Diverses mesures de justice sociale (Deuxième lecture)

Discussion générale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la deuxième lecture de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État, chargée des personnes handicapées .  - Depuis quatre ans, la politique du handicap est la priorité du quinquennat. Mon secrétariat d'État est rattaché au Premier ministre, ce qui a permis la tenue de cinq comités interministériels du handicap sous l'égide de ce dernier.

Avec le Président Macron, nous avons réalisé des avancées concrètes, avec et pour les personnes en situation de handicap.

Nous avons ainsi renforcé la participation des personnes en situation de handicap, pour qu'elles soient considérées comme des citoyens à part entière et non simplement à part. Tous les acteurs de terrain ont porté cette action : nous avons travaillé aux côtés des syndicats, des collectivités territoriales, des employeurs et des associations.

Grâce à ce succès collectif, nous avons créé une société de l'autodétermination plutôt que de l'assignation à résidence, une société inclusive, où la diversité est une force.

Cette société de l'autodétermination et de la confiance, c'est celle qui met en oeuvre des droits à vie quand le handicap est irréversible, comme nous l'avons fait en 2019.

Pour parvenir à cette société du choix, et remettre les personnes en situation de handicap au coeur de leur pleine citoyenneté, nous consacrons chaque année 52 milliards d'euros aux politiques du handicap, soit 2,3 % du PIB. Cela nous place au troisième rang européen.

C'est un investissement justifié et légitime. Les personnes en situation de handicap doivent accéder pleinement à leurs droits - au vote, à l'éducation, à la formation, à la parentalité, à travailler, à se loger décemment. En mars 2019, nous avons ainsi rétabli le droit de vote pour les majeurs protégés, demandé depuis trente ans par les familles et les associations.

Nous faisons le choix de l'autodétermination, et non de l'assignation à résidence car nous avons confiance en la capacité des personnes en situation de handicap à être décisionnaires à toutes les étapes de leur vie. Nous soutenons ainsi l'habitat inclusif où ces personnes peuvent vivre chez elles en colocation, mais accompagnées.

Nous avons profondément transformé les modalités de la scolarité pour accueillir 400 000 enfants handicapés, dont 41 000 autistes, en 2020, soit une augmentation de près de 20 % depuis 2017. Une formation initiale de 25 heures à la diversité des handicaps est désormais dispensée aux enseignants. Nous avons aussi sécurisé le statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) : désormais, ils seront recrutés exclusivement en CDI après un CDD renouvelable une fois.

Une société de la confiance, c'est aussi une société où l'État est profondément convaincu de la capacité de ces personnes à travailler et à exprimer leur richesse. C'est pourquoi nous devons leur garantir l'accès à toute activité qui peut contribuer à leur épanouissement. Nous avons ainsi développé l'accompagnement des personnes en situation de handicap et de leur employeur, à travers le job coaching, l'emploi accompagné, la mise en place de référents handicap dans les entreprises.

Cette politique a porté ses fruits : le nombre de demandeurs d'emploi en situation de handicap a diminué de 4 % depuis 2020. Depuis la mise en place de l'aide de 4 000 euros au recrutement, 20 000 contrats ont été signés à ce titre. Nous défendons une société qui prône l'autodétermination et l'émancipation par le travail. Cet objectif, me semble-t-il, est partagé.

Venons-en à la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), objet de cette proposition de loi. (On feint le soulagement sur plusieurs travées.)

Secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, je devrais être très en faveur d'une telle mesure ; mais c'est en réalité une fausse bonne idée. Notre société est basée sur la solidarité nationale et familiale. À quelques mois de l'élection présidentielle, tous les partis s'emparent de cette demande, alors que nous avons hérité, en la matière, d'une situation qui datait de 1975 avec la mise en place de l'AAH.

Le 24 octobre 2018, votre majorité sénatoriale repoussait pourtant, par un vote unanime de ses 145 membres présents, la proposition de loi de Laurence Cohen mettant en place la déconjugalisation. Vous estimiez alors qu'une telle mesure conduirait à « penser l'individu en dehors des structures dans lesquelles il est incorporé »... Vous considériez aussi que la proposition de loi posait plus de questions qu'elle n'en résolvait, puisque tous les minima sociaux prennent en compte les revenus du foyer : il faudrait tout remettre à plat, si l'on individualisait l'AAH.

Vous vous opposiez, vous aussi, à cette vision qui fait des personnes en situation de handicap des objets de soins et non des sujets de droit. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

Et vous y étiez toujours opposés lors de l'examen du projet de loi de finances 2020, dans la cohérence de vos positions défendant l'articulation de la solidarité nationale avec la solidarité familiale, parce que le foyer est la cellule de protection de notre société.

Nous défendions ensemble, alors, ce fondement du code civil qu'est l'article 220 qui pose le principe de la solidarité entre époux. Vous vous indigniez d'une individualisation qui « participe de cette vision individualiste de l'homme et de la société qui tend vers un éclatement du lien social et une déconstruction de la famille ».

L'AAH créée par la loi du 30 juin 1975 a pour objet d'assurer des conditions de vie dignes aux personnes en situation de handicap. Elle est fondée, comme le RSA, l'allocation de solidarité spécifique ou l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), sur la solidarité nationale. C'est bien un minimum social, malgré son rattachement au code de la sécurité sociale.

Pourquoi, alors, ne pas débattre de la déconjugalisation de l'ASPA ? C'est une allocation très similaire, avec le même plafond. Ouvrons le débat pour toutes les prestations de ce type.

Le Gouvernement a choisi d'augmenter les prestations sans toucher aux principes fondateurs du système. C'est ce que nous faisons depuis 2017 en portant l'AAH de 800 à 904 euros mensuels pour le 1,2 million de bénéficiaires, soit un effort de deux milliards d'euros. Au total, cette allocation représente un investissement de plus de 12 milliards d'euros.

Quels sont les effets de cette proposition de loi ? D'abord, dans 30 % des couples, c'est la personne qui touche l'allocation qui travaille : ce sont eux, fiers d'être citoyens, qui verront leur pouvoir d'achat baisser. Certaines de ces 44 000 personnes verront même l'allocation supprimée. Conscients de ce problème, vous proposez un droit d'option qui ne fait que complexifier les choses. Où est la justice sociale, mesdames et messieurs les sénateurs communistes et socialistes, quand le pouvoir d'achat des plus aisés augmente et celui des plus pauvres diminue ?

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Ce n'est pas ce que nous disent les associations !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Vous faites entrer dans le système les couples les plus aisés, et en faites sortir les plus modestes. La justice sociale, c'est flécher la solidarité nationale vers ceux qui en ont le plus besoin.

Si vous élargissiez la déconjugalisation à tous les minima sociaux...

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Ce n'est pas l'idée !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - ... cela coûterait 20 milliards d'euros. Nous assurons un investissement supplémentaire de 185 millions d'euros grâce à un abattement forfaitaire de 5 000 euros, qui représentera pour 120 000 personnes un supplément de plus de 110 euros en moyenne. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sera dans le projet de loi de finances 2022. C'est un investissement redistributif, plus juste socialement.

Selon certains d'entre vous, les personnes en situation de handicap ne pourraient pas sortir de l'emprise de leur conjoint à cause de la conjugalisation. Or, grâce au dispositif mis en place avec les caisses d'allocations familiales, ces personnes, si elles quittent leur conjoint, retrouvent en dix jours la totalité de leur AAH, sans justificatif à présenter.

Si vous le souhaitez, ouvrons la voie à l'individualisation de toutes les allocations...

Mme Michelle Meunier.  - Chiche !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Le groupe Les Républicains estimait que l'on ne pouvait aborder un tel sujet au détour d'une proposition de loi, souhaitant une réflexion globale sur le modèle social du XXIsiècle... Ce texte est loin du pacte social qui nous est cher. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme la présidente.  - Saluons les membres du conseil municipal des enfants de Caumont-sur-Durance, dans le Vaucluse, accompagnés par le sénateur Jean-Baptiste Blanc. (Mmes et MM. les Sénateurs applaudissent.)

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Les amateurs de débat démocratique trouveront décevant le sort réservé à ce texte.

Nous avions saisi l'occasion de la première pétition en ligne à atteindre les 100 000 signatures pour entériner le changement de logique de l'AAH, en inscrivant à l'ordre du jour du Sénat ce texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, qui déconjugalisait la prestation.

Nous ne pouvions pas adopter conforme le texte de l'Assemblée nationale qui, en supprimant le plafond de ressources, pénalisait plusieurs dizaines de milliers de personnes. Aussi l'avons-nous rétabli et mis en place à l'article 3 bis un mécanisme de transition pour les perdants du nouveau système.

En nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement, n'étant pas sûr du vote de sa majorité, a fait usage des outils réglementaires les moins recommandables pour rétablir la conjugalisation. Notre abattement proportionnel a été remplacé par un abattement forfaitaire de 5 000 euros par an, avec un abattement supplémentaire de 1 100 euros par enfant à charge

Le Gouvernement souligne que sa proposition ne fait aucun perdant ; mais la nôtre non plus. Le Gouvernement dit aussi qu'il n'y aura aucun système informatique pour mettre en oeuvre notre solution de transition proposée à l'article 3 bis. Je ne prétends pas que c'est la meilleure, mais aucun des adversaires de Jean-Jacques Rousseau n'avait osé opposer l'informatique à la volonté générale exprimée par la loi...

Environ 120 000 ménages bénéficieraient de 110 euros supplémentaires, selon les services statistiques des ministères sociaux. Je ne voudrais pas ressortir, comme vous l'avez fait, madame la ministre, les dossiers qui fâchent, mais la baisse du coefficient multiplicateur pour les personnes en couple de 2 à 1,89 en 2018, puis à 1,81 au 1er novembre 2019, a permis 12 millions d'économies en 2018, 157 millions d'euros en 2019 et de 287 millions d'euros en 2020. Autrement dit, vous ne redistribuez qu'en partie les économies réalisées sur le dos de ces couples. Si c'est cela, la redistribution, vous en avez une conception originale...

En réalité, votre dispositif passe complètement à côté de la demande sociale : non pas une augmentation des prestations, mais une déconnexion qui rendrait la prestation plus propice à l'autonomie au sein du couple.

Le Sénat n'a fait que prendre acte des changements intervenus dans les politiques de soutien à l'autonomie de nos concitoyens. Nous disposons également, désormais, de données chiffrées sur les conséquences du changement de calcul, et nous connaissons mieux, grâce aux associations, la réalité des mécanismes de dépendance financière au sein du couple, qui pénalise surtout les femmes.

Enfin, une clarification a été opérée au plus haut niveau sur les principes de la politique du handicap. Le Gouvernement a, à l'Assemblée nationale, qualifié l'AAH de minimum social de droit commun ; la députée Jeanine Dubié, auteure de la proposition de loi, a répondu que c'était une prestation à vocation spéciale. C'est elle qui a raison : l'AAH est très particulière, dans ses conditions de versement, dans son assiette.

Le Président de la République lui-même a décidé de retirer l'AAH du chantier de la refonte des minima sociaux car, contrairement à la précarité, le handicap n'est pas une situation transitoire.

De même, le rapport de préfiguration de la cinquième branche de M. Vachey, rendu en septembre, préconisait le transfert de l'AAH vers la branche autonomie, car elle n'est pas un pur minimum social.

La commission des affaires sociales puis le Sénat ont donc accepté la déconjugalisation, en prémunissant les ménages pendant dix ans des conséquences négatives d'un changement de régime. Nous souhaitons aujourd'hui rétablir ce texte.

Plus profondément, il manque une vision cohérente du handicap qui rendrait les outils existants plus efficaces.

Le Gouvernement a introduit son dispositif à l'article 43 du projet de loi de finances. Nous devrons l'y suivre, même si en la matière la marge de manoeuvre des parlementaires n'est pas grande...

