Instauration des zones à faible émission

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'instauration des zones à faible émission (ZFE), à la demande du groupe Les Républicains.

M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) ZFE : trois lettres qui ne sont pas la promesse d'un fleuve tranquille, tant la mesure est inflammable...

La population est-elle consciente des restrictions de circulation vouées à se multiplier d'ici 2025, alors que 60 % des sondés ignorent ce qu'est une ZFE ? Pourtant, 40 % du parc automobile actuel y sera prochainement interdit, et seuls les véhicules les moins polluants pourront accéder aux centres-villes.

Certes, la préservation de la santé et la décarbonation des transports sont des motifs légitimes. Le Gouvernement a amplifié le mouvement, en prétendant mettre au pas, d'ici 2025, 45 agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Mais entre hésitations et reports, les ZFE s'apparentent aujourd'hui à un rituel sacrificiel, tant elles entraînent défiance et désespérance.

Pourquoi ? La transition écologique ne peut aller de pair avec la perte de notre souveraineté économique et énergétique et le rejet social. Vous avez omis de prévoir l'acceptabilité de la mesure en starifiant une vision anti-voiture. Figé dans un sectarisme bureaucratique, vous chassez la classe moyenne de nos villes, au risque de fabriquer des gilets jaunes.

Entre les marchands de peur et les tenants du laisser-faire, nous privilégions une vision équilibrée : l'équilibre est un effort et un courage de tous les instants, disait Albert Camus.

Le Sénat multiplie les propositions pour encourager un sursaut de mobilité : TVA à 5,5 % pour les transports, modernisation de nos infrastructures. Rapporteur du projet de loi Climat et résilience, j'avais alerté sur les ZFE, qui se sont transformées en zones de forte exclusion, miroirs d'une écologie antisociale. Barbara Pompili ne nous a pas écoutés quand nous proposions une approche territorialisée et souple, faisant confiance aux élus locaux, plutôt que des mesures punitives.

Le calendrier imposé aux collectivités territoriales est trop contraint.

Nous avions proposé de revoir le schéma de restrictions, de mieux encadrer les livraisons, de décaler la mise en oeuvre, prévu des dérogations et une minorité de blocage. Nous avions aussi pointé l'absence de moyens de contrôle, loin d'être opérants en 2023. En témoignent les déclarations de certaines métropoles, comme Nice, qui refuse d'affecter ses policiers municipaux aux contrôles.

En CMP, nous avions obtenu un PTZ pour l'achat d'un véhicule propre : ce fut bien le seul soldat sauvé... Face à la contestation, vous semblez enfin entendre nos propositions. Sans véhicules propres à un prix abordable, sans réseau suffisant de transports en commun, et tant que les tarifs augmenteront, la ZFE exclut.

Le Gouvernement change enfin de braquet, réunissant les exécutifs locaux et annonçant une aide par le fonds vert. L'Assemblée nationale lance une mission flash. Le décret du 24 décembre prévoit un régime de dérogation, que proposait le Sénat.

Nous prônons des ZFE faites avec les territoires, et non contre eux. Avec mes collègues Les Républicains, je vous invite à privilégier une méthode respectueuse des Français : informer, écouter et accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - J'aurais pu souscrire pour une grande part au discours de Philippe Tabarot. Je ne suis pas en opposition frontale avec le Sénat. Au contraire, je viens expliquer une mesure qui a souffert d'un défaut de pédagogie.

Les textes prévoient une réforme progressive et territorialisée. L'objectif des ZFE est de répondre à la pollution atmosphérique.

M. Daniel Breuiller.  - Exact !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le rapport du Sénat de 2015, qui fait autorité, évalue le coût de la pollution de l'air à 100 milliards d'euros par an. Je salue le travail du président Husson. En 2021, on estime le nombre de décès dus aux particules fines à 40 000 ; aux oxydes d'azote, à 7 000. Les plus fragiles sont les premières victimes. Les ZFE ne visent pas à entraver, mais bien à protéger.

La qualité de l'air s'est améliorée, mais nous avons encore à faire : l'État a été condamné par le Conseil d'État pour dépassement de seuils qui, je le rappelle, sont fixés par l'Union européenne et l'OMS. Réduire les émissions de polluants s'inscrit dans un plan national, dont font partie les ZFE. Ce n'est pas une invention française ! Pas moins de quatorze pays européens y ont recours, dans 270 villes ou agglomérations.

La loi Climat et résilience a prévu un calendrier progressif : mise en place au 1er janvier 2023 pour les dix métropoles dépassant les seuils, avec le choix des modalités, pour inclure les motards par exemple ; 1er janvier 2025 pour les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants. Le décret d'application du 24 décembre précise les conditions de dérogation pour la dizaine d'agglomérations éligibles.

Depuis le 1er janvier dernier, l'interdiction concerne les vignettes Crit'Air 5, les diesel de plus de 22 ans, soit 6 % du parc ; en 2024, ce sera au tour des véhicules Crit'Air 4, les diesel de plus de 17 ans ; en 2025, les Crit'Air 3, avec quelques voitures essence. Les ZFE n'ont pas pour but de réduire le nombre de voitures, mais de diminuer la circulation des modèles polluants. Il s'agit de favoriser le remplacement des moteurs, d'où les nombreuses aides à la conversion - bonus écologique, prime à la conversion, microcrédit, prêt à taux zéro...

M. François Bonhomme.  - Cela ne marche pas !

M. Christophe Béchu, ministre.  - À compter du second semestre, le leasing à 100 euros concrétisera la promesse de campagne du Président de la République. C'est tout l'argument de la souveraineté : pas de soutien massif à l'acquisition de véhicules électriques à petit prix tant que nous ne les produisons pas sur le sol européen. C'est toute la cohérence de la planification écologique : nos aides doivent aller vers les filières française et européenne.

Voilà le cadre global. Cela dit, les collectivités territoriales maîtrisent le calendrier de mise en oeuvre - jours, horaires, dérogations pour les artisans, modalités de contrôle, dont les recettes leur reviendront.

Fin octobre, j'ai réuni les agglomérations concernées pour monter des groupes de concertation. La prochaine réunion aura lieu jeudi : y seront conviés les maires et les chefs d'entreprise. Nos échanges de cet après-midi nous permettront d'avancer sur ce sujet. (MM. Bernard Buis, Joël Guerriau et Pierre Louault applaudissent.)

M. Michel Savin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La mise en place de ZFE pénalise les habitants des territoires peu denses, souvent mal desservis : en montagne notamment, impossible de se passer de voiture. Or ces habitants seront amenés à se rendre dans les ZFE, pour travailler, se soigner, faire des courses... Nombre d'automobilistes n'ont pas les moyens de changer de véhicule. Il serait injuste qu'ils soient sanctionnés. Ce sont ceux que vous appelez les plus fragiles.

Dans un esprit constructif, nous proposons de conditionner l'activation des ZFE à la création de parkings relais, desservis par des transports en commun performants. Le Gouvernement prévoira-t-il des aides financières aux collectivités pour financer de tels aménagements ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je souscris à l'analyse : il ne faut pas donner l'impression qu'on cherche à limiter la mobilité des moins aisés. Le risque existe de revenir aux octrois du Moyen-Âge !

À l'Assemblée nationale, le RN propose de supprimer les ZFE et LFI de les suspendre. Je préfère l'accompagnement solidaire des habitants. Jean-Luc Moudenc a accepté d'animer un groupe de travail sur les mesures sociales nécessaires, avec une vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.

L'exemple de Strasbourg nous intéresse : vingt fois par an, l'ensemble des véhicules pourront accéder à la ZFE.

La question des parkings relais est essentielle. Dans le cadre du fonds vert, des financements à hauteur de 150 millions d'euros, valorisés par Mme Lavarde (Mme Christine Lavarde rit), iront aux ZFE. Les collectivités en dépassement de seuil toucheront 15 millions d'euros pour financer la construction de parkings relais. Ces fonds pourront financer des parkings en entrée ou sortie de ville, connectés à des transports en commun ou d'autres types de mobilités.

M. Michel Savin.  - Les collectivités attendent un engagement de l'État. Sans alternatives à la voiture, les ZFE ne seront pas acceptées dans les territoires ruraux ou de montagne. Veillons à ne pas créer de dysfonctionnements, voire une fracture entre territoires qui aggraverait la rupture sociale ! (M. Yves Bouloux approuve.)

M. François Bonhomme.  - Absolument !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Ne regardons pas la carte de France des 43 ZFE comme si elle était déjà pleinement effective. En pratique, les véhicules concernés sont, pour l'essentiel, les Crit'Air 4 et 5. On est bien loin de ce que d'aucuns décrivent. Nous privilégions la pédagogie et l'accompagnement.

M. Joël Guerriau .  - Garantir la qualité de l'air suppose de réduire nos émissions polluantes.

Le Sénat a réfléchi de façon intense aux ZFE. La question est complexe, il faut des solutions efficaces.

Depuis dix jours, de premières restrictions sont entrées en vigueur dans certaines zones, dont la Loire-Atlantique. À quand les premiers retours d'expérience ?

Comment le parc automobile français évoluera-t-il ? La fin de la vente des véhicules thermiques est prévue pour 2035, mais ne se heurte-t-on pas aux réalités techniques et entrepreneuriales françaises ? Les voitures hybrides rechargeables sont-elles si vertueuses sur longue distance ? Quant au maillage des bornes de recharge électrique et hydrogène, il est loin d'être suffisant.

Quelles sont les prochaines étapes envisagées ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le déploiement des bornes de recharge est rapide : de 82 000 actuellement, leur nombre atteindra 100 000 dans le courant du premier semestre. Au total, on en compte 1,2 million en intégrant les entreprises et les parkings, et de nouvelles obligations vont être instaurées.

S'agissant de la recharge rapide sur longues distances, des appels à projets spécifiques ont été lancés, et quelque 70 projets validés en ZFE.

L'Union européenne s'est prononcée pour la fin des moteurs thermiques. Il ne faut donner aucun signal contraire, afin que la R&D développe des alternatives au thermique.

Nous devons sortir de la naïveté. Sous couvert de transition écologique, le président Biden subventionne l'industrie américaine. L'électrification de notre parc doit s'accompagner d'un souci de souveraineté nationale et européenne.

M. Jacques Fernique .  - La pollution de l'air est responsable de plus de 40 000 décès prématurés par an - environ 500 morts à Strasbourg. Les ZFE relèvent d'abord de l'écologie protectrice.

M. Daniel Breuiller.  - Exactement !

M. Jacques Fernique.  - Le dispositif est éprouvé en Europe, avec 270 zones effectives. Ne pas suivre cet exemple serait absurde, comme l'explique le président de la Métropole de Lyon.

L'implication de l'État n'est pas à la hauteur. Nous avons besoin d'une campagne nationale forte pour promouvoir les ZFE. Non, il ne s'agit pas d'initiatives locales disparates et hasardeuses !

Nous avons besoin de clarté et de moyens suffisants. Strasbourg a décidé d'abonder ses aides, déjà fortes, pour tenir compte de l'inflation. La SNCF aussi doit être au rendez-vous, pour un choc d'offre de transports collectifs. Or ce n'est pas ce que ressentent les Bas-Rhinois, qui subissent suppressions et retards de trains.

L'État n'a pas non plus tenu son engagement d'assurer en 2022 un système de contrôles automatisés. Il est temps de se reprendre. L'essentiel du produit des amendes doit aller aux collectivités ; Lyon attend des décisions et un calendrier précis en la matière.

Ne laissons pas les ZFE se décrédibiliser en n'assurant pas le respect des règles ! (M. Daniel Breuiller applaudit.)

M. Christophe Béchu, ministre.  - Une campagne d'information et de pédagogie aura lieu au deuxième trimestre.

Le PTZ a été mis en place l'année dernière, il ne manque plus que la garantie de l'État. Nous avons relevé les plafonds d'aide, notamment sur la prime à la conversion, en visant les cinq premiers déciles. La surprime ZFE peut atteindre 3 000 euros, et le microcrédit peut aller jusqu'à 8 000 euros. Ces mesures concernent aussi le marché de l'occasion et les véhicules thermiques Crit'Air 1.

Le contrôle sanction automatisé ne sera pas disponible avant le second semestre 2024. C'est un marché national passé en collaboration avec l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), le dispositif reposant sur la lecture de plaques d'immatriculation. Nous aboutirons à un projet sur étagère dont les collectivités territoriales pourront se saisir.

Mme Nadège Havet .  - Les ZFE, qui existent depuis les années 1990 dans plusieurs pays européens, ont été rendues obligatoires par deux lois de 2019 et 2021. Les véhicules les plus polluants doivent être progressivement remplacés au profit notamment de mobilités actives et collectives.

Onze métropoles sont entrées dans le dispositif. D'ici 2025, les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants, dont Brest, devront avoir créé leur ZFE. Cela suppose une information claire.

Un référent interministériel va être nommé et une campagne de communication est prévue. Il faudra harmoniser les règles, notamment pour la logistique et le transport.

Quelle est la composition des groupes de travail  et leur agenda ? Comment les particuliers, entreprises et collectivités seront-ils aidés ? Quelles sont les aides à l'acquisition d'un véhicule moins polluant ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Deux groupes de travail sont prévus ; ils se réuniront pour la première fois après-demain, jour de la nomination du coordinateur interministériel. Quand on transfère une responsabilité aux élus locaux, il n'est pas absurde de leur demander leur avis. Tous les deux mois, ces groupes se pencheront sur différents sujets, jusqu'en juin. Le niveau des aides et le type d'accompagnement des collectivités seront au coeur des débats.

Les habitants d'une ZFE ont droit à un PTZ depuis le 1er janvier dernier ainsi qu'à une surprime à la conversion. Ces mesures s'ajoutent aux aides classiques à l'électrification du parc. Le bonus écologique est porté à 7 000 euros pour les deux premières classifications. Enfin, le microcrédit, de 8 000 euros au maximum, peut être cumulé avec les autres aides, notamment pour ceux qui travaillent dans une ZFE sans y habiter.

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - Depuis des années, nous savons que la pollution atmosphérique a des conséquences néfastes sur la santé humaine : 40 000 décès prématurés par an. Dans le Grand Lyon, plus de 15 000 personnes sont exposées à un niveau excessif de dioxyde d'azote. Il y a urgence à agir, or la France est à la traîne.

Les collectivités territoriales ont besoin du soutien de l'État pour faire réussir les ZFE. Le Gouvernement prévoit-il un plan de communication national pour sensibiliser nos concitoyens ?

Va-t-il rendre ce dispositif effectif en déployant un contrôle ? Instiller de la souplesse en faveur des populations éloignées des centres urbains, qui n'ont pas de transports en commun à disposition ni les moyens de changer de véhicule ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - La communication est théoriquement obligatoire dans les mois qui suivent la mise en place d'une ZFE dans une agglomération. Nous prévoyons en outre une campagne nationale beaucoup plus forte, au second semestre 2023, pour expliquer la finalité de la mesure, qui n'est pas d'exclure. J'y associerai le groupe des 43 présidents d'intercommunalité concernés.

Nous voulons construire des dispositifs de contrôle clé en main que les collectivités territoriales pourront mobiliser si elles le décident. Les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) sont habilités à sanctionner le non-respect du dispositif. Pour ce qui est de l'automatisation, nous devons suivre certains processus.

L'enjeu est d'éviter l'exclusion. D'où les dérogations prévues : personnes en situation de handicap, véhicules anciens, utilitaires. C'est aussi le sens de l'initiative strasbourgeoise, que nous suivons de près.

M. Gérard Lahellec .  - Les ZFE concernent principalement les métropoles, mais la pollution atmosphérique touche tout le monde.

Ce dispositif pousse à l'interdiction des véhicules polluants, souvent détenus par des ménages à faibles ressources et qui n'ont pas d'autre moyen de transport pour se rendre au travail ou se soigner.

Nous ne pouvons nous contenter d'interdire : il faut soutenir la transition des mobilités.

Dans la transition énergétique, le coût est déterminant. Voyez l'exemple de la performance économique du fret ferroviaire. Avec la flambée du coût de l'électricité, il est plus avantageux de faire rouler des locomotives au diesel. Je le vois sur les liaisons Rennes-Sud-est et Rennes-Lille, pour des marchandises transitant par les villes.

Ne faut-il pas envisager des dispositifs spécifiques pour soutenir les projets vertueux ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous me contraignez à citer une nouvelle fois un rapport sénatorial... Je songe à l'excellent rapport sur le fret ferroviaire, dont il ressort que la question du coût n'est pas déterminante. Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) sera l'occasion de mesurer notre degré d'ambition en la matière.

Les questions sont nombreuses. Avec plus de cent entreprises de fret, la non-automatisation des accrochages des wagons est un frein au développement du fret ferroviaire - en même temps qu'une cause de troubles musculo-squelettiques pour les agents. Je pense également aux fameux RER métropolitains ou à la régénération du réseau, qui concerne aussi le fret. Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour évoquer plus avant le ferroviaire.

M. Jean-François Longeot .  - L'instauration des ZFE vise un objectif clair de santé publique. Chacun connaît les effets de la pollution sur la santé humaine. Mais la multiplication à venir de ces zones suppose une acceptation sociale : si elles sont rejetées, elles ne pourront être imposées.

Or dans une partie des métropoles, en particulier dans les périphéries à dominante pavillonnaire, les réseaux de transports en commun sont insuffisamment développés.

Autre obstacle : l'équation financière. De fait, les aides prévues ne sont pas suffisantes pour des millions de ménages modestes. La baisse attendue des prix des véhicules électriques se concrétise lentement.

La question est donc simple : comment le Gouvernement compte-t-il améliorer l'accompagnement des ménages les plus modestes ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je vous rejoins sur tout, sauf pour dire que la question est simple...

L'écologie punitive est l'ennemie de l'écologie. Toute politique de transition écologique menée contre les Français est impossible.

M. Laurent Duplomb.  - C'est pourtant ce qui se passe !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Certains demandent une mise en place immédiate des radars ; d'autres appellent à ne jamais en installer.

Nous misons sur l'accompagnement, ainsi que sur la montée en puissance du marché des véhicules électriques de seconde main. L'âge moyen de l'acheteur de véhicules neufs est de 57 ans... Le reste à payer pour un véhicule neuf n'est pas accessible à de nombreux ménages. Il faut aussi produire des véhicules de plus petit gabarit.

Le réseau de transports en commun ne sera jamais une alternative à la voiture dans les zones non denses. Faire rouler des cars à vide serait une aberration, y compris écologique.

Mme Nathalie Delattre .  - Les ZFE souffrent d'un manque de lisibilité et de prévisibilité, qui pénalise notamment les transporteurs.

Les situations diffèrent selon les métropoles. Ainsi Grenoble interdit déjà la circulation de certains véhicules utilitaires légers. Une harmonisation à l'échelle nationale s'impose.

L'État doit aider les professionnels qui rencontrent des difficultés structurelles pour s'adapter. Les alternatives sont réduites, notamment pour les véhicules lourds, les coûts d'acquisition élevés, les délais de livraison longs.

Des délais doivent être prévus pour l'entrée en vigueur des règles. Comme pour la transition énergétique des logements, il faudrait des organismes tiers financeurs pour le renouvellement des flottes.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Les artisans bénéficient d'aides spécifiques : 9 000 euros pour la prime à la conversion et une surprime ZFE de 3 000 euros.

Pour les poids lourds, un appel à projets de l'Ademe permet d'accompagner jusqu'à 150 000 euros la mutation des flottes. L'Ademe et le Cerema, ainsi que le secteur de la logistique, travaillent ensemble pour s'adapter. Notons que le parc professionnel est en moyenne plus jeune que le parc des véhicules particuliers.

Un tiers financement va être mis en place pour la rénovation thermique des bâtiments des collectivités territoriales. Pour le renouvellement des véhicules lourds, la question est ouverte.

Mme Laurence Garnier .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Nantes devra mettre en place une ZFE au plus tard au 31 décembre 2024. Mais, dès le 1er janvier 2025, la dérogation pour l'atterrissage des avions tombera, et de nombreux avions survoleront la ville... Le Président de la République a choisi d'abandonner le transfert de l'aéroport à l'écart de la ville. Les Nantais vont en payer les conséquences. N'aurons-nous qu'une ZFE en trompe-l'oeil, dans laquelle les particules des avions remplaceront celles des véhicules ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Votre question me surprend... J'attendais plutôt des questions sur les ports, par exemple -  notamment sur l'électrification. Pour le secteur aérien, je ne puis encore vous répondre. Je suis ouvert à ce que nous travaillions ensemble sur l'aéroport Nantes Atlantique.

Nous voulons des impacts effectifs. Les territoires déjà obligés d'instaurer une ZFE dépassaient les seuils, ce qui n'est pas le cas de Nantes. Le Gouvernement s'attelle avec la même ardeur à la lutte contre toutes les pollutions.

À Paris, près de 100 000 habitants sont sortis des seuils de pollution, preuve que le dispositif est efficace.

Mme Laurence Garnier.  - Vous prônez la pédagogie, mais il sera difficile d'expliquer aux Nantais qu'il y a les bonnes particules fines, celles des avions, et les mauvaises, celles des voitures !

M. Christophe Béchu, ministre.  - La santé des habitants est notre premier souci : nous examinerons de près les teneurs en particules fines et en dioxyde d'azote.

Mme Angèle Préville .  - Nécessaires, les ZFE supposent d'anticiper. Car si elles sont bonnes pour la qualité de l'air et la décarbonation de notre mode de vie, elles sont une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui n'ont d'autre moyen que leur voiture pour se déplacer.

Dans certaines villes, l'offre de transport en commun s'est réduite, en raison notamment des coûts de l'énergie et des difficultés à recruter des chauffeurs.

Tout citoyen doit pouvoir se déplacer. Avez-vous songé à des concertations citoyennes pour élaborer des solutions ? Comment l'État compte-t-il aider les collectivités territoriales à développer des alternatives au tout-voiture, notamment de véritables pistes cyclables et des cheminements piétons ? Enfin, les vignettes Crit'Air n'intègrent ni la masse ni la consommation du véhicule...

M. Christophe Béchu, ministre.  - En effet, les transports en commun n'ont pas retrouvé les niveaux de fréquentation d'avant-pandémie, même à offre constante. Et ce n'est pas seulement la faute des collectivités. Certains Français ont peur de se retrouver à touche-touche avec d'autres personnes.

Les besoins d'investissement sont importants. Le plan Vélo s'élève à 250 millions d'euros pour cette année, soit un doublement, et le plan Covoiturage, à 200 millions. Ce dernier dispositif donne des résultats parfois spectaculaires.

Les infrastructures font l'objet de la planification écologique. Doit-on relever le versement transport ? La TVA à taux réduit sur les transports en commun me semble aussi une excellente solution pour le pouvoir d'achat comme le soutien à l'investissement dans les territoires.

Mme Angèle Préville.  - Je n'incriminais nullement les collectivités ! Un choc d'offre est nécessaire. Les pistes cyclables, en particulier, ne sont pas assez sûres.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Il est rare qu'on décide d'une piste cyclable au niveau du ministère. Les besoins financiers sont couverts par le plan Vélo, c'est parfois la volonté politique qui fait défaut.

Mme Christine Herzog .  - Le rapport d'information que j'ai cosigné en mai avec Martine Filleul sur la logistique urbaine durable traitait de la mise en place des ZFE : avec quel argent, selon quel délai, pour qui ?

Le renouvellement des parcs implique la suppression d'une partie des véhicules. Mais comment se passer d'un véhicule ? Un jeune qui entre dans la vie active prévoit 5 000 euros pour son véhicule, quand véhicule électrique coûte entre 20 000 et 30 000 euros. Et comment financer les bornes de recharge ? Quel avenir pour les stations-services ? Y aura-t-il un modèle universel de batterie ? La question se pose particulièrement dans les zones frontalières comme la Moselle.

Les Français ont besoin de savoir : il faut sortir de la science-fiction et revenir au réel !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Il nous faut une offre de véhicules de seconde main et des modèles mieux adaptés.

Les petites stations-service indépendantes, notamment en milieu rural, bénéficient de subventions jusqu'à 70 % pour s'équiper en bornes de recharge.

Nous travaillons aussi sur la haute recharge. Les standards sont définis au niveau européen. La plus grande station de recharge rapide ouvrira en avril à Madeleine-Tronchet, avec 500 postes.

Nous travaillons au branchement de dispositifs de recharge rapide sur des sites de production d'énergies renouvelables. Des solutions sont examinées ; je pense en particulier à une entreprise, dont la proposition est très convaincante.

Mme Elsa Schalck .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'acceptabilité sociale du dispositif est cruciale. Il faut anticiper, renforcer l'accompagnement et agir de manière progressive, et non à marche forcée, pour éviter que la ZFE ne se transforme en zone à forte exclusion.

Pour les plus modestes, le reste à charge est trop lourd. Idem pour les artisans et les entreprises. Gare à l'aggravation de la césure entre le milieu rural et la ville.

Les ZFE risquent d'être restrictives et punitives. À Strasbourg, la mesure a été appliquée de manière uniforme, et la totalité des véhicules diesel, soit 38 % du parc, ne pourront plus circuler en 2028.

Une Porsche essence sera classée Crit'Air 1, une Clio consommant beaucoup moins Crit'Air 4... Il faut faire évoluer le système des vignettes, qui suscite l'incompréhension ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Christophe Béchu, ministre.  - La vignette Crit'Air se fonde sur les émissions de dioxyde d'azote et de particules fines. D'autres critères seront pris en compte, mais au niveau européen ; je pense à la pollution liée à l'abrasion des pneus lors du freinage et à la masse des véhicules. Attendons que la norme Euro 7 aboutisse pour nous interroger sur une réforme des vignettes. Quoi qu'il en soit, il est peu probable qu'un véhicule classé 5 se retrouve classé 1... Mais il est vrai que certains véhicules considérés comme propres ne le sont pas tant que cela.

Nous devons assumer notre discours, tenir le calendrier prévu, faire preuve de pédagogie et assurer l'accompagnement. Nous nous appuierons sur les élus et tiendrons compte des retours d'expérience, car les comparaisons entre territoires sont intéressantes.

Mme Martine Filleul .  - Quarante mille décès par an attribués aux particules fines, c'est trop, pour ne pas dire insupportable. Mais comment faire sans alternative à la voiture ? Les artisans sont inquiets, car les véhicules utilitaires électriques sont rares et onéreux, le rétrofit coûte souvent plus cher que le véhicule lui-même et tout le parc actuel serait exclu des ZFE.

Un rapport de l'Assemblée nationale proposait un guichet unique pour centraliser les aides, et le report de certaines mesures. Allez-vous en tenir compte ? Avez-vous d'autres pistes pour les petits artisans ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le Gouvernement n'a instauré aucune obligation spécifique pour les utilitaires. Certaines collectivités ont souhaité harmoniser les mesures pour les véhicules légers et pour les utilitaires... Le Gouvernement ne pousse pas en ce sens. Je comprends la cohérence souhaitée par les élus, mais une forme de souplesse est possible.

Le parc de véhicules des artisans est plus récent. De nombreuses questions se posent, par exemple en matière de dépannage. Les concertations à venir en tiendront compte.

Mme Martine Filleul.  - Il faut rendre les dérogations homogènes et transitoires pour les véhicules des professionnels, qui n'ont pas de solution alternative crédible.

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Les chefs d'entreprise franciliens s'inquiètent des difficultés économiques à venir. Nous craignons que ces restrictions n'entrainent un naufrage économique dans le secteur du BTP. Alors que l'offre manque et que la durée d'amortissement des véhicules du BTP est longue, il faut faire preuve de réalisme.

Le Gouvernement est-il prêt à aider davantage ces professionnels, alors que 900 000 véhicules polluants doivent être remplacés dans les entreprises artisanales du bâtiment ? Des dérogations de circulation seront-elles prévues, d'autant que la question des infrastructures de recharge adaptées se pose avec acuité ? Le défi est immense.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Aucun durcissement n'a été décidé lors de la réunion interministérielle du 25 octobre. Pour les Crit'Air 3, le Gouvernement a prévu une entrée en vigueur des mesures de restriction au 1er janvier 2025. Toute mise en place anticipée sera le fait des collectivités. J'entends bien que plus nous durcissons les mesures, plus il faudra de véhicules propres ; il faut donc laisser le temps aux filières de s'organiser. C'est ce que nous faisons. Je ne peux revenir sur des décisions que je n'ai pas prises.

Mme Laure Darcos.  - Merci de votre réponse, et de nous aider à la relayer auprès de la métropole du Grand Paris...

M. Stéphane Le Rudulier .  - Le prix moyen du mètre carré dans le coeur de Marseille atteint 3 654 euros : c'est inaccessible aux classes populaires et moyennes, contraintes à se loger en périphérie. Les ZFE créeront un fossé entre ceux qui peuvent se permettre de changer de véhicule et les autres, privés d'accès au centre urbain.

Car le coût de changement d'un véhicule reste trop élevé, malgré les aides. Les ZFE renforceront la ségrégation spatiale entre urbains et habitants des zones périphériques. C'est inconcevable. L'exclusion sociale ne peut être la conséquence d'une politique écologique !

Réduire la pollution de l'air est un objectif louable, mais peut-on demander à un particulier de payer 10 000 à 30 000 euros pour acheter un véhicule propre ? C'est un an de salaire ! Comment concilier ambition écologique et progrès social pour les classes moyennes et populaires, sans écologie punitive ? L'écologie, oui, mais l'écologie pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre.  - Nous partageons la conclusion : il faut des mesures d'accompagnement.

