« La France peut-elle devenir un champion de l'énergie hydrogène ? »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « La France peut-elle devenir un champion de l'énergie hydrogène ? » à la demande du groupe RDSE.

M. Éric Gold, pour le groupe RDSE .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) L'hydrogène peut-il devenir l'énergie du futur ? Nicolas Hulot en a lancé l'idée il y a deux ans à l'occasion d'un débat similaire au Sénat.

Qui aurait pu croire que la crise sanitaire concrétiserait cette exigence ? Les 100 millions d'euros alors arrachés sont devenus 2 milliards en deux ans dans le plan de relance.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Notre conversion à l'hydrogène exige une ambition, celle de construire une véritable filière vertueuse. Il faut impulser une massification de la demande en provenance des secteurs de la mobilité et de l'industrie.

Or, pour convaincre, il faut accompagner et garantir. Une filière, ce sont d'abord une R&D, des innovations, de la formation, des investissements et un soutien aux secteurs visés.

Les écueils sont nombreux : il faudra être vigilant pour éviter que cet eldorado ne se transforme en mirage, voir en dangereuse bulle financière. La France n'y arrivera pas seule. Nos voisins européens avancent dans le même sens : l'Allemagne investit 9 milliards d'euros sur cinq ans, l'Espagne et le Portugal 7 milliards sur dix ans. Nos initiatives doivent être coordonnées pour faire face au rouleau compresseur chinois - 16 milliards de dollars - et être cohérentes avec la stratégie de l'Union européenne et le plan hydrogène.

Hélas, notre hydrogène décarboné massivement nucléarisé ne plaît pas à l'Allemagne qui a choisi l'importation d'hydrogène strictement renouvelable. Il faudra veiller à ce que la France ne soit pas exclue des projets européens. L'hydrogène ne constitue une énergie propre qu'à la condition que sa production le soit. Or l'éolien et le solaire sont encore minoritaires chez nous.

Les applications de l'hydrogène au niveau des particuliers sont trop coûteuses. Les conditions de la réussite doivent être créées ailleurs, et les efforts des industries récompensées. Le secteur des transports se mobilise ; nous concentrons l'action sur les véhicules lourds. Quatre régions se sont engagées en faveur de TER circulant à l'hydrogène. Dans l'aéronautique, l'objet est celui d'un avion à hydrogène en 2024.

La feuille de route est donc fournie. L'appel à projets Briques technologiques et démonstrateurs recevra jusqu'en 2023 350 millions d'euros, et la recherche appliquée sur les piles, le stockage et les électrolyseurs est dotée de 65 millions d'euros. La formation de professionnels qualifiés, dans 21 campus de métiers, bénéficiera de 30 millions en 2021.

Sur le papier, tout est là pour la réussite. Attention, cependant, à quelques points de vigilance. Il y a d'abord l'articulation avec la stratégie européenne. Le Conseil national de l'hydrogène, ensuite, dont on connaît encore mal les modalités de fonctionnement. Attention aussi au risque de spéculation financière sur les projets : les milliards d'euros aiguisent l'appétit des start-up comme des grands groupes, qui pourraient promettre beaucoup et réaliser peu. Il y a enfin la tentation de recourir à l'externalisation de la production dans des zones où l'énergie renouvelable est abondante et peu coûteuse, comme l'Ukraine et l'Afrique du Nord, ce qui remettrait en cause l'objectif du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - L'hydrogène est une grande révolution technologique de ce siècle. C'est aussi une opportunité pour le climat, l'emploi et les territoires. La France ne peut la manquer. Dès 2018, Nicolas Hulot mobilisait 100 millions d'euros dans un premier plan. La crise a montré la nécessité de changer d'échelle.

La neutralité carbone bénéficiera à la santé des Français et à la résilience et la souveraineté énergétique du pays. Elle créera une France plus verte, comme le réclament les jeunes générations.

