Lutte contre les dérives sectaires (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes.

Discussion générale

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté .  - Près de trois mois après nos précédents échanges, nous voici à nouveau réunis pour discuter de ce projet de loi, qui a bien évolué au cours de la navette, même si les constats et les objectifs demeurent. Près de vingt-trois ans après sa promulgation, la loi About-Picard n'est plus adaptée.

Je suis déçue que le groupe Les Républicains ait déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Madame la rapporteure, vous évoquez le respect des droits et libertés, mais le texte a très largement évolué dans le sens que vous souhaitiez !

L'État ne lutte pas contre les croyances ou les opinions, mais contre toutes les formes de dérives sectaires. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantit la liberté de conscience ; nous y sommes tous attachés. C'est pourquoi nous avons renforcé les garanties constitutionnelles de ce texte. Bien des apports du Sénat ont été retenus.

L'État doit protéger nos concitoyens contre les dérives sectaires, fléau en constante progression.

La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur les solutions miracles vendues à des malades du cancer par de pseudo-thérapeutes. Face à ces charlatans, dont les méthodes d'embrigadement évoluent sans cesse, nous ne pouvons laisser les victimes seules. Le législateur a le devoir de les protéger.

Les signalements à la Miviludes ont doublé depuis 2010. Les difficultés sociales et la crise sanitaire ont accru la vulnérabilité de nos concitoyens. Les gourous 2.0 fédèrent de véritables communautés d'adeptes en ligne. Il faut en finir avec ces théories dangereuses qui ont déjà tué.

Notre stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027, fruit d'une concertation inédite, se décline selon trois axes : la prévention, l'accompagnement de proximité des victimes et le renforcement de notre arsenal juridique. Nous n'abandonnons ni la prévention ni l'accompagnement, mais ces axes ne nécessitent pas toujours de traduction législative.

La prévention doit être au coeur de toutes nos politiques publiques : elle est le maître-mot de ma feuille de route et le versant nécessaire de la bonne application du texte dont nous discutons.

Les effectifs de la Miviludes ont doublé. Je salue l'engagement des associations. Nous venons de lancer une campagne de communication - que vous avez été nombreux à partager sur les réseaux et je vous en remercie  - qui cible le quotidien des Français : santé, argent, éducation...

Le Gouvernement entend créer deux nouveaux délits : à l'article 1er, le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ; à l'article 4, la provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins ou à l'adoption de pratiques dont il est manifeste qu'elles exposent la personne visée à un risque grave pour sa santé.

La santé est un enjeu majeur des dérives sectaires, avec 27 % des signalements à la Miviludes.

Malgré le constat partagé, les discussions ont été animées au Sénat et l'article 4 a évolué : il garantit désormais explicitement la liberté de conscience et la liberté de critique médicale. Les discours dans le cadre familial en sont exclus, tout comme les lanceurs d'alerte. Cette rédaction transpartisane apporte les garanties demandées par les deux chambres. Je déplore qu'une partie de cet hémicycle s'y oppose.

Pour les familles qui ont vécu des drames, cessons les postures politiques et ayons conscience de l'urgence de voter ce texte. Le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale nous a entendus.

À l'article 1er, nous créons un nouveau délit d'assujettissement psychologique ou physique, pour agir en amont de l'abus de faiblesse. Nous avons deux objectifs : remédier à l'insuffisance du cadre juridique pour appréhender ces nouvelles dérives et améliorer l'indemnisation des victimes en prenant mieux en compte leur préjudice corporel. En l'état actuel du droit, la réparation est plus qu'aléatoire. Les victimes sont parfois découragées : elles doivent être mieux protégées et indemnisées.

En cohérence, nous proposons la création d'une circonstance aggravante pour certains crimes ou délits commis dans un environnement sectaire.

L'accompagnement des victimes sera renforcé grâce à un agrément délivré aux associations autorisées à agir.

Nous prévoyons en outre la transmission obligatoire aux ordres professionnels de santé des condamnations et des décisions de contrôle judiciaire, afin de sanctionner les praticiens déviants.

