Droits nouveaux dès 18 ans

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Rémi Cardon, auteur de la proposition de loi   - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La crise sanitaire actuelle affecte particulièrement durement les jeunes, dont la situation financière, matérielle, psychologique et morale s'est fortement dégradée. Quelque 29 % des 18-25 ans seraient en dépression. Plusieurs drames se sont déroulés récemment. Un jeune s'est ainsi défenestré à Villeurbanne et les tentatives de suicide se multiplient. Les effets des confinements excessifs sont plus que préoccupants. Hélas, on ne compte qu'un psychologue pour 30 000 étudiants.

Dans le monde du travail, les jeunes occupent les postes les plus précaires et sont souvent les premiers à perdre leur emploi. Environ 30% des actifs de moins de 25 ans sont au chômage. Un jeune de moins de 25 ans sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, soit 1,5 million de personnes.

Or les jeunes sont exclus du système de solidarité nationale. J'ai récemment visité des centres d'aide alimentaire qui observent le rajeunissement de leur clientèle.

Certes, des aides d'urgence ont été débloquées, mais elles restent insuffisantes pour résoudre les problèmes structurels.

Parmi les cinq millions de pauvres en France, plus de la moitié a moins de 30 ans, soit une augmentation de près de 50 % depuis 2002.

Il faut réfléchir à ouvrir le RSA aux jeunes de moins de 25 ans. Tel est le socle de cette proposition de loi pour constituer une réponse rapide face à l'urgence.

Aujourd'hui, il est possible de bénéficier du RSA et du RSA jeunes actifs, mais cela ne concerne que 1 500 jeunes. En effet, difficile de se prévaloir de deux ans d'emploi sur trois années consécutives quand on a de 18 à 25 ans.

Le Gouvernement précédent a créé la Garantie jeunes, excellent dispositif mais lourd et difficile à mettre en oeuvre rapidement. Fin 2017, 75 000 jeunes en bénéficiaient. L'objectif de 100 000 n'a pas été atteint fin 2020, ce qui laisse subsister quelques doutes sur la montée en charge du dispositif annoncé par Élisabeth Borne. En outre, les maisons de l'emploi s'interrogent sur leur capacité à recruter suffisamment de chargés de mission pour faire face à l'afflux des demandes.

Notre proposition semble donc plus directement utile pour soutenir les jeunes. Le RSA s'élève à un peu plus de 564 euros ; son versement aux 18-25 ans coûterait quelque 4,5 milliards d'euros par an.

Le plan de relance se concentre exclusivement sur l'offre. Les jeunes en sont d'ailleurs les grands oubliés. Les taxes sur le tabac, le prélèvement forfaitaire unique - autrement dit la flat tax - ou l'ISF sont des sources de financement possibles et facilement activables pour la mesure que nous proposons.

Cette proposition de loi constitue la première brique d'une démarche d'ensemble en faveur de la jeunesse. Les expérimentations des différents conseils départementaux sur le revenu de base offrent un cadre structurant.

Il faut s'inscrire dans une perspective universelle et structurelle et travailler sur les dispositifs d'insertion des jeunes et sur leurs financements, comme le demande la commission des affaires sociales. Les socialistes ont longuement travaillé sur le sujet.

Ce débat devra être mené à l'occasion des prochaines élections. Vous n'aimez pas le terme RSA jeunes : moi non plus ! Je préfère évoquer des droits nouveaux pour les moins de 25 ans, un minimum jeunesse, afin d'aligner la majorité sociale sur la majorité légale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)

Mme Monique Lubin, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - La proposition de loi de notre collègue est une réponse concrète et immédiate à l'urgence sociale de la crise. La situation des jeunes s'est dégradée depuis les années 2000 ; désormais, près d'un jeune sur cinq se trouve en situation de pauvreté. En 2018, 14 % des Français étaient sous le seuil de pauvreté monétaire. C'était 19,7 % pour les 18-29 ans.

Il est trop tôt pour évaluer toutes les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire sur les jeunes, mais il est certain que le chômage les touchera davantage.

La plupart des prestations sociales sont ouvertes avant 25 ans : allocation aux adultes handicapés (AAH), allocation de solidarité spécifique (ASS), prime d'activité et aides au logement par exemple. Le RSA fait figure d'exception, voire d'anomalie. Pourtant, on peut voter et payer des impôts dès 18 ans...

