« Quelle perspective de reprise pour une pratique sportive populaire et accessible à tous ? »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelle perspective de reprise pour une pratique sportive populaire et accessible à tous ? », à la demande du groupe CRCE.

M. Jérémy Bacchi, au nom du groupe CRCE .  - Le sport transcende les clivages, y compris dans cet hémicycle. Sa portée universelle nous permet de mettre de côté nos différends. Face au délitement de la société, il fait partie des outils de la République émancipatrice que nous souhaitons et permet aux populations fragiles d'échapper aux difficultés du quotidien. Ce n'est pas un hasard si la fermeture des lieux sportifs s'accompagne d'une hausse de 80 % des troubles psychologiques chez les moins de 15 ans.

La pandémie nous oblige à revoir notre objectif de trois millions pratiquants supplémentaires d'ici les Jeux de 2024. Aujourd'hui, 180 000 clubs et 108 fédérations sont en souffrance, plus de 70 000 structures craignent de ne pas pouvoir rouvrir. Le nombre de licenciés a baissé de 30 % ; 260 millions d'euros de cotisations ont été perdus.

Je me suis récemment rendu au comité de veille de la Busserine, dans les quartiers nord de Marseille. Là-bas, 65 % des licenciés qui ne sont pas revenus Pire, les locaux sont occupés par des dealers que les bénévoles craignent de ne plus pouvoir faire partir.

Les recettes liées aux événements et au sponsoring ont baissé de plus de 120 millions d'euros. Je salue le soutien apporté aux clubs : 92 % des collectivités territoriales, premiers financeurs du sport français, ont augmenté leurs contributions.

Les pouvoirs publics se doivent de répondre à ces trois questions : qu'est-ce qui a été fait jusqu'ici, quelles réponses apporter dans les semaines et les mois à venir, et quelles leçons tirer de cette situation ?

Madame la ministre, les réponses de votre ministère de tutelle ne sont pas satisfaisantes, notamment pour le sport amateur : 900 000 euros du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et de l'Agence nationale du sport (ANS), 15 millions au titre de l'aide d'urgence, les 100 millions du Pass'Sport. Il faut y ajouter le chômage partiel et le prêt garanti par l'État (PGE) qui bénéficient à 30 000 associations employeurs.

Le déséquilibre avec le monde professionnel est patent. Un président de club amateur me disait récemment : « le sport spectacle, le sport-business où de gros intérêts sont en jeu est visiblement plus important que les autres, on ne l'a pas sacrifié. L'économie prime sur tout, on l'a compris... »

Il est vrai que le sport professionnel a perdu 1 milliard d'euros de recettes et que 350 000 emplois directs sont menacés, ainsi que des milliards d'euros de rentrées fiscales. Mais les clubs professionnels ont bénéficié de 600 millions d'euros de PGE. Ce deux poids, deux mesures interroge.

Du reste, les compétitions amateurs ont été interdites, mais les compétitions professionnelles maintenues. C'est incompréhensible ! Ainsi, des clubs de Martigues, Marseille et Sète, seul celui de Martigues, en Nationale 2, est interdit de compétition. Or il est aussi structuré qu'une équipe professionnelle.

Il y a deux politiques sanitaires et sportives : une pour les amateurs qui ne rapportent pas d'argent, mis en extinction, et une pour les professionnels, pour qui le jeu en vaut la chandelle.

Les compétitions amateurs reprendront-elles, en extérieur ou en salle ? Il a déjà été annoncé que la saison de Nationale 2 était terminée.

Le nouveau masque Salomon est-il une porte de sortie et, le cas échéant, les clubs seront-ils aidés pour en acquérir ?

Plus généralement, le sport professionnel est-il devenu fou ? Moi-même, je suis victime de cette schizophrénie : je voudrais voir les joueurs de mon club de coeur, l'OM, toutes les semaines, tout en restant attaché à l'esprit sportif historique français.

Certains clubs ont exprimé des velléités d'indépendance vis-à-vis de l'État, tout en attendant son soutien financier : toujours la privatisation des profits et la mutualisation des pertes ! La solidarité entre sport professionnel et amateur - les clubs amateurs assurant la pré-formation des jeunes pour les clubs professionnels, qui les soutenaient financièrement en retour - perdurera-t-elle avec le retrait de l'État ?

