent, je me dis que c'est inadmissible ! Le Gouvernement me dit qu'il est tellement intelligent qu'il va attendre l'Europe, comme si elle était la planche de salut.

Ma grand-mère disait : « Mieux vaut un je te tiens que deux tu l'auras ». Appliquons ce bon principe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Bien sûr, je n'ai pas voulu évoquer à l'Assemblée nationale les pieds de la présidente Primas ; je me suis probablement laissé emporter.

M. Laurent Duplomb.  - C'est bien de le reconnaître.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Je regrette mes propos à l'emporte-pièce.

Nous avons examiné il y a quelques jours une proposition de loi centriste sur la cybersécurité que nous avons amendée de concert. Nous savons travailler avec la Chambre haute.

Je transmettrai le message de Mme Primas à Thierry Breton, avec lequel je me suis entretenu récemment. Je n'ai pas la même lecture de son absence de rappel.

Les textes européens devraient être présentés début décembre. Le Gouvernement s'est abstenu de nouveaux textes, y compris après le tragique événement de Conflans-Sainte-Honorine, pour attendre l'action européenne.

Thierry Breton estime que nous desservons la cause française à prendre des initiatives sans attendre le Digital Services Act, qui sera fondateur pour les prochaines années.

Si les propositions européennes n'étaient pas à la hauteur de nos espérances, je m'engage à ce que nous remettions le travail sur le métier.

Il n'était peut-être pas souhaitable de reporter l'application de ces dispositions en 2023 ou 2024 : cela n'est pas une bonne façon de régler nos désaccords et cela n'aurait pas été très respectueux du Parlement.

La sunset clause n'existe pas hors d'un engagement politique. Retirer une législation nationale lorsqu'apparaît une législation européenne, cela n'existe pas légalement.

Sur les dark patterns et la lutte contre les interfaces trompeuses, la disposition envisagée est redondante avec le code de la consommation qui interdit les pratiques commerciales trompeuses et les sanctionne jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel. C'est seulement 4 % dans le RGPD.

J'étais prêt à retirer l'amendement du Gouvernement, mais je me suis rappelé un grand auteur : Bruno Retailleau - que je remercie pour son soutien à TousAntiCovid - qui, lors de l'examen de la loi Avia, avait indiqué qu'il aurait été plus sage d'attendre l'initiative de la Commission européenne, plutôt que de se précipiter. (Sourires)

M. André Gattolin.  - Du grand Retailleau !

M. Jean Bizet, rapporteur.  - Avis défavorable, le niveau pertinent est bien le niveau européen, mais rien n'empêche les initiatives nationales.

J'ai entendu votre engagement s'agissant du Digital Services Act. Quand il viendra, il faudra le transposer en droit national - cela demande a minima deux ans si c'est une directive - et le comparer à cette occasion à la proposition de loi de Mme Primas. Nous aurions gagné du temps en adoptant cet article sans votre amendement.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Ce pourrait être un règlement et non une directive.

M. Jean Bizet, rapporteur.  - Pour l'instant, c'est une directive. Le règlement est plus simple mais pas très démocratique.

M. Jérôme Bascher.  - Nous sommes d'accord sur le fond, moins sur le calendrier et la méthode qui sont la preuve de l'entêtement du Gouvernement.

Vous avez tort de ne servir qu'une seule personne et de faire de la technique au lieu d'écouter la volonté générale exprimée par le Sénat à plusieurs reprises.

En 2017, nous avons tous cru que le Président de la République voulait redonner un élan à la France dans l'Europe. Hélas, c'est à l'Allemagne que l'on redonne un élan.

Vous dites que l'affaire sera réglée dans trois semaines. Mais que faisons-nous là ? Vous préférez servir une personne plutôt que la France.

Mme Sophie Primas.  - Si la France dérange M. Breton, l'Allemagne, elle, avance. Son projet de loi a été déposé le 9 septembre et il devrait être adopté le 4 février prochain dans le cadre de la dixième réforme du droit de la concurrence. Pourtant, le Digital Services Act sera publié en décembre. Pourquoi deux poids deux mesures ?