Le RSA était versé à deux millions de bénéficiaires en 2020 à hauteur de 564 euros pour une personne seule ou 847 euros pour une personne seule avec enfant ou un couple sans enfant. Il est possible d'en bénéficier avant 25 ans dans des conditions spécifiques comme la charge d'un enfant. Depuis 2010, les jeunes ayant travaillé pendant deux ans peuvent également en bénéficier, mais le nombre de bénéficiaires est passé de 9 000 en 2011 à 734 en 2019.

Seuls 91 000 allocataires du RSA sont âgés de moins de 25 ans et il s'agit en majorité de jeunes mères isolées.

La Garantie jeunes, gérée par les missions locales, est l'un des meilleurs dispositifs pour les ceux qui n'ont ni emploi, ni formation. Concernant 91 124 jeunes en 2020, elle montera en charge jusqu'à 200 000 bénéficiaires en 2021 dans le cadre du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea).

Il faut également saluer le versement d'aides exceptionnelles en 2021, telles que des aides aux chômeurs de moins de 26 ans et aux jeunes diplômés de moins de 30 ans, ex-boursiers et demandeurs d'emploi.

Toutes ces mesures demeurent toutefois des réponses ponctuelles qui ne concernent pas tous les jeunes précaires.

Dès lors, il apparaît nécessaire d'ouvrir le bénéfice du RSA à partir de 18 ans et de supprimer en conséquence le RSA jeunes actifs.

Cette proposition a été inspirée par plusieurs mouvements de jeunesse et elle reprend une recommandation de l'ancien député Christophe Sirugue, auteur d'un rapport en 2016 sur les minima sociaux. Ce dispositif pourrait bénéficier à 1,4 million de jeunes majeurs pour un coût estimé à 5,8 milliards d'euros, que l'État devrait prendre intégralement à sa charge.

Ce texte constitue un premier pas pour soutenir les jeunes et répondre à leur détresse sociale. Il faut également davantage soutenir les étudiants défavorisés, les parents isolés, les jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Plus largement, je soutiens la création d'un revenu universel d'activité (RUA), mais cette proposition du Gouvernement a peu de chance de se concrétiser d'ici la fin du quinquennat.

Comme le démontrent les travaux d'Esther Duflo, il est faux de croire que les minima sociaux sont des trappes à inactivité.

Si la commission des affaires sociales a rejeté cette proposition de loi, j'y suis favorable à titre personnel et je vous invite à la voter. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Le Gouvernement est pleinement engagé sur le sujet, contrairement à ce que j'ai pu entendre. Le combat contre la pauvreté demande de la persévérance et de l'humilité. Sur les 5,4 millions de 18-29 ans, 20 % sont touchés par la pauvreté. Quelque 1,3 million de jeunes sont dans la précarité, chiffre qui a augmenté en raison de la pandémie.

Cette proposition de loi remédie à ce constat en ouvrant aux moins de 25 ans le droit au RSA. Le Gouvernement n'y est pas favorable.

À la logique consistant à ouvrir une allocation à tous les jeunes avant même qu'ils aient trouvé une formation ou un emploi, nous préférons encourager la formation et l'accès à l'emploi, complétés par le versement d'une allocation pour les plus précaires.

Le Gouvernement offre une solution à tout jeune qui en fait la demande ; il va chercher ceux qui ne font pas les démarches. Nous avons contractualisé à cet effet avec les départements.

Cette démarche s'inscrit dans le cadre du plan de prévention et de lutte contre la pauvreté, présenté par le Président de la République en septembre 2018. Celle-ci concerne notamment les jeunes sortis de l'ASE. Plus de 50 % des 20 000 jeunes devenus majeurs en 2019 ont été pris en charge dans le cadre de la stratégie contre la pauvreté. Un accord avec l'Union nationale des missions locales et la CNAF a été passé pour qu'un référent ASE soit désigné dans chaque mission et qu'il présente à chaque jeune les dispositifs auxquels il a le droit.

