« Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ? »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ?» à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Harceler tue. Ce phénomène dramatique traduit un laxisme sans précédent vis-à-vis d'un fléau de société. Le harcèlement scolaire touche un million de jeunes chaque année, soit un sur dix. Dès la socialisation naît le rejet ; le harcèlement scolaire apparaît dès l'école primaire, à l'âge des premiers apprentissages.

Les familles, les proches sont également concernés. Des dizaines de nos enfants, de nos petits-enfants subissent ce qu'aucun enfant ne devrait subir.

Ces enfants découvrent la cruauté humaine et perdent foi en autrui. La réalité dépasse souvent l'entendement. Elle est traitée en fait divers, mais nous ne pouvons oublier les victimes, leur souffrance et leur douleur. Suicide ou homicide ? Comment qualifier l'acte d'un enfant qui se donne la mort, poussé à bout par ses camarades - un terme qui renvoie pourtant au partage et à la fraternité ? « Il n'est de camarades que s'ils s'unissent dans la même cordée », disait Saint-Exupéry.

L'école est le lieu de la transmission de valeurs, là où se forment les adultes de demain. Aller à l'école ne doit jamais devenir une contrainte mortifère qui laissera des stigmates. Nos concitoyens ne l'acceptent plus. Il faut répondre d'urgence à ce problème.

Il est choquant que l'enfant harcelé doive quitter l'établissement, quand les auteurs y restent impunément.

M. Max Brisson.  - Absolument.

Mme Alexandra Borchio Fontimp.  - C'est ce qui a motivé la proposition de loi de Marie Mercier : elle pose le principe de l'éloignement du harceleur pour protéger la victime et lui éviter cette double peine. Une mesure que vous avez d'ailleurs reprise, monsieur le ministre, si l'on en croit la presse de ce matin.

L'impunité doit cesser, les auteurs doivent être pris en charge. Les témoins aussi sont victimes, et développent un sentiment d'impuissance.

Ne faisons pas de faux procès aux parents, qui doivent être associés à la prévention en étant sensibilisés, informés et encouragés à dialoguer avec leurs enfants.

J'espère que ce débat permettra de faire avancer les choses. La mission d'information relative au harcèlement et au cyberharcèlement appelle à faire de ce sujet une grande cause nationale : une simple journée nationale ne suffit pas. Faisons-le pour les parents de Lucas ou d'Ambre - pour eux, il est trop tard.

Malgré les avancées de la loi du 2 mars 2022 et du programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l'école), ces drames traduisent un échec collectif. L'autorité judiciaire doit faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de sa politique pénale et se saisir de la nouvelle infraction. Les signalements doivent être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire ne doit plus être considéré comme des histoires entre gamins. À Menton, dans mon département, Anna va au collège chaque matin la boule au ventre, depuis six mois...

Levons le voile sur ce phénomène et parlons-en. Aidons à détecter les victimes et à gérer les harceleurs. L'école est aussi un lieu privilégié pour repérer et évaluer les difficultés des élèves.

Je salue l'engagement des personnes qui luttent quotidiennement contre ce fléau, pour que l'école ne soit plus une zone de non-droit et qu'enfant ne rime plus jamais avec violence. (Applaudissements)

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.  - Je vous remercie d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre du jour. Longtemps un angle mort, la lutte contre le harcèlement scolaire est un engagement fort du ministère de l'Éducation nationale depuis 2017, et une priorité de mon action.

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance inscrit le droit à une scolarité sans harcèlement. La loi du 2 mars 2022 pénalise le fait de harceler. Depuis la dernière rentrée, le programme pHARe a été généralisé : 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans ce programme. Nous avons donc encore du chemin à parcourir. Le programme sera étendu aux lycées à la rentrée.

Ce matin, j'ai annoncé que pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, l'élève harceleur pourrait être scolarisé dans une autre école. J'y reviendrai.

M. Alain Marc .  - Chaque année, près d'un million d'enfants sont victimes de harcèlement scolaire. Personne n'est épargné. Les conséquences sont dramatiques : baisse de l'estime de soi, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité... Elles sont parfois tragiques, avec vingt suicides d'enfants par an, comme celui, dernièrement, du jeune Lucas. La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer ce fléau.

Avec l'avènement des réseaux sociaux, les victimes n'ont plus de répit, et le harcèlement se poursuit jusque dans l'intimité de la chambre. Les publications sont parfois virales.

La peur doit changer de camp : tel était le signal envoyé par la mission d'information sénatoriale de juin 2021.

Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire, aucun département n'est épargné. Les chiffres sont effrayants. Le rapport de la mission d'information a présenté plusieurs pistes, autour de trois axes : prévention, détection précoce et traitement des cas de harcèlement.

Parents et personnel éducatif sont démunis face au cyberharcèlement. Nous devons développer de nouveaux réflexes de protection, dès les premiers signaux. L'école républicaine doit être un lieu d'épanouissement, et non le théâtre d'humiliations et de violences. Tout le monde doit se mobiliser, et l'État impulser une vaste stratégie.

