Droits nouveaux dès 18 ans (Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Annie Le Houerou .  - Près d'un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Un étudiant sur quatre a un travail qui lui est indispensable pour vivre.

Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans et près de 15 % des étudiants présentent des signes d'épisodes dépressifs majeurs.

La situation s'aggrave avec la crise sanitaire. Le constat, alarmant, est partagé par les associations et l'observatoire des inégalités.

Le Président de la République a déclaré le 15 octobre dernier : « c'est dur d'avoir 20 ans en 2020. » Je crains que ce ne soit encore plus dur en 2021...

La crise a coupé court à toute une économie de la débrouille : petits boulots dans les bars, restaurants et commerces ; baby-sitting, aide aux devoirs, livraisons de repas... La précarité touche particulièrement les femmes : ainsi, 40 % des étudiantes ont arrêté leur activité rémunérée pendant le confinement, contre 31 % des étudiants.

Nous ne nions pas les initiatives du Gouvernement, mais ces dispositifs de courte durée sont insuffisants face à l'ampleur cinglante de la crise.

La proposition du groupe SER est une réponse à l'urgence sociale, qui peut être mise en place dans des délais très courts.

Les jeunes sont les parents pauvres de la solidarité nationale. La solidarité familiale ne saurait être la réponse à la crise. Les violences intrafamiliales concerneraient 10 % des enfants. Et même dans les familles sereines, on constate les ravages de la précarité.

Les vies de misère que nous croisons sont souvent celles de jeunes de moins de 25 ans en galère.

Le diagnostic est établi. L'observatoire des inégalités propose un revenu minimum unique, cette proposition de loi le reprend pour que nos jeunes trouvent le chemin de l'émancipation. Rappelons que le RSA est un parcours accompagné.

Ce texte n'exclut pas des réformes plus structurelles telles que celles proposées le groupe socialiste de l'Assemblée nationale.

Le groupe SER, naturellement, votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)

M. Rémi Féraud .  - La pandémie a entraîné un choc économique inédit depuis 1945 ; les jeunes sont les plus touchés par cette crise d'une violence inouïe.

Or les 18-24 ans sont la principale faille de notre système de protection sociale. Nous aurions dû, dès 2020, soutenir la jeunesse. Le groupe SER l'a proposé dans le projet de loi de finances, se heurtant à une barrière idéologique.

Interrogé par Jean-Jacques Bourdin sur l'extension du RSA aux 18-25 ans, Bruno Le Maire déclarait que les jeunes préféraient travailler ; au journaliste qui lui demandait si ce n'est pas aussi le désir des bénéficiaires du RSA de plus de 25 ans, le ministre a répondu par un silence désemparé, mais éloquent...

Sortons du conservatisme ! Le moment est venu, monsieur le ministre, de mettre enfin en oeuvre les mots si souvent prononcés par votre Gouvernement : « bon sens », « pragmatisme »...Demander aux jeunes de s'intégrer dans la société sans leur en donner les moyens, ce serait du cynisme. Mais je vois que le discours commence à changer, timidement, à droite. Nous proposons non pas un horizon à ces jeunes, mais un socle.

On nous parle d'assistanat, de paresse ; mais la prix Nobel d'économie Esther Duflo démonte ces poncifs. Rien ne démontre que les allocations découragent la recherche d'un travail.

Le groupe SER ne manque pas d'idées, comme un revenu d'existence dès la naissance. Cela coûte-t-il plus cher que la baisse des déductions des impôts de production ou la suppression de l'ISF ? Pourquoi attendre ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Marc Laménie .  - Je salue l'initiative du groupe SER et l'auteur de cette proposition de loi, Rémi Cardon, qui ont le mérite de lancer le débat sur la situation très difficile des jeunes.

Nous l'entendons souvent sur le terrain, dans mon département des Ardennes, qui connaît une situation sociale très difficile : « que faites-vous pour les jeunes ? »

Oui, les jeunes galèrent mais aussi beaucoup de retraités, de personnes seules.

Avancer l'âge d'attribution du RSA à 18 ans, c'est poser un dilemme. Le président Raynal peut en témoigner : l'enjeu financier est considérable, face à de telles réalités. Priorité doit aller à l'humain. Or la situation financière des collectivités territoriales, leur autonomie sont fortement grevées par le RSA.