En 2020, les plus fragiles ont bénéficié de mesures exceptionnelles. De fait, les jeunes sont touchés de plein fouet par une crise qui leur impose de nombreux sacrifices. Certains n'ont pas pu achever leur formation, d'autres entrent sur un marché du travail dégradé. C'est pourquoi, contrairement à ce qu'ont dit certains, nous leur consacrons le premier volet du plan de relance, avec « Un jeune, une solution » et diverses mesures pour faciliter l'accès à l'emploi. Une aide de 5 000 euros est ainsi offerte pour l'embauche d'un alternant de moins de 18 ans en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ; et de 8 000 euros pour un alternant de plus de 18 ans.

Des formations qualifiantes ou pré-qualifiantes vont être proposées à des jeunes sans qualification ou en échec dans l'enseignement supérieur, mais aussi des formations dans le secteur du soin, qui vont prendre de l'ampleur et doubler dans les cinq prochaines années.

L'accompagnement vers l'emploi comme la Garantie jeunes et le Pacea est renforcé.

En juin, 800 000 jeunes ont reçu une aide de 200 euros. Cela visait particulièrement les ultramarins isolés. En novembre, les 740 000 étudiants boursiers et bénéficiaires des APL, de moins de 25 ans, ont reçu 150 euros. Enfin, le Premier ministre a annoncé plusieurs mesures majeures fin novembre.

Notre devoir est de tendre la main aux jeunes. Aucun ne doit rester au bord du chemin. Le Gouvernement s'y est engagé : chacun doit trouver sa place.

M. Daniel Chasseing .  - Rares sont les pans de la société qui sortiront indemnes de la crise sanitaire. Mais la jeunesse est dans une situation particulièrement préoccupante.

C'est pourquoi je salue l'initiative du groupe socialiste qui a présenté cette proposition de loi. Nous devons toujours améliorer notre modèle social.

La proposition d'aujourd'hui n'est pas nouvelle mais le contexte l'est. Avec cette pandémie, les jeunes, privés de leurs belles années, demandent plus de considération et d'accompagnement dans l'emploi et la formation.

Plus que de nouveaux droits, nous devons donc créer de nouvelles opportunités en nous appuyant sur les dispositifs qui ont fait leurs preuves.

Le plan « Un jeune, une solution » doit être renforcé. La Garantie jeunes, l'un des mécanismes les plus prometteurs notamment pour les décrocheurs, doit être étendue. Il faut capitaliser sur les réussites. Il est important de proposer un accompagnement de proximité avec, en retour, un engagement du jeune à retrouver un parcours de formation et d'emploi. L'allocation ne serait qu'un élément de cet accompagnement.

Je regrette toutefois le bornage dans le temps de ces contrats. La Garantie jeunes devrait se poursuivre jusqu'à son succès : une formation ou un emploi. Il faut améliorer la formation d'aides-soignantes et d'infirmiers, par exemple, dont le besoin est criant.

Le Gouvernement doit tenir ses promesses de financement des entreprises qui embauchent des apprentis, dont le nombre a d'ailleurs augmenté en 2020.

Il convient de mieux aider les étudiants qui n'ont pas pu travailler pendant les vacances.

Le groupe INDEP votera contre l'extension du RSA aux 18-25 ans mais souhaite que le Gouvernement fasse plus pour les étudiants et mieux dans l'accompagnement vers le travail.

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Face à la pauvreté, face à la précarité, face à l'exclusion d'une partie grandissante de la jeunesse, il y a urgence. Le taux de pauvreté des jeunes est passé de 8 à 13 % entre 2002 et 2018 ; chez les jeunes vivant seuls, il monte à 22 %. La crise sanitaire a depuis aggravé la situation.

Toutes les organisations que nous avons auditionnées nous le disent : la jeunesse de notre pays est percutée par la crise.

L'aide alimentaire explose et les conséquences psychologiques sont dramatiques. La jeunesse est au bord de la rupture : voilà la leçon de la crise, et il est temps d'agir.

La France, qui peut être fière de son modèle social, en a exclu en partie sa jeunesse. C'est une anomalie européenne : chez quasiment tous nos voisins, les droits sociaux s'ouvrent pleinement avec la majorité.

La Garantie jeunes accompagne les bénéficiaires pendant un an et demi mais elle est très lourde à mettre en place, contrairement au RSA, qu'il suffirait d'élargir. Ne s'agit-il pas de décourager les potentiels bénéficiaires ?