Monsieur le ministre, quels sont vos ambitions et votre calendrier pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je vous rejoins sur la gravité des conséquences du harcèlement. J'ai moi aussi une pensée pour les victimes - les élèves qui meurent chaque année mais aussi ceux qui sont affectés plus insidieusement, sur le long terme.

Le numéro gratuit 3018 est très efficace pour répondre aux problèmes de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux, par exemple pour bloquer la publication d'une photo ou une boucle de messagerie. Il sera systématiquement inscrit dans les carnets de correspondance.

Le programme pHARe a fait ses preuves dans les six académies qui l'ont expérimenté et sera généralisé à la prochaine rentrée. Nous voulons former cinq adultes référents par établissement, ainsi que des élèves ambassadeurs, souvent les mieux placés pour détecter et rapporter les faits. Nous menons un vaste programme de formation des adultes.

Nous voulons que l'élève harceleur reconnaisse ses torts et fasse, si nécessaire, l'objet de sanctions, par le conseil de discipline ou, dans le primaire, via la nouvelle disposition que j'ai évoquée.

M. Thomas Dossus .  - Nous aimerions que l'école soit un sanctuaire préservé. Or la semaine dernière, c'est la violence policière qui s'est invitée dans un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Un élève plaqué au sol par quatre policiers, sous la menace des flash-balls... Monsieur le ministre, nous aurions aimé une réaction de votre part face à cet usage manifestement disproportionné de la force.

Ce n'est pas la première fois que nous débattons du harcèlement scolaire. Le constat de la mission d'information est dramatique : entre 800 000 et 1 million d'enfants en seraient victimes chaque année, soit deux à trois élèves par classe. La menace ne se cantonne pas à l'école mais rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit.

De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Le suicide de Lucas, 13 ans, en janvier dernier rappelle que l'homophobie et la discrimination tuent.

Monsieur le ministre, vous affirmez que le programme pHARe, généralisé à la rentrée 2022, a produit des résultats. Sur quels critères vous fondez-vous ? Nous avons du mal à croire ce gouvernement sur parole... Aucune évaluation détaillée n'a été produite. Associations et syndicats dénoncent un déploiement inégal, des formations superficielles, un manque cruel de moyens... Le collège de Lucas avait d'ailleurs adhéré à ce programme.

L'année dernière, j'alertais le Sénat sur la situation scandaleuse de la médecine scolaire : un médecin pour 14 000 élèves, un infirmier pour 1 600 élèves, une chute des effectifs de 15 % en cinq ans. Le « quoi qu'il en coûte » s'est arrêté à la porte de l'école. Ces professionnels pourraient détecter les situations à risque et alerter, mais comment faire avec des moyens aussi dérisoires ?

Vous avez annoncé des campagnes de sensibilisation et des observatoires de lutte contre les LGBTphobies à l'école. C'est une première étape, mais insuffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes. Les moyens doivent être à la hauteur des enjeux.

Le harcèlement scolaire est un fléau protéiforme, pour lequel il n'existe pas de solution simple. Il faut passer à la vitesse supérieure. Investir dans la médecine scolaire ou dans les politiques de prévention, c'est investir dans l'apaisement de l'école et de la société. Il y va de notre responsabilité.

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Vous l'avez dit, les solutions simples n'existent pas. Nous n'avons pas de baguette magique, mais nous avançons sur un chemin de progrès.

Souvent, le harcèlement pèse sur des élèves ayant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est éloquent. Nous sommes mobilisés pour préparer la journée du 17 mai, qui sera l'occasion d'une grande campagne, menée en partenariat avec des associations dont SOS homophobie.

L'expérimentation du programme pHARe dans six académies pendant deux ans fait l'objet d'une évaluation par une équipe de chercheurs. Le nombre de cas de harcèlement scolaire n'y a pas baissé - des cas qui seraient restés sous la ligne de flottaison remontent - mais leur traitement a donné de bons résultats.

Nous sommes mobilisés pour la médecine scolaire, mais un tiers des postes offerts ne sont pas pourvus : doubler leur nombre n'y changerait rien. Avec le ministre de la santé, nous préparons un plan d'action ; pour l'instant, nous attendons le rapport des trois inspections générales.

M. Julien Bargeton .  - Le harcèlement entre pairs est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire : violences physiques, moqueries, insultes, humiliations... Avec les réseaux sociaux, le harcèlement se prolonge dans la sphère privée.

Depuis 2017, les gouvernements ont pris la mesure du problème. Depuis 2018, sur proposition de Richard Ferrand, les portables sont interdits dans les écoles et dans les collèges.

En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé un droit à une scolarité sans harcèlement. Les horaires de la plateforme d'écoute dédiée ont été étendus.

Le programme pHARe, rendu obligatoire dans les collèges et écoles élémentaires depuis la rentrée 2022, implique les adultes, les élèves ambassadeurs et les parents : c'est un dispositif à 360 degrés.

La proposition de loi d'Erwan Balanant a créé l'année dernière un nouveau délit de harcèlement scolaire passible de dix ans de prison et de 150 000 euros d'amende en cas de suicide ou de tentative.