Enfin, l'information des acteurs judiciaires sur les dérives sectaires sera améliorée grâce à une meilleure association des services de l'État.

Madame la rapporteure, nos points de vue divergent, mais je vous remercie pour votre engagement et la qualité de nos débats. Attachée au débat parlementaire, je regrette que vous proposiez de l'écourter.

J'ai confiance dans le Sénat pour continuer à défendre les victimes. J'ai une pensée pour les associations dont l'action est cruciale et qui ont besoin de ce texte.

J'ai une pensée sincère pour les victimes et leurs familles ; j'espère que ce projet de loi contribuera à les apaiser.

Nous devons répondre tous présents et dépasser nos clivages pour nous rassembler autour de cette cause commune.

Je continuerai le combat.

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Olivia Richard applaudit également.) Après l'échec de la CMP, l'Assemblée nationale a corrigé quelques scories, mais s'est écartée de la position du Sénat, empêchant tout compromis.

Sur les deux points bloquants pour la commission des lois, le premier est relatif à la création d'un délit de provocation à l'abandon de traitements ou soins médicaux et à l'adoption de pratiques non conventionnelles. Certes, il faut une réponse ferme des pouvoirs publics, mais la disposition proposée par le Gouvernement est juridiquement fragile. La nécessité de légiférer n'est pas suffisamment établie.

La rédaction finalement adoptée par l'Assemblée nationale nous ramène au droit existant en matière de harcèlement. La rédaction de l'exclusion des lanceurs d'alerte n'est pas satisfaisante.

Paradoxalement, les tentatives du Gouvernement de répondre aux critiques du Conseil d'État et du Sénat aboutissent à des dispositifs soit trop larges, soit inefficaces. Il semble en effet difficile de prouver ce délit : de simples précautions dans la formulation de leur discours prémuniront les promoteurs de dérives sectaires contre cette infraction. À l'inverse, des propos tenus dans le cadre familial pourraient être sanctionnés...

Finalement, le droit existant -  avec l'abus de faiblesse ou l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie  - est plus protecteur. Contrairement à ce qui a été répété, tous les cas sont déjà couverts par le droit existant. La difficulté réside dans la récolte des preuves et la détection des victimes.

Deuxième point de blocage : le rétablissement des articles 1er et 2 et leur élargissement aux victimes des thérapies dites de conversion.

La création d'un délit autonome nous semble révélatrice de deux défauts de conception de ce texte : la loi About-Picard serait insuffisante ; il faudrait traiter toutes les formes d'emprise de la même manière.

Le Conseil d'État avait rappelé que le champ des nouvelles infractions allait au-delà des seules dérives sectaires.

Le Sénat a néanmoins enrichi le texte de dispositions attendues et saluées par les acteurs de terrain.

Premièrement, la consécration du statut juridique de la Miviludes, qui ne pourra plus être supprimée au gré des volontés ministérielles.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Deuxièmement, des modifications du droit pénal, pour tenir compte de l'évolution des modes opératoires, avec une répression plus forte des délits d'exercice illégal de la médecine, de pratiques commerciales trompeuses et d'abus de faiblesse lorsqu'ils sont commis en ligne.

Enfin, pour les mineurs, le délai de prescription ne courra qu'à compter de la majorité et les sanctions applicables au fait de placer un enfant dans une situation d'isolement social seront alourdies.

Mais nous regrettons cette focalisation sur la réponse pénale : les pouvoirs publics doivent prévenir et rehausser les moyens de la justice et des services enquêteurs.

L'Assemblée nationale a adopté en seconde lecture un texte souffrant des mêmes défauts juridiques que celui de première lecture. Il me semble inutile de prolonger notre discussion. D'où notre question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Olivia Richard applaudit également.)

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Martin Lévrier applaudit également.) Le covid a massivement répandu le numérique et isolé nos compatriotes, notamment les plus fragiles. Ce texte vise à lutter contre ceux qui exploitent cette vulnérabilité.