Celles et ceux qui n'ont d'ordinaire que les mots de « simplification de l'État » à la bouche lorsqu'il s'agit d'attaquer notre modèle social, rechignent aujourd'hui à une simple mise à jour du RSA. Nous en connaissons les raisons : dogmatisme libéral et mépris pour la jeunesse.

Bruno Le Maire déclarait ainsi sur BFM-TV, vendredi dernier : « À 18 ans, ce qu'on veut, c'est un travail et pas une allocation. » Comment travailler alors que le taux de chômage a atteint 22 % chez les jeunes au troisième trimestre 2020 et que la vague de défaillances d'entreprises est à venir ?

Il est urgent d'agir. Le Gouvernement a fait preuve de célérité pour soutenir les industries, parfois très polluantes. Qu'il fasse de même pour les jeunes.

Le soupçon d'oisiveté est battu en brèche par les travaux d'Esther Duflo, prix Nobel d'économie, qui ont montré que plus on aide quelqu'un, plus il est apte à sortir de la trappe à pauvreté.

Écoutez le CESE qui, le 2 décembre, a demandé solennellement l'élargissement du RSA aux 18-25 ans. Mes chers collègues de droite, pour ceux qui sont encore là (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains), écoutez aussi Aurélien Pradié, secrétaire général des Républicains qui, le 12 janvier, lors d'un débat à l'Assemblée nationale, déclarait que les fous sont ceux qui ne posent plus les vraies questions - et notamment pas celle du RSA pour les 18-25 ans.

Il s'agit d'une question de dignité. Tout est déjà en place, les départements peuvent agir s'ils reçoivent les financements. Alors que vos politiques économiques et sociales hypothèquent l'avenir de toute une génération, ayez la décence d'investir d'urgence sur leur présent, quoi qu'il en coûte. Il est urgent de faire sortir les jeunes des mesures d'exception pour les faire entrer dans l'universel, comme tous les autres citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE)

M. Dominique Théophile .  - Les plus jeunes sont les premiers touchés par la crise.

Cette proposition de loi n'est pas nouvelle mais elle actualise un débat vieux de trente ans. En 1988, le gouvernement Rocard avait créé le RMI, face à une nouvelle pauvreté de masse. Les jeunes de moins de 25 ans en avaient été écartés parce que bénéficiant d'autres dispositifs. Cette limite d'âge n'a pas, depuis, été remise en cause.

La présente proposition met en lumière les difficultés de la jeunesse française. En France, 1,5 million de jeunes vivent dans la pauvreté. En quelques années, le taux de pauvreté a augmenté de 8 à 13 % dans cette catégorie de la population.

En CDD, intérim ou entre deux contrats, les jeunes n'ont pas retrouvé d'emploi en raison des confinements successifs. Des mesures d'urgence en faveur du pouvoir d'achat des jeunes ont été mises en place ces derniers mois, comme le doublement des aides d'urgence du Crous. Mais la crise s'annonce longue.

Nous partageons les objectifs de la proposition de loi - sortir la jeunesse française de la précarité et la conduire vers son émancipation - mais pas les moyens.

Nous pensons que la perspective d'un jeune ne saurait être celle des minima sociaux. Or essayer ce dispositif, même le temps de la crise, serait inévitablement l'adopter.

Nous avons mieux à leur offrir. Le plan « Un jeune, une solution » au sein du plan de relance, doté de 6,7 milliards d'euros, constitue un effort sans précédent à l'égard des jeunes. Ce plan prévoit des primes à l'embauche, 100 000 services civiques supplémentaires et 300 000 parcours d'insertion. Entre août et novembre 2020, plus d'un million de jeunes de moins de 26 ans ont été recrutés en CDI ou en CDD de plus de trois mois.

Ce plan renforce la Garantie jeunes en faveur des 16-25 ans. Elle donne droit à l'aide financière calquée sur le RSA et surtout à un accompagnement. Au 31 décembre 2019, quelque 366 000 jeunes de 18 à 21 ans ont été concernés. Les moyens des missions locales ont été augmentés : 200 000 jeunes en bénéficieront cette année.

Est-ce assez ? Non. Comme la Garantie jeunes peut être une porte d'entrée vers l'emploi pour les plus précaires, investissons dans ce dispositif qui allie garantie de ressources et accompagnement.