L'une des conséquences du scandale Médiapro, passée sous silence, est de priver les clubs amateurs d'une manne essentielle. Leur risque d'endettement est réel et suppose de réfléchir au financement du sport.

L'Assemblée nationale a examiné la semaine dernière une proposition de loi sur la démocratisation du sport, déjà annoncée par Laura Flessel en 2017. C'est une bonne nouvelle, mais je partage la colère de la députée Marie-George Buffet : comment démocratiser sans réguler le sport professionnel, ni s'atteler à la gestion de l'État, ni évoquer le sport scolaire, ni enfin s'atteler aux freins à la pratique ? Le sport ressemble à un champ de ruines. Ce texte doit être l'occasion de refonder les pratiques pour faire vivre les valeurs sportives.

Je sais qu'ici, nombreux sont ceux qui partagent cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du GEST et du groupe Les Républicains)

M. Claude Kern .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Vous nous annonciez il y a trois semaines que le sport amateur ne reprendrait pas avant plusieurs semaines, à Pâques, voire à la Trinité ou, qui sait, aux calendes grecques ? Ironie du sport, à la veille des Jeux olympiques...

Plusieurs fédérations ont déjà annoncé l'arrêt du sport amateur pour cette saison. Pourtant, c'est l'impact individuel et collectif du sport, son caractère essentiel pour la santé physique et l'hygiène mentale, qui devraient guider nos décisions.

Il est heureux que le Président de la République ouvre des perspectives, mais la majorité se gargarise de belles paroles. Certes, beaucoup d'efforts financiers ont été faits mais les jeunes doivent être notre priorité, car ils subissent les restrictions plus que d'autres. Quel est votre projet pour eux ?

Quelles nouvelles alarmes de santé nous faut-il encore attendre pour que le Gouvernement agisse ? L'heure n'est plus au pansement sur une jambe de bois - et les jeunes ne sont pas des jambes de bois. L'inactivité et la sédentarité sont une entaille profonde dans la santé publique.

Les jeunes, premiers touchés par la démoralisation de masse, sont bien une génération sacrifiée, même si le terme est galvaudé. Dans leur vie, une année compte pour beaucoup plus.

Quelles activités sportives allez-vous leur proposer ? Selon quel agenda et avec quels moyens ? Comment dépasser l'horizon funeste de l'inactivité des jeunes ? Le sport a-t-il encore une place dans la politique de ce Gouvernement ? On se le demande...

Je remercie le groupe CRCE d'avoir pris l'initiative de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées des groupes CRCE et Les Républicains)

M. Jean-Jacques Lozach .  - Je félicite à mon tour le groupe CRCE.

Le sport sortira affaibli de la crise sanitaire. Des clubs fermeront, des licenciés auront disparu. L'écosystème sportif est touché. Je reconnais les actions menées mais il faut une politique publique affirmée et globale.

Le service public du sport est un bien à partager. Il faudrait prendre au moins trois mesures exceptionnelles : porter de 60 à 80 % le plafond de réduction fiscale, traiter les acquisitions de licences en dons éligibles à un crédit d'impôt et relever le plafond des taxes affectées à l'ANS.

Le Pass'Sport doit devenir une orientation structurelle de nos politiques. D'après une enquête, 40 % des élèves ont vu leur masse graisseuse augmenter ; leur capacité aérobie a reculé de 16 %. Le rapprochement des ministères de l'Éducation nationale et du Sport restera un symbole tant que le nombre d'heures d'EPS ne sera pas augmenté, de la maternelle à l'université.

Le retour à la vie normale s'accompagnera d'une soif d'expression corporelle que l'État devra soutenir. Il faudra aussi encourager d'autres formes de financement, comme le mécénat.

Il convient également de développer la mixité dans le sport, de lutter contre le sexisme et de mieux inclure les personnes en situation de handicap.

Nos équipements sportifs, notamment les piscines, oubliées depuis le grand plan d'équipement de 1971, doivent être modernisés avec un accent mis sur la mixité des usages - sport de haut niveau et de loisirs.

Les exigences territoriales et environnementales devront être prises en compte.

Depuis les années 1980, les pratiques autonomes se sont multipliées tandis que le nombre de licences a stagné, voire diminué - il est à 16,4 millions auxquels s'ajoutent deux millions d'autres titres. Les inégalités territoriales, socioculturelles et genrées demeurent fortes.