La sunset clause, par ailleurs, n'est pas une demande du Sénat, mais une initiative d'un député de votre majorité.

Vous avez cité le grand auteur vendéen, mais nous avons voté la loi Avia malgré nos réserves. Retirez votre amendement !

Enfin, sur les dark patterns, y a-t-il des saisines de la DFCCRF ? Sinon, c'est que quelque chose coince.

M. Laurent Duplomb.  - La sunset clause est apparue dans la recherche de consensus, à l'initiative d'une députée de votre majorité.

Votons cette disposition ! Il sera toujours temps d'évoluer en fonction des propositions européennes.

Nous avons voté la loi Avia, vous ne pouvez pas nous l'opposer.

Votre majorité s'est abstenue en CMP. Une majorité se dessinait en faveur du texte, car tous les sénateurs, à l'exception peut-être de M. Gattolin, y étaient favorables. C'est démocratiquement un peu bancal.

Si la DGCCRF nous prouvait qu'elle règle le problème des dark patterns, nous pourrions changer d'avis, mais ce n'est pas le cas !

Monsieur le ministre, faites ce qu'il faut pour qu'entre aujourd'hui et après-après-demain, quand l'Union européenne aura agi, il se soit passé quelque chose.

Supprimez votre amendement de suppression : vous vous sentirez mieux ce soir et nous aussi ! (Sourires)

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Je n'ai pas la réponse sur la DGCCRF.

Il est faux de dire que l'Allemagne mène la danse sur la régulation des grandes plateformes. Lisez la presse anglo-saxonne qui mentionne l'action de la France et des Pays-Bas.

Le texte allemand est plus large que la seule interopérabilité. Il est actuellement au milieu du gué. Nous verrons comment il évolue.

Comme la Commission, nous sommes plutôt en faveur d'un règlement, afin de permettre une application uniforme de la régulation sur le territoire européen et d'éviter tout dumping.

M. Jean Bizet, rapporteur.  - Notre avis reste défavorable et le ministre campe sur ses positions : il faut conclure.

Un règlement, avouons-le, est moins démocratique mais plus efficace. Nous l'avons vu avec le règlement IDE.

Je vous demanderai seulement que les quatre sujets de la proposition de loi Primas y soient intégrés.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Bien sûr.

M. André Gattolin.  - On marche sur la tête. Ce n'est pas le bon véhicule législatif ! Ce Ddadue a pour objectif de transposer des textes en urgence comme la directive SMA et rattraper le temps perdu pendant le confinement.

Si les Allemands examinent un texte, c'est aussi pour se mettre en conformité avec la position de la Commission européenne. Je n'imagine pas autre chose d'Angela Merkel.

J'ajoute que la symétrie entre le texte de Mme Primas et le texte allemand n'est pas absolue. Dans la proposition de loi Primas, tout tourne autour du Conseil d'État.

Revenons sur ce sujet en février si le Digital Services Act ne va pas assez loin. Attendons d'ici là. Nous serons plus efficaces à Vingt-Sept qu'avec un texte franco-français.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 4 bis est adopté.

Les articles 5, 5 bis, 6 bis, 7, 9, 10,11, 12, 13, 14, 15, 16, 16 ter, 17, 18, 19 bis, 21, 22 bis, 22 quater, 22 quinquies, 22 sexies, 24, 24 bis, 24 ter A, 24 ter, 25, 26 et 27 sont successivement adoptés.

ARTICLE 27 BIS

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 3

Après les mots :

qu'elle détermine

supprimer la fin de cet alinéa.

II.  -  Après l'alinéa 3

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

« À cette fin, les opérateurs de communications électroniques sont tenus de fournir à l'autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse des informations relatives à la couverture actuelle de leurs réseaux, ainsi que des prévisions de couverture de leurs réseaux pour une durée qu'elle détermine dès lors que les données susceptibles d'être utilisées pour l'élaboration de ces prévisions sont disponibles. Ces prévisions comprennent notamment et, le cas échéant, des informations sur les déploiements de réseaux à très haute capacité et les mises à niveau ainsi que sur les extensions de réseaux visant à offrir un débit descendant d'au moins 100 mégabits par seconde.