Députés comme sénateurs, nous partageons l'objectif, mais nos majorités respectives divergent sur les moyens.

Le délit de placement ou de maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique, supprimé par le Sénat, a été rétabli par l'Assemblée nationale. Nous comprenons les réticences de la rapporteure, mais pensons qu'il permettra de prendre en compte des situations que notre droit actuel ignore et de les réprimer avec toute la rigueur nécessaire.

Autre point de divergence : la répression des dérives liées aux médecines non conventionnelles. S'appuyant sur les réserves du Conseil d'État, le Sénat a supprimé l'article 4, rétabli par l'Assemblée nationale. Or les signalements sont en forte hausse et les courants anti-science se développent, sur fond de pandémie et de réseaux sociaux.

Ces positions incompatibles du Sénat et de l'Assemblée nationale ont conduit à l'échec de la CMP et à la question préalable de la rapporteure. Notre groupe y est opposé, par principe. Les dérives sectaires sont dangereuses, or de nombreuses dispositions de ce texte permettront de mieux lutter contre les sectes. Nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Dès 2012, le Sénat se penchait sur les dérives sectaires, particulièrement dans le domaine de la santé. Les cas sont en hausse de 86 % depuis 2015, avec un record en 2021. Force est de constater que notre arsenal judiciaire n'est plus adapté. Au-delà du religieux, les approches liées à la santé, au coaching ou au développement personnel ciblent les plus vulnérables, qui n'ont pas conscience d'être victimes. Les escrocs exigent tout d'eux : la soumission du corps, de l'esprit et du compte en banque.

Les deux chambres partagent le même constat. Toutes les dérives sectaires doivent être combattues. Malheureusement, nos convergences s'arrêtent là et l'accord en CMP a été impossible.

Oui, encourager l'abandon de soins médicaux vitaux dans le cadre d'une thérapie alternative appelle une réponse ferme, mais le dispositif proposé n'est pas à la hauteur. Il est difficile de réunir des preuves et les escrocs ont l'habitude de jouer avec le flou de la loi. Dommage que nous n'ayons pas trouvé de bonne rédaction, car les acteurs attendent des outils.

Tout n'est pas à jeter, car certaines dispositions du Sénat ont été conservées : renforcement des sanctions lorsque les délits sont commis en ligne, protection des mineurs victimes, renforcement des moyens de la Miviludes.

Il est cependant inutile de poursuivre nos débats : le groupe UC votera la question préalable avec regret, mais conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - Le phénomène sectaire a des conséquences psychiques et physiques et non pas seulement financières. En 2020, pourtant, la disparition de la Miviludes a pu être envisagée...

Ce texte, pauvre et bâclé, présentait un risque d'inconstitutionnalité selon le Conseil d'État. D'où l'intérêt d'avoir, pour une fois, un projet de loi, et donc une étude d'impact !

Aucune des propositions des rapports parlementaires transpartisans n'a servi à élaborer ce texte. En première lecture, nos propositions d'amélioration se sont heurtées à l'article 40. Les moyens de repérage des victimes mériteraient pourtant d'être renforcés, ainsi que le préconisait le rapport Mézard-Milon.

Le texte qui nous revient a maintenu la sanctuarisation de la Miviludes.

Nous nous réjouissons du maintien de certains de nos apports, notamment sur les échanges avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, où siègent des élus.

Nous saluons l'article 2 bis A qui introduit des circonstances aggravantes pour les thérapies de conversion.

Nous regrettons que l'Assemblée nationale n'ait pas conservé notre amendement sur la coordination de la Miviludes avec les associations, qu'il faut saluer.

Notre commission a bien pris la mesure des effets amplificateurs des réseaux sociaux. La disparition, à l'Assemblée nationale, de tout notre apport sur le numérique est problématique.

Notre commission avait aussi pris la mesure des dangers qui pèsent sur les mineurs, mais, là encore, l'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions.