L'après-Covid sera une période test pour les acteurs du sport français.

Notre débat rappelle l'importance du sport pour tous. Ce doit être un droit au même titre que l'éducation ou la sécurité, ce qui suppose un accès aux équipements pour tous, un développement équilibré des pratiques et une diversification des métiers d'accompagnement du sport. Dans Parcoursup, les licences STAPS sont les plus demandées, or le recul de 80% en trois ans des emplois aidés du secteur associatif est pénalisant. Le rebond de la pratique passe par une relance de l'emploi sportif qualifié dans les clubs.

Éducation, santé, développement économique, aménagement du territoire, environnement, tourisme, réinsertion sociale : le sport doit être pensé dans sa transversalité et proposer un service à chacun, dans chaque territoire.

Au-delà des mesures d'urgence, le sport français a besoin d'un nouveau cadre et de perspectives claires. Le club doit rester la cellule de base. Un grand quotidien du soir titrait hier : « La proposition de loi visant à démocratiser le sport provoque frustration et regrets ». Espérons que nous saurons lui donner un contenu à la hauteur des ambitions affichées.

Il faut des moyens supplémentaires. Le sport français est en danger ! Or c'est un outil au service de la cohésion sociale et contre les populismes.

La crise sanitaire aura rappelé l'importance du sport dans notre société, pour lutter contre les comorbidités, et, au-delà, l'importance du corps dans nos vies. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Michel Savin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie moi aussi le groupe CRCE pour cette initiative.

Depuis un an, nos espaces de vie sociale se sont modifiés. Durant le premier confinement, 38 % des Français ont réduit leur pratique sportive même si 65 % des Français ont pratiqué une activité physique en 2020, soit presque autant qu'en 2019.

Le sport amateur a connu un coup d'arrêt brutal. Entre juin et octobre, la pratique en club n'a été autorisée que quelques semaines. Malgré les aides, ces structures sont en grande difficulté financière. Il est regrettable qu'aucun plan spécifique n'ait été proposé.

La crise financière sera longue, d'autant qu'il n'est pas certain que les clubs retrouvent leurs licenciés.

Un Pass'Sport a été annoncé, avec un financement de 100 millions d'euros. Quelle forme prendra-t-il ? Quel montant ? Quels bénéficiaires ? À la différence du Pass Culture, il ne sera, hélas, pas universel - nouveau signe de la différence de traitement entre le sport et la culture.

Il serait également utile de considérer l'achat d'une licence comme un don éligible à la défiscalisation. Qu'en pensez-vous ?

De nombreux pratiquants ont pris leur première licence en septembre 2020 : ils n'ont quasiment pas pu pratiquer leur sport... La reprise sera difficile. Les pratiques libres se développent, soutenues par la digitalisation.

Les fédérations s'adaptent, mais l'appui de l'État est nécessaire. Or le plan de relance est insuffisant. Comment le Gouvernement va-t-il aider les clubs et les fédérations lors de la reprise des activités ? Avez-vous un plan ambitieux pour les clubs ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Dany Wattebled .  - La crise a durement fragilisé les pratiques sportives, mais le sport reste indispensable à la santé physique et mentale des Français.

À trois ans des Jeux olympiques, ce débat tombe donc à point nommé. Les clubs, privés de billetterie, de sponsoring et d'une partie de leurs licenciés, souffrent. La situation est inquiétante.

Le sport est un facteur déterminant de santé publique et de cohésion sociale. Le rendre accessible à tous doit être une priorité.

Selon l'OMS, la France se classe au 110e rang pour ce qui est de la pratique sportive régulière des jeunes. Ils sont nombreux à être en surpoids, nous dit l'Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS). On consacre trop peu de temps à l'apprentissage du sport à l'école : sur les trois heures prévues, seule une heure et demie est effective ; la natation souffre, quant à elle, du manque de structures. Inspirons-nous de la Finlande, qui a pris des initiatives intéressantes. Il faut diffuser une culture sportive dès le plus jeune âge en s'appuyant sur les initiatives locales, dans le cadre scolaire et extra-scolaire.

Il faut également lutter contre les dispenses de complaisance et la disparité entre hommes et femmes dans l'accès aux équipements.