Notre arsenal a donc été complété depuis 2017, mais la situation reste dramatique et appelle d'autres changements.

Une proposition de loi de Marie Mercier a posé le principe de l'éloignement du harceleur, pour éviter une double peine à l'enfant victime. Notre collègue Sabine Van Heghe a également déposé une proposition de loi, preuve que le Parlement se saisit de cette question.

Peut-être faut-il se pencher sur des méthodes complémentaires, dans un esprit de parangonnage. Les pays scandinaves ont un temps d'avance en la matière, avec la méthode de « préoccupation partagée » ou le programme finlandais KiVa, en place depuis 2006, qui consiste en des jeux de rôle par exemple.

Je ne doute pas qu'ensemble, nous trouverons de nouvelles armes pour lutter contre ce fléau. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - En effet, le programme pHARe est d'inspiration finlandaise. Il a une dimension pédagogique, en ce qu'il ne vise pas d'emblée à sanctionner, mais à sensibiliser le harceleur sur la gravité de ses actes. Parfois, d'anciens harceleurs sont au premier rang des élèves ambassadeurs. En ce sens, l'école assure sa mission pédagogique.

Parfois, cela ne suffit pas et la séparation entre les élèves s'impose. Elle est possible dans le secondaire, sur décision du conseil de discipline, mais pas dans le primaire où cette instance n'existe pas. C'est pourquoi nous proposons, dans certains cas et en dernier recours, de permettre l'éloignement de l'élève harceleur, en passant par la voie réglementaire.

Mme Sabine Van Heghe .  - Un million d'élèves victimes de harcèlement scolaire, dont certains vont jusqu'à attenter à leurs jours, c'est intolérable. Le programme pHARe a été généralisé mais on peine encore à franchir le mur administratif et la tentation du « pas de vagues » dans certains établissements.

La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales. Dans mon département du Pas-de-Calais, je me réjouis de la mobilisation de tous les acteurs, mais beaucoup reste à faire.

Je viens donc de déposer une proposition de loi pragmatique, simple et concrète afin de compléter l'arsenal juridique existant. Il s'agit notamment d'imposer aux réseaux sociaux une obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés dans les écoles ou de permettre l'exclusion des auteurs. Je me félicite que vous ayez repris cette dernière mesure.

La clé réside dans l'augmentation du nombre d'adultes présents dans les établissements, notamment les professionnels du médico-social et les psychologues. Pour que la parole des enfants se libère, ils doivent se sentir écoutés, compris et protégés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je vous remercie pour votre rapport et le travail réalisé avec la sénatrice Mélot. Nous avons notamment repris votre proposition d'inscrire les numéros 3018 et 3020 dans les carnets de correspondance et sur les espaces numériques de travail (ENT). Il y a également une campagne d'affichage dans les établissements.

L'époque du « pas de vagues » est révolue, même si beaucoup reste à faire.

Je souhaite que les élèves harceleurs puissent être éloignés - comme le proposait la sénatrice Marie Mercier - indépendamment de l'avis de leurs parents ou représentants légaux, quand la situation est devenue intenable, que la sécurité de l'élève harcelé est mise en cause. Cela suppose l'accord du ou des maires concernés. En la matière, il faut procéder avec discernement, car il s'agit d'enfants de 6 à 11 ans et les situations ne sont pas toujours claires.

Mme Sabine Van Heghe.  - Certes, il faut du discernement, mais ne facilitons pas la vie du harceleur au détriment du harcelé.

Mme Céline Brulin .  - Le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement.

Nous ne sommes pas totalement démunis. Le Sénat a ainsi présenté 35 propositions sur ce sujet et la loi du 2 mars 2022 a donné des outils. La lutte contre le harcèlement scolaire a été inscrite dans le code de l'éducation, et les établissements doivent désormais informer les élèves et les parents des risques. Monsieur le ministre, le rapport sur la prise en charge des frais de consultation et des soins, prévu à l'article 7, a-t-il été produit ?

Les assistants d'éducation sont un des rouages d'alerte au sein des établissements. Quand leur CDIsation sera-t-elle généralisée ? Malgré le décret, les établissements ne l'appliquent pas.

La revalorisation des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) est également attendue, ainsi qu'un renforcement de leur formation.

La formation du personnel éducatif prévue par la loi est encore insuffisante ; quel est son contenu ?

Je regrette que la généralisation du programme pHARe ait été lancée avant le retour d'expérience des six académies tests. Vous invoquez la baisse démographique pour justifier les suppressions de postes, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d'encadrement. Difficile de trouver cinq adultes par collège, à moyens constants, alors que le personnel assume déjà de plus en plus de missions. Qui assure les dix heures de formation des élèves, et avec quels outils ?

La médecine scolaire est dans une situation critique. Les effectifs ont fondu, particulièrement en milieu rural, et l'on manque de psychologues dans les Rased (réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté). Vous proposiez de travailler avec le ministre de la santé pour envisager des alternatives. Quelles sont-elles ? Où en est-on ?

Avec les réseaux sociaux, les frontières de l'école sont largement dépassées. Les plateformes doivent assumer leurs responsabilités. Pourquoi ne pas les obliger à diffuser des vidéos de prévention et de sensibilisation ?

Ce matin, vous avez annoncé l'éloignement des élèves harceleurs. Avez-vous consulté les associations d'élus sur les conséquences financières d'une telle mesure ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Le programme pHARe et la loi du 2 mars 2022 ont renforcé la place de la formation.

Nous avons systématisé les programmes de formation dans les Inspé pour les professeurs et CPE stagiaires, et organisé des séminaires afin de former les formateurs. Ce processus prend du temps, au vu de la masse de personnes à former : cinq personnes par établissement dans le secondaire, et cinq par circonscription dans le primaire.

En parallèle, nous mettons l'accent sur la sensibilisation des familles par les établissements, notamment la diffusion du 3020 et du 3018.

Nous attendons le rapport des trois inspections générales pour faire des propositions sur la médecine scolaire.

M. Jean Hingray .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La communauté éducative est démunie, affaiblie par un phénomène incompris. Le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.

De Napoléon à Jules Ferry, l'école républicaine a toujours su s'adapter et aller de l'avant. Aujourd'hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d'élèves.

Difficile de comprendre la psychologie et les rapports de force entre élèves. En 2021, 22 enfants ont fait le choix de renoncer, par la pire des manières. Ils ne se sentaient plus exister ; ils ont fait le choix de ne plus souffrir.

Nous constatons avec regret l'incapacité de notre système à prendre en charge ce phénomène, qui s'accroît avec l'effet de meute des réseaux sociaux. Ils deviennent le lieu privilégié du harcèlement. Celui-ci est partout : à l'école, dans les transports, et jusqu'à la maison...

Dans le harcèlement, il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs, parmi lesquels le corps enseignant, qui agit parfois trop tard.

À quoi bon entendre lorsque nous refusons d'écouter ? Reconnaître une situation de harcèlement est difficile, on les prend parfois pour de simples chamailleries. Difficile de repérer des microviolences...

Nous assistons à une perte de confiance croissante entre les parents, les élèves et l'Éducation nationale.

Les délais de traitement par les établissements sont trop longs, la prise en charge du signalement est floue, les procédures ne sont pas harmonisées. Pendant ce temps, le harcèlement s'intensifie. Ce problème, profondément humain, appelle une réponse de l'État.

L'Éducation nationale s'est dotée de moyens ; le programme pHARe, s'il demeure insuffisant, rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement. Attention toutefois : des harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe !

Nous devons faire de l'école un lieu de prise en charge prioritaire des victimes, et encadrer les harceleurs. De nombreuses solutions existent, comme la méthode Farsta. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Il y a deux écueils à éviter : dire que rien ne change et, à l'inverse, prétendre que le programme pHARe et les autres mesures prises auraient, miraculeusement, tout changé.

Avec humilité, je reconnais que beaucoup reste à faire collectivement pour réduire ce phénomène catastrophique.

La formation des enseignants prend du temps. J'observe néanmoins une prise de conscience de la communauté éducative.

Les délais de traitement sont sans doute trop longs, mais méfions-nous à l'inverse des jugements expéditifs. Le chef d'établissement ou le Dasen (directeur académique des services de l'Éducation nationale) peut procéder à des mesures de sauvegarde, en écartant temporairement un élève.

En dépit de la démarche pédagogique du programme pHARe, il faut également envisager des sanctions. Elles font partie de la pédagogie, qu'il s'agisse du conseil de discipline ou du transfert de l'élève harceleur, selon une procédure qui sera arrêtée par voie réglementaire.

M. Jean Hingray.  - Le travail sera long. À la suite du suicide du jeune Lucas, deux familles vosgiennes sont venues me voir ; le Dasen nous a aidés, mais je reste étonné que l'on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l'Éducation nationale.

Oui au renforcement des sanctions contre les harceleurs. Pour reprendre une phrase de l'un de vos collègues, il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !

Mme Esther Benbassa .  - Le 7 janvier dernier, Lucas, treize ans, a mis fin à ses jours. Si les raisons du passage à l'acte restent à confirmer, les conséquences du harcèlement subi ne peuvent être niées. Plus de 800 000 enfants souffrent, 26 % ont des idées suicidaires ; 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences, morales ou physiques, à l'école, alors que certains continuent de les considérer comme de simples railleries. Les conséquences sont multiples : perte de l'estime de soi, dépression...

À l'âge où l'on manque de discernement, le soutien du personnel scolaire est indispensable. Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés pour éviter de nouveaux drames.

Le harcèlement scolaire ne cesse pas aux portes de l'école. La rue et les réseaux sociaux sont également des lieux de calvaire. Certes, des peines sont prévues pour les auteurs, mais les jeunes en ont-ils seulement conscience ? Le programme pHARe, les numéros d'écoute suffisent-ils ? Il faut faire de la sensibilisation une priorité.

Ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées. Les enseignants doivent être préparés et les parents alertés, afin que l'école redevienne un lieu d'ouverture d'esprit dans lequel chaque enfant trouve à s'épanouir. (M. Yves Détraigne opine.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Nos chiffres ne sont pas stabilisés : ils dépendent des outils de mesure, mais aussi de la définition retenue - rappelons que le harcèlement suppose des actes répétés. Mais, au-delà de ce flou, la réalité est bien là.

Déceler le harcèlement scolaire le plus rapidement possible est un des objectifs de pHARe. Les élèves ambassadeurs sont les mieux à même de repérer les changements d'attitude de leurs camarades, qu'il s'agisse du comportement alimentaire, du travail ou du rapport aux autres. Nous comptons beaucoup sur leur mobilisation.

Il faut ensuite traiter les problèmes. Lorsqu'ils sont pris suffisamment tôt, ils peuvent souvent être résolus au sein de l'établissement. Quand le harcèlement perdure, les autorités académiques peuvent intervenir, avec le concours de professionnels de santé. Enfin, dans les cas extrêmes, une sanction peut intervenir, selon les modalités dont j'ai parlé.

Mme Esther Benbassa.  - Je vous alerte sur les cas récents de violences sexuelles entre enfants de six à sept ans. C'est une autre dimension du problème.

M. Bernard Fialaire .  - Un an après la promulgation de la loi contre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ?

Ce texte visait à garantir une scolarité apaisée, à prévenir le harcèlement, à améliorer la prise en charge des victimes et le traitement judiciaire des situations.

La prévention passe par la formation continue des encadrants.

Je salue le succès du programme pHARe, destiné à créer une communauté protectrice, à former les enseignants et à mobiliser les élèves - dix ambassadeurs par établissement.

Je me félicite aussi de la poursuite de la journée nationale contre le harcèlement scolaire, instituée en 2015 pour sensibiliser les élèves. Le Safer Internet Day, pour un internet sans crainte, rassemble 150 pays et de nombreuses associations. Je salue aussi les campagnes vidéo menées dans de nombreux établissements. S'y ajoutent les numéros, encore trop peu connus, et la plateforme digitale, qui a reçu 170 déclarations.

Mais la prévention ne suffit pas ; il faut punir les faits lorsqu'ils sont constatés. De ce point de vue, le délit créé, avec un quantum de peine proportionné, a démontré son efficacité.

Le harcèlement sévit aussi sur les réseaux sociaux : nos méthodes de sanction doivent s'y adapter. Nous devons aller plus loin dans la régulation, dans le respect du secret des correspondances et de la liberté d'expression.

Enfin, les élèves harcelés ne doivent plus subir un déplacement, alors que leur agresseur est maintenu dans l'établissement.

Depuis 2010, les pouvoirs publics se mobilisent. Malheureusement, les dernières études disponibles datent de 2021 : nous ne pouvons donc évaluer les effets de la loi de l'année dernière. Je regrette aussi que le rapport promis par le Gouvernement sur la prise en charge des soins ne soit pas venu.

Poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Le Safer Internet Day, en février, et la journée nationale contre le harcèlement, en novembre, ont un vrai retentissement dans les établissements.

Vous avez raison : nous devons responsabiliser les réseaux sociaux. La plateforme 3018 travaille en liaison avec eux pour bloquer les comptes contenant des propos injurieux ou des photos n'ayant pas à circuler. Les réseaux doivent être plus proactifs sur ces questions.

J'ai annoncé une modification réglementaire du code de l'éducation pour déplacer les élèves harceleurs plutôt que les élèves harcelés. Cette décision n'intervient qu'en dernier recours, quand les autres sont épuisées : il s'agit de mettre en sécurité les élèves harcelés lorsque les procédures de conciliation ne fonctionnent pas.

M. Bernard Fialaire.  - N'attendons pas passivement que les réseaux sociaux agissent, prenons des initiatives : c'est le rôle de l'État d'assurer la sécurité des élèves.

Mme Marie Mercier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Que se passe-t-il dans nos cours d'école pour qu'on en vienne à parler de l'enfer des récréations ? Y sévissent parfois racket, intimidations et harcèlement. Un million d'élèves, donc de familles, touchés, cela fait combien de larmes ?

L'élève harcelé qui vit un calvaire, l'agresseur qui est lui aussi en souffrance, les encadrants : tout le monde est perdant. Le harcèlement est fait de violences répétées qui isolent la victime, parfois jusqu'à la détruire ; ses conséquences sont graves, parfois dramatiques. Il faut le prendre en considération sérieusement, dans tous ses aspects.

Nous devons avant tout prévenir et, le cas échéant, repérer et traiter au plus vite. Quand le harcèlement a eu lieu, aux adultes de prendre leurs responsabilités pour protéger la victime, qui doit avoir foi en la justice, sanctionner et accompagner les harceleurs.

La proposition de loi que j'ai déposée le 21 février dernier pose un principe simple : il faut éloigner le harceleur pour protéger la victime. Je remercie mes 215 collègues qui l'ont cosignée, ainsi que ceux qui l'approuvent puisqu'ils l'ont reprise.

Certes, une procédure disciplinaire existe au sein des établissements ; mais, souvent, les conseils de discipline ne prononcent pas l'exclusion. Nous devons guider et accompagner les établissements dans leur prise de décision pour éviter aux victimes la double peine.

Je me réjouis que le ministre se soit emparé de cette idée. Mais pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?

Aucun enfant victime ne devrait avoir à quitter son école ! Protéger les enfants est notre devoir, pour préserver leur insouciance et leurs rêves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je vous remercie pour votre proposition de loi, largement cosignée par les différents groupes du Sénat.

Dans le premier degré, il n'y a pas de conseil de discipline : d'où l'impasse récente dans le cas de Maël, le déplacement du jeune harceleur étant soumis à l'accord de ses représentants légaux. Avec la modification réglementaire que j'ai annoncée, il sera possible de passer outre à leur opposition, avec l'accord du maire. Il s'agit d'inverser la règle actuelle, ce qui est une question de justice. C'est une solution de dernier recours, mais qui doit être prévue, dans le premier comme dans le second degré.

Mme Marie Mercier.  - Votre proposition reprend exactement ce que je suggérais d'inscrire dans le code de l'éducation.

Au cours de mes nombreuses auditions, j'ai entendu dire que si cela devient trop compliqué, le terme de harcèlement ne sera plus employé... Ce ne serait pas digne de l'Éducation nationale !

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Yan Chantrel .  - Nous avons été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, harcelé pour son orientation sexuelle. Quelles mesures ont été prises pour éradiquer de telles brimades au quotidien ?

Monsieur le ministre, votre volonté d'éradiquer ce fléau se vérifiera par vos actions dans deux directions : renforcement des moyens humains à l'école et changement de la culture scolaire.

Toutes les études le montrent : la meilleure manière de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs dans les établissements et les classes. Or nos classes sont les plus chargées de l'Union européenne : au collège, nous comptons 26 élèves en moyenne par classe, contre 21 en Europe ; et plus d'une classe sur dix dépasse 30 élèves, deux fois plus qu'il y a dix ans.

Depuis son élection, Emmanuel Macron n'a fait qu'aggraver la situation : 9 322 postes supprimés depuis 2018. Et vous prévoyez de poursuivre la saignée à la rentrée 2023...

Quant à la médecine scolaire, elle a été abandonnée. Nous comptons un psychologue pour 1 500 élèves et un médecin pour plus de 16 600, bien loin de l'objectif ministériel de 1 pour 5 000.

Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire en réduisant à ce point les moyens de l'école ?

Nous devons aussi concevoir et organiser l'école autrement. Sortons d'une conception purement punitive, qui délègue la lutte contre le harcèlement aux CPE (conseillers principaux d'éducation), et développons une approche collective. Nous devons passer d'une école de la concurrence, du classement et de la distinction à un modèle solidaire, coopératif et inclusif, dans lequel la santé mentale n'est plus un tabou.

Monsieur le ministre, vous aviez promis des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars : où en est-on ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Depuis la mort du jeune Lucas, nous intensifions les programmes de lutte contre les haines anti-LGBT. Nous généralisons les observatoires dans chaque académie et préparons la journée du 17 mai.

S'agissant des effectifs, je suis obligé d'apporter un bémol à vos propos : il n'y a pas de lien si évident avec le harcèlement. Ainsi, la classe de Maël ne comptait que dix élèves.

En ce qui concerne la médecine scolaire, je rappelle que de nombreux postes ne sont pas pourvus - dans les Vosges, huit sur dix. Ouvrir de nouveaux postes ne changerait rien tant que les étudiants ne choisiront pas la médecine scolaire, comme d'ailleurs la médecine du travail.

Je souscris à l'approche collective que vous souhaitez. Tous les adultes intervenant auprès des élèves contribuent au dispositif pHARe, et nous devons améliorer encore leur formation.

Mme Béatrice Gosselin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Près d'un enfant sur dix serait victime de harcèlement. Le harcèlement en ligne amplifie le phénomène. En 2021, vingt enfants et adolescents ont perdu la vie des suites de ce fléau, souvent pratiqué en meute.

Le caractère répétitif des agressions crée un sentiment d'isolement : les conséquences psychologiques peuvent être graves, jusqu'au suicide.

Dans un monde où internet accapare nos vies, le cyberharcèlement est devenu le véritable danger, le plus destructeur : car l'agression peut frapper à tout moment, et les harceleurs s'abriter derrière des pseudonymes.

Comment briser cette spirale ?

Le comité d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement (CESCE) sensibilise les chefs d'établissement, mais il manque de moyens humains et financiers.

Depuis la dernière rentrée, le dispositif pHARe est obligatoire dans les établissements ; il s'agit de former une communauté protectrice. Les élèves doivent être plus impliqués, les personnels mieux formés et les responsables d'établissement plus vigilants pour détecter les situations. Les harceleurs doivent être conscients de la gravité de leurs actes et des sanctions possibles.

La proposition de loi de Marie Mercier visant à l'éloignement du harceleur est une très bonne initiative.

En outre, il convient de renforcer pHARe, d'obliger les plateformes à contrôler et à supprimer les contenus délictueux, d'exclure le harceleur de façon automatique et de renforcer la médecine scolaire avec des professionnels formés à ces questions.