Les phénomènes sectaires ne prennent plus seulement une forme religieuse, ils investissent aussi le champ de la santé, de l'alimentation, du bien-être.

On comptait 214 signalements à la Miviludes en 2015, 892 en 2021.

Les discours anti-scientifiques se sont multipliés sur les réseaux sociaux, notamment depuis la pandémie et font courir un risque de santé publique.

La réécriture de l'article 4 par l'Assemblée nationale permet de ne pas porter atteinte à la liberté des débats scientifiques.

Ce texte, très insuffisant, est un ensemble de mesurettes qui n'agissent ni sur les causes du phénomène ni sur les moyens de repérage.

Le Sénat avait transformé le projet initial, avec des mesures plus opérationnelles et plus efficaces. Le GEST ne peut que constater l'entêtement du Gouvernement et ne pourra se résoudre à voter ce texte qui ne tient compte ni des observations du Conseil d'État ni des travaux du Sénat.

Nous ne voterons pas la question préalable qui nous priverait d'une discussion sur un sujet sensible et important.

M. Pierre Ouzoulias .  - Il faut reconnaître que le texte du Gouvernement, les débats et l'incapacité des deux chambres à s'entendre ont été très en deçà des attentes suscitées par les récents travaux de la Miviludes.

Depuis sa création en 2002, les dérives se sont diversifiées sous l'effet du foisonnement des expressions religieuses, de l'individualisation des croyances, de la perte de légitimité du discours politique et scientifique et des réseaux dits sociaux.

Ces prophètes, charlatans, rebouteux, complotistes, détracteurs de la science dite officielle prolifèrent. (M. Roger Karoutchi apprécie l'énumération.) Leurs discours sont parfois relayés par des médias nationaux complaisants.

Il eût été judicieux que votre texte, madame la ministre, s'intéressât aussi aux pratiques des établissements hors contrat, dont le développement inquiète.

Je regrette que vous n'ayez pas entendu le Conseil d'État. Une réécriture plus aboutie de l'article 4 vous aurait évité une coalition d'oppositions divergentes. Je regrette aussi que certains députés aient eu recours à une argumentation déjà entendue pendant la pandémie pour défendre l'utilisation de l'hydroxychloroquine...

M. Olivier Bitz.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias.  - Les essais cliniques réalisés dans les règles avaient montré son absence d'effets bénéfiques : il était donc coupable de continuer à la prescrire.

La controverse est utile lorsqu'elle respecte les règles de l'intégrité scientifique. Elle devient pernicieuse lorsqu'elle s'en affranchit.

Je suis révolté d'avoir entendu, dans nos deux chambres, que ce texte aurait condamné Irène Frachon au silence. Cette pneumologue, à la grande conscience morale, a démontré scientifiquement les effets nocifs du benfluorex. Comment comparer ses études cliniques rigoureuses avec les élucubrations mortifères qui proposent de remplacer une chimiothérapie par des jus de légumes ?

Je ne suis pas certain que l'article 4 permettra à la justice de sanctionner plus efficacement. Nous devrons l'évaluer.

Il est nécessaire de donner plus de moyens aux pouvoirs publics pour protéger la santé de nos concitoyens. Nous regrettons donc la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du RDPI)

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En décembre 1995, seize personnes étaient retrouvées brûlées dans le Vercors, victimes de la secte de l'Ordre du temple solaire. Plus jamais ça ! Et pourtant, aujourd'hui, certains préconisent un régime crudivore plutôt que la chimiothérapie pour guérir un cancer...

L'action des gourous n'a rien d'uniforme et nous touchons aux limites du droit. Certains travestissent les religions, tandis que d'autres tentent de fonder leurs croyances sur des bases rationnelles. Tout le monde se souvient des aventures délirantes du clonage raëlien ; aujourd'hui, certains remettent en cause la médecine, comme si quelques heures sur YouTube valaient plus que dix ans d'études universitaires...