La volonté de déconjugaliser l'AAH a été exprimée par 100 000 citoyens par voie de pétition, par les deux chambres du Parlement, et elle tire les conséquences d'une décision présidentielle. Y faire obstacle est la preuve d'une obstination bien singulière... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, GEST et SER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Il y a sept mois, nous nous réjouissions de l'examen de cette proposition de loi, aboutissement d'années de mobilisation en faveur de la dignité.

La Commission consultative des droits de l'homme (CNCDH), la Défenseure des droits et le comité des droits des personnes handicapées des Nations unies demandent la déconjugalisation. Mais le Gouvernement s'est livré à un travail de sape pour vider la proposition de loi de sa force émancipatrice en remplaçant la déconjugalisation par un abattement...

De quoi ce refus de la déconjugalisation est-il le nom ? Il s'agit en réalité d'une résistance idéologique pure et simple : le refus de reconnaître que toute personne qui ne peut pas travailler a droit à un revenu individuel d'existence lui assurant sécurité, autonomie et dignité.

L'AAH n'est pas plus un minimum social qu'un revenu de remplacement : c'est un revenu d'existence. Le droit ne doit pas générer de dépendance ou d'asymétrie délétère dans le couple.

Même en incapacité de travailler, la personne en situation de handicap a droit à un revenu propre. C'est à cette fin que la commission des affaires sociales a adopté à nouveau la déconjugalisation.

Les écologistes appellent les députés à voter conforme le texte qui sera adopté aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Dès 2018, le groupe CRCE avait inscrit à l'ordre du jour une proposition de loi de Marie-Georges Buffet supprimant la prise en compte du revenu du conjoint dans le calcul de l'AAH, à l'époque refusée par la droite.

Nous saluons son changement de position, aidé par les 100 000 signataires à la pétition demandant un mécanisme qui garantit l'individualisation et l'absence de perdants dans le nouveau dispositif.

Le Gouvernement s'obstine pour des raisons idéologiques. En 2018, vous avez refusé notre proposition qui aurait fait, selon vous, 57 000 ménages perdants sur les 270 000 allocataires en couple. Et en 2021, vous invoquez l'informatique...

Madame la secrétaire d'État, respectez l'autonomie des personnes, sortez des notes administratives fournies par Bercy ! L'AAH est d'ailleurs déjà individualisée si les deux membres du couple en bénéficient. C'est une prestation qui relève du code de la sécurité sociale et non du code de l'action sociale et des familles.

Mme Laurence Cohen.  - Tout à fait.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Au mois de septembre, le comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a appelé la France à séparer les revenus des personnes handicapées de ceux de leur conjoint ; le 30 de ce même mois, la CNCDH a demandé une déconjugalisation de la prestation. Enfin, mardi dernier, des associations ont écrit au Président de la République pour qu'elle soit reconnue comme revenu d'existence. Acceptez l'évidence, madame la ministre, et soutenez cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.) Difficile de ne pas se répéter en deuxième lecture, mais les rapports du Sénat et de l'Assemblée m'ont rappelé cette devise des Shadoks : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ».

N'agissons pas comme des Shadoks : déconjugaliser l'AAH est simple, votre abattement est complexe et se méprend sur la demande. Les personnes en situation de handicap demandent avant tout plus d'autonomie.

Ensuite, il n'y a de grandeur politique que dans des décisions assumées. Nous devons être clairs, comme l'est la demande de plus de 100 000 personnes qui veulent une déconjugalisation, pas un abattement ou une niche fiscale.

La demande est limpide, la réponse doit l'être. Sans cette exigence, comment reprocher aux citoyens de ne pas comprendre les institutions ?

Au nom du groupe UC, je vous appelle à vous servir de cette proposition de loi pour montrer aux citoyens les plus fragiles qu'ils sont entendus.

Ne réduisons pas l'AAH à un minimum social. Le groupe UC entend cette demande légitime d'autonomie et votera le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. Stéphane Artano .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, applaudit également.) Dans un courrier adressé le 5 octobre au Président de la République, plus de vingt associations l'appellent à considérer avant tout l'AAH comme un revenu individuel de subsistance.

Sur 270 000 bénéficiaires en couple, 25 % ne bénéficiaient d'aucune revalorisation et 15 % d'une revalorisation partielle.

En mars, le Sénat avait validé sa déconjugalisation, avancée majeure pour l'autonomie. Les personnes en situation de handicap ne doivent pas avoir à choisir entre vivre en couple et percevoir un revenu. J'ai une pensée particulière pour ces femmes handicapées forcées, faute de moyens, de rester avec leur bourreau...

Au cours des débats houleux à l'Assemblée nationale, vous avez fait remplacer la déconjugalisation par un abattement.

Mais l'AAH est une prestation hybride : le Président de la République, en février 2021, l'a retiré du périmètre des discussions sur un revenu universel d'activité.

Le Sénat s'indigne de devoir à nouveau débattre sur ce que certains d'entre nous appellent le prix de l'amour.

Le RDSE soutient cette déconjugalisation pour répondre à l'égalité entre bénéficiaires et le primat de la solidarité nationale sur la solidarité familiale.

Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)

Mme Michelle Meunier .  - La proposition de loi porte essentiellement sur le mode de calcul de l'AAH. En mars, le Sénat a changé de regard sur cette prestation, donnant raison aux personnes en situation de handicap qui aspiraient à plus d'autonomie au sein du couple. L'Assemblée nationale avait adopté la proposition de loi contre l'avis du Gouvernement, sous la pression sociale.

Le rapporteur a modifié sa position depuis l'examen de la proposition de loi du groupe CRCE, en octobre 2018 ; je m'en félicite au nom du SER.

Voici deux semaines, répondant à une question d'actualité au Gouvernement, vous souteniez, madame la ministre, que la déconjugalisation favoriserait les couples aisés : or précisément, c'est la conjugalisation qui heurte les 100 000 signataires de la pétition, qui estiment qu'il ne faut pas priver de revenu autonome quelqu'un dont le conjoint gagne bien sa vie. « Stop à la dépendance financière dans le couple », disent les associations.

De plus, contrairement à ce que vous affirmez, la réforme ne fera pas de perdants, grâce au principe de faveur introduit par la commission pour une durée de dix ans.

Vous avez encore rappelé l'augmentation de l'AAH de 100 euros en 2017. Je vous en donne acte ; mais vous avez aussi nivelé par le bas les montants de la majoration pour vie autonome et du complément de ressources, et renforcé la participation forfaitaire pour actes lourds en 2018. La CNCDH a ainsi souligné que toutes ces mesures s'opèrent à coût constant, alors que la population éligible est en augmentation...

Enfin, l'AAH doit absolument être au moins équivalente au seuil de pauvreté, pour ne pas faire de citoyens à part.

Ce débat mérite mieux que des joutes oratoires, alors que les cordons de la bourse restent serrés pour l'AAH, et que le chantier d'une véritable prestation d'autonomie n'a pas été ouvert, faute de la loi pour le grand âge et l'autonomie longtemps promise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE et du GEST)

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je dois évoquer la politique du Gouvernement : plus de 51 milliards d'euros sont consacrés chaque année aux personnes en situation de handicap, dont 11,1 milliards pour l'AAH, soit 2 milliards de plus sur le quinquennat. L'AAH a augmenté de 12 %, passant de 810 euros en avril 2018 à 902 euros par mois.

Le développement des plateformes de repérage des troubles autistiques et l'école inclusive, la fluidification des parcours, la hausse de 71 % du nombre d'apprentis handicapés, la transformation des MDPH sont autant d'avancées partagées par presque tous ici et que nous devons au Gouvernement.

Lundi dernier, le ministre annonçait encore l'ouverture de l'AAH aux personnes en situation de handicap mental, psychique ou de trouble du développement neurologique. Nouvelle attitude shadokienne ici !

L'AAH offre un minimum pour vivre, même célibataire. Le vrai problème au sein des couples ce sont les violences conjugales, contre lesquelles le Gouvernement a proposé des dispositifs spécifiques. En outre, cette mesure remet en cause le modèle de solidarité familiale.

Le groupe RDPI défendra un amendement pour rétablir l'article 3 dans la version de l'Assemblée nationale.