La jeunesse, bousculée par la crise, a besoin d'aides mais aussi de perspectives. Lors du projet de loi de finances pour 2021, nous avons fait adopter deux amendements renforçant l'apprentissage et l'insertion professionnelle.

Le groupe RDPI, dans sa majorité, ne votera pas cette proposition de loi.

M. Stéphane Artano .  - Depuis la première vague de pandémie du Covid-19, nous sommes confrontés à une crise sans précédent qui a paupérisé la jeunesse. Un jeune sur quatre n'a plus d'activité professionnelle.

Sans épargne, exclus des dispositifs de solidarité nationale, les jeunes tombent plus facilement dans la grande précarité. C'est pour tenter de la freiner que plusieurs organisations de jeunesse et associations plaident depuis longtemps pour l'ouverture du RSA aux moins de 25 ans, et plus particulièrement en cette période exceptionnelle de crise sanitaire. Elles estiment que le plan d'urgence « Un jeune, une solution » fonctionne peu.

L'ouverture du RSA aux moins de 25 ans offrirait un filet de sécurité nécessaire pour leur éviter de tomber dans l'extrême précarité. Toutefois, la question mérite d'être posée et les opinions divergent au sein du groupe RDSE.

Je salue les mesures exceptionnelles du Gouvernement comme la création de 20 000 jobs étudiants, le doublement des aides d'urgence du Crous ou encore le doublement de la Garantie jeunes en 2021. Toutes ces mesures sont bienvenues, mais ponctuelles alors que la situation des intéressés s'aggrave depuis une vingtaine d'années.

En décembre, le Président de la République a déclaré qu'il préférait lutter contre la pauvreté par l'activité économique et notamment par des dispositifs comme Territoire zéro chômeur, auquel il croit « à fond ». La ministre du Travail a dit en janvier à l'Assemblée nationale qu'il fallait apporter une réponse immédiate aux jeunes mais que l'objectif premier du Gouvernement était de l'accès à un emploi, gage d'autonomie.

Monsieur le ministre, le Gouvernement réfléchit-il à une Garantie jeunes universelle ? Le dispositif coûterait près de 6 milliards d'euros. L'État, qui ne compense pas l'intégralité des dépenses départementales du RSA aujourd'hui, ne le fera pas plus demain.

Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe RDSE s'abstiendra.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Les jeunes sont les premières victimes des conséquences de la pandémie. Nombre d'entre eux tombent dans l'extrême précarité et se tournent vers l'aide alimentaire. La fréquentation des étudiants a explosé. Les bourses n'y changent rien. Les associations nous alertent. Pour les jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation, les perspectives s'éloignent. Un pauvre sur deux a moins de 30 ans.

Dans mon département, la majorité des précaires passent sous les radars. Selon un rapport de Marie-George Buffet sur les effets du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse remis en décembre 2020, le mal-être des jeunes progresse, ainsi que le nombre de suicides.

Des associations de jeunes ont publié le 1er décembre une tribune dans Le Monde pour demander un RSA dès 18 ans. La proposition de loi répond à cet appel. Le Gouvernement a-t-il peur que les jeunes bénéficiant de 500 euros par mois renoncent à chercher un emploi ? L'aide n'inviterait pas à la paresse, mais tout au contraire, à l'implication dans des projets sociaux et écologiques.

Le filet de sécurité sociale que sont les allocations n'est pas un hamac ! Nous pensons que les études sont un droit pour se projeter demain. Or, la Garantie jeunes est conditionnée à la recherche d'un travail.

L'augmentation des bénéficiaires de la Garantie jeunes sera fonction des moyens alloués aux missions locales qui devront recruter des milliers de conseillers. Notre jeunesse aspire à des réformes structurelles et à un statut social.

Cette proposition de loi est une urgence sociale indispensable mais insuffisante si elle ne s'accompagne pas d'un engagement de l'État auprès des départements pour garantir un financement à l'euro près.

Nous savons que les départements n'auront pas les moyens d'une telle dépense, puisque les charges liées au RSA et à la lutte contre la pauvreté vont d'ores et déjà augmenter d'au moins 10 %.