Je salue l'initiative du Gouvernement, mais regrette le calendrier d'examen de ce projet de loi, débattu au Sénat fin décembre, après le budget et en même temps que la loi Immigration. Le Sénat en avait alors rejeté les principaux articles, au motif qu'il fallait du temps pour réécrire la copie. Le RDSE avait aussi fait des propositions.

Trois mois plus tard, après l'échec de la CMP, le Sénat reste sur le constat d'un texte imparfait - c'est dommage. Le RDSE est opposé par principe à toute motion et j'aurais aimé que ce texte soit de nouveau débattu, d'autant plus qu'il reprend certains apports du Sénat, comme l'article 2 bis, issu de l'un de mes amendements, qui allonge le délai de prescription pour les mineurs. L'article 9, adopté par l'Assemblée nationale, améliore la protection des patients contre les risques de confusion et de tromperie, conformément au rapport Mézard de 2013 et aux amendements que j'avais déposés dans le même sens.

Les articles 1er, 2 et 4 ne vous convainquent pas, madame la rapporteure. Vos réserves sont légitimes, mais ces articles apportent pourtant des solutions aux pouvoirs publics. (M. Olivier Bitz renchérit.)

Nous voterons contre la motion et j'espère défendre les amendements que j'ai déposés - je suis optimiste... (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP) La CMP du 7 mars dernier n'a pas été conclusive. Ce texte est l'une des traductions des assises nationales de mars 2023 et de l'ambitieuse stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires de novembre 2023. Il entend répondre à une hausse préoccupante de ces dérives sectaires, notamment dans le domaine thérapeutique.

Le projet de loi poursuit deux objectifs : adapter notre arsenal juridique, manifestement à la traîne, et améliorer l'accompagnement des victimes. Davantage d'associations pourront se porter partie civile et mieux informer les ordres lors de la condamnation de professionnels de santé.

Mais la création de deux nouveaux délits fait l'objet d'un désaccord entre nos deux chambres, malgré une rédaction désormais plus équilibrée : la liberté d'expression est garantie et le rôle des lanceurs d'alerte est préservé.

Le RDPI regrette que la majorité sénatoriale ait déposé une question préalable - ce n'est pas l'intérêt des victimes. (M. Olivier Bitz le confirme.) C'est dommage, car le Sénat avait enrichi le texte en première lecture : consécration législative de la Miviludes ; circonstance aggravante pour les délits commis en ligne ; allongement du délai de prescription pour les mineurs.

Nous aurions aimé que le Sénat travaille à la rédaction d'un texte commun, respectueux des libertés individuelles et protecteur de la santé publique. Hélas, l'adoption de la question préalable nous en empêchera : c'est dommage. Nous ne voterons donc pas la motion. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christophe Chaillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En première lecture, nous étions unanimes pour considérer que la lutte contre les dérives sectaires était un enjeu majeur.

Ainsi, 4 020 signalements ont été enregistrés par la Miviludes en 2021 - un record -, sous le double effet des réseaux sociaux et de la crise sanitaire. Des champs nouveaux -  santé, développement personnel, formation  - sont investis par les charlatans. Les victimes sont de plus en plus nombreuses. Cela appelle des évolutions législatives.

En première lecture, nous avions soutenu certaines dispositions du texte et suivi la rapporteure concernant les réserves du Conseil d'État : nous n'avions pas voté l'article 4.

Nous retrouvons dans le texte issu de la CMP certaines modifications que nous avions souhaitées, comme l'inscription de la Miviludes dans la loi ou la protection des mineurs contre les dérives sectaires. Nous saluons l'ajout relatif aux thérapies de conversion.

Veillons à ce que la Miviludes dispose des moyens nécessaires.

Nous avions émis des doutes sur la rédaction de l'article 4, compte tenu notamment de l'avis du Conseil d'État. Le Sénat l'avait supprimé, l'Assemblée nationale et le Gouvernement l'ont réécrit en répondant aux préoccupations soulevées, notamment sur la liberté de conscience, la liberté de choix, les lanceurs d'alerte ou les cercles privés.

