Enseignement professionnel

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'enseignement professionnel, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains .  - Avec un lycéen sur trois, soit 650 000 élèves, l'enseignement professionnel est un maillon essentiel du système éducatif. Mais la filière a perdu 100 000 élèves en vingt ans et les résultats de l'insertion professionnelle sont décevants : deux ans après leur diplôme, seuls 41 % des titulaires du CAP et 51 % des bacheliers professionnels sont en emploi.

Pour beaucoup, l'enseignement professionnel est vécu comme une voie de relégation, alors qu'il est valorisé en Allemagne, en Suisse ou aux Pays-Bas. L'affectation reproduit les inégalités sociales. Un élève issu d'un milieu défavorisé a 93 % de probabilité d'être orienté vers l'enseignement professionnel ; la moitié des lycéens professionnels viennent de quartiers défavorisés ; un tiers sont boursiers ; les enfants de cadres ne sont que 7 %.

L'Éducation nationale a sa part de responsabilité. Les enseignants connaissent mal les filières professionnelles et leurs débouchés. Les filières tertiaires concentrent 60 % des lycées professionnels, alors qu'elles recrutent à Bac +2. Or les besoins sont surtout dans le sanitaire et social, et plus encore dans l'industrie, secteur où les lycées professionnels réussissent le mieux.

Le lycée Éric Tabarly, aux Sables-d'Olonne, où le Président de la République s'exprimait le 13 février, propose notamment des filières insérantes comme la chaudronnerie ou la maintenance nautique.

C'est à la suite des annonces faites à cette occasion que le groupe Les Républicains a demandé ce débat. La réforme de 2019 n'entendait-elle pas déjà renforcer la complémentarité entre école et entreprise ? Des mots mêmes du ministre de l'époque, il s'agissait de « transformer les établissements professionnels en Harvard professionnels ». Cette ambition a tourné court.

Le Président de la République a d'ores et déjà fixé un cadre précis : doublement des heures de stage, révision de la carte des formations, réorientation des enseignants, recrutements dans le monde professionnel. Sur le modèle du Conseil national de la refondation (CNR), quatre groupes de travail se réuniront d'ici à Noël, et rendront leurs conclusions fin février, sur quatre thèmes : réduire le nombre de décrocheurs, préparer la poursuite d'études supérieures, améliorer le taux d'accès à l'emploi, donner des marges de manoeuvre aux établissements.

Composés de représentants des syndicats, des Régions, des parents d'élèves, des établissements, des entreprises ou encore des collectivités, ces groupes de travail seront pilotés par un recteur et un inspecteur général. 

Le Gouvernement veut manifestement rassurer. Mais les principaux syndicats dénoncent un passage en force et refusent d'y participer. Après une première mobilisation le 18 octobre dernier, une nouvelle journée est prévue la semaine prochaine.

La double tutelle par les ministères du travail et de l'éducation nationale inquiète. Certains y voient un lien bénéfique avec le marché du travail ; d'autres, la remise en cause de leur statut. Ils craignent que le doublement de la durée des stages ne prive les lycéens de centaines d'heures d'enseignement.

Il n'y a pas de formation professionnelle de qualité qui ne repose sur un solide socle commun de culture et de compétences générales.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

M. Max Brisson.  - C'est aussi la condition pour accéder aux études supérieures.

Nous voulons aborder le sujet sensible de la durée des stages sans tabou. Comment trouver assez d'entreprises pour accueillir des élèves ? Faudra-t-il leur proposer des incitations ? Quid de la rémunération des élèves ? Faudra-t-il recruter plus de professeurs associés issus de l'entreprise ? Les entreprises participeront-elles aux conseils d'administration des lycées ?

S'il faut adapter la carte des formations aux réalités économiques pour améliorer l'insertion professionnelle, comment organiser la reconversion des enseignants ? Surtout, comment mieux associer les collectivités ?

Tous les efforts seront vains si nous ne rétablissons pas l'image de l'enseignement professionnel.

Le groupe Les Républicains souhaite éclairer la voie à suivre, tant par ses questionnements que par ses propositions, et prétend que le Parlement soit associé au même titre que les autres acteurs.

M. Stéphane Piednoir.  - Très bien !

M. Max Brisson.  - Madame la ministre, vous engagez-vous à revenir devant le Parlement pour en débattre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias et Mme Marie-Pierre Monier applaudissent également.)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - Merci au groupe Les Républicains d'avoir proposé ce débat. Nous partageons la nécessité de faire reconnaître l'enseignement professionnel comme une voie de réussite.

Grâce à la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018, qui a levé des contraintes administratives, et aux primes exceptionnelles mises en place pendant la crise, le nombre d'apprentis dépassera les 735 000 en 2022 : c'est historique. L'essor de l'apprentissage a contribué à réduire durablement le taux de chômage des jeunes, qui se situe à 15,9 %.

Avec Pap Ndiaye, nous voulons faire de l'enseignement professionnel une voie de choix et d'excellence. Le changement d'image est possible.

Nous devons reconnaître que le lycée professionnel n'insère pas suffisamment les élèves. Le sentiment de déclassement nourrit le ressentiment et l'échec.

Nous nous appuyons sur les transformations déjà déployées lors du précédent quinquennat pour poursuivre notre investissement dans la réussite des élèves.

Il s'agit de rétablir l'ascenseur social et rendre tangible l'égalité des chances. En effet, les lycéens professionnels cumulent souvent les vulnérabilités scolaires et sociales. La plupart sont issus de milieux défavorisés et sont en situation d'échec : 33 % sont issus d'une famille ouvrière, 3 % d'une famille de cadre ; une forte proportion des élèves est issue de l'immigration ou allophone ; 5 % sont en situation de handicap ; 28 % des élèves en CAP et 16 % des élèves en bac pro ont des difficultés de lecture ; la voie professionnelle comprend deux tiers des décrocheurs ; après deux ans, seule la moitié des élèves sont en emploi.

L'organisation pédagogique actuelle ne prend pas suffisamment en compte les mutations économiques et les défis des territoires. Les formations ne sont pas assez tournées vers l'emploi. Le référentiel d'activités est dépassé. Les nombreuses formations tertiaires ne sont pas assez insérantes. Les plateaux techniques sont mal connectés au monde économique. La préparation au monde du travail est insuffisante. Les formations post-bac sont inadaptées : les BTS préfèrent recruter des bacheliers généraux et technologiques.

Nous nous assignons trois objectifs pour réussir cette réforme qui sera bâtie avec l'ensemble des acteurs.

D'abord, réduire le nombre de décrocheurs. Les lycées professionnels ont hérité de difficultés liées aux fragilités des élèves et à la rigidité des parcours. Nous devons bâtir une organisation nouvelle, plus souple, qui donne plus de motivation et de sens aux élèves.

Ensuite, nous voulons faire progresser le taux d'insertion dans l'emploi. C'est l'ADN de ces diplômes professionnels, mais aussi le gage de leur légitimité.

Enfin, je veux sécuriser la poursuite d'études, lorsque le métier le requiert, et faire correspondre les formations aux attendus des BTS.

Nous voulons investir dans les lycées professionnels comme jamais. C'est la première fois qu'un Président de la République porte autant la voie professionnelle. Cette réforme est une occasion unique de construire des formations d'avenir, pour être en phase avec les grands défis : transitions écologique et numérique, vieillissement de la population, société plus inclusive et solidaire, souveraineté économique et réindustrialisation.

La multiplication des stages, combinée à la gratification des élèves, doit rapprocher le lycée du monde de l'entreprise. Elle donnera de l'expérience et des contacts ; il s'agira bien de périodes de formation.

Nous voulons renforcer les enseignements généraux, car les entreprises ont autant besoin de compétences techniques que de citoyens éclairés.

Nous avons lancé quatre groupes de travail qui associent largement les acteurs.

M. le président.  - Madame la ministre, votre temps de parole est écoulé.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - L'apprentissage connaît un succès sans précédent, avec un doublement du nombre d'apprentis. C'est à mettre au crédit du Gouvernement. Cela montre qu'en matière d'enseignement et de formation, la France ne dépend que d'elle-même ; que quand il y a une volonté et des moyens, les résultats suivent ; qu'un dispositif attractif pour l'entreprise et pour le jeune fonctionne.

Comment faire aussi bien pour l'enseignement professionnel ?

Les formations en apprentissage se sont adaptées aux bassins d'emplois et aux réalités des territoires. Jeunes, entreprises, et centres de formation disposent de marges de manoeuvre pour s'organiser. Il faut s'en inspirer, alors que l'enseignement professionnel manque de débouchés : moins de la moitié des diplômés trouve un emploi dans les deux ans, contre 70 % des apprentis.

Comment allez-vous valoriser l'image de l'enseignement professionnel, pour qu'il connaisse le même succès ? Allez-vous donner plus d'autonomie aux chefs d'établissement ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'apprentissage est une réussite, et un défi : nous visons désormais un million d'apprentis.

Le lycée professionnel concerne des élèves de plus en plus jeunes, pas encore en âge pour rentrer dans l'apprentissage, et qui cumulent les fragilités.

Même si je porte la même ambition pour les lycées professionnels je ne souhaite pas mettre en concurrence ces deux dispositifs qui doivent être complémentaires. Je souhaite organiser des passerelles. Le contrat d'apprentissage est déjà une option : il concerne plus de 60 000 lycéens professionnels, 42 % de plus en deux ans, grâce à l'accompagnement pédagogique.

Je veux transformer structurellement le lycée professionnel, pour un accompagnement plus intensif et plus individualisé.

Le quatrième groupe de travail réfléchira aux moyens de donner plus de marges de manoeuvre aux établissements, tout en conservant le caractère national des diplômes.

Mme Monique de Marco .  - Aux Sables-d'Olonne, le 13 septembre dernier, le Président de la République a annoncé sa réforme : rapprocher le lycée professionnel des entreprises, fermer certaines formations et en ouvrir d'autres, en fonction des bassins d'emploi. Il ne fait que décrire l'existant : le lycée de la mer de Gujan-Mestras près d'Arcachon ne traite pas de la montagne !

Plus inquiétant, il détricote l'enseignement professionnel : moins d'établissements, moins d'élèves, moins d'heures, moins de moyens, moins d'enseignants.

Plus de 26 % de lycéens obtiennent un bac professionnel, mais ils ne représentent que 6 % des étudiants à l'université et 17 % en BTS.

Ils doivent bénéficier d'un socle d'enseignement général pour pouvoir prétendre à un cursus dans le supérieur, auquel la moitié d'entre eux aspire. Je songe aux écoles supérieures de journalisme et de communication, qui accueillent des lycéens professionnels, option communication visuelle plurimédia, tant l'agilité numérique est capitale pour ces filières.

Votre réforme donnera-t-elle aux bacheliers professionnels une chance égale pour accéder au supérieur ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Sécuriser la poursuite d'études est l'un des enjeux majeurs de la réforme. Un groupe de travail y est dédié.

Les élèves de lycée professionnel ont plus de mal à entrer dans les études supérieures et plus de mal à obtenir un diplôme. Il s'agit donc de sécuriser leur parcours, les mettre en situation de réussite. CAP et bac pro doivent permettre tant une insertion directe qu'une poursuite d'études si le jeune le souhaite ou si le métier le requiert.

Nous avons envisagé des temps complémentaires post-diplôme, des réajustements de niveaux dans les savoirs fondamentaux...

Je n'oppose pas savoirs fondamentaux et temps de stage. Les deux ont toute leur place pour accompagner le projet professionnel de l'élève. Nombre de formations mènent à des métiers d'avenir, qui insèrent durablement.

Il n'y a pas qu'un seul levier. C'est tout l'objet du groupe de travail : sécuriser la poursuite d'études, et la préparer.

Mme Nicole Duranton .  - L'intelligence de la main vaut l'intelligence de l'esprit. Valorisons le talent de nos enfants et revalorisons la voie professionnelle, trop souvent considérée comme un choix par défaut. Heureusement, les mentalités évoluent, et un jeune sur trois emprunte cette voie pour apprendre un métier.

Pour ces élèves qui ont besoin de faire, c'est un chemin de réussite. En 2021, 718 000 contrats d'apprentissage ont été signés, dont 60 000 dans l'enseignement professionnel, 40 000 de plus qu'en 2020. Mais ces jeunes ont du mal à trouver un stage ou une alternance. Comment renforcer le lien entre le milieu éducatif et les entreprises ? Organiser des forums, associer les chambres consulaires et les collectivités territoriales ?

Seuls 32 % des titulaires de CAP et 45 % de bacheliers professionnels trouvent un emploi dans les douze mois. Quelles pistes envisagez-vous pour inciter les entreprises à les recruter ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Les diplômes professionnels obtiennent des résultats insuffisants en matière d'insertion, alors qu'il existe de nombreux métiers d'avenir. Les résultats sont très inégaux selon les lycées professionnels.

L'un des groupes de travail réfléchira au renforcement de l'employabilité des diplômés et à une carte des formations pertinente, en lien avec les besoins des entreprises et du bassin d'emploi. Les élèves doivent bénéficier d'une orientation en amont et d'un accompagnement régulier au cours de la formation, avec une personnalisation incluant compétences techniques et psychosociales.

Les élèves sont plus jeunes. Aucune piste n'est écartée : accompagnement après le diplôme, scolarité complémentaire, poursuite d'études, ou encore davantage de stages en entreprise. Il faut associer monde économique et éducatif, pour réussir tous ensemble.

Mme Marie-Pierre Monier .  - Je remercie le groupe Les Républicains pour cette initiative.

Le Président de la République veut adapter l'offre de formations aux besoins des bassins d'emploi locaux. L'appartenance géographique des élèves déterminera donc leur carrière. Alors qu'il faudrait au contraire ne fermer aucune porte, y compris dans l'accès aux études supérieures, on limite leur capacité à choisir librement leur avenir, et on rogne sur les heures d'enseignements fondamentaux.

Cette vision de court terme ne tient pas compte de la diversité des territoires. Quid des bassins d'emploi sinistrés ? Vous poussez à la reconversion des enseignants, alors que ces nouveaux besoins sont peut-être éphémères.

Plus largement, l'enseignement professionnel n'a-t-il pour seul rôle que de fournir de la main-d'oeuvre pour les entreprises locales ? Parents d'élèves et syndicats sont inquiets. Ils sont attachés, comme nous, à la dimension nationale du bac professionnel et à la garantie d'égalité entre les élèves. En tiendrez-vous compte dans les groupes de travail ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Les disparités sont grandes entre territoires et entre formations. Le taux d'insertion oscille entre 10 et 80 %. Il nous faut donc réfléchir à une cartographie des formations, à l'accompagnement de jeunes qui n'ont pas toujours les codes de l'entreprise, à l'enseignement des savoirs fondamentaux -  le Président de la République y est attaché, car accompagner de futurs professionnels, c'est aussi accompagner de futurs citoyens.

Nous voulons aussi travailler sur la découverte des métiers, pour éviter l'orientation subie : ce sera l'objet du groupe de travail sur le décrochage.

La synergie entre carte de formations et besoins économiques ne se construit pas sur le court terme : elle anticipe les mutations économiques, en formant les enseignants et en préparant les plateaux techniques. Nous travaillons dans la durée, en anticipant le monde de demain. Nous sommes convaincus que l'enseignement professionnel doit, lui aussi, s'emparer de ces défis ; il y a toute sa place.

Mme Marie-Pierre Monier.  - En réduisant les heures d'enseignement général, vous mettez à mal les savoirs fondamentaux. Ne confondons pas enseignement professionnel et apprentissage.

Mme Céline Brulin .  - Les lycéens professionnels ont déjà perdu beaucoup d'heures de cours dans les disciplines générales : en CAP, ils n'ont plus qu'une heure et demie de français par semaine. L'allongement de la durée des stages se traduira inévitablement par une nouvelle diminution de la formation théorique.

Mesurez-vous les conséquences de vos choix ? Les élèves de l'enseignement professionnel sont souvent les plus éloignés des enseignements généraux ; votre réforme leur fermera la porte de l'enseignement supérieur.

Comment envisager l'augmentation des périodes en entreprise, quand on sait la difficulté à trouver des terrains de stage ? Vous voulez des rémunérations calquées sur celles des apprentis, mais ces derniers sont salariés de l'entreprise. Quel sera le statut des lycéens ?

Les élèves de l'enseignement professionnel méritent d'être traités à égale dignité de ceux de la voie générale.

Un récent décret permet aux enseignants des lycées professionnels d'enseigner en lycée général et technologique et en collège. Est-ce une manière inavouée de pallier la crise de recrutement dans l'Éducation nationale ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Il n'y a pas de diminution des heures d'enseignement général. Au contraire, nous voulons faire mieux en matière d'enseignements généraux. Je rappelle les chiffres : 28 % des élèves issus de CAP ont des difficultés en lecture, et 16 % des bacheliers professionnels. Cela nous appelle à l'action, à ajuster les modalités pédagogiques pour les accompagner. Cessez de déformer mes propos ! (Mme Céline Brulin et M. Pierre Ouzoulias protestent.) Il est de notre responsabilité de réduire les écarts avec la voie générale et technologique.

L'orientation choisie passe par la découverte des métiers et l'accès à l'information. Nous avons déjà fait beaucoup en la matière, grâce aux dispositifs  « 1 jeune, 1 solution », InserJeunes et Affelnet. Nous agissons, dans l'intérêt des jeunes.

Mme Céline Brulin.  - Madame la ministre, nous allons continuer à vous poser des questions. Vous ne faites que nous parler de vos groupes de travail, mais nous n'en savons pas plus qu'avant de rentrer dans l'hémicycle. Nous voulons des réponses ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Annick Billon .  - À mon tour de remercier le groupe Les Républicains pour son initiative.

Lors de sa visite au lycée Éric Tabarly, aux Sables-d'Olonne, le Président de la République a reconnu qu'il fallait mieux informer les collégiens sur l'enseignement professionnel. Les établissements sont unanimes : faute d'information, les débouchés des lycées professionnels ne sont pas valorisés, alors que les possibilités d'études supérieures et de passerelles sont nombreuses.

Comment prôner l'excellence de ces filières, si les élèves n'ont pas conscience de pouvoir continuer leurs études ? Que faites-vous pour favoriser une orientation éclairée ?

Le service en ligne Affectation repose uniquement sur les résultats académiques, la décision d'orientation prise au conseil de classe de fin de troisième et des places disponibles. L'appétence de l'élève pour le secteur ou la filière n'est pas prise en compte. Comment comptez-vous intégrer le projet professionnel de chaque élève dans son orientation ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - La question du sens que les jeunes donnent à leurs études est déterminante. Bien souvent, ce sont les élèves en difficulté qui sont orientés vers l'enseignement professionnel. Nous voulons oeuvrer pour une meilleure orientation et information, grâce à la découverte des métiers dès la classe de cinquième. Une orientation choisie est un déterminant de la réussite des élèves.

Pour ce qui est de l'accès à l'information, nous avons déployé des outils comme « 1 jeune, 1 solution », InserJeunes, ainsi qu'Affelnet, pensé en cohérence avec la carte des formations.

Cette carte doit être élaborée en collaboration avec les régions. Le premier comité de pilotage de la découverte des métiers, à Orléans, aura lieu demain : je crois beaucoup au partenariat État-région en la matière.

M. Jean-Claude Requier .  - L'enseignement professionnel reste sous-valorisé - à tort.

Pourtant, le compagnonnage français, « réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier », est inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. Pourvu qu'ils soient reconnus socialement, tous les métiers ont du sens. L'enseignement professionnel permet de répondre aux aspirations des jeunes et aux besoins économiques des territoires.

Je m'interroge cependant sur la tendance à une très forte spécialisation. Les élèves se concentrent dans le tertiaire - commerce, gestion, soins à la personne - pour les deux tiers. Certaines entreprises veulent des compétences transversales, d'autres des profils très spécialisés. Comment résoudre cette équation ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Vous êtes au coeur de la question : comment former nos jeunes pour trouver un métier qui leur plaît et répondre aux besoins des entreprises. L'enseignement professionnel s'est saisi de l'apprentissage : le statut d'apprenti y a connu un fort essor, mais ce n'est pas la seule voie.

La variété des besoins des entreprises nécessite d'accélérer la révision de la carte des formations en partenariat avec les régions. Par ailleurs, de nouveaux plateaux techniques doivent être mis en place, afin que le lycée professionnel soit au rendez-vous des enjeux d'avenir tels que la souveraineté économique. Un partenariat transversal est essentiel ; notre coopération avec les régions doit être maximale.

M. Max Brisson .  - Je vous donne l'occasion de répondre aux attentes de Mme Brulin.

M. Pierre Ouzoulias.  - Ah !

M. Max Brisson.  - Concrètement, comment ferez-vous pour doubler la durée des stages - ce qui se comprend - sans mettre à la portion congrue les enseignements généraux, qui participent à la réussite professionnelle des jeunes et à leur formation comme citoyens ?

Par ailleurs, menez-vous une réflexion sur la nature de ces enseignements ? Les élèves entrent dans l'enseignement professionnel le plus souvent après un échec scolaire : ces enseignements ne doivent pas être une redite, mais bien un nouveau point de départ. Pourquoi ne pas s'inspirer des actions menées par les lycées agricoles, qui ont su renouveler leurs enseignements généraux ? (Mme Sylvie Robert opine du chef.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Les CAP et bacs professionnels sont des diplômes à insertion professionnelle directe, même si l'accès à l'emploi doit être amélioré. L'emploi du temps d'un élève en CAP se décompose ainsi : 55 % pour l'enseignement professionnel, 25 % pour l'enseignement général et 20 % pour les stages, contre respectivement 42 %, 33 % et 25 % pour un élève en bac professionnel.

Je veux donc vous rassurer, nous préserverons les temps consacrés aux savoirs fondamentaux. Nous voulons faire plus et mieux en matière de relation avec les entreprises, mais aussi mieux en enseignements fondamentaux, sans opposer les modèles. Le modèle du lycée agricole est très intéressant, même s'il est difficile à déployer à grande échelle. Nous nous en inspirerons : l'enseignement agricole est ainsi associé au groupe de travail.

M. Max Brisson.  - C'est la quadrature du cercle que vous cherchez.

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est un problème de mathématiques...

M. Max Brisson.  - Le Président de la République a été imprudent avec ses annonces.

Mme Sylvie Robert.  - Exactement !

M. Max Brisson.  - Répondez aussi sur les contenus !

M. Yan Chantrel .  - Une réforme de la voie professionnelle est indispensable. Près d'un tiers des établissements sont perçus comme une voie de garage ; c'est intolérable. Le Président de la République ne nous parle que de chômage, d'insertion, de besoins. Le taux d'insertion est de 50 %, et vous semblez culpabiliser les élèves et les enseignants. Or, grâce à l'action des professeurs et des équipes éducatives, les élèves, brisés par le système scolaire à leur arrivée, progressent. C'est au contact de leurs enseignants qu'ils deviennent des experts immobiliers, des conseillers bancaires, qu'ils ouvrent leur propre boutique ou continuent avec un nouveau cursus en art ou dans l'audiovisuel. C'est moins le cas en stage, où ils sont souvent vus comme de la main-d'oeuvre gratuite, voire harcelés.

Revenez sur votre décision d'allonger les temps passés en entreprise. Il faut aussi ouvrir de nouvelles filières, dans le numérique et le développement durable par exemple.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Les difficultés sont souvent préalables au lycée professionnel. La découverte des métiers est une des solutions. Le système doit évoluer en lien avec les familles, les élèves et les enseignants. Quand le taux d'insertion atteindra 80 %, nous aurons réussi. Tel est l'objet des groupes de travail, pour donner les leviers aux enseignants pour que les élèves réussissent.

« 1 jeune, 1 mentor » est un bon exemple d'accompagnement personnalisé : il redonne confiance aux élèves. Nous n'opposons pas les sujets. Si les enseignants cherchent à faire réussir les élèves, il faut leur en donner les moyens.

M. Yan Chantrel.  - Vous passez par la voie réglementaire et vous passez par-dessus la représentation nationale : voilà la raison d'être de ce débat ! Ayez le courage de nous présenter un texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

M. Jean Hingray .  - Nous sommes nombreux à avoir découvert dans une émission à grande écoute cet entrepreneur façadier contraint, au vu des carences de l'État, d'ouvrir sa propre école de formation. C'est dire si le désarroi est grand !

Quel bilan faites-vous de la réforme de Jean-Michel Blanquer de 2019 ? Avant d'imaginer l'accueil d'immigrés pour les métiers en tension, pourquoi n'avez-vous pas organisé de formations ad hoc ?

Répondons aux besoins des entreprises et permettons aux jeunes de gagner leur vie. Les façadiers gagnent en moyenne 2 000 euros nets par mois en début de carrière : il faut faire savoir ce qu'on peut gagner en travaillant de ses mains.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - La transformation de la voie professionnelle sous le précédent mandat a fait l'objet d'un premier bilan - positif. Le lycée professionnel a été recentré autour de l'élève. Le comité national créé en 2019 a rendu ses premières conclusions.

La transformation de la voie professionnelle (TVP) a été déployée dans tous les lycées professionnels, malgré la crise sanitaire - j'en profite pour saluer l'action des équipes. Les résultats sont bons : la co-intervention s'est développée, les heures à effectif réduit ont été renforcées, la réalisation de « chefs-d'oeuvre » a été proposée aux lycéens professionnels en vue de les aider à construire leur projet professionnel.

Cette réforme a permis de construire des parcours sur mesure : cela donne du sens aux jeunes et l'envie d'aller au bout de la démarche. Les campus des métiers et des qualifications ont été renforcés.

Le défi est maintenant d'améliorer l'orientation en seconde.

M. Jean Hingray.  - J'espère que ce constat permettra d'avoir un regard lucide sur le dispositif Blanquer. Il est important que les jeunes aient envie de faire quelque chose de leurs mains, de gagner leur vie, pour remettre la France au travail ; nous devrons avoir cela à l'esprit pour l'examen du prochain texte de Gérald Darmanin.

M. Stéphane Piednoir .  - J'attire votre attention sur le fait que plus de trois quarts des lycéens handicapés sont scolarisés en lycée professionnel, lequel ne représente pourtant que 30 % des effectifs globaux. Ces élèves ont besoin qu'on conforte les savoir fondamentaux et l'insertion professionnelle. Si les temps prévus pour les stages augmentent, la durée des enseignements généraux diminuera. Or les élèves handicapés ont besoin d'un accompagnement personnalisé.

Si les administrations et les entreprises de plus de vingt salariés ont l'obligation d'employer plus de 6 % de travailleurs handicapés, ce taux n'est que de 3,4 % en réalité. Les stages sont une opportunité d'insertion pour les élèves en situation de handicap, mais il pourrait être encore plus difficile pour eux de trouver un stage.

Leur situation sera-t-elle prise en compte dans les groupes de travail ? Bénéficieront-ils d'un accompagnement personnalisé ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Cette question de l'école plus inclusive est essentielle. L'enseignement professionnel accueille 31 000 élèves en situation de handicap, soit 5 % des effectifs, contre 3,3 % il y a cinq ans. Pour les accompagner, un effort important est réalisé : plus de 500 unités localisées pour l'insertion scolaire (Ulis) ont été créées en lycée professionnel et 300 en lycée polyvalent. Neuf fois sur dix, ces élèves ont des troubles cognitifs.

Nous devons faire mieux pour améliorer le diagnostic, même tardif, des élèves. Il nous reste sans doute des progrès à faire pour mieux les insérer professionnellement : à chaque fois qu'une personne en situation de handicap accède à l'emploi, c'est toute la société qui y gagne. Nous devons donc donner aux enseignants des leviers dans ce sens. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) sera prochainement auditionné par le groupe de travail, et les personnels des lycées sont formés. Augmentons les liens entre l'école et l'entreprise pour favoriser l'accueil des élèves handicapés.

Mme Corinne Féret .  - Je ne reviendrai pas sur la remise en cause du caractère national de cet enseignement, non plus sur votre volonté d'hyperspécialiser les élèves.

Comme tous les autres, les lycéens professionnels doivent acquérir des savoirs fondamentaux. S'ils passent plus de temps en stage, cela reviendra à diminuer les heures de ces enseignements, et donc les postes d'enseignants, que vous l'avouiez ou non.

Le Président de la République veut faire entrer des « professeurs associés » pour aider à « injecter leurs compétences dans le lycée professionnel ». Mais elles y sont déjà, dans le Calvados comme ailleurs !

En quoi votre réforme n'est-elle pas uniquement budgétaire ? Il faudrait privilégier la démocratisation de l'éducation et un égal accès au savoir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'intérêt du rapprochement école-entreprise est scientifiquement démontré : le fait d'avoir un stage est perçu positivement par le futur employeur. Il ne faut pas opposer les savoirs fondamentaux à la vie en entreprise.

La réforme ne consistera pas en une diminution des savoirs fondamentaux. Nous voulons investir massivement dans les lycées professionnels : le Gouvernement y est prêt, en vue d'accompagner les élèves dans la construction de leur avenir.

Vous nous accusez d'être flous : or la concertation est en cours !

M. Pierre Ouzoulias.  - Nous avons cinq ans d'expérience...

Mme Sylvie Robert.  - Nous verrons bien les résultats !

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Nous voulons faire de l'enseignement professionnel une voie aussi reconnue que l'apprentissage.

Mme Béatrice Gosselin .  - Avant la réforme de l'apprentissage, la carte de la formation des centres de formation des apprentis (CFA) relevait des conseils régionaux. Afin d'éviter les disparités entre les territoires, après la loi de 2018, France compétences est devenu l'interlocuteur unique en la matière.

Cela a permis de presque doubler le nombre d'apprentis en quatre ans, avec de fortes incitations financières pour les entreprises - une prime de 5 000 à 8 000 euros selon l'âge, sans compter les exonérations de charges. Fin 2022, on dénombrait 120 CFA en Normandie, contre 59 en 2018. Mais cela va parfois trop loin : dans la Manche, s'est ouvert un CFA spécialisé dans la métallurgie à proximité d'un lycée professionnel de la même spécialité. Cela fragilise le maillage territorial.

Les lycées professionnels n'ont pas réussi à convaincre de l'excellence de leur formation et peinent à recruter. Or plutôt qu'en concurrence avec les CFA, ils devraient être complémentaires. Quelles mesures comptez-vous prendre dans ce sens ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'apprentissage et l'enseignement professionnel ne sont pas en concurrence. Ils ne concernent pas les mêmes niveaux de diplôme ni les mêmes profils de jeunes.

Les parcours mixtes de formation concernent 60 000 lycéens professionnels. Mais ce n'est pas le seul levier de réussite : formation des professeurs, renforcement des enseignements, intensification de l'accompagnement. Il ne peut pas y avoir de concurrence, tant les modalités de stages sont différentes : en apprentissage, ils durent 88 semaines, contre 33 en lycée professionnel, et les entreprises qui les recrutent ne sont pas les mêmes. Ce sont deux dispositifs distincts, avec des passerelles possibles.

Mme Anne Ventalon .  - L'annonce de la réforme du lycée professionnel, sans aucune concertation préalable, a inquiété enseignants et familles.

Malgré un récent infléchissement, les intentions du Gouvernement demeurent floues. Les périodes de formation augmenteront de 50 % ; les enseignements généraux verront forcément leur durée diminuer. Or le lycée forme des adolescents qui doivent comprendre le monde dans lequel ils vivent : former leur esprit à la logique, leur enseigner l'histoire, la culture générale, le français et les langues vivantes est indispensable.

Je vous le demande à mon tour : comment résoudrez-vous l'équation consistant à augmenter la durée des stages sans toucher aux enseignements ? Par ailleurs, si une certaine autonomie est bienvenue, l'organisation locale des lycées professionnels ne risque-t-elle pas de nuire à l'unité des enseignements et à la délivrance nationale des diplômes ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Je souhaite rappeler l'importance du dialogue social dans cette réforme : j'ai rencontré les organisations syndicales enseignantes dès ma nomination, en juillet, puis en septembre - nous avons alors conclu un accord de méthode. J'ai rencontré aussi les organisations syndicales interprofessionnelles et patronales et j'ai participé aux concertations locales dans le cadre du CNR. Le groupe de travail est un lieu de coconstruction associant l'État, les régions, les enseignants, les élèves et leurs parents.

Le 13 septembre dernier, au lycée Éric Tabarly, le Président de la République a affirmé que les enseignements fondamentaux seraient préservés, et que, à cet effet, des temps supplémentaires pourraient être prévus, en amont et en aval du diplôme. Réfléchissons à une intelligence collective sur l'ensemble de vos questions. Cette réforme n'a pas pour objectif de faire des économies : au contraire, elle est une source d'investissements.

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - L'enseignement professionnel, secteur peu enclin à la protestation, s'est pourtant fortement mobilisé le 18 octobre dernier. L'augmentation de la durée des stages interroge sur leur financement : la rémunération des élèves sera-t-elle assurée par les entreprises ? Une partie sera-t-elle assumée par l'État ?

Si la synergie entre lycée professionnel et entreprises peut être satisfaisante dans les villes moyennes, dans les grandes agglomérations, la concurrence avec l'apprentissage est préoccupante. Allez-vous établir une cartographie des bassins d'emplois ?

Le Président de la République a expliqué que la réforme entrerait en vigueur progressivement. Faute d'une feuille de route claire, une nouvelle manifestation est prévue le 17 novembre prochain. Pouvez-vous apporter des réponses précises aux enseignants ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'enjeu des relations entre les écoles et les entreprises touche tous les territoires. Les disparités sont nombreuses. Allons plus loin en vue d'une réforme structurelle, tournée vers les élèves, dans le même esprit que les campus des métiers et des qualifications.

Les gratifications en milieu professionnel seront prises en charge par l'État.

Nous souhaitons renforcer les synergies entre l'enseignement professionnel et les entreprises, en lien avec les conseils régionaux. J'ai eu l'occasion de rencontrer les présidents de conseil régional, avec lesquels je souhaite travailler main dans la main. Leur rôle est essentiel : les enjeux d'investissement doivent s'envisager en coopération avec tous les acteurs.

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Il reste des verrous réglementaires, budgétaires et en matière d'orientation à faire sauter !

M. Édouard Courtial .  - Si comparaison n'est pas raison, il est toujours utile d'apprendre de ses voisins.

Dévalorisé, l'enseignement professionnel français est associé à la faiblesse des résultats scolaires et à une vision négative des métiers manuels ; c'est loin d'être le cas en Allemagne ou en Suisse.

Dans les autres pays de l'OCDE, les élèves de cette voie bénéficient d'une meilleure insertion professionnelle. En Écosse et en Angleterre, les parcours de formation peuvent se constituer à la carte, ce qui est impossible dans notre pays.

Enfin, le système français est trop soumis aux normes. C'est ainsi que les stages en boulangerie, possibles en Allemagne et en Autriche, ne le sont pas chez nous à cause des horaires trop matinaux... Comment aller vers plus de souplesse ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'image du lycée professionnel est l'affaire de tous. C'est un enjeu très fort. La solution passera par un meilleur taux d'insertion. Certains élèves ont de très belles réussites, à bac moins trois comme au niveau ingénieur.

Des compétitions comme les Worldskills ou les Olympiades des métiers sont des outils bienvenus. Nous souhaitons renforcer les savoirs fondamentaux, utiles à tous les citoyens, mais aussi mettre le lycée professionnel au centre des enjeux des filières de demain.

Nous sommes conscients de la nécessité d'assouplir certaines réglementations, mais il faut le faire au cas par cas : veillons à préserver avant tout la sécurité de nos jeunes. Les élèves doivent acquérir plus de codes, de liens, de contacts dans le monde de l'entreprise.

M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains .  - La massification de l'accès au bac dans les années quatre-vingt a rendu nécessaire une diversification des parcours. Il s'agissait d'encourager les vocations dans les métiers manuels via l'enseignement professionnel. Or la filière est aujourd'hui déconsidérée par les familles et largement méconnue des enseignants.

L'ambition était belle, mais le constat est amer pour Daniel Bloch, le père du bac pro en 1985 : baisse du niveau des élèves entrants, perte de valeur marchande du diplôme, modeste taux d'emploi. Il faut une refonte du système.

Les débats d'aujourd'hui soulignent les difficultés de méthode et de fond.

Il y a la vision jupitérienne, consistant à décider d'avance ce qu'il faut faire, tout en convoquant une concertation pour le valider... (M. Pierre Ouzoulias renchérit.) C'est du management par l'imposition d'une vérité divine : ne vous étonnez pas des réactions négatives, madame la ministre !

Il y a la vision arithmétique, qui convertit la baisse des heures en suppressions de postes d'enseignants -  7 000 à 8 000. Je ne puis croire qu'une telle démarche guide à elle seule la réforme. (MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias, ainsi que Mme Céline Brulin, approuvent.)

Il y a la vision syndicale, pour laquelle tout projet est déjà une atteinte aux statuts de la corporation. Quelques syndicats ont cependant accepté de participer aux groupes de travail. Le dialogue social n'est pas le point fort de notre pays, mais repartons sur de bonnes bases.

Il y a la vision comptable : qu'en sera-t-il de la rémunération des jeunes en entreprise si la durée des stages augmente ? Vous avez affirmé que l'État jouerait pleinement son rôle, dont acte.

Il y a la vision économique, pour laquelle chaque jeune est un futur candidat à l'embauche. Les entreprises n'ont pas à définir toutes seules les attendus des cursus, mais ne fermons pas les yeux sur le financement massif de certaines impasses, notamment dans le tertiaire. L'identification des besoins est un paramètre important.

Enfin, il y a la vision territoriale, appuyée sur les régions, qui financent les plateaux techniques et les lycées. Elles sont le meilleur soutien de la voie professionnelle et proposent de construire une carte des formations de proximité. Certaines tensions sur le marché du travail seront durables, avec de grandes disparités territoriales ; sachons y répondre avec pragmatisme.

La profondeur du sujet et la multiplicité des acteurs exigent une autre méthode. Dès lors, pourquoi cette négociation au forceps ? Commencez par évaluer la précédente réforme (MM. Max Brisson, Patrick Chaize et Pierre Ouzoulias approuvent), avant d'envisager une réforme ambitieuse pour la réussite de nos jeunes et la prospérité de notre pays. Et quand consulterez-vous le Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE et sur quelques travées des groupes SER et CRCE)

La séance est suspendue à 19 h 35.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.