Le sport est aussi un élément important de santé au travail et pourrait être intégré, à ce titre, dans les plans de prévention des affections et maladies professionnelles.

La proposition de loi pour la démocratisation du sport sera l'occasion de réfléchir au soutien aux pratiques sportives, qui peuvent être utiles en prévention de la perte d'autonomie ou en accompagnement de l'insertion en milieu carcéral. La vigilance s'impose néanmoins sur la radicalisation dans le milieu sportif : les auditions conduites en janvier 2020 par Nathalie Delattre dans le cadre de la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste ont été édifiantes. Promouvoir le sport pour tous suppose aussi un cadre sécurisé.

Le sport est un enjeu de santé et de cohésion. Avant la recherche de la performance, c'est une école de la volonté et du vivre-ensemble.

Espérons que la reprise du sport en intérieur arrive vite, avec des protocoles adaptés à chaque pratique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thomas Dossus .  - Merci au groupe CRCE pour ce débat. Dans le monde d'après, un monde plus solidaire, plus libre, qui revient à l'essentiel, le sport populaire aura une place centrale.

Pendant le confinement, le sport individuel a constitué un rare espace de liberté. D'après une enquête de Vélo & Territoires, la pratique du vélo a augmenté de 28 %, mais la tendance est fragile. Une étude de 2017 a mis en évidence un risque cardiovasculaire et de cancer réduit de 40 à 50 % pour les personnes qui se rendaient au travail en vélo.

En revanche, la pratique du sport en club est en chute libre, et la reprise de licences en septembre a été très variable selon les sports.

Mais la soif de sport reviendra : notre rôle est d'accompagner et de redynamiser ce mouvement, en soutenant les bénévoles et en renforçant la dimension éducative.

Des mesures spécifiques bienvenues ont été prises - je songe au soutien à la rénovation des équipements ou aux emplois Fonjep (fonds jeunesse et éducation populaire).

Hélas, chaque pas que fait le Gouvernement dans la bonne direction est suivi d'un recul majeur... Ainsi, le projet de loi sur les principes de la République impose, dans ses articles 25 et additionnels, une série d'obligations et de restrictions dans l'accès aux équipements des associations sportives. Le Gouvernement accable ainsi un monde du sport à l'arrêt avec des règles aberrantes et une suspicion détestable.

Une simple promenade en ville ou le long des véloroutes atteste du succès du vélo, qui pourrait bientôt devenir le premier mode de transport en zone urbaine, comme dans les pays du Nord de l'Europe. Pour ancrer une pratique populaire du vélo, la loi d'orientation des mobilités a prévu un programme d'apprentissage visant à ce que chaque enfant maîtrise la pratique autonome du vélo dans l'espace public à son entrée au collège. Malgré nos amendements pour donner corps à cette ambition dans le projet de loi de finances, rien n'a avancé. Dégagez donc les moyens nécessaires !

Les écologistes appellent à une politique globale en faveur du sport populaire, une politique inclusive qui accompagne les changements de notre société. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Anne Ventalon applaudit également.)

Mme Marie Evrard .  - La pratique sportive est variée : individuelle ou collective, en intérieur ou en extérieur, en amateur ou en professionnel.

On a peu parlé du monde sportif, qui traverse pourtant une crise très grave. La pandémie a bouleversé la vie des sportifs, notamment amateurs. La vie sportive ne peut plus se dérouler comme avant et les compétitions sont à l'arrêt.

On estime à 25 % la perte de licences, sur 18 millions, ce qui remet en cause l'équilibre financier des fédérations et la vie des clubs, qui animent la vie sportive dans nos territoires. Bénévoles et dirigeants continuent de se mobiliser pour garder le contact avec les adhérents, avec l'aide des collectivités territoriales. Le conseil départemental de l'Yonne vient ainsi de voter plus de 2 millions d'euros pour le sport.

Il est plus que jamais nécessaire d'offrir des perspectives de reprise au sport amateur et de réfléchir à la place du sport de demain, ouvert au plus grand nombre.

Le Covid-19 a mis en évidence le caractère essentiel du sport, et les mesures renforcées contre l'épidémie annoncées le 18 mars en ont tenu compte, en permettant les déplacements dans un rayon de dix kilomètres pour la pratique sportive, sans limite de temps.