Enfin, je rappelle que l'abattement qui sera proposé au projet de loi de finances pour 2022 rapportera 110 euros en moyenne à 120 000 personnes en situation de handicap.

Certains martèlent que l'État doit être économe, mais cette proposition de loi représente un coût de 750 millions d'euros. Ce n'est pas notre conception du « en même temps ». Le RDPI votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Véronique Guillotin et Élisabeth Doineau applaudissent également.) L'AAH est un revenu de solidarité créé en 1975, versé à 1,2 million de personnes dont 270 000 en couple, soit 11 milliards d'euros par an. L'allocation prend en compte les revenus du foyer : la solidarité nationale complète la solidarité familiale sans la remplacer.

Mais des associations ont écrit au Président de la République pour que cette allocation soit avant tout considérée comme un revenu d'existence et déconjugalisée. Il s'agit de garantir la pleine indépendance financière des personnes handicapées, en particulier des femmes, dont la surexposition aux violences conjugales est alarmante.

En première lecture, j'ai voté en faveur de cette mesure, attendue de longue date par des milliers de personnes placées en situation de dépendance à l'égard de leur conjoint. Malgré l'abattement de 5 000 euros proposé par le Gouvernement, ma position n'a pas varié.

D'autant que la commission des affaires sociales a eu soin de limiter les effets de bord de cette réforme - je pense aux 44 000 foyers qui seraient perdants - et d'en réduire le coût, à 560 millions d'euros, en revenant sur le déplafonnement des ressources. Elle a prévu également une modulation du plafonnement en fonction du nombre d'enfants à charge.

Je soutiens cette mesure de justice sociale, qui complétera utilement les efforts du Gouvernement en matière de handicap. À titre personnel, je voterai la proposition de loi dans la rédaction issue de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; Mme Monique Lubin applaudit également.)

M. Édouard Courtial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre débat fait écho à celui qui s'est tenu jeudi dernier à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe Les Républicains.

Déconjugaliser l'AAH, comme nous le proposons et comme le tissu associatif le demande, c'est faire cesser une injustice persistante qui entrave l'autonomie des bénéficiaires, entraînant un sentiment d'inutilité et de perte de dignité. Il est insupportable que les personnes handicapées aient à payer un « prix de l'amour ».

Il y a urgence à revenir sur un mode de calcul qui viole nos engagements en matière de droits humains.

Sur la proposition du Gouvernement, les députés de la majorité ont préféré instaurer un abattement forfaitaire de 5 000 euros, augmenté de 1 100 euros par enfant à charge. En cherchant à jouer sur deux tableaux, le Gouvernement ne contente personne. Notre rapporteur propose donc à raison de rétablir la rédaction du Sénat.

Le mécanisme proposé par le Gouvernement ne consiste qu'à rendre aux allocataires ce qui leur a été retiré depuis 2019, notamment par les modifications du coefficient applicable aux personnes en couple, tombé à 1,81 - Philippe Mouiller s'inquiétait des effets de cette mesure dès son avis sur la mission « Solidarité » du budget 2019.

Par ailleurs, ce dispositif ne répond pas à la revendication d'autonomie des personnes en situation de handicap, en particulier des femmes, dont les revenus sont en moyenne plus faibles et qui sont plus exposées aux violences conjugales.

Une mesure de faveur fiscale ne saurait réparer une injustice fondamentale. L'adoption conforme est donc impossible.

Mme la secrétaire d'État fait valoir que nous ouvririons une boîte de Pandore. En réalité, l'AAH est une prestation d'assistance particulière : assiette relativement peu large de revenus pris en compte, mode de calcul des ressources personnelles assez avantageux, niveau plus élevé que ceux des autres minima sociaux, à la faveur des revalorisations successives depuis 2008.

Madame la secrétaire d'État, entendez notre appel, partagé par de nombreux groupes politiques. Le Gouvernement ne peut avoir raison seul contre tous !

Ce sujet mérite mieux que les débats politiciens et les conflits stériles. Puissiez-vous donc ne pas commettre la même erreur qu'il y a trois ans, sur la proposition de loi des Républicains pour l'inclusion des élèves en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE 3

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - L'AAH n'est pas une prestation sociale, mais une compensation du handicap par la société, destinée à assurer l'autonomie.

Aussi, madame la secrétaire d'État, je ne puis imaginer que vous acceptiez la perte d'autonomie et de dignité liée au mode de calcul actuel. Il est injuste d'imposer aux personnes handicapées de vivre dans l'ombre de leur partenaire !

J'insiste : voter la déconjugalisation n'est pas remettre en cause notre système de protection sociale, puisque l'AAH n'est pas une prestation sociale.

Visiblement, madame la secrétaire d'État, c'est Bercy qui décide... Car, connaissant votre engagement personnel, je ne puis croire que vous n'adhériez pas à cette juste cause.

Je me réjouis que la commission ait maintenu sa position. La déconjugalisation sera un pas vers la société plus inclusive que nous appelons de nos voeux. Par le passé, nous avons réalisé d'autres avancées. Aujourd'hui, faisons ensemble ce pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Laurence Cohen .  - La déconjugalisation, demandée par les associations, nous la défendons depuis la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en 2018 par Marie-George Buffet.

Le « prix de l'amour » n'est pas acceptable, et trop de femmes en situation de handicap souffrent de violences conjugales. C'est pourquoi la Défenseure des droits recommande l'individualisation du calcul.

Comment justifier que l'AAH baisse lorsque le conjoint part à la retraite - de 3 276 euros annuels dans l'exemple que j'ai à l'esprit ? C'est scandaleux !

Non, madame la secrétaire d'État, vous n'avez pas raison envers et contre tout. Entendez les revendications des associations et revenez sur votre position. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du RDSE)

Mme la présidente - Amendement n°2, présenté par M. Lévrier et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Rédiger ainsi cet article :

I.  -  Le premier alinéa de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les revenus perçus par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité qui n'est pas allocataire de l'allocation aux adultes handicapés font l'objet d'un abattement forfaitaire dont les modalités sont fixées par décret. » 

II.  -  Le présent article s'applique à compter des allocations dues au titre du mois de janvier 2022.

M. Martin Lévrier.  - Nous souhaitons rétablir l'article 3 dans la rédaction issue de l'Assemblée nationale.

L'AAH est un minimum social, destiné à assurer des conditions de vie dignes. Sa déconjugalisation aurait des conséquences sur l'ensemble de notre système de solidarité.

L'abattement défendu par le Gouvernement est à la fois plus efficace et plus juste. Il satisfera les besoins de chacun en assurant la pérennité de notre modèle de protection sociale.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Avis favorable. Cette mesure d'application rapide fléchera la solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

L'article 3 bis est adopté.

Explications de vote

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Nous voterons cette proposition de loi que les associations réclament depuis des années, comme les 108 000 signataires de la pétition en ligne adressée au Sénat - une extraordinaire mobilisation citoyenne.

Nous avons déjà perdu assez de temps, madame la secrétaire d'État. Je rappelle que nous proposions cette mesure dès 2018 - nous n'étions pas, alors, en période électorale...

Pas moins de 19 % des personnes en situation de handicap vivent sous le seuil de pauvreté, 82 % déclarent s'en sortir très difficilement et la crise sanitaire n'a rien arrangé : les personnes en situation de handicap ont été particulièrement touchées.

Si je n'avais qu'un voeu à formuler, madame la secrétaire d'État, voici ce qu'il serait : arrêtez d'entendre, commencez à écouter ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Élisabeth Doineau .  - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteur.

Je salue les avancées réalisées en faveur des personnes en situation de handicap au cours de la législature. Mais on n'en fait jamais suffisamment en faveur de ces personnes et de leurs familles. Le groupe UC votera donc ce texte.

C'est d'abord une question de démocratie : la parole des usagers doit être entendue dans tous les domaines.

C'est ensuite un enjeu de justice, car il s'agit de donner à chacun sa juste place dans le couple ; dépendre de l'autre, c'est une aliénation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°2 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 320
Contre   23

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur l'ensemble des travées, à l'exception de celles du RDPI)

La séance est suspendue quelques instants.