Violences intrafamiliales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - L'enfance a été placée par le Président de la République au nombre des priorités du nouveau quinquennat. Sa protection est au coeur de la feuille de route du Gouvernement.

Le foyer familial doit être érigé en sanctuaire protecteur au sein duquel ne saurait être acceptée la moindre violence. Voilà la directive ferme que j'ai adressée aux procureurs de France dans ma circulaire de politique pénale générale de septembre dernier.

Dans une circulaire du 21 avril 2022 sur la prise en charge des mineurs présents lors d'un homicide commis au sein du couple, j'incitais déjà les procureurs à mettre en place des protocoles d'accompagnement. Le 28 février 2022, j'ai rappelé les dispositions du décret du 23 novembre 2021 énonçant qu'un mineur témoin de violences au sein du couple en est victime à part entière. J'ai demandé aux magistrats de restituer à ces faits leur exacte qualification, de veiller à la préservation des droits du mineur dans la procédure pénale et de s'assurer que la juridiction de jugement est en mesure de statuer sur l'autorité parentale.

Cette semaine, une nouvelle circulaire de politique pénale sera diffusée, qui porte la lutte contre les violences sur mineur à un niveau équivalent à celle mise en oeuvre en matière de violences conjugales.

Porter cette politique implique non seulement de lutter contre toutes les formes de violences faites aux mineurs dans le cadre familial ou institutionnel - scolaire, sportif, religieux, etc. -, mais aussi contre toute forme d'exploitation, dont la prostitution au profit des réseaux organisés.

Je compte aussi généraliser les Unités d'accueil pédiatrique enfance en danger (Uaped) - je salue l'engagement de François Braun et de Charlotte Caubel à cet égard. Je sais également pouvoir compter sur tous les juges des enfants, juges aux affaires familiales (JAF) et membres du parquet pour protéger l'enfant dans son intégrité physique et morale et veiller à la préservation de ses intérêts.

Enfin, je n'oublie pas l'engagement du Sénat dans ce domaine, dont témoignent les textes votés au cours de l'année écoulée. Car il est des cas où le foyer familial devient un lieu de persécution, notamment quand le parent devient le bourreau de son enfant. Il est alors incapable d'assumer le rôle dont la loi l'a investi : protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne. Face au parent maltraitant, il faut se résoudre à remettre en cause le lien parental.

Ces questionnements ont abouti à la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, avec des dispositifs innovants comme la suspension automatique de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement en cas de crime commis sur l'autre parent, tel que le prévoit l'article L. 378-2 du code civil. C'est ce dispositif que l'article 1er de ce texte étend.

Je pense ensuite à la possibilité pour le juge de suspendre les droits du parent qui a été condamné pour un crime ou un délit sur l'autre parent ou sur son enfant, objet de l'article 2.

Selon la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), un adulte sur dix a été victime de violences sexuelles dans son enfance. Il y a urgence à agir, afin de s'assurer que le parent maltraitant ne puisse se prévaloir de ses droits pour maintenir une emprise sur l'enfant ou réitérer ses agissements.

L'Assemblée nationale ne s'y est pas trompée, pas plus que votre commission, en adoptant ce texte. L'article 1er modifie l'article L. 378-2 du code civil pour suspendre l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou condamné.

La rédaction de la commission des lois est bienvenue : le choix de viser tous les crimes commis sur l'enfant évite une hiérarchisation inopportune entre ces crimes. Elle s'en tient toutefois aux infractions les plus graves afin de garantir la constitutionnalité et la conventionnalité du dispositif. Une disposition miroir est prévue à l'article 2 bis pour forcer la délégation de l'autorité parentale dans ces hypothèses, initiative que je soutiens. Je regrette toutefois que votre commission n'ait pas repris le mécanisme qui dispensait le parquet de saisir le JAF pour confirmation.

L'article 2 crée trois mécanismes de retrait facultatif de l'autorité parentale ou de son exercice. Or le juge pénal a déjà l'obligation de se prononcer, en cas de viol, d'agression sexuelle, ou de violence. Il serait plus protecteur de créer un mécanisme de retrait obligatoire, avec possibilité pour le juge d'y déroger par motivation spéciale. Il s'agit là d'appliquer les recommandations de la Ciivise.

L'article 3 fait évoluer le code pénal pour prendre en compte ces évolutions. J'observe que sa rédaction laisse transparaître un souci de simplification, les magistrats étant incités à utiliser directement les dispositions du code civil par un renvoi. Le texte regroupe en outre au sein d'un article unique du code pénal les dispositions relatives à l'autorité parentale : c'est une simplification bienvenue. Je soutiendrai un amendement visant à ajouter l'expression consacrée en cas de renvoi à une autre disposition.

La commission a également souhaité introduire la possibilité de renvoyer l'affaire à une date ultérieure pour juger de l'autorité parentale : je suis réservé sur cette disposition, car la charge des audiences pourrait en être augmentée, de même que le délai d'audiencement, ce qui nuirait à l'efficacité de la justice.