La reprise normale de l'éducation physique et sportive sur le temps scolaire est également bienvenue. Le sport est bon pour le physique comme le moral, et il est vital de rester actif.

Nous devons faire preuve d'agilité, continuer d'innover et de soutenir les associations sportives. Le monde sportif est aidé dans notre pays comme dans nul autre, notamment avec les 120 millions d'euros du plan de relance et le Pass'Sport.

Mais il faut lever les freins pour développer la pratique sportive et faire de la France une nation sportive, selon l'engagement du Président de la République.

Il faut, pour cela, donner un nouveau souffle au monde sportif local. Ancienne adjointe au maire de Migennes chargée du sport, je peux témoigner de son importance.

La Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques sont des opportunités à saisir. Fédérons les énergies locales. L'Yonne, labellisée Terre de jeux, accentue son engagement pour le sport. Libérer les énergies sportives aura un impact positif pour nos territoires mais aussi pour la relance.

Comment comptez-vous encourager la mobilisation des collectivités locales dans la perspective de ces grands évènements, et aborder un avenir meilleur ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Anne Ventalon, M. Cyril Pellevat et Mme Else Joseph applaudissent également.)

M. Éric Gold .  - Je remercie le groupe CRCE de ce débat. En 1928, Jean Giraudoux écrivait dans Le Sport : « il y a des épidémies de tout ordre ; le goût du sport est une épidémie de santé ».

Les mesures sanitaires, drastiques, ont lourdement affecté le monde sportif. On ne compte plus le nombre d'événements annulés. Les salles de sport, gymnases et piscines sont fermés.

Les amateurs, privés de championnats, sont dans l'expectative. Les difficultés risquent d'être durables, compte tenu de l'évaporation des licenciés et des déséquilibres financiers liés à la baisse des recettes de billetterie. Les associations sportives redoutent les défections d'adhérents et de bénévoles, mais aussi le désengagement des sponsors.

Le recul du nombre de licenciés pourrait mettre à mal, lors de la reprise, les championnats de sports collectifs. Certains adhérents pourraient demander un remboursement des cotisations.

Par les valeurs qu'il transmet, par son utilité sociale et son effet sur la santé, le sport est indispensable au vivre ensemble.

Le Pass'Sport financera une licence à hauteur de 50 à 80 euros, ce qui réduira le coût de la pratique sportive pour 1,8 million de jeunes licenciés, touchés de plein fouet par la crise.

Ne peut-on imaginer des mesures fiscales, notamment un crédit d'impôt pour les frais d'adhésion ou des déductions fiscales pour les dons aux associations sportives ? Une part du coût de la licence sportive tient aux frais d'assurance. Les assureurs ne pourraient-ils supprimer leur appel à cotisations, puisqu'il n'y a plus d'événements, et donc plus de risque d'accident ? (MDidier Rambaud applaudit.)

Mme Céline Brulin .  - La pratique sportive est entravée depuis un an. Responsables, bénévoles, familles, pratiquants sont malmenés. Les différents protocoles ont suscité l'incompréhension. Même la pratique du sport libre en plein air, dans les parcs et sur les plages, avait été interdite !

Actuellement, seize départements vivent un troisième confinement. Heureusement, l'activité sportive en milieu scolaire reprend, y compris en intérieur. Il y a quelques semaines, la pratique en salle avait été interdite sans préavis, y compris pour la danse...

Les clubs sont réactifs et sérieux, mais risquent de perdre jusqu'à 30 % des licenciés.

Une pétition lancée par Jason Lorcher, hockeyeur de Rouen, pour dénoncer l'arrêt du sport a déjà recueilli la signature de 30 000 sportifs en détresse.

Chacun connaît les bienfaits du sport pour la santé. La cohésion sociale et l'équilibre psychique sont aussi en jeu. Le sport est facteur de partage en cette période de repli sur soi.

Il ne faudrait pas non plus assécher le vivier qui alimente le sport professionnel. Sport amateur et professionnel se font rayonner l'un l'autre.

Il y a quelques heures, la Fédération française de football a suspendu les rencontres amateurs départementales alors que les éliminatoires de la Coupe du monde commencent. Cela interroge sur le modèle sportif qui émergera de cette crise... Pour nous, le sport est un véritable outil d'éducation, d'inclusion, d'épanouissement et de solidarité. Il est plus utile que jamais. Il faut soutenir la reprise du secteur, ce que nombre de collectivités font déjà. Les financements de l'État doivent être au rendez-vous, au-delà du Pass'Sport.