C'est un nouveau regard qu'il faut porter sur le mix énergétique. Des moyens supplémentaires sans précédent doivent permettre de réaliser cette transition et de développer une filière hydrogène de premier ordre, avec des usines d'électrolyse sur le territoire. Il s'agit, d'ici dix ans, d'éviter l'émission de 6 millions de tonnes de CO2. Jusqu'à 100 000 emplois pourraient être créés. Sur la période, 7 milliards d'euros seront mobilisés dont 2 pour 2021 et 2022.

La recherche et l'industrie seront mobilisées. Il n'est pas certain que cette énergie soit adaptée à la voiture individuelle, mais elle a assurément un sens pour les mobilités lourdes.

Le déplacement neutre redonnerait une attractivité verte à nos territoires. Je pense notamment aux petites lignes ferroviaires, et aux 400 à 500 trains diesels sur les 2000 TER.

L'Allemagne a mis en service un train voyageurs à hydrogène dès 2018. Nous pourrions y arriver aussi ! Il faut lever les verrous techniques et opérationnels pour permettre la circulation des premiers trains à hydrogène dans cinq ans. Quatre régions ont été sélectionnées pour ces projets : le Grand-Est, ce qui réjouit la Haut-Marnaise que je suis, la Bourgogne Franche-Comté, l'Occitanie et l'Auvergne-Rhône-Alpes. L'hydrogène est une opportunité pour la France, un moment historique. Soyons au rendez-vous de l'avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Frédéric Marchand .  - Le 2 novembre, j'ai participé à un déplacement d'une délégation de la CRE à Cappelle-la-Grande, où un projet unique a été lancé pour 2014 pour dix ans.

Après six ans d'expérimentation, ce projet power to gas a validé sa pertinence technique et ses bénéfices environnementaux. Quelque cent logements et la chaufferie du centre de soins sont ainsi alimentés.

L'acceptation sociale de l'hydrogène est essentielle à son succès. L'information de nos concitoyens est donc nécessaire. Que prévoyez-vous ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - L'acceptabilité est clé pour le développement de la filière hydrogène. Il faudra d'abord développer des acteurs de taille significative, mais aussi des acteurs locaux maillant le territoire. L'Ademe a proposé aux conseils régionaux de les soutenir pour répondre aux appels à projets. Il faudra une réglementation adaptée aux évolutions rapides du secteur qui préserve la sécurité. Nous devrons aussi favoriser la mise en relation des acteurs, la prise en compte des enjeux environnementaux, notamment la consommation d'eau des électrolyseurs, et bien organiser la concertation avec les riverains. Le projet GRHYD que vous avez cité est une première étape : 5 millions d'euros d'aides seront versées sur les 15 millions d'euros d'investissements.

M. Christian Bilhac .  - L'Occitanie a l'ambition de devenir la première région à énergie positive en Europe d'ici 2050. Le plan hydrogène vert est doté de 150 millions d'euros d'ici 2030. L'objectif est de générer jusqu'à un milliard d'euros d'investissements.

Les projets de Blagnac et de Fort-la-Nouvelle sont lancés. L'achat de trois trains hybrides est programmé et 3 250 véhicules à hydrogène seront mis en circulation d'ici 2030.

Grâce aux électrolyseurs développés par le Commissariat à l'énergie atomique, on produira de l'hydrogène vert trois à quatre fois moins cher qu'aujourd'hui. Cette énergie deviendra très compétitive. Éric Gold compte aussi un champion industriel sur son territoire, Michelin, qui entend devenir l'un des leaders mondiaux. Ce n'est pas un hasard si la région Auvergne Rhône-Alpes rassemble 80 % des acteurs de la filière hydrogène. Mais quid de l'équipement de notre territoire pour approvisionner les véhicules grand public ? Un plan national de déploiement des stations à hydrogène est-il prévu ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - La stratégie nationale vise l'industrie et la mobilité lourde, pas celle des particuliers. L'hydrogène permet une autonomie plus grande, et le plein prend le même temps qu'un plein de diesel.

La stratégie a comme objectif prioritaire de déployer des stations pour les flottes lourdes, de bus, cars et camions, avec un cofinancement entre l'État et les collectivités territoriales. Nous avons lancé un appel à projet pour industrialiser le réseau de ravitaillement. Dans plusieurs années, l'hydrogène pourra concerner les véhicules particuliers.