La réflexion doit donc se poursuivre. J'ai à coeur d'aboutir avec vous à l'élaboration d'un dispositif ambitieux et respectueux de nos principes constitutionnels. Envoyons un signal fort à tous les enfants victimes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - Je me réjouis que le Gouvernement n'ait pas engagé la procédure accélérée sur la proposition de loi d'Isabelle Santiago, car cette question est complexe.

Le texte intervient sur deux mécanismes : la suspension provisoire, de plein droit, de l'exercice de l'autorité parentale et le retrait de l'autorité parentale par les juridictions pénales. Ce dernier prive un parent de toutes ses attributions, y compris du consentement à l'adoption de son enfant : c'est la titularité même qui lui est retirée. Mais dans le cas de la suspension de l'exercice, il conserve le droit d'entretenir des relations personnelles avec l'enfant via les droits de visite et d'hébergement sauf motifs graves appréciés par le JAF, ainsi qu'un droit de surveillance qui oblige l'autre parent à le tenir informé de tous les choix importants relatifs à la vie de l'enfant.

L'article 1er étend la suspension provisoire de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement au cas de poursuite ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commise sur l'enfant. La commission y est favorable, se conformant ainsi au souhait de la Ciivise.

Plutôt qu'une durée maximale de six mois, il avait été prévu que la suspension dure jusqu'à la décision de non-lieu, la décision de la juridiction de jugement ou jusqu'à la décision du JAF. La commission a souhaité s'en tenir à sa position de 2020 : accepter une suspension de plein droit, mais uniquement pour six mois. Il nous semble en effet disproportionné de permettre une suspension automatique tout le temps de la procédure pénale, laquelle peut être très longue.

Les députés ont créé un régime distinct pour les cas de violence conjugale ayant entraîné une ITT de plus de huit jours. Ce dispositif ne nous a pas semblé cohérent, car il suppose la présence de l'enfant au moment des violences. Or il peut souffrir de ces violences, même s'il n'était pas présent. De plus, cette disposition manquait d'intérêt pratique puisque le juge doit déjà se prononcer sur l'autorité parentale, et le fait de plus en plus dans ces cas-là.

L'article 2 rend un peu plus automatique le retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation définitive pour crime ou agression sexuelle commis sur l'enfant ou pour crime commis sur l'autre parent. La commission des lois a revu la rédaction de l'article, en vue de le rendre plus intelligible. Elle a posé le principe de l'obligation pour la juridiction de se prononcer dans ces affaires. Nous aurons un débat sur cette rédaction qui a le mérite de dire clairement que le juge conserve la possibilité de ne pas prononcer le retrait de l'autorité parentale, sous réserve d'une motivation spéciale. Attention aux expressions qui relèvent plus de l'affichage.

L'article 2 bis de la proposition de loi ajoute un nouveau cas de délégation forcée de l'autorité parentale à un tiers : la commission y a apporté un simple ajustement rédactionnel.

L'article 2 ter, ajouté par la commission, prévoit un répit pour l'enfant en cas de retrait de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement. Il prévoit qu'aucune demande au JAF ne puisse être présentée par le parent moins de six mois après le jugement. Une disposition similaire existe en cas de retrait de l'autorité parentale.

L'article 3 procède à diverses modifications d'ordre pénal : nous mettons un terme aux divergences entre le code pénal et le code civil et harmonisons les dispositions : facilitons le travail des pénalistes pour qu'ils s'emparent de ces mesures.

Je vous invite à voter ce texte : nous avons certes besoin d'une bonne loi, mais aussi de moyens dans les juridictions. Nous devons tous être des protecteurs de l'enfance et des guetteurs de ces violences, qui empêchent, tout simplement, un enfant de vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que du RDPI)

Mme Esther Benbassa .  - C'est l'histoire de Malakai, un petit garçon de 7 ans battu à mort dans la nuit du 12 au 13 octobre 2022 par le compagnon de sa mère, qui avait déjà été condamné huit fois. Les services sociaux s'étaient pourtant saisis en avril 2022 du cas de la mère et de son fils.

En France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents ; 400 000 enfants vivent dans un foyer violent et 160 000 subissent chaque année des violences sexuelles.

Les travailleurs sociaux croulent sous les dossiers, faute de moyens suffisants. Les JAF sont débordés et en sous-effectif.

Dans ce désordre judiciaire, existe-t-il une place à l'intérêt supérieur de l'enfant ? La responsabilité de l'État est immense.

Avec le texte que nous examinons aujourd'hui, tout parent poursuivi, mis en examen ou condamné pourra se voir privé de l'exercice de l'autorité parentale et de son droit de visite et d'hébergement. Cette proposition de loi est une avancée, mais elle n'est pas suffisante. On ne peut pas se contenter de numéros verts ou de petites mesures. Il nous faut garantir un accompagnement effectif pour tous ces enfants et permettre leur reconstruction. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme le rapporteur et Mme Martine Filleul applaudissent également.)

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Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 22 mars 2023

Séance publique

À 15 heures et 16 h 30

Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Laurence Rossignol, vice-présidente, Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot - Mme Marie Mercier

1. Questions d'actualité au Gouvernement

2. Débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes (demande de la Conférence des présidents)