Relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat de la CMP .  - Avec le tome III des lois Égalim, le législateur tente à nouveau de réguler les relations commerciales entre industriels et distributeurs, plus tendues que jamais dans un contexte d'inflation croissante.

Je me réjouis que nous soyons parvenus à un accord en CMP sur des points cruciaux : rééquilibrage des rapports entre les acteurs, affirmation du caractère d'ordre public de notre droit commercial, protection de la valeur des matières premières agricoles (MPA), donc du revenu des agriculteurs.

Les discussions ont été vives, compte tenu des éléments nouveaux que le Sénat a introduits et des divergences de vues initiales entre les deux assemblées. Mais nous avons su trouver des compromis au service de l'intérêt général. Je tiens à souligner la qualité des échanges sur ce texte, entre nous comme avec son auteur, Frédéric Descrozaille.

La grande majorité des apports du Sénat ont été conservés par la CMP.

Premièrement, nous avons contribué à protéger l'emploi et l'investissement dans nos territoires, en mettant fin aux promos chocs - parfois jusqu'à 90 % - sur les produits non alimentaires, opérations destructrices de valeur. À l'heure où nous nous efforçons de réindustrialiser le pays, il est essentiel de préserver les entreprises du secteur de la droguerie, de la parfumerie et de l'hygiène (DPH), qui créent de l'emploi sur notre territoire.

Deuxièmement, nous avons complété la protection des matières premières agricoles au sein des négociations commerciales, pour une plus juste rémunération des agriculteurs. Depuis Égalim 2, les MPA sont sanctuarisées dans la négociation sur les marques nationales, mais pas pour les produits vendus sous marque de distributeur (MDD). C'est désormais chose faite.

Dans la même optique de protection des filières agricoles, la CMP a conservé l'exclusion de la filière des fruits et légumes du seuil de revente à perte plus 10 %, ou SRP+10. Depuis quatre ans, ce dispositif s'est avéré préjudiciable pour les producteurs de cette filière.

Troisièmement, nous avons favorisé la transparence des revenus issus de ce dispositif unique en Europe, soit 600 à 800 millions d'euros. C'est un chèque en blanc donné aux distributeurs, dont on espère qu'il bénéficiera aux agriculteurs. Nous nous sommes entendus avec les députés sur une fin de l'expérimentation en 2025, et non 2026.

Quatrièmement, les avancées du Sénat sur les pénalités logistiques ont été conservées. Si leur existence n'est pas contestable, ces pénalités doivent être utilisées à bon escient par les distributeurs.

Enfin, nous avons longuement débattu de l'article 3, destiné à s'appliquer si industriels et distributeurs ne se mettent pas d'accord au 1er mars. Le compromis trouvé offre la possibilité au fournisseur, à titre expérimental, de choisir entre cesser subitement de livrer et appliquer un préavis de rupture qui tienne compte des conditions de marché. Cette solution présente des inconvénients, qui je l'espère, ne seront pas trop importants. Mais c'est le propre d'une CMP que de rechercher des compromis...

Je vous invite à adopter ce texte qui comporte des avancées considérables en matière de rééquilibrage des relations commerciales et de protection de la rémunération des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Je salue l'accord trouvé en CMP sur la juste répartition de la valeur entre tous les maillons de la chaîne alimentaire.

Cette proposition de loi rééquilibrera les relations commerciales. Les ajustements apportés s'inscrivent dans la continuité des deux précédentes lois Égalim, qui ont déjà produit des effets significatifs, comme l'a montré l'Inspection générale des finances (IGF).

Ce texte va globalement dans le bon sens, notamment sur la nécessaire prolongation du dispositif expérimental de relèvement du seuil de revente à perte de 10 % pour les produits agricoles et alimentaires.

Le Sénat avait exprimé des doutes sur ce mécanisme, en proposant de le suspendre, le temps que l'inflation revienne à des seuils plus habituels. Le doute est toujours utile au débat... Pour ma part, j'ai rappelé qu'une alimentation de qualité produite sur nos territoires et dans le respect de l'environnement a un coût.

L'évaluation de l'expérimentation a été rendue difficile par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. Le Gouvernement a donc entendu les inquiétudes du Sénat et du monde agricole. Le Gouvernement demeure convaincu qu'une prolongation de trois ans aurait été plus efficace, notamment au regard de la désynchronisation des dates entre les promotions et le SRP+10. Mais l'équilibre trouvé est satisfaisant.

L'article 3, très discuté, avait pour objectif de répondre à un angle mort : les opérateurs ont un intérêt commun à ce que les flux de vente ne s'interrompent pas en cas d'échec des négociations annuelles. Je salue le travail de Mmes Primas et Loisier : les acteurs ont besoin de visibilité et de clarté. Le recours à la médiation est facultatif, ce qui accélérera les choses. Nous évitons ainsi les écueils des versions antérieures. L'apport décisif du Sénat doit être salué.

Le rehaussement des amendes administratives en cas d'échec après le 1er mars est une bonne chose.

L'encadrement des pénalités logistiques est renforcé, et vous avez veillé au caractère opérationnel. L'application de pénalités abusives ne saurait être un moyen de reconstituer les marges !

La proposition de loi consacre la compétence exclusive des tribunaux français pour connaître des litiges portant sur des négociations commerciales annuelles. Nous voulons lutter contre tous les contournements de la loi française.

La proposition de loi apporte des correctifs bienvenus à la loi Égalim 2 sur la clause de renégociation, sur la transparence ou sur les produits vendus sous MDD.

Je remercie la rapporteure et la présidente de la commission des affaires économiques pour la finesse de leur expertise. Jamais les divergences d'analyse ne nous ont fait perdre de vue les finalités poursuivies : protéger nos agriculteurs et notre souveraineté alimentaire. Nous devons continuer à emprunter ce chemin. (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu'au banc des commissions)

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42 alinéa 12 du Règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

En conséquence, les amendements seront mis aux voix, puis le vote sur les articles sera réservé.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2 TER B

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Loisier, au nom de la commission.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Le I du présent article entre en vigueur le 1er mars 2024.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure.  - Cet amendement répare un oubli en précisant l'entrée en vigueur de l'encadrement des promotions sur les produits non alimentaires à compter du 1er mars 2024.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Nous avions un désaccord sur ce point. Le dispositif ayant été voté et approuvé en CMP, sagesse.

L'amendement n°1 est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Loisier, au nom de la commission.

Alinéa 6

Supprimer les mots :

ou à l'échéance de la durée d'un mois mentionnée à l'article L. 441-4-1

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure.  - Amendement de coordination juridique.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°2 est adopté.

ARTICLE 3 BIS

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Loisier, au nom de la commission.

Alinéa 9

Rédiger ainsi cet alinéa :

« III.  -  En cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et fournisseurs, affectant gravement les chaînes d'approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, l'application des pénalités logistiques prévues par les contrats conclus en application du présent titre entre les distributeurs et le ou les fournisseurs intervenant dans ces secteurs et concernés par ladite situation peut être suspendue par décret en Conseil d'État, pour une durée maximale de six mois renouvelable. » ;

L'amendement de coordination juridique n°3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Loisier, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 1

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

I.  -  Le code de commerce est ainsi modifié :

1° L'article L. 441-8 est ainsi modifié :

II.  -  Alinéa 2

Remplacer la référence :

1° 

par la référence :

a)

III.  -  Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

b) Au quatrième alinéa, après les mots : « deux premiers alinéas », sont insérés les mots : « du présent I » ;

IV.  -  Alinéa 3

Remplacer la référence :

2° 

par la référence :

c)

V.  - Compléter cet article par un alinéa et un paragraphe ainsi rédigés :

2° À l'article L. 954-3-5, après les mots : « premier alinéa », sont insérés les mots : « du I ».

II.  -  À l'article L. 631-25-1 du code rural et de la pêche maritime, après les mots : « troisième alinéa », sont insérés les mots : « du I ».

L'amendement de coordination juridique n°4, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Explications de vote

Mme Amel Gacquerre .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les prix des produits alimentaires ont bondi de 14,5 % entre février 2022 et février 2023, selon l'Insee. Une année noire ! Cette inflation frappe en premier lieu les plus modestes.