Le volet social reste une priorité, mais le lien doit être nourri entre l'État et les départements. L'Éducation nationale doit s'impliquer fortement dans la formation des jeunes pour susciter des vocations.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - Très bien !

Mme Agnès Canayer .  - Plus qu'un filet, il nous faut un tremplin. Le réseau transpartisan des missions locales, que je remercie pour son implication permanente, est pleinement engagé pour l'insertion professionnelle des jeunes. Selon lui, aucun système seulement fondé sur une allocation ne peut répondre aux besoins des jeunes.

Leurs attentes sont autres : ils veulent s'insérer professionnellement dans la société. Les auteurs de cette proposition de loi, relative au critère d'âge pour l'accès au RSA, s'inscrivent dans la perspective d'un revenu universel, qui n'est pas une solution.

Il n'est pas possible de se contenter d'un filet de sécurité social minimal. Vous ne proposez que d'élargir le champ d'éligibilité du RSA, mais il faut d'abord accompagner les jeunes, pour les aider à définir leur projet, retrouver l'estime de soi et, in fine, leur place.

Cet accompagnement existe déjà : c'est la Garantie jeunes, que le plan « Un jeune, une solution » développe. Une procédure alliant accompagnement et allocation de plus de 400 euros fournit une réponse à leur situation : c'est un dispositif gagnant-gagnant, grâce à l'action des missions locales dont les moyens ont été renforcés par le projet de loi de finances pour 2021. Le partenariat est un atout pour les jeunes. Donner pour donner ne convient pas. Il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un travail, les jeunes doivent être accompagnés.

Je crois en l'existant. Présidente de mission locale, je crois en le mérite et la nécessité d'aider chaque jeune à s'en sortir. Quel est intérêt de créer un doublon, qui enterrerait la Garantie jeunes, procédé le plus adapté pour répondre à l'inactivité des jeunes précaires ?

Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - Très bien !

La discussion générale est close.

Mme le président.  - En l'absence de texte élaboré par la commission, nous passons à la discussion du texte initial de la proposition de loi.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Esther Benbassa .  - Cette proposition de loi crée des droits sociaux mais c'est aussi une bouée de sauvetage pour de nombreux jeunes Français. Pourtant plus diplômés et plus qualifiés que les générations précédentes, ils sont souvent plus précaires.

Selon l'observatoire des inégalités, le taux de pauvreté des jeunes est passé de 8 % à 13 % entre 2002et 2018.

La crise sanitaire a aggravé les choses : précarité, pauvreté, isolement et dépression. Son impact sur les jeunes est impitoyable.

En 2020, selon l'Insee, le taux de chômage des moins de 25 ans s'élève à 21,8 %.

Avec le couvre-feu, les jeunes ne peuvent plus travailler le soir dans la restauration rapide ou faire du baby-sitting.

Cette proposition de loi aiderait la jeunesse qui souffre de la crise. La France a une des législations les plus restrictives en la matière. Cette proposition de loi est une innovation utile que le GEST soutient.

M. Thierry Cozic .  - Je soutiens moi aussi cette proposition de loi, nécessaire pour les jeunes actifs. La crise accroît la pauvreté et les inégalités, quelque 13 % des 18-25 ans sont pauvres, en augmentation de 50 % depuis 2002. Veut-on une jeunesse sacrifiée ? Selon la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), 64 % des 18-24 ans présentent une détresse psychologique et 23 % ont des pensées suicidaires. Les récentes tentatives de suicide ne peuvent que nous alerter : ce sont les prémices d'une crise profonde frappant notre jeunesse.

Il y a urgence. La relance n'interviendra pas avant 2022. Penser que la solution d'ici là passera par le travail est illusoire. Pierre Mendès-France disait que le soutien de la jeunesse était ce qu'il y avait de plus précieux.

