« Énergie et pouvoir d'achat : quel impact de la politique du Gouvernement ? »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Énergie et pouvoir d'achat : quel impact de la politique du Gouvernement ? »

Sur la proposition du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, la Conférence des présidents a décidé qu'un débat d'actualité se tiendrait lors de chaque semaine sénatoriale de contrôle, après la séance de questions d'actualité au Gouvernement.

Nous inaugurons cet après-midi ce nouvel outil de contrôle.

M. Jean-François Husson .  - L'envolée des prix de l'énergie touche durement nos compatriotes comme nos entreprises.

Au-delà de la flambée conjoncturelle, les experts annoncent des prix structurellement plus élevés. C'est dire si les chèques distribués par le Gouvernement, comme autant de sparadraps, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.

Sans boussole ni anticipation, il a pris des mesures de court terme aux insuffisances multiples. Ni cohérence ni stratégie d'ensemble, mais les conséquences sur nos finances publiques, elles, sont lourdes : 20 milliards d'euros !

Le Gouvernement a d'abord augmenté de 100 euros le chèque énergie pour 6 millions de ménages. Face à la hausse du gaz, il est revenu à la bonne vieille méthode de l'économie administrée : le blocage des prix -  mesure très temporaire, dont le coût sera, in fine, supporté par les consommateurs. La mesure ne concerne d'ailleurs que les particuliers : les entreprises sont les grandes oubliées.

Le défaut de vision est tout aussi patent avec l'électricité. Après avoir annoncé que la hausse des tarifs réglementés serait limitée à 4 %, le Gouvernement a finalement introduit par amendement, donc sans étude d'impact, une minoration de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Mesure portée à 6 milliards d'euros qui, pourtant, ne permettra même pas de tenir la moitié de la promesse du Premier ministre... Aujourd'hui ou demain, c'est le contribuable qui la paiera.

Le Gouvernement a ensuite décidé, toujours par amendement, de geler les tarifs réglementés. Mais il faudra bien payer la facture en 2023. Quant à la hausse de 20 térawattheures du volume de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), elle coûtera cher à EDF.

Ce mikado de mesures ébranle la confiance des Français. Concocter en catastrophe des mesures bancales mais très coûteuses n'est plus tenable !

Face à l'envolée du prix des carburants, le Gouvernement a annoncé dans l'urgence une indemnité inflation, saupoudrage électoraliste de 4 milliards d'euros d'argent public. L'augmentation de 10 % du barème de l'indemnité kilométrique est une mesure excessivement concentrée, qui ne règle pas les problèmes des Français vivant en zone rurale ou périurbaine, éloignés des transports collectifs.

Les experts sont unanimes : les prix de l'énergie resteront durablement plus élevés qu'avant la crise, pesant davantage sur le pouvoir d'achat des Français notamment des plus modestes. Est-ce là ce que veut le Gouvernement ? Pour notre part, nous ne nous y résignons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Douze millions : c'est le nombre de Françaises et de Français qui ne peuvent chauffer correctement leur logement.

L'énergie n'est pas un bien de consommation comme les autres, mais un bien de première nécessité : chacun en a besoin pour se chauffer, cuisiner. La puissance publique a donc un devoir de régulation, de contrôle et de planification.

Nous alertons depuis des mois sur la hausse des prix. Il faut des réponses à la hauteur. Les carburants sont aujourd'hui plus chers que lors de la mobilisation des gilets jaunes...

Le Gouvernement a pris des mesures, mais insuffisantes et inadaptées. Le relèvement du barème kilométrique ne profitera qu'aux ménages qui paient l'impôt sur le revenu.

Nous souhaitons élargir le bénéfice du chèque énergie et en porter le montant à 400 euros pour les plus modestes.

Le Gouvernement mène une politique hypocrite, reprenant d'une main, par exemple avec la réforme de l'assurance chômage, ce qu'il a donné de l'autre. Le seul pouvoir d'achat qu'il aura fait progresser, c'est celui des plus riches !

Les jeunes, en particulier, se retrouvent en grande précarité. Nous, écologistes, défendons un revenu citoyen automatique de 920 euros dès 18 ans. (Mme Sophie Primas s'exclame.)

Cette mesure est déjà en place dans l'agglomération lyonnaise.

Par ailleurs, vous ne faites rien pour transformer en profondeur notre modèle énergétique. Le meilleur moyen de soutenir le pouvoir d'achat consiste à réduire la consommation d'énergie par la rénovation thermique des habitations. En la matière, il faut un reste à charge zéro pour les plus précaires.

EDF doit être renationalisée dans le cadre d'un grand service public de l'énergie. Nous devons renforcer notre souveraineté en soutenant les filières françaises, notamment dans le photovoltaïque et l'hydroélectricité.

Nous avons besoin d'une politique ambitieuse en matière de mobilité. Le rail nécessite des investissements importants : au moins 4 milliards d'euros par an. La politique de tarification doit assurer que les transports en commun sont moins chers que la voiture individuelle.

Les propositions des écologistes allient justice sociale et souveraineté énergétique. Le Gouvernement, lui, baisse la garde face aux inégalités et perpétue notre dépendance aux puissances étrangères.

M. Fabien Gay .  - Quel impact de la politique du Gouvernement sur l'énergie et le pouvoir d'achat ? Le bilan est globalement négatif...

Le Gouvernement est responsable, avec les libéraux qui l'ont précédé, de la dégradation de l'accès à l'énergie. Nous payons la note de la libéralisation du secteur, dont vous refusez pourtant de faire le bilan.

À une retraitée qui gagne moins de 8 euros par jour, une de vos collègues du Gouvernement a conseillé de changer de système de chauffage... Pour vous, les usagers ne sont bons qu'à payer. Dans le même temps, vous dépecez EDF pour préserver les revenus des acteurs alternatifs.

Vous avez confié au privé ce qui devrait relever du public, dans le cadre d'une Union européenne conçue par et pour le marché. Résultat : défaut d'investissement, perte de compétences et manque de prévoyance. En témoignent les allers-retours sur la centrale de Cordemais : après avoir abandonné le projet de conversion Ecocombust, vous vous êtes avisés qu'il faudrait prolonger la centrale de 2 000 heures pour passer l'hiver...

La rénovation thermique des logements, essentielle, est beaucoup trop lente : seulement 70 000 rénovations par an, quand il en faudrait 370 000 pour respecter la stratégie nationale bas carbone.

Votre dernière trouvaille ? Saigner EDF avec le relèvement du plafond de l'Arenh, ce système qui devait permettre aux fournisseurs alternatifs d'investir dans leurs propres moyens de production, ce qu'ils n'ont évidemment pas fait. EDF ayant déjà vendu son électricité, elle devra racheter sa propre production sur le marché de gros pour la revendre à ses concurrents quatre fois moins cher. On frôle le génie... EDF étant publique à 80 %, nous serons doublement perdants, comme usagers et comme citoyens.

L'énergie n'est ni un luxe ni un avantage à conquérir : c'est un bien de première nécessité. L'accès à l'énergie pour tous doit être reconnu comme un droit fondamental.

Baissons la TVA à 5,5 % sur le gaz et l'électricité, sortons l'énergie des griffes du marché et renationalisons EDF et Engie, pour qu'elles assurent un approvisionnement à prix compétitifs et oeuvrent à la nécessaire transition écologique ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)

M. Hervé Maurey , rapporteur.  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre pays est affecté par une inflation sans précédent depuis des années. Les prix de l'essence atteignent des niveaux supérieurs à ceux qui ont provoqué le mouvement des Gilets jaunes. En 2021, le gaz a augmenté de 40 %.

Face à ces hausses, le Gouvernement n'est certes pas resté les bras croisés, mais les mesures prises sont insuffisantes, parfois même néfastes.

Le chèque inflation est une mesure mal ciblée. Le Gouvernement semble ignorer que les territoires ruraux souffrent particulièrement. Chauffer son logement y coûte 33 % de plus qu'en ville. Pourquoi ne pas intégrer cette réalité ?

Pourquoi ne pas utiliser le levier fiscal pour limiter le coût du carburant pour nos concitoyens ? En moyenne, la fiscalité énergétique représente 900 euros par an pour les ménages.

La hausse des prix de l'énergie pèse également sur les collectivités territoriales, qui devront alourdir leur fiscalité ou renoncer à des projets d'intérêt local. Que compte faire le Gouvernement pour éviter cette double peine ?

Quid du rattrapage du blocage des prix de l'électricité, évoqué par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à l'horizon de 2023 ?

Enfin, je dénonce les décisions néfastes prises s'agissant d'EDF. L'augmentation du plafond de l'Arenh lui coûtera 8 milliards d'euros, soit le prix d'un EPR. C'est irresponsable, alors que l'entreprise, très endettée, fait face à un mur d'investissements de 80 à 100 milliards d'euros.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics.  - Le Gouvernement n'aurait pas eu recours au levier fiscal ? C'est faux. Nous avons baissé la TICFE à 0,50 euro par mégawattheure, pour un coût de 8 milliards d'euros.

Nous avons demandé à EDF de produire plus au titre de l'Arenh, pour un coût équivalent. Vous critiquez cette décision, dont nous avons pesé les avantages et les inconvénients, mais quelles sont vos contre-propositions ?

Sans les mesures que nous avons prises, la facture énergétique des ménages aurait explosé de 40 % en février.

Environ 30 000 communes bénéficient du tarif réglementé. La baisse de la TICFE bénéficiera aussi aux collectivités territoriales, qui peuvent compter en outre sur la revalorisation des valeurs locatives et sur la hausse de leurs recettes fiscales liées à la TVA.

M. Hervé Maurey.  - En commission des finances, Bruno Le Maire a dit hier : nous serons au côté d'EDF... Mais qu'est-ce que cela signifie concrètement ? La vérité, c'est que vous fragilisez un de nos fleurons industriels.

Sur les collectivités territoriales, je suis loin d'être le seul à être inquiet ; toutes les associations d'élus le sont. On ne peut pas dire que vous nous avez rassurés.

M. Fabien Gay.  - Rappel au Règlement ! Dans le cadre de cette nouvelle formule de débat, il me semble que le Gouvernement devrait répondre soit à tous les orateurs, soit à aucun. En l'occurrence, MM. Husson et Gontard et moi-même avons été privés de la réplique dont a bénéficié M. Maurey.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Ce n'est pas nous qui fixons les règles...

M. le président.  - Peut-être les règles devront-elles évoluer, mais il ne m'appartient pas de les changer à cet instant. Je transmettrai...

Mme Guylène Pantel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Après deux ans de pandémie, la reprise de l'économie et la faiblesse des stocks entraînent une forte inflation qui affecte le pouvoir d'achat des Français.

Les prix de l'énergie ont augmenté de 18 %, et même de 41 % pour le gaz, alors que la précarité énergétique touchait déjà 5 millions de ménages. Beaucoup d'autres risquent désormais de basculer.

Nous payons notre dépendance aux énergies fossiles et l'application du principe du coût marginal, que la France souhaite réviser dans le cadre d'une éventuelle réforme du marché européen de l'énergie.

Le Gouvernement a réussi à maintenir l'inflation en dessous de la moyenne européenne avec différentes mesures : bouclier fiscal, chèque inflation, entre autres. L'addition se montera à 15 milliards d'euros. Mais jusqu'où pourra-t-on tenir avec ces pansements à faible adhérence ?

Les aides sont saupoudrées, au détriment des territoires hyperruraux dont les particularités géographiques ne sont pas appréhendées. Par ailleurs, on oublie que les collectivités territoriales aussi pâtissent de la hausse des prix.

Une réduction des taxes sur l'énergie ou de la TVA est certes complexe et ne ciblerait pas les plus modestes. Reste que les prix de l'énergie continueront d'augmenter, d'autant que la transition énergétique nécessitera des efforts considérables. Investir dans la décarbonation, le stockage et les réseaux intelligents aura un coût.

Nous devons redoubler d'efforts en matière d'économies d'énergie. Accélérons la rénovation des logements, en particulier dans les territoires hyperruraux.

Quelles actions durables entendez-vous mener, et avec quelle coordination européenne ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis des mois, les Françaises et les Français voient augmenter les prix des produits du quotidien. L'explosion de la facture énergétique, en particulier, les plonge dans le désarroi. De fait, le surcroît de dépenses pour l'énergie est d'un peu plus de 40 euros par mois et par ménage, dont 20 euros pour les carburants.

Les habitants des communes rurales sont particulièrement touchés, et la facture énergétique pèse plus lourd dans le budget des ménages à faible revenu. Le renchérissement de l'énergie aggrave donc les inégalités sociales et territoriales.

Cette flambée des prix a aussi de très lourdes conséquences sur la compétitivité de nos entreprises.

Face à ces difficultés, le Gouvernement ne prend que des décisions de court terme. Bouclier tarifaire sur l'électricité, augmentation du chèque énergie, indemnité inflation : ce sont là, certes, des premières mesures pertinentes, mais dont le niveau et le ciblage nous interrogent.

L'Ademe recommande un chèque énergie à 710 euros. L'envoi d'un chèque de 100 euros a certainement été un soulagement pour les ménages concernés, mais c'est très insuffisant compte tenu de l'augmentation des dépenses.

L'indemnité inflation et l'augmentation du barème de l'indemnité kilométrique souffrent également d'un ciblage incertain.

Cette seconde mesure ne concerne que les Français imposables, qui peuvent déclarer leurs frais professionnels. D'autre part, en vous concentrant sur les gros rouleurs, vous oubliez les 17 millions de Français contraints de prendre tous les jours leur voiture pour travailler, faute d'accès à des transports en commun.

Voilà des mois que nous proposons plusieurs mesures immédiates : création d'un bouclier tarifaire énergétique, doublement du chèque énergie, versement automatique de celui-ci pour mettre fin au non-recours.

Cette crise met en lumière les impensés et l'impréparation de la politique énergétique du Gouvernement. La situation, pourtant, était prévisible. Dès le début de la pandémie, la commission des affaires économiques du Sénat vous a alertés sur le risque inflationniste en sortie de crise. Du fait de cette impréparation -  qui est aussi celle des gouvernements précédents  - , vous êtes conduits à dépenser au moins 15 milliards d'euros pour des mesures qui ne sont que d'urgence.

Il est étonnant que vous ne tiriez pas les leçons de cette crise. La libéralisation à l'extrême du marché de l'énergie est la cause de cette crise profonde.

Le relèvement du plafond de l'Arenh, nouvel exemple de votre orientation ultralibérale, bénéficiera uniquement aux fournisseurs, au détriment d'EDF qui aurait besoin de fonds pour investir.

Il convient de renouer avec une politique énergétique volontariste, l'État investissant massivement dans ses entreprises publiques. Il faut aussi réformer le marché européen de l'énergie à la faveur de la PFUE. Enfin, planifions à long terme, dans la concertation, la transition écologique qui préservera le pouvoir d'achat des Français et la souveraineté énergétique de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Rambaud .  - L'inflation est là, qui s'installe dans le quotidien des Français. Elle touche particulièrement l'énergie. Gaz, électricité, carburant : rien n'est épargné.

Pour autant, est-ce que tout va mal ? Non ! La situation économique doit être envisagée dans sa globalité. Notre croissance est ainsi de 7 %.

Mme Sophie Primas.  - Après une déflation de 8 % !

M. Didier Rambaud.  - Notre taux de chômage est historiquement faible, proche du plein-emploi.

La stratégie du « quoi qu'il en coûte » a permis de sauvegarder les entreprises et les emplois.

Après une année de paralysie économique, le rebond de la consommation et le renouvellement des stocks des entreprises ont fait bondir la demande. L'inflation est la conséquence du retour de la croissance.

Pour chaque situation, le Gouvernement a travaillé à des dispositifs ciblés.

Le Premier ministre a annoncé le gel des tarifs réglementés du gaz jusqu'en avril. Sans cette mesure, l'augmentation aurait été insupportable !

Les prix de l'électricité augmentent de 4 %, certes ; mais, sans le bouclier tarifaire, la hausse aurait été de 40 % ! Nous limitons les dégâts autant qu'il est possible. En Espagne, la facture d'électricité passe de 1 000 à 1 700 euros ; en Italie, de 1 000 à 2 290 euros !

Le Gouvernement soutient les plus modestes, notamment à travers l'indemnité inflation, qui bénéficie à 38 millions de Français gagnant moins de 2 000 euros par mois.

Ces mesures sont saluées par un grand nombre de nos concitoyens.

La hausse des prix du carburant est impressionnante. Le Gouvernement a augmenté le barème kilométrique de 10 %, mesure ciblée qui permettra une économie moyenne de 150 euros. Nous devons être attentifs, certes, à ceux qui ne paient pas l'impôt sur le revenu.

Une baisse de taxes aurait été plus longue à mettre en place, mais aussi déraisonnable sur le plan économique comme sur le plan environnemental.

J'ajoute que le Gouvernement n'a pas attendu cette crise pour soutenir le pouvoir d'achat des Français. Suppression de la taxe d'habitation, pass Culture, défiscalisation des heures supplémentaires, revalorisation de la prime d'activité, Ségur de la Santé : depuis 2017, il fait ce dont aucun gouvernement n'avait été capable avant lui.

M. Patrick Kanner.  - Ce n'est pas l'avis de la Fondation Abbé Pierre...

M. Didier Rambaud.  - Lorsqu'on ajoute le rebond de 7 % de la croissance, il y a lieu d'être optimiste !

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - En 2020, le monde s'est arrêté. Le prix du pétrole est même devenu négatif : -38 dollars le baril... Comment croire que, moins de deux ans plus tard, nous faisons face à une forte inflation ?

C'est, à la vérité, la face opposée de la même médaille. Grâce aux vaccins et aux mutations du virus, nous avons pu reprendre le chemin du travail, et la reprise économique renchérit toutes les matières premières.

Pendant la pandémie, nous avons amorti le choc pour l'économie. Mais les mesures prises favorisent l'inflation et augmentent la dette publique - double épée de Damoclès.

Le chemin de crête est étroit, car l'énergie est un poste important de dépense pour nos concitoyens. Nous avons tous en mémoire les conséquences, teintées de jaune fluo, d'une hausse trop importante du prix de l'énergie due à une nouvelle fiscalité.

Dans le même temps, compenser ces hausses revient à tirer sur nos finances publiques déjà bien tendues. Turgot, dont la statue nous surplombe dans cet hémicycle, doit nous regarder avec sévérité, lui qui se plaignait de la trop grande facilité avec laquelle les prédécesseurs de Louis XVI avaient accueilli la multitude des sollicitations...

Nous devons étudier attentivement les moyens de renforcer l'efficacité énergétique de nos bâtiments, développer l'autoconsommation collective, renforcer notre souveraineté énergétique.

« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté » disait Winston Churchill. Les opportunités sont là, et certaines filières sont enthousiasmantes - je pense à l'avion bas-carbone.

Le groupe INDEP est attaché à la bonne gestion de nos finances publiques. Ne multiplions pas les mesures conjoncturelles, certes parfois incontournables. L'argent public est bien mieux employé dans des secteurs novateurs. Le pouvoir d'achat de nos concitoyens comme nos finances publiques s'en ressentiraient favorablement !

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous sommes confrontés à une crise sans précédent des prix des énergies. En moins de deux ans, les prix ont été multipliés par 2,5 pour le pétrole, 3 pour le gaz et 10 pour l'électricité.

Cette hausse était prévisible. La commission des affaires économiques du Sénat a d'ailleurs alerté le Gouvernement dans ce sens. Nous avions regretté un bouclier tarifaire insuffisant et demandé le relèvement des aides aux entreprises et aux collectivités territoriales.

Cette flambée met sous tension l'ensemble des secteurs. L'énergie représente 10 % du budget des ménages, et une hausse de la précarité énergétique est à craindre. Les entreprises énergo-intensives sont touchées, mais aussi nos TPE et PME.

Les collectivités territoriales ne sont pas épargnées. Selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, les hausses observées sur plusieurs milliers de points de livraison s'établissent entre 30 et 300 % !

La hausse du plafond de l'Arenh a été un choc pour EDF, entraînant une dégradation de sa notation et une grève. Certains concurrents, comme Leclerc Énergies, ont cessé leur activité, laissant 140 000 consommateurs sur bord de la route.

Dans ce contexte, la politique à court terme du Gouvernement est erratique. Mal calibré, le bouclier tarifaire est aussi mal évalué. Lors du budget, le Gouvernement avait estimé à 6 milliards d'euros la baisse de la TICFE. On en est à 8 milliards d'euros... Où s'arrêtera-t-on ? En outre, rien n'est prévu au-delà de 2022. Et puis, l'action sur les tarifs réglementés pourrait se répercuter in fine sur les ménages et les entreprises.

Le relèvement du plafond de l'Arenh n'empêche pas la stagnation du prix à 46 euros du mégawattheure. C'est dérisoire alors que le prix de marché de l'électricité dépasse les 200 euros.

Au-delà, la politique du Gouvernement est indigente ; le modèle de financement érode l'investissement : les 8 milliards d'euros perdus par EDF l'illustrent, alors que la transition énergétique nécessite 10 milliards d'euros par an. Comment, dans ces conditions, financer la construction de trois EPR qui devraient coûter 46 milliards d'euros ?

Pire, le Gouvernement élude les vraies décisions à prendre : la fermeture de réacteurs fragilise notre approvisionnement. L'atteinte des objectifs du paquet 55 impose d'inclure le nucléaire dans la taxonomie verte. Dans son rapport, RTE a indiqué qu'il était urgent de se mobiliser.

Au total, la crise des prix de l'énergie révèle l'insuffisance de la politique du Gouvernement.

Il faut garantir un prix de l'électricité faible à tous nos concitoyens. Un vrai bouclier tarifaire impose une relance de la filière nucléaire, colonne vertébrale de notre souveraineté énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La crise actuelle démontre notre dépendance aux énergies fossiles, qui grève le pouvoir d'achat et l'économie. Le nucléaire représente 70 % de notre électricité, mais moins de 20 % de notre consommation d'énergie finale.

Plus généralement, l'Europe dépend largement des importations d'énergies fossiles. La crise actuelle rappelle le besoin de réformer le marché européen de l'énergie, notamment le principe de coût marginal. Je salue la défense par la France d'un prix plus fidèle au coût domestique moyen de production. Sans une telle réforme, la France ne bénéficiera pas du faible coût d'une électricité produisant dix fois moins de gaz à émission de serre que l'Allemagne, grâce aux centrales et barrages.

Il est temps d'accélérer la décarbonation de l'économie, en découplant le prix de l'électricité de celui des énergies fossiles.

Je défends la logique développée par RTE, qui prône la complémentarité entre du renouvelable intermittent et du nucléaire pilotable. Ce dernier assure une électricité stable dans la transition : le nucléaire n'est pas un problème, mais une partie de la solution et il assurera la stabilité des prix de l'électricité.

La construction de nouveaux réacteurs est pertinente. Ainsi nous renforcerons notre indépendance énergétique.

J'ai déposé avec Jean-François Longeot une proposition de résolution en faveur de l'essor du nucléaire. Les mini-réacteurs contribueront notamment à la décarbonation et à la production d'hydrogène. De plus, la 4e génération de réacteurs sera plus sûre et encouragera le multirecyclage des déchets.

Quelles sont les propositions françaises pour réformer le marché européen de l'énergie ? Qu'en est-il du nucléaire dans la lutte contre la crise actuelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Reconnaissons que nous sommes en crise. Une crise provoquée par des facteurs imprévus, causant l'explosion des prix de l'énergie et révélant la faillite d'une Europe bâtie sur la seule concurrence et la volatilité des marchés.

La crise est due à la libéralisation du secteur. Le système actuel ne permet même pas de financer des investissements faute de visibilité. Il faut un changement de cap pour une transition écologique acceptée par tous. Or, la crise de 2008 a découragé certains États membres d'investir dans l'énergie.

Les autoroutes européennes de l'énergie n'existent pas encore : ainsi, beaucoup de pays hors Union ont signé des partenariats d'approvisionnement avec des États membres qui avancent en ordre dispersé. Certains, comme l'Espagne, l'Italie et la France, protègent les consommateurs au moyen de diverses aides ; elles coûteraient à la France pas moins de 18 milliards d'euros.

La présidence française de l'Union européenne n'est pas étrangère à ce tour de passe-passe budgétaire qui accepte ces aides... mais les mesures se font au détriment du contribuable : situation ubuesque !

Le ministre de l'économie, la semaine dernière, ne m'a pas répondu quand je lui ai demandé lors des questions au Gouvernement pourquoi EDF vendait son énergie à bas coût à des revendeurs pratiquant des prix exorbitants. J'attends toujours sa réponse.

Combien de temps la Banque centrale européenne maintiendra-t-elle sa politique monétaire et des taux faibles ? La crise risque de durer. Les hausses du gaz se propagent et gagnent les marchés des switchers. Les contrats d'électricité 2022-2023 voient leur coût multiplié par quatre par rapport à 2019. Les intervenants sur le marché n'anticipent donc pas de baisse rapide et les factures des ménages augmenteront inéluctablement. Vos mesures conjoncturelles ne changeront pas la donne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics .  - Tout d'abord, je confirme que le Gouvernement revendique une réforme du marché européen de l'énergie visant à dissocier le marché particulier de celui de gros, d'autant que la France est capable de produire une énergie moins chère.

Pour préserver le pouvoir d'achat, je distingue trois phases.

La première étape est la revalorisation des revenus du travail : prime d'activité et défiscalisation des heures supplémentaires. Cela correspond à 1,9 % de gain de pouvoir d'achat des Français chaque année, soit deux fois plus qu'entre 2007 et 2017.

La deuxième étape concerne la mobilisation de l'activité partielle durant la crise : le pouvoir d'achat a augmenté de 0,4 %, malgré une récession de 8 % en 2020.

Enfin, nous répondons à la crise de l'énergie par les outils déjà évoqués : chèque énergie, indemnité inflation déjà perçue par 20 millions des 38 millions de Français éligibles, et plafonnement des tarifs, pour un total de 15 milliards d'euros, à comparer aux 2 ou 3 milliards d'euros de hausse de recettes fiscales pour l'État. Comme vous le voyez, nous faisons tout pour protéger le pouvoir d'achat de nos compatriotes.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité .  - Nous ne remettons pas en cause la nécessité de repenser le mix énergétique pour atteindre nos objectifs de décarbonation. Le modèle économique et industriel français doit être revu et notre souveraineté énergétique garantie au niveau européen.

Les tarifs de l'électricité auraient pu augmenter de 40 %, mais nous avons limité la hausse à 4 %. Le Parlement a accepté la baisse de la TICFE, voulue par le Gouvernement. Nous avons aussi demandé à EDF d'augmenter de 20 térawattheures la production à prix régulé. Nous lui demandons également un effort dans le cadre de sa mission de service public, à l'occasion d'une crise exceptionnelle et imprévisible. Il nous faut renforcer la régulation européenne du marché de l'énergie, avant même d'engager la transition énergétique.

Cette crise des énergies fossiles se vit au niveau européen. Le conseil informel des ministres de l'énergie qui s'est tenu à Amiens la semaine dernière a montré que la majorité des États souhaitait la régulation de ce marché.

Je le redis : 15 milliards d'euros d'aides ont été accordés pour les ménages, malgré des failles identifiées, comme pour les grosses propriétés ou les logements chauffés avec des réseaux de chaleur. Nous affinerons nos mesures dans les prochains jours. Plus de 30 000 communes bénéficient déjà du bouclier tarifaire.

La réactivité permise par les textes récemment votés nous aide à accompagner les Français face à la crise des prix de l'énergie.

La séance, suspendue à 17 h 45, reprend à 18 h 15.