Cependant, vous conviendrez que la situation des transports en commun dans la métropole de Marseille peut être améliorée. Vous n'ignorez pas les demandes de crédits formulées par Martine Vassal pour accompagner la mise en place d'alternatives à la voiture.

Le leasing conciliera impératif écologique et tarifs soutenables : avoir un véhicule écologique à 100 euros par mois, sans plein d'essence, cela répond à de nombreuses situations. À la condition que ce ne soient pas des voitures chinoises fabriquées grâce au charbon...

Avec ce débat, vous jouez un rôle utile de lanceurs d'alerte, mais attention à ne pas présenter les ZFE comme un dispositif déjà applicable à tous les véhicules : il n'en concerne que certains, et sera mis en place progressivement pour permettre la structuration d'une offre de seconde main et de leasing, conformément aux promesses du Président de la République. Favorisons la pédagogie.

Mme Brigitte Micouleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Certes, les ZFE limiteront l'accès des véhicules les plus polluants au centre des agglomérations, notamment à Toulouse.

Mais la loi d'orientation des mobilités (LOM) qui prévoit les ZFE a été votée avant les bouleversements mondiaux que nous avons connus. Le système Crit'Air n'est pas satisfaisant et pénalise les ménages modestes. Il doit évoluer car certains véhicules Crit'Air 3 et 4, bien entretenus, polluent moins que les gros SUV bénéficiant du Crit'Air 1. Certains roulent peu. Pourquoi ne pas faire évoluer le contrôle technique pour permettre à ces véhicules moins polluants, après un examen approfondi, de rouler en ZFE ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous me proposez, en somme, de réécrire le texte... Le système des vignettes repose sur des critères objectifs et simples. Si, demain, nous imposons un passage par le garagiste, on dénoncera une forme de taxe pour prolonger la durée de vie du véhicule !

Il n'est pas question d'inciter à jeter un véhicule qui fonctionne encore, sachant qu'il faut deux tonnes de pétrole pour le fabriquer. D'où l'intérêt du retrofit, qui consiste à changer la motorisation du véhicule, avec un reste à payer moins élevé.

L'enjeu n'est pas l'appréciation des émissions des véhicules mais les particules fines et le dioxyde d'azote - et là, c'est le diesel qui pose problème. Il faut donc accélérer la mutation du parc, via les ZFE, avec de la pédagogie et un accompagnement.

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec ce débat, j'ai eu l'impression de revivre le paradoxe de la poule et de l'oeuf. La ZFE doit-elle entraîner l'adaptation de notre parc roulant, ou aurait-il fallu faire l'inverse ?

Quoi qu'il en soit, la loi a été votée ; désormais, il convient de l'appliquer au mieux. C'est un enjeu vital, car la pollution de l'air réduit de 2,2 ans l'espérance de vie et entraîne des milliers de morts chaque année.

Cependant, nous ne sommes pas prêts, faute de réseau de transports en commun performants desservant les zones périurbaines.

Le système d'aides en place pénalise ceux qui sont hors ZFE puisque les aides majorées concernent les habitants de la ZFE, qui sont aussi ceux qui ont le plus de moyens. Pourquoi ?

Notre parc roulant n'est pas prêt, faute de véhicules de substitution. L'objectif de 100 000 bornes de recharge sera atteint en 2023, dites-vous - mais avec deux ans de retard !Vous nous annoncez aussi des opérations de communication à partir de 2023, mais là aussi il est trop tard : c'est en 2018 que l'État et quinze métropoles se sont engagés !

Le Sénat a pourtant proposé des solutions. Pourquoi l'État refuse-t-il d'intégrer le leasing dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ? Pourquoi le PTZ a-t-il été mis en place si tardivement ?

Pourquoi s'intéresse-t-on si peu aux particules émises par le freinage, responsables de 80 % des émissions, qui concernent aussi bien les véhicules électriques que thermiques ? La start-up française Tallano technologies, qui travaille sur ce problème, a réussi à diffuser sa technologie en Asie, mais pas en France. Pourquoi un tel retard ?

C'est un vrai enjeu de santé publique, d'autant que les métros et les RER sont particulièrement concernés. Je sais que la France s'intéresse aux négociations sur la norme Euro 7, mais il faut accélérer.

Vous ne pouvez pas reprocher aux collectivités d'aller trop vite, monsieur le ministre. L'enjeu sanitaire nous concerne tous. Si certaines collectivités ont décidé d'aller vite, il faut les accompagner car nous en bénéficierons tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.