« L'Autorité précise les modalités de restitution de ces informations et les modalités selon lesquelles les opérateurs fournissent, moyennant des efforts raisonnables, les prévisions de couverture de leurs réseaux.

« Les collectivités territoriales et leurs groupements agissant dans le cadre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, qui n'interviendraient pas en tant qu'opérateur de communications électroniques, et les personnes publiques chargées d'élaborer le schéma directeur territorial d'aménagement numérique du territoire conformément à l'article L. 1425-2 du même code, font leurs meilleurs efforts pour fournir à l'Autorité les informations disponibles relatives aux projets de déploiements de réseaux à très haut capacité et aux prévisions de couverture des réseaux sur leurs territoires qui en résultent.

III.  -  Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

IV.  -  Alinéa 14

Rédiger ainsi cet alinéa :

II.  -  Le présent article entre en vigueur le 21 décembre 2023, à l'exception du I de l'article L. 33-12-1 du code des postes et des communications électroniques, qui entre en vigueur le lendemain de la publication de la présente loi au Journal officiel.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Cet amendement autorise l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) à recueillir un certain nombre d'informations. Il s'inscrit dans la transposition de l'article 22 de la directive européenne du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen. L'Arcep pourra demander aux personnes publiques qui exploitent un réseau d'initiative publique ou qui ont élaboré un schéma directeur territorial d'aménagement numérique des informations sur la couverture et le déploiement des réseaux de leur territoire. C'est un sujet extrêmement important.

On a évoqué la lutte contre la fracture numérique un peu plus tôt. L'amendement ne modifie pas le régime applicable aux opérateurs figurant à l'article 27 bis, qui devront transmettre à l'Arcep leurs prévisions de déploiement. Enfin l'Arcep pourra lancer ses travaux sur la mise en place du relevé géographique des déploiements.

M. Jean Bizet, rapporteur.  - Cet amendement va dans le bon sens : avis favorable.

L'amendement n°2 est adopté.

L'article 27 bis, modifié, est adopté.

Les articles 28 et 29 sont successivement adoptés.

Interventions sur l'ensemble

M. Jean Bizet, rapporteur .  - Si les Digital Services Act et Digital Market Act devaient être pris par règlement, cela irait beaucoup plus vite. Si nos quatre propositions pouvaient être remontées à Bruxelles, nous n'aurions pas perdu notre soirée...

M. Laurent Duplomb .  - C'est dommage de finir ainsi. Ce texte aurait pu nous permettre de nous retrouver, sur des sujets qui concernent les Français : garanties sur le numérique, stocks stratégiques pétroliers, déserts vétérinaires, encadrement des pratiques de concurrence. Cela aurait pu être un texte consensuel, mais malgré nos appels du pied, vous n'avez pas retiré vos amendements, monsieur le ministre. Cela me désole un peu, mais c'est le travail parlementaire...

C'est dommage pour les Français, alors que nous avons encore, de toute évidence, du mal à endiguer les géants du numérique...

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - Je m'engage à faire remonter les propositions qui forment le contenu de la proposition de loi Primas.

Ces sujets sont au coeur de ce que la France porte depuis longtemps : cela est sans ambiguïté. Ces plateformes sont en position monopolistique ou oligopolistique sur certains marchés et doivent donc faire l'objet d'une régulation. Nous nous rejoignons sur ces sujets. C'est ce que la France portera dans le débat dont nous espérons qu'il aboutira, effectivement, à un règlement.

Les premières propositions de la Commission européenne vont dans le bon sens. Nous sommes en plein monitoring, avec la DG Connect et la DG Comp...Les négociations font actuellement rage et j'espère qu'elles se traduiront rapidement dans un règlement qui permettra une application uniforme.

Le projet de loi est adopté.

Prochaine séance demain, mercredi 18 novembre 2020, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication