Déclaration du Gouvernement relative à la politique de l'immigration

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique de l'immigration.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - L'immigration est un sujet complexe, qui a trait aux politiques publiques, à notre histoire, à notre conception de la Nation. Il soulève tensions, passions, fractures, mais il est essentiel d'en débattre sereinement.

Au Sénat, nous partons sur des fondements solides : la Haute Assemblée a toujours cherché des solutions communes. Parler d'immigration, c'est en évoquer les causes profondes : pauvreté, dérèglement climatique. C'est parler de nos frontières, de nos procédures et de notre droit. C'est relever le défi de l'intégration.

Dans quelques semaines, le Gouvernement présentera un projet de loi sur le sujet qui fait l'objet d'une vaste consultation conduite par le ministre de l'intérieur, avec la secrétaire d'État à la citoyenneté et le ministre du travail. Ce texte doit consolider les avancées de la loi Asile et immigration et adapter notre droit aux défis actuels.

Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, nous n'avons qu'une boussole : l'efficacité. Nous défendrons un texte équilibré, aux effets utiles et concrets.

Il est donc essentiel, comme je m'y étais engagée, de vous présenter mes orientations et d'en débattre.

Les faits, d'abord : oui, il existe une immigration légale. À entendre certains, on l'oublierait ! Cette immigration légale, c'est celle de salariés qualifiés et de personnes que les Français ont choisi d'épouser.

Oui, le nombre de titres délivrés progresse. Cela ne date pas d'hier : on est passé de 172 000 titres de séjour délivrés en 2007 à 271 000 en 2021. Cependant, l'immigration familiale a baissé.

La hausse est due à un enseignement supérieur attractif, avec le doublement du nombre d'étudiants étrangers depuis 2017. C'est une bonne nouvelle : ils parlent français et participent au rayonnement de notre pays.

Ensuite, le nombre de salariés qualifiés et de chercheurs a augmenté en quinze ans, au bénéfice de notre économie.

Enfin, les bénéficiaires de l'asile voient leur nombre augmenter modérément : 30 000 personnes dont l'accueil chaque année est l'honneur de la France, avec 3 000 Afghans et 108 000 Ukrainiens accueillis récemment.

Je remercie l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), les associations et les employeurs qui les accompagnent. Il faut une intégration digne et complète. Certaines difficultés demeurent, sur l'insertion professionnelle.

Le principal enjeu concerne les personnes qui se maintiennent sur notre territoire sans y avoir droit. Le flux de demandes d'asile augmente nettement et ceux qui se voient opposer un refus restent trop souvent sur notre territoire, dans la précarité, sans le droit de travailler, et sombrent parfois dans la délinquance.

Les amateurs de solutions toutes faites sont nombreux : les partisans du « y a qu'à, faut qu'on » appellent à un renvoi immédiat de tous à la frontière. Mais ce n'est pas si simple : on ne s'affranchit pas de la coopération avec les pays d'origine ni de l'État de droit.

D'autres appellent à des régularisations massives : il n'en est pas question. Nous ne donnerons pas de tels arguments aux passeurs, et les Français ne l'accepteraient pas.

Nous pouvons nous retrouver sur une préoccupation commune : éviter des situations indéterminées qui durent. Nous voulons clarifier bien plus vite les situations en accélérant le traitement des demandes d'asile et de droit au séjour, puis en éloignant plus rapidement ceux qui doivent l'être.

Quant à ceux qui ont vocation à rester, nous entendons réussir leur intégration, par la langue et par l'emploi.

Je sais pouvoir trouver au Sénat des partenaires pour construire ce texte ensemble. Monsieur le président Buffet, nous partageons les constats de votre rapport d'information. Nous nous inspirerons de vos propositions. Nous en mettrons d'autres en oeuvre, dont l'amélioration de l'accueil en préfecture et du recueil des titres et des demandes.

Je retiens cette volonté de bâtir des solutions au-delà des clivages. Comme pour la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), je vous confirme que le projet de loi sera d'abord examiné au Sénat. Nous espérons bâtir une majorité solide en nous appuyant sur votre important travail.

Comme l'a dit le Président de la République, nous devons mener une action complète, cohérente et efficace.

Notre stratégie commence par la prévention des départs irréguliers, grâce à l'aide publique au développement.

Ensuite, il faut protéger les frontières, avec un levier d'action européen tout d'abord. Lors de sa présidence de l'Union européenne, la France a obtenu des avancées sur le pacte sur la migration et l'asile, pour renforcer les contrôles à l'arrivée en Europe et la solidarité avec les États de première entrée.

Nous voulons renforcer Frontex et réformer l'espace Schengen et le système européen d'asile.

Le ministre de l'intérieur, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et la secrétaire d'État aux affaires européennes sont pleinement mobilisés.

Au niveau national, nous renforçons le contrôle aux frontières. Nous avons doublé les effectifs à nos frontières et les résultats sont là : 10 000 refus par mois prononcés en 2021, contre 3 000 début 2020 avant le covid.

Par ailleurs, nous réduisons la durée des procédures : celles de l'Ofpra ont diminué, mais celles des contentieux restent trop longues - un an en moyenne pour une demande d'asile. Nous visons six mois, notamment en simplifiant le contentieux des étrangers : le Conseil d'État et votre rapport d'information recommandent de passer de douze procédures à quatre. Nous réformerons la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Nous voulons éloigner plus efficacement les personnes déboutées en augmentant les capacités des centres de rétention administrative (CRA) et en agissant de façon bilatérale avec les pays concernés.

Nous devons être intraitables avec les étrangers délinquants, même en situation régulière. Ils se placent hors de notre communauté nationale, portent atteinte à notre pacte social et nuisent aux étrangers qui construisent des parcours d'intégration réussis. Plus de 3 000 étrangers auteurs de troubles à l'ordre public ont été éloignés en 2021 et en 2022. Des mesures d'expulsion doivent être prises contre les étrangers commettant des infractions graves, quelle que soit leur situation.

Notre vision est équilibrée. Si nous voulons voir partir ceux qui ne doivent pas rester, c'est aussi pour pouvoir mieux intégrer ceux que nous accueillons.

Cela passe par une refonte en profondeur de l'accueil en préfecture pour les renouvellements de titres et un renforcement de l'hébergement de demandeurs d'asile - 36 000 places de plus en cinq ans.

Le pilier de l'intégration est le travail. Alors que notre taux de chômage s'élève à 7,3 %, il faut proposer les postes vacants d'abord à nos ressortissants et aux personnes en situation régulière, alors que le taux d'emploi des immigrés est de neuf points plus faible que celui de l'ensemble de la population.

Un employeur peut toujours solliciter une autorisation de travail s'il n'a pu pourvoir un poste par Pôle emploi - la justification n'est même pas nécessaire pour les métiers en tension.

La question de la régularisation de personnes travaillant depuis longtemps sur notre sol se pose. Ne caricaturons pas : il ne s'agit que de régulariser ceux qui contribuent depuis longtemps à la richesse nationale, mais restent enfermés dans un statut précaire.

S'intégrer, c'est parler la langue de la République. Un niveau minimal de français doit être imposé pour l'obtention d'un titre de séjour de plus d'un an.

Nos principes d'action sont l'équilibre et l'efficacité : agir sur les causes profondes, assurer le respect des frontières et du droit, et donner les moyens d'une intégration pleine et entière, finalité de toute politique migratoire. Je suis convaincue que nous pourrons construire des réponses ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du RDSE et des groupes INDEP et UC ; M. René-Paul Savary applaudit également.)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - C'est un honneur, après la Première ministre, de dire quelques mots sur la politique migratoire. Je défendrai, avec le ministre du travail et le garde des sceaux, un texte devant votre assemblée. Il aura pour principes la fermeté, la simplification, l'intégration et le travail.

La fermeté, d'abord. Comme l'a dit le Président de la République en campagne, comme votre assemblée le déplore, comme la Première ministre le signifie, nous avons trop de difficultés à expulser des personnes commettant des actes criminels ou qui sont fichées. La cause en est les règles que nous nous sommes fixées dans les années 2000.

Nous voulons la fin des réserves d'ordre public qui empêchent l'expulsion de toute personne ayant commis des actes graves lorsqu'elle est déjà condamnée définitivement à une peine supérieure à cinq ans de prison. Nous proposerons de ne garder qu'une des sept réserves actuelles, sur les mineurs, qui relève d'un engagement international. Un préfet doit pouvoir demander l'expulsion de ces personnes, en respectant l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à la vie privée et familiale. Ce n'est pas à la loi de s'autocensurer : 4 000 expulsions pourraient être prononcées chaque année ; la Première ministre l'a rappelé, nous en sommes à 3 100.

Nous avons accepté un amendement de M. Ciotti pour créer 3 000 places supplémentaires en CRA, dans le cadre de la Lopmi (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.) Il faut mieux expulser les étrangers en situation irrégulière ou radicalisés. Les CRA accueillent à 92 % des personnes ayant un casier judiciaire ou étant fichées. Nous n'y mettrons plus les personnes sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne présentant pas de danger.

Depuis que je suis ministre, j'ai fait en sorte qu'il n'y ait plus d'enfant en CRA -  hors Mayotte, ce n'est plus le cas. Nous inscrirons dans le texte l'interdiction d'y accueillir des mineurs. La spécificité des CRA le justifie.

Le nombre de places en centre de rétention augmentera donc considérablement. En 2022, 450 places y ont été créées.

Notre deuxième principe est la simplification. Nous nous inspirons directement du rapport Buffet pour réduire le nombre de procédures de contestation des décisions administratives de douze à quatre. La longueur de l'attente et des recours suspensifs nous empêche d'avoir une politique migratoire digne de ce nom, pour notre pays et notamment pour ceux que nous acceptons. Certains ont, par exemple, eu des enfants en cours de procédure.

Nous territorialiserons la CNDA et nous instaurerons le juge unique pour l'immense majorité des décisions. Nous entendons l'appel à maintenir des instances collégiales, mais le juge unique est gage d'efficacité. Nous mettrons en place la visioconférence. Nous simplifierons aussi le lien entre les refus, qui représentent 70 % des cas, et l'OQTF. Le refus devant l'Ofpra ou la CNDA vaudra OQTF. Le tribunal administratif aura quinze jours pour juger l'acte contesté.

Actuellement, l'instruction d'une demande d'asile prend un à deux ans. La réforme Collomb a réduit à cinq mois l'instruction par l'Ofpra, mais la CNDA a des délais encore trop longs. Nous voulons passer à moins de neuf mois tout compris.

Le troisième principe est celui de l'intégration. La Lopmi prévoit une hausse de 25 % du budget qui y est consacré. L'apprentissage du français est important, d'autant que 25 % des étrangers en situation régulière parlent très mal français. Les cours obligatoires ne sont pas sanctionnés par un examen. Nous voulons conditionner la délivrance d'un titre de séjour à la réussite d'un examen de français. Sans une telle réussite, pas de titre de séjour - 270 000 personnes sont concernées. Nous voulons aussi un examen sur les valeurs de la République.

D'importantes avancées réglementaires devront révolutionner le travail des préfectures sur le renouvellement des titres de séjour, avec une automaticité et un devoir de rappel en cas de difficulté. Il faudra concentrer le travail des agents de préfecture sur les primo-arrivants - parlent-ils français, veulent-ils s'intégrer ? - et sur les expulsions.

Depuis 2020, 92 000 titres de séjour ont été refusés ou retirés à des étrangers ayant des difficultés avec les règles de la République. Reste à s'assurer qu'ils quittent le territoire : arrêtons d'embêter ceux qui ne posent pas de problème et expulsons ceux qui en posent. C'est ce que les Français demandent. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Brigitte Lherbier applaudit également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Le Sénat est réuni pour débattre d'un sujet important et complexe, qui peut se résumer simplement : comment et sous quelles conditions accueillir sur notre sol des femmes et des hommes de nationalité étrangère ?

Il faut se départir de tout dogmatisme, démagogie et angélisme, pour appréhender l'immigration de façon globale et pragmatique.

L'immigration implique de nombreux périmètres ministériels. Depuis longtemps, le ministère de la justice travaille sur les procédures applicables aux étrangers. Simplifions le traitement du contentieux des étrangers, activité principale des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Comme le souligne le rapport Stahl de 2020, il faut rechercher une plus grande efficacité des mesures juridictionnelles. Cela rejoint les conclusions de l'excellent rapport de François-Noël Buffet,... (Marques amusées de satisfaction à droite)

M. Bernard Bonne.  - N'exagérez pas !

Une voix à droite.  - Fayot !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - ... qui dresse le triple constat d'un droit des étrangers devenu illisible, de procédures inefficaces et d'un manque de moyens des services de l'État pour les mettre en oeuvre.

Le Gouvernement ouvrira le chantier de la réforme du contentieux des étrangers. La réforme du contentieux de l'asile devra aussi être mise à l'ordre du jour. Je sais que vous aurez à coeur de défendre une procédure efficace. La protection des droits, oui, l'instrumentalisation du droit et le dilatoire, non.

Constatons-le lucidement : oui, il y a des étrangers délinquants. Nous sommes dans la moyenne européenne.

M. François Bonhomme.  - Cela nous rassure !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Mais l'écrasante majorité des personnes que nous accueillons aiment notre pays et en respectent les lois. N'acceptons pas les amalgames faciles ou les assimilations entre immigration et délinquance - sans angélisme.

Notre droit pénal doit être plus efficient contre les étrangers ne respectant ni nos lois ni notre pacte républicain.

L'interdiction du territoire français est une peine complémentaire prévue dans de nombreuses infractions, les plus graves : terrorisme, crime contre l'humanité, atteinte volontaire à la vie... Pourquoi ne pas harmoniser les conditions d'interdiction judiciaire du territoire avec celles des mesures d'expulsion ? Il est légitime qu'un juge puisse protéger notre territoire aussi bien qu'un préfet qui décide d'expulser un étranger délinquant. Pourquoi ne pas explorer un élargissement de cette peine complémentaire, tout en garantissant les grands principes de l'État de droit ?

Ces pistes sont sérieusement à l'étude.

C'est tout l'enjeu des débats qui nous attendent. Nous voulons être fermes à l'égard des étrangers qui s'affranchissent de nos règles tout en garantissant à chacun un examen individualisé de sa situation personnelle et familiale.

Les Français nous regardent : montrons-nous à la hauteur de leurs attentes légitimes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP) Une politique d'intégration doit envisager le travail comme un outil essentiel, car c'est le seul moyen durable de subsistance.

Le contexte professionnel facilite l'apprentissage de la langue et de la culture française. La France a besoin de talents étrangers. Cela ne nous délie pas de notre obligation de formation envers nos compatriotes. Nous devons pouvoir, subsidiairement, recourir au recrutement d'étrangers non communautaires pour faire face à nos besoins.

Il existe des procédures, mais nous devons analyser lucidement notre système, parfois inefficace et injuste.

Il est parfois inefficace car il ne permet pas aux étrangers de se former et d'avoir un emploi. Leur taux de chômage est de 13 % contre 7,5 % pour l'ensemble de la population.

Il est parfois injuste car nous enfermons dans l'illégalité des étrangers présents depuis longtemps sur notre territoire, travaillant dans des secteurs en tension, essentiels pour notre prospérité, souvent déclarés, mais parfois à la limite de la traite ou hébergés dans des conditions indignes. Ces situations sont inacceptables et doivent être supprimées. Revenons à un socle commun pour tous les salariés.

Nous devons sortir d'un système perdant-perdant, tout en luttant contre le travail illégal. Des étrangers travaillant depuis plusieurs années dans des secteurs en tension, intégrés, sont sans droit de séjour. Nous voulons leur accorder un titre temporaire d'un an pour leur permettre de s'insérer dans un parcours plus classique.

Allons-nous favoriser le travail des étrangers au détriment de celui des Français ? Non. Les étrangers ne prennent le travail de personne, notamment dans les secteurs en tension, où il est bien difficile de recruter.

N'oublions pas notre objectif de plein emploi pour tous.

De nombreuses entreprises veulent régulariser certains de leurs employés. Nous actualiserons la liste des métiers en tension, en y incluant ceux de la restauration ou de la propreté.

Constatons la lenteur des sanctions infligées en cas de travail illégal. Il faudra des sanctions plus rapidement applicables. Nous ne modifierons pas les sanctions pénales, pour les cas les plus graves. Les sanctions administratives - fermeture d'un établissement pour trois mois maximum par le préfet - doivent être facilitées. Il faut aussi favoriser les amendes, en fonction des ressources et charges et de l'intentionnalité.

L'intégration se fait aussi par la langue. Les employeurs doivent faciliter l'intégration des étrangers par ce biais. Nous avons ouvert un dialogue avec les partenaires sociaux pour renforcer la formation continue et mettre à contribution les employeurs.

Nous abordons ce débat sans naïveté, pour ne pas être complices passifs, mais avec la volonté de protéger les travailleurs comme les chefs d'entreprise qui n'ont pas d'alternatives. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Philippe Bonnecarrère, Alain Richard et François Patriat applaudissent également.) « Il n'existe pas, le pays qui peut aujourd'hui accueillir l'ensemble des migrants économiques, il n'existe pas » ; « Nous avons besoin d'améliorer l'intégration dans la République, plus vite, mieux » ; « Je ne veux plus de femmes et d'hommes dans les rues. Mais partout, dès la première minute, un traitement administratif qui permet de déterminer si on peut aller vers une demande d'asile ou non. Et derrière, une vraie politique de reconduite aux frontières ».

Ces trois phrases ne sont pas les miennes, mais celles du Président de la République à Orléans, il y a cinq ans. (Exclamations à droite)

M. François Bonhomme.  - Quel aveu d'échec !

M. François-Noël Buffet.  - On aurait pu être séduit par ces propos, qui semblaient envisager globalement la politique migratoire. Mais la triste réalité, c'est que notre politique d'immigration est dans l'impasse.

Je vous concède, madame la Première ministre, que cela provient des errements du quinquennat de M. Hollande.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cela faisait longtemps...

M. François-Noël Buffet.  - Mais le Gouvernement n'a pas pu redresser la barre. En 2021, 270 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en France, soit 100 000 de plus qu'en 2011. Le stock de titres valides a grimpé d'un million pour atteindre 3,4 millions.

Certains soutiennent que l'immigration est une chance pour les pays européens. Sans doute, à condition que ce ne soit pas une charge. Or le niveau de qualification des immigrés en France est moindre que chez nos voisins.

L'intégration suppose la maîtrise de la langue et le respect des valeurs. Or 25 % des étrangers en situation régulière parlent ou écrivent très mal le français.

Nous maîtrisons mal nos frontières. En 2006, le Gouvernement estimait qu'il y avait 200 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière. Aujourd'hui, ce serait entre 600 000 et 800 000... Le taux de réalisation des OQTF était de 6,9 % au premier trimestre 2022, contre 22 % en 2012. Nous ne pouvons que constater que les OQTF étaient trois fois plus exécutées il y a dix ans.

Le délai d'examen des demandes d'asile est aujourd'hui de 330 jours. C'est d'autant plus regrettable que le nombre de demandes augmente. En 2023, nous devrions dépasser le record de 2019 avec 135 000 demandes attendues.

N'ayons ni malice ni fatalisme. Ce serait alimenter des postures stériles ou des peurs et ouvrir la porte aux extrêmes.

Madame la Première ministre, vous l'avez dit à l'Assemblée nationale la semaine dernière : si nous voulons débattre sérieusement de la politique migratoire, nous devons adopter un langage de vérité, et dresser le constat lucide d'une immigration non maîtrisée et d'une politique publique qui a perdu tout son sens.

L'immigration zéro est une chimère, l'accueil au fil de l'eau une folie !

Ce qui nous fait défaut, c'est une réelle stratégie migratoire. Nous ne faisons qu'en subir les soubresauts. Nous avons été dépassés par les flux en 2015. Nous venons de vivre un moment particulier avec l'Ocean Viking.

Comme tout État souverain, nous devons décider qui nous voulons sur notre territoire et qui n'y a pas sa place.

Nous avons trois principes : une immigration régulière choisie, d'abord économique ; l'intransigeance contre l'immigration irrégulière ; l'efficacité dans la procédure d'asile.

C'est cette stratégie que défend le Sénat depuis des années, notamment lors de la loi Collomb en 2018.

Nous sommes satisfaits que le Gouvernement reprenne certaines de nos propositions. Je le remercie de déposer son texte d'abord devant le Sénat. Vous vous inspirez de mon rapport, c'est un bon début. (Mme la Première ministre s'en amuse.)

Je vous ferai des propositions concrètes pour doter la France d'une stratégie migratoire réellement ambitieuse et efficace.

La Première ministre a déploré le manque de propositions à l'Assemblée nationale. Les nôtres sont sur la table.

Nous devons retrouver notre souveraineté, en décidant qui nous voulons sur notre territoire, en donnant la priorité à l'immigration économique, qui représente à peine 13 % des premiers titres de séjour délivrés en 2021, avec des quotas, ou à tout le moins de grandes orientations.

Il faut restreindre les voies d'accès, en revenant notamment au critère d'absence de soins dans le pays d'origine pour l'accueil d'étrangers malades. En 2021, nous avons ainsi reçu 5 000 demandes émanant de pays du G20, qui ont pourtant des systèmes de soins développés.

Resserrons aussi les critères du regroupement familial, dans le respect du droit européen.

Nous devons mieux traiter ceux que nous acceptons sur notre territoire. Je ne reviendrai pas sur les situations ubuesques engendrées par les difficultés d'accès aux préfectures. La refonte des pratiques d'instruction à 360 degrés, expérimentée à Angers, est une très bonne démarche.

Il faut muscler le dispositif d'intégration. Augmenter les heures d'enseignement du français est une bonne chose. Il faut renforcer les devoirs de l'étranger, en imposant la réussite à un examen non seulement linguistique, mais aussi civique. Passer d'une logique de moyens à une logique de résultats est la meilleure solution. Nos valeurs républicaines ne sont pas négociables, et l'obtention d'un titre de séjour doit être conditionnée à leur respect.

Il est crucial de favoriser la protection internationale en permettant à l'Ofpra de statuer plus rapidement sur les cas simples, mais de refuser l'asile en cas de menace à l'ordre public. Cet office pourra ainsi se concentrer sur les cas les plus complexes. Je salue son travail.

Nous devons faire de la lutte contre l'immigration irrégulière une priorité nationale. Cela nécessite d'assumer d'établir un rapport de force avec les pays d'origine. Le Sénat avait proposé de restreindre la délivrance de visas aux pays accordant peu de laissez-passer consulaires. Le Gouvernement l'avait rejeté, mais y est revenu, avec des effets positifs : les retours forcés vers l'Algérie, modestes en volume, ont été multipliés par seize en moins d'un an !

Il faut réformer l'aide médicale d'État, qui atteint des sommets, avec 400 000 bénéficiaires. Une réforme structurelle est nécessaire. Remplaçons-la par une aide médicale d'urgence, pour les pathologies les plus graves. L'AME incite parfois à l'immigration irrégulière.

Le titre de séjour « métiers en tension » est une opération de régularisation qui ne dit pas son nom. Le problème est réel. Nous ne pouvons nier que certains métiers, parfois indispensables, sont exercés par des étrangers. Faut-il une régularisation massive sans ciblage ? Non, cela créerait un appel d'air et des filières criminelles se formeraient immédiatement. Il faudra des critères et des conditions.

Disons les choses telles qu'elles sont. Sur la réforme du contentieux, par exemple. Le droit des étrangers est d'une complexité qui frôle l'absurde. C'est une charge pour les magistrats, une source d'insécurité juridique pour les justiciables et une aubaine pour ceux qui souhaitent se soustraire à l'éloignement.

Le Gouvernement souhaite réduire à quatre le nombre de procédures contentieuses ; nous proposons de passer à trois.

Madame la Première ministre, ce n'est pas en masquant les problèmes que nous allons les oublier, ou en les nommant qu'on les aggravera. C'est avec des propositions concrètes qu'on les résoudra - cela tombe bien, nous en avons.

Il y a eu vingt et une lois relatives à l'immigration en trente ans, soit une tous les seize mois. Dotons notre pays d'une vraie stratégie. Nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST) L'asile est un droit, un engagement conventionnel et une part de notre identité constitutionnelle. L'immigration, c'est autre chose : c'est une politique à mener en respectant nos principes et les intérêts de notre pays.

Avant 2018, jamais ces sujets n'avaient été abordés dans les mêmes lois, car ils sont distincts.

Les Français semblent fermés à l'immigration, mais ils sont ouverts et généreux face à des situations concrètes et attachés à notre tradition d'asile.

La France est restée à l'écart des grandes demandes de protection. Nous ne sommes pas le pays accueillant le plus d'Ukrainiens. Nous délivrons peu de premiers titres de séjour par rapport à des pays similaires. Au début du XXe siècle, 5 % de la population mondiale était migrante, contre 3,5 % aujourd'hui. L'immigration familiale n'est pas open bar : il faut plus de dix-huit mois de présence en France et des conditions précises de ressources et de logement pour avoir un titre.

Madame la Première ministre, vous pratiquez une politique du désordre et de l'affichage. Actuellement, il est impossible de prendre rendez-vous en préfecture : certains se retrouvent en situation irrégulière faute de pouvoir renouveler leurs documents. Pas moins de 50 % de la justice administrative est mobilisée sur ces dysfonctionnements. Vous annoncez un renouvellement automatique. Comment cela se fera-t-il ? En deux ans, vous n'avez rien fait pour les personnes ni expulsables ni régularisables. (M. Gérald Darmanin, ministre, proteste.)

Il faut faire un examen à 360 degrés de toutes les situations, et pour cela il faut du personnel. D'une préfecture à l'autre, nous ne traitons pas de la même manière toutes les demandes.

Désordre, lorsque vous exigez plus d'OQTF des préfets, alors qu'ils devraient se concentrer sur les personnes présentant une menace pour l'ordre public et non seulement les personnes inscrites au fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ).

À vouloir faire du chiffre, on ne fait pas l'essentiel : vous instrumentalisez les dublinés et les agents de la police aux frontières (PAF) perdent le sens de leur travail.

Les CRA sont pleins à 90 %. Mais des CRA qui fonctionnent, ce sont des CRA avec des personnes expulsables.

Désordre lorsque vous appelez à simplifier le droit des étrangers, mais que vous prévoyez de créer des OQTF qui n'en auront que le nom.

Désordre lorsque les défaillances de l'État conduisent les personnes à s'appuyer plus sur leur communauté que sur les services publics et à faire peser le devoir d'humanité sur les collectivités et les associations.

Je constate une évolution depuis votre déclaration à l'Assemblée nationale : vous évoquiez la non-rétention en CRA des moins de 16 ans, et vous venez de mentionner l'ensemble des mineurs devant nous. Je salue cette évolution, accomplie en une semaine.

Ces questions dépassent le seul ministère de l'intérieur, car l'intégration réussie passe par le travail et par l'école. L'accueil des Vénézuéliens en Colombie et des Ukrainiens dans l'Union européenne s'est fait avec un droit immédiat au travail. C'est le meilleur moyen d'éviter le dumping social et l'esclavage moderne.

Madame la Première ministre, vous n'avez pas forcément besoin de la loi. La liste des métiers en tension n'a changé qu'une fois depuis 2008. Les cas d'apprentis expulsés, si choquants, n'ont pas disparu. Les préfectures ont besoin de moyens supplémentaires.

Le titre de séjour « métiers en tension » s'adressera-t-il à de nouveaux arrivants ou à des personnes exerçant déjà ces activités ? Le refus de la présomption de salariat sera-t-il maintenu pour les travailleurs des plateformes, alors que des milliers de clandestins contribuent à notre économie ?

La France est fait partie de l'espace Schengen. Une commission d'enquête du Sénat a rappelé l'utilité de cet espace de libre circulation, dès lors qu'il y avait de la confiance, des échanges d'informations et une surveillance sérieuse des frontières extérieures. Or depuis quelques années, nous l'avons beaucoup renforcé, tout comme le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias) et Frontex. L'Europe n'est pas un problème, c'est une solution.

Le pacte sur la migration et l'asile a encore renforcé la cohérence de cette politique. Il peut y avoir des nouvelles arrivées qui demanderont de la solidarité. Mais chaque pays doit respecter le droit européen, l'Italie comme la France : on ne peut pas remettre en place à long terme des contrôles aux frontières à l'intérieur de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) l'a justement rappelé.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous dites le contraire de la loi !

M. Jean-Yves Leconte.  - Des délais incroyables, des refus arbitraires, des projets de vie détruits : ce n'est plus Paris, mais Istanbul, Dubaï et Moscou qui font rêver. (M. Gérald Darmanin, ministre, continue de protester.) Des liens historiques sont détruits, des contrats ne sont pas signés, des visites sont annulées. Cela doit cesser.

Plus de 17 000 morts en Méditerranée, dont des milliers d'enfants. Cela aussi doit cesser. La lutte contre les passeurs n'est pas compatible avec le financement de gardes-frontières libyens. Au-delà des coups de menton, il faut une démarche avec les pays d'origine et de transit qui laisse une place significative à la mobilité légale.

L'asile est essentiel. Vous prévoyez un guichet France asile. Très bien, mais les personnes qui méritent d'être protégées auront-elles le temps de se préparer ?

Nous refusons le juge unique systématique à la CNDA. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ne doit pas en être exclu. Il faut une reconnaissance européenne dans l'instruction des demandes d'asile, donc une Cour européenne du droit d'asile. Il n'y a pas de temps à perdre pour qu'un demandeur obtienne un travail, une formation, des cours de langue, afin de devenir très vite autonome.

Il n'y a qu'une seule République, il ne peut y avoir qu'une seule loi. La situation de Mayotte est particulière, mais il ne peut y avoir des titres de séjour à Mayotte qui ne permettent pas de circuler dans l'Hexagone. Sans cela, toutes les larmes versées sur Mayotte sont hypocrites.

Nous avons besoin d'une politique humaine, cohérente et profondément européenne. Sachons corriger nos erreurs pour mieux intégrer ceux qui viennent se protéger, travailler ou étudier. C'est avec l'immigration que notre pays s'est construit. Ayons confiance en nous et donnons confiance à l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'immigration met en tension la souveraineté et la citoyenneté, fondements respectifs de l'État et de la Nation.

Nous récusons toute incompatibilité entre lutte contre immigration et État de droit, et ne proposerons donc pas de mesure constitutionnelle.

La révision du pacte sur la migration et l'asile est un échec, malgré le renforcement de Frontex, la création de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile et l'harmonisation de la liste des pays sûrs.

Nous proposons une reconnaissance mutuelle de rejet des demandes d'asile, afin d'éviter l'immigration de rebond. Si ce n'est pas possible à vingt-sept, faisons une coopération renforcée à partir de neuf États ou des accords bilatéraux.

Nous souhaitons l'entrée en vigueur en 2023 du système d'entrée-sortie (EES), enfin robuste : en cas de refus de se soumettre au relevé d'empreintes, l'intéressé se verrait refuser l'entrée sur le territoire européen.

La première voie d'immigration est familiale, au titre du droit à la vie privée. Nous proposons de porter de 18 à 24 mois le délai de présence régulière pour faire une demande. Nous proposons aussi d'utiliser les mesures conditionnelles prévues par la directive de 2003 relatives à l'intégration : ressources suffisantes, logement, respect de l'ordre public, maîtrise de la langue, mais aussi de la culture française, monsieur le président Buffet.

La deuxième voie est celle des permis de séjour. Vous proposez d'en créer un pour les métiers en tension. Nous serions favorables s'il s'agissait de métiers qualifiés. Nous connaissons cette vieille tendance française à confier aux étrangers les métiers dont les Français ne veulent pas. C'est une trappe à bas salaires et un appel d'air à une main-d'oeuvre non qualifiée, mal rémunérée et renouvelée, qui est nuisible à notre pays, alors qu'une immigration bien rémunérée peut être positive. Nous vous suivrons donc à condition que le salaire soit a minima supérieur au salaire moyen au niveau du pays ou de la branche, gage de bonne intégration.

Notre groupe est aussi favorable à un débat annuel ou biennal sur l'immigration. Les Français ont en effet leur mot à dire, il est de notre responsabilité de le porter.

Nous vous suivons sur la conditionnalité des visas, voire de l'aide au développement.

Nous serions ouverts à la possibilité pour le demandeur d'asile de travailler sans attendre le délai de six mois ; cela permettrait de juger de sa capacité à s'intégrer.

Nous ne vous suivons en revanche pas du tout sur la démarche de l'aller-vers pour l'Ofpra et la CNDA. L'Ofpra a fait de gros progrès, mais nous doutons qu'il puisse atteindre son objectif de 60 jours en saupoudrant ses officiers dans les préfectures - les officiers de protection instructeurs sont des spécialistes, dont il ne faut pas fragmenter l'expertise. Même chose pour la « territorialisation » de la CNDA, qui a besoin de tel interprète et de tel cabinet d'avocat. La CNDA est le maillon faible de la chaîne et est très loin de ses objectifs.

Vous proposez de systématiser le juge unique et la visio-audience : nous sommes réservés pour le premier, mais favorables à la seconde.

Nous sommes sceptiques à l'idée d'une OQTF dès le rejet par l'Ofpra : il resterait une possibilité de recours. Nous préférons qu'une décision de rejet de la CNDA soit assortie de plein droit d'une OQTF.

La seule condition d'un séjour de cinq ans en France ne pourrait suffire à une régularisation ; le Sénat l'a déjà votée.

Nous approuvons les simplifications proposées dans la logique du rapport Buffet.

Nous souhaiterions une évaluation des certificats d'hébergement. Les pratiques sont-elles harmonisées ? Quel est le niveau de contrôle ? La participation des collectivités territoriales est nécessaire ; elle serait aussi utile pour le contrat d'intégration républicain, auquel il manque une dimension locale.

Nous sommes plus réservés que certains collègues sur l'AME - le terme « nécessaire » est proche de celui d'urgence. Mais nous suggérons, comme le président Buffet, d'examiner la procédure de l'étranger malade, qui est une exception française, à « guichet ouvert » selon l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Nous suggérons de la conditionner à la signature d'une convention préalable avec le système de santé du pays d'origine - le rapport Buffet le mentionne.

Vous l'avez compris : pour les sénateurs centristes, l'immigration ne doit pas être un fonds de commerce politique, mais elle doit être régulée, pour garantir la solidité de notre contrat social. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. François Patriat applaudit également.)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce débat de bonne tenue était nécessaire. Nous remercions le Gouvernement de l'avoir inscrit à l'ordre du jour.

Nous devons tenir un discours de vérité aux Français, sans caricature. Cela nécessite d'admettre que l'immigration, régulière et irrégulière, est en progression, mais que la France n'est pas confrontée à un tsunami migratoire, chiffon rouge de l'extrême droite. François Héran le dit : « un nombre d'immigrés en hausse, mais pas en pointe, une immigration familiale contenue, un essor important des étudiants internationaux, des régularisations en nombre limité ». Ce n'est pas le grand remplacement ! La proportion d'immigrés dans notre pays, 10 %, est largement inférieure à la moyenne de l'OCDE, loin du raz-de-marée dénoncé par les idéologues xénophobes.

Quatre défis sont devant nous : préserver l'asile ; renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière ; améliorer les conditions d'accueil, à commencer par les guichets des préfectures ; faciliter l'intégration.

La politique du Gouvernement est lisible et cohérente. Depuis 2017, le diptyque humanité et fermeté guide notre action. Mais sitôt exposées, les premières propositions ont été déformées. Ayez l'honnêteté, chers collègues, de reconnaître que le taux d'exécution des OQTF n'a jamais dépassé 20 %.

Mme Sophie Primas.  - C'est nous qui ne sommes pas honnêtes ?

M. François Patriat.  - Cette difficulté est liée à celle de convaincre les pays d'origine de délivrer des laissez-passer consulaires. Les efforts de la France commencent à porter leurs fruits.

Je déplore les oppositions partisanes, d'autant plus que le Gouvernement dit s'inspirer du rapport du président Buffet, et je regrette le dogmatisme de la majorité sénatoriale sur le titre de séjour « métiers en tension ». Il ne s'agit pas d'un projet de résignation nationale et cela ne créera pas d'appel d'air. Régulariser les étrangers intégrés au cas par cas et durcir les sanctions contre les employeurs : voilà la logique. Plutôt que de faire des procès d'intention, pourquoi ne pas chercher à améliorer ces dispositifs ?

Nous veillerons à ce que la perte d'un emploi n'emporte pas celle du titre de séjour.

M. Jean-Yves Leconte.  - Ah !

M. François Patriat.  - Nous sommes particulièrement attentifs à l'outre-mer. À Mayotte, 50 % de la population est immigrée, mais il y a eu 24 000 reconduites à la frontière en 2021, en hausse de 78 % par rapport à 2020.

Ne cédons ni au simplisme ni au populisme. Les relations entre migration et développement sont complexes. C'est pourquoi il faut sécuriser le parcours migratoire et permettre les allers et retours avec les pays d'origine. Une première étape a été franchie avec le passeport Talents en 2016 ; nous proposons de le simplifier et de l'étendre aux professions médicales.

La gestion des flux migratoires relève de la souveraineté nationale, mais nécessite une coopération européenne. Il faut réformer le système Dublin et instaurer des mécanismes de solidarité. La France est au rendez-vous quand elle se mobilise pour les Afghans, les Ukrainiens ou les migrants en mer. Les États membres doivent surmonter leurs différences pour élaborer un cadre commun.

Notre groupe soutiendra le projet et apportera ses propositions, sur la base de votre présentation, madame la Première ministre. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. Pierre Laurent .  - Voilà bientôt le vingt-neuvième texte sur l'immigration en 40 ans.

Les structures d'accueil et les associations sont vent debout contre votre circulaire du 17 novembre sur l'hébergement d'urgence, monsieur le ministre de l'intérieur. Mauvais début ! Ce texte ouvre la voie à toute l'hystérie que ce sujet suscite et aux assimilations entre immigration et délinquance - témoin l'Ocean Viking. Il faut, enfin, un débat sérieux et serein sur cet enjeu essentiel.

De tout temps, la France s'est construite en accueillant des migrants. C'est ainsi qu'elle est devenue la patrie des droits de l'homme. Mais rompant avec cette histoire, nous sommes devenus un des pays les plus restrictifs d'Europe. Nous assistons à un traitement indigne des droits humains des migrants.

Guerres, violences faites aux femmes, catastrophes climatiques jettent des millions sur les routes de l'exil. La mondialisation a aussi changé la donne : les inégalités sont devenues intolérables. Mais agissons-nous contre ces inégalités et ces insécurités ? Bien au contraire. La politique des pays riches ne cesse de déstabiliser les États du Sud : opérations militaires, traités de libre-échange, contrôle monétaire de l'Afrique de l'Ouest par le franc CFA, atermoiements de la COP27 face à la crise climatique...

Mais nous ne parlerons pas de tout cela. Certains diront avec des mots nouveaux : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

Nos propositions concrètes seront balayées d'un revers de la main.

Les réfugiés fuyant la guerre en Syrie auraient pu être à l'origine d'une nouvelle prise de conscience en Europe, mais après le courageux « nous y arriverons » d'Angela Merkel, voilà le retour des murs et des barbelés. L'Europe a tourné le dos à ses devoirs de solidarité, et la PFUE a passé son tour sur le pacte sur la migration et l'asile.

L'absurde règlement de Dublin génère souffrances et indignité. Camps d'exilés, dizaines de milliers de morts en Méditerranée et dans les Balkans : la France ne cherche plus qu'à externaliser le traitement des migrants et à marchander les reconduites à la frontière avec les pays de départ.

Mais les causes de l'immigration sont profondes : tout cela ne fait que favoriser les contournements. Pourtant des voies légales et sécurisées sont possibles ; l'Europe accueille bien des millions d'Ukrainiens. Un Afghan fuyant les Talibans, une Nigériane fuyant les violences et l'excision, une famille pakistanaise fuyant les inondations valent-ils moins ?

Mais nous ne parlerons sans doute pas de cela. Votre projet - dont nous n'avons pas encore le texte - semble se concentrer sur les deux faces d'une même pièce : régularisation par le travail et accélération des expulsions.

Nous sommes pour régulariser tous ceux qui travaillent : les grèves de sans-papiers montrent que des filières entières dépendent d'eux, au vu et au su de tous. (M. Pascal Savoldelli le confirme.)

Nous ne voulons pas de quotas et serons vigilants sur la liste des métiers. Le Gouvernement serait prêt à accueillir des étrangers « utiles » ? Il ne doit pas s'agir de régulariser l'exploitation patronale, mais plutôt ceux qui peuvent enrichir notre pays et y sécuriser leur vie.

Nous sommes favorables à la suppression du délai de carence pour les réfugiés et à un titre de séjour d'au moins deux ans.

Le ministre de l'intérieur évoque la réussite d'un test de français : personne ne peut être contre l'apprentissage du français, mais cela ne doit pas être discriminant. Combien de Français aux origines immigrées ont mis des années à parler français ?

M. Pascal Savoldelli.  - On l'a même connu dans nos familles !

M. Pierre Laurent.  - La fin du contrat de travail valant OQTF perpétuerait le cycle infernal.

Quant au renforcement des OQTF, fausse contrepartie du premier sujet, le risque de non-respect du droit est grand. La CEDH rappellera qu'on ne peut porter atteinte au droit à un recours effectif.

Généraliser le juge unique déshumanisera les procédures, avec un risque de rejet systématique - c'est aussi le cas des audiences vidéo. La souffrance n'est pas perceptible de la même façon en présentiel.

Voilà les principes avec lesquels nous aborderons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme Colette Mélot .  - « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose qu'on veut défendre. » Les mots de Richelieu ont une résonance particulière dans cette actualité récente, autour du sigle des OQTF. Ainsi, des lois déterminent qui peut entrer et vivre sur notre territoire, mais elles ne sont pas respectées. C'est incompréhensible. La France doit contrôler ses frontières, mais ce n'est plus le cas depuis longtemps. C'est dangereux pour nos institutions. En refusant un cap clair, c'est la démocratie et la cohésion de la Nation qui sont en danger : de plus en plus d'Européens portent au pouvoir des nationalistes. Cela a joué un rôle dans le Brexit et la montée de l'extrême droite en Allemagne, en Autriche, en Suède et en Italie. En France, l'extrême droite a désormais le deuxième groupe de l'Assemblée nationale. Certains seraient tentés de copier leurs réponses simplistes : pari hasardeux. Entre une extrême gauche qui refuse de voir que nous n'avons pas les moyens d'accueillir le monde entier et la fermeture à double tour des marchands d'angoisse, nos concitoyens ont droit à une alternative crédible.

L'immigration, à aucun prix, ne se fait au détriment de la cohésion de la Nation. C'est à la France de fixer ses conditions d'accueil et son mode de vie. Elle accorde ainsi l'asile : cela ne peut être qu'exceptionnel, et seule la maîtrise des frontières empêche le délitement.

Il faut tirer au mieux parti de l'immigration. Bien des entreprises manquent de main-d'oeuvre et y ont recours. L'exemple britannique est édifiant. En choisissant son immigration, la France pourrait pourvoir aux emplois en pénurie.

En outre, le travail éloigne l'ennui, le vice et le besoin, écrivait Voltaire. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'en amuse.) Il est un facteur d'intégration, mais les capacités professionnelles souvent ne sauraient suffire : il faut accepter nos règles, partager nos valeurs et embrasser notre culture. Il y va de l'intégration des immigrés. Mais il faut aussi empêcher toute discrimination.

Cela concerne l'Europe entière, eldorado pour beaucoup. La population y vieillit partout et la main-d'oeuvre se raréfie. Il faut protéger notre mode de vie. L'Union européenne a pris conscience, avec les chantages turcs, de l'impossibilité de confier ses frontières à des pays étrangers. Le renforcement de Frontex doit être salué.

Monsieur le ministre, vous dites vouloir être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils : nous y sommes favorables. L'immigration incontrôlée est une menace, mais l'immigration est nécessaire.

La législation, non appliquée, doit évoluer. Nous vous soutiendrons dans votre démarche, face à une extrême droite en expansion et une extrême gauche toujours plus irresponsable. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du RDPI) Il y a quelques semaines, l'examen des crédits de la mission « Asile et immigration » a déjà été l'occasion de débattre. L'immigration est sujette aux fantasmes et aux peurs irrationnelles : à notre République d'éviter ces écueils populistes.

Autre dérive possible : légiférer pour légiférer. Je sais, monsieur le ministre, que vous portez des ambitions, même si je ne les partage pas toutes. Seulement, il y a quatre ans, le Parlement adoptait déjà la loi Collomb : quel est son bilan ? Elle consacrait dix articles à la lutte contre l'immigration irrégulière : qu'en est-il ? Quel est le bilan des 90 jours de rétention administrative et de la réduction de 120 à 90 jours pour déposer une demande d'asile ? Cet état des lieux nous guiderait.

J'espère que l'amélioration de l'accompagnement des plus vulnérables -  victimes de violences, mineurs, familles  - ne sera pas écartée.

Le problème des OQTF est manifeste : 120 000 sont délivrées chaque année, et moins de 10 % exécutées. Cela justifie de repenser ce rouage administratif pesant et absurde.

Nous défendrons la simplification du contentieux des étrangers, pourvu qu'un droit effectif à la contestation des décisions administratives soit garanti.

Pourquoi ne pas généraliser les audiences à proximité des centres ou les visioaudiences ? Pourquoi pas des pôles territoriaux labellisés ? Mais jamais au détriment du respect des droits.

Il faut, ensuite, désengorger les préfectures, dont les décisions sont souvent annulées. Cela suppose de délivrer moins d'OQTF, mieux instruites.

Le contrôle de l'immigration est inefficace, comme en témoignent les CRA surchargés.

L'annonce du titre de séjour « métiers en tension » ne fait pas l'objet d'a priori de mon groupe. Ainsi, le travail illégal soutient les secteurs en tension. Certains cas font parler d'eux, comme ici, un artisan boulanger et là, un apprenti boucher, qui mobilisent autour d'eux -  et tant mieux pour eux. Mais bien d'autres sont concernés, sur les marchés, dans les restaurants ou le bâtiment : ils travaillent tous pour notre pays, mais dans une précarité difficile à admettre. Alors pourquoi pas un titre de séjour spécifique, tel que vous le proposez ? Oui, mais dans le respect du droit du travail : il n'est pas question d'offrir une main-d'oeuvre à bas prix pour les métiers boudés par les nationaux. Et il faudra contrôler et sanctionner le travail non déclaré.

Notre groupe a des attentes importantes : nous vous accompagnerons dans l'examen du texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Yves Leconte et Mme Esther Benbassa applaudissent également.) Ce débat n'est que la prémisse de l'examen d'un 29e texte depuis 1980 sur le sujet.

En 2019, le Président de la République affirmait que la France ne peut accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien. Mais rien dans les budgets... La baisse des crédits consacrés aux demandeurs d'asile de plus d'un tiers n'augure rien de bon.

Nous ne voyons que la jambe droite des politiques migratoires du Président de la République, celle qui porte ses véritables convictions : comment, sinon, justifier le prisme ultra-sécuritaire de ce texte ? Il faudrait pourtant un véritable ministère à l'immigration, à l'accueil et à l'intégration. Pourquoi ne pas voir ce texte à travers le prisme humanitaire, ou même pragmatique ? Non, l'aspect sécuritaire prime.

L'immigration est pourtant un phénomène historique normal et récurrent. Le changement climatique et les guerres accentueront encore les mouvements démographiques entre continents.

Celui qui n'était que candidat en 2017 promettait un examen des demandes d'asile en six mois, recours compris ; mais le système mal calibré est en totale embolie. De l'accès au travail à la prise en charge médicale, les migrants connaissent un parcours semé d'embûches, tout le contraire des profiteurs du système décrits par certains.

Et que dire du projet de supprimer les protections contre l'éloignement pour motif d'ordre public, par exemple pour les étrangers résidant en France depuis plus de dix ans ? Le GEST est favorable à des procédures plus rapides, mais jamais au détriment des droits des personnes ni des conditions de travail des agents.

Vous annoncez 100 % d'exécution des OQTF : mais comment ? C'est de l'affichage politique.

La multiplication des CRA est un non-sens, surtout pour des placements trois ans après la délivrance d'une OQTF non réévaluée... Vous voulez rendre la vie impossible aux étrangers.

Je pense à l'enterrement de la promesse d'Orléans de 2017 -  aucun demandeur d'asile ne dormirait plus dehors  -  : 97 % des expulsions de Calais ne sont pas suivies d'une mise à l'abri.

Les peines pour ceux qui aident les étrangers seront encore alourdies... Je suis inquiet pour les bénévoles des associations.

La crise ukrainienne montre que notre pays peut accueillir vite et bien lorsque la volonté politique est là : la dérogation ne devrait-elle pas devenir la règle ?

Il faut des rendez-vous plus efficaces en préfecture, car les agents sont tous en difficulté face à la perte de sens et au manque de moyens.

L'insécurité des personnes privées de droits les maintient dans l'accompagnement par les associations.

Nous accueillons plutôt favorablement la régularisation de ceux qui travaillent, mais rien n'est évoqué pour le parcours vers la nationalité.

Quant aux métiers en tension, variante du travailleur méritant, imaginez-vous une « assignation à résidence », comme le disait le Président ? Un travailleur sous tension sera-t-il condamné à y rester ? Pourra-t-il conserver son titre de séjour s'il perd son emploi ? Votre vision d'immigrants interchangeables est bien utilitariste.

Le Gouvernement renforce les exigences de maîtrise du français, mais avec quels formateurs et quels évaluateurs ?

La question migratoire ne se limite pas au travail et à la sécurité. Les moyens de l'administration doivent être d'abord tournés vers la facilitation de l'accès au séjour et de l'intégration. La criminalisation outrancière de l'étranger est contraire à nos valeurs. La simplification qui s'éloigne de la collégialité et des droits de la défense n'est pas acceptable.

Last, but not least, qu'en est-il de votre silence assourdissant sur la non-maîtrise des frontières dans l'Union européenne ? Surveiller plutôt que secourir... Bien des associations dénoncent le manque de réception des demandes d'asile.

Notre pays s'honore d'accueillir et de sauver : cela doit être inconditionnel. Je regrette la variabilité entre l'Aquarius et l'Ocean Viking. Sans naïveté ni idéalisme, nous ambitionnons un bon accueil des étrangers et un travail au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Esther Benbassa .  - Coincé entre une extrême droite obnubilée par le « grand remplacement » et une droite en crise, le ministre de l'intérieur flatte les bas instincts et encourage rejet et suspicion.

Il s'enorgueillit d'accorder deux fois moins l'asile que l'Allemagne et promet encore plus d'OQTF. Mais combien seront-elles exécutées ?

La loi qui s'annonce est la trentième depuis 1980. Les gouvernements changent, mais la rengaine reste la même : l'immigration coûterait un pognon de dingue, et les exilés risqueraient leur vie pour bénéficier de tous les avantages sociaux que nous leur offrons. La droite sénatoriale ne pense pas autrement : dans un bel élan d'humanité, elle a exprimé le souhait de réduire de 350 millions d'euros le budget de l'AME...

L'étranger à la peau sombre est un profiteur, un futur délinquant, responsable de tous les maux de la France - fût-il sous un pont ou une tente d'infortune. Face à lui, le bon réfugié, l'Ukrainien par exemple, est reçu dignement - et tant mieux ! - parce qu'il a la peau claire et est chrétien. (Protestations à droite)

Nous aurons désormais le migrant économiquement utile, reçu cyniquement tant que son métier sera en tension : ce n'est pas une politique d'accueil, mais un replâtrage visant à rendre acceptables les immigrés destinés à régler notre crise du recrutement.

Pendant ce temps, la situation des CRA est catastrophique, celle des mineurs non accompagnés aussi. La France, terre d'accueil ? Un mythe, désormais ! (On s'indigne à droite.)

À tant prévenir les esprits contre le supposé danger de l'immigré, dans dix ans, y aura-t-il encore une place en France pour un Dupond-Moretti ou un Darmanin ? J'en doute. Quel dommage, n'est-ce pas, messieurs les ministres ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du GEST et du groupe SER)

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avec vous, mes grands-parents n'auraient pas été intégrés !

M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger .  - La ministre de l'Europe et des affaires étrangères m'a demandé d'intervenir en son nom sur les aspects du débat liés à la politique étrangère. La question migratoire est centrale dans la conduite de cette politique.

Trois principes nous guident : attractivité en matière de mobilité légale, solidarité avec les plus vulnérables, fermeté face aux flux irréguliers.

La France défend une vision équilibrée. Elle est attachée à une immigration légale bénéfique et veille à renforcer son attractivité à l'égard des étudiants et des talents. Cette année, nous avons enregistré l'inscription de 400 000 étudiants étrangers, un record, et délivré 12 000 passeports « talent ». Notre politique de visas n'a rien d'arbitraire : elle vise un objectif d'attractivité au service de notre influence.

Nous promouvons le droit international et nous nous honorons d'être l'un des pays les plus engagés en matière d'asile. Nous sommes attachés au respect des droits fondamentaux des migrants. Nous coparrainerons, l'année prochaine, le forum mondial des réfugiés. Le même souci de protection nous conduit à lutter fermement contre les trafics et la traite des êtres humains.

Nous sommes intransigeants sur le respect de nos lois et de nos valeurs. C'est pourquoi nous luttons avec force contre l'immigration irrégulière et pour le retour des migrants irréguliers dans leur pays d'origine.

Nous recherchons cet équilibre avec nos partenaires africains. Notre stratégie de migration et développement couvre 55 pays, majoritairement africains ; en 2021, 1,5 milliard d'euros de projets ont été financés par la France et ses partenaires.

Nous défendons cette vision dans le cadre européen et multilatéral. C'est dans cet esprit que Mme Colonna a lancé, avec nos partenaires espagnol et italien, deux initiatives « Équipe Europe » portant sur deux routes migratoires : Méditerranée centrale et Méditerranée occidentale. Pour chacune, 1 milliard d'euros sont investis pour resserrer la coopération euro-africaine. La France a soutenu l'objectif européen de consacrer 10 % des moyens d'intervention extérieure aux projets liés aux migrations. Cette logique coopérative est indispensable à une meilleure maîtrise des flux.

Nous devons construire ensemble des partenariats mutuellement bénéfiques. Dans cet esprit, la France a pris la présidence du forum mondial sur la migration et le développement, dont elle accueillera le sommet en 2024. Nous réfléchirons ensemble, notamment sur les effets du changement climatique sur la mobilité humaine, à des fins de dialogue et d'anticipation. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - Monsieur Buffet, la création par la loi d'un titre de séjour « métiers en tension » vise à ouvrir devant le Parlement un débat sur les critères d'accès.

Les admissions dans le cadre de la circulaire Valls sont soumises à des critères d'ancienneté sur le territoire et dans l'emploi exercé ; l'accompagnement du chef d'entreprise est obligatoire. Avec ce que nous proposons, le salarié pourra demander sa régularisation en prouvant son ancienneté. Il nous reste à définir les bons critères.

Ce système permettra d'éviter les régularisations massives que vous avez dit craindre.

J'ajoute que le titre ne sera pas attaché à un emploi particulier, mais à l'exercice d'un emploi dans un secteur en tension. Un bénéficiaire qui perdrait son emploi pourrait donc retrouver un emploi dans un secteur en tension ou trouver un emploi dans un autre secteur et solliciter un titre de séjour pour motif économique.

Monsieur Bonnecarrère, je ne partage pas totalement votre objectif en ce qui concerne la rémunération. Réserver ce titre aux salariés disposant d'une rémunération supérieure à la moyenne de la branche se heurte à deux difficultés : les salariés sont en poste depuis plusieurs mois, donc avec un niveau de rémunération arrêté, et les situations sont extrêmement hétérogènes. Nous pouvons nous retrouver, en revanche, sur le souci d'éviter une trappe à bas salaires.

Madame Carrère, il ne s'agit pas de réduire les coûts des employeurs : dès lors que le salarié sera régularisé et que sa présence s'inscrira dans le temps, l'employeur devra participer à sa formation, y compris pour l'apprentissage du français.

Nous cherchons le bon équilibre pour sécuriser les employeurs et sortir d'une situation d'exploitation ceux qui y sont plongés.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - M. Buffet a fait de nombreuses propositions, dont certaines recoupent celles que nous présenterons au Conseil d'État - à l'issue, monsieur Laurent, des concertations politiques engagées. D'autres propositions n'ont pas été reprises, s'agissant notamment de l'AME et des étrangers malades.

Sur ce dernier sujet, permettez-moi de rectifier quelques chiffres évoqués à la tribune. À la suite de la réforme du titre « étranger malade », le nombre de bénéficiaires est passé de plus de 6 000 en 2016, à 5 000 en 2019, puis 3 700 aujourd'hui. La plupart des étrangers malades sont atteints du VIH et viennent de pays où les thérapies ne sont pas disponibles. Pour que ce titre soit accordé à un étranger faisant appel d'une décision d'expulsion, il faut qu'un médecin de l'Ofii, indépendant, constate la pathologie et l'absence de thérapie dans le pays d'origine. Dans de très nombreux cas, les thérapies étant disponibles, la personne est expulsée.

La question de l'AME, je le répète, ne sera pas traitée dans le projet de loi, puisqu'elle relève des textes financiers annuels.

Le débat autour des OQTF, devenu totémique, ne correspond pas à la réalité.

Le ministère recense les mesures qui, à sa connaissance, ont été exécutées ; ce n'est pas la même chose que le nombre de mesures exécutées. Nous connaissons le nombre de personnes qui ont quitté l'espace Schengen, mais, si quelqu'un passe de Tourcoing en Belgique par l'un des dix-sept points de passage, nous ne le savons pas. Demain, le système Etias permettra de le savoir.

Par ailleurs, nous ne comptons que les départs qui passent par l'Ofii et les exécutions d'OQTF par la PAF. Bien des gens respectent les règles de la République et, visés par un départ aidé ou une OQTF, partent sans jamais passer par la préfecture ou la PAF. (On ironise à gauche ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie fait mine de jouer de la flûte.)

Le nombre de 121 000 OQTF correspond à l'ensemble des mesures prises. Certaines personnes sont visées par plusieurs mesures. On ne peut donc évidemment pas arriver à 100 % d'exécution.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Tout va bien...

M. Gérald Darmanin, ministre.  - En 2011, il y a eu 7 970 reconduites pour 85 000 mesures prononcées ; en 2021, 16 984 reconduites pour 124 000 mesures. Vous et nous, monsieur Buffet, avons à peu près le même taux d'exécution. Il est vrai que, pendant le quinquennat Hollande, la situation s'est beaucoup détériorée. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER) Sur environ 100 000 mesures prononcées, il y avait 7 000 reconduites.

La meilleure année fut 2019, malgré les difficultés diplomatiques et les guerres. Est-ce suffisant ? Non, puisque le taux reste de 20 %. Nous devons donc réinterroger en profondeur le système de reconduite aux frontières.

Monsieur Bonnecarrère, vous avez évoqué le système d'entrée et sortie de l'espace Schengen - M. Leconte a évoqué Etias. La France y est prête. À chaque conseil des ministres de l'intérieur, je demande pourquoi la Commission européenne en reporte sans cesse l'entrée en vigueur.

Nous pourrons suivre les entrées et sorties de tout étranger et même de tout citoyen de l'espace Schengen. C'est l'interopérabilité entre les fichiers de toutes les polices qui permettra de lutter notamment contre les risques terroristes. En la matière, ce n'est pas la France qui freine ; simplement, tous les pays n'ont pas le même entrain. La sortie des Britanniques de l'Union européenne pose des difficultés supplémentaires, notamment à Douvres.

Nous sommes d'accord, monsieur Buffet, sur l'examen des valeurs de la République.

Le refus d'asile et l'OQTF sont bien deux actes administratifs distincts. Le recours contre l'OQTF restera évidemment possible, mais nous voulons qu'il soit rapide.

Monsieur Leconte, vous avez fait une plaidoirie contre votre propre bilan... Il n'y a pas assez d'agents dans les préfectures ? Et pour cause : vous avez supprimé 11 000 agents en cinq ans !

M. Jean-Yves Leconte.  - Cela fait plus de cinq ans !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Quand j'étais ministre des comptes publics, nous avons stoppé les suppressions. Depuis que je suis ministre de l'intérieur, nous augmentons le nombre d'agents dans les préfectures. Vous, je le répète, avez supprimé 11 000 postes !

M. Jean-Yves Leconte.  - Vous aviez sept ans pour renverser la tendance !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Les contrôles aux frontières sont scandaleux ? Ils remontent à 2015...

M. Jean-Yves Leconte et Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Qui les remet à chaque fois ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous les avez demandés trois fois lorsque vous étiez aux responsabilités. Vous devriez parler avec Bernard Cazeneuve, car vous semblez bien éloignés de la politique qu'il défendait...

M. Thomas Dossus.  - C'est sûr !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Et je ne cite même pas Manuel Valls.

M. Thomas Dossus.  - On vous en remercie...

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Huit pays ont réintroduit des contrôles aux frontières, dont cinq dirigés par des sociaux-démocrates. Ils l'ont fait pour mieux lutter contre le terrorisme. Nous l'avons fait récemment encore, après l'attaque contre les trois chrétiens de la basilique de Nice.

Vous parlez des visas Balladur, mais combien de temps êtes-vous restés aux affaires ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et vous ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - La différence, c'est que je ne suis pas contre la suppression des visas Balladur...

Vous réclamez que les visas d'entrée à Mayotte permettent d'aller à La Réunion et en métropole : on voit que vous n'avez pas été souvent à Mayotte ! En avez-vous parlé avec les élus mahorais ?

Les visas Balladur ne rajeuniront personne. Pour ma part, je n'étais même pas en sixième...

Quand 70 % des demandes d'asile sont rejetées après la CNDA, c'est bien qu'il y a un léger problème. Chacun sait qu'une part de l'asile est détournée par des personnes qui utilisent l'asile pour rester illégalement sur notre sol. Les agents de l'Ofpra vous le diront eux-mêmes. De ce fait, les personnes qui méritent l'asile mettent beaucoup trop de temps à l'obtenir et se paupérisent.

En disant qu'il y a eu trente textes depuis 1982, vous faites tous votre propre procès... Pour notre part, nous avons présenté un seul texte en six ans.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et quel est le bilan ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Monsieur Leconte, 208 000 irréguliers étaient inscrits à l'AME en 2012 : ils étaient 315 000 cinq ans plus tard ! Sous le premier quinquennat du président Macron, ce nombre est passé à 350 000, à cause de la crise covid. Mais cette augmentation n'a rien à voir avec la hausse exponentielle des cinq années précédentes.

La circulaire Valls, c'est 30 000 régularisations, dont 7 000 au nom du travail... Ne donnez pas des leçons de régularisation et d'humanité !

Monsieur Laurent, nous ne généralisons pas le juge unique à la CNDA : nous le permettons, en laissant à la Cour le choix de sa formation. Dans les cas faciles, le juge peut être unique ; dans les cas complexes -  je pense au Soudan, une situation très complexe  - , la Cour peut siéger collégialement si elle le décide.

M. Benarroche a mentionné Calais : nous y avons des milliers de places d'hébergement libres, comme sur toute la côte d'Opale. Laisser les migrants dans des jungles fait le jeu des passeurs. Je salue la proposition du garde des sceaux de requalifier les agissements des passeurs de délits en crimes. On ne peut pas dire que, à Calais, l'État ne fait pas son travail d'hébergement.

Un parallèle a été établi avec les Ukrainiens. Si la proposition de la gauche du Sénat est de faire ce que nous faisons pour les Ukrainiens pour les demandeurs d'asile, elle risque d'avoir quelques problèmes idéologiques : les Ukrainiens n'obtiennent pas l'asile, mais une protection de trois ans... Si vous proposez cela, vous serez bien plus à droite que ceux que vous dénoncez ! (Protestations sur les travées du GEST)

Je terminerai par vous, madame Benbassa, qui, au milieu de provocations parfois insultantes, avez fait référence à mes grands-pères. L'un, né en Algérie française, s'est engagé dans l'armée coloniale à 14 ans et a choisi la France en 1962 : oui, ce gouvernement accepte les Français de volonté. L'autre, juif maltais, est venu travailler dans les mines dans les années 1930 : oui, nous sommes prêtes à régulariser ceux qui viennent travailler. Tous deux aimaient la France et n'avaient pas de casier judiciaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées du RDSE ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - Nous avons des différences, ce qui est le principe de la démocratie, et des malentendus à lever.

Il n'est pas question de régularisation massive, ni de faire croire que l'immigration réglera les tensions sur le marché du travail. Mais ceux qui participent à notre vie économique et sociale méritent un chemin vers une régularisation, sans appel d'air ni dégradation des conditions d'emploi.

Je note des points de convergence et une volonté de construire ensemble, sur les racines de l'immigration illégale et la lutte contre la pauvreté. Vous défendez aussi, comme nous, le respect du droit -  ce n'est pas une surprise, car nous reprenons le rapport Buffet. Un consensus se dessine aussi autour de l'idée d'intégrer mieux, notamment par le travail.

Vous partagez notre volonté d'efficacité et d'équilibre : j'ai confiance en notre responsabilité collective. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; MM. Henri Cabanel et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

La séance est suspendue à 20 h 05.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.