La prévention est primordiale : dénoncer un comportement délictueux doit être un devoir pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je souscris à vos propos. Nous sommes en chemin et progressons.

En cas de cyberharcèlement, les plateformes réagissent en quelques heures à la suite des signalements au 3018 ; les équipes de techniciens et de psychologues accompagnent les élèves ou les familles qui les appellent, parfois paniqués - j'ai pu m'en rendre compte lors d'une visite au centre.

La généralisation de pHARe est en cours ; il sera étendu au lycée à la rentrée prochaine, même si les faits de harcèlement sont plus nombreux au collège.

L'Éducation nationale se met en marche. On la compare parfois à une grosse bête de l'ère glaciaire, mais elle sait bouger...

Mme Béatrice Gosselin.  - En effet, l'Éducation nationale bouge et doit bouger encore. Sur l'ensemble des réseaux et médias, diffusons des spots de sensibilisation. Certains enfants ne sont pas conscients des conséquences que peuvent avoir leurs paroles ou leurs actes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sylvie Robert .  - Comme le rapport d'information de 2021 l'a montré, le harcèlement a été reconnu tardivement en France, alors que des travaux sur le sujet sont disponibles depuis les années soixante-dix.

Avec l'essor du numérique, ses formes évoluent : il se prolonge désormais en ligne, plus sauvage et plus dangereux encore. Dès 2009, Michel Walrave soulignait les dangers de l'anonymisation.

La loi du 2 mars 2022 a marqué une première étape, en obligeant les fournisseurs d'accès à modérer les contenus. Toutefois, il faut aller plus loin dans la régulation des plateformes, même si elles ne sont pas responsables des faits commis.

En particulier, les réseaux sociaux devraient présenter les principales conditions d'utilisation de manière compréhensible par les jeunes utilisateurs. L'idée d'une courte vidéo sensibilisant aux bons usages du numérique semble faire consensus.

Ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle. Monsieur le ministre, y serez-vous favorable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Merci pour vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier. Sur la responsabilité des plateformes, je suis tout à fait disposé à avancer, car l'État a une responsabilité en la matière. Je suis ouvert au travail en commun pour combattre ce fléau.

Mme Sylvie Robert.  - Contre le harcèlement, nous avons beaucoup à faire : avancer sur ce sujet est une responsabilité collective.

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La médiatisation de plusieurs suicides d'enfants a révélé à ceux qui l'ignoraient encore la réalité du harcèlement scolaire et de ses conséquences. Ce que l'on sait moins, c'est que la santé, la vie professionnelle et la parentalité des victimes sont durablement marquées par les agressions subies. Dépressions pour les victimes, abus de pouvoir pour les harceleurs, sentiment d'impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l'âge adulte.

L'Éducation nationale a pris conscience de la nécessité d'agir. Mais l'ancienne enseignante spécialisée que je suis, sait que l'efficacité d'un programme comme pHARe suppose des professionnels spécialisés : sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides.

Or si les zones d'éducation prioritaire sont encore dotées de moyens importants, dans la ruralité, les postes sont supprimés les uns après les autres ; les professionnels qui restent sont submergés et peu reconnus. C'est un mauvais calcul, car les économies réalisées à court terme entraîneront des coûts immenses. Chez moi, les violences familiales explosent... Vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Créer des postes d'enseignants spécialisés ou d'intervenants sociaux en gendarmerie ?

Monsieur le ministre, n'oubliez pas la ruralité. Dans le sud de l'Alsace, nous n'avons plus que trois professionnels spécialisés pour 108 communes. Familles et élus se sentent abandonnés, et je crains qu'ils n'aient raison... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je puis vous assurer qu'ils ne sont pas abandonnés. Nous avons lancé un plan pour l'école rurale avec des engagements pluriannuels, afin de donner une visibilité aux maires sur les postes. En matière de taux d'encadrement, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains, ce qui est normal compte tenu des contraintes d'éloignement.

La formation aux questions de harcèlement bénéficie de moyens importants qui seront reconduits, aux niveaux national, académique et départemental.

Nous progressons, et les territoires ruraux ne sont pas oubliés.

Mme Sabine Drexler.  - Dans certaines zones, il n'y a même plus d'enseignant spécialisé ou de psychologue scolaire. Quel gâchis... Et quel coût à venir pour la société, bien supérieur à celui des postes que nous pourrions créer ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Toine Bourrat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le harcèlement scolaire blesse, broie et brise ; il viole l'enfance, ce terreau fertile où grandit la conscience morale et civique. Dans un pays où l'on prétend résoudre les problèmes à coups de numéros verts, il faut stopper cette spirale infernale.

Nous devons instaurer une culture de la vigilance, au plus près du terrain. Il faut repérer rapidement et agir localement.

Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes : libérons leur parole en expliquant qu'il s'agit non pas de dénoncer un camarade, mais de signaler celui qui est en danger. Les applications internes aux établissements, comme Pronote, pourraient être utilisées pour alerter.

Nous devons également redresser la médecine scolaire, en grand danger. Nous ne comptons qu'un médecin pour 12 000 élèves : Dominique Bussereau a évoqué devant le Sénat une situation d'indigence...

Le fléau du harcèlement doit être traité dans son intégralité, alors que pHARe n'est qu'une réponse partielle. En Finlande, grâce à une culture de la vigilance développée depuis plusieurs générations, chacun est le maillon d'une chaîne d'attention à autrui et de compréhension de ses émotions. Les résultats sont surprenants, avec une baisse du phénomène de plus de 40 %.

En ligne, nous devons combattre la multiplication des comptes fantômes et des identités factices.

Comme le disent les militaires, qui s'y connaissent en gestion de l'urgence : être à l'heure, c'est déjà être en retard. En matière de lutte contre le harcèlement, nous avons bien du retard à rattraper ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - En Finlande, il a fallu dix ans pour obtenir avec KiVa les résultats actuels. Notre programme est beaucoup plus récent, mais nous espérons atteindre plus rapidement des résultats comparables, en nous inspirant des exemples étrangers.

Mme Toine Bourrat.  - La baisse de 40 % dont j'ai parlé est intervenue après deux ou trois ans ; au bout de dix ans, les résultats sont bien meilleurs.

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Je serai bref, car nous avons abordé les principaux aspects de la question.

La formation est essentielle : nous nous efforçons de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation des professeurs stagiaires est d'ores et déjà systématique. Les inspections et les écoles académiques de formation continue seront davantage mobilisées.

Nous veillons aussi au suivi quantitatif et qualitatif des actions menées.

Nous avons encore des marges de progression : 86 % des collèges et 60 % des écoles font partie du programme pHARe, qui sera étendu aux lycées à la rentrée prochaine.

Comme l'ont proposé vos collègues Colette Mélot et Savine Van Heghe, nous ferons inscrire systématiquement les numéros d'urgence 3018 et 3020 dans les carnets de correspondance et sur les supports numériques.

Le rôle de l'Éducation nationale est de protéger les élèves. Quand une séparation s'impose pour mettre en sécurité l'élève harcelé, il n'est pas juste que celui-ci doive quitter l'établissement. Au primaire, où il n'y a pas de conseil de discipline, la mesure réglementaire que je propose permettra de déplacer le harceleur sans le consentement de ses représentants légaux.

Nous parlons d'enfants de six à dix ans : il faut donc être prudent et prévoir des garanties suffisantes. L'éloignement sera une mesure exceptionnelle destinée à mettre à l'abri l'enfant harcelé.

Au terme de ce débat, j'ai une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Tous, nous sommes pleinement engagés pour prévenir ces drames douloureux, et conscients du chemin qui reste à parcourir.

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci, monsieur le ministre, pour les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours de ce débat.

Le groupe Les Républicains a eu raison d'inscrire ce point à notre ordre du jour. Au demeurant, la question fait consensus - pas sûr qu'il en ira de même du texte dont nous débattrons dans quelques instants...

M. Julien Bargeton.  - Certes non !

M. Max Brisson.  - Mme Borchio Fontimp a posé clairement les termes du débat, rappelant notamment le rapport de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot.

Plusieurs drames récents ont rappelé l'urgence d'intensifier la lutte contre ce fléau. Nombre d'entre vous ont évoqué le cas de Lucas. Je pense aussi à ce lycéen qui a assassiné une enseignante à Saint-Jean-de-Luz, après avoir été harcelé dans son collège. Il est certes hasardeux d'établir une corrélation, mais ce drame est dans tous les esprits.

Au-delà de ces cas extrêmes, il y a une réalité ordinaire. Le cyberharcèlement prolonge le harcèlement dans la sphère privée. Nous manquons d'un appareil statistique adapté et d'enquêtes régulières, notamment pour évaluer les effets du programme pHARe et du dispositif pénal issu de la loi de mars 2022.

Nous avons insisté sur les besoins de formation des personnels. Le principe de la formation continue des enseignants, inscrit dans la loi de l'année dernière, est loin d'être appliqué. Deux tiers des enseignants déplorent un manque de formation et une absence de prise en considération par leur hiérarchie. Monsieur le ministre, vous avez réagi sur le « pas de vagues », mais le sujet dérange toujours et, parfois, l'inertie continue de prévaloir.

Il faut identifier plus rapidement les cas de harcèlement. À cet égard, le manque de moyens est criant : psychologues et médecins scolaires font défaut. Monsieur le ministre, nous attendons la mise en oeuvre du plan que vous avez annoncé et nous avons des propositions à vous faire.

Des progrès sont possibles aussi pour l'accompagnement des victimes et de leur famille. Souvent, elles se sentent peu écoutées. Le programme pHARe manque de moyens humains et financiers.

Nous soutenons fortement la proposition de loi de Marie Mercier. Monsieur le ministre, vos annonces sur l'éloignement sont les bienvenues : nous attendons des mesures précises pour régler cette question.

Les recommandations du Sénat et la proposition de loi de Marie Mercier doivent être réellement prises en compte et se traduire concrètement sur le terrain. La mobilisation ne doit pas fléchir pour garantir la sérénité de nos élèves ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Bernard Fialaire et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)