Agir pour le pouvoir d'achat ne signifie pas pénaliser nos PME, nos coopératives agricoles et nos exploitations.

Nous devions corriger le déséquilibre entre fournisseurs et distributeurs, défavorable aux producteurs - d'où la proposition de loi de Frédéric Descrozaille.

Ce texte complétera utilement les deux lois Égalim. Les principaux apports du Sénat ont été conservés, notamment la non-négociabilité des prix des matières premières agricoles, et sa déclinaison pour les produits vendus sous MDD. C'était impératif afin d'assurer une plus juste rémunération des agriculteurs.

À sa demande, nous avons exclu le secteur des fruits et légumes frais du SRP+10, hérité des lois Égalim. Il était urgent d'agir vite pour préserver les rémunérations.

Nous avons encadré les pénalités logistiques, arme absolue des distributeurs, dont les excès étaient connus. Les fournisseurs se trouvaient parfois dans des situations financières dramatiques. Le plafonnement et l'encadrement de ces pénalités sont de véritables victoires pour les industriels et les exploitations agricoles.

Je me réjouis du compromis trouvé sur l'encadrement de la période de négociation commerciale annuelle. En cas d'échec des négociations, l'alternative proposée entre l'interruption des livraisons et l'application du préavis de rupture classique constitue un consensus qui permet de rééquilibrer la relation entre fournisseur et distributeurs. Nous ferons le bilan de cette expérimentation ; le comité sénatorial de suivi de l'application des lois Égalim y contribuera.

La majorité du groupe UC votera en faveur de cette proposition de loi, qui est le fruit d'un compromis entre tous les acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Un pas de plus en avant... Nous avons choisi de voir positivement ce texte. Nous nous réjouissons du succès de la CMP. Le contexte d'inflation nous impose la raison. Mais les efforts sont-ils partagés ? Les prix alimentaires ont crû de 14 % ; pour la viande, la hausse peut atteindre 30 % !

Pour les plus précaires, le panier anti-inflation ne suffit pas. Les distributeurs ont beau jeu d'afficher un maintien des prix, mais qui paye ? La guerre des prix pénalise surtout les agriculteurs, qui subissent à la fois l'envol des matières premières et des prix de vente négociés au plus bas. Personne n'est dupe. Le budget d'un foyer est surtout impacté par la hausse de l'énergie et des loyers.

Le modèle d'agriculture verte prôné par l'Europe est ébranlé. La France, bonne élève, perd en compétitivité quand le bio se vend au prix du conventionnel : il faut rapidement résoudre ce problème, car les agriculteurs se détournent de ces modes de production onéreux, faute de débouchés.

Surtout, il faut revoir la loi de modernisation de l'économie (LME) qui a permis à la grande distribution de mutualiser via des centrales d'achat et de faire pression sur les agriculteurs.

Dans ce contexte commercial tendu, toute mesure positive pour les agriculteurs doit être défendue. Le RDSE salue donc l'article 1er destiné à contrer les délocalisations des négociations contractuelles.

L'article 2 prolonge jusqu'en 2025 les dispositions de la loi Égalim 1 sur l'encadrement des promotions et le SRP+10. L'exclusion de la filière des fruits et légumes, proposée dans un amendement de Nathalie Delattre, a été retenue.

La non-négociabilité des matières premières agricoles dans les produits sous MDD est une avancée notable. L'expérimentation de la rupture des livraisons en cas d'échec des négociations commerciales annuelle est également à saluer.

Le Parlement est obligé d'intervenir en raison de la partie de poker menteur que se livrent les acteurs, au détriment des consommateurs, des agriculteurs et des PME, a dit la rapporteure Anne-Catherine Loisier. C'est vrai, mais ne soyons pas naïfs, car cela peut se retourner contre les agriculteurs français, dans un contexte de concurrence mondiale. D'où l'importance de l'article 1er !

Le sujet du prix rémunérateur doit être au coeur de notre réflexion. Pour 60 heures de travail hebdomadaire, il faut un revenu à la hauteur. Il y va de notre souveraineté alimentaire. Notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI, sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) Ce texte est un rendez-vous supplémentaire sur la mise en marché des productions agricoles. Nous savions qu'Égalim 1 nécessiterait des modifications ; nous en sommes déjà à la troisième, en attendant la prochaine...

Je remercie la rapporteure. Son travail permet de corriger les manques des lois Égalim 1 et 2, qui concernaient moins de 50 % des mises en marché puisque les produits sous MDD étaient exclus.

Sur les dix dernières années, la montée en gamme a été de 2,5 % par an sur le couplage volume-prix, avant un arrêt historique en 2022, avec une baisse de 1,3 %.

Si nous n'avions pas précisé que l'ensemble des matières agricoles étaient protégées, cela aurait posé problème : les marques de distributeur sont, pour utiliser le vocabulaire du cyclisme, des suceurs de roue, reprenant les innovations et les avancées des autres.

L'initiative de prolonger le SRP+10 et d'exclure, à leur demande, les fruits et légumes donnera de l'espoir à la filière.

L'intégration du secteur DPH est essentielle pour protéger nos entreprises localement : certaines, très exposées, pouvaient perdre rapidement leur marché. Le Sénat a maintenu sa position, j'en remercie la rapporteure.

Sur l'article 3, nous avons trouvé un compromis. Le groupe de suivi du Sénat sera sans doute amené à y retravailler, mais il était nécessaire d'avancer sur les MDD.

Le groupe Les Républicains votera ces conclusions de la CMP.

Monsieur le ministre, lorsque j'entends Bruno Le Maire dire qu'il faudra renégocier les prix en mai, je m'inquiète. Les chiffres n'ont pas été démentis, la matière première agricole a été respectée sur les marques. Mais sur la matière première industrielle, c'est à peine le tiers ! Attention aux déclarations trop rapides qui mettent en péril les espoirs des agriculteurs, des consommateurs et notre diversité agricole. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - C'est la troisième fois en cinq ans que nous nous penchons sur les relations entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Pourquoi ? La loi Égalim devait assurer une meilleure répartition sur toute la chaîne, mais entre théorie et pratique, il y a certains écarts.

Le contexte international, l'explosion du coût de l'énergie ont joué. À cet égard, je regrette l'absence de remise en cause de l'indexation du prix de l'électricité sur le gaz.

Derrière se pose la question de notre souveraineté alimentaire, donc de notre indépendance.

Le sujet n°1 de l'agriculture française n'est pas Égalim, mais le poids des normes : à vouloir laver plus blanc que blanc, on a attaché un boulet aux pieds des agriculteurs. Nous attendons beaucoup de la future loi agricole et de l'engagement pris par le Président de la République au Salon de l'agriculture de veiller à ce que nos agriculteurs ne soient pas pénalisés face à nos voisins européens.

Nous saluons les avancées de la CMP, qui reprennent des apports du Sénat. L'objectif d'Égalim était que chacun y trouve son compte. Or l'équilibre n'est pas facile à trouver.

L'article 2 sur l'expérimentation du SRP+10 a fait couler beaucoup d'encre, car le dispositif n'a pas fait la preuve de son efficacité. L'exclusion de la filière fruits et légumes de ce SRP+10 est légitime.

L'exclusion des grossistes du système des pénalités logistiques permet de corriger les dérives de la grande distribution, qui utilise ce système comme un moyen de compensation des pertes de marge. C'était un sujet cher au groupe Les indépendants.

À l'article 3, il fallait corriger le vide juridique en cas d'absence d'accord entre fournisseurs et distributeurs et empêcher la livraison à perte.

La loi Égalim n'a pas apporté des résultats à la hauteur des espoirs, c'est pourquoi nous y revenons. L'épisode 3 n'est sans doute pas le dernier...

Le marché a besoin de règles et de suivi afin que chaque acteur de la chaîne soit rémunéré à sa juste valeur. Nous attendons beaucoup de la future loi agricole. Notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'inflation alimentaire poursuit sa course, mettant en difficulté producteurs, fournisseurs et consommateurs. Dans ce contexte, nous nous apprêtons à voter une nouvelle loi pour tenter de rééquilibrer les rapports de force qui, face à une grande distribution toute puissante, ont abouti à un revenu agricole indécent et mis nos PME agroalimentaires en difficulté.

Nous doutons de l'efficacité de cette proposition de loi, malgré quelques petits pas : mesures sur les MDD, sur les pénalités logistiques, lutte contre le contournement via des centrales étrangères.

Mais l'incertitude sur l'efficacité des mesures et leur effet de bord persiste, comme sur le SRP+10. Espérons que cette loi permettra un vrai ruissellement pour les agriculteurs.

Il faut des mesures bien plus structurantes pour garantir un meilleur revenu à nos agriculteurs et un accès à une alimentation durable et de qualité pour tous. Sans régulation des marchés ni clause miroir ni paiement pour services environnementaux, sans une PAC plus juste et une promotion du commerce équitable, nous ne parviendrons pas à rémunérer correctement nos producteurs. Sortons notre alimentation d'une concurrence mondiale délétère : pendant que nous votons ce texte, la filière bovine s'inquiète d'une possible volte-face de la France sur la non-ratification du traité avec le Mercosur. Ce traité de libre-échange aura bien plus d'impacts négatifs sur le revenu agricole que cette loi n'en aura de positifs !

En parallèle, il faut des politiques fortes pour l'accès de tous à une alimentation durable et de qualité, dans un contexte inflationniste. Les leviers existent : Égalim 1 a fixé un objectif de 20 % de bio et 50 % de produits locaux et de qualité dans la restauration collective. Ce dispositif n'est pas appliqué.

Le chèque alimentation durable a connu diverses vicissitudes : le flou demeure sur une mesure qui permettrait de concilier débouchés rémunérateurs et accès à une alimentation durable. Nous continuons de plaider pour une véritable sécurité sociale de l'alimentation.

C'est donc sans grand espoir que le GEST votera cette loi, reconnaissant ses avancées, tout en appelant à se remettre à l'ouvrage. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le 15 mars : deux CMP, deux salles, deux ambiances... (Sourires au banc des commissions) Je me réjouis du travail réalisé ensemble pour aboutir à un compromis. Nous parachevons ainsi le travail engagé par les lois Égalim 1 et 2, corrigeant des dérives inadmissibles issues du déséquilibre dans les négociations commerciales. Il faut s'adapter à la créativité des centrales, qui mènent leurs négociations hors de France. L'article 1er y pourvoit.

Les ajouts du Sénat - prolongation du SRP+10 et de l'encadrement des promotions, exclusion de la filière des fruits et légumes du SRP - ont été maintenus. Je songe notamment à l'encadrement des pénalités logistiques, qui étaient détournées par la grande distribution, ou à la non-négociabilité des matières premières agricoles pour les produits sous MDD.

L'article 3 est le fruit d'une réflexion collective. Il laissera le choix au fournisseur entre l'interruption de livraison, à titre expérimental, ou un préavis de rupture classique en cas d'échec des négociations. C'est un dispositif innovant.

Ces dispositions contribueront à préserver l'emploi et l'investissement dans nos territoires. Un distributeur s'est offert des placards dans la presse pour affirmer que cette loi vise à limiter les prix bas. (L'orateur brandit un journal.) Non : il s'agit de proposer des prix justes. (Applaudissements au banc des commissions) Non, nous ne marchons pas sur la tête : nous remettons les choses à l'endroit.

Ce qui compte pour nous, c'est l'agriculture française, l'industrie française, ce sont les transformateurs français, ce sont les consommateurs français. Ce sont aussi les salaires, que l'on fait baisser en imposant des conditions tarifaires aux fournisseurs.

Le Sénat peut être fier de ce travail : c'est un nouveau pas vers la défense du consommateur, du revenu des agriculteurs et de la pérennité des PME qui font le rayonnement de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI, ainsi qu'au banc des commissions ; M. Denis Bouad applaudit également.)

M. Serge Mérillou .  - Alphonse Karr, célèbre écrivain français du XIXe siècle, disait : « En France, on parle quelquefois de l'agriculture, mais on n'y pense jamais ». Cela peut s'appliquer à cette proposition de loi, qui ne traite pas d'agriculture, mais des relations entre transformateurs et distributeurs. Or qui sont les vraies victimes de l'inflation ? Les citoyens et les agriculteurs.

Après Égalim 1 et Égalim 2, voilà Égalim 3. Quelle sera la prochaine étape ? Ne reproduisons pas les mêmes erreurs : la situation ne s'explique pas par la seule conjoncture, entre covid et guerre en Ukraine. Égalim 1 et 2 n'ont pas été efficaces ; et le groupe SER avait déjà alerté sur leur manque d'ambition. La ferme France est en déclin, notre agriculture souffre.

Il y a pourtant des solutions. Dans La Nouvelle Héloïse, Rousseau écrit : « La condition naturelle à l'homme est de cultiver la terre et de vivre de ses fruits ». Le juste partage de la valeur est la condition sine qua non d'un modèle vertueux qui assure notre souveraineté alimentaire. Chacun doit trouver son compte dans la négociation commerciale.

Cette proposition de loi d'ajustement, en dépit de ses lacunes, présente certaines avancées. Ainsi les améliorations du Sénat ont-elles été conservées. Nous sommes satisfaits de la prolongation du SRP+10 et surtout de l'exclusion des fruits et légumes, revendication soutenue par le groupe SER. De même, nous saluons la non-négociabilité de la matière première agricole pour les produits vendus sous MDD.

L'article 1er lutte contre les stratégies de contournement de la grande distribution consistant à créer des centrales d'achat à l'étranger. S'il y a des règles, c'est pour qu'elles soient respectées.

Nous notons aussi avec intérêt l'accord sur l'article 3 qui couvre les situations d'échec des négociations commerciales.

Le texte ne donne pas toute-puissance aux transformateurs, n'en déplaise à certains distributeurs qui s'épanchent dans la presse en agitant la menace d'une explosion des prix. Chacun doit faire un effort, quitte à rogner sur ses marges.

Les socialistes voteront ce texte, même s'il doit s'inscrire dans une réforme plus globale de notre modèle agricole et un rééquilibrage des relations entre fournisseurs et distributeurs. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

M. Gérard Lahellec .  - Cette CMP intervient dans un contexte difficile, peu propice à satisfaire tous les acteurs, du producteur au consommateur, de la fourche à la fourchette. L'objet affiché du texte est pourtant de mieux protéger tous les acteurs, objectif louable mais impossible à atteindre. Alors que l'inflation alimentaire s'envole, l'essentiel de la valeur ajoutée des produits alimentaires ne revient pas à la production. La vie chère s'installe, les salaires ne suivent pas.

Consommateurs, salariés et paysans sont confrontés au même problème : la juste rémunération de leur travail. Croissance faible, inflation forte, système économique saturé : voilà les termes du problème.

La proportion des entreprises agroalimentaires voulant augmenter leurs prix est de 70 % : cela augure d'une poursuite de la flambée des prix. Le Gouvernement, lui, a annoncé un chèque alimentaire pour les plus modestes, mais ne souhaite pas distribuer d'aide alimentaire au niveau global pour éviter d'encourager la malbouffe. Le pays est au bord de la rupture, et nous jouons les équilibristes alors qu'il faudrait une réforme de fond. Ce simple toilettage du marché aura un impact minime sur le revenu agricole et sur les dix millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté.

Nous comprenons la recherche du compromis, mais attention à ne pas opposer producteurs et consommateurs autour du SRP+10. Mieux vaudrait reconsidérer la loi de modernisation de l'économie, alors que les allègements généraux pèsent sur les salaires et rognent le pouvoir d'achat. Ne voulant pas décourager les bonnes intentions qui sous-tendent ce texte, le groupe CRCE s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président.  - Conformément à l'article 42 alinéa 12 du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements de la commission.

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu'au banc des commissions)

La séance est suspendue quelques instants.