L'augmentation du nombre de victimes d'abus nous a convaincus de la nécessité de légiférer. S'agissant des sanctions pénales, je note que l'appréciation de la majorité sénatoriale est à géométrie variable : le plus souvent, comme lors du débat sur la sécurité dans les transports, elle s'attache à aggraver les sanctions, même en l'absence d'effet avéré. Et ici, on nous dit que les sanctions pénales n'auraient pas d'effet ? (Mme Lauriane Josende le conteste.)

La loi seule ne suffit pas : la prévention s'impose. Il faut des moyens non seulement pour la Miviludes, mais aussi pour l'éducation nationale, afin d'attaquer les dérives sectaires à la source.

Le groupe SER regrette l'approche trop restrictive de la majorité sénatoriale, qui minore les avancées du texte et empêche, via le dépôt d'une motion, que nous nous prononcions. Nous voterons contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dommage, madame Delattre : il y a peu de chances que vous défendiez vos amendements. (Sourires) Mais que voulez-vous faire ? La CMP a échoué, l'Assemblée nationale a voté un texte qui ne correspond pas aux souhaits du Sénat. Donc soit nous adoptons un texte conforme, ce qui n'a guère d'intérêt, soit l'Assemblée nationale décide en dernier ressort.

Selon toute probabilité, la question préalable l'emportera : inutile de faire travailler le Sénat en nous illusionnant sur l'influence que nous pourrions avoir, si tant est que nous en ayons, avec ce Gouvernement...

Nul ne conteste l'importance de lutter contre les dérives sectaires. Privilège de l'expérience, j'ai le souvenir de nombreux rapports sur le sujet. À l'arrivée, toujours le même constat : pas assez de moyens.

Pierre Ouzoulias l'a dit, la remise en cause de la Miviludes nous a stupéfiés, au moment même où les dérives explosaient.

Madame la ministre, vous aurez votre texte, mais sans le tampon Sénat.

La rapporteure a rappelé les réserves du Conseil d'État, la rédaction de l'article 4. Mais la question centrale est la suivante : jusqu'où peut-on légiférer sans empêcher la liberté d'expression, la liberté de conscience, la liberté médicale ? Jusqu'où peut-on légiférer sans empêcher les opinions, les choix, sans brimer ?

Le sectarisme, les dérives sectaires peuvent être politiques, médicales, éducatives, elles concernent tous les aspects. Nos sociétés occidentales sont toutes touchées : nous avons échoué, collectivement, sur la formation des jeunes, sur l'éducation et la sensibilisation aux vrais problèmes. Nous avons échoué à faire des Français des hommes libres, conscients, comme disait Montaigne, capables de réfléchir et d'analyser par eux-mêmes. C'est ainsi... Quand fera-t-on une vraie réforme sur comment faire réellement société ?

Madame la ministre, pas d'inquiétude : nous voterons la question préalable, car refaire le débat ne servirait à rien. Mais au-delà de votre succès à l'Assemblée nationale, demandez-vous sincèrement ce que peut faire le Gouvernement pour enfin inverser ce courant dans la société française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Baptiste Blanc .  - Les pratiques alternatives, qualifiées de douces ou même quantiques, de Luc Jouret, ont permis l'assujettissement qui a mené au drame de l'ordre du Temple solaire, il y a bientôt trente ans. Ces pratiques illusoires, qui se cachent derrière le paravent des libertés, impliquent la perte d'esprit critique.

Chacun est libre de croire à ce qu'il veut, mais alors que nous légiférons, à juste titre, sur la traçabilité de nos produits de consommation ordinaire, comment laisser nos concitoyens confier aveuglément leur santé à des croyances irrationnelles ?

L'article 1er a trait à la sujétion. Où se situe la liberté de choix, lorsque le patient a perdu son libre arbitre ? Il est d'autant plus urgent de protéger les consommateurs à l'heure des réseaux sociaux.