M. Christian Bilhac.  - Merci, madame la ministre. Ce qui m'inquiète, c'est qu'on refasse la même erreur que pour l'électrique, avec des kilomètres à parcourir pour trouver une borne de recharge.

M. Fabien Gay .  - Merci au RDSE pour ce débat. J'appelle votre attention sur l'importance de développer et de maintenir une industrie sur nos territoires. L'hydrogène est prometteur, mais pose question. Son poids pose problème pour l'aviation, par exemple : il faudra réduire le nombre de passagers, donc augmenter le prix des billets... Pour que la France devienne un champion, des investissements massifs sont nécessaires, mais aussi la mise en place d'une filière industrielle complète et publique, tant pour la R&D que pour la production et l'installation. Ne gaspillons pas l'argent public.

Actuellement, l'hydrogène est produit à partir de gaz naturel. Le rendement est d'une tonne d'hydrogène pour dix tonnes de dioxyde de carbone. Pour une production décarbonée, il faut relancer la filière nucléaire. Dès lors, outre les 2 milliards d'euros prévus, quelle stratégie intégrée comptez-vous mettre en place, en vous appuyant sur quels opérateurs ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - L'hydrogène produit par électrolyse sera un outil de décarbonation de l'industrie et des mobilités lourdes. La stratégie nationale prévoit un soutien public de 7 milliards d'euros pour les électrolyseurs, les constructeurs de véhicules et le déploiement d'infrastructures de production et de diffusion, entre autres. Les appels à projets donnent de la visibilité aux industriels.

Un appel à projets « briques technologiques et démonstrateurs » de 350 millions d'euros a été lancé le 14 octobre. Il dopera la production et le transport d'hydrogène et suscitera des pilotes et des démonstrateurs à grande échelle. Un autre appel à projets, doté de 275 millions d'euros, renforcera les écosystèmes de production et de distribution d'hydrogène décarboné.

M. Fabien Gay.  - Merci, madame la ministre. La question était précise. Le Président de la République a nommé un Haut-Commissaire au plan ; cette question fait-elle partie de ses missions ? Y aura-t-il une filière publique -  à l'heure où vous démantelez EDF et Engie ?

Mme Denise Saint-Pé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Merci au RDSE pour ce débat d'actualité. La transition écologique est plus urgente que jamais. L'enjeu est de décarboner l'industrie et la mobilité. L'hydrogène a bien des atouts, même si ses débuts sont timides, faute d'industrialisation. Une approche durable nécessite de produire de l'hydrogène décarboné par électrolyse à partir d'électricité décarbonée.

La communauté d'agglomération paloise a récemment équipé une flotte de bus à hydrogène grâce à l'électrolyse issue de l'hydroélectricité pyrénéenne. L'hydroélectricité est une énergie renouvelable non intermittente. Malheureusement, elle est rare. Le Gouvernement envisage-t-il de relancer la petite hydroélectricité sur l'ensemble du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - La petite hydroélectricité contribue à la transition énergétique et au développement économique des territoires. Elle fait l'objet d'un soutien clair du Gouvernement, par des préférences tarifaires et des appels à projets. Mais la multiplication de ces installations peut gêner la vie des espèces en fragmentant les cours d'eau et en les réchauffant excessivement. Son développement devra donc être sélectif et limité.

Compte tenu de la taille et de la puissance des installations, la petite hydroélectricité ne pourra jouer qu'un rôle limité.

Mme Angèle Préville .  - Notre avenir est dans le mix électrique. L'hydrogène peut être produit par électrolyse : il est alors vert, renouvelable, décarboné et facilement stockable. Plusieurs États membres ont demandé à la Commission européenne de garantir la traçabilité de l'hydrogène vert.

Le développement d'une filière compétitive en France est une question d'écologie mais aussi de souveraineté. La France doit rendre le prix de l'hydrogène suffisamment attractif pour inciter les investissements. C'est à partir des territoires et avec les collectivités qu'il faut le déployer, dans une dynamique vertueuse.