Il faut réviser en profondeur le financement du monde sportif. Nous faisons des propositions précises et concrètes pour redéfinir un modèle ambitieux. Nous sommes heureux de contribuer ainsi à la relance du monde sportif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Monique de Marco, M. Éric Gold et Mme Anne Ventalon applaudissent également.)

M. Philippe Folliot .  - Enjeu de société, enjeu économique, enjeu populaire, le sport ne représente que 1,7 % du PIB, et 0,14 % du budget de l'État.

Pourtant, dix millions de Français sont licenciés dans des fédérations sportives, et deux sur trois pratiquent un sport chaque semaine.

Pendant longtemps, nous avons opposé sport professionnel et sport de masse. Il faut favoriser la complémentarité des pratiques, non les opposer. À Castres, le rugby est puissamment fédérateur : chaque match rassemblait tous les quinze jours 10 000 personnes, un quart de la population de la ville. C'est la magie du sport ! Président de l'amicale parlementaire de rugby, madame la ministre, je vous demande de continuer à aider les clubs du Top 14.

Notre pays est capable d'organiser des grands événements sportifs, comme la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques ; 310 000 billets ont été vendus en quelques heures pour la Coupe du monde ! Leur réussite dépend du socle que constitue le sport amateur. La pandémie risque d'avoir des effets dévastateurs à cet égard, ainsi qu'en termes de santé publique.

Privés de sport, les jeunes tombent dans diverses addictions - alcool, tabac, voire drogues. La reprise du sport doit être la plus rapide et la plus massive possible.

J'ai consulté les élus de Gaillac, Mazamet, Saint-Sulpice-la-Pointe. Autorisons les acteurs locaux à adapter des règles nationales pour favoriser cette reprise, expérimentons des protocoles spécifiques. Comme l'a écrit Giraudoux, le goût du sport est aussi une épidémie, que nous espérons la plus durable possible ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Éric Gold, Michel Savin et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. Cyril Pellevat .  - Le monde sportif souffre depuis un an, sans perspective de reprise. Seuls les clubs professionnels peuvent s'entraîner, sans masque et avec contact ; les autres restent sur la touche s'ils comptent moins de 70 % de sportifs professionnels. Ce seuil n'est pas adapté aux clubs semi-professionnels.

Je vous ai interpellée sur le sujet, madame le ministre, et vous ai proposé d'autres critères, comme la participation à des compétitions nationales ou européennes. Vous m'avez répondu que la situation sanitaire ne permettait pas une reprise des sports de contact, mais ma proposition ne concernait que des clubs de haut niveau, dont les budgets ne sont pas compensés.

Les conséquences sont catastrophiques pour les clubs qui annulent leur participation à des championnats nationaux et à des compétitions européennes. Certains voient leurs adhérents partir dans des pays limitrophes où les compétitions sont autorisées -  Allemagne, Suisse, Italie, Finlande, Espagne, entre autres. Il est trop tard pour rattraper cette situation.

Les clubs sont conscients de la situation et leurs revendications sont proportionnées à la situation sanitaire. D'ici l'été, il faudra reprendre les sports de contact, au moins pour les clubs qui évoluent en compétition nationale ou européenne. En aucun cas, il ne faut reconduire cette règle absurde des 70 %. Êtes-vous prête à étudier cette proposition raisonnable ?

Les salles de sport ont fermé durant le premier confinement, puis depuis octobre dernier. Plus de 300 ont déjà déposé le bilan. Pourtant, le sport participe de la lutte contre la pandémie puisque ceux qui le pratiquent seront moins exposés aux formes graves. Une pratique en extérieur, avec distanciation, ne présente que très peu de risques. Allez-vous défendre leur réouverture dans les départements où le virus circule peu ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Anne Ventalon .  - (M. Michel Savin applaudit.) Le sport joue un rôle essentiel dans nos sociétés. La culture physique a même une portée civilisationnelle.

Au-delà du désarroi des professionnels et des pratiquants, j'ai senti en Ardèche un sentiment d'incompréhension et de gâchis. Des protocoles adaptés à la crise auraient été préférables. Aucun cluster n'a été constaté dans une salle, d'autant qu'il est aisé de contrôler les arrivées et les départs.

Le masque est indispensable mais peu compatible avec l'activité physique. Devons-nous alors renoncer au sport ? Non ! Une entreprise ardéchoise, Chamatex, développe des masques adaptés. Soutenons-la, et faisons confiance au French flair.

En cas de nouvelle épidémie, il faudra songer à adapter les pratiques. Vos services doivent travailler sur un modus operandi.

Nous connaissons désormais l'importance du sport en matière sanitaire. Des protocoles adaptés pourront ainsi être appliqués. Le Collectif événementiel sportif Outdoor propose des expérimentations encadrées en plein air. Accompagnons-les.

Nous avons été surpris en 2020 ; nous devons désormais être préparés. Passons à ce format adapté plus vite, avec un niveau de maintien de la pratique plus haut, et nous en sortirons plus forts.

Madame la ministre, vous qui avez jadis prêté le serment olympique, engagez-vous aujourd'hui pour l'avenir du sport ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Claude Kern et Jérémy Bacchi applaudissent également.)

La séance est suspendue pour quelques instants.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée chargée des sports .  - Je remercie le groupe CRCE d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour du Sénat. Votre assemblée affirme ainsi sa motivation à traiter ce sujet, notamment à la faveur de l'examen de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.

Ce texte est au coeur de notre actualité sanitaire et des préoccupations tant des associations sportives que des collectivités territoriales. Soutenir le sport est essentiel à la cohésion sociale et au vivre ensemble. Il s'agit d'ouvrir de nouveaux champs d'action aux associations sportives : à l'école, dans l'entreprise, auprès des personnes handicapées, dans le domaine de la santé...

Il faut aussi structurer différemment ce secteur associatif créateur d'emplois. Le sport est non seulement une activité économique, il est aussi vital pour nos enfants, nos adolescents, qui y trouvent l'expression d'une passion, d'un engagement personnel, voire un projet de vie.

Le titre I ouvre davantage le champ d'intervention du secteur associatif, pour l'aider à se structurer, à aller chercher de nouveaux publics, à renforcer ses liens avec les collectivités locales.

Le titre II évoque le renouveau du monde sportif. Lorsque je suis arrivée au ministère, Laura Flessel avait déjà initié une réforme, en lien avec les collectivités territoriales et le monde économique, afin de nouer des relations différentes et autoriser des financements nouveaux. L'Agence nationale du sport a été créée pour instaurer une gouvernance partagée. En contrepartie d'une autonomie accrue, le monde sportif devait se repenser et se renouveler : parité, lien plus fort entre instances fédérales et clubs, limitation du nombre de mandats à la tête des fédérations pour favoriser le renouvellement des générations.

Enfin, le titre III concerne le modèle économique du sport amateur comme professionnel, car les deux sont liés.

Le sport sera également abordé à l'article 25 du projet de loi confortant le respect des principes de la République : les contrats de délégation renforceront le lien entre les clubs, les fédérations et l'État. Seront évoquées la performance sociale du sport et ses externalités positives. Ces contrats ne visent pas à contrôler les fédérations mais à valoriser les initiatives positives, qui défendent les valeurs républicaines, l'éthique, l'intégrité sportive.

Je me suis permis de faire la promotion de ces deux textes car ils sont d'une importance majeure dans la gestion de la crise.

La pratique en intérieur et la pratique collective sont compliqués par la pandémie. Je souhaite défendre au mieux l'action sportive et son écosystème. Il faut aussi soutenir le secteur économique du sport - salles de sport privées et magasins.

Nous sommes tous embarqués dans la même aventure, qui nous mènera à deux événements marquants : la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques en 2024. Nous devons être à la hauteur de nos candidatures, malgré la crise.

Aussi, il me semble essentiel de privilégier la pratique des professionnels. D'abord arrêtés durant le premier confinement, ils sont devenus public prioritaire en septembre. Ils doivent subir des tests réguliers et se protéger au maximum du virus. Nous sommes en lien avec le sport professionnel pour maintenir cette activité et motiver les sportifs.

Nous aidons aussi les organisateurs d'événements, qui proposent des protocoles adaptés. Nous sommes également attachés à la thématique du sport-santé, que le Président de la République entendait valoriser dès avant la crise. Nous avons labellisé 300 maisons sport-santé sur les 500 annoncées d'ici la fin du quinquennat. La deuxième vague est lancée, et 3,5 millions d'euros y seront dédiés sur les territoires.

Nous préservons au mieux la pratique scolaire et associative pour les enfants. La reprise du sport est possible pour tous, mais en extérieur.

Nous comptons beaucoup sur le développement du masque « sportif » de seconde génération qui permettra une respiration plus facile, et donc une pratique plus large en intérieur. Ce masque pourra aussi servir aux métiers du bâtiment ou aux professionnels qui parlent beaucoup.

La reprise des cours d'EPS est possible pour les enfants d'une même classe. L'arrêt de toute pratique sportive depuis le 15 janvier avait inquiété. Les enfants ont besoin de faire du sport.

La reprise se dessine : d'abord avec les enfants, dans le cadre scolaire et périscolaire, à l'intérieur. Nous nous rapprochons aussi des associations indoor pour les inciter à se rapprocher d'associations pratiquant en extérieur, et à demander la mise à disposition d'espaces publics municipaux. (M. Michel Savin semble dubitatif.)

Le report d'une heure du couvre-feu offrira une motivation accrue et un espace de liberté pour pratiquer le sport après l'école ou le travail. Nous aiderons financièrement les collectivités territoriales à anticiper l'ouverture d'équipements comme les piscines extérieures ou les cours de tennis pour les mettre à la disposition des associations.

Je compte sur vous pour transmettre ce message aux collectivités territoriales : nous les aiderons à financer le fonctionnement de ces équipements.

Conscients des difficultés nées de la crise, nous avons mis en place de nombreuses aides. Les associations qui ont des salariés ont bénéficié des mêmes aides que les entreprises - fonds de solidarité de la DGFiP, chômage partiel, fonds de solidarité.

Pour celles qui ne fonctionnent qu'avec des bénévoles, l'ANS a débloqué deux fois 15 millions d'euros : 8 000 associations sportives ont bénéficié de cette aide d'urgence. En temps normal, l'État aide 20 000 associations sportives sur les 380 000 existantes. Nous avons rempli notre part du contrat.

Nous avons veillé à l'équité entre sport professionnel et sport amateur. Nous avons débloqué 107 millions d'euros pour compenser les pertes de billetterie ; certains clubs ont touché jusqu'à 5 millions d'euros. Une deuxième salve d'aides est en cours de négociation à Bercy.

Les clubs qui accueillaient du public ont été aidés autant que possible, même si la compensation était plafonnée.

Le plan de relance prévoit 50 millions d'euros pour la rénovation des équipements sportifs ; 30 millions d'euros supplémentaires sont destinés aux équipements des quartiers prioritaires de la ville (QPV).

Avec le Pass'Sport, nous aidons les personnes en difficulté financière pour la rentrée. Y sont éligibles les enfants de 6 à 16 ans, voire 20 ans pour les jeunes en situation de handicap. Ce sont 100 millions d'euros, pour deux millions de personnes, en sus des aides des collectivités. Nous continuerons à travailler main dans la main pour soutenir les structures associatives du sport amateur.

Je suis très attachée à la solidarité entre sport amateur et professionnel. Par mon parcours, je connais l'importance du sport en termes d'insertion. Le sport m'a permis de trouver ma place en France, de connaître la République et ses valeurs. Il faut encourager les talents et soutenir, avec les collectivités territoriales, les associations et les entreprises, toutes les pratiques, car le sport est essentiel au bien-être physique et psychologique des Français. Je compte sur votre engagement au service du sport ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur diverses travées du groupe UC)

Prochaine séance demain, jeudi 25 mars 2021, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 25 mars 2021

Séance publique

À 14 h 30 et, éventuellement, le soir

Présidence : M. Pierre Laurent, vice-président M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires de séance : Mme Esther Benbassa - M. Daniel Gremillet

1. Débat sur le thème : « Veolia-Suez : quel rôle doit jouer l'État stratège pour protéger notre patrimoine industriel ? » (demande du groupe SER)

2. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste (texte de la commission, n°468, 2020-2021) (demande du groupe UC)

3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (texte de la commission, n°473, 2020-2021) (demande du Gouvernement)