Combien les dérives sectaires ont-elles fait de victimes en trente ans ? Que pèsent nos désaccords par rapport au désarroi des victimes ?

L'abus de faiblesse issu de la loi About-Picard a montré ses limites. Les praticiens réclament un instrument plus efficace, sur le modèle espagnol ou italien.

Les dérives sectaires méritent d'être analysées à la lumière des témoignages des victimes et des atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Transformer un citoyen en adepte asservi désagrège insidieusement la République. En tant que parlementaires, nous devons être vigilants, tout en respectant la pluralité des croyances individuelles.

Les victimes attendent de nous une protection légale et efficace. C'est pourquoi je voterai la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°5, présentée par Mme Josende, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes (n° 455, 2023-2024).

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Je ne développe pas les arguments en faveur de cette motion. Ce texte est encore trop imparfait pour en valider la rédaction. Inutile de débattre davantage.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État.  - Je regrette cette question préalable : elle met un terme à un travail parlementaire fructueux, qui a fait évoluer significativement un texte qui s'attaque à un sujet de société des plus préoccupants.

Le texte qui vous est soumis a été enrichi et amélioré. Les préoccupations du Sénat ont été prises en compte : assise législative à la Miviludes, lien avec les instances locales de prévention de la délinquance, prise en compte des infractions en ligne, meilleure protection des mineurs, entre autres. Autant d'avancées que l'Assemblée nationale a conservées, et que le Gouvernement soutient.

Le débat s'est focalisé sur l'article 4, qui est pourtant une avancée innovante, sur un sujet sensible. Je reste convaincue que la représentation nationale ne peut rester sourde aux difficultés qui remontent du terrain. Oui, les gourous qui promeuvent des pratiques qui tuent sont des criminels. Le Conseil d'État estime que la légitimité du projet de loi est incontestable. Cet article vise à empêcher les abus délétères, souvent mortels, de la liberté d'expression, quand elle s'apparente à une provocation à s'empoisonner.

Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont entendu les critiques du Sénat. Sur la garantie de la liberté de conscience, l'alinéa 2 exige que le traitement soit présenté comme bénéfique pour la santé, l'alinéa 4 prévoit une information libre et éclairée. Sur la liberté de critique médicale, l'alinéa 6 exclut les lanceurs d'alerte du champ d'application. Enfin, le critère de gravité des conséquences de l'arrêt de traitement a été rehaussé. Cessez de dire qu'Irène Frachon n'aurait pas pu nous alerter : c'est faux !

Les provocations doivent dorénavant faire l'objet de pressions ou de manoeuvres réitérées, ce qui exclut clairement les conversations privées, familiales ou amicales, du champ d'application.

Je le dis devant la représentation nationale : le Gouvernement ne veut pas interdire la critique médicale ni empêcher les malades de décider, en toute conscience, de suivre ou non un traitement, fut-ce au détriment de leur santé. En revanche, il veut mettre hors d'état de nuire ces gourous 2.0, ces escrocs qui mentent et qui tuent. Provoquer à interrompre une chimiothérapie pour lui substituer un jus de légumes n'est pas un bon usage de la liberté d'expression.

Ce texte est le fruit d'un travail collectif, auquel le Sénat a pris toute sa part. Son article 1er constitue une avancée majeure pour la protection des victimes - le Conseil d'État y a d'ailleurs émis un avis favorable. Je regrette que vous ne l'ayez pas suivi. Je l'ai dit, le Gouvernement est disposé à entendre toute proposition d'amélioration.

Lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le groupe Les Républicains, en la personne du député Xavier Breton, ...

M. Laurent Burgoa.  - Nous sommes au Sénat ici !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État.  - ... s'est abstenu, invoquant les avancées obtenues. J'invite le Sénat à rejeter cette question préalable, afin que le débat se poursuive.

À la demande de la commission, la motion n°5 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°170 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 189
Contre 152

La motion n°5 est adoptée. En conséquence, le texte est considéré comme rejeté.

La séance est suspendue à 18 h 50.

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.