Où en est-on du déploiement de l'électrolyse ? Existe-t-il des fabricants français et produisent-ils des électrolyseurs de différentes tailles, adaptés aux besoins territoriaux ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - L'électrolyse sera au coeur de la stratégie nationale avec l'objectif de produire 6,5 gigawatts d'ici à 2030. Nous sommes favorables à une implantation sur les territoires d'électrolyseurs made in France.

Des discussions sont en cours avec d'autres États membres pour des projets partenariaux. Le mécanisme européen de soutien à la recherche et à l'innovation a l'avantage d'autoriser les pouvoirs publics à aider au-delà du stage de la recherche, à savoir le passage de l'innovation à la production.

La traçabilité de l'hydrogène devrait faire l'objet, début 2021, d'une ordonnance habilitée par la loi Énergie-climat.

Mme Angèle Préville.  - Merci au groupe RDSE pour ce débat.

Ne répétons pas les erreurs du passé. Ne privilégions pas une production massive mais plutôt de petites unités sur les territoires. Il faut promouvoir le consommer local pour l'énergie également.

M. Étienne Blanc .  - Nous devons atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 pour respecter l'Accord de Paris. Alors que les transports représentent 30 % des émissions de gaz à effet de serre, les États-Unis, la Chine et l'Allemagne investissent des sommes considérables pour atteindre cet objectif.

En région Auvergne-Rhône-Alpes, Air Liquide, Michelin, Plastic Omnium investissent dans la filière hydrogène. Attention à bien cibler nos politiques.

Sur quels programmes de recherche concentrez-vous les moyens ? Comment transformer l'hydrogène gris en hydrogène vert ? À quelle filière donner la priorité : aérien, ferroviaire, transport routier ? La Commission européenne alloue des moyens substantiels ; quels partenariats comptez-vous nouer ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - La stratégie prévoit de soutenir un programme de recherche doté de 65 millions d'euros et géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR). L'électrolyse est la technologie clé pour passer du gris au vert.

Nous pensons la développer, ainsi que les flottes de véhicules lourds et la R&D pour les trains et les avions.

Une réunion a eu lieu entre le Président de la République et la Chancelière allemande pour identifier les projets européens clés.

M. Étienne Blanc.  - Les régions ont besoin de connaître les priorités du Gouvernement pour unir leurs forces. C'est le cas d'Auvergne-Rhône-Alpes qui rassemble 80 % des acteurs de la filière.

M. Pierre Médevielle .  - Les enjeux de la relance nous obligent à imaginer un avenir différent. L'hydrogène tiendra une place importante dans le plan vert. L'État seul ne peut pas tout assumer. Ne faisons pas les mêmes erreurs qu'avec les batteries au lithium. Unissons nos forces. L'argent public n'est efficace que s'il est couplé avec l'argent privé.

J'associe ma collègue Vanina Paoli-Gagin à la question suivante : les Français ont épargné beaucoup depuis mars, notamment sur le livret A. Êtes-vous prête à utiliser une partie de ces sommes pour des projets d'avenir territoriaux, afin de créer une filière industrielle dont les emplois ne seraient pas délocalisables ?

Envisagez-vous d'encadrer des plateformes de financement participatif - de crowfunding - pour cette filière ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Oui, il faut aller plus avant dans de nouveaux modèles de participation, qui restent largement à inventer.

L'utilisation de l'épargne dans nos territoires donne droit à un bonus. Le ministère de la Transition énergétique a canalisé 15 milliards d'euros par son label Greenfin.

Au titre du Programme d'investissements d'avenir (PIA), nous avons investi dans des fonds gérant des activités énergétiques. La BPI est un acteur important, aux côtés des collectivités territoriales et des financeurs régionaux.

Beaucoup reste à faire, mais je suis très confiante dans ces projets de territoire locaux, qui donnent prise à nos concitoyens sur cette transition énergétique.

M. Pierre Médevielle.  - Donnons un coup d'accélérateur. Lors du PLFR2, de nombreux investisseurs auraient préféré un élargissement à des personnes morales. La grande distribution souhaitait investir dans ces plateformes de crowdfunding.

M. Daniel Salmon .  - Je me félicite des 7 milliards d'euros annoncés pour l'hydrogène. C'est une énergie de stock et non de flux, ce qui fait tout son intérêt.