Le groupe CRCE votera ce texte, première étape vers un statut qui garantit l'autonomie et l'émancipation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue cette proposition de loi de M. Cardon - le charme des premières fois, profitez-en, cher collègue ! (Sourires)

La jeunesse française est assurément très touchée par la crise sanitaire. L'abbé Pierre disait : « Il n'existe pas d'autre voie vers la solidarité humaine que la reconnaissance de l'autre en tant que personne et le respect de sa dignité. » Nous n'apporterons pas cette reconnaissance par un texte de trois articles.

Fracture territoriale, culturelle, éducative et maintenant générationnelle : notre système de redistribution est en cause, et notamment sa complexité, avec dix minima sociaux différents. Cela nourrit la rancoeur, accroît l'injustice et les non-recours.

Il y faut une réflexion globale ; la mission d'information à venir sur la précarité y contribuera, en clarifiant l'architecture de ces minima. La condition d'âge au RSA peut sembler singulière, mais il faut anticiper les conséquences structurelles d'une telle réforme, en matière budgétaire et en accompagnement.

Le rapport de Christophe Sirugue pose des conditions à l'extension du RSA, notamment son articulation à d'autres mesures - l'accès aux prestations familiales et à la fiscalité, entre autres.

De plus, les robinets de l'argent public ne couleront pas éternellement. La mesure proposée coûterait 5,8 milliards d'euros. C'est une somme importante, or l'argent magique n'existe pas, même si la période où nous vivons pourrait le laisser croire.

Il convient de laisser les départements en dehors de ce débat, en leur épargnant un effort sur le reste à charge qui est tout simplement inenvisageable.

Quid de la cohérence avec le doublement de la Garantie jeunes ?

Le groupe UC est attaché à la valeur travail. J'ai été vice-président du conseil départemental du Nord, en charge du RSA et de la lutte contre les exclusions. La dignité de la personne est étroitement liée à l'exercice d'une activité, d'une formation, d'un apprentissage, donc d'un travail : le retour à l'emploi des allocataires du RSA est une question essentielle.

Le groupe UC ne votera pas ce texte qui ouvre cependant un débat, à poursuivre en envisageant dans sa globalité le parcours d'un jeune. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Cédric Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Apporter une allocation sociale à chaque jeune dès 18 ans, quelle que soit sa situation : voilà la réponse de cette proposition de loi, mais à quelle question ? (Mme la rapporteure proteste.)

« La jeunesse montre l'homme comme le matin montre le jour » écrivait le poète John Milton. (Exclamations sur les travées du groupe SER) La majorité succède à une phase d'apprentissage de l'autonomie ; mais ce n'est pas une arrivée, plutôt une étape.

Les jeunes sont divers : apprentis, lycéens, étudiants, jeunes travailleurs, urbains, ruraux, leurs situations, leurs aspirations, leurs besoins sont différents, ainsi que leurs attentes. Ils portent en germe la société de demain. Puis une autre société lui succédera, comme un matin succède à un autre : « la jeunesse montre l'homme, comme le matin montre le jour ! » (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains)

Ce matin, un brouillard épais trouble le lever du jour : la crise sanitaire touche les jeunes de plein fouet. Nous devons dissiper le brouillard pour leur redonner des perspectives, dégager la ligne d'horizon.

Le RSA pour tous, est-ce le message politique que nous voulons leur transmettre ? Il faut plutôt leur dire que leur avenir dépend d'abord d'eux-mêmes, que les clés de la réussite sont dans l'effort et le travail. L'État leur doit avant tout un accompagnement vers la liberté.

Chaque situation appelle des dispositifs spécifiques. L'universalité n'est pas l'égalité.

Aucun jeune ne se construit avec les minima sociaux comme horizon ; le défi, c'est l'accompagnement et l'insertion.

Il existe des dispositifs pour cela : les bourses pour les étudiants, « Un jeune, une solution », dispositif porté par les missions locales qui permet de toucher près de 500 euros par mois, Garantie jeunes pour ceux qui sont sans ressource et déscolarisés, service civique, parcours emploi-compétences, tous assortis, dès le début, d'un contrat de responsabilité.

Le RSA peut d'ores et déjà être attribué aux moins de 25 ans, sous conditions : femmes enceintes, jeunes parents, certains actifs.

Étendre le RSA est une mauvaise réponse à une mauvaise question. Offrons aux jeunes de l'espoir et une chance, offrons-leur assurance et liberté ! Donnons-leur notre soutien, notre confiance et un accompagnement adapté, pas une allocation !