Donnons à la jeunesse les moyens de se former sans craindre un avenir nuageux, afin qu'elle puisse croire en des lendemains plus sereins ! Cela n'a pas de prix. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Patrick Kanner .  - Les jeunes n'ont plus de vie sociale, ni affective ; ils n'ont plus d'argent. Il faut trouver une solution d'urgence. Arrêtons tout de suite la petite musique opposant des vertueux qui croient au travail des jeunes, et des professeurs de laxisme et de paresse qui soutiennent une allocation de moins de 500 euros !

La mesure que nous défendons est facile à mettre en oeuvre et finançable, du moins par le ruissellement de la dette.

La Garantie jeunes que j'ai instaurée n'a pas vocation à devenir universelle, car elle est différente : elle s'applique aux « NEET », c'est-à-dire aux personnes sans études, sans emploi ni formation, avec un accompagnement très serré. Je salue à mon tour le travail remarquable des missions locales à leur égard.

Mais j'en appelle à présent à votre responsabilité sur l'article premier : il s'agit de redonner espoir à notre jeunesse par notre volonté partagée. Chacun s'honorerait à ouvrir cette perspective. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Guy Benarroche .  - Le GEST soutient cette proposition de loi.

L'absence d'une solidarité pour les moins de 25 ans m'interpelle. Au pays de Bourdieu, pourquoi maintenir les inégalités entre jeunes, certains ayant la chance d'être plus soutenus que d'autres par leurs familles ?

Certains jeunes, à cause des effets des seuils, sortent de l'ASE. Aider les jeunes devrait constituer notre objectif commun et prioritaire. Il est urgent de voter la proposition de loi pour que le « quoi qu'il en coûte » ne laisse pas de côté toute une génération. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - « Donner pour donner » ? C'est une conception bien éloignée de toute réalité ! Lorsqu'on aide les entreprises pour les sauver, c'est la même situation ! Le « quoi qu'il en coûte » ne vaudrait-il que pour certains ?

Le plan « Un jeune, une solution » ne suffit pas. Le président Kanner a rappelé la spécificité de la Garantie jeunes. Quels que soient les mérites de ce dispositif, il n'est pas à la hauteur de la situation.

Le service civique ? On observe un dévoiement de celui-ci, non plus en faveur de l'engagement de la jeunesse ou de son émancipation, mais vers de petits boulots mal payés, y compris dans des services publics qui devraient embaucher ! On fait travailler la jeunesse à moindre coût !

N'oublions pas non plus que les jobs étudiants proposés par le Gouvernement nuisent à la qualité des études des jeunes qui ont le plus de difficultés. Il faut donc élargir le RSA aux 18-25 ans : ce n'est pas la panacée, mais c'est une aide d'urgence. D'autres solutions d'avenir existent pour émanciper durablement la jeunesse. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE)

M. Pascal Savoldelli .  - Notre vote sera sincère et direct. Mme Apourceau-Poly a évoqué le taux de pauvreté. Un SDF sur quatre a moins de 30 ans. Dans le Val-de-Marne, 5 000 jeunes sont tombés dans la pauvreté...

Vous voulez développer le travail des étudiants. Mais 90 000 d'entre eux arrêtent leurs études pour des raisons financières. Avant la crise sanitaire, il y avait 5,6 millions de personnes au chômage ; et 524 000 emplois à pourvoir. Voulez-vous condamner 5 millions de personnes aux minima sociaux ? Là, il y a des urgences !

Après quatre projets de loi de finances rectificative et un plan de relance, on pourrait tout de même voter cette proposition de loi...

Les étudiants des grandes écoles n'ont pas besoin de travailler pour étudier. Un étudiant de l'ENA touche un salaire d'environ 2 000 euros nets ! Certes, il y a un débat sur l'inconditionnalité par rapport à la valeur travail, qui traverse toutes les sensibilités politiques, et beaucoup de propositions sont sur la table. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

(Exclamations sur les travées du groupe SER)

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°54 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption   93
Contre 232

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 2

Mme le président.  - Si l'article 2 n'était pas adopté, l'article 3, qui en constitue le gage, deviendrait sans objet. Cela vaudrait rejet de la proposition de loi. Je ne vois aucune demande d'explication de vote.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°55 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption   93
Contre 232

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 n'étant pas adopté, l'article 3 n'a plus d'objet.

La proposition de loi n'est pas adoptée.