Mais évitons les écueils. Aujourd'hui, plus de 95 % de l'hydrogène produit l'est à partir d'énergies fossiles. L'intérêt écologique est nul, voire négatif. La production par électrolyse est bonne si elle est écologique. Quels matériaux sont employés, comment ? Cela pose la question du bilan écologique de ces techniques mais aussi de notre souveraineté.

Madame la ministre, comment faire de la France une championne de l'hydrogène vert, décarboné et renouvelable ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Les enjeux d'approvisionnement en matériaux critiques appellent notre vigilance. Un comité de pilotage du plan des ressources minérales de la transition bas carbone étudie la question depuis 2019, comme pour le nickel ou le platine.

La Commission européenne a lancé une mission de surveillance. L'État pourra soutenir la recherche amont pour développer de nouveaux matériaux et la recherche aval, via le PIA.

Nous essayons aussi de recycler davantage les matériaux rares.

M. Daniel Salmon.  - Soyons vigilants pour ne pas dépendre des terres rares chinoises. Il y va de notre souveraineté. Il faut également éviter de placer tous nos oeufs dans le même panier, et être sobre.

Mme Catherine Fournier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Se positionner en leader de l'énergie hydrogène est un véritable challenge. Sont prévus une enveloppe de 2 milliards d'euros dans le plan de relance 2020-2022 ainsi que 7 milliards d'euros de trajectoire d'ici 2030.

Réduisons la part de l'hydrogène gris, fabriqué à partir d'énergie fossile - car elle est de 95 % aujourd'hui.

La France a des atouts pour produire de l'hydrogène vert, décarboné. La gestion de l'eau, matière première, devra être adaptée. L'hydrogène bleu, produit à partir de pyrolyse de gaz naturel, grâce à la méthanisation agricole, est aussi une alternative.

Ne nous voilons pas la face : il faut une stratégie agressive d'innovation. L'hydrogène vert coûte trois à quatre fois plus cher que l'hydrogène gris. Pour se donner les moyens, pourquoi ne pas généraliser la taxe carbone aux frontières européennes sur les produits importés ne respectant pas les normes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Daniel Salmon applaudit également.)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - La réduction de la différence de coût entre hydrogènes gris et vert est une priorité du Gouvernement. Selon les rapports, il est possible d'aller bien en deçà d'un facteur 3 à 4.

Il faut également concilier réussite de la décarbonation et maintien de la compétitivité. Des discussions ont lieu sur le renforcement des objectifs de baisse des gaz à effet de serre d'ici 2030. Nous avons proposé un mécanisme de taxation carbone aux frontières, désormais examiné très favorablement par de nombreux États membres. Un texte législatif est en cours d'écriture. Nous travaillons aussi à une refonte du dispositif dit ETS de quotas d'émissions de gaz à effet de serre.

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dès le début de la crise, j'ai interpellé le Gouvernement sur la nécessité de consacrer une grande part de la relance à la transition énergétique et singulièrement à l'hydrogène. Il est indispensable de verdir les déplacements ; l'hydrogène peut le permettre. L'Allemagne a très vite mesuré cette urgence et consacre 9 milliards d'euros aux transports et à l'industrie hydrogène. La France va y consacrer 7 milliards d'euros sur dix ans. C'est non négligeable mais inférieur.

La France expérimente le train à hydrogène quand l'Allemagne l'utilise. Alstom en 2019 a reçu 41 commandes de trains à hydrogène pour l'Allemagne. L'Occitanie a été pionnière en commandant de ces matériels pour ses TER.

Dans le plan de relance, 3,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 910 millions d'euros en crédits de paiement seront consacrés à l'hydrogène. C'est important et nous nous en réjouissons. Comment se déclineront-ils ? Pour quels secteurs prioritaires ? Selon quel échéancier ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - L'hydrogène est une opportunité stratégique pour la transition écologique.

Quelque 7 milliards d'euros de soutien public seront déployés d'ici 2030, selon une approche systémique : une chaîne de valeur avec des moyens financiers et des établissements territoriaux maillant le pays, à hauteur de 6,5 gigawatts de puissance d'ici 2030. Deux appels à projet de l'Ademe ont été lancés le 14 octobre.

Les budgets soutiendront toute la chaîne de valeur. Quelque 65 millions d'euros sont prévus pour l'ANR, 1,5 milliard d'euros pour des projets d'Important Project of Common European Interest (IPCEI), 350 millions d'euros du PIA pour l'innovation et 325 millions de l'Ademe pour les écosystèmes territoriaux.

Mme Viviane Artigalas.  - Nos entreprises de pointe et nos collectivités territoriales ont besoin de visibilité. Informez-les régulièrement. Nous devons rattraper l'Allemagne.

M. Guillaume Chevrollier .  - Longtemps mal aimé des politiques énergétiques, l'hydrogène est un pilier majeur de la relance.

Les régions ont saisi ses capacités de décarbonation et sont porteuses de projets. La région Pays-de-Loire a débloqué 100 millions d'ici 2030 pour une filière d'excellence de l'hydrogène.

Je salue l'impulsion de l'État avec ses 7 milliards d'euros. Nos politiques publiques environnementales manquent souvent de stabilité et de visibilité. De nombreux projets industriels n'ont pas abouti. L'État doit s'engager sur le long terme et l'hydrogène doit se déployer avec une vision d'ensemble.

Comment s'articulera le soutien entre État et région ? Quels gages juridiques et financiers donnez-vous pour sécuriser la filière ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Les régions et les collectivités territoriales sont des acteurs clés pour la transition écologique. Plusieurs collectivités territoriales ont développé des plans hydrogène, d'autres sont venus de France Hydrogène, et certains viennent en complément de l'État.

De nombreux webinaires ont été mis en place, par les Dreal et l'Ademe, pour accompagner les collectivités territoriales.

Le volet ferroviaire est très important. Les discussions sont intenses pour formaliser les premières transitions en hydrogène.

M. Guillaume Chevrollier.  - Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, l'État doit s'appuyer sur les collectivités territoriales. L'hydrogène décarboné doit être un facteur de croissance et d'espérance.

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Stocker l'hydrogène est vital. Les ENR génèrent de l'électricité par intermittence, avec des pics de productivité qui dépassent la consommation. En 2020, à cause de la chute du marché de gros, le prix de l'électricité a parfois été négatif, et cela risque de se reproduire.

Le stockage de l'électricité par l'hydrogène est un levier qu'il est urgent d'activer, mais les capacités ne sont pas au rendez-vous. Le rendement n'est encore que de 23 % entre la production et la restitution d'électricité, contre 70 % pour les batteries. Il faut des moyens financiers et éviter le saupoudrage des crédits.

Quelle organisation serait la plus pertinente pour faire émerger une véritable filière qui laisse la place à l'innovation et aux start-up mais favorise des champions de taille critique ? Comment former les ingénieurs et techniciens qui nous font défaut ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - L'échelle européenne est cruciale. La stratégie européenne est déjà un premier pas positif, avec l'identification de la filière électrolyse comme filière d'avenir et un objectif ambitieux de 40 gigawatts en 2030.

Il est nécessaire de construire un cadre commun avec un objectif de production de 6,5 gigawatts d'électrolyse et de 600 000 tonnes d'hydrogène décarboné à horizon 2030.

La stratégie française rejoint la stratégie européenne et des discussions sont en cours avec les autres États membres pour des projets européens communs d'innovation, qui seront notifiés à la Commission. Une première réunion entre le Président de la République et la chancelière allemande a eu lieu.

Les projets seront suivis de près par les ministères, combinant financements européens et nationaux. Un appel à projets de 2015 de l'ANR vise le développement de l'hydrogène.

L'articulation entre les différents dispositifs est indispensable pour plus de cohérence et de coordination.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Quelle coordination au niveau national ? Quand la France s'est dotée d'une ambition nucléaire, elle a créé le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ; ce fut le Centre national d'études spatiales (CNES) pour la filière spatiale.

Qu'en est-il pour l'hydrogène ? L'hydrogène est à la mode, mais la multiplicité des projets risque d'engendrer une dispersion et un manque de cohérence.

M. Stéphane Piednoir .  - Émettre 10 tonnes de CO2 pour 1 tonne d'hydrogène n'est pas tolérable. Avec une enveloppe de 7 milliards d'euros, la France prend le chemin de l'électrolyse, mais avec quelle couleur environnementale ? Il faut associer les ENR aux électrolyseurs, mais cela ne suffira pas en raison de leur caractère intermittent.

Soyons pragmatiques en nous appuyant sur des technologies maîtrisées et faiblement émettrices de CO2, comme le nucléaire. Il devrait y avoir consensus car l'investissement dans cet outil industriel est largement amorti et il produit une électricité stable et pilotable. Peut-on envisager ce couplage pour un nouvel hydrogène « jaune » ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Pour une pleine décarbonation de l'économie, il faut aller plus loin en soutenant de nouvelles filières. Une augmentation de 31 % d'ici 2030 est attendue pour l'hydrogène dans certains secteurs.

Avec un objectif d'hydrogène décarboné fixé à 6,5 gigawatts d'ici 2030, la stratégie française rejoint la stratégie européenne. Nous avons une feuille de route, dans le projet de loi Climat-énergie et la programmation pluriannuelle de l'énergie.

M. Stéphane Piednoir.  - Je n'ai pas entendu le mot nucléaire dans votre réponse. Nous n'avons pas suffisamment d'ENR pour une conversion exclusive. Nous ne sommes pas la Norvège. Notre outil industriel nucléaire pourrait être utilisé, et donc prolongé.

M. Cédric Perrin .  - Avec 7 milliards d'euros d'ici 2030, la France rattrape enfin son retard. Il y a quelques mois, le Gouvernement n'alignait que 100 millions d'euros... Sans doute ménageait-il un effet de surprise ? La covid a peut-être du bon.

Pour préserver notre souveraineté, il nous faut décarboner et produire nous-même de l'hydrogène.

Si l'amont est une priorité du Gouvernement, qu'en est-il de l'aval, de la massification des projets et de la diversification des usages ? Faute de demande suffisante, l'offre viendra de l'étranger. Ne reproduisons pas les erreurs commises avec les panneaux solaires ou les batteries. De l'émergence d'une filière française dépendent des milliers d'emplois, notamment dans l'automobile.

Quelles initiatives sont prévues au niveau européen pour stimuler cette filière ? Je pense notamment à des souplesses administratives, à des mécanismes de soutien public, à une taxation du carbone aux frontières européennes... Des discussions sont-elles engagées avec la Commission européenne ?

« Le déclassement français, c'est le renoncement des élites », disait Bruno Le Maire en présentant le plan Hydrogène. Ne renoncez ni à la production ni au développement des usages.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Le soutien à l'investissement et au fonctionnement est bien prévu. Nous visons une baisse des coûts par effet d'échelle via les électrolyseurs, moins chers. Il s'agit de concilier la décarbonation de notre économie, nationale et européenne, avec le maintien de notre compétitivité dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale. C'est pourquoi il faut travailler main dans la main avec nos partenaires européens.

Mme Agnès Canayer .  - L'hydrogène est à un moment stratégique de son développement. La place des territoires est essentielle. Nous avons besoin d'un écosystème territorial performant pour préserver notre indépendance.

Le président de la République s'est engagé à mettre en place un plan de relance massif pour assurer notre souveraineté industrielle et écologique ; la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en fait partie.

En Seine-Maritime, le long la vallée de la Seine, premier pôle industriel et logistique de France, des initiatives ont vu le jour. Je pense au projet Cryocap d'Air Liquide à Port-Jérôme, ou au projet H2V de production d'hydrogène vert par l'eau qui verra le jour en 2022.

Ces initiatives sont accompagnées par les élus locaux. Les territoires doivent donc être financièrement soutenus et dotés de compétences.

Comment le Gouvernement accompagnera-t-il les collectivités qui portent des projets de territoire au plus près des réalités locales ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Notre stratégie s'appuie un développement systémique offre-demande, une filière française de premier rang sur toute la chaîne de valeur, de la R & D à l'industrialisation, avec l'objectif d'une décarbonation totale à l'horizon 2050.

L'appel à projets de l'Ademe lancé le 14 octobre vise à soutenir dans les territoires le déploiement de projets d'infrastructures de production et de distribution.

L'Ademe, le ministère et les Dreal ont noué des partenariats avec les collectivités territoriales, en particulier les régions. Nous continuerons à échanger avec les territoires, pour accompagner le montage des projets, entendre les retours d'expérience et monter le cas échéant des cofinancements.

M. Didier Mandelli .  - L'hydrogène décarboné est une opportunité pour accélérer la transition écologique et assurer notre indépendance énergétique. Le 9 septembre dernier, le Gouvernement a annoncé 7 milliards d'euros d'ici 2030 dans le cadre d'une stratégie nationale. Nous saluons ces annonces, nécessaires pour le développement de l'hydrogène dans les mobilités - l'avion d'Airbus, le train d'Alstom, qui roule déjà en Allemagne, et bientôt les navires et les véhicules lourds.

Des projets ambitieux voient le jour en France. En Vendée, l'entreprise Lhyfe a lancé un projet de production d'hydrogène offshore grâce au parc éolien en mer, soutenu par les collectivités territoriales. L'objectif est de produire 300 kilogrammes d'hydrogène au printemps prochain pour les besoins quotidiens de mobilité.

Ces projets précurseurs doivent permettre à la France de devenir championne de la production d'hydrogène. Seront-ils soutenus par le Gouvernement dans le cadre des programmes d'aides annoncés ? À quelle hauteur ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Un appel à projet de l'Ademe a été lancé le 14 novembre pour soutenir à hauteur de 275 millions d'euros des projets concernant des usages dans l'industrie et dans la mobilité lourde.

Des consortiums réunissant autorités locales et entreprises industrielles doivent travailler ensemble afin de créer des écosystèmes qui favorisent par ailleurs les économies d'échelle. Mes services ont déjà présenté la stratégie Hydrogène à l'association Régions de France, et continuent de la promouvoir.

Nous avons également une action territorialisée, via l'Ademe, pour soutenir des projets comme celui de l'entreprise Lhyfe au port du Bec, qui a reçu un soutien de la BPI. C'est un projet intéressant mais encore coûteux, sachant que le système électrique français n'a pas besoin de stockage avant 2035. Nous nous tournons donc vers des projets plus matures, avec des débouchés industriels rapides, à un coût raisonnable pour les finances publiques.

M. Didier Mandelli.  - Je vous remercie pour votre réponse.

Mme Guylène Pantel .  - Je vous remercie pour toutes vos contributions. Il ne fait aucun doute que l'hydrogène va jouer un rôle majeur dans la décarbonation de notre mix énergétique et participera à l'indépendance énergétique de la France. On chiffre le nombre d'emplois, directs et indirects, attendus entre 50 000 et 100 000.

Surtout, il doit nous permettre de tenir le cap écologique et d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Tout se joue dans les dix prochaines années.

La France peut devenir un champion de l'hydrogène mais elle doit s'associer à ses partenaires européens pour coordonner les investissements. La Commission européenne s'est saisie du sujet, et des États membres, comme l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal, investissent autant, voire plus que nous.

L'AIE a élaboré un scénario « zéro émission nette » qui, pour la première fois, intègre l'hydrogène.

Veillons cependant à la bonne utilisation de la manne financière qui y sera consacrée. Il faut soutenir le secteur, mais aussi contrôler l'efficacité des dépenses.

Notre débat illustre tout l'intérêt que portent les territoires à l'hydrogène. Le RDSE espère que la nouvelle stratégie française permettra de lever les verrous au développement de l'hydrogène. Il faudra notamment travailler sur la formation.

La piste de l'hydrogène blanc issue de l'écorce terrestre n'est pas évoquée dans notre stratégie, contrairement à l'Allemagne.

Le chemin sera encore long mais nous sommes sur la bonne voie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)

Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.

Prochaine séance demain, jeudi 19 novembre 2020, à 9 heures.

La séance est levée